Khosrau

NASSIRI KHOSRAU

 

RELATION DU VOYAGE DE NASSIRI KHOSRAU EN SYRIE, EN PALESTINE, EN EGYPTE, EN ARABIE ET EN PERSE, PENDANT LES ANNÉES DE L'HÉGIRE 437 — 444 (1035 — 1042)

partie IV

partie III

Œuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

SEFER NAMEH

RELATION DU VOYAGE DE

NASSIRI KHOSRAU

EN SYRIE, EN PALESTINE, EN EGYPTE, EN ARABIE ET EN PERSE,

PENDANT LES ANNÉES DE L'HÉGIRE 437 — 444 (1035 — 1042)

PUBLIÉ, TRADUIT ET ANNOTÉ

PAR

CHARLES SCHEFER

MEMBRE DE L'INSTITUT,

PREMIER SECRÉTAIRE INTERPRETE DU GOUVERNEMENT,

ADMINISTRATEUR DE L'ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES

 

 

 

 

PARIS

ERNEST LEROUX, ÉDITEUR

LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE

DE L’ECOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, ETC.

28, RUE BONAPARTE, 28.

1881


 

 

NASSIRI KHOSRAU

VOYAGE.

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Le puits de Zemzem.

Ce puits qui se trouve à l'est en dehors de la Ka'abah, et non loin de l'angle de la pierre noire dont il est séparé par une distance de quarante-six ârech, a un diamètre de trois ârech. L'eau en est potable, bien qu'elle ait un goût saumâtre.

L'ouverture du puits est entourée d'une margelle de marbre blanc, haute de deux ârech. On a, sur les quatre côtés du pavillon, établi des vasques que l'on remplit d'eau et où l’on fait ses ablutions Le sol est couvert d'un treillis en bois qui empêche l’eau d'y séjourner et lui permet de s'écouler.[1]

En face du pavillon du puits de Zemzem, dans la direction de l'est, se trouve une construction de forme carrée et surmontée d'une coupole ; elle porte le nom de Siqqayet el Hadj (la buvette des pèlerins). A l'intérieur, on a placé des cruches que l'on passe aux pèlerins pour qu'ils puissent boire. Au-delà du Siqqayet el Hadj et dans la direction de l'est, s'élève un bâtiment oblong avec trois coupoles : on l'appelle Khizanet ez Zeït (le magasin de l'huile). On y serre les cierges, l'huile et les lampes.

On a dressé autour de la Ka'abah, des colonnes qui sont reliées l'une à l'autre à leur sommet par des poutres couvertes de riches ornements sculptés et peints, et dans lesquelles sont fixés des anneaux et des crochets ; lorsque vient la nuit, on fixe sur ceux-ci des cierges et on suspend des lampes à ceux-là. Ce lieu est appelé Mecha'il (les luminaires). Il y a cent cinquante guez de distance entre les murs de la Ka'abah et ce Mecha'il : c'est dans cet emplacement que l'on fait le Thewaf.[2]

Les bâtiments que renferme l'enceinte du Mesdjid sont donc, à l'exception de la Ka'abah, au nombre de trois : le pavillon du puits de Zemzem, le Siqqayet el Hadj et le Khizanet ez Zeït.

On voit, dans la galerie couverte d'un toit qui règne autour du Mesdjid, des coffres appartenant aux villes des provinces du Maghreb, de l'Egypte, de la Syrie, de Roum, des deux Iraq, du Khorassan, de la Transoxiane etc.

L'émir de la Mekke réside, avec un corps de troupes qui n'obéit qu'à lui, à Bourqah, localité située à quatre fersengs au nord de cette ville. On y trouve des eaux courantes et des arbres. Ce canton a deux fersengs carrés d'étendue.

Cette année, je séjournai à la Mekke en qualité de Moudjavir depuis le commencement du mois de Redjeb. Il est d'usage d'ouvrir pendant ce mois, tous les jours, la porte de la Ka'abah au moment du lever du soleil.

Manière dont on ouvre la porte de la Ka'abah.

La garde de la clé de la porte de la Ka'abah est confiée à une famille arabe qui porte le nom de Benou Cheïbah. Les membres de cette tribu sont chargés du service de la maison de Dieu et ils reçoivent, à ce titre, du sultan d'Egypte des pensions et des vêtements d'honneur.[3]

Ils ont un chef entre les mains duquel se trouve la clé, et lorsqu'il se rend à la Ka'abah, il est accompagné par cinq ou six de ses gens. A leur arrivée, ils sont rejoints par dix pèlerins qui saisissent l'escalier dont je viens de parler, le font rouler et le placent devant la porte. Le cheikh le gravit et se tient debout sur le seuil ; deux autres personnes qui l'ont suivi soulèvent le voile en satin jaune qui couvre la porte ; l'un le relève par un bout, le second par un autre, puis ils le laissent retomber, de manière à dérober leur chef aux regards, pendant qu'il ouvre la porte. Celui-ci dégage le cadenas des anneaux qui le retiennent, et cet acte a lieu pendant que la foule des pèlerins se tient au bas des degrés. Lorsque la porte est ouverte, les fidèles élèvent les mains en invoquant Dieu à haute voix. Tout le peuple qui est dans la Mekke, apprend par les exclamations des pèlerins que la porte de la maison sainte vient d'être ouverte ; il joint ses vœux aux leurs, et une immense rumeur remplit toute la ville.

Le cheikh pénètre dans la Ka'abah ; il y fait une prière de deux rikaat, pendant que ses assistants continuent à tenir le voile ; après l'avoir terminée, il vient ouvrir la porte et il se place sur le seuil pour réciter à haute voix la khouthbèh, et appeler les bénédictions divines sur le Prophète et sur les membres de sa famille. Le cheikh et ses deux compagnons se tiennent debout des deux côtés de la porte et les pèlerins, se mettant alors en mouvement, commencent à entrer dans le sanctuaire. Chacun en sort après avoir fait une prière de deux rikaat, et cela continue ainsi jusque vers l'heure de midi.

Lorsqu'on fait la prière dans l'intérieur de la Ka'abah, on se tourne du côté de la porte. Il est cependant licite de prier le visage tourné dans quelque direction que ce soit.

Je fis le dénombrement des fidèles qui se trouvaient dans la Ka'abah, un jour qu'elle était pleine et qu'il n'y avait plus possibilité d'y entrer, faute de place ; je comptai sept cent vingt personnes.

Les gens du Yémen qui viennent en pèlerinage à la Mekke ont, en général, l'aspect extérieur des Indiens. Ils ont les reins ceints d'un pagne, les cheveux longs et plats et la barbe nattée ; chacun d'eux porte un long poignard passé à la ceinture. On prétend que les Indiens sont originaires du Yémen. Le mot kettarèh, par lequel on désigne ce poignard, a passé en arabe sous la forme qattalèh.

On ouvre la porte de la Ka'abah les lundis, jeudis et vendredis pendant les mois de Cha'aban, de Ramazan et de Chevval ; elle reste fermée à partir du mois de Zil Qaadèh.

L'Oumrah de Dji'ranèh.

A quatre fersengs au nord de la Mekke se trouve une localité appelée Dji'ranèh.[4] Le Prophète s'y trouva avec son armée le seize du mois de Zil Qaadèh ; il y prit l'ihram et se rendit à la Mekke pour y accomplir la cérémonie de l'Oumrah'. Il y a à Dji'ranèh deux puits ; l'un est le Bir er Ressoul (le puits de l'Envoyé de Dieu), l'autre Bir Aly ibn Abi Thalib (le puits d'Aly, fils d'Abou Thalib). Ils fournissent tous deux une eau d'un goût extrêmement agréable, et ils sont à dix guez de distance l'un de l'autre. L'usage fondé sur le souvenir religieux rapporté plus haut existe toujours, et on accomplit l'Oumrah à cette époque de l'année.

Non loin des puits dont je viens de parler, s'élève un grand rocher où l'on remarque des creux de la dimension d'un bol. On dit que le Prophète y a, de ses mains, pétri de la farine. Les pèlerins qui se rendent à Dji'ranèh font, dans ces creux, de la pâte en mêlant de la farine à l'eau des puits. Il y a beaucoup d'arbres en cet endroit ; on coupe du bois pour faire le feu qui sert à cuire des pains que l'on porte dans tous les pays, comme un objet auquel sont attachées de grandes bénédictions.

On remarque également à Dji'ranèh un rocher, du haut duquel Bilal Habechy a fait entendre l'appel à la prière.[5] Les fidèles le gravissent et y chantent l'ezan.

La foule était considérable à Dji'ranèh à l'époque où je m'y rendis. Il y avait mille chameaux avec des litières ; d'après ce chiffre on peut juger du reste.

De Misr à la Mekke il y a trois cents fersengs, en suivant la route que j'ai parcourue en dernier lieu. On compte douze fersengs de la Mekke au Yémen.

La plaine de l'Arafat est bordée par des montagnes qui ne sont pas plus élevées que des collines ; elle a deux fersengs carrés d'étendue. On y voyait jadis une mosquée bâtie par Ibrahim, sur qui soit le salut ! Il n'en subsiste plus aujourd'hui qu'un minber en briques, tombant en ruines. Au moment de la prière du matin, le khatib monte sur ce minber et récite une khouthbèh ; l'appel à la prière retentit ensuite et l'on fait en commun une prière de deux rikaat, comme on la fait en voyage ; puis, après un iqamet, on recommence une prière de deux rikaat.[6] Le khatib monte ensuite sur un chameau et se dirige vers l'orient. A un ferseng de distance, s'élève une petite montagne rocailleuse appelée Djebel er Rahmèh. On s'y arrête et on y fait des invocations pieuses jusqu'à l'heure du coucher du soleil.

Le fils de Chad Dil, émir d'Aden, a amené, de fort loin, de l'eau au pied de cette montagne et dans la plaine de l'Arafat. Il a dépensé, dans ce but, des sommes considérables et il a fait établir des bassins que l'on remplit à l'époque du pèlerinage, pour subvenir aux besoins des pèlerins. Le même Chad Dil a fait construire, sur le sommet du Djebel er Rahmèh, un grand pavillon carré, surmonté d'une coupole sur laquelle on place, pendant le jour et la nuit de l'Arafat, un grand nombre de lampes et de cierges. On assure que l'émir de la Mekke lui a demandé une somme de mille dinars pour l'autoriser à construire ce pavillon.

Le neuf du mois de Zil Hidjèh de l'an 442 (27 avril 1051) je m'acquittai, avec l'assistance du Dieu très haut, de mon quatrième pèlerinage.

Après le coucher du soleil, les pèlerins et le khatib s'éloignèrent de l'Arafat ; quand on eut marché pendant un ferseng, on arriva au Mach'ar el Haram qui porte le nom de Mouzdelifèh.[7] On voit là un beau bâtiment qui a la forme d'une Maqçourah ; les pèlerins y font la prière et y ramassent les pierres qu'ils doivent lancer à Mina. Il est de règle de passer, en cet endroit, la nuit qui précède le jour de la fête. Le matin, on fait la prière et, au lever du soleil, on se rend à Mina où l'on immole les victimes. Il y a, à Mina, une grande mosquée qui porte le nom de Kheïf. Il n'est point obligatoire de réciter, ce jour-là, la khouthbèh à Mina ni d'y faire la prière de la fête.[8] Le Prophète ne l'a point prescrit.

Le dix de Zil Hidjèh, on va à Mina et on y jette les pierres. L'explication détaillée de cette cérémonie se trouve dans les Menassik. Le douze du même mois, tous les pèlerins qui ont l'intention de retourner dans leur patrie quittent Mina ; ceux qui désirent séjourner à la Mekke se dirigent vers cette ville.

Après avoir accompli mon pèlerinage, je louai à un Arabe Bédouin un chameau pour me conduire à Lahssa. On m'assura que l'on atteignait cette ville treize jours après être parti de la Mekke. Je fis mes adieux à la maison du Très-Haut, le vendredi dix-neuf Zil Hidjèh 442 (7 mai 1051) qui correspondait au premier jour du mois de Khourdad Mâh de l'ancien calendrier persan.

Quand nous eûmes franchi sept fersengs après notre départ de la Mekke, nous trouvâmes une prairie verdoyante, et nous aperçûmes une montagne vers laquelle nous nous dirigeâmes en passant par une plaine où nous remarquâmes des villages et un puits qui porte le nom de Bir Housseïn ibn Selamèh.[9] La température était froide et nous marchions dans la direction de l'orient.

Le lundi vingt-deux Zil Hidjèh nous arrivâmes à Thayf. Ce district qui est à douze fersengs de la Mekke, est situé sur une montagne. Au mois de Khourdad Mâh il y faisait un froid si vif que l'on était obligé de s'asseoir au soleil pour se réchauffer. A cette époque, on trouvait à la Mekke des melons en abondance.

Thayf est une petite ville défendue par un château bien fortifié. Le marché est peu important et la grande mosquée a des proportions modestes. On y voit beaucoup de ruisseaux d'eau courante et un grand nombre de grenadiers et de figuiers. Le tombeau d'Abdallah ibn Abbas est près de la ville. Les khalifes de Bagdad ont construit là une très grande mosquée dont un des angles (celui qui est à droite du mihrab et du minber) est formé par ce tombeau. Des gens ont bâti, dans le voisinage de la mosquée, des maisons qu'ils habitent.[10]

Nous traversâmes, à notre sortie de Thayf, des montagnes et des terrains rocailleux ; partout on voyait de petits châteaux fortifiés et des villages. On me montra, au milieu des rochers, un petit château en ruine que les Arabes Bédouins me dirent avoir été la demeure de Leyla. Les aventures de Leyla et de Medjnoun sont le sujet de récits merveilleux. De là, nous atteignîmes un village fortifié appelé Mouthar, situé à douze fersengs de Thayf.[11] De Mouthar, nous gagnâmes Thoureyya où l'on remarque de nombreuses plantations de dattiers.[12] On y ensemençait la terre et on l'arrosait avec de l'eau tirée de puits au moyen de roues hydrauliques. On me dit que dans ce district, il n'y avait ni prince ni chef ayant une autorité reconnue de tous.[13] Partout, on rencontre des seigneurs et des chefs indépendants les uns des autres. Les habitants se livrent au vol et au meurtre, et ils sont dans un état d'hostilité perpétuelle les uns vis-à-vis des autres. On compte vingt-cinq fersengs de Thayf à Thoureyya. Nous passâmes auprès d'un endroit fortifié appelé Djaz', [14] et nous vîmes là, s'élevant sur une étendue d'un ferseng, quatre châteaux-forts. Nous nous arrêtâmes, pour camper, près du plus considérable qui portait le nom de Hisn béni Nomeïr[15] ; on voyait là quelques rares palmiers. L'homme qui m'avait loué son chameau demeurait à Djaz'. Nous y séjournâmes pendant quinze jours, car nous n'avions point de khafir (protecteur) qui pût nous faire continuer notre route.

Les tribus arabes de ces contrées possèdent chacune un territoire délimité, où paissent leurs troupeaux et aucun étranger ne peut le traverser. Tout homme rencontré sans être accompagné par un khafir est arrêté et dépouillé.

Il est donc nécessaire d'en prendre un dans chacune des tribus sur le territoire de laquelle on veut s'engager. Le khafir vous guide, vous escorte et vous protège. On le désigne aussi sous le nom de qoulavouz (guide).

Le chef des Arabes qui se trouvaient sur notre route et qui appartenaient à la tribu des Benou Souad, arriva à Djaz'. Il se nommait Abou Ghanim Abs ibn el Ba'yr ; nous le primes pour khafir et nous partîmes avec lui. Nous rencontrâmes une troupe de gens de sa tribu qui s'imaginèrent avoir découvert un gibier, car ils ont l'habitude de désigner sous ce nom les étrangers qu'ils trouvent sur leur chemin. Leur chef étant avec nous, ils ne nous dirent rien, mais si celui-ci n'eût point été en notre compagnie, ils nous auraient tués. Nous demeurâmes quelque temps au milieu d'eux, car nous n'avions point de khafir pour nous faire continuer notre voyage. A la fin, nous en trouvâmes deux et nous leur donnâmes dix dinars à chacun pour nous conduire à la limite du territoire d'une autre tribu. Dans celle que nous venions de quitter, des vieillards parvenus à l'âge de soixante-dix ans me dirent n'avoir eu, dans tout le cours de leur vie, d'autre nourriture que du lait de chamelle, car ces déserts ne produisent qu'une plante d'un goût salé qui sert de nourriture aux chameaux. Ces gens s'imaginent qu'il en est de même dans le monde entier.

Nous allâmes ainsi de tribu en tribu, courant les dangers les plus sérieux et craignant continuellement de perdre la vie ; mais Dieu avait ordonné que nous sortirions sains et saufs de toutes ces épreuves. Nous atteignîmes enfin une localité située dans une région dont le sol était couvert de pierres et de rochers brisés. Elle portait le nom de Sarba.[16] Je vis là des montagnes qui avaient la forme arrondie d'une coupole ; je n'en ai vu de semblables dans aucun pays. Pour ce qui est de leur hauteur, une flèche lancée du pied en aurait atteint le sommet.[17] Leur surface était lisse comme celle de la coquille d'un œuf ; elles étaient formées d'un roc d'une extrême dureté sur lequel on remarquait ni fissures ni inégalités. Nous continuâmes notre route en longeant ces montagnes.

Lorsque mes compagnons de voyage apercevaient un lézard, ils s'en emparaient, le tuaient et le mangeaient ; et, partout où nous rencontrions des Arabes, ils leur demandaient du lait de chamelle pour le boire. Pour moi, je ne pouvais ni manger du lézard, ni boire du lait de chamelle ; je trouvais, sur notre route, des arbrisseaux produisant un fruit de la grosseur d'une vesce ; j'en cueillais une certaine quantité et je me contentais de cette nourriture.

Après avoir enduré de grandes fatigues, avoir vu bien des choses singulières et supporté de pénibles épreuves, nous arrivâmes à Faladj le vingt-trois du mois de Safer 443 (8 juillet 1051). On compte cent quatre-vingts fersengs de la Mekke à Faladj.[18]

Faladj est situé au milieu du désert ; c'est un vaste district, complètement ruiné par suite des discordes intestines. A l'époque où nous y arrivâmes, il n'y avait de cultivé et de peuplé que l'étendue d'un demi-ferseng de longueur sur un mille de largeur. Quatorze châteaux-forts, aux mains de deux partis en état de guerre et d'hostilité continuelles, s'élevaient sur cet étroit espace. Les habitants de ce pays prétendent descendre des Esshab er Raqim dont Dieu a fait mention dans le Coran.[19]

Quatre canaux servaient à l'irrigation des plantations de dattiers. Les champs, ensemencés en céréales, se trouvaient sur un terrain plus élevé que celui des plantations de dattiers. L'eau avec laquelle on arrosait les terres cultivées était fournie par des puits. Les travaux de labour étaient faits par des chameaux et non point par des bœufs ; en effet, je n'en ai pas vu un seul dans ce pays. Chaque homme qui travaille reçoit par jour, pour prix de son labeur, dix syr de blé qu'il convertit en pain.[20] D'une prière du soir à l'autre, ces gens ne mangent que peu de chose, comme si l'on était en Ramazan, et, pendant le jour, leur nourriture consiste en dattes. Je trouvai là des dattes d'un goût exquis et bien meilleures que celles de Baçrah et d'autres lieux. Les habitants sont très pauvres et réduits à une condition fort misérable ; malgré leur état précaire, ils sont continuellement en guerre ; ils sont en état d'hostilité perpétuelle et ils ne cessent de s'entretuer. Je vis, à Faladj, des dattes appelées meïdoun dont chacune avait le poids de dix dirhems et dont le noyau ne pesait pas plus d'un dang et demi.[21] On m'assura qu'il était possible de les conserver pendant vingt mois sans les voir se gâter. Les transactions commerciales se font, dans ce pays, en pièces d'or de Nichapour.

Nous demeurâmes pendant quatre mois à Faladj dans la situation la plus pénible. Il ne m'était resté, pour tout bien, que deux corbeilles remplies de livres. Les habitants, affamés et nus, étaient plongés dans la plus profonde ignorance ; ils se rendaient à la mosquée, pour faire leurs prières, armés d'un sabre et d'un bouclier ; ils n'auraient donc point acheté des livres. Nous logions dans la mosquée ; comme j'avais un peu de vermillon et de bleu minéral, je traçai, sur la muraille, un distique que j'encadrai d'une branche chargée de feuilles, en mettant une autre feuille (pour séparer les hémistiches). La vue de cette peinture émerveilla les gens du château qui se rassemblèrent pour venir la regarder. « Si tu consens, me dirent-ils, à orner de peintures le mihrab de la mosquée, nous te donnerons cent men de dattes. » Une pareille quantité représente à leurs yeux une valeur considérable. Pendant mon séjour à Faladj, une troupe d'Arabes en armes s'y présenta pour réclamer cinq cents men de dattes qui leur furent refusés. Il en résulta un engagement dans lequel dix habitants de la place perdirent la vie. L'ennemi coupa mille dattiers, mais les gens de Faladj ne consentirent même pas à donner dix men.

Je décorai le mihrab conformément à l'engagement qui avait été pris vis-à-vis de moi, et je reçus les cent men de dattes qui furent pour nous un secours dans la détresse à laquelle nous étions réduits. Nous ne trouvions pas de quoi nous nourrir et nous désespérions de conserver la vie. Nous ne pouvions nous imaginer que nous trouverions un moyen de sortir de cette région désolée. En effet, lorsque l'on quitte ce district, il faut, pour arriver dans un pays cultivé et peuplé, traverser un désert d'une étendue de deux cents fersengs, où le voyage est des plus périlleux et oh l'on court le risque de périr.

Pendant les quatre mois que je passai à Faladj, je n'ai jamais vu, dans un seul et même endroit, une quantité de cinq men de blé. A la fin, une caravane arriva de Yemamèh pour prendre des cuirs et les porter à Lahssa. On apporte les cuirs du Yémen à Faladj où les marchands viennent les acheter.

