Khosrau

NASSIRI KHOSRAU

 

RELATION DU VOYAGE DE NASSIRI KHOSRAU EN SYRIE, EN PALESTINE, EN EGYPTE, EN ARABIE ET EN PERSE, PENDANT LES ANNÉES DE L'HÉGIRE 437 — 444 (1035 — 1042)

Partie 1

Introduction - partie 2

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

SEFER NAMEH

RELATION DU VOYAGE DE

NASSIRI KHOSRAU

EN SYRIE, EN PALESTINE, EN EGYPTE, EN ARABIE ET EN PERSE,

PENDANT LES ANNÉES DE L'HÉGIRE 437 — 444 (1035 — 1042)

PUBLIÉ, TRADUIT ET ANNOTÉ

PAR

CHARLES SCHEFER

MEMBRE DE L'INSTITUT,

PREMIER SECRÉTAIRE INTERPRETE DU GOUVERNEMENT,

ADMINISTRATEUR DE L'ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES

 

 

 

 

PARIS

ERNEST LEROUX, ÉDITEUR

LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE

DE L’ECOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, ETC.

28, RUE BONAPARTE, 28.

1881


 

 

NASSIRI KHOSRAU

VOYAGE.[1]

 

 

AU NOM DU DIEU CLÉMENT ET MISÉRICORDIEUX !

Voici le récit fait par Abou Mouyn ed-Din Nassir, fils de Khosrau, originaire de Qobadian[2] et habitant la ville de Merw,[3] que Dieu lui pardonne ses péchés !

J'occupais la charge de secrétaire ; je faisais partie des fonctionnaires de l'Etat et j'étais, à ce titre, employé à la perception des finances et des revenus du Sultan. Je remplissais les devoirs que m'imposait ma place dans l'administration et j'avais acquis, parmi mes collègues, une certaine notoriété.

Au mois de Reby' oul akhir l'année 437 (octobre-novembre 1045), époque à laquelle Abou Souleyman Djaghry beik, fils de Mikayl, fils de Seldjouq était émir du Khorassan, je partis de Merw pour une affaire administrative, et je me rendis à Pendjdih, [4] dépendance de Merw er Roud.[5] Ce jour là, la planète de Jupiter était en conjonction avec le point culminant du firmament. Dieu, que son nom soit exalté et sanctifié ! exauce, dit-on, tous les vœux exprimés en pareil jour. Je me retirai donc à l'écart et je fis une prière de deux rikaat, puis, je demandai que Dieu daignât m'accorder la richesse.

Lorsque je revins auprès de mes amis et de mes compagnons, l'un d'eux chantait un morceau de poésie persane. Il me vint en mémoire une pièce de vers que je voulus lui faire déclamer ; je l'écrivis sur un papier pour la lui donner en le priant de la lire. Je ne la lui avais pas encore remise qu'il se mit, tout à coup, à la réciter mot pour mot. Cette coïncidence me parut d'un heureux augure, et je me dis en moi-même : « Le Seigneur, que son nom soit béni et exalté ! a exaucé mon vœu. » Je partis ensuite, et je me rendis à Djouzdjanan[6] où je séjournai pendant un mois environ, me livrant continuellement aux plaisirs du vin. (J'en fais l'aveu, car) le prophète de Dieu a dit : « Dites la vérité, quand bien même elle vous serait préjudiciable. »

Une nuit, je vis en songe un personnage qui m'adressa la parole en ces termes : « Jusques à quand boiras-tu ce vin qui prive l'homme de la raison ? Il vaudrait mieux que tu fisses un retour sur toi-même. » « Les sages, lui répondis-je, n'ont rien pu trouver de meilleur que le vin pour dissiper les soucis de ce monde. » « La perte de la raison et de la possession de soi-même, répliqua-t-il, ne donne pas le calme à l'esprit ; le sage ne peut donc recommander à personne de se laisser guider par la démence. Il faut, au contraire, rechercher ce qui augmente l'esprit et l'intelligence. » « Comment, repris-je, pourrai-je me le procurer ? » « Qui cherche trouve », me répondit-il, et, sans ajouter un mot, il m'indiqua d'un geste la direction de la qiblèh.

Lorsque je me réveillai, ce songe, présent à ma mémoire dans tous ses détails, fit sur moi la plus profonde impression.

« Je viens, me dis-je, de me réveiller du sommeil d'hier ; il faut que je secoue aussi celui dans lequel je suis plongé depuis quarante ans. » Je résolus donc de réformer ma conduite et de changer ma manière de vivre. Le jeudi 6 du mois de Djoumazy oul akhir de l'an 437 (20 décembre 1045), qui correspond au quinzième jour du mois de Dey des anciens Persans, en l'année 410 de l'ère de Yezdedjerd,[7] je me rendis à la grande mosquée, après m'être purifié par une ablution générale. J'y fis mes prières et j'implorai l'assistance de Dieu, afin qu'il me donnât la force de m'acquitter des obligations imposées par ses lois et de renoncer, comme il l'a lui-même ordonné, aux choses illicites et défendues.

Je partis de Djouzdjanan et je me rendis à Chibourghan[8] ; j'arrivai la nuit au village de Bariab, [9] et de là, je gagnai Merw er Roud par la route de Senglan et de Thaliqan.[10]

Arrivé à Merw, je demandai, en alléguant mon dessein de faire le voyage de la Mekke, à être relevé de l'emploi qui m'était confié. Je rendis mes comptes, je fis l'abandon de mes biens, à l'exception de ce qui m'était nécessaire (pour la route), et le 23e jour du mois de Chaaban (6 mars 1046) je me mis en route avec l'intention de me rendre à Nichapour. J'allai de Merw à Serakhs.[11] Ces deux villes sont séparées l'une de l'autre par une distance de trente fersengs. On en compte quarante de Serakhs à Nichapour.

Le samedi 11 du mois de Chevval (22 avril), j'entrai à Nichapour.[12] Le mercredi, dernier jour du mois, il y eut une éclipse de soleil.

Nichapour était la résidence du souverain de l'époque, le Sultan Thoghroul beik Mohammed, frère de Djaghry beik. Il avait donné l'ordre d'élever dans cette ville, près du bazar des selliers, un medressèh à la construction duquel on travaillait alors. Ce prince faisait, à cette époque, sa première expédition contre Ispahan dont il voulait faire la conquête.[13]

Le 2 du mois de Zil Qaadèh (12 mai) je partis de Nichapour en compagnie de Khadjeh Mouwaffaq, secrétaire du Sultan.[14]

Je traversai Kewan et j'arrivai à Qoumès, ou je fis une visite pieuse au tombeau du Cheikh Bayezid Bis-thamy, que Dieu sanctifie son âme ![15]

Le vendredi 8 du mois de Zil Qaadèh (18 mai 1046) je m'arrêtai à Dameghan.[16]

Le 1er du mois de Zil Hidjèh (9 juin) je repris mon voyage ; je passai par Abkhoury et Tchachtkharan et j'atteignis Simnan.[17] Je séjournai pendant quelque temps dans cette ville, cherchant à y faire la connaissance des personnes qui s'occupaient de sciences. Je me rendis auprès d'un personnage que l'on me désigna et qui se nommait Oustad Aly Nessay. C'était un homme encore jeune, parlant le persan comme le parlent les gens du Déilem et ayant les cheveux lisses et flottants.