Un Arabe me proposa de me conduire à Baçrah ; je ne possédais plus rien et il m'était impossible de louer un chameau. On compte deux cents fersengs de Faladj à Baçrah, et le prix de louage d'un chameau est d'un dinar ; on pouvait même en acheter un bon pour deux ou trois dinars. Je n'avais pas d'argent ; on devait donc consentir à me conduire à crédit. L'Arabe dont je viens de parler me dit : « Je te mènerai à Baçrah et tu me donneras trente dinars. » Je n'avais jamais vu cette ville ; j'acceptai donc son offre. L'Arabe chargea mes livres sur le chameau qui fut monté par mon frère, et, quant à moi, je suivis à pied. Nous nous dirigions vers le point de l'horizon où se lève la constellation de la grande Ourse. Nous traversions une plaine unie, dans laquelle on ne voyait ni montagnes ni collines. On rencontrait des flaques d'eau de pluie partout où le sol présentait quelque solidité. Nous marchions le jour et la nuit, sans voir de traces qui pussent nous indiquer notre route. On allait en avant, n'ayant que l'instinct pour se guider ; ce qui m'étonnait, c'est que, sans aucun point de repère, on arrivait à un puits où l'on trouvait de l'eau. Bref, nous atteignîmes Yemamèh après quatre jours et quatre nuits de marche.

Yemamèh est un grand et vieux château, au pied duquel s'étendent la ville et le marché dans lequel sont établis des artisans exerçant tous les métiers. La grande mosquée est belle.[22] Les émirs qui gouvernent depuis longtemps ce pays sont des descendants d'Aly ; personne n'a pu les en dépouiller, car ils n'ont dans leur voisinage ni sultan ni roi redoutable, et ces Alydes possèdent eux-mêmes une certaine puissance ; [23] en effet, Yemamèh peut fournir trois ou quatre cents cavaliers. Les habitants appartiennent à la secte des Zeïdy.[24] Ils prononcent dans l'iqamet les paroles suivantes : « Mohammed et Aly sont les meilleurs des hommes, et venez accomplir la meilleure des actions ! » La population de la ville est Cherify (soumis aux chérifs).

Le district de Yemamèh est sillonné par des eaux courantes et des canaux souterrains, et on y voit des plantations de dattiers. On m'assura que, lorsque la récolte de dattes était abondante, les mille men se vendaient au prix d'un dinar.

Il y a, entre Yemamèh et Lahssa, une distance de quarante fersengs. On ne peut faire ce trajet qu'en hiver, époque où l'on trouve, pour boire, de l'eau de pluie dans les excavations du sol ; pendant l'été, elle fait complètement défaut.

Lahssa est située dans une plaine ; on ne peut y arriver d'aucun côté, sans franchir un vaste désert. Baçrah est la ville la plus rapprochée de Lahssa qui soit le siège d'une autorité musulmane, et elle se trouve à cent cinquante fersengs de distance. Il n'y a jamais eu à Baçrah de prince qui ait songé à attaquer Lahssa.

Description de Lahssa.

Lahssa désigne à la fois une ville, un district, une banlieue et un château-fort.[25] Quatre fortes murailles concentriques solidement construites en terre et éloignées d'environ un ferseng l'une de l'autre entourent la ville. Lahssa renferme des sources abondantes dont chacune est assez considérable pour faire tourner cinq meules et toute l'eau est si bien utilisée qu'il ne s'en écoule point en dehors des murailles. Une belle ville s'élève au centre de l'enceinte fortifiée ; on y trouve tout ce qui constitue une grande cité, et l'on y compte plus de vingt mille habitants en état de porter les armes. Jadis, elle eut pour souverain un chérif qui avait entraîné le peuple hors des voies de l'islamisme ; il lui avait dit qu'il le dispensait de la prière et de l'observation du jeûne, et lui avait persuadé qu'il était son seul recours ; cet homme portait le nom d'Abou Sayd.[26]

Quand on questionne les habitants au sujet de la secte à laquelle ils appartiennent, ils répondent qu'ils sont Abou Saydy ; ils ne s'acquittent pas de la prière canonique et n'observent pas le jeûne ; cependant ils avouent que Mohammed l'élu a reçu le don de prophétie. Abou Sayd leur a persuadé qu'il se présenterait à eux après sa mort. Son tombeau se trouve dans l'intérieur de la ville et on a élevé, sur son emplacement, un beau mechhed.[27] Par ses volontés dernières, il a ordonné que six de ses descendants conserveraient toujours le pouvoir et gouverneraient le peuple avec justice et équité ; il leur a recommandé, en outre, de rester toujours unis jusqu'à son retour.

Les descendants d'Abou Sayd occupent encore aujourd'hui un vaste palais qui est le siège du gouvernement.[28] Il y a, dans ce palais, une estrade où ces six personnages prennent place pour dicter, après s'être mis d'accord, leurs ordres et leurs arrêts. Ils sont assistés par six vizirs qui sont assis derrière eux, sur une autre estrade. Toute affaire est décidée par eux en conseil.

Lorsque je me trouvais à Lahssa, ces princes possédaient trente mille esclaves nègres ou Abyssiniens, achetés à prix d'argent et qui étaient employés à des travaux d'agriculture et de jardinage. Le peuple n'avait à payer ni impôt ni dîme. Si quelqu'un tombait dans la pauvreté ou s'endettait, on lui faisait des avances jusqu'à ce que ses affaires fussent rétablies ; si quelqu'un avait contracté une dette, son créancier ne réclamait de lui que le capital. Tout étranger connaissant un métier recevait, à son arrivée à Lahssa, une certaine somme dont il disposait jusqu'à ce qu'il eût des moyens d'existence assurés. Il pouvait acheter les matières et les outils nécessaires à son industrie et il restituait, quand il le désirait, la somme exacte qui lui avait été prêtée. Si le propriétaire d'une maison ou d'un moulin vient à être ruiné, et s'il n'a pas le moyen de remettre son immeuble en état, les gouverneurs désignent un certain nombre de leurs esclaves qui sont chargés de réparer les dommages éprouvés par les maisons ou les moulins ; il n'est rien réclamé, pour ce fait, au propriétaire.

Il y a à Lahssa des moulins qui sont la propriété de l'État et dans lesquels on convertit, pour les particuliers, le blé en farine, sans rien exiger de qui que ce soit. L'entretien de ces moulins et le salaire des ouvriers qui y travaillent, sont à la charge du gouvernement.

Les princes portent le titre de Seyyd et les vizirs celui de Chayrèh (conseillers).

Il n'existe point à Lahssa de mosquée où l'on puisse faire la prière du vendredi ; on n'y récite point la khouthbèh et on n'y fait pas la prière. Cependant, une mosquée a été élevée aux frais d'un Persan nommé Aly ibn Mohammed, qui était un homme attaché aux préceptes de l'islamisme et ayant fait le pèlerinage de la Mekke. Il jouissait d'une grande fortune et il venait en aide, en se portant leur caution, aux pèlerins qui arrivaient dans cette ville.

Les transactions commerciales se font au moyen de plomb contenu dans des couffes dont chacune a le poids de six mille dirhems. Quand on conclut un marché, on compte un certain nombre de corbeilles et on les enlève ; cette monnaie ne peut être exportée. On fabrique à Lahssa des foutâh d'une belle qualité que l'on expédie à Baçrah et dans d'autres contrées. On n'empêche personne de faire les prières canoniques, mais les gens de la ville ne s'en acquittent pas. Lorsque l'un des princes donne audience, ceux qui lui adressent la parole reçoivent de lui des réponses pleines de douceur et de modestie. Les habitants de Lahssa ne boivent jamais de vin. Un cheval sanglé, paré d'un collier et d'une aigrette, et que l'on change à tour de rôle, se tient jour et nuit à la porte du mausolée d'Abou Sayd pour être monté par lui lorsqu'il sortira du tombeau. Celui-ci a fait, dit-on, à ses enfants la recommandation suivante : « Si, lorsque je reviendrai, vous ne me reconnaissez pas, assénez-moi un coup de sabre sur la nuque. Si c'est bien moi, je reviendrai à l'instant même à la vie. » Il a établi cette règle, afin que personne ne puisse se faire passer pour lui.

A l'époque des khalifes de Bagdad, un souverain de Lahssa marcha contre la Mekke à la tête d'une armée. Il s'empara de cette ville et massacra les pèlerins qui faisaient le Thewaf autour de la Ka'abah. Il arracha la pierre noire de l'angle où elle était incrustée et la transporta à Lahssa. Ses partisans disaient qu'elle était l'aimant des hommes, car elle les attirait de toutes les parties du monde ; ils ignoraient que la prééminence et la gloire de Mohammed déterminent seules les peuples à se rendre à la Mekke. En effet, la pierre noire resta à Lahssa pendant de longues années et personne n'y vint pour la visiter. A la fin, elle leur fut rachetée et reportée à sa place.[29]

On vend à Lahssa la chair de toutes espèces d'animaux, tels que chats, chiens, ânes, bœufs, moutons etc. Mais il faut que la tête et la peau de l'animal soient placées à côté de la viande, afin que le chaland sache bien ce qu'il achète. On engraisse les chiens comme des moutons au pâturage ; lorsqu'ils sont tellement gras qu'ils ne peuvent plus marcher, alors on les tue et on les mange.

Quand, partant de Lahssa, on se dirige vers l'orient, on atteint le bord de la mer, après avoir franchi sept fersengs. On s'embarque et on gagne Bahreïn, île qui a, en longueur, une étendue de quinze fersengs. Bahreïn est aussi le nom d'une ville importante, entourée de plantations de dattiers.[30] On pêche des perles dans la mer de Bahreïn ; la moitié de celles qui sont recueillies par les plongeurs appartient aux chefs qui gouvernent Lahssa.[31] Si on prend la direction du sud, on arrive à Oman, situé sur la côte de la presqu'île de l'Arabie. Ce district d'une superficie de quatre-vingts fersengs carrés est entouré de trois côtés par un désert infranchissable. Oman est un pays chaud où croissent les arbres qui produisent les noix de l'Inde appelées Narguil.[32]

Si, d'Oman, on va droit vers l'Orient, on atteint la côte du Mekran[33] et la rive de Kich.[34] Si, au contraire, on se dirige vers le sud, on arrive à Aden ; si on va dans le sens opposé, on gagne la province de Fars.

Les dattes sont tellement abondantes à Lahssa qu'on en donne aux bêtes de somme pour les engraisser. Il y a des époques où l’on vend plus de mille men de dattes pour un dinar.[35]

Lorsque de Lahssa on se dirige vers le nord, on trouve, à la distance de sept fersengs, un district appelé Qathif[36] avec une grande ville qui porte le même nom. On y voit un grand nombre de plantations de dattiers.

Un émir arabe avait marché contre Lahssa et, après une année de siège, s'était rendu maître d'une des quatre enceintes. Il s'était emparé d'une grande quantité de butin, mais il n'avait point réussi à vaincre les gens de Lahssa. Quand il me vit, il m'interrogea sur l'aspect des étoiles et me fit la question suivante : « Mon but est de m'emparer de Lahssa, réussirai-je, oui ou non ? car les habitants de cette ville sont des gens sans religion. » Je lui répondis dans les termes que je jugeai les plus convenables.

Quant à moi, je considère les Arabes Bédouins comme se rapprochant beaucoup des gens de Lahssa sous le rapport de l'absence de religion ; il y a, parmi eux, des individus qui, dans l'espace d'une année, ne répandent pas une seule fois de l'eau sur leurs mains. Ce que j'avance ici est le résultat de mes observations personnelles, et mon allégation ne repose pas sur des propos mensongers. J'ai, en effet, séjourné au milieu de ce peuple pendant neuf mois consécutifs, et non pas à différentes reprises. Je ne pouvais supporter le lait et on m'en présentait chaque fois que je demandais de l'eau. Lorsque je le refusais et que je réclamais de l'eau, il m'était répondu : « Toutes les fois que tu en verras, demandes-en ; mais quel est l'homme qui en a ? » Ces Arabes n'avaient jamais de leur vie vu ni bains, ni eaux courantes.

Je reviens maintenant à mon récit. Nous partîmes de Lahssa[37] pour nous rendre à Baçrah, et dans les différents stations où nous faisions halte, tantôt nous trouvions de l'eau, tantôt nous n'en rencontrions pas.

Le vingt Cha'aban 443 (28 décembre 10.51) nous arrivâmes à Baçrah. Cette ville est entourée par une haute muraille, excepté du côté du fleuve ; ce dernier est le Chathth el Arab, formé par le Tigre et l'Euphrate qui se réunissent à la limite de la province de Baçrah.[38] Le canal de Djouherèh se jette également dans le fleuve qui prend alors le nom de Chathth el Arab. On a dérivé de ce fleuve deux grands canaux dont les prises d'eau se trouvent à un ferseng l'une de l'autre. On a dirigé leur cours dans la direction de la qiblèh et, après avoir parcouru une longueur de quatre fersengs, ils se réunissent en un seul qui coule vers le sud pendant l'espace d'un ferseng. On a fait dériver de ces grands canaux un nombre infini de plus petits qui vont dans tous les directions, et sur leurs bords, on a planté des jardins et des vergers.

Le canal supérieur qui est au nord-est porte le nom de Nehr Ma'qil[39] ; celui qui est au sud-ouest s'appelle Nehr Ouboullèh.[40] L'espace qui s'étend entre eux forme une grande île qui a la forme d'un carré oblong, et la ville de Baçrah est située sur le plus petit côté de ce carré. On ne rencontre dans le désert qui s'étend au sud-ouest de la ville ni végétation, ni eau, ni arbres.

A l'époque où nous arrivâmes à Baçrah, la plus grande partie de la ville était en ruines ; les quartiers habités étaient fort éloignés les uns des autres, et il fallait, pour se rendre de l'un à l'autre, franchir un espace d'un demi-ferseng couvert de décombres. Cependant les murailles et les portes de la ville étaient encore solides et en bon état. La population était nombreuse et le sultan percevait des revenus considérables. Le maître de Baçrah était, à cette époque, Aba Kalindjar, de la dynastie des Deïlémites, [41] qui gouvernait également le Fars. Il avait pour ministre un Persan nommé Abou Mansour, fils de Châh-merdan.[42]

II y avait, chaque jour, marché dans trois endroits de la ville ; le matin il se tenait à Souq el Khouza'a (le marché où l'on vend la viande de chameau), à midi à Souq Osman, et le soir à Souq el Qaddahin (le marché des gobeletiers). Les transactions commerciales se font de la manière suivante : quiconque a des valeurs, les dépose chez un changeur ou banquier qui lui en donne un reçu. Pour tous les achats, on donne une assignation sur ce banquier qui les solde. Pendant tout le temps de leur séjour dans la ville, les marchands ne se servent que de billets qui doivent être payés par les banquiers.[43]

Nous étions, à notre arrivée à Baçrah, dans un tel état de dénuement et de misère que nous ressemblions à des fous ; nous n'avions pas dénoué nos cheveux depuis trois mois. Je voulus entrer dans un bain pour me réchauffer, car il faisait froid et je n'avais point de vêtements. Moi et mon frère, nous n'avions qu'un vieux pagne autour des reins, et, pour nous préserver de la rigueur de la température, un morceau d'étoffe de bure en haillons attaché sur le dos. « Qui nous laissera entrer dans le bain dans l'état où nous sommes ? » me dis-je à moi-même. Je possédais une petite sacoche dans laquelle je serrais mes livres. Je la vendis et on m'en donna le prix en quelques dirhems de billon. Je les enveloppai dans un morceau de papier pour les remettre au maître du bain, afin d'obtenir de lui la permission d'y rester quelques instants de plus et d'avoir la possibilité de nous débarrasser de la saleté qui nous couvrait. Lorsque je lui présentai ces petites pièces de monnaie, il nous regarda, nous prit pour des insensés et s'écria : « Allez-vous-en, car voici l'heure où tout le monde va sortir du bain ! » et il ne nous permit pas d'entrer. Nous nous éloignâmes tout confus et en pressant le pas. Des enfante, qui jouaient à la porte, nous prirent pour des gens privés de leur raison, et se mirent à nous poursuivre en nous jetant des pierres et en poussant des cris. Nous nous cachâmes dans un coin en songeant avec stupeur aux caprices du sort.

L'homme qui nous avait loué un chameau nous réclamait trente dinars maghreby et nous n'avions aucun moyen de le satisfaire. Le vizir du gouverneur d'Ahwaz, qui se nommait Aboul Feth Aly ibn Ahmed, était venu à Baçrah avec ses fils et les gens de sa maison et il avait établi sa résidence dans cette ville où il était inoccupé. C'était un homme de mérite, possédant en littérature et en poésie des connaissances étendues et dont le caractère était plein de générosité. Malgré la triste situation où nous nous trouvions, je fis alors la connaissance d'un Persan instruit qui était en relations avec le vizir auquel il rendait de fréquentes visites ; mais il était avare et n'avait pas le moyen de nous venir en aide. Il fit connaître au vizir la situation dans laquelle nous nous trouvions ; aussitôt que celui-ci en eût connaissance, il m'envoya un homme avec un cheval, en me faisant prier de le monter et de venir le trouver, en quelque état que je fusse. J'eus honte de me présenter devant lui, misérable et nu comme je l'étais, et je lui écrivis un billet pour lui faire agréer mes excuses et lui dire que je paraîtrais plus tard devant lui. Deux motifs dictaient ma conduite ; le premier était ma déplorable position, le second était l'espoir qu'en lisant mon billet, il connaîtrait mon mérite littéraire et pourrait apprécier le degré de ma capacité, et ainsi je n'éprouverais pas de confusion, lorsque je serais admis auprès de lui.

Aussitôt après avoir reçu ma lettre, il me fit parvenir une somme de trente dinars pour acheter des habits. Nous nous fîmes faire deux beaux vêtements et, au bout de trois jours, nous nous rendîmes à l'audience du vizir. C'était un homme instruit, lettré, d'un grand mérite, d'un extérieur avenant, modeste et pieux, et dont la conversation était remplie d'agrément. Il avait quatre fils dont l'aîné était un jeune homme éloquent, instruit et intelligent. Il portait le nom de Reïs Abou Abdillah Ahmed ibn Aly ben Ahmed. Il était poète et rédigeait avec élégance ; il avait d'esprit et il s'abstenait de tout ce qui est défendu par la loi. Il nous retint comme ses hôtes, et nous demeurâmes chez lui depuis le premier Cha'aban jusqu'au quinze Ramazan. Le vizir donna l'ordre de payer au Bédouin qui nous avait loué son chameau, la somme de trente dinars dont nous lui étions redevables, et il nous délivra ainsi de ce grave souci. Que Dieu, dont le nom soit exalté et béni, daigne délivrer ses serviteurs des préoccupations que causent les dettes !

Lorsque nous voulûmes continuer notre voyage, le vizir nous fit partir par la voie de mer après nous avoir comblé de ses bienfaits et des marques de sa libéralité. Nous gagnâmes la province de Fars sans encombre et en jouissant de toutes nos aises, grâce à la munificence de cet homme bienfaisant. Que Dieu daigne toujours être propice aux cœurs généreux !

Il y a, à Baçrah, treize mechhed consacrés au souvenir et placés sous l'invocation du prince des croyants Aly fils d'Abou Thalib. L'un de ces mechhed est celui des Benou Mazin.[44] Quand Aly vint à Baçrah au mois de Reby oul Ewel de l'année 35 de l'Hégire (septembre 655) époque à laquelle Aycha se disposait à le combattre ; il y épousa Leïla, fille de Massoud en Nehchely.[45] Le mechhed des Benou Mazin est la maison qu'habitait Leïla et le prince des croyants y demeura pendant soixante douze jours. Il s'en retourna ensuite à Koufah. Un autre mechhed s'élève à côté de la grande mosquée et porte le nom de mechhed de la Porte de Thyb.[46] J'ai vu, dans la grande mosquée de Baçrah un morceau de bois ayant une longueur de trente ârech et une épaisseur de cinq palmes et quatre doigts ; une de ses extrémités est plus grosse que l'autre. C'est, assure-t-on, un bois de l'Inde dont Aly s'est emparé dans cette contrée et qu'il en a rapporté.

Notre condition matérielle s'étant améliorée, et chacun de nous étant vêtu convenablement, nous nous rendîmes, un jour, au bain dont on nous avait interdit l'accès. Lorsque nous pénétrâmes dans l'intérieur, le maître et tous ses serviteurs qui l'entouraient se levèrent et se tinrent debout jusqu'à ce que nous fussions entrés dans la salle du bain. Le masseur et le garçon s'empressèrent à nous servir et, à notre sortie, tous les gens qui se trouvaient dans la pièce où l'on s'habille, se levèrent également et restèrent debout jusqu'à ce que notre toilette fût achevée. Au moment de notre départ, un garçon baigneur dit à l'un de ses compagnons : « Ce sont ces deux jeunes gens que, tel jour, nous n'avons pas laissés entrer dans le bain. » Cet homme supposait que nous ne comprenions pas leur langue. Je lui répondis en arabe : « Tu dis vrai, nous sommes ces gens qui n'avaient sur le dos qu'un morceau d'étoffe en baillons. » Il devint alors tout honteux et nous pria de recevoir ses excuses. Nous avions ainsi, dans l'espace de vingt jours, connu deux situations extrêmes. J'ai rapporté ce fait pour que l'on sache qu'il ne faut point se lamenter à cause des rigueurs de la fortune ; on ne doit jamais désespérer de la bonté et de la miséricorde du Créateur ; que sa gloire soit proclamée et que ses bienfaits s'étendent en tous lieux, car il est le Dieu tout-clément et tout-puissant !

Du flux et du reflux qui se font sentir à Baçrah et dans les canaux voisins de cette ville.

La mer d'Oman est, deux fois en vingt-quatre heures, sujette au flux ; l'eau s'élève alors d'une hauteur de dix guez. Lorsqu'elle est arrivée à son point le plus élevé, elle commence à baisser de dix ou douze guez, ainsi que je vais l'expliquer.

On se rend compte, à Baçrah, de la hauteur de l'eau, en observant une colonne dressée à cet effet, ou bien encore au moyen d'un mur que la mer vient battre. Si le sol était bas au lieu d'être élevé, la mer s'étendrait fort avant dans l'intérieur des terres.

Le Tigre et l'Euphrate coulent avec une telle lenteur, qu'en certains endroits, il est impossible de discerner dans quel sens se dirige le courant. Lorsque le flux se fait sentir, il refoule l'eau du fleuve jusqu'à une distance de quarante fersengs, et l'on croirait que les eaux rebroussent chemin et remontent vers leur source.

Dans les terrains qui ne sont pas situés sur le bord de la mer, l'eau atteint plus ou moins de hauteur selon que les terrains sont bas ou élevés.

On prétend que le flux et le reflux sont soumis à l'influence de la lune. Toutes les fois que cet astre est au sommet de l'horizon et au zénith, et se trouve dans les dixième et quatrième mansions, la marée est extrêmement forte. Lorsque la lune est à l'un des deux horizons, c'est-à-dire à l'orient ou à l'occident, le reflux est très sensible. En outre, lorsque la lune se trouve en conjonction (qiran) ou en opposition (istiqbal) avec le soleil, l'eau du flux est très abondante, et elle s'élève à une plus grande hauteur qu'à l'ordinaire. Lorsque la lune est éloignée du soleil de trois mansions, l'eau subit une diminution, c'est-à-dire qu'au moment de la marée, elle n'atteint point une aussi grande hauteur que lorsque la lune est en conjonction avec le soleil, ou placée vis-à-vis de lui, et le reflux est beaucoup plus bas qu'au moment de la conjonction et de l'opposition.

On se base sur ces observations pour dire que le flux et le reflux ressentent l'influence de la lune. Dieu sait mieux toutes choses !

Ouboullèh, [47] située sur le bord d'un canal auquel elle donne son nom, est une ville qui me parât florissante ; on y voit des palais, des bazars, des mosquées et des caravansérails en si grand nombre qu'il est impossible de les compter et de les décrire. La ville proprement dite s'élève sur le bord septentrional du canal ; sur la rive du sud, on trouve aussi des quartiers, des mosquées, des caravansérails, des bazars et de vastes édifices, de telle sorte qu'on ne saurait voir, dans le monde entier, un endroit plus agréable. Cette autre partie de la ville porte le nom de Chiqq Osman. Le grand fleuve formé par la réunion du Tigre et de l'Euphrate et qui est appelé Chathth el Arab, coule à l'est d'Ouboullèh. La ville se trouve au sud. Le canal d'Ouboullèh et celui de Ma'aqil se rejoignent à Baçrah. J'en ai parlé plus haut.

Vingt districts relèvent de Baçrah ; chacun d'eux renferme un grand nombre de villages et de terres cultivées.

Districts de Baçrah.[48]

Hichchan, Cherrebèh, Bêlas, [49] Aqar Missan, [50] el-Mouqym, Nehr el Harb, [51] Chathth el Arab, Sa'ad, Sam, Djaferièh, el Mechan, [52] es Soumd, el Djounèh, Djeziret el Ouzhma (la grande île), Merrout, ech Chérir, Djeziret el'Ourch, el-Houmeïdah, Djouberèh,[53] el Mounferidat.

On assure qu'il fut une époque où il était impossible aux navires de franchir le passage où se trouve l'embouchure du canal d'Ouboullèh, à cause de l'eau qui y tourbillonnait avec violence. Une femme riche de Baçrah fit construire quatre cents bateaux que l'on remplit de sable et de noyaux de dattes et que l'on fit couler à fond, après les avoir fermés hermétiquement. Le résultat de cette opération permit aux navires de passer par l'embouchure du canal.

Le quinze du mois de Chewal de l'an 443 (20 février 1043), nous quittâmes Baçrah et nous prîmes passage sur une barque. Nous trouvâmes, à partir de Baçrah[54] et jusqu'à la distance de quatre fersengs, les deux rives du canal couvertes de jardins, de vergers, de maisons de campagne et de pavillons de plaisance se succédant sans interruption. Des canaux dérivés du grand canal se dirigeaient dans tous les sens, et chacun d'eux avait les dimensions d'une rivière. Arrivés à Chiqq Osman qui se trouve en face d'Ouboullèh, nous mîmes pied à terre et nous nous arrêtâmes en ce lieu.[55]

Le dix-sept (22 février) nous nous embarquâmes sur un grand navire qui portait le nom de Boucy.[56] A sa vue, la foule qui se trouvait sur les deux rives faisait entendre ce souhait en s'écriant : « Que le Dieu très haut te conduise, ô Boucy ! » A notre arrivée à Abbadan, les passagers mirent pied à terre dans cette ville.

Abbadan, située sur le bord de la mer, semble être une île, car le Chathth se divise là en deux branches, et il est impossible d'arriver à cette ville autrement que par eau. La partie méridionale d'Abbadan est baignée par l'océan ; au moment de la marée, les flots viennent battre les murs, et pendant le reflux, la mer s'éloigne à la distance d'un peu moins de deux fersengs. Quelques passagers firent à Abbadan l'acquisition de nattes, d'autres achetèrent des vivres.[57] Le lendemain, au matin, on lança le navire en pleine mer et nous fîmes route vers le nord. Jusqu'à une distance de dix fersengs, nous trouvâmes l'eau encore assez douce pour qu'on pût la boire, car le Chathth s'avance comme une langue au milieu de la mer. Au lever du soleil, nous distinguâmes, sur la surface de l'eau, quelque chose qui semblait être un passereau. A mesure que nous approchions, cet objet grandissait, et lorsqu'il fut à la hauteur de notre navire, à la distance d'un ferseng sur notre gauche, le vent nous devint contraire. On jeta l'ancre et on abattit les voiles. Je demandai ce qu'était ce que nous apercevions ; on me répondit que c'était un khachâb.

Description du Khachâb.

Le khachâb est formé de quatre grandes poutres en bois de sadj disposées en carré et ayant l'apparence d'une catapulte ; la base en est large, le sommet étroit et sa hauteur au-dessus du niveau de la mer est de quarante guez. On a disposé, sur le faîte, des pierres et des tuiles reposant sur des pièces de bois, de manière à former une plate-forme où l'on a établi une loge carrée dans laquelle se tient un guetteur. Selon les uns, ce khachâb a été construit aux frais d'un riche négociant ; d'autres affirment qu'il est l'œuvre d'un roi. On s'est, en l'élevant, proposé un double but : le premier est, en allumant, pendant la nuit, des lampes renfermées dans des verres pour les protéger contre le vent, de le faire apercevoir de loin et de faire prendre toutes les précautions nécessaires pour échapper aux dangers de ces parages. Le second est d'indiquer aux navigateurs la position où ils se trouvent et de leur signaler la présence des pirates, s'il y en a, afin qu'étant avertis, ils se mettent sur leurs gardes et rebroussent chemin.

Après avoir dépassé ce khachâb et l'avoir perdu de vue, nous en aperçûmes un autre de même forme, mais qui n'avait point de loge à son sommet, car sa construction n'avait pu être achevée.[58]

Nous atteignîmes ensuite Mehrouban, grande ville bâtie sur le rivage de la mer, du côté de l'est. Elle possède un grand marché et une belle mosquée. On n'y trouve que de l'eau de pluie, car elle n'a ni puits ni canaux souterrains qui puissent fournir de l'eau douce. Les habitants ont des citernes et des réservoirs qui les mettent à l'abri du manque d'eau. On voit à Mehrouban trois grands ribath d'une construction si solide et d'une telle hauteur qu'ils ressemblent à des châteaux-forts. Dans la grande mosquée où l'on fait la prière du vendredi, je lus sur le minber le nom de Yakoub, fils de Leïs. J'en demandai le motif et il me fut répondu que Yakoub, fils de Leïs, avait étendu ses conquêtes jusqu'à cette ville, et qu'aucun autre émir du Khorassan n'avait été, depuis lors, assez puissant pour s'en rendre maître.[59] A l'époque où j'y arrivai, elle était au pouvoir du fils d'Aba Kalindjar qui régnait sur le Fars. Les approvisionnements nécessaires à Mehrouban sont apportés des villes voisines, car on n'y trouve rien que du poisson. Mehrouban est une place de commerce où l'on paye les droits de douane, et un port où les navires viennent mouiller.[60]

Si, de Mehrouban, on suit la côte dans la direction du sud, on arrive à Tewèh[61] et à Kazroun.[62]

Je séjournai pendant quelque temps à Mehrouban, parce que j'avais appris que les hostilités avaient éclaté entre les fils d'Aba Kalindjar, et que les routes étaient peu sûres. Chacun de ces princes était à la tête d'un parti et le pays était livré au trouble.[63] On me dit qu'il y avait à Arghan un grand personnage, homme de mérite et de science, nommé Cheikh Sedid Mohammed ibn Abd el Melik. Quand je fus informé de ce fait, comme le séjour à Mehrouban m'était devenu pénible, j'écrivis un billet à ce personnage pour lui faire part de ma situation, et le prier de m'aider à sortir de cette ville et à gagner un lieu où je me trouverais en sûreté. Trois jours après avoir expédié ma lettre, je vis arriver trente hommes de pied, bien armés, qui me dirent être envoyés par le cheikh pour se mettre à ma disposition, et m'accompagner à Arghan. En effet, ils me servirent d'escorte et me protégèrent jusqu'à mon entrée dans cette ville.

Arghan ou Erradjan est une grande ville qui renferme vingt mille habitants mâles. A l'est de la ville coule une rivière qui descend des montagnes : dans la partie nord de cette rivière, on a fait des coupures et dérivé quatre grands canaux qui distribuent l'eau dans l'intérieur de la cité ; ces travaux ont coûté des sommes considérables. Ces canaux s'étendent, dans leur cours, au-delà de la ville et leurs bords sont couverts de jardins et de vergers. A Arghan, on trouve, en abondance, les dattes, les oranges douces et amères et les olives. La ville offre cette particularité qu'il y a autant de constructions au-dessous du sol qu'à la surface. Ces caves et ces salles souterraines sont, partout, traversées par des cours d'eau qui permettent aux habitants d'y goûter quelque repos pendant l'été.[64]

A l'époque où j'étais à Arghan, on y rencontrait des gens appartenant à toutes les sectes. Les Moutazelèh avaient pour imam Abou Sayd Baçry, personnage doué d'une grande éloquence et qui avait aussi la prétention de bien connaître la géométrie et les mathématiques. J'eus avec lui de nombreuses discussions, et nous dissertâmes ensemble sur la théodicée, sur les mathématiques et sur d'autres sujets.

Je m'éloignai d'Arghan le premier jour du mois de Moharrem 444 (3 mai 1052) et je me dirigeai sur Ispahan, en traversant un pays couvert de hautes montagnes. Il nous fallut, sur notre route, passer par un défilé fort étroit. Les gens du peuple croient que la montagne où il se trouve a été fendue d'un coup de sabre par Behram Gour ; elle porte le nom de Chemchir Bourid (le sabre l'a tranchée). Dans cet endroit nous remarquâmes, sur notre droite, une masse d'eau qui, jaillissant d'une excavation, se précipitait d'une grande hauteur. Cette eau, au dire des gens du peuple, ne cesse de couler pendant tout l'été ; en hiver, elle s'arrête et elle gèle.

Nous atteignîmes Lourdghan, située à la distance de quarante fersengs d'Arghan. Lourdghan se trouve sur la frontière de la province de Fars.[65]

De cette ville nous nous rendîmes à Khan Lendjan où je vis inscrit sur la porte de la ville le nom du sultan Thogroul beik.[66] On compte sept fersengs de Khan Lendjan à Ispahan. Les habitants de Khan Lendjan jouissaient de la plus grande tranquillité et de la plus complète sécurité ; chacun d'eux s'occupait de ses affaires et des travaux qui incombent aux chefs de famille.

Nous nous remîmes en route le huit du mois de Safer 444 (10 juin 1052), et nous atteignîmes Ispahan.

Il y a cent quatre-vingts fersengs de Baçrah à Ispahan. Cette dernière ville est bâtie dans une plaine et jouit d'un climat agréable. Partout où l'on creuse la terre, on voit jaillir, lorsque l'on atteint la profondeur de dix guez, une eau d'une extrême fraîcheur.

La ville est entourée d'une muraille solide et fort haute, percé de portes, et au sommet de laquelle on a établi des plateformes pour y placer des combattants. L'enceinte est, dans toute son étendue, garnie de créneaux. La ville est sillonnée par des canaux d'eau courante et les maisons y sont belles et fort élevées. Une superbe mosquée, où l'on fait la prière du vendredi, se trouve au centre de la ville. On prétend que le mur d'enceinte d'Ispahan a trois fersengs et demi de développement. L'intérieur de la ville présente l'aspect d'une grande prospérité et je n'y ai remarqué aucun bâtiment en ruines. Les bazars sont nombreux ; je citerai particulièrement celui des changeurs ou banquiers, où se tiennent deux cents personnes exerçant cette profession. Chaque bazar est fermé par une clôture avec une grande porte ; il en est de même pour les rues et les différents quartiers. Les caravansérails sont propres et bien tenus ; il y en a cinquante, remarquables par leur beauté, qui sont dans une rue appelée Kou Tharraz (la rue des Brodeurs) ; des marchands et des locataires sont logés dans chacun d'eux. La caravane dont nous faisions partie avait apporté treize cents kharvar de marchandises. Quand nous fûmes entrés dans la ville, on ne s'aperçut pas de notre arrivée, tant il y avait de place, tant il était facile de trouver un gîte et de se procurer des vivres.[67]

Le sultan Thogroul beik ibn Mikaïl ben Seldjouq, que Dieu lui fasse miséricorde ! avait établi comme gouverneur à Ispahan, après qu'il s'en fut rendu maître, un homme encore jeune, originaire de Nichapour et qui avait une grande habileté comme secrétaire et comme calligraphe ; son caractère était calme et sa physionomie agréable. On l'appelait Khadjeh Amid.[68] Il savait apprécier le mérite, il s'exprimait en termes élégants et il était doué d'une grande générosité. Le sultan avait donné l'ordre de ne prélever, pendant une durée de trois ans, aucun impôt sur la population. Khadjeh Amid se conformait à cette prescription, et les gens qui avaient émigré rentraient tous dans leurs foyers. Khadjeh Amid avait été un des secrétaires du Conseil (du sultan).

Une grande disette avait désolé le pays, mais, quand nous arrivâmes à Ispahan, on coupait les orges. Un men et demi de pain de froment coûtait un dirhem, en bonne monnaie, et on avait, pour le même prix, trois men de pain d'orge. Les habitants de la ville me dirent que jamais on n'avait eu, pour un dirhem, moins de huit men de pain.

Je n'ai pas vu, dans les pays de langue persane, de ville plus belle, plus peuplée et plus florissante qu'Is-fahan. On prétend que le blé, l'orge et les autres grains peuvent s'y conserver pendant vingt ans sans s'altérer. Plusieurs personnes m'ont assuré qu'avant la construction des murs qui l'entourent, l'air était plus sain. Depuis, le climat a changé, de sorte que l'on voit aujourd'hui se gâter des choses qui étaient autrefois à l'abri de toute corruption. Le climat de la campagne est resté ce qu'il était autrefois.

La caravane ayant retardé son départ, mon séjour à Ispahan se prolongea pendant vingt jours. Nous quittâmes cette ville le vingt-huit du mois de Safer (30 juin) et nous atteignîmes le village de Heïçem Abad. Puis, après avoir traversé la plaine et la montagne de Meskyan, [69] nous arrivâmes à Nayyn, ville située à la distance de trente fersengs d'Ispahan.[70] Nous franchîmes ensuite quarante-trois fersengs pour arriver au village de Guermèh, dans le Biâban (désert), district qui renferme dix ou douze villages. La température y est chaude et on y voit des palmiers. Le district de Biâban avait été autrefois au pouvoir des Goufdj[71] ; mais à l'époque où nous y arrivâmes, il leur avait été enlevé par l'émir Kileky, qui avait établi un gouverneur dans le village de Piadèh, défendu par un petit château ; il tient ainsi ce pays en bride et il assure la sécurité des routes. Si les Goufdj battent les chemins, l'émir Kileky envoie contre eux des officiers qui les arrêtent, leur reprennent ce dont ils se sont emparés et les mettent à mort. Le bon ordre maintenu par ce personnage assure la sécurité des routes et la tranquillité de la population. Que Dieu, dont le nom soit béni et exalté ! ait en sa garde tous les princes qui pratiquent la justice ! qu'il leur accorde son aide et sa protection ! qu'il daigne faire miséricorde aux âmes de ceux qui sont trépassés !

Sur la route qui traverse ce désert, on a élevé de petites coupoles, placées à la distance de deux fersengs l'une de l'antre. Elles recouvrent des citernes remplies d'eau de pluie, et creusées dans des endroits où le sol n'est point imprégné de sel. Ces coupoles ont été construites pour que les voyageurs ne puissent s'égarer et qu'ils trouvent aussi, pendant quelques instants, un abri contre la chaleur ou la rigueur du froid.

Nous remarquâmes, pendant notre marche, un grand espace couvert de sables mouvants. Quiconque s'écarterait des indications placées sur la route, tomberait au milieu de ces sables ; il n'en pourrait sortir et il y périrait Nous rencontrâmes plus loin un sol salin, couvert de boursouflures et s'étendant sur un espace de six fersengs. Si l'un de nous se fût éloigné du chemin tracé, il y eût disparu. Nous gagnâmes le ribath de Zobeydèh désigné également sous le nom de Ribathi Meramy et qui renferme cinq puits. Sans ces ribath et sans l'eau que l'on y trouve, personne ne pourrait traverser ce désert.[72] Nous entrâmes ensuite dans le district de Thabès et nous nous arrêtâmes dans un village appelé Roustâbad. Le neuf du mois de Reby oul evvel (9 juillet 1052), nous étions à Thabès. On compte, nous fut-il dit, d'Ispahan jusqu'à Thabès, cent dix fersengs.

Thabès est une ville fort peuplée, bien qu'elle ait l'apparence d'un village ; l'eau y est rare, et les terrains cultivés sont peu nombreux ; on y voit des plantations de dattiers et des vergers.[73] Nichapour se trouve à quarante fersengs au nord ; si on se dirige vers le sud, en traversant le désert, on atteint Khabis qui est aussi à la distance de quarante fersengs. A l'est de Thabès, s'élève une montagne difficile à gravir. L'émir qui, à cette époque, gouvernait cette ville dont il s'était emparé de vive force, s'appelait Kileky ibn Mohammed. La population y jouissait d'une tranquillité et d'une sécurité si complètes que l'on ne fermait pas les portes des maisons pendant la nuit, et qu'on laissait les bêtes de somme dans les rues, bien que la ville ne fût point entourée de murailles. Les femmes n'osaient point adresser la parole à un homme qui n'était ni leur parent ni leur mari, et si l'une d'elles avait été surprise conversant avec un étranger, ils auraient été, tous deux, mis à mort. Grâce à la bonne police faite par l'émir, il ne se commettait à Thabès ni vol ni assassinat. Je n'ai vu, dans les pays arabes et persans, la justice observée et le bon ordre établi au même degré que dans quatre contrées : dans le Decht sous l'administration de Lechker Khan, dans le Déilem à l'époque de l'Emir des Émirs Djestan ibn Ibrahim, en Egypte sous le règne de Mostansser billah, prince des fidèles, enfin à Thabès sous le gouvernement de l'émir Aboul Hassan Kileky ibn Mohammed. Pendant tout le cours de mes voyages, je n'ai point été témoin d'une pareille sécurité et je n'ai point entendu dire qu'elle régnât nulle part ailleurs. L'émir nous retint à Thabès pendant dix-sept jours ; il nous traita comme ses hôtes et au moment de notre départ, il nous fit cadeau d'une somme d'argent en s'excusant de la modicité de son présent. Que le Dieu très haut soit satisfait de lui ! Il me fit accompagner par un de ses écuyers jusqu'à Zauzen, ville éloignée de Thabès de soixante-douze fersengs.

Après avoir franchi douze fersengs au-delà de Thabès, nous arrivâmes à Raqqah, gros bourg traversé par des eaux courantes, et entouré de champs cultivés, de jardins et de vergers. On y remarque une mosquée où l'on fait la prière du vendredi.[74] Le neuf du mois de Reby oul akhir (8 août) nous nous éloignâmes de Raqqah et le douze (15 août) nous atteignîmes Toun.[75] Une distance de vingt fersengs sépare Toun de Raqqah.

Toun est une ville considérable, mais lorsque je la vis, la plus grande partie en était ruinée. Elle s'élève dans une plaine arrosée par des eaux courantes et des canaux souterrains ; elle est, du côté de l'est, entourée de jardins. Le château est très solidement construit On m'assura que Toun renfermait quatre cents ateliers pour le tissage des tapis.