Il était entouré d'un certain nombre de disciples dont les uns lisaient Euclide, d'autres des ouvrages de médecine, d'autres enfin des traités d'arithmétique. Dans le cours de sa leçon il me dit : « J'ai lu ainsi tel passage devant Abou Aly Ibn Sina ; je lui ai entendu dire telle chose. » Il voulait me faire savoir, en disant cela, qu'il était le disciple d'Abou Aly Ibn Sina (Avicenne).

Comme je lui proposais un sujet de discussion, il me répondit : « J'ai, sur tous les sujets, des connaissances générales, mais je désire discourir avec vous sur les mathématiques. » Je fus étonné de cette manière d'agir et je sortis en disant : « Cet homme ne sait rien, comment pourrait-il enseigner quelque chose aux autres ? »

J'ai calculé que de Balkh à Rey il y a trois cent cinquante fersengs. De Rey à Savèh, il y en a, dit-on, trente ; il y en a autant de Savèh à Hamadan ; de Rey à Ispahan il y en a cinquante, et de Rey à Amol trente.

Entre ces deux dernières villes s'élève la montagne de Demavend qui a la forme arrondie d'une coupole. Elle porte aussi le nom de Levassan.[18] Au sommet s'ouvre un cratère d'où l'on extrait du sel ammoniac et du soufre. Des gens, portant des peaux de bœuf, gravissent cette montagne ; ils remplissent les peaux d'ammoniac et les font ensuite rouler jusqu'au bas, car il n'y a point de chemin qui leur permette de les transporter.

Le 5 du mois de Moharrem de l'an 438, correspondant au premier de Mourdad Mali de l'an 415 de l'ère de Yezdedjerd (13 juillet 1046), je me dirigeai vers Qazvin. J'arrivai au village de Qouhèh,[19] où régnait la disette. Un men de pain d'orge s'y vendait deux dirhems. Je m'éloignai de ce village et le 9 Moharrem (17 juillet) j'entrai à Qazvin. Autour de cette ville s'étendent de nombreux jardins qui ne sont entourés ni de murailles, ni de haies de plantes épineuses, ni de quoique ce soit qui empêche d'y passer. Qazvin me parut être une bonne ville ; elle est entourée d'une solide muraille crénelée ; les bazars sont beaux, et l'eau qui est peu abondante coule dans des canaux souterrains. Le gouverneur de la ville était un descendant d'Aly. De tous les métiers, celui des cordonniers occupait le plus grand nombre d'ouvriers.[20]

Le 10 de Moharrem (18 juillet) je quittai Qazvin et, passant par Bil et Qebban, villages du territoire de cette ville, [21] j'arrivai au bourg de Harzevil.[22] Nous n'avions plus que peu de provisions pour moi, mon frère et un petit esclave indien qui nous accompagnait. Mon frère entra dans le bourg pour y acheter quelques vivres. Nous fûmes abordés par un individu qui me dit : « Que désirez-vous ? C'est moi qui suis le baqqal.[23] » « Tout ce que l’on pourra trouver nous conviendra, lui répondis-je, car nous sommes des étrangers passant leur chemin. » « Je n'ai rien », répliqua-t-il. Dans la suite, chaque fois que l’on nous faisait pareille réponse, je m'écriais : « C'est le baqqal de Harzevil. »

Au sortir de ce bourg, nous trouvâmes une pente rapide. Après avoir franchi trois fersengs, nous arrivâmes à un village appelé Berz oul Khair, dépendant de la province de Tarim.[24] La température y est-chaude et nous y vîmes un grand nombre de grenadiers et de figuiers qui croissaient, pour la plupart, à l'état sauvage.

Après avoir dépassé Berz oul Khair, nous trouvâmes sur notre route la rivière de Châhroud sur le bord de laquelle est situé le village de Khendan. On nous y fit payer un droit de péage qui était perçu au nom de l'Émir el Oumera, prince du Déilem.[25] Après avoir traversé ce village, le Châhroud se jette dans une autre rivière appelée le Sepid Roud. Ces deux cours d'eau n'en forment alors plus qu'un seul qui passe par une vallée s'ouvrant à l'est des montagnes du Guilan, traverse cette province, et se jette dans la mer d'Abiskoun.[26] Cette mer reçoit, dit-on, dans son sein, les eaux de quatorze cents fleuves ; elle a, m'a-t-on-assuré, douze cents fersengs de tour et elle renferme des îles fort peuplées. Ces faits m'ont été racontés par un très grand nombre de personnes. Je continue maintenant le récit de mon voyage et de ce qui m'est advenu.

Entre Khendan et Chemiran sur un espace de trois fersengs s'étend un petit désert entièrement couvert de pierres.

Chemiran est la capitale de la province de Tarim. A côté de la ville se trouve un château-fort, très élevé et bâti sur le roc ; il est entouré d'une triple enceinte et l'on a creusé un canal souterrain qui y amène l'eau de la rivière. Ce château est occupé par une garnison de mille hommes pris dans les familles les plus considérables du pays ; elle veille à ce qu'il ne soit commis ni excès ni acte de rébellion.[27] L'émir possède de nombreuses places fortes dans le Déilem. Cette province est gouvernée avec tant de justice, la sécurité y est si grande que personne n'ose y commettre un vol. Les fidèles qui vont, les vendredis, à la grande mosquée, laissent leurs chaussures à la porte et personne n'a l'audace de les dérober.

Les titres de l'émir sont énoncés de la manière suivante dans les pièces officielles : « Le Merzban du Déilem, le Guil du Gruilan, Abou Salih, client du prince des croyants. » Son nom est Djestan, fils d'Ibrahim.[28] Je rencontrai à Chemiran un personnage respectable, originaire de Derbend. Il se nommait Aboul Fazhl Khalifèh, fils d'Aly el Filosouf. C'était un homme de mérite qui me donna des preuves de sa sainteté et des marques de sa libéralité. Nous discutâmes sur des matières théologiques et scientifiques et nous nous liâmes d'amitié. « Quels sont tes projets ? » me demanda-t-il. « J'aile dessein, répondis-je, de me rendre à la Mekke. » « Je souhaite, répliqua-t-il, qu'à ton retour tu passes par ici, afin que je puisse encore te voir. »

Le 26 de Moharrem (3 août 1046) je partis de Chemiran et j'atteignis la ville de Serâb le 14 du mois de Safer (21 août).[29] Je quittai cette ville le 16 du même mois (23 août), et après avoir traversé Saïdâbad, j'entrai le 20 Safer (27 août) dans la ville de Tabriz. Cette date correspondait au cinquième jour du mois d’Yvermâh de l'ancienne année persane.[30]

Tabriz, capitale de l'Azerbaïdjan, est une ville riche et bien peuplée. Je mesurai avec mes pas son étendue en longueur et en largeur, et je trouvai qu'il y avait quatorze cents pas dans l'un et dans l'autre sens.

Voici les noms et les titres du prince de l'Azerbaïdjan, tels qu'on les énonce dans la khouthbèh : « L'émir le plus glorieux, le glaive de l'État, celui qui ennoblit la communauté de l'Islamisme, Abou Mansour Vèhssoudan, fils de Mohammed, client du prince des croyants[31] ».