On voit dans les cours des maisons beaucoup de pistachiers ; les gens de Balkh et du Thakharistan croient que cet arbre ne peut pousser et vivre que dans les montagnes. Au sortir de Toun, le serviteur de l'émir Kileky me fit le récit suivant : « Un jour nous étions partis de Toun pour nous rendre à Gounâbad.[76] Nous fûmes attaqués par des voleurs qui nous mirent en fuite. Des hommes de notre troupe, sous l'empire de la terreur, se jetèrent dans l'ouverture d'un canal souterrain. L'un d'eux était accompagné par son père qui, ému de pitié, donna quelque argent à un individu pour descendre dans cette ouverture et en retirer son fils. On attacha, au bout l'une de l'autre, toutes les cordes que l'on put se procurer et, un grand nombre de gens s'étant mis à l'œuvre, on en déroula sept cents guez pour le faire arriver jusqu'au fond. La corde fut alors attachée autour du corps du jeune homme, mais il était mort lorsqu'on le remonta. Quand l'individu qui était descendu revint à la surface du sol, il déclara qu'une grande masse d'eau coulait au fond de ce souterrain qui a quatre fersengs de longueur et qui a été, dit-on, creusé par Key Khosrau.[77] Le vingt-trois du mois de Reby oul akhir (23 août) nous arrivâmes à Qayn. J'estime que cette ville est séparée de Toun par une distance de dix-sept fersengs que les caravanes mettent quatre jours à franchir. Qayn est une ville grande et bien fortifiée. La cité intérieure est entourée d'un fossé et elle renferme la principale mosquée dont la Maqçonrah possède un arceau qui est le plus grand de ceux que j'ai vus dans le Khorassan ; il n'est point en rapport avec la grandeur du monument. Toutes les maisons de Qayn sont surmontées de coupoles.[78]

Si de Qayn, on se dirige dans la direction du nord-est, on trouve, à dix-huit fersengs, la ville de Zauzen ; Hérat est à trente fersengs au sud. Je vis, à Qayn, un personnage nommé Abou Mançour Mohammed ibn Doust. Il était versé dans toutes les sciences et il me posa des questions sur l'astronomie et sur la logique. « Quelle matière, me demanda-t-il, existe-t-il au-delà du firmament et des étoiles ? » « On donne le nom de matière, lui répondis-je, à tout ce qui se trouve en deçà du firmament ; tout ce qui est au-delà ne porte pas le nom de matière. » Au-delà des voûtes célestes, me demanda-t-il encore, y a-t-il des choses immatérielles ou non ? » Je lui dis : « Le monde est borné, et son extrême limite est le Felek oul Eflak.[79] On donne le nom de limite à ce qui sépare un corps de ce qui l'environne. Lorsque nous nous sommes rendu compte de cette limite, nous sommes obligés de reconnaître que ce qui est à l'extérieur du firmament ne ressemble pas à ce qui est renfermé dans l'intérieur. » Il me dit encore : « Cette substance immatérielle que le raisonnement admet, a-t-elle, à son tour, oul ou non, une limite ? jusqu'où s'étend-elle ? et si elle n'en a pas, comment ce qui est infini, pourrait-il être sujet à l'anéantissement ? »

Nous nous entretînmes longuement sur de pareils sujets. « Cela a été pour moi, me dit-il, la cause d'étranges perplexités. » « Qui ne les a point éprouvées ? » lui répondis-je. Les troubles suscités par Obeïd Nichaboury et qui avaient éclaté à Zauzen, ainsi que la révolte du Reïs de cette ville, me forcèrent de demeurer un mois à Qayn. Je congédiai, dans cette ville, l'écuyer de l'émir Kileky.

Nous nous dirigeâmes de Qayn sur Serakhs où nous arrivâmes le deux du mois de Djoumazy oul akhir (1er octobre). Je supputai qu'il y avait de Baçrah à Serakhs trois cent quatre-vingt-dix fersengs.

Nous quittâmes cette dernière ville et nous prîmes la route de Ribath Dja'fery, de Ribathi 'Amraouy et de Ribathi Ni'mery. Ce sont trois caravansérails qui se trouvent sur la route, à peu de distance l'un de l'autre.

Le douze Djoumazy oul akhir (14 octobre), nous entrâmes à Merw er Roud. Nous en partîmes après y avoir passé deux jours, et nous prîmes le chemin d'Abi Guerm.[80]

Le dix-neuf, nous arrivâmes à Bariab, après avoir parcouru trente-six fersengs.

L'émir du Khorassan, Djaghry beik Abou Souleyman Daoud ibn Hikayl ben Seldjouq, se trouvait à Chirbour-ghan, et il avait le dessein de se rendre à Merw, siège de son gouvernement.

Le peu de sécurité du pays nous obligea de prendre la route de Senglan.[81] Nous nous dirigeâmes de cette localité sur Balkh par la route de Sèh Derèh (les trois vallons).[82] Lorsque nous atteignîmes le caravansérail de Sèh Derèh, nous apprîmes que mon frère Khadjeh Aboul Feth Abdoul Djelil se trouvait dans la suite d'Abou Nasr, vizir de l'émir du Khorassan.

Il y avait sept ans que je m'étais éloigné du Khorassan. A mon arrivée à Destguird, je remarquai des bagages que l'on dirigeait du côté de Chibourghan.[83] Mon frère qui était avec moi, demanda à qui ils appartenaient. « Au vizir », lui fut-il dit. « Connaissez-vous, reprit-il, Aboul Feth Abdoul Djelil ? » « Un de ses gens est avec nous », lui répondit-on. A l'instant même, un homme s'approcha de nous et s'écria : « D'où venez-vous ? » Nous répondîmes que nous revenions du pèlerinage. « Mon maître Aboul Feth Abdoul Djelil, ajouta-t-il, avait deux frères ; ils sont partis, depuis quelques années, pour accomplir le pèlerinage. Il ne cesse d'aspirer au moment de leur retour, et tous ceux qu'il questionne à leur sujet, ne peuvent lui donner aucun renseignement. » Mon frère répliqua : « Nous apportons une lettre de Nassir ; lorsque ton maître viendra, nous la lui remettrons. » Au bout de quelques instants, la caravane s'arrêta sur la route et nous fîmes de même. Ce domestique nous dit alors : « Mon maître va arriver ; s'il ne vous rencontre pas, il éprouvera un cruel chagrin. Si vous me confiez la lettre pour que je la lui remette, il ressentira une joie très vive. » Mon frère s'écria alors : « Est-ce la lettre que tu désires ou Nassir lui-même ? Le voici ! »

La joie fit perdre toute contenance à cet homme ; pour nous, nous nous dirigeâmes vers Balkh par la route de Myan Rousta. Mon frère traversait la plaine de Destguird en compagnie du vizir, qui allait rejoindre l'émir du Khorassan. Lorsqu'il apprit que nous étions de retour, il se détourna de Destguird et s'arrêta au pont de Djemouguian pour attendre notre arrivée. Ce fut le samedi vingt-six Djoumazy oul akhir de l'année 444 (26 octobre 1052) que nous nous trouvâmes réunis et que nous goûtâmes le plaisir de nous revoir. Nous avions, en maintes circonstances, perdu l'espérance de conserver la vie et nous avions échappé aux plus grands dangers. Nous rendîmes au Dieu très haut toutes nos actions de grâce, et nous entrâmes, ce même jour, dans la ville de Balkh. Je composai ces trois distiques qui répondaient à notre situation.

Bien que dans ce monde, les soucis et les chagrins soient de longue durée, ce qui est bien comme ce qui est mal finit, sans aucun doute, par avoir un terme. Le firmament, dans son mouvement de rotation, tourne pour nous et le jour et la nuit ; quand un mortel quitte ce monde, un autre arrive pour le remplacer. Nous faisons, dans cette vie, de nombreux voyages jusqu'au jour où il nous faut faire le dernier, celui d'où l'on ne revient pas. »

La route que nous avions parcourue depuis Balkh jusqu'à Misr, puis de Misr à la Mekke et de cette dernière ville jusqu'à Balkh, en passant par Baçrah et la province de Fars, sans compter les excursions faites pour visiter des lieux de pèlerinage et autres endroits, était de deux mille deux cent vingt fersengs.

J'ai relaté en toute sincérité ce que j'ai vu moi-même. Si le lecteur trouve des erreurs et des inexactitudes dans ce que je rapporte d'après des récits qui m'ont été faits, je le prie de ne pas me les attribuer, de ne pas me blâmer et de ne m'adresser aucun reproche à ce sujet.

Si le Dieu très haut daigne m'accorder son aide, j'ajouterai à cette présente relation le résultat des observations que j'aurai faites pendant mon voyage dans les pays de l'Orient.

 

 


 

APPENDICE.

I. MERW CHAHIDJAN.

Le district et la ville de Merw Chahidjan ont été, dans les premiers temps de l'islamisme, le théâtre des événements les plus considérables. C'est dans la banlieue de Merw, dans le moulin du petit village de Zerq, que le dernier souverain des Sassanides perdit la vie[84] ; c'est aussi à Merw qui, par sa situation sur la frontière du Khorassan, avait une importance militaire de premier ordre, qu'Aboli Mouslim prépara les événements qui assurèrent aux Abbasides la possession du khalifat. Le fils d'Haroun er Rachid, Mamoun, y résida jusqu'à l'époque où il recueillit la succession de son frère Emin, et son séjour dans cette ville, au milieu d'une société polie et instruite, développa en lui ce goût des arts et des sciences dont il donna des preuves si constantes pendant toute la durée de son règne. Lorsque les Seldjouqides eurent étendu leurs conquêtes dans le Khorassan, ils firent de Merw la capitale de leur empire ; elle l'était encore lorsque Nassiri Khosrau entreprit son voyage.

Les géographes orientaux, antérieurs au XIe siècle, nous fournissent sur Merw des détails qui présentent un intérêt assez grand pour que j'en offre ici la traduction.

Merw Chaliidjan est située dans une plaine unie dont le sol, imprégné de sel, doit sa fertilité aux canaux dérivés du Mourghab ou Merwâb. Les terrains qui ne sont point arrosés ne produisent que le choutour ghaz, plante épineuse sur laquelle on recueille la substance sucrée, appelée par les Persans terenguebin (manne du Hedysarum Alhadji).[85] Le Mourghab qui traverse le district de Merw et fournit l'eau à cette ville, prend sa source au-delà de Bamian dans le Ghour, canton montagneux de la province de Balkh. Il arrose le district de Merw er Rond et il débouche près du village de Koukin, sur le territoire de Merw Chahidjan. A la distance d'un ferseng de cette dernière ville, il traverse une vallée où il coule dans un lit étroit dont les parois étaient consolidées, des deux côtés, au moyen de madriers. Au sortir de cette vallée, la rivière se dirige vers Merw. Quatre cents ouvriers appelés ghawwas (plongeurs), étaient chargés de l'entretien de ces endiguements et devaient avoir toujours prêt l'approvisionnement de poutres nécessaires aux réparations. Ils étaient de garde jour et nuit, et lorsqu'il leur fallait travailler dans l'eau par un froid rigoureux, ils s'enduisaient le corps de cire. Le cours du Mourghab, sur le territoire de Merw Chahidjan, était placé sous la surveillance d'un émir dont les pouvoirs étaient plus étendus que ceux de l'émir el Himayèh.[86] Il avait, sous ses ordres, dix mille hommes recevant une solde régulière, et des surveillants chargés de faire réparer les digues.

La répartition de l'eau se faisait à un ferseng de la ville : il y avait là un grand bassin de forme circulaire, où elle était mesurée au moyen d'une planche sur laquelle étaient marqués soixante degrés ou châïrèh. Quand l'eau atteignait cette hauteur, on était assuré d'une année d'abondance ; ce fait était le signal de réjouissances publiques et les habitants recevaient alors une mesure d'eau complète. Si, au contraire, elle n'atteignait que la hauteur de six degrés, il fallait s'attendre à une extrême disette.[87]

Le niveau était constaté par le maître général des eaux ; celui-ci faisait part de ses observations à l'administration des postes (Diwan el berid), et celle-ci expédiait sur-le-champ des courriers aux inspecteurs des canaux qui procédaient alors à la répartition, en se basant sur les indications données par le maître général.

Quatre grands canaux, dérivés du Mourghab, traversaient la ville de Merw et des canaux plus petits approvisionnaient les citernes et les réservoirs. Ces quatre grands canaux portaient les noms de Nehr Zerq, Nehr Madjan, Nehr Hormouz ferrèh et Nehr Essa'ady Khorassany.

Merw, comme toutes les grandes villes de l'Orient, était défendue par un château et se composait d'une cité intérieure, entourée de faubourgs. La construction du château remontait, selon la tradition, à Tehmouras. Il était bâti sur une éminence et, malgré la hauteur à laquelle il était placé, il était pourvu d'eau par un aqueduc. Au VIe siècle de l'Hégire, le château de Merw tombait déjà en ruines et l'intérieur de son enceinte avait été converti en champs de pastèques et en jardins potagers. La cité avait été fondée, disait-on, par Iskender Zoul Qarneïn ; les maisons y étaient construites en argile. La muraille qui l'entourait était percée de quatre portes : Bab el Medinèh qui faisait face à la grande mosquée, Bab Sendjan ou Sengan, Bab Balin et Bab Deri Mechkan par laquelle on sortait pour se rendre dans la Transoxiane. C'est près de cette dernière porte qu'était le palais habité par Mamoun, avant son élévation au khalifat. Les quartiers de la ville et les édifices publics s'étendaient sur le bord des canaux. Le palais du gouvernement, la grande mosquée neuve et la prison se trouvaient sur la rive du Nehr Madjan. On y remarquait aussi la demeure des Aboul Nedjm, affranchis et clients de la famille d'Abou Mou'eïth. Dans cette maison se trouvait une salle surmontée d'une coupole, où furent teintes en noir les étoffes qui servirent à faire les vêtements et les drapeaux des partisans des Abbassides. Le canal de Hormouzferrèh que l'on trouvait sur sa route en venant de Serakhs, traversait un vaste quartier dans lequel on remarquait les maisons et les édifices construits par Husseïn ibn Thahir qui gouvernait le Khorassan en 261 (874). Husseïn ibn Thahir avait voulu y établir le siège du gouvernement et les marchés publics. Le canal de Hormouz ferrèh fournissait également l'eau aux habitants du quartier de-Ras ech Chabay, où était la demeure du cheikh Aboul Fazhl Mohammed ibn Obeïd illah.

Le Nehr Zerq coulait non loin de Bab el Medinèh ; la mosquée appelée Djami el Atiq (la mosquée vieille) était construite sur la rive de ce canal. On y remarquait aussi les maisons de plaisance de la famille de Khalid ibn Ahmed ben Hammad, ancien gouverneur de la Transoxiane et du Khorassan.

Le quatrième canal, celui de Essa'ady Khorassany, fournissait l'eau aux habitants des quartiers de Bab Sendjan et des Béni Mahan.[88] Il était bordé par les constructions qui portaient le nom de maisons du Merzban.

Merw possédait trois grandes mosquées cathédrales. La première, construite dans la cité peu de temps après la conquête musulmane, portait le nom de Djami el Medinèh ou Djami Beui Mahan. L'islamisme ayant fait un grand nombre de prosélytes, on en bâtit une autre en dehors de l'enceinte ; elle fut désignée plus tard sous le nom de mosquée vieille (Djami el Atiq). C'est dans cette mosquée que les traditionnistes se réunissaient tous les vendredis. Abou Mouslim en fit élever une troisième à Madjan et il établit les bazars dans son voisinage.

Le palais du gouvernement se trouvait derrière la mosquée des Béni Malian et l'on y admirait la salle d'audience des gouverneurs du Khorassan, surmontée d'une coupole en briques, d'un diamètre de cinquante-cinq coudées. Cette salle avait quatre portes donnant chacune accès à un eïwan ou pavillon ouvert précédé d'une cour carrée.

Le mouçalla où la population se rendait pour faire les prières publiques de la fête de la rupture du jeûne et de la fête des sacrifices, était dans un vaste terrain carré situé à Ras el Meïdan et bordé de maisons et d'édifices ; il portait le nom de Mouraba'ah Abil Djaham (carré d'Aboul Djaham).[89]

On visitait à Merw les tombeaux de Boureïdah ibn Khaçib, de Souleyman son fils et de Hakim ibn Amr el Ghaffary, qui furent les compagnons du Prophète.

Merw possédait au XIIIe siècle, au moment de l'invasion des Mongols, dix bibliothèques dont chacune, au dire de Yaqout, renfermait un plus grand nombre d'ouvrages de choix que celles que l'on voyait dans d'autres villes. Deux de ces bibliothèques appartenaient à la grande mosquée. L'une portait le nom de Azizièh ; elle avait été fondée par Aziz ed-Din Abou Bekr er Reïdany, et on y conservait douze mille volumes ; l'autre était la Kemalièh. Les plus riches après celles-ci, étaient les deux bibliothèques de la famille des Sam'any, l'Omarièh, la Khanoumièh et enfin la Zhoumaïrièh qui était annexée à un couvent. Elle n'avait que deux mille volumes, mais ils étaient tous du plus haut prix, et Yaqout avoue avoir trouvé, dans les bibliothèques de Merw, les livres qui lui ont fourni les matériaux dont il s'est servi pour rédiger son Moudjem oul bouldân et ses autres ouvrages.

La plus grande partie des habitants de Merw appartenaient au rite chaféite et, comme dans toutes les villes musulmanes au moyen-âge, ils étaient divisés en deux partis : celui des gens de la cité et celui des gens du quartier de Souq el Atiq (le vieux marché), qui vivaient dans un état de rivalité perpétuelle.

Les environs de Merw produisaient une grande quantité de fruits d'une saveur plus délicate que ceux de Hérat. On exportait des raisins secs qui jouissaient d'une grande réputation et des melons, dont les tranches coupées et desséchées, étaient fort appréciées dans l'Iraq.

Les graines de vers à soie avaient, selon la tradition, été transportées de Merw dans le Gourgan et le Thabarestan. L'industrie de la soie y était florissante et les étoffes de Merw étaient recherchées dans toutes les contrées de l'islamisme. Les revenus de la ville et du district de Merw s'élevaient à la somme de 1, 132, 184 dirhems. L'invasion des Mongols mit fin à la prospérité de Merw ; Touly Khan, fils de Djenghiz Khan, se rendit maître de la ville et massacra la population toute entière. Merw ne se releva de ses ruines que sous le règne de Châhroukh ; mais les troubles qui agitèrent le Khorassan et les incursions des tribus turcomanes précipitèrent sa décadence, et elle n'est plus aujourd'hui qu'un amas de misérables maisons, au milieu desquelles s'élèvent le tombeau de sultan Sendjar (552—1157), ainsi qu'une grande mosquée et un collège construits par Timour.

Je ne donnerai point à la fin de cette courte notice la liste des littérateurs, des poètes et des théologiens qui, depuis Barzouièh jusqu'à Mirza Sadiq Houmay, ont vu le jour dans cette ville ; je me bornerai à citer les noms des auteurs qui en ont écrit l'histoire jusqu'au commencement du XVe siècle.

Les annales de Merw ont été rédigées par Ahmed ibn el Seyyar el Merwezy (268—881) ; cet ouvrage a été continué par Abou Salih Ahmed Nichaboury (470—1078) et par Abdoul Djebbar el Kharaqy (553—1158). Le célèbre Abou Bekr Mohammed el Sam'any composa une histoire de Merw qui ne compte pas moins de vingt volumes. Bedr ed-Din ibn Fertoun, qui mourut à Médine en 769 (1367), et l'auteur du Qamous, Mohammed Firouzâbady (817—1415), ont également tracé le tableau des vicissitudes dont cette antique capitale du Khorassan a été le théâtre.

II. NICHAPOUR.

Dans la description qu'il nous fait de Misr, Nassiri Khos-rau ne trouve à lui comparer, parmi les villes du Khorassan, que Nichapour ; elle seule pouvait rivaliser avec la capitale de l'Egypte, sous le rapport de l'étendue, de la population, de la richesse et de l'industrie. J'ai cru devoir réunir ici les renseignements donnés sur cette ville par les géographes orientaux du moyen-âge ; j'y ajoute ceux que nous fournit Hafiz Abrou qui les a puisés dans des ouvrages aujourd'hui disparus.

Nichapour, désignée également sous les noms d'Ebrchehr et d'Iranchehr, est l'une des plus anciennes villes du Khorassan. Sa fondation remonte, si l'on en croit les traditions, au règne de Tehmouras ; Ardeschir Babegan la rebâtit, et Chapour Zoul Ektaf l'éleva au rang de capitale du Khorassan. Les musulmans, sous la conduite d'Ibn Amir, s'en emparèrent en l'an 30 de l'Hégire (650) ; le merzban ou gouverneur militaire qui y commandait, capitula et les habitants durent, pour se racheter, verser entre les mains des vainqueurs la somme d'un million de dirhems. Cette ville fut la résidence des princes de la dynastie des Tâhirides qui se plurent à l'embellir ; l'un d'eux, Abdallah, fils de Tahir, fit bâtir le superbe faubourg de Chadiakh, où il construisit un palais qu'entourèrent les demeures des officiers de son armée.

Amr, fils de Leïs, enleva Nichapour au dernier prince Tâhiride et en fit sa capitale : « Je veux, avait-il dit, avant d'en entreprendre la conquête, soumettre un pays dont l'herbe est le reïbas (rhubarbe), dont le sol est couvert de plantes et où les pierres sont des turquoises. »

Nichapour, située à quarante fersengs de Serakhs et à soixante-dix de Merw Chahidjan, s'élève dans une vaste plaine, arrosée par la rivière de Seghawer. Ce cours d'eau alimente les canaux de la ville, qui coulent tous sous terre. Cette particularité a inspiré la boutade suivante à un Arabe qui avait à se plaindre des habitants : « Quelle belle ville serait Nichapour, si ses canaux étaient sur terre et ses habitants dessous ! » Le cours du Seghawer était placé sous la surveillance d'inspecteurs chargés de faire réparer les canaux et leurs endiguements, et de présider à la juste répartition des eaux.

Nichapour couvrait une étendue d'environ un ferseng carré. La ville se composait d'un château et d'une cité entourée de faubourgs. L'enceinte du château était percée de deux portes dont l'une s'ouvrait sur la cité, et l'autre sur le faubourg. La ville proprement dite était entourée d'une muraille qui avait quatre portes : Bab ras el qantharah ou Deri Poul (la porte de la Tête du pont), Bab derb Ma'aqil (la porte de la Rue de Ma'aqil), Bab el qouhendiz (la porte du Château), et enfin Deri pouli Tekin (la porte du Pont de Tekin). Le mur qui protégeait le faubourg avait plusieurs portes. Celle que l'on franchissait pour se rendre dans l'Iraq et le Gourgan, portait le nom de Bab qibab. Celle qui était dans la direction de Balkh et de la Transoxiane, s'appelait Deri djeng (la porte de la Guerre) ; une troisième qui se trouvait sur la route du Fars et du Qouhistan, était le Deri Haouzâbad, d'autres enfin s'ouvraient sur les routes conduisant à Thous et à Nessa, et parmi elles on citait Deri soukhtèh (la porte Brûlée) et Deri seri Chirin (la porte de la Tête de Chirin).

Nichapour était, au dire d'Abou Aly el Alewy, plus grande que Fosthath, plus peuplée que Bagdad, plus parfaite que Baerah, et plus magnifique que Qaïroan. Elle était divisée en quarante-quatre quartiers dont chacun, aussi vaste que la moitié de Chiraz, occupait une superficie égale à celle des villes de Hérat, de Gour[90] et de Menichek. Cinquante grandes rues la traversaient dans toutes les directions. Le palais du gouvernement, construit par Abdallah ibn Tahir et rebâti par Amr ibn Leïs, s'élevait sur la place des Descendants de Hussein (Meïdan el Housseïnyyn) ; la prison y était contiguë.

La grande mosquée, séparée du palais par la distance d'un ferseng, se trouvait sur la place d'Armes (Lechkergâh) qui s'étendait dans le faubourg, en dehors de la ville et à côté des marchés. La partie où était placé le minber était soutenue par des piliers en bois, et sa construction remontait à l'époque d'Abou Mouslim. Le reste de l'édifice qui reposait sur des colonnes rondes formées de briques, avait été bâti par Amr ibn Leïs. La cour était entourée, sur trois de ses côtés, par une galerie ouverte, et, au milieu, on remarquait un pavillon d'une grande élégance soutenu par des colonnes d'un marbre veiné de noir et de blanc ; il était percé de onze portes, et ses parois et son toit incliné étaient couverts de sculptures et d'arabesques peintes et dorées.

Les marchés publics étaient dans les faubourgs. Le plus grand, qui portait le nom de Mourabba'at el kebirèh[91] (le Grand Carré), s'étendait dans la direction de l'est jusqu'au-delà de la grande mosquée, et jusqu'au Mourabba'at es Saghirèh dans celle de l'ouest. Il allait au nord jusqu'au cimetière de Hussein (gouristani Housseïn) et au nord jusqu'à la tête du pont. Le Mourabba'at es saghirèh (Petit Carré) se trouvait non loin de la place des Descendants de Hussein, à côté du palais du gouvernement.

Au-delà de ces marchés, s'élevaient les khans et les fondouqs occupés par les négociants avec les dépôts de leurs marchandises. Les corporations les plus importantes étaient celles des bonnetiers, des négociants en soie écrue et en étoffes, des ouvriers en cuir et des cordiers.

Nichapour n'était point seulement une ville industrieuse dont les produits étaient exportés et recherchés dans toutes les contrées de l'Asie ; les sciences y étaient cultivées avec succès et Abou Abdillah ibn el Yeça, plus connu sous les surnoms d'Ibn el Hakim et d'Ibn el Beyy' (405 [1015]), a réuni les biographies des docteurs qui ont fleuri à Nichapour, dans un volumineux ouvrage qui a été continué par Abdoul Ghafir el Farsy (518 [1125]). Nichapour fut dévastée en 540 (1145) par un tremblement de terre qui dispersa les habitants et les força, d'émigrer dans les différentes villes de la Perse. Quelques familles des plus illustres allèrent s'établir à Qazvin.

Hafiz Abrou, dans la notice qu'il a consacrée à Nichapour, nous apprend que les khalifes Abbassides y avaient fondé huit grands collèges, [92] et qu'il y en avait dix-sept où les études se faisaient selon les préceptes de la secte chaféite. Cet historien nous donne, à propos de la prise et du pillage de Nichapour par les Ghouzzen 548 (1153), quelques détails sur les bibliothèques qui furent incendiées ou dévastées par ces hordes.

« Parmi les malheurs qu'il faut déplorer, dit-il, on doit citer la destruction de la bibliothèque annexée à la mosquée qui portait le nom de Mesdjid el ouqela. » Elle renfermait cinq mille volumes traitant de différentes sciences et qui étaient mis à la disposition des étudiants. Cinq autres bibliothèques fort importantes furent livrées aux flammes et sept autres furent pillées. Les livres qu'elles contenaient furent vendus au poids du carton, et un petit nombre seulement put être racheté par les habitants. »

Dévastée par les Mongols, Nichapour avait reconquis une certaine splendeur, lorsqu'un tremblement de terre la ruina de fond en comble, sous le règne d'Abaqa Khan. Vedjih ed-Din Zenguy Ferivendy, vizir du Khorassan, la fit rebâtir en 669 (1270), et un poète contemporain consacra la date de sa reconstruction par ces vers : « Grâce à ta puissance, l'antique Nichapour est devenue une nouvelle ville, semblable à un vieillard décrépit qui aurait reconquis les grâces de la jeunesse. La terre en tremblant lui avait fait une blessure sans remède ; le médecin de ton équité lui a donné ses soins et elle a recouvré la santé. Cet événement eut lieu en neuf cent soixante-neuf, et cette année eut la gloire de voir la construction de cette ville charmante. Ce fut pendant les derniers jours du mois de Ramazan, alors que le soleil et Vénus étaient dans le signe du Taureau, la lune dans celui du Poisson et Mercure dans les Gémeaux. »

Une catastrophe semblable anéantit encore Nichapour en 808 (1405), une année après l'avènement au trône de Châhroukh. La plupart des habitants furent ensevelis sous les ruines de la ville ; ceux qui purent échapper au désastre s'enfuirent dans la campagne. Mewlana Louthfoullah composa, pour fixer la date de cet événement, les vers suivants : « Nichapour, cette ville célèbre qui fut jadis la résidence des rois de Perse, a, encore une fois, été tellement bouleversée par un tremblement de terre que ses édifices ont été renversés au niveau du sol. Plus de trente mille hommes et femmes ont été ensevelis sous les ruines, en proie à la douleur et au désespoir. Nulle part, personne n'est demeuré sain et sauf à sa place ; nulle part, une brique n'est restée intacte sur une autre brique. Personne n'a été épargné, ni ceux que dévorait l'ambition, ni ceux qui recherchaient les jouissances de ce monde, ni les hauts personnages, ni ceux qui donnaient l'exemple de la sainteté. Cet écroulement a, dans un instant, donné l'idée de ce que serait le monde lorsque retentira la trompette qui en annoncera la fin. A cette date, à partir de l'époque de l'Hégire, qu'a été ce moment ? Il a été celui du jour du jugement dernier. »

Les guerres et les incursions dont le Khorassan a été le théâtre depuis plus de trois siècles ont amené la ruine de Nichapour, et cette ville n'a conservé que peu de traces de sa splendeur passée. M. Fraser qui la visita au commencement du siècle, en a donné une description recommandable par l'exactitude des renseignements.

III. AÏDHAB.

Makrizy, dans sa Topographie de l'Egypte et du Caire, a consacré une notice à la tribu de Boudjah et donné, sur le désert d'Aïdhab, des renseignements qui lui avaient été fournis, dit-il, par le qadi de cette ville qu'il avait eu l'occasion de voir au Caire.[93] Makrizy prétend que la route d'Aïdhab à Qous ou à Assouan fut suivie par les pèlerins depuis l'année 450 (1058), époque à laquelle les calamités qui désolèrent l'Egypte firent abandonner la route de Qoulzoum. Cet état de choses dura jusqu'en l'année 660 (1258), pendant laquelle le sultan Melik edh Dhahir Beybars réorganisa la caravane d'Egypte et lui confia le voile de la Ka'abah. Les pèlerins partis du Caire reprirent alors la route qui avait été délaissée pendant si longtemps.

Le témoignage d'Isthakhry, d'Ibn Haukal et de Mouqaddessy, et la relation de Nassiri Khosrau, nous font savoir que la route de Qous ou d'Assouan à la mer Rouge, était parcourue par les pèlerins et les marchands avant l'année 450 indiquée par Makrizy. Les détails donnés par ce dernier écrivain, ne permettent pas de douter qu'il n'ait eu sous les yeux la relation d'Ibn Djobaïr qui partit de Qous au mois de mai 579 (1183) pour gagner Aïdhab et s'y embarquer afin d'aller à Djouddah et, de cette dernière ville, gagner la Mekke. Le récit de ce voyage à travers le désert m'a paru renfermer des détails assez intéressants pour être mis sous les yeux du lecteur.

Mois de Safer (579) pendant lequel Dieu nous a fait connaître sa faveur et sa bénédiction.

La nouvelle lune se leva dans la nuit du mardi au mercredi 25 mai. Nous étions à cette époque à Qous, et nous avions l'intention de nous rendre à Aïdhab. Que Dieu dans sa bonté et sa générosité nous fasse !a grâce de mener ce projet à bonne fin !

Le lundi 13 du mois de Safer, correspondant au 6 juin, nous envoyâmes au Mabraz tous nos bagages et toutes nos provisions. Le Mabraz est situé dans la direction de la qiblèh et à peu de distance de la ville. C'est un vaste emplacement entouré de dattiers où les pèlerins et les marchands se réunissent ; ils y font charger leurs effets ; c'est de là que l'on se met en marche, et c'est enfin en ce lieu que sont pesées les marchandises avant d'être confiées aux chameliers. Nous partîmes, après la prière de l'Icha, pour gagner une aiguade connue sous le nom de el Hadjiz.

Nous y passâmes la nuit et la journée du mardi, pour aller à la recherche de quelques chameliers arabes qui s'étaient rendus dans leurs demeures voisines de l'endroit où nous campions. Dans la nuit du mardi au mercredi, nous fûmes témoins, à el Hadjiz, d'une éclipse totale de lune qui commença à la chute du jour et dura une partie de la nuit. Le mercredi matin, nous nous remîmes en route, et, après avoir fait une halte à Qila' ed Dhya', nous allâmes coucher à Mahathth el Laqithah.[94] Ces endroits sont en plein désert et on n'y voit aucune construction. Le jeudi, nous nous arrêtâmes, à la fin de notre étape, à l'aiguade des Deux Esclaves. Elle doit son nom à deux esclaves qui sont morts de soif avant d'avoir pu l'atteindre et s'y désaltérer. On y voit leurs deux tombeaux. Que Dieu leur fasse miséricorde ! Nous fîmes, en cet endroit, provision d'eau pour trois jours. Le vendredi matin, nous continuâmes notre marche dans le désert, nous arrêtant pour camper dès que la nuit nous enveloppait de ses ombres. Nous rencontrions souvent des caravanes de Al'dhab et de Qous et leur apparition donnait à la route une plus grande animation et une plus grande sécurité. Le lundi 20, nous atteignîmes le puits secourable de Denqach. Ses eaux servent à désaltérer et à abreuver un si grand nombre d'hommes et d'animaux que Dieu seul, dans sa grandeur et sa puissance, peut en faire le dénombrement.

Les chameaux sont, à cause de leur résistance à la soif, les seules montures employées dans ce désert. Les personnes qui aiment leurs aises placent sur eux des chaqdouf. Ce sont des espèces de litières et les meilleures sont celles du Yémen. Elles ressemblent aux chakiz de voyage ; elles sont larges comme celles-ci et recouvertes en cuir. Elles sont doubles et attachées sur le dos du chameau au moyen de cordes solides. Elles sont pourvues, à chaque coin, de piquets destinés à soutenir un tentelet qui permet au voyageur et au compagnon qui lui fait contrepoids de supporter l'ardente chaleur du milieu du jour.

Les deux voyageurs jouissent, assis ou couchés, d'un repos complet. Ils peuvent se passer l'un à l'autre soit des aliments, soit des objets dont ils auraient besoin, et même, s'ils le désirent, se livrer à la lecture du Coran et des livres qu'ils ont avec eux. Ils ont même la possibilité, s'ils aiment le jeu des échecs, d'y trouver un délassement et une récréation. En un mot, ces litières assurent à l'homme dont la destinée est de voyager, un repos salutaire.

Néanmoins, le plus grand nombre des voyageurs montent sur les charges que portent les chameaux, et ils ont à supporter à cause d'une chaleur torride, les plus pénibles souffrances.

L'encombrement qui se produisit auprès du puits de Denqach fit naitre une discussion qui faillit avoir les plus graves conséquences. Dieu nous en préserva. Une dispute s'éleva entre des Ghouzz (Turcs) et des chameliers arabes du Yémen, originaires de Bely et appartenant à la tribu de Qoudha'ah. Ces derniers servent de guides sur la route d’Aïdhab et ils sont responsables de sa sécurité.

On se rend de Qous à Aïdhab par deux routes : l'une, qui est celle que nous avions suivie, est connue sous le nom de route des Deux Esclaves ; elle est aussi la plus directe.

L'autre part d’Assouan,[95] bourg situé sur la rive du Nil. Ces deux routes se rejoignent à deux endroits différents : en premier lieu, auprès du puits de Denqach, et ensuite, à une journée de marche plus loin, en face de l'aiguade de Chaghib.

Le lundi soir, nous fîmes une provision d'eau pour un jour et une nuit, et nous nous dirigeâmes sur Chaghib que nous atteignîmes dans la matinée du mercredi 22 Safer.[96] Cette aiguade est à sec, mais on parvient à se procurer de l'eau si on creuse le sol à peu de profondeur. Le jeudi matin, au lever de l'aube, nous nous remîmes en marche pour gagner Oummetan où nous fîmes une provision d'eau pour trois jours. Arrivés à… nous laissâmes sur notre gauche la route qui conduit à une aiguade située à une journée de distance seulement de Chaghib ; l'eau en est saumâtre, et le chemin qui y conduit offre des difficultés à la marche des chameaux.

Nous atteignîmes Oummetan le dimanche matin 26 Safer. Le même jour, je finis d'apprendre par cœur le livre du Dieu tout puissant, que son nom soit exalté et sanctifié pour cette grâce qu'il nous a accordée à Oummetan ! On y trouve, au fond d'une excavation, une source sur laquelle Dieu a répandu des bénédictions spéciales. L'eau qu'elle fournit est la meilleure et la plus agréable de toutes celles que l'on rencontre sur la route. Le nombre des seaux apportés par ceux qui viennent en puiser est vraiment incalculable. Elle suffit pour désaltérer les caravanes et pour abreuver les chameaux qui viennent des contrées les plus lointaines, bien que leur nombre soit assez grand pour tarir et dessécher même un fleuve.

Je voulus faire le compte des caravanes qui passaient sur cette route, mais je ne pus y parvenir. Les plus nombreuses sont celles d’Aïdhab qui transportent les marchandises apportées de l'Inde dans le Yémen et de cette dernière contrée à Aïdhab. Le poivre formait la plus grande partie des charges et la quantité en était si considérable, que je n'imaginais pas qu'il eût plus de valeur que la poussière. On a, dans ce désert, un spectacle bien extraordinaire ; c'est celui de voir, abandonnés sur la route et sans être gardés, des ballots de poivre, de cannelle et autres épices que l'on a dû abandonner là, à cause de la fatigue des chameaux, ou pour toute autre raison. Ces ballots restent en place, jusqu'à ce que leurs propriétaires viennent les reprendre, sans que jamais, malgré le grand concours des passants, ils soient l'objet d'une soustraction. Le lundi matin, nous partîmes d’Oummetan, et le même jour, nous atteignîmes à midi, l'aiguade de Moudjadj qui se trouve non loin de la route. Nous y fîmes une provision d'eau pour quatre jours, afin de nous rendre à Ouchera qui n'est qu'à la distance d'une journée d’Aïdhab. De Moudjadj, on gagne facilement el Ouadhah, [97] terrain couvert d'un sable mon qui s'étend jusqu'au bord de la mer de Djouddah. De là, nous nous dirigerons, s'il plaît à Dieu sur Aïdhab qui est située dans une grande plaine où rien n'arrête la vue ni à droite ni à gauche. Le mardi 28 Safer, nous nous éloignâmes de Moudjadj, à l'heure de midi, et nous primes la direction de el Ouadhah.

Mois de Reby oul evvel pendant lequel Dieu nous a comblés de ses bénédictions.

La nouvelle lune se leva dans la nuit du jeudi au vendredi 24 juin. Nous avions franchi el Ouadhah et nous nous trouvions à trois stations d’Aïdhab. Le vendredi, à l'heure du repas du matin, nous arrivâmes à l'aiguade de 'Ouchera, éloignée de deux étapes d'Aïdhab. On voit dans cette localité un grand nombre de 'Oucher (Asclepias gigantea).[98] Cet arbre ressemble à un oranger à fruits amers, mais il n'a pas d'épines. L'eau d'el 'Ouchera est loin d'être douce ; elle est fournie par un puits dont les parois ne sont pas revêtues de maçonnerie. Nous le trouvâmes comblé par le sable qui s'y était accumulé. Les chameliers essayèrent, sans y réussir, de le creuser et d'en tirer de l'eau ; la caravane s'en trouva privée. Nous marchâmes pendant toute la nuit du vendredi au samedi 2 de ce mois (Reby oul evvel). Dans la matinée, nous atteignîmes l'aiguade d'el Khobeïb qui se trouve en vue d'Aïdhab. Khobeïb est un grand puits, aussi vaste qu'une citerne, et qui suffit à subvenir aux besoins des caravanes et des habitants de la ville.

Le samedi soir, nous entrâmes dans Aïdhab. Cette ville s'élève au bord de la mer de Djouddah et n'est point entourée de murailles. Des huttes forment le plus grand nombre des habitations ; on voit maintenant quelques constructions en plâtre. Le port est un des plus fréquentés du monde, parce que les navires de l'Inde et du Yémen, sans compter les bâtiments qui transportent les pèlerins, viennent y aborder et en partent. La ville est en plein désert ; on n'y voit aucune végétation, et on n'y consomme rien de ce qui est nécessaire à la vie qui ne soit apporté du dehors.

Les habitants réalisent des bénéfices importants, particulièrement sur les pèlerins ; ils prélèvent, sur chaque charge de comestibles, une légère taxe dont le taux est réglé et qui vient s'ajouter aux droits de douane que Salah ed-Din les a, comme je l'ai dit, autorisés à percevoir. Il faut compter comme une source de revenus très importante l'affrètement des Djelbèh ou navires qui conduisent à Djouddah les pèlerins, et les en ramènent lorsqu'ils ont accompli les prescriptions imposées par Dieu. On ne considère, parmi les habitants, comme jouissant d'une certaine aisance, que ceux qui possèdent une ou deux Djelbèh ; ces navires leur procurent, en effet, des profits considérables. Louange à Celui qui, par les moyens les plus divers, répartit à chacun sa subsistance ! Il n'y a de Dieu que lui !

Nous logeâmes à Aïdhab dans une maison bâtie, dit-on, par Moutah, un des gouverneurs abyssiniens. Ce furent ceux-ci qui donnèrent à la ville sa prospérité par les constructions de maisons, de quartiers et de navires.

Il existe dans les îles voisines d'Aïdhab une pêcherie de perles ; l'époque de la pêche est indiquée dans le chronogramme suivant[99] et correspond au mois de juin et au mois suivant du calendrier non musulman. C'est alors que l'on trouve les perles les plus précieuses ; les plongeurs montés sur de petites barques se rendent dans ces îles, et, après y avoir passé quelques jours, ils reviennent à Aïdhab rapportant chacun, selon la chance qu'il a eue, la part que Dieu a daigné lui accorder. La pêche pour laquelle ils ne sont pas, d'ailleurs, obligés de plonger à une grande profondeur, a pour objet de rapporter des coquilles doubles qui renferment des poissons dont la chair a quelque ressemblance avec celle de la tortue.

Ces coquilles lorsqu'elles sont ouvertes, se divisent en deux valves dont la partie intérieure brille comme de l'argent ; on trouve les perles cachées sous la chair de l'animal. Chaque plongeur recueille, selon sa chance, la part que le Dieu unique lui a réservée dans sa bonté infinie. Les habitants de ce pays, où n'existe ni vert ni sec, ont habitué leurs bestiaux à se nourrir de la chair de ces mollusques. Qu'il soit sanctifié le Dieu qui a inspiré l'amour de la patrie à des gens qui se rapprochent plus de la bête que de l'homme !

L'embarquement à Djouddah et le voyage de cette ville à Aïdhab est, pour les pèlerins, une véritable calamité ; très peu d'entre eux arrivent à destination avec l'aide du Dieu très haut et tout-puissant. Les vents les font dévier de leur route dans la direction du sud, et ils vont atterrir dans des ports situés sur la côte du désert. Là, les Boudjah, peuplades de noirs, vivant dans les montagnes, se portent à leur rencontre et leur louent des chameaux. Ils leur servent ensuite de guides, et les conduisent par des routes privées d'eau pour les faire périr de soif, et s'emparer de leur argent et de leurs effets.

Si de malheureux pèlerins essaient de traverser à pied ce pays inconnu, ils sont assurés de s'égarer et de mourir de soif. Ceux qui parviennent à échapper à ces périls, atteignent Aïdhab comme s'ils venaient de sortir de leurs suaires. Combien en ai-je vu arriver pendant mon séjour dans cette ville, changés, défigurés et offrant aux hommes perspicaces un exemple terrible ! Les ports de la côte du désert sont des parages mortels pour les pèlerins. Quelques-uns, mais c'est le plus petit nombre, ont la chance d'être favorisés par le vent et de pouvoir débarquer à Aïdhab.

Les bâtiments qui naviguent sur cette mer perfide et odieuse, sont construits avec des planches cousues les unes aux autres ; il n'entre pas un clou dans leur construction. Les coutures sont faites avec des cordelettes fabriquées avec les fibres de l'écorce de la noix de coce préalablement battues et ensuite, réduites en fils que l'on tord pour en faire des cordes. L'étoupe du dattier est employée pour calfater les barques qui, une fois terminées, sont enduites d'huile de ricin ou préférablement de graisse de requin. Le requin est un gros poisson qui dévore les cadavres des noyés. Le but des habitants du pays, en enduisant ainsi leurs barques, est d'en rendre le bois moins dur et plus souple, à cause des nombreux tourbillons qui existent dans cette mer, et qui ne leur permettent pas de se servir de navires dont la membrure serait clouée.