Il me fut raconté que, dans la nuit du jeudi 17 Reby' oul evvel de l'année 434 (5 décembre 1042), dans la période des jours complémentaires, après la prière de la nuit, un tremblement de terre ébranla Tabriz. Une partie de la ville fut détruite, tandis que l'autre n'éprouva aucun dommage. On évalue à quarante mille le nombre des habitants qui périrent dans cette catastrophe.[32] Je vis à Tabriz un poète nommé Qathran qui composait de belles poésies, mais qui ne connaissait pas bien la langue parsy.[33] Il me fit une visite et m'apporta les divans de Mendjik[34] et de Daqiqy.[35] Il les lut devant moi et me demanda l'explication des passages difficiles Je la lui donnai et il mit par cent les commentaires que je lui fournis ; il me lut ensuite ses propres poésies.

Le 14 Reby oul evvel (19 septembre) je partis de Tabriz, et, prenant la route de Merend,[36] j'arrivai à Khoy en compagnie d'un soldat au service de l'émir Vèhssoudan. [37] De Khoy je me rendis à Berkery avec un ambassadeur.[38] On compte trente fersengs de Khoy à Berkery. J'entrai dans cette dernière ville le 12 du mois de Djoumazy oul evvel (16 novembre) ; puis je me dirigeai sur Van[39] et sur Vesthan.[40] Là, je vis vendre de la viande de porc comme on vend du mouton, et les habitants, hommes et femmes, assis sur des bancs, buvaient du vin publiquement et sans aucune retenue.

Le 18 Djoumazy oul evvel (22 novembre), j'arrivai à Akhlath.[41] Cette ville est située sur les confins des pays de l'Islamisme et de l’Arménie. Il y a dix-neuf fersengs de Berkery à Akhlath. Ce pays était gouverné par un émir nommé Nasr oud Daoulèh. C'était un vieillard qui avait dépassé l'âge de cent ans. Il avait un grand nombre d'enfants et il avait donné à chacun d'eux un district à administrer.[42] A Akhlath on parle trois langues, l'arabe, le persan et l'arménien. Je suppose que cette ville doit son nom à cette particularité.[43] Les transactions commerciales s'y font en monnaie de cuivre ; le rathl y représente un poids de trois cents dirhems.

Nous partîmes d'Akhlath le 20 Djoumazy oul evvel (24 novembre), et nous descendîmes à un caravansérail pour nous y arrêter. La neige tombait en abondance et le froid était très vif. Dans la plaine qui s'étendait devant nous, on avait, de distance en distance, enfoncé en terre sur une partie de la route, des poteaux en bois pour guider les voyageurs les jours de neige et de brouillard.

Nous arrivâmes à Bithlis, ville située dans une vallée[44] ; nous y achetâmes du miel. Je fis le calcul qu'au prix où il nous fut vendu, les cent men ne valaient qu'un dinar. On nous assura que dans cette ville il y avait des personnes qui recueillaient chaque année trois ou quatre cents outres de miel.

En sortant de Bithlis, nous vîmes un château qui porte le nom de Qif Onzhor, c'est-à-dire « arrête-toi et regarde[45] ». Après l'avoir dépassé, nous arrivâmes à une localité où se trouve une mosquée, bâtie, selon la tradition, par Ouweïs Qarany, que Dieu sanctifie son âme ![46]

Dans les environs, nous aperçûmes des gens qui parcouraient la montagne et qui abattaient des arbres semblables à des cyprès. Je leur demandai ce qu'ils en faisaient. « Nous mettons dans le feu, me répondirent-ils, un bout de ces arbres et il s'échappe de l'autre bout une résine que nous recueillons dans des fosses. Nous la mettons ensuite dans des vases que nous expédions dans tous les pays. »

Toutes ces localités à partir d'Akhlath que nous venons de mentionner brièvement, relèvent du gouvernement de Meïafarékïn.

Nous arrivâmes ensuite à Arzen, ville bien peuplée et florissante. On y remarque des eaux courantes, des jardins, de beaux arbres et des bazars bien approvisionnés.[47] Pendant le mois d'Azermâh du calendrier persan (novembre-décembre) on y vendait pour un dinar deux cents men d'un raisin appelé Rezarmanouch. Nous arrivâmes ensuite à Meïafarékïn.[48]

D'Akhlath à Meïafarékïn on compte vingt-huit fersengs ; de Balkh jusqu'à cette dernière ville il y a, par la route que nous avions suivie, cinq cent cinquante-deux fersengs.

Nous entrâmes à Meïafarékïn le vendredi 26 Djoumazy oul evvel 438 (23 novembre 1046). A cette époque les feuilles des arbres étaient encore vertes. Meïafarékïn est entourée d'une grande muraille en pierres blanches dont chacune pèse cinq cents men ; de grandes tours, construites en cette même pierre blanche, s'élèvent à la distance de cinquante guez l'une de l'autre. La muraille est crénelée dans toute son étendue et son état de conservation est si parfait que l'on dirait que les ouvriers viennent de l'achever. Cette ville a une porte qui s'ouvre du côté de l'occident. Elle est grande et surmontée d'un arceau en pierre. Le battant qui la ferme est tout en fer et il n'y entre pas un morceau de bois. La description de la grande mosquée allongerait singulièrement mon récit, bien que je donne dans cette relation les détails les plus complets. Je dirai seulement que l'on a construit dans la cour de cette mosquée des latrines composées d'une rangée de quarante cabinets qui sont traversés par deux gros cours d'eau ; l'un coule à la surface du sol, et sert à se purifier ; l'autre est souterrain, il enlève les immondices et nettoie les fosses. En dehors de la cité s'étend le faubourg ; on y trouve des caravansérails, des bazars, des bains et aussi une grande mosquée où l'on fait la prière du vendredi.

Au nord de Meïafarékïn est une autre ville fortifiée qui porte le nom de Mouhaddacèh. Elle possède un bazar, une grande mosquée et des bains qui sont tous pourvus de cabinets particuliers. Dans la khouthbèh, on donne au prince qui gouverne ce pays les titres de « l'émir le plus grand, l'honneur de l'Islamisme, la félicité de la religion, celui qui donne son aide à l'État, qui ennoblit la communauté des vrais croyants, Abou Nasr Ahmed. » C'est un vieillard qui a atteint l'âge de cent ans ; on m'assure qu'il vit encore.

Le rathl dont on se sert au marché de Meïafarékïn a le poids de quatre cent quatre-vingts dirhems.

L'émir a fondé, à quatre fersengs de Meïafarékïn, une ville à laquelle il a donné le nom de Nasrièh.

Il y a neuf fersengs d'Amid à Meïafarékïn.