Ils font venir le bois et les noix de coco de l'Inde et du Yémen. Les voiles sont la partie la plus extraordinaire de ces barques ; elles sont fabriquées avec les feuilles tressées du palmier Dom. Tous ces matériaux disparates et peu solides forment cependant un ensemble convenable. Qu'il soit béni celui qui leur permet d'en faire usage ! Il n'y a de Dieu que lui !

Les gens d'Aïdhab usent à l'égard des pèlerins de procédés abominables ; ils les entassent les uns sur les autres dans leurs barques, de façon à faire ressembler celles-ci à des cages remplies de poules. Ils agissent ainsi, poussés par leur avidité et leur amour du lucre qui sont si grands que, dans un seul voyage, ils gagnent le prix de leur navire, sans se préoccuper de ce qui peut lui arriver pendant la traversée ; le dicton suivant a cours parmi eux : « Nous risquons nos planches et les pèlerins risquent leurs âmes. »

Bref, ce pays est un des pays de Dieu qui mériterait le plus d'être exterminé par l'épée.

Le mieux, pour celui qui en a le moyen, est de ne jamais le voir et de gagner l'Iraq en traversant la Syrie pour se mettre à la suite du chef de la caravane des pèlerins de Bagdad. S'il ne peut le faire pour aller à la Mekke, il pourra toujours, après avoir accompli son pèlerinage, se rendre à Bagdad avec ce chef. De cette ville, il pourra gagner Akkèh, et de là Alexandrie et la Sicile ou toute autre contrée où il trouvera, presque toujours, des navires chrétiens en partance pour Sebtah (Ceuta) ou tout autre pays musulman.

S'il trouve ce chemin détourné un peu long, il devra, néanmoins, se féliciter d'avoir heureusement échappé aux calamités d'Aïdhab et autres lieux semblables.

Les tribus nègres qui habitent les environs d'Aïdhab portent le nom de Boudjah. Elles sont gouvernées par un sultan de leur race qui réside au-milieu d'elles dans les montagnes voisines. Il semble exercer l'autorité conjointement avec le gouverneur turc de la ville dont il est le lieutenant, bien qu'il perçoive la totalité des impôts.

Les noirs de ces tribus ont des mœurs plus abjectes et une intelligence plus bornée que celles des bestiaux. Ils ne connaissent, en fait de religion, que la formule de l'unité de Dieu, et ils ne la prononcent que pour montrer qu'ils sont musulmans. Leur conduite et leur genre de vie sont, malgré cette apparence, si dépraves qu'ils méritent le mépris et la réprobation universels. Les femmes et les hommes vont tout nus et un morceau de toile leur sert à cacher leurs parties sexuelles ; le plus grand nombre d'entre eux ne prend même pas cette précaution. Ils « ont profondément ignorants, ils ne connaissent ni leur origine, ni les péchés qu'ils peuvent commettre à l'égard de celui qui les a maudits.

Le 25 du mois de Reby oul evvel correspondant au 28 juillet, nous nous embarquâmes dans le dessein de nous rendre à Djouddah ; mais le vent étant tombé, et les matelots ayant déserté le bord, nous fûmes obligés de passer toute la journée dans le port. Le mardi matin, nous levâmes l'ancre en invoquant les bénédictions du Dieu tout puissant. Puisse-t-il nous accorder son assistance protectrice !

Nous fîmes à Aïdhab, en comptant le lundi dont je viens de parler, un séjour de vingt trois jours. Je ne doute pas que Dieu ne m'en tienne compte, car j'ai supporté tous les désagréments et enduré tous les maux que peut occasionner une nourriture malsaine. Il suffira de savoir que dans cette ville, l'eau même est apportée du dehors, quand le soin de calmer la soif est pour l'homme un besoin aussi impérieux que celui de conserver la vie.

Nous devions supporter une chaleur torride capable de faire fondre le corps et nous étions obligés de boire une eau qui nous enlevait tout appétit. Il a raison celui qui a marqué son horreur pour cette ville par ces mots : eau croupissante et température toujours brûlante.

Le séjour dans cette ville maudite est une des épreuves les plus terribles et les plus méritoires réservées aux pèlerins dans leur voyage à l'antique sanctuaire. Que Dieu multiplie pour lui les hommages et les marques de vénération !

On se plaît tellement à citer les tourments que l'on subit à Aïdhab, que l'on prétend que Souleyman, fils de Daoud (que la paix soit avec notre prophète et avec lui !), l'avait assignée comme prison aux démons. Que Dieu, en préservant les pèlerins de cette route, leur permette de suivre celle qui conduit directement à son sanctuaire vénéré, en passant par l'Egypte, par Aqabat el Aïlah et la sainte ville de Médine ! On a, pendant ce court voyage, la mer à sa droite et le mont Sinaï à sa gauche ; seulement les Chrétiens possèdent, non loin de la route, un fort qui commande le passage. Puissent-ils en regretter bientôt la perte !

IV. KHAN LENDJAN.

Khan Lendjan on Khoulendjan, petite ville située à deux journées de marche d'Ispahan, était fort peuplée et le centre d'un commerce actif. Les environs produisaient en abondance toutes sortes de fruits. Firdoussy y fut reçu après sa fuite de Ghaznèh par le gouverneur Ahmed ibn Mohammed ben Abou Bekr et il nous a laissé le récit de l'accueil qui lui fut fait et de l'aventure qui lui arriva pendant son séjour. Ce morceau se trouve dans l'exemplaire du Chah Nameh acquis par le British Muséum à la vente de M. Mohl (ms. Or. 1403, f° 518), et il m'a été signalé par M. le docteur Rieu, conservateur des manuscrits orientaux, auquel je me plais à offrir ici l'expression de tous mes remerciements.

« Lorsque ma grande histoire, lorsque les récite des règnes des rois puissante furent achevés, c'était le troisième jour qui suit le samedi, après le milieu du jour, lorsque s'étaient écoulés cinq fois cinq jours du mois que les Arabes appellent Moharrem et auquel, en signe de vénération, on donne le nom de mois sacré. Je te ferai également connaître cette date selon le style des Dèhqan ; c'étaient le mois de Behmen et le jour d'Assouman.[100] Ce même jour, le gouverneur fit éclater la satisfaction que lui causait ce livre ; il témoigna le désir de me voir, il s'enquit de mes besoins et il m'interrogea à ce sujet. Le caractère de ce personnage était noble et bienveillant. Il était sage, prudent et rempli de bonté. C'était le digne Ahmed, et on aurait vainement cherché ailleurs, et même dans sa famille, quelqu'un qui fût son pareil (litt. son jumeau). Si tu demandes comment s'appelait son père, son nom se terminait par Abou Bekr et commençait par Mohammed (Mohammed, fils d'Abou Bekr). L était originaire d'Ispahan et le lieu de sa résidence était Khan Lendjan. Sa conduite était l'objet des éloges des grands et des sages. Lorsque je descendis à Khan Lendjan, j'étais dénué de tout ce que vous pourriez dire. Il me conduisit dans sa maison et, après m'avoir vu, il m'assigna une demeure. Ses bienfaits firent de moi, l'auteur de ce livre, son esclave. Il fit sourire les lèvres de mes désirs en me donnant vêtements, tapis et lit ; il se chargea même de me nourrir. Tout ce qu'il m'accorda était beau et en rapport avec ma situation. Mais sa générosité ne put bannir la tristesse de mon cœur, car un homme malveillant donna carrière à sa langue et, semblable à un âne qui brait, il tint sur moi des propos affreux qui me causèrent un vif chagrin, car je craignis qu'ils n'indisposassent le gouverneur contre moi.

Celui-ci m'appela ; il m'écouta et me dit : « S'il te faut de nouveau quelque chose, je te l'accorderai encore. Je sais que celui qui parle mal de toi désire que le malheur te poursuive. Le malveillant épie tes actions et il se tient sur ton chemin. Quant à toi, bannis toute crainte, ne t'éloigne pas de nous, car jamais le médisant ne sera à nos gages. Puisse son corps être la proie d'infirmités continuelles ! que sa mère et sa femme soient considérées partout comme des créatures d'un mauvais renom ! » Quand je sus ce qu'étaient ces femmes, je courus lui rendre hommage. Je me déclarai prêt à exécuter tous ses ordres et je proclamai la générosité de son caractère. J'en atteste son fils, bien qu'il ne soit encore qu'un enfant, vois jusqu'où a été sa bienveillance pour moi.

Un jour de printemps, nous allâmes pour nous divertir, sur les bords du Zerrin Roud et nous descendîmes sur la berge. Tout à coup, je tombai dans l'eau. Mes compagnons petits et grands s'empressèrent autour de moi. J'étais entraîné par la violence des tourbillons du courant ; on aurait dit que mon heureuse destinée avait fait place à un sort fatal. Dès qu'il s'aperçut (le gouverneur) de l'accident qui m'arrivait, il accourut pour me porter secours. Il me saisit par les cheveux et me tira hors de l'eau. En me voyant sain et sauf, son cœur se remplit de joie ; il fit immédiatement donner un mouton aux pauvres. Après le Dieu très saint dont la bonté et la volonté me sauvèrent, c'est grâce à lui, que ma vie fut préservée de la mort.

Aujourd'hui, si j'étais le maître de mon âme et de mon corps, je ne les lui refuserais pas s'il me les demandait. Que Dieu dispensateur de tous les biens lui accorde son aide ! Puissent ceux qui lui sont hostiles et qui médisent de lui, être réduite à la condition la plus vile !

 


 

[1] Le puits de Zemzem est alimenté par trois sources souterraines dont l’une se trouve en face de l’angle de la pierre noire, l’autre en face de la montagne d’Abou Qoubeïs et de Safa, et la troisième en face de Merwèh. Le puits fut retrouvé et creusé plus profondément par Abdoul Mouthallib ibn Hachim et son fils Haris Abdoul Mouthallib retrouva tous les objets en or et les armes que les Benou Djarham y avaient jetés lorsqu’ils le comblèrent et il ordonna d’en distribuer l’eau aux pèlerins qui venaient tous les ans visiter la Ka’abah. L’eau vint à diminuer et dans le cours des années 23 et 24 (643-644) et 200 de l’Hégire (815) on augmenta la profondeur du puits et on en consolida les parois par des travaux de maçonnerie. De semblables travaux furent encore faits pendant les règnes d’Haroun er Rachid, de Mehdy d’Emin et de leurs successeurs.

La salle du puits de Zemzem fut dallée en marbre et la fenêtre fut garnie de marbre par ordre du khalife Abou Djafer Mansour (139 [766]).

Des réparations furent faites par le khalife el Mehdj en 163 (779). Enfin tout le dallage en marbre fut complètement renouvelé par Omar ibn Faradj er Roukhady en 220 (835) pendant le règne du khalife Mostansser billah. Jusqu’à cette époque le puits seul avait été couvert par une petite coupole et l’enceinte avait été à ciel ouvert. Omar ibn Faradj fit bâtir une terrasse qui fut extérieurement revêtue de mosaïque à l’intérieur le plafond était formé par des poutres en bois de sadj dorées. Azraqy pages 100—301

« Le bâtiment qui renferme aujourd’hui le puits de Zemzem est tout près du Maqam Hanbab et fut élevé en 1072 A. H. (1661). Il est de forme carrée et d’une construction massive il y a une porte au nord s’ouvrant dans une chambre ou est le puits et qui est ornée de marbres de diverses couleurs Dans une petite chambre contiguë mais avant une porte particulière il y a un réservoir en pierre qui est toujours plein d’eau de Zemzem. Les pèlerins y puisent sans entrer dans la chambre en passant une tasse à travers une grille en fer qui sert de fenêtre ; l’ouverture du puits est entourée d’un parapet de cinq pieds de haut et d’un peu plus dix pieds de diamètre. C’est sur cette margelle que se tiennent les gens qui tirent l’eau du puits avec des seaux de cuir ; une balustrade en fer empêche qu’ils ne tombent. Du temps d’El Fassy, il y avait dans cette chambre huit bassins de marbre pour les ablutions… L’eau est pesante et par sa couleur ressemble quelquefois à du lait, mais elle est parfaitement douce et diffère beaucoup de celle des puits saumâtres dispersés dans la ville. Au sortir du puits, elle est légèrement tiède et, sous ce rapport, semblable à celle de beaucoup de sources du Hedjaz. » Burckhardt, Voyages en Arabie, tome Ier, pages 190—192.

[2] A quelque distance de la Ka'abah s'étend un beau paré en marbre inférieur de huit pouces au niveau de la grande place. Il fut posé en 981 (1573) par ordre du sultan Selim II ; il décrit un ovale irrégulier et est environné de trente-deux colonnes minces, ou plutôt piliers, en bronze doré : de l'un à l'autre sont des barres de fer auxquelles sont suspendues sept lampes que l'on allume toujours après le coucher du soleil. Burckhardt, Voyages en Arabie, tome Ier, page 183.

[3] Les Benou Cheïbah dont les descendants d'Abd ed Dar. Cette branche des Qoreïchites fut, à l'époque de la reconstruction de la Ka'abah, chargée avec les Benou Zahrah de l'édification du mur oriental. Le chef de la famille des Benou Cheïbah portait le titre honorifique de Hadjib el Ka'abah (Huissier de la Ka'abah). Massoudy, tome IX, pages 66—57. Ibn Djobaïr lui donne celui de Za'ïm (chef) des Cheïbites.

[4] Dji'ranèh, dit Yaqout, est une localité où l'on trouve de l'eau : elle est située entre la Mekke et Thayf, mais elle est plus près de la Mekke que de cette dernière ville. Le Prophète s'y arrêta pour y partager le butin fait sur les Benou Hawazin, au retour de l'expédition de Honeïn. Il y a, à Dji'ranèh, une mosquée et des puits rapprochés l'un de l'autre. Moudjem, tome II, page 85. L'expédition de Honeïn eut lieu au mois de Chevval l'an 8 de l'Hégire (janvier-février 630).

[5] Bilal ibn Ribah, esclave abyssinien, fut affranchi par Mohammed. La beauté et retendue de sa voix lui firent donner les fonctions de muezzin. Il mourut à Damas l'an 20 de l'Hégire (640) et fut enterré dans le cimetière qui s'étend entre Bab el Djabièh et Bab es Saghir. Ibn Batoutah, tome Ier, page 222.

[6] L'iqamet est la répétition de l'ezan ou appel à la prière que le muezzin doit faire avant toute prière faite en commun. Il n'a qu'à ajouter après les paroles : « Venez au temple du salut! » les mots suivants : « Certes, tout est disposé pour la prière. » Il indique ainsi que l'Imam est placé devant la communauté des fidèles et qu'il est prêt à commencer la prière.

[7] D'après les prescriptions du rituel, les pèlerins, après avoir passé la nuit à Mouzdelifèh, doivent passer par Mach'ar el Haram, s'y arrêter quelques instants pour y réciter des prières et traverser rapidement Wadi Mouhassir. Au sortir de Mina, les pèlerins doivent lancer, à partir de Bathn el Wady, sept petites pierres de la grosseur d'une fève dans la direction de Djimret el Aqabah. Cette action a lieu en commémoration d'Abraham qui chassa en ce lieu, à coups de pierres, le démon qui lui conseillait de désobéir aux ordres de Dieu et de ne point sacrifier son fils.

[8] Le mot Kheïf a la signification de pente d'une montagne et d'endroit qui, placé sur la pente d'une montagne, est à l'abri des ravages d'un torrent. Le territoire de Kheïf, dans le canton de Mina, appartenait à la tribu de Kenanéh. La mosquée qui s'y trouve fut détruite par les eaux, sous le règne du khalife Moutewekkel et rebâtie par ce prince.

[9] Cette plaine porte le nom de Bathn Na'aman et la montagne dont parle Nassir celui de Djebel Na'aman es Sihab à cause des nuages qui en enveloppent le sommet. Aboul Faradj Qoudamèh, Kitab Sana'at il kitabèh, f° 32.

L'émir Abou Abdallah Hussein ibn Selamèh était un esclave nubien qui, sous le règne d'Aboul Djeïch ibn Zyad, fut gouverneur du Tihamèh et le ministre de ce prince. Il fonda la ville de Kedra, sur le Wadi Seham et celle de Ma'qir, près de Zébid. Il agrandit et décora magnifiquement la grande mosquée de Djened qui était visitée, au rapport de 'Oumarah, avec autant de dévotion par les Arabes du Yémen que la Ka'abah de la Mekke. Djened est située dans le canton de Sekassik, dans la province du Nedjd, à la distance de cinquante-huit fersengs de Sana'a. L'émir Husseïn ibn Selamèh mourut en 428 (1036).

[10] « Thayf, dit Hafiz Abrou, est une petite ville qui a, comme grandeur, l'importance de Wadi'l Qoura et dont le climat est fort agréable; elle approvisionne la Mekke de fruits. Elle est bâtie sur la pente du mont Ghazwan qu'habitent les Benou Sa'ad (fraction de la tribu des Hawazin) et les tribus de Hodheïl. Le sommet de cette montagne est l'endroit le plus froid des environs de la Mekke et c'est le seul point du Hedjaz où l'eau gèle. Les khalifes Abbassides ont élevé dans cette ville une grande mosquée qu'ils ont décorée avec beaucoup de magnificence. Elle a été construite de façon à laisser, dans un angle à la droite du fidèle qui se tourne vers la qiblèh, le tombeau d'Abdallah ibn Abbas. La source du Wadi Na'aman el Arak se trouve à Thayf. Les cuirs et les raisins secs que l'on exporte de cette ville jouissent d'une réputation universelle. »

Yaqout nous dit que Thayf est à une journée de marche pour le voyageur qui s'y rend de la Mekke, et qu'il ne faut qu'une demi-journée à celui qui va de Thayf à la Mekke. Hussein ibn Selamèh développa la prospérité de la ville et l'entoura d'un mur d'enceinte fortifié. Il fit tailler dans le roc et ouvrir dans la montagne, qu'il faut franchir avant d'arriver à la ville, une chaussée assez large pour permettre à trois chameaux chargés d'y passer de front. Le territoire de Thayf est habité par les tribus de Thaqif, de Himyar et une fraction des Qoreïchites. Yaqout, tome III, pages 494—500.

Abdallah ibn Abbas, auteur de la dynastie des Abbassides, mourut à Thayf en l'année 68 (687) à l'âge de soixante et onze ans.

[11] Mouthar est un village qui relève de Thayf; il est à la distance de deux nuits de marche de Tebalèh, ville du Tihamèh, sur la route du Yémen. Mouqaddessy nous apprend (page 104) que l'on fabriquait à Mouthar les marmites en terre ollaire appelées bourmah.

[12] Thoureyya est une localité du district de Dharrièh où sont établis les Benou Dhibab; on y trouve de l'eau. Moudjem oul bouldân, tome Ier, page 924. Wüstenfeld, Bahreïn und Jemama, Göttingen 1874, page 210.

[13] Djémal ed-Din ibn el Moudjavir trace, en des termes qui confirment l'exactitude du récit de Nassiri Khosrau, le tableau des tribus arabes établies dans les districts situés au sud-est de Thayf.

« Tous ces districts, dit-il, renferment des villages qui ont tous à peu près la même grandeur. Chacun d'eux est habité par une fraction de tribu arabe ou par un clan de Bédouins. Ceux-ci s'opposent, par la violence, à ce qu'aucun étranger ne s'y arrête ou ne s'y fixe. Dans chaque village s'élève un château construit en pierres et en mortier, dans lequel chaque habitant a un magasin où il serre son butin et tout ce qu'il possède, et d'où il tire chaque jour ce qui est nécessaire à sa subsistance. Les gens des villages sont établis dans quatre larges rues, bâties autour du château et qui viennent y aboutir. Chaque village obéit à un cheikh, choisi parmi les anciens pour la considération qu'il a su inspirer, pour son grand âge et son intelligence. Personne ne partage l'autorité avec lui et ne fait d'opposition à ses décisions. Ces pays ne reconnaissent le pouvoir d'aucun sultan; les habitants ne payent aucun impôt et ils ne donnent que ce qu'il leur plaît. Ils sont, les uns vis-à-vis des autres, dans un état d'hostilité perpétuelle. Chacun cherche à s'emparer de ce que possède son voisin, et les parents de Zeyd font tous leurs efforts pour se rendre maîtres des biens de Amr. Ces Arabes sèment du blé et de l'orge; on trouve dans leur pays la vigne, le grenadier et l'amandier et leur nourriture consiste principalement en beurre et en miel. Ces tribus tirent leur origine de Qahthan et d'autres chefs. Tarikh Mottarutery, manuscrit de mon cabinet, pages 45—46.

[14] Djaz' ou Djaz' beni Kouz est le nom d'un territoire du Nedjd, habité par les Benou Dhibab. Une vallée du Yemamèh, où réside la tribu des Benou Teïm, porte le nom de Djaz' beni Hammaz.

[15] Le texte des manuscrits porte Nessir ou Yessir : il faut lire Nomeïr. Les Benou Nomeïr, descendants de Amir, formaient une tribu qui occupait les montagnes et les vallées d'une partie du Nedjd et du Yemamèh. On trouvait sur leur territoire deux gros bourgs, Oudakh, où l'on fabriquait beaucoup de poterie en grès, et Houdhyan, défendu par un château et entouré de champs de blé et d'orge. Je crois que c'est cette dernière localité, où se tenait un marché important, que Nassiri Khosrau .désigne sous le nom de Hisn béni Nomeïr.

Cf. Zamakhschari, Lexicon geographicum, edidit Salvedra de Grave, Leyde 1856, page 50. Yaqout, Moudjem, tome II, page 289 et passim. F. Wüstenfeld, Register zu den genealogischen Tabellen der arabischen Stämme und Familien, Göttingen 1853, page 340.

[16] Je crois que l'on petit identifier ce lieu avec Sarbah qui se trouve mentionné dans l'Itinéraire du Yemamèh à la Mekke, donné par Edrissy (tome Ier, page 155). Sarbah est situé entre Teïkhah et Djedilèh. Moudjem, tome III, page 380. Il faut lire Teïkhah et non Thandjah (Tanger), comme l’a écrit M. Am. Jaubert. Teïkhah est un bourg placé entre Zou Khouchoub et Wadi'l Qoura. Moudjem, tome III, page 668.

[17] Ces montagnes portent le nom de Djebel Thowaïq (petites coupoles). M. Palgrave donne le mot thowaïq comme le diminutif de thauq (collier). Ce sens me paraît peu satisfaisant, et thowaïq est pour moi le diminutif de coupole, arceau. Cette explication concorde avec la description que Nassiri Khosrau donne de ces rochers de basalte. W. G. Palgrave, Une année de voyage dans l’Arabie centrale. Paris 1866, tome Ier, page 298.

[18] Nassiri Khosrau écrit constamment Felidj. Il faut lire Faladj qui est le nom du village le plus considérable du district de Faladj el Afladj, à l'ouest du Yemaméh : le sol en est sillonné par de nombreux torrents. Le territoire de Faladj est habité par les tribus arabes de Djada'a et de Qoucheïr, fils de Ka'ab.

[19] La légende des Gens de la caverne et de la Tablette écrite se lit dans le Coran, chap. XVIII, vers. 8—26.

[20] Le syr représente un poids de quinze miçqal.

[21] Il faut dix dang pour faire on miçqal.

[22] La province de Yemamèh qui s'étend au nord-est de l'Arabie le long de la route de Baçrah à la Mekke, est divisée en trois districts : Yemamèh, Wachm et Faladj el Afladj. Cette oasis qui portait autrefois le nom de Pjanw était habitée par les tribus autochtones de Thasm et de Djedis. Vers l'an 250 après Jésus-Christ, les gens de Thasm furent massacrés avec leur chef Imliq ibn Habbach par Aswad ibn Djifar. Vers le milieu du Ve siècle de nôtre ère, Obeïd ibn Tha'labèh el Hanefy vint s'établir dans la province et y fonda la ville de Hadjar qui fut désignée plus tard sous le nom de Yemamèh. Sous le khalifat d'Omar ibn el Khattab, la province fut annexée au gouvernement de Hédine. Yaqout nous apprend que Hadjar, le plus considérable des bourgs du Yemamèh, était la résidence du gouverneur. Les habitants étaient d'origines diverses et chaque tribu y avait son quartier séparé. La plus nombreuse était celle des Benou Obeïd, fraction des Benou Hanifah. Yemamèh, ajoute Yaqout, avait comme étendue l'importance de Baçrah et de Koufah.

« La ville de Yemamèh, dit Hafiz Abrou, est plus petite que Médine; on y voit un grand nombre de Juifs. Quelques auteurs ne la mettent point au nombre des villes du Hedjaz. Elle est située sur la lisière des déserts d'Oman et de Bahreïn qui sont au pouvoir des Qarmathes. La province de Yemamèh renferme de nombreux villages et elle est habitée par des tribus venues d'Egypte et d'autres pays. Après la Mekke et Médine, il n'y a pas, dans le Hedjaz, de cité plus importante que Yemamèh. Wadil Qoura se trouve entre la Mekke et Yemamèh. La province de Yemamèh est une oasis au milieu du désert : on y voit des plantations de dattiers et elle est arrosée par des sources d'eaux courantes. L'imposteur Mousseïlimah prêcha dans ce pays sa fausse doctrine. On compte quinze jours de marche de Yemamèh à Koufah. Un cours d'eau, appelé Khardj, traverse cette province. » Cf. Edrissy, tome Ier, pages 155—156. Yaqout, tome II, pages 209—212, et tome IV, pages 1026—1034. F. Wüstenfeld, Bahreïn und Jemarna. Nach arabischen Geographen beschrieben. Göttingen 1874, in 4°.

[23] Les chérifs qui gouvernaient le Yemamèh appartenaient à la famille de Thabathaba, Le fondateur de cette dynastie, l'Imam Yahya el Hady, descendait de Hassan, fils d'Aly, fils d'Abou Thalib.

[24] Les Zeïdy suivent la doctrine de Zeyd, fils d'Aly, fils de Husseïn, fils d'Aly, fils d'Abou Thalib, qui affirmait que la qualité d'Imam doit appartenir exclusivement à l'un des descendants de Fathimah, fille du Prophète.

[25] El Ahssa ou Lahssa porte également le nom de Bedjer. « Cette ville, dit Mouqaddessy, est la capitale de la province de Hedjer que l'on appelle aussi Bahreïn : elle est entourée de bois de palmiers; elle est florissante et bien peuplée. La chaleur y est très forte et les disettes y sont fréquentes.

Elle est éloignée d'une journée de marche du bord de la mer, et elle est le centre de tout le commerce de cette région; elle est la capitale de la dynastie Qarmathe d'Abou Sayd. Le gouvernement est vigilant et équitable. Il n'y a pas de service religieux dans la grande mosquée qui est abandonnée. »

Au rapport de Yaqout, Lahssa fut entourée d'une muraille par Abou Thahir, fils d'Abou Sayd, en 317 (929). Tous les géographes orientaux s'accordent à vanter, jusqu'au XIIIe siècle, la prospérité de Lahssa. Cf. Mouqaddessy, page 98, Yaqout, tome Ier, page 148, et tome IV, page 954.

[26] M. de Goeje a publié, sur l'histoire des Qarmathes du Bahreïn et sur Abou Sayd, un mémoire dans lequel il a résumé tous les renseignements qu'il a pu recueillir dans les ouvrages des géographes et des historiens arabes. Ce travail forme le premier fascicule des Mémoires d'histoire et de géographie orientales, Leyde 1862.

[27] Abou Sayd fut assassiné en 301 (913) avec ses principaux officiers dans le château de Lahssa par l'ordre d'Obeïd oullah. Il fut surpris par les meurtriers pendant qu'il était au bain.

[28] Ce palais portait le nom de Dar el Hidjrèh (maison du Refuge ou de la Retraite). De Goeje, page 40 du mémoire cité plus haut.

[29] Ce fut Abou Thahir, fils d'Abou Sayd qui enleva la pierre noire de la Mekke en 317 (929). Elle fut restituée par les Qarmathes en 339 (950). Le chérif Abou Aly Omar ibn Yahya el Alewy fut chargé par le khalife Mouthy' lillah de négocier cette restitution. Les Qarmathes transportèrent la pierre noire à Koufah, où elle resta suspendue au septième pilier de la grande mosquée, avant d'être replacée à l'angle de la Ka'abah.

[30] La province de Bahreïn (les deux mères) s'étend, le long du golfe Persique, depuis Baçrah jusqu'à l'Oman, et jusqu'au Yemamèh dans la direction de l'ouest. Elle est ainsi nommée parce qu'elle est située entre la mer de Fars à l'ouest et un lac salé, le Bohaïrah Hedjer, qui se trouve situé sur la frontière de l'est Ibn Moudjavir nous fournit plusieurs étymologies. J'en rapporte une ici. « Les habitants de ce pays, dit-il, prétendent qu'il y a deux mers ou plutôt deux couches d'eau superposées : la couche supérieure est extrêmement salée, tandis que celle du fond est formée par une eau douce et d'un goût agréable. Les plongeurs attestent la réalité de ce fait. » La province de Bahreïn n'est, en grande partie, qu'un désert coupé de dunes de sable mouvant. On y trouve cependant des cantons d'une extrême fertilité et qui produisent en abondance du blé et des dattes. Le Bahreïn était habité par la tribu des Abd el Qaïs ibn Afçâ qui étaient venus du Tihamèh. En l'an 6 ou 8 de l'Hégire (627 ou 629), Mohammed envoya dans le Bahreïn qui était gouverné par Ispidvéh au nom du roi de Perse, Ala ibn Abdallah ben el Hadhramy pour engager la population à se convertir à l'islamisme. Les Arabes et les Persans embrassèrent la nouvelle religion, mais les Juifs et les chrétiens préférèrent payer la capitation. Sous les Omeyyades, Bahreïn relevait de l'Iraq; sous les Abbassides, cette province fut rattachée à l'Oman et au Yemamèh, et elle n'en fut séparée qu'au moment où les Qarmathes s'y établirent. Dans le groupe des îles de Bahreïn, la plus grande porte le nom d'Awal et sa capitale celui de Sarin. Ibn Moudjavir dit que l'on y comptait trois cent soixante villages et que les habitants étaient des hérétiques Imamièh très fanatiques. Leur nourriture consistait exclusivement en poisson et en dattes. Wüstenfeld, Bahreïn und Jemamah, pages 1—6. Istakhry, page 26. Mouqaddessy, page 93. Edrissy, tome Ier, pages 372—373, et Yaqout, tome Ier, pages 506—511.

[31] Edrissy (tome Ier, pages 372—378) et Ibn Batoutah (tome II, pages 344—346) ont décrit, en grands détails, la pêche des perles à Bahreïn.

[32] La province d'Oman est très fertile: elle est sillonnée par de nombreux canaux et on y remarque un grand nombre de jardins, de vergers et de plantations de palmiers. La capitale porte le nom de Nazoua. Au rapport d'Ibn Batoutah, les marchés de cette ville sont beaux, les mosquées magnifiques et propres. Les habitants, qui appartiennent à la secte des Ibadhy, prennent leurs repas en commun dans les cours des mosquées, chacun apportant ce dont il peut disposer. Les principales villes de l'Oman sont Zaky, el Qourryyat, Chaba, Kelba, Khaour Foukkan et Souhhar. Les princes qui gouvernaient l'Oman appartenaient à la tribu d'Azd, fils d'el Ghaouth. Ibn Batoutah, Voyages, tome II, pages 227—229.

[33] La province de Mekran ou Mokran est bornée au nord par le Sedjestan, au sud par la mer des Indes, à l'est par l'Inde, et à l'ouest par le Kerman. Dictionnaire géographique de la Perse, pages 539—540.

[34] L'île de Kich ou de Qaïs a quatre fersengs carrés de superficie. La ville capitale est belle et entourée de jardins et de maisons de plaisance. L'île est arrosée par des canaux et elle produit du blé et des dattes.

Ibn Moudjavir a consacré, dans son Tarikh Mostanssery, un chapitre à l'île de Kich ou de Qaïs. Il renferme des renseignements que je n'ai trouvés dans aucun autre géographe arabe, et je crois devoir en insérer ici une partie. « L'île de Qaïs, dit-il, a trois fersengs carrés : on y voit beaucoup de dattiers et des plantations de qarazh (espèce d'acacia dont le fruit sert à tanner le cuir) qui sont la propriété du sultan. Il suffit de faire un trou dans le sable avec les mains, pour voir jaillir une eau pure, douce et agréable au goût. Un canal souterrain, creusé par les rois à une époque ancienne, coule à travers le jardin du prince. Il est alimenté par de l'eau provenant de sources et de torrents, et il remplit des réservoirs et des bassins. Les habitants ne mangent que du poisson pilé avec des dattes. Pendant leurs repas, ils ne se servent que de la main droite : celui qui romprait avec la main gauche ce qu'il doit porter à la bouche, serait déshonoré. Les maisons construites en pierre et en plâtre sont fort hautes et ont jusqu'à sept étages.

Chacune d'elles semble être un château-fort… Cette île doit son nom, selon les uns à Qaïs ibn Moulawwah, selon les autres à Imr oul Qaïs. Mais l'opinion la plus exacte est celle qui fait remonter sa dénomination à Qaïs ibn Zohaïr. Les habitants portent des vêtements faits avec les étoffes de Mehdyèh dans le Maghreb ; les bouts flottants de leurs turbans sont fort longs. Le prince de Qaïs n'a ni cavalerie ni infanterie ; tous les gens de l'île sont marins …. Les femmes portent des vêtements noirs. Quand un homme se marie, et qu'il constitue un douaire de cent dinars à sa femme, celle-ci lui remet une somme égale, et l'on rédige un acte authentique constatant que le mari est débiteur d'une somme de deux cents dinars. A Qaïs, les hommes sont soumis à leurs femmes, et ils ne font rien à l’encontre de leurs volontés. Une pareille conduite n'est pas conforme aux paroles du Prophète qui a dit : « Consultez-les, mais agissez contrairement à ce qu'elles diront, car la bénédiction est attachée à l'opposition qui leur est faite. » Ibn Moudjavir nous apprend en outre que, de son temps, la moitié des revenus de l'île était attribuée au khalife de Bagdad qui y entretenait un agent fiscal. Le prince de Qaïs s'était réservé le monopole de la vaisselle de grès et des bambous ; personne autre que lui ne pouvait en acheter ni en vendre. Cf. Dictionnaire géographique de la Perse, pages 499—500.

[35] L'extrême abondance de ces fruits avait donné lieu au proverbe : « C'est comme celui qui porte des dattes à Hedjer ». Ce dicton est rapporté par Ibn Batoutah, qui nous dit aussi que les habitants nourrissaient leurs bêtes de somme avec des dattes. Voyages d'Ibn Batoutah, tome II, page 248. Aboulféda nous apprend, de son côté, que l'on transportait des dattes de Lahssa à Khardj et que l'on en donnait deux charges pour une de blé.

[36] Les anciens géographes orientaux ne donnent point de détails sur la province de Qathif. La ville principale qui portait le même nom était, dit Ibn Batoutah, une place grande, belle et possédant beaucoup de palmiers. Elle était habitée par des tribus d'Arabes, Bafidhites outrés et manifestant ouvertement leur hérésie, sans craindre personne. Voyages etc., tome II, page 247.

[37] Le texte des manuscrits porte Yemamèh, mais il faut évidemment lire Lahssa.

[38] « Le mot Baçrah, dit Hafiz Abrou, a la signification de terrain couvert de pierres. Deux villes portent ce nom, l'une est celle de l'Iraq, l'autre se trouve dans le Maghreb, non loin de la ville de Sous. Baçrah a été fondée en 14 de l'Hégire (635), deux ans avant Koufah, par 'Outbah, fils de Ghazwan. L'expression Baçratan (les deux Baçrah) désigne cette dernière ville et Koufah Baçrah atteignit à l'époque des Omeyyades le plus haut degré de prospérité ; sa population montait à un chiffre très élevé. La ville est bâtie sur la lisière d’un désert qui s’étend à l'orient et dans lequel on ne trouve aucune végétation, elle possède quatre grandes mosquées où l'on fait la prière du vendredi. Elle est entourée du côté du nord, de l'ouest et du sud, par une haute muraille en terre, le côté de l'est, bordé par des canaux, n’est protégé par aucune enceinte. On ne peut traverser les canaux qu’en barque. Il n'existe pas, dans le monde entier, de lieu qui soit plus couvert de canaux et d'eau que les environs de Baçrah. Les maisons sont toutes construites en briques cuites Le sol est imprégné de sel, et l'eau des puits est tellement saumâtre qu'il est impossible de la boire On l’emploie dans les bains et l'on s’en sert pour faire le mortier. L'eau potable est apportée du dehors par des saqqaa qui la vendent On a dépensé, a l'époque des khalifes, des sommes énormes pour en amener dans un grand bassin au moyen de tuyaux en cuivre et en plomb Les gens des quartiers voisins y font leur provision, mais, comme elle se gâte rapidement dans ce bassin, les pauvres vont seuls y puiser. Les riches font venir leur eau du canal de Maqil. »

Mouqaddessy n’a consacré qu'une courte notice à Baçrah. Il mentionne trois grandes mosquées, trois marchés dont il mai que l'emplacement, et les portes de la ville. Il se plaint du manque d'eau, des variations de la température et de l'insalubrité du climat (pages 116—117)

Yaqout, au contraire, raconte en grands détails l'histoire de la fondation de la ville et il enregistre les louanges et les critiques dont elle a été l’objet Moudjem, tome Ier, pages 636—656.

La décadence de Baçrah avait déjà commencé au Xe siècle de notre ère.

[39] Ce canal porte le nom de Ma'qil ibn Yessar el Mouzeny qui le fit creuser sur l'ordre du khalife Omar ibn el Khattab. Son embouchure se trouvait non loin du canal d’Idjdjanéh. Ma'qil ibn Yessar mourut en 60 (679) à Baçrah, lorsque Obeïd oullah ibn Zyad en était gouverneur. Cf. Yaqout, Moudjem, tome IV, page 844. D'Anville, Mémoire sur le cours du Tigre et de l’Euphrate, Paris 1779, page 134.

[40] « Le canal d'Ouboullèh, dit Hafiz Abrou, est de tous les canaux de Baçrah celui qui jouit de la plus grande célébrité. Un dicton assure qu'il y a, dans le monde, quatre sites auxquels on n'en saurait comparer un cinquième sous le rapport du charme, de l'agrément, de la fertilité et de l'abondance de tous biens. Ce sont le Soghd de Samarkand, la vallée de Bewan dans le Fars, le Ghouthâh de Damas en Syrie, et enfin le canal d'Ouboullèh. Abou Bekr Kharezmy a écrit ce qui suit : « J'ai vu ces quatre sites; le Soghd de Samarkand est le plus fertile, mais le canal d'Ouboullèh est celui qui offre le plus de charmes. » Le canal d'Ouboullèh a été dérivé de l'Euphrate et amené jusqu'à Baçrah. Il a une largeur de cent ârech; son lit est tellement profond que les eaux ont une profondeur de quinze guez lorsqu'elles sont basses, et de plus de trente lorsqu'elles sont hautes. Ce canal, pris sur la rive occidentale de l'Euphrate, coule de l'ouest à l'est. On compte quatre fersengs de son embouchure à Baçrah. Les deux rives sont couvertes de jardins bien entretenus, de plantations de dattiers et de constructions magnifiques qui se succèdent sans interruption. On a, sur les deux bords, dérivé un grand nombre de canaux qui sont navigables et sillonnés continuellement par des barques. »

[41] Khosrau Firouz Abou ou Aba Kalindjar avait succédé à son père Firouz Abou Kalindjar Merzban Izz el-Moulouk en 440 (1048). Il prit, à son avènement, le surnom de Melik er Rahim. Il mourut en 450 (1058).

[42] Abou Mansour, fils de Chah Merdan, vizir de Melik er Rahim, avait fondé à Baçrah une bibliothèque qui contenait les ouvrages les plus précieux; elle fut détruite lors du pillage de cette ville par les Arabes des confins de la province de Lahssa, au mois de Djoumazy el evvel 483 (juillet 1090). Kamil fit tarikh, tome X, pages 121—122.

[43] Mouqaddessy (page 118) désigne les emplacements ou se tenaient ces trois marchés. Hafiz Abrou, qui donne les mêmes détails que Nassiri Khosrau, ajoute ces mots : « Les marchands d'étoffes, les banquiers et les négociants se réunissent au marché qui se tient depuis trois heures de l'après-midi jusqu'à la nuit. Les banquiers jouissent, pour leurs affaires, d'un monopole qui leur est conféré par les gouverneurs de Baçrah. » Mouqaddessy nous apprend que Azhed ed Daouléh avait fait construire à Kazroun, ville peu éloignée de Baçrah, une bourse qui rapportait chaque jour au fisc une somme de dix mille dirhems (page 434).

[44] La tribu des Benou Mazin, descendants de Malik, était établie à Safar, entre Médine et Baçrah. Outbah, fils de Ghazwan, qui fonda Baçrah, appartenait à cette tribu.

[45] Leïla, fille de Massoud ibn Khalid en Nehchely et Temimy, donna le jour à Obeïd Oullah et à Abou Bekr, qui furent l'un et l'autre tués en même temps que Husseïn.

[46] La Porte des parfums ou la porte de Thyb. Thyb est une petite ville située entre Wassith et le Khouzistan.

[47] Ouboullèh s'élève sur le bord du Didjlèt el Ouzhma, dans l'angle formé par l'embouchure du canal qui porte son nom et qui a, en cet endroit, une largeur de deux cents guez. Ouboullèh était une ville plus ancienne que Baçrah. Les rois de Perse y entretenaient à l'époque du khalifat d'Omar une garnison commandée par un général. Mouqaddessy, page 118. Yaqout, tome Ier, pages 97—99.

[48] Les noms des districts relevant de Baçrah sont, dans les manuscrits que j'ai eus à ma disposition, écrits d'une manière fort irrégulière et quelques-uns sont même à peu près illisibles. Les mots Cherrebèh, Mouqym, Soumd, Merrout, Chérir désignent également des localités du Hedjaz et du Nedjd. On peut supposer que les Arabes des différentes tribus qui se fixèrent dans les environs de Baçrah, donnèrent aux lieux où ils s'établirent, des noms de leur pays d'origine. L'histoire orientale nous fournit de nombreux exemples de ce fait.

[49] Belas, dit Yaqout, est le nom d'un district situé entre Wassith et Baçrah et habité par une tribu arabe célèbre par sa générosité et ses vertus hospitalières. Moudjem, tome Ier, page 708.

[50] Le district de Missan renferme un nombre considérable de villages et de palmiers. Il s'étend entre Baçrah et Wassith. Le chef-lieu porte également le nom de Missan. Le tombeau du prophète Ouzeïr (Esdras) est dans un de ces bourgs, les Juifs l'entretiennent avec le plus grand soin et y apportent des ex-voto. Moudjem, tome IV, page 814.

[51] Ce canal tire son nom de Harb ibn Selm ben Abdillah. Moudjem, tome IV, page 836.

[52] El Mechan est le nom d'un petit canton non loin de Baçrah, qui produit en abondance des fruits et des dattes. Mechan a la signification de dattes fraîches.

[53] Il est évident pour moi qu'il faut substituer ici le nom de Houweïzèh.

[54] Le texte porte Ouboullèh, mais il faut lire Baçrah.