Le sixième jour du mois de Dey ancien style (22 décembre) nous arrivâmes à Amid.[49] Cette ville est construite sur un rocher Elle a, d'après les mesures que j'ai prises, deux mille pas en longueur et autant en largeur. Elle est entourée d'une muraille fortifiée dont les pierres sont noires et dont les blocs taillés pèsent chacun de cent à mille men et même davantage. Ils ne sont joints l'un à l'autre ni avec du ciment ni avec du mortier La muraille a vingt ârech de hauteur et dix d'épaisseur. De cent guez en cent guez, on a construit une tour dont la moitié de la circonférence est de quatre-vingts guez, les créneaux sont formés de ces mêmes pierres noires. Du côté de l'intérieur de la ville on a pratiqué en maints endroits des escaliers qui permettent de monter au haut des remparts. Il y a, au sommet de chaque tour, une plate-forme pour les combattants.

La ville a quatre portes tout en fer et dans lesquelles n'entre pas une pièce de bois. Elles sont placées dans la direction des quatre points cardinaux. Celle de l'orient s'appelle Bab oud Didjlèh (porte du Tigre), celle de l'occident Bab er Roum (porte de la Grèce), celle du nord Bab oul Ermen (porte de l'Arménie) et celle du sud Bab oul Tell (la porte de la colline). En dehors du rempart, il y a une autre enceinte fortifiée construite en cette même pierre dont j'ai déjà parlé ; elle a dix guez de hauteur et le sommet en est crénelé dans toute son étendue. Derrière les créneaux, on a établi un passage qui permet à un homme armé de se mouvoir, de se tenir debout et de combattre à l'aise.

Cette enceinte extérieure a aussi des portes en fer qui ne se trouvent point placées vis-à-vis de celles de la ville, de sorte que lorsqu'on franchit la première enceinte, il faut parcourir une certaine distance entre les deux murailles pour arriver aux portes du second rempart. L'espace qui sépare les deux murailles est de quinze guez.

Au milieu de la ville, une source jaillit d'un rocher, elle est assez abondante pour faire tourner cinq meules de moulin. Cette eau a un goût très agréable, mais personne ne sait d'où elle provient. Grâce à elle, on a pu planter des arbres et avoir des jardins dans l'intérieur de la ville.

Le gouverneur militaire et civil d'Amid est le fils de l'émir Nasr oud Daoulèh dont j'ai parlé plus haut.

Dans les différentes parties du monde, en Arabie, en Perse, dans le Turkestan et dans l'Inde j'ai vu un grand nombre de villes et de forteresses, mais nulle part je n'en ai trouvé une qui pût être comparée à Amid. Elle n'a point sa pareille sur la terre et je n'ai entendu dire à qui que ce soit qu'il en ait vu une semblable.

La grande mosquée est bâtie en pierres noires. Il n'existe pas d'édifice qui puisse avoir être construit avec plus de régularité et plus de solidité. A l'intérieur, s'élèvent plus de deux cents colonnes monolithes soutenant ce monument ; elles supportent des arcades en pierres, au-dessus desquelles on a dressé d'autres colonnes plus basses que celles de l'étage inférieur, et qui sont également surmontées par des arceaux.

Tous les toits sont construits en dos d'âne, et les poutres en sont sculptées, coloriées et vernissées. Dans la cour de la grande mosquée, se dresse une grande pierre sur laquelle on a placé un très grand bassin de forme ronde qui est également en pierre. Il s'élève à la hauteur de la taille d'un homme, et sa circonférence est de deux guez.

Au milieu du bassin est un bec en cuivre d'où s'élance, en bouillonnant, une eau limpide, et tout est disposé de telle façon que l'on ne voit ni par où l'eau arrive, ni par où elle s'écoule. Il y a également un local pour renouveler les ablutions ; il est si bien construit qu'il est impossible d'en voir un plus beau.

Toutes les pierres dont on se sert pour bâtir à Amid sont de couleur noire, et celles qui sont mises en œuvre à Meïafarékïn sont blanches.

Près de la mosquée s'élève une église richement décorée. Elle est construite en pierres ; le sol est recouvert de dalles de marbre ornées de dessins gravés. J'ai remarqué dans cette église, dans le sanctuaire surmonté d'une coupole qui est le lieu d'adoration des Chrétiens, une porte en fer treillage dont je n'avais encore vu nulle part la pareille.

Deux routes conduisent d'Amid à Harrân. L'une a quarante fersengs et traverse une contrée inculte ; l'autre passe au milieu d'un pays bien cultivé, couvert de nombreux villages dont les habitants professent pour la plupart la religion chrétienne. Cette seconde route a soixante fersengs. Nous la suivîmes en compagnie d'une caravane. Nous passâmes par une plaine fort unie, mais tellement couverte de pierres que les bêtes de somme ne pouvaient faire un pas sans en trouver une sous leurs pieds.

Le vendredi, 25 du mois de Djoumazi oul akhir de l'année 438 (28 décembre 1046), nous arrivâmes à Harran.[50] Ce jour correspondait au vingt-deux du mois persan de Dey, et à ce moment la température était semblable à celle du Khorassan à l'époque du Naurouz. Nous arrivâmes, après avoir quitté Harrân à une ville, qui porte le nom de Qaroul.[51] Un homme généreux nous conduisit à sa maison et nous y offrit l'hospitalité. Quand nous fûmes entrés chez lui, un arabe bédouin qui pouvait avoir soixante ans se présenta à moi et me dit : « Apprends-moi le Coran. » Je récitai le chapitre commençant par ces mots : « Dis : Je cherche un refuge auprès du Seigneur des hommes » et il le répétait avec moi.[52] Lorsque je prononçai ces mots : « contre les génies et les hommes », il m'interrompit pour me dire qu'il voulait aussi réciter le chapitre commençant par les mots : « As-tu vu les hommes ? » « Non, lui répondis-je, car ce chapitre n'est pas plus long que celui-ci. »

« Quel est le chapitre de la porteuse de bois ? » (Naqqalet oul Hathab) me demanda-t-il ensuite. Il ignorait que dans le chapitre : « Que les deux mains d'Abou Lahab périssent » Dieu a appliqué à la femme d'Abou Lahab les expressions de « Hammalet oul Hathab » et non point celles de Naqqalet oul Hathab.[53] Malgré tous mes efforts, je ne pus, cette nuit, fixer dans la mémoire de cet Arabe, de ce vieillard de soixante ans, le chapitre de : « Dis : Je cherche un refuge ».

Le samedi 2 du mois de Redjeb 428 (2 janvier 1047) nous arrivâmes à Seroudj[54] et deux jours après nous traversâmes l'Euphrate et nous atteignîmes Menbidj, la Crémière ville du territoire de la Syrie. Nous étions au deuxième jour du mois de Behmen et la température était des plus agréables. Aucune construction ne s'élevait autour de cette ville.[55]

De Menbidj, nous gagnâmes Haleb. On compte cent fersengs de Meïafarékïn à Haleb. Haleb, telle que je la vis, est une bonne ville entourée d'une forte muraille dont j'estimai la hauteur à vingt-cinq ârech. Le château qui est très grand est entièrement construit sur le roc. Je crois qu'Haleb est aussi considérable que Balkh ; elle jouit d'une grande prospérité ; toutes les maisons se touchent. On y acquitte les droits sur les marchandises apportées de la Syrie, du pays de Roum, du Diar-Bekr, de l'Egypte et de l'Iraq. Haleb est fréquentée par les négociants et les marchands de ces différentes contrées.[56] Elle a quatre portes : Bab el Youhoud (la porte des Juifs), Bab Allah (la porte de Dieu), Bab el Djinan (la porte des jardins), Bab Anthakièh (la porte d'Antioche). Le poids en usage dans le bazar d'Haleb est le rathl Dhahiry qui équivaut à quatre cent quatre-vingts dirhems.[57]

Quand d'Haleb on se dirige vers le sud, on trouve, à vingt fersengs la ville de Hama, et plus loin celle de Hims.

Il y a cinquante fersengs d'Haleb à Damas. On en compte douze d'Haleb à Anthakièh, et la même distance sépare Haleb de Tripoli. Il y a, dit-on, deux cents fersengs jusqu'à Constantinople

Le 11 du mois de Redjeb (11 janvier) nous partîmes d'Haleb, et, après avoir fait trois fersengs, nous atteignîmes le village appelé Djond Qinnisrin.[58] Le lendemain, après avoir franchi six fersengs, nous arrivâmes à Sermin qui est une ville ouverte.[59] A six fersengs plus loin, se trouve Ma'arat en Na'aman qui est bien peuplée et entourée d'une muraille en pierres. Je remarquai, près de la porte de cette ville, une colonne en pierre sur laquelle était tracée une inscription en caractères qui n'étaient point arabes. J'interrogeai quelqu'un à ce sujet. Il me fut répondu que c'était un talisman qui empêchait les scorpions de pénétrer dans la ville et d'y rester. Si on en apporte un du dehors et si on le lâche, il prend la fuite et s'éloigne. J'estimai que cette colonne avait dix ârech de hauteur.

Les marchés de Ma'arrah sont abondamment approvisionnés. La grande mosquée est bâtie sur une éminence qui s'élève au milieu de la ville ; de quelque côté que l'on se rende à cette mosquée, il faut gravir un escalier de treize marches pour y arriver. En fait de céréales, on ne cultive que le blé qui fournit d'abondantes récoltes. Dans la campagne, on voit des oliviers, des figuiers, des pistachiers, des amandiers et des vignes en grand nombre.

L'eau dont on fait usage est fournie par la pluie et par des puits.

Un homme du nom d'Aboul Ala el Ma'ary, qui était aveugle, gouvernait la ville. Il était fort riche et possédait un grand nombre d'esclaves et de domestiques. Tous les habitants de la ville semblaient être ses serviteurs. Pour lui, il avait embrassé la vie ascétique, il portait des vêtements de bure et ne quittait jamais sa maison. Il s'était assigné pour nourriture journalière la moitié d'un men de pain d'orge et il ne mangeait pas autre chose. J'ai entendu dire que la porte de sa demeure était toujours ouverte et que ses délégués et ses gens s'occupaient de régler les affaires des habitants ; on n'avait recours à lui que dans des cas importants. Il ne refusait à personne une part de ses biens, il jeûnait continuellement, veillait la nuit et ne s'occupait jamais des affaires de ce monde. Ce personnage a atteint dans la poésie et dans les belles-lettres un tel degré de perfection que les littérateurs de la Syrie, du Maghreb et de l'Iraq reconnaissent unanimement que, dans ce siècle, personne ne s'est élevé et ne s'élève à une hauteur pareille à la sienne.

Il a composé un ouvrage auquel il a donné le titre de Foussoul oul Ghaïat et dans lequel il a introduit des phrases énigmatiques et des allégories exprimées en un style si éloquent et si merveilleux que l'on ne peut en comprendre qu'une faible partie et qu'il faut lire ce livre devant lui pour entendre ses explications. On lui a reproché d'avoir voulu, dans cet ouvrage, faire la critique du Coran. Il est toujours entouré de deux cents disciples venus de différents pays et qui se livrent, sous sa direction, à l'étude de la littérature et de la poésie.

J'ai entendu dire qu'il avait composé plus de cent mille distiques. Quelqu'un lui dit : « Dieu (qu'il soit béni et exalté !) t'a donné la richesse et de grands biens ; pourquoi les distribues-tu aux autres et n'en jouis-tu pas toi-même ? » « Je ne possède rien de plus que ce qui m'est nécessaire pour vivre », répondit-il.

Lorsque j'arrivai à Ma'arrah, Aboul Ala vivait encore.[60]

Le 15 Redjeb (15 janvier de l’année 438) nous arrivâmes à Koueïmat, [61] puis, à Hama, jolie ville bien peuplée et sise sur les bords du fleuve Assy (le rebelle, l'Oronte).[62] On lui a donné ce nom parce qu'il coule vers le pays de Roum ; il sort du pays de l'Islamisme pour entrer dans celui des infidèles, et il fait ainsi acte de rébellion. On a établi sur ses bords un grand nombre de roues hydrauliques.

Deux routes partent de Hama ; l'une conduit à la côte située à l'occident de la Syrie, l'autre se dirige vers le sud et aboutit à Damas. Nous prîmes la première de ces deux routes. Nous vîmes dans la montagne une source qui, nous assura-t-on, coule tous les ans pendant trois jours à partir du quinze Cha'aban ; puis, elle ne laisse plus échapper une seule goutte d'eau jusqu'à l'année suivante. Elle est visitée par un grand nombre de pèlerins qui cherchent à se rendre agréables à Dieu par leurs actes de dévotion. On a construit de grands bâtiments en cet endroit et on y a creusé des bassins.[63]

Après nous être éloignés de cette localité, nous entrâmes dans une plaine tellement couverte dans toute son étendue de narcisses en fleurs qu'elle paraissait toute blanche.[64] Leur abondance nous contraignit à partir, et nous atteignîmes une ville nommée Irqah.[65] Apres l'avoir dépassée de deux fersengs, nous nous trouvâmes au bord de la mer. Nous prîmes alors la direction du sud, et, après avoir marché pendant cinq fersengs, nous entrâmes dans Tripoli. D'Haleb jusqu'à cette ville nous avions parcouru, par la route que nous avions suivie, une distance de cinquante fersengs.

Ce fut le samedi 5 Cha'aban (6 février) que nous arrivâmes à Tripoli. Les environs étaient couverts de champs cultivés, de vergers et de jardins. On voyait d'immenses plantations de cannes à sucre et une grande quantité d'orangers à fruits doux et amers, de bananiers, de citronniers et de dattiers. On était à l'époque où l'on recueillait le jus des cannes à sucre.

La ville est construite de telle façon que trois de ses côtés sont baignés par la mer dont les flots atteignent, lorsqu'elle est agitée, le sommet des remparts. La partie de la ville qui est du côté de la terre ferme, est protégée par une muraille et un grand fossé. Une porte en fer d'une extrême solidité s'ouvre dans la direction de l'orient. Les murailles ainsi que les créneaux et les meurtrières sont en pierres de taille ; des machines de guerre sont dressées sur le haut des murs. On redoute à Tripoli les entreprises des Grecs qui peuvent tenter une attaque avec leurs vaisseaux. La superficie de la ville est de mille ârech carrés. Les maisons ont quatre, cinq et même six étages. Les rues et les bazars sont beaux et d'une grande propreté. On dirait que chaque bazar est un palais magnifiquement décoré. Je trouvai à Tripoli tous les vivres, tous les fruits et tous les mets que j'avais vus en Perse, mais ils étaient cent fois plus abondants.

La principale mosquée se trouve au milieu de la ville ; elle est fort belle, richement ornée et construite avec une extrême solidité. Dans la cour, on voit une grande coupole qui recouvre un bassin en marbre au milieu duquel un jet d'eau s'élance d'un bec de cuivre. Dans le bazar se trouve une fontaine d'où l'eau s'échappe en abondance par cinq robinets. Toute la population vient s'y approvisionner et le superflu de l'eau s'écoule sur le sol et va tomber dans la mer.

Le nombre des habitants mâles de Tripoli s'élève, m'a-t-on dit, à vingt mille. Beaucoup de cantons et de villages relèvent de cette ville. On y fabrique un bon papier semblable à celui de Samarkand, mais de meilleure qualité.

Tripoli est placée sous la dépendance du sultan d'Egypte ; on me dit que c'est depuis l'époque où les infidèles de Byzance tentèrent une attaque contre cette place et furent repoussés par les Musulmans égyptiens qui leur firent subir une rude défaite. Le sultan d'Egypte a aboli les impôts dans cette ville, et il y entretient constamment une garnison commandée par un général qui a pour mission de la défendre contre toute entreprise ennemie.

Tripoli est un entrepôt commercial fréquenté par les navires qui viennent de la Grèce, du pays des Francs, de l'Espagne et du Maghreb. Ils payent au sultan le droit du dixième et les sommes qui proviennent de cette taxe servent à l'entretien des troupes. Le sultan possède à Tripoli des navires qui se rendent en Grèce, en Sicile et au Maghreb pour y faire le commerce. Les habitants de Tripoli sont chiites. Les chiites ont construit dans tous les pays de belles mosquées : à Tripoli ils ont élevé des édifices qui ressemblent à des ribath (caravansérails), mais qui sont inoccupés. Ils les appellent mechheds. Il n'y a aucun bâtiment en dehors de Tripoli, à l'exception de deux ou trois de ces mechheds dont je viens de parler.[66]

Nous nous remîmes en route en nous dirigeant vers le sud et en suivant le bord de la mer. A un ferseng de distance, je vis un château-fort appelé Qalamoun,[67] dans l’intérieur duquel se trouvait une source ; puis nous atteignîmes Tharaberzen,[68] ville éloignée de cinq fersengs de Tripoli. De là nous gagnâmes Djobeïl.[69] Cette ville a la figure d'un triangle dont la base est formée par le rivage de la mer Elle est entourée d'une muraille très haute et très solide ; tout autour de la ville sont des plantations de dattiers et d'autres arbres des pays chauds. Je vis un enfant qui tenait à la main une rose blanche et une rose rouge qui venaient de s'épanouir, et nous étions au cinquième jour du mois d’Isfendiarmouz (février) de l’an 415 de l'ère persane.

Nous allâmes de Djobeïl à Beyrouth, [70] où je vis un arc en pierres sous lequel passait la route : j'estimai qu'il avait cinquante guez de hauteur. Les deux côtés de cet arc étaient formés par de grosses pierres blanches qui devaient avoir chacune un poids de plus de mille men. A droite et à gauche de l'arc s'élevait un massif en briques d'une hauteur de vingt guez. On y avait dressé des piliers de marbre de huit guez de hauteur et d'une épaisseur telle que deux hommes ne peuvent les embrasser que difficilement. Sur ces piliers on avait construit des arceaux en grosses pierres qui n'étaient reliées entre elles ni par du mortier ni par du plâtre. Le grand arc s'élevait juste au milieu et dépassait les arceaux d'une hauteur de cinquante ârech. Chacune des pierres qui le forment a, selon mon estimation, sept ârech de hauteur sur quatre de largeur, et un poids d'environ sept mille men. Toutes ces pierres sont sculptées et couvertes d'ornements si fins qu'on en voit peu de semblables même sur les ouvrages en bois. Aucun autre édifice n'était resté debout dans le voisinage de ce monument.

Je demandai quelques explications à son sujet. Nous avons entendu dire, me fut-il répondu, que c'était la porte du jardin de Pharaon et son origine remonte à une haute antiquité.

Toute la plaine avoisinante est couverte de colonnes, de chapiteaux en marbre sculpté, de formes ronde, carrée, hexagonale et octogonale. La pierre est d'un grain si dur que le fer ne peut l'entamer. Il n'y a dans les environs aucune montagne qui permette de supposer qu'on ait pu l'en extraire. Une autre pierre semble être le produit d'une composition artificielle[71] et le fer ne peut pas non plus l'entamer.

Dans les provinces de la Syrie, la terre est jonchée de plus de cinq cent mille colonnes, chapiteaux ou fûts : personne ne sait à quoi ils ont servi, ni d'où ils ont été apportés.

De Beyrouth, nous nous rendîmes à Sayda, ville située sur le bord de la mer, entourée de vastes champs de cannes à sucre, et défendue par une forte muraille en pierres, percée de trois portes. La mosquée principale est belle et elle offre un charme tout particulier. Le sol en est entièrement couvert de nattes aux dessins variés. Le bazar est beau et si richement décoré que, lorsque je le vis, je supposai qu'on l'avait orné en prévision de la venue d'un souverain ou à l'occasion de l'annonce d'une bonne nouvelle. Aux questions que je fis à ce sujet, on me répondit que c'était la coutume de la ville et qu'il en était toujours ainsi.

Les jardins et les vergers semblaient avoir été plantés par un roi pour satisfaire un caprice : un pavillon s'élevait au milieu de chacun d'eux. La plupart des arbres étaient chargés de fruits.

De Sayda nous arrivâmes à Sour, après avoir franchi la distance de cinq fersengs. La ville de Sour est située sur le bord de la mer, et elle est bâtie sur un roc qui s'avance dans l'eau de telle sorte que la partie de l'enceinte fortifiée qui se trouve sur la terre ferme n'a pas plus de cent guez. Le reste de la muraille est dans l'eau, et elle est construite en pierres de taille dont les interstices sont remplis de goudron afin d'empêcher l'eau d'y pénétrer. A mon jugement, Sour occupe une superficie de mille ârech carrés. Les maisons ont cinq et six étages et se touchent les unes les autres. Dans beaucoup d'entre elles on voit des jets d'eau. Les bazars sont beaux et renferment en abondance tout ce qui est nécessaire à la vie. Sour est renommée entre toutes les villes de la côte de Syrie par sa richesse et par son opulence. Les habitants suivent pour la plupart le rite chiite. Le Qadi, homme riche, était d'un caractère bienveillant. Il se nommait Ibn Abi Oqeïl et il était sunnite. Un mechhed se trouve en dehors de la ville. On y remarque un grand nombre de tapis et de nattes, des lampes et des lustres en or et en argent. Sour est bâtie sur une éminence. L'eau provient de sources qui sont dans la montagne, et pour l'amener dans la ville on a construit dans la campagne un aqueduc en pierres, au sommet des arches duquel est un canal qui donne passage à l'eau. En face de Sour, dans les montagnes dont je viens de parler, s'ouvre une vallée ; lorsqu'on la suit, en se dirigeant vers l'orient, on arrive à Damas qui est éloignée de dix-sept fersengs.[72]

Nous partîmes de Sour, et, après avoir marché pendant sept fersengs, nous arrivâmes à la ville d'Akkèh. On lui donne, dans le style officiel, le nom de Medinet Akka. Elle est bâtie sur une éminence dont le sol est en partie raboteux, en partie uni. Sur toute la côte de la Syrie toutes les villes sont bâties sur des hauteurs, parce que l’on craint, s'il en était autrement, que les constructions ne soient envahies par les eaux ou battues par les flots de la mer qui viennent se briser sur le rivage.

La grande mosquée est au centre et sur le point le plus élevé de la ville. Les colonnes qui la soutiennent sont en marbre. En dehors, à droite de la qiblèh, on voit le tombeau du prophète Salih, sur qui soit le salut Une partie de la cour de la mosquée est dallée en pierres, l'autre est couverte de gazon On dit que cette partie a été labourée par Adam, sur qui soit le salut ! J'ai mesuré la superficie de la ville ; elle est de deux mille ârech de longueur sur cinq cents de largeur. Akkèh est entourée d'une muraille extrêmement solide ; le côté de l'ouest et celui du sud sont baignés par la mer. Le port (mina) est au sud. La plupart des villes de la côte de Syrie ont un mina. On donne ce nom à une darse construite pour la sécurité des navires. Elle ressemble à une écurie dont la muraille du fond s'appuie à la ville, pendant que deux murs latéraux s'avancent dans la mer.[73] A leur extrémité s'ouvre une entrée de cinquante guez, et une chaîne est tendue d'un des murs à l'autre. Lorsque l'on veut faire entrer un navire dans le mina, on baisse la chaîne jusqu'à ce qu'elle descende sous l'eau, puis on le fait passer au-dessus d'elle et on la tend de nouveau afin qu'aucun ennemi, venu du dehors, ne puisse rien tenter contre les vaisseaux.

Près de la porte de l'orient, à main droite, se trouve une source à laquelle on arrive en descendant vingt-six marches ; elle porte le nom d'Aïn oul Baqar. On prétend qu'elle a été découverte par Adam, sur qui soit le salut, et qu'il y abreuvait son bœuf. C'est à cette circonstance qu'elle doit ce nom d'Aïn oul Baqar (la source du Bœuf).[74]

Lorsque, sortant d'Akkèh, on se dirige vers l'est, on rencontre une montagne où sont des tombeaux de prophètes, sur qui soit le salut ; elle s'élève sur le bord de la route que l'on suit lorsque l'on veut aller à Ram-lèh. Je formai le dessein de m'y rendre pour visiter ces saints lieux de pèlerinage et acquérir les bénédictions que le Dieu très haut y a attachées. On me dit, à Akkèh, qu'il y avait, sur cette route, des brigands qui accablaient les étrangers de mauvais traitements et les dépouillaient de ce qu'ils portaient avec eux.

Je mis mon argent en dépôt dans la mosquée d'Akkèh et je sortis de la ville le 23 Cha'aban 428 (5 mars 1046).

Le premier jour, je visitai le tombeau d'Akk, fondateur de la ville, qui fut un juste et un saint. Je n'avais point avec moi de guide qui pût m'indiquer le chemin ; j'étais donc indécis au sujet de la route que je devais suivre. La bonté de Dieu (que son nom soit béni et exalté !) me fit faire, ce même jour, la rencontre d'un Persan originaire de l'Azerbaïdjan et qui avait déjà fait le pèlerinage de ces tombeaux bénis. Il était revenu pour les visiter une seconde fois. Je fis une prière de deux rikaat afin de remercier Dieu de la grâce qu'il daignait m'accorder, et je me prosternai afin de lui témoigner ma reconnaissance de l'aide qu'il me donnait pour mener à bonne fin le projet que j'avais formé.

J'arrivai à un village appelé Berwèh, [75] et j'y visitai les tombeaux que l'on me dit être ceux de Ych (Esati) et de Chem'oun (Siméon), sur qui soit le salut !

Je gagnai ensuite Damoun où je vis, dans une petite caverne, un tombeau que l'on m'assura être celui de Zoul Kifl.[76] Puis je me rendis au village d’Abillin où le prophète Houd est enterré.[77] Un caroubier s'élève dans l'enclos où il repose : je visitai également la tombe du prophète Ouzeir.[78] Je me dirigeai alors vers le sud et j'atteignis le village de Hazhirèh.[79] A l'ouest s'ouvre un vallon dans lequel une source limpide jaillit d'un rocher. En face de cette source, on a bâti sur un roc une mosquée dans l'intérieur de laquelle se trouvent deux chambres construites en pierres et dont le plafond est également en pierre. La porte qui y donne accès est si petite qu'un homme y passe difficilement. Deux tombeaux s'y trouvent placés, l'un à côté de l'autre. L'un est celui de Choueïb (Jéthro), l'autre celui de sa fille qui fut la femme de Moïse. Les habitants de ce village entretiennent avec un soin tout particulier la mosquée et les tombeaux, et ils ont soin d'y placer des lampes et autres objets.

Je me rendis ensuite à Arbil.[80] Dans la direction de la qiblèh s'élève une montagne sur le flanc de laquelle est un enclos renfermant quatre tombes. Ce sont celles de quatre fils de Jacob, frères de Joseph. En quittant ce lieu, nous vîmes une colline au pied de laquelle s'ouvre une caverne où se trouve le tombeau de la mère de Moïse. J'y fis mes dévotions.

J'entrai plus loin dans une vallée, à l'extrémité de laquelle j'aperçus un lac. La ville de Thabarièh (Tibériade) s'élève sur la rive. La longueur de ce lac est à peu près de six fersengs et sa largeur de trois. L'eau en est douce et d'un goût agréable.[81] La ville est bâtie sur le bord occidental. L'eau des bains et le surplus de celle qui a servi à l'usage des habitants se déversent dans le lac, qui fournit l'eau potable à la population de Thabarièh et à celle des cantons riverains.

J'ai entendu raconter qu'un émir, venu autrefois à Thabarièh, avait donné l’ordre de fermer tous les canaux qui amenaient dans le lac les immondices et les eaux sales. L'eau en devint tellement fétide que personne ne pouvait plus la boire. Il fit alors déboucher tous les conduits et l'eau du lac reprit le goût agréable qu'elle avait précédemment.

Thabarièh est entourée d'une forte muraille qui part des bords du lac ; la partie de la ville baignée par les eaux est ouverte.[82]

Le fond du lac est de roche et on voit s'élever au milieu de l'eau de nombreuses constructions Ce sont des pavillons de plaisance supportés par des colonnes de marbre enfoncées dans l'eau. Le lac de Thabarièh est extrêmement poissonneux

La grande mosquée se trouve au centre de la ville Non loin d'elle est une source, au dessus de laquelle on a bâti un bain, l'eau en est si chaude qu'on ne peut la verser sur soi sans l'avoir mêlée à de l'eau froide. Ce bain est, dit-on, l'œuvre de Souleyman, fils de Daoud, que le salut soit sur eux deux ! Je suis entré dans ce bain.[83]

Dans la partie de la ville située à l'occident, on remarque une mosquée qui porte le nom de mosquée des Jasmins C'est un bel édifice Au milieu de la cour est une plate forme élevée sur laquelle on a établi des mihrabs Tout autour de cette plate-forme, on a planté des jasmins, et la mosquée doit son nom à cette particularité.

Le tombeau de Youcha (Josué), fils de Noun, se trouve dans une galerie ouverte qui est du côté de l'orient.

Sous la plate-forme reposent les corps de soixante-douze prophètes mis à mort par les fils d'Israël.

Au sud de Thabarièh, ou plutôt au sud du lac, s'étend la mer de Louth (Loth) dont l'eau est d'une grande amertume et qui reçoit dans son sein le fleuve qui s'écoule du lac de Thabarièh. La ville de Louth se trouvait sur ses bords, mais il n'en reste plus aucun vestige. On m'a raconté que du fond de cette mer de Louth se détache une substance qui affecte la forme d'un bœuf. Sa couleur est noire et elle ressemble à la pierre sans en avoir la dureté. On la recueille, on la casse et on l'exporte dans les villes et dans les provinces. On prétend que, lorsque l'on en enfouit un morceau au pied d'un arbre, celui-ci est préservé des vers, sans que ses racines éprouvent le moindre dommage ; on est ainsi assuré que les plantations n'auront à souffrir ni des vers, ni des insectes qui vivent sous terre.

Je laisse la responsabilité de ce récit à celui qui me l'a fait. La même personne a ajouté que les droguistes achètent cette substance pour la mettre dans les drogues et les préserver d'un ver qui porte le nom de naqrah.[84]

On fabrique à Thabarièh des nattes qui servent de tapis de prières. On les vend au prix de cinq dinars maghreby.[85] Un château construit en pierres de taille couronne le sommet d'une montagne, à l'ouest de la ville. On y voit une inscription en caractères hébraïques, portant que, lorsqu'elle a été gravée, la constellation des Pléiades se trouvait à l'extrémité du signe du Bélier.

Le tombeau d'Abou Horeïra est en dehors de la ville, dans la direction de la qiblèh.[86] On ne peut le visiter, parce que les habitants de cette localité sont chiites. Lorsque quelqu'un s'y rend pour y faire ses dévotions, les enfants lui cherchent querelle, le molestent, le maltraitent et lui jettent des pierres. Je renonçai donc au projet de faire ce pèlerinage et je me rendis à un village appelé Kafar Kanna. Au sud de ce village s'étend une colline, au haut de laquelle s'élève un beau monastère fermée par une porte d'une extrême solidité. On y voit le tombeau du prophète Younis (Jonas). En dehors du monastère est un puits dont l'eau a un goût très agréable.[87]

Après avoir fait mes dévotions dans ce sanctuaire, je retournai à Akkèh qui en est éloignée de quatre fersengs.

Je restai un jour à Akkèh ; puis nous nous remîmes en route, et j'arrivai au village de Haïfa.[88] Le chemin que nous suivions était couvert d'une couche épaisse de ce sable dont les orfèvres se servent en Perse et qu'ils désignent sous le nom de sable de la Mekke.

Haïfa est bâtie sur le bord de la mer. On y voit des plantations de dattiers et de beaucoup d'autres arbres. J'y remarquai un grand nombre d'ouvriers occupés à construire des navires. Ces bâtiments destinés à la navigation maritime portent le nom de djoudy. Un ferseng plus loin, nous trouvâmes le village de Kouneïssèh.[89] Là, le chemin s'éloigne de la mer et se dirige vers l'est du côté de la montagne Il traverse un terrain plat et rocailleux que l'on appelle Wadi el Temassih (le val des Crocodiles).[90] Au bout de deux fersengs, la route regagne le rivage où nous vîmes beaucoup d'ossements d'animaux marins qui, mêlés à l'argile et battus pendant longtemps par les vagues, avaient pris l'apparence de pierres.

Nous atteignîmes Qaïssarièh. Il y a sept fersengs d'Akkèh à Qaïssarièh qui est une ville agréable, sillonnée par des eaux courantes et dans laquelle on voit des dattiers et des orangers à fruits doux ou amers. Elle est entourée d'une forte muraille percée d'une porte en fer.

Il y a, dans cette ville, un grand nombre de sources.[91]

La mosquée principale est un bel édifice ; quand on est assis dans la cour, on jouit de la vue de là mer et du spectacle qu'elle présente. Dans cette même cour, on remarque une amphore en marbre qui ressemble à un vase de Chine ; la capacité en est si grande qu'elle peut contenir jusqu'à cent mens d'eau.

Le samedi, dernier jour du mois de Cha'aban (10 mars), nous quittâmes Qaïssarièh et nous marchâmes pendant un ferseng sur ce sable de la Mekke. Puis nous retrouvâmes sur la route, qui passait tantôt dans la plaine, tantôt dans la montagne, une grande quantité de figuiers et d'oliviers.

Après avoir parcouru quelques fersengs, nous arrivâmes à une ville qui portait le nom de Kafar Saba ou Kafar Sallam et qui est à trois fersengs de Ramlèh.[92]

Toute la route est bordée d'arbres, ainsi que nous venons de le dire.

Le dimanche, premier jour du mois de Ramazan (11 mars), nous arrivâmes à Ramlèh. On compte huit fersengs depuis Qaïssarièh. Ramlèh est une grande ville, entourée d'une haute et forte muraille construite en pierres et en mortier. Elle est séparée de la mer par une distance de trois fersengs. On y fait usage de l'eau de pluie qui, dans chaque maison, est recueillie dans un réservoir et dont on a une provision constante. Il y a de vastes citernes au milieu de la grande mosquée. Lorsqu'elles sont pleines, chacun peut y puiser selon ses besoins.[93]

La superficie de la grande mosquée est de trois cents pas sur deux cents. Une inscription, placée au-dessus du soffèh (banc), relate que le 15 Moharrem 425 (11 décembre 1033), un violent tremblement renversa un grand nombre d'édifices et qu'aucun des habitants ne fut blessé.[94]

Le marbre est très commun à Ramlèh. Les murs de la plupart des édifices et des maisons sont revêtus de plaques de marbre artistement encastrées et couvertes de sculptures et d'arabesques. On coupe le marbre au moyen d'une scie sans dents et de sable de la Mekke. On débite avec la scie des tranches de marbre dans le sens de la longueur des colonnes, comme on débite des planches dans un arbre, et non pas dans le sens de la largeur. J'ai vu à Ramlèh des marbres de toute espèce, pointillés, verts, rouges, noirs, blancs, enfin de toutes les couleurs.

Ramlèh produit une excellente espèce de figues ; on n'en trouve de meilleures nulle part ailleurs, et on les exporte dans tous les pays. Cette ville est, en Syrie et dans le Maghreb, connue sous le nom de Filastin.

Le troisième jour du mois de Ramazan (14 mars), nous arrivâmes, après être partis de Ramlèh, au village de Khatoun,[95] puis à celui de Qariet el Anab.[96] Nous remarquâmes, chemin faisant, un grand nombre de téré-binthes croissant à l'état sauvage dans la plaine et sur la montagne.

Nous vîmes à Qariet el Anab une source jaillissant d'un rocher et dont l'eau avait un goût délicieux