[55] Au sud d'Ouboullèh et en face de cette ville, dit Hafiz Abrou, se trouve Chiqq Osman (Chiqq a la signification de canal dérivé d'un autre plus grand). On remarque sur les bords de ce canal des lieux de plaisance, des jardins, des vergers, des bazars, des bains et des constructions élevées; il a, devant la ville, une grande largeur, et au moment de la marée, l'eau atteint la hauteur de trente guez au-dessus de son lit; lorsque la mer est basse, elle a encore plus de quinze guez de profondeur.

On a dépensé des sommes considérables pour établir à Ouboullèh et à Chiqq Osman des escaliers en pierre sur les bords du canal. Les marches sont, pendant le flux, couvertes par l'eau. On peut, pendant la marée basse, lorsqu'elles sont à sec, descendre jusqu'à l'eau pour transporter les marchandises à bord des navires et s'embarquer ou débarquer. Ce canal est sans cesse sillonné par des bateaux circulant d'une rive à l'autre. Dans les environs de Chiqq Osman, les villages sont séparés les uns des autres par des mares, et l'on y voit aussi un grand nombre de terrains couverts de roseaux.

[56] Le mot boucy désignant une espèce de navire, se trouve dans Albert d'Aix sous la forme buza. « Verum dehinc septem diebus evolutis, sex ab Assur exiens, navem quae dicitur Buza ascendit. » Hist. Hieros., Lib. IX, p. 330 dans les Gesta Dei per Francos.

[57] « Abbadan, dit Hafiz Abrou, est une petite ville bâtie sur le bord septentrional de la mer de Fars; les eaux du Tigre et de l'Euphrate qui se jettent dans cette mer après s'être réunis, l'entourent de tous les côtés. Il n'y a à Abbadan ni champs cultivés ni verger. La nourriture des habitants consiste presque entièrement en poisson. Cette ville doit, dit-on, son nom à Abbad, fils de Husseïn. La plupart des habitants ont fait vœu de pauvreté et se livrent aux pratiques de la dévotion et de la vie ascétique. Tous les navires qui prennent la direction du sud-est pour aller à Oman et à Bahreïn, passent devant Abbadan. » Mouqaddessy nous apprend, en outre, que les nattes en jonc d'Abbadan étaient fabriquées par les religieux établis dans les ribath ou couvents de cette ville (page 118).

[58] Massoudi mentionne, en quelques mots, trois khachâb ou échafaudages en bois élevés dans la rade de Djerrarèh, non loin d'Ouboullèh et d'Abbadan : on y entretenait pendant la nuit des feux allumés. Lee Prairies d'or, tome I, page 230. Ces postes d'observation sont aussi mentionnés par Isthakhry, ibn Haukal et Mouqaddessy. Edrissy qui les décrit fort succinctement, dit qu'ils se trouvaient à six milles d'Abbadan. Géographie, tome 1er, page 370. M. Reinaud interprétant un passage d'Aboulféda n'a vu, à tort, dans les khachâb que « des pieux qui sont enfoncés dans la mer et auprès desquels, quand la mer est basse, les navires se retirent sans les dépasser, de peur de toucher le fond ». Mémoire sur le commencement et la fin du royaume de la Mezène et de la Kharacène etc. Paris, 1861, page 4.

[59] Yakoub, fils de Leïs es Saffar, premier prince de la dynastie des Saffârides, gouverna de 254 à 265 (868—878) le Sedjestan et une partie du Khorassan qu'il avait enlevés au khalife Mou'temed.

[60] Nassiri Khosrau fait de cette ville une description plus détaillée que celles qui nous sont données par Istakbry, Ibn Haukal, Mouqaddessy et Yaqout. Hafiz Abrou ne lui a consacré qu'une courte notice dont je donne ici la traduction : « Mehrouban, dit-il, est une petite ville bâtie sur le bord de la mer et dont les murailles sont battues par les flots. L'air y est plus chaud et plus malsain qu'à Richehr. Elle se trouve sur le passage des navires qui se rendent du Fars dans le Khouzistan et les droits perçus sur ceux-ci, forment la plus grande partie de ses revenus. Ou ne trouve, à Mehrouban, en fait de fruits que des dattes. Dans les troupeaux, il y a plus de béliers que de brebis. On engraisse à Mehrouban comme à Baçrah des chevreaux qui atteignent le poids de quatre-vingts ou cent rathls. On récolte en abondance, dans cette localité, du lin que l'on exporte en tous lieux. »

[61] Tewèh, Tewedj ou Tevvez est située dans un désert privé d'eau et où la chaleur est excessive. On fabriquait dans cette ville des étoffes de coton appelées Tewezièh : ces tissus, d'une extrême ténuité, étaient rehaussés de couleurs très vives et de fils d'or. Cf. Dictionnaire géographique de la Perse, pages 142—143.

[62] Yaqout a reproduit, dans la notice qu'il a consacrée à Kazroun, les détails intéressants que lui ont fournis les ouvrages d'Ibn Haukal et de Mouqaddessy. Cf. Dictionnaire géographique de la Perse, pages 472—473.

[63] Firouz Abou (ou Aba) Kalindjar Izz el Moulouk, fils de Merzban, laissa neuf fils : Firouz Khosrau qui lui succéda et prit le surnom de Melik er Rahim, Abou Mansour Foulad Soutoun, Abou Thalib Kamran, Aboul Mouzhaffer Behram, Abou Aly Key Khosrau, Abou Sayd Khosrau Chah et trois autres en bas âge.

Abou Mansour Foulad Soutoun se révolta à Chiraz contre l'autorité de son frère : il se réfugia dans le château d'Istakhr (Persépolis) et y soutint, avec sa mère, un siège contre son frère Abou Sayd Khosrau Chah. Les hostilités entre Melik er Rahim et ses frères désolèrent le Khouzistan et le Fars jusqu'en 447 (1066), année en laquelle Abou Mansour qui avait reconnu la suzeraineté de Thogroul beik, fut obligé de s'enfuir de Chiraz et de se réfugier à Firouzâbad.

[64] Arghan est le nom persan auquel les Arabes ont donné la forme Erdjan ou Erradjan. « Arghan, dit Istakhry, est une ville importante et prospère ; les palmiers et les oliviers s'y trouvent en abondance : son territoire qui renferme des plaines et des montagnes est bordé par la mer et s'étend loin dans l'intérieur. Arghan est à soixante fersengs de Souq el Ahwaz, à la même distance de Chiraz et à une journée de marche de la mer. » Mouqaddessy nous fournit sur cette ville des détails intéressants que je crois devoir insérer ici : « Erradjan, dit cet auteur, est une ville extrêmement prospère et qui abonde en tous biens. Les habitants sont généreux et hospitaliers. On y voit, en même temps, de la neige et des dattes fraîches, des citrons et du raisin; les figues et les olives y sont à profusion. On y fabrique du dibs (en persan douchâb, sirop épais fait avec du jus de raisin) d'une qualité supérieure et du savon. Elle approvisionne le Fars et l'Iraq et elle est l'entrepôt du Khouzistan et d'Ispahan. Un gros cours d'eau partage la ville en deux parties. La grande mosquée qui est belle et bien entretenue s'élève à côté des bazars; le minaret est fort haut et d'une construction élégante. La mosquée et le minaret sont bâties en pierres qui ne sont point reliées entre elles par du mortier. Le marché des marchands de soieries rappelle par sa disposition celui de Sedjestan. On en ferme les portes toutes les nuits. Les rangs des boutiques sont disposés en forme de croix et les portes qui sont aux quatre côtés sont placées l'une vis-à-vis de l'autre. Il est impossible de rien voir de plus beau que le marché au blé. Erradjan est très propre et le séjour en est agréable pendant l'hiver. La ville est cachée à la vue par les plantations de palmiers et les jardins qui l'environnent. L'eau des puits y est douce. On ne trouve rien à redire à ses pains, à ses poissons, à sa neige et à ses fruits frais; seulement la température est, pendant l'été, aussi ardente que celle de l'enfer. L'eau de la rivière devient salée depuis l'époque des raisins jusqu'à celle des pluies. Nulle part ailleurs, les femmes ne sont aussi loquaces. Il y a, à Erradjan, six grandes rues: la rue d'Ahwaz, la rue de Chiraz, la rue de Rouçafèh, la rue du Meïdan et la rue des Mesureurs jaugeurs. Cette ville a été conquise (pour l'islamisme) par Osman ibn Abil 'Assy. La grande mosquée a été construite par Hadjdjadj. »

« Arghan, dit Hafiz Abrou, a été fondée par Qobad, fils de Firouz, père de Nouchirevan. Les Ismaïliens s'en sont emparés et l'ont ruinée. Elle est traversée par une grosse rivière qui porte le nom de Thab et que l'on passe sur un pont appelé Pouli Tekan. Il y a, dans cette ville, en outre de cette rivière, un grand nombre de cours d'eau. Le sol est très fertile et produit toutes sortes de fruits et surtout une espèce de grenade mellissy (sans pépins durs). Les habitants qui sont d'une nature pacifique, ont beaucoup à souffrir des courses des gens des châteaux de Thanbour et de Dizkelat. Ces attaques fréquentes amènent la décadence de la ville. »

Isthakhry nous apprend que le Thab prend sa source près de Bourdj dans les montagnes d'Ispahan, qu'il se jette dans ta rivière de Messen et qu'après avoir passé à Erradjan et arrosé la banlieue de Richehr, il se décharge dans la mer, non loin de la frontière du district de Touster.

[65] Lourdghan ou Lourdejan est le nom de la ville principale du canton de ce nom dans la province d'Ahwaz.

[66] Voir Appendice IV.

[67] Mouqaddessy (pages 386—390) et Yaqout, dans son Moudjem (tome Ier, pages 292—298, et Dictionnaire géographique de la Perse, pages 40—48) nous ont donné une description d'Ispahan qui a porté successivement les noms de Djeyy et de Yehoudièh. Lorsque Nassiri Khosrau arriva dans cette ville, elle venait de subir un long siège. Thogroul beik l'avait investie en 442 (1050) après en avoir ravagé les environs; de nombreux combats se livrèrent sous ses murs et les habitants proposèrent au sultan, s'il consentait à s'éloigner, de reconnaître sa suzeraineté et de lui payer une forte rançon. Thogroul beik, ayant exigé la reddition de la place, la résistance se prolongea. Les habitants, vaincus par la famine, durent capituler. La détresse avait été si grande que l'on avait démoli la grande mosquée pour se procurer du bois. Thogroul beik fit son entrée dans la ville au mois de Moharrem 443 (mai—juin 1051); il en fit sa capitale et il y fit transporter les trésors, les munitions et les armes qu'il avait mis à Rey. Il fit démolir une partie des fortifications qui avaient été augmentées par l'émir Abou Mansour ibn Ala ed Daoulèh Kakouièh.

[68] Les gouverneurs des villes étaient, au XIe et XIIe siècles, désignés en Perse sous le nom d’Amid.

[69] Mesky ou Meskyan est le nom d'un canton qui s'étend le long de la frontière du Kerman. Son territoire a une étendue de trois journées de marche; il est traversé par quelques cours d'eau et on y voit des plantations de palmiers. On y trouve aussi les productions des climats tempérés. Dictionnaire géographique etc., page 535.

[70] Nayyn est la capitale du district de ce nom qui fait partie de la province de Yezd. L'enceinte fortifiée qui la défend a quatre mille pas de circonférence. Dictionnaire géographique etc., page 561.

[71] Les Goufdj, Kouféhdj ou Qoufs, selon l'orthographe des géographes arabes, formaient une des trois tribus établies dans les montagnes du Kerman; ils se livraient au pillage sur les routes du Fars, du Khorassan, du Djibal et du Sedjestan. « Nous partîmes de Thabès, dit Mouqaddessy, pour nous rendre dans le Fars et nous passâmes soixante-dix jours dans ce pays de montagnes, allant d'un district dans un autre, tantôt nous rapprochant du Kerman tant de la province d'Ispahan… Ces âpres montagnes servent de refuge à des tribus nommées Qoufa qui sortent d'une autre montagne, située dans le Kerman, leur patrie. Ce sont des hommes barbares, d'un extérieur farouche et d'une excessive cruauté. Ils ne reconnaissent pas de maître et vivent de rapines; non contents de piller les caravanes, ils tuent les voyageurs; ils posent la tête de leurs prisonniers sur une large dalle et l'écrasent, à coups des pierres, comme on écrase les serpents. Je leur demandai pourquoi ils avaient adopté ce genre de supplice, ils me répondirent qu'ils évitaient ainsi d'émousser le tranchant de leurs sabres ... Leur arme habituelle est la flèche, cependant ils emploient aussi le sabre. Azhed ed Daoulèh tua un grand nombre de Qoufs et les dispersa. »

Er Rohny a donné sur les Qoufs des détails qui ont été, ainsi que le récit de Mouqaddessy, insérés par Yaqout dans l'article qu'il leur a consacré dans son Moudjem. Cf. Dictionnaire géographique de la Perse, pages 452— 455.

[72] Istakhry a indiqué, dans sa géographie, les différentes routes suivies dans le Mefazèh ou désert que Nassiri Khosrau désigne sous le nom persan de Biâban. Il décrit (page 231) celle qui, partant de Nayyn, aboutissait à Thabès et qui fut parcourue par Nassiri Khosrau. « De Nayyn, dit-il, on arrive à un endroit cultivé situé à un ferseng de cette ville et appelé Bounèh. Il n'y a pas, dans ce lieu, plus de deux ou trois habitants; une source d'eau vive sert ù l'irrigation des champs. On compte quatre étapes de Bounèh à Djermaq. Sur cette route, on rencontre de petits édifices surmontes d'une coupole à la distance de deux ou trois fersengs l'un de l'autre. Djermaq porte le nom Sidèh (les trois villages) : ce sont Biadaq, Djermaq et Arabéh qui sont considérés comme faisant partie du Khorassan. On y remarque des plantations de palmiers, des champs cultivés, des sources vives et de nombreux troupeaux. Ces villages ont une population que l'on peut évaluer à mille habitants mâles. Ils sont situés l'un près de l'autre, et on les embrasse d'un seul coup d'œil. On compte quatre étapes de Djermaq à Naokhany. On rencontre aussi, tous les trois ou quatre fersengs, une petite coupole et un réservoir rempli d'eau. De Naokhany, on atteint Ribath Haouran après une journée de marche, puis après une courte étape, on gagne le village d'Atechguehan. D'Atechguehan, on arrive à Thabès. » Djermaq et Biadaq sont les formes arabisées des noms de Guermèh et de Piadèh qui se lisent dans le texte de Nassiri Khosrau.

[73] Thabès, dit Isthakhry, est une ville plus petite que Qayn : les maisons sont construites en terre et elle est entourée d'une enceinte fortifiée. Elle n'a point de château. Le climat est chaud. Les dattes sont très abondantes, et l'eau y est amenée par des canaux (page 274).

Mouqaddessy (page 321), dans sa description de Thabès, nous apprend que le marché y était petit, que la grande mosquée était d'une construction élégante, et que les habitants puisaient leur eau potable dans des bassins alimentés par des canaux à ciel ouvert. Il dit, en outre, que les bains y étaient bien tenus.

[74] Isthakhry, ibn Haukal et Yaqout ne mentionnent point cette localité. Mouqaddessy n'en dit que quelques mots. « Raqqah est une petite ville située non loin du désert. L'eau potable, ainsi que celle pour les irrigations, est fournie par des sources. » (page 321)

[75] Le nom de Toun ne se trouve pas non plus dans les traités géographiques d'Isthakhry et d'Ibn Haukal. « Toun, dit Mouqaddessy, est une ville prospère et bien peuplée; elle est moins grande que Qayn et elle renferme un grand nombre d'ateliers de tissage et d'ouvriers qui travaillent la laine. Elle est entourée d'une enceinte fortifiée; l'eau potable est fournie par un canal à ciel ouvert, qui coule non loin de la grande mosquée » (page 321).

[76] Gounâbad ou Djounabed, est te nom du chef-lieu d'uu canton du Qouhistan, dans la province de Nichapour.

[77] « Djounabed est entourée de canaux qui ont cinq cents et même sept cents coudées de profondeur: ils vont du end au nord sur une étendue de quatre farsakhs. » Dictionnaire géographique de la Perse, page 165, note.

[78] Qayn, dit Isthakhry, est une ville qui est, à peu près, aussi grande de Serakhs. Les maisons sont construites en terre. Qayn possède un château-fort entouré d'un fossé. La grande mosquée et le palais du gouverneur sont dans l'intérieur de ce château. L'eau est amenée dans la ville par des canaux souterrains. Les jardins sont peu nombreux et les villages des alentours clairsemés. Qayn appartient à une région dont la température est froide. Mouqaddessy fait de Qayn un tableau peu attrayant. « Qayn, dit-il, est la capitale du Qouhistan; elle n'est ni agréable ni abondante en eaux; elle est au contraire petite, les rues sont étroites et l'on y souffre de la soif. Le dialecte que l'on y parle est affreux. C'est une ville sale offrant peu de ressources pour la vie. Son château est très solidement fortifié. Son nom est connu avantageusement dans l'Oman. Elle exporte beaucoup de soieries et elle voit affluer les caravanes, elle est l'emporium du Khorassan, le trésor du Fars. L'enceinte qui l'entoure est percée de trois portes : Bab Kouren, Bab Kelawedj et Bab Zoqaq Isthakhi (page 321).

[79] Le Felek oul Eflak est la neuvième voûte céleste.

[80] Abi Guerm (eau chaude), désigne probablement une source qui jaillit à la suite du tremblement de terre de 203 (818) dont il est question dans la note suivante.

[81] Je crois qu'il faut lire, au commencement de la relation de Nassiri Khosrau et ici, Sengan au lieu de Senglan. Sengan était le nom d'un bourg considérable du district de Merw, et une des portes de la ville était désignée sous le nom de Bab Sendjan ou Sengan.

[82] Sèh Derèh n'est mentionné par aucun géographe arabe. Aboul Faradj Dja'fer ibn Qoudamèh nous donne sur cette localité quelques détails intéressants : « Il y a, dit-il, six fersengs de Chibourghan à Sèh Derèh qui est un district de la province de Balkh. Il n'y avait, autrefois, dans ce lieu qui inspirait la terreur, que la route suivie par les courriers de la poste et des khans (caravansérails). Lorsque le tremblement de terre qui eut lieu en l'année 203 (818) se fit sentir dans le Khorassan et dans les provinces de Merw et du Thakharistan, il jaillit à Sèh Derèh une source abondante dont les eaux s'écoulèrent dans le désert en grande partie sablonneux et couvert de roseaux, qui s'étend jusqu'à Merw. Sèh Derèh devint alors un gros bourg entouré de champs cultivés et d'arbres. Sana'at el Kitabèh, manuscrit de mon cabinet, f° 42 v°.

[83] Destguird est cité par Yaqout comme étant un village relevant de Balkh. On le désignait, pour le distinguer d'autres localités portant le même nom, sous celui de Destguirdi Djemouguian

[84] Belazori, Liber expugnatorum regionum, edidit de Goeje, pages 815—316.

[85] M. Schlimmer a consacré un long article à cette substance dans sa Terminologie médico-pharmaceutique et anthropologique française-persane. Téhéran 1874, in-f°, pages 356—360.

[86] L'émir el Himayèh était, ainsi que l'indique son nom, l'officier chargé de défendre et de protéger les habitants de la campagne contre les incursions des tribus turques.

Le mot himayèh désignait en Egypte un impôt prélevé sur les terres et les marchandises. Cf. Quatremère, Histoire des Sultans mamelouks, tome II, 2e partie, p. 129.

[87] Burnes a donné quelques détails sur l'état actuel du Mourghab, sur le lac ou bassin formé par ses eaux et sur la ruine de la digue. Voyages de l’embouchure de l’Indus à Lahore, Caboul, Balkh et Boukhara, traduits par M. Eyriès. Paris 1835, tome III, pages 1—3.

[88] L'histoire nous a conservé les noms de membres de cette famille. L'un d'eux, Fadhl ibn Mahan, client des Beni Samah, conquit, dans le Sind et dans l'Inde, sous le règne de Mamoun, des territoires dont son fils Mohammed ibn Fadhl fut le gouverneur. Le frère de Fadhl, Mahan, fut mis à mort par les Indiens.

[89] Aboul Djaham el Kelby avait joué un rôle important dans les événements qui assurèrent le khalifat aux Abbassides.

[90] Gour est une ville de la province de Fars, à vingt fersengs de Chiraz; elle a porté plus tard le nom de Firouzâbad.

[91] Le mot Mourabba'ah, dans le sens de marché, bazar, est la traduction exacte de l'expression persane Tcharssou.

[92] Ibn Batoutah mentionne particulièrement les quatre collèges qui s'élevaient dans le voisinage de la grande mosquée. Voyages, tome III, page 80.

[93] Topographie de l’Égypte et du Caire, tome Ier, pages 194 -197 et 202—203. Ces deux chapitres ont été insérés, avec des additions tirées d'ouvrages orientaux, par M. Et. Quatremère dans ses Mémoires historiques et géographiques sur l’Égypte, tome II.

[94] Le nom de cette localité fait supposer que l’on y réunissait les objets trouvés sur la route.

[95] Le mot est mutilé dans le texte : il faut, je crois, lire Assouan.

[96] Le mot Chaghib a la signification de « placé en dehors de la route, qui est éloigné du chemin ».

[97] Le mot Ouadhah sert à désigner une terre de couleur blanche sur laquelle il ne pousse que des chardons. Moudjem, tome IV, page 932.

[98] Le 'Oucher, au rapport des naturalistes arabes, est un grand arbre qui produit une sorte de gomme qui porte le nom de Soukkar el 'Oucher (sucre de l'Asclépias).

[99] Ce chronogramme manque dans le texte.

[100] Le jour d'Assouman était le vingt-cinquième on le vingt-huitième jour du mois. Ce nom était aussi celui de l'ange auquel ce jour était consacré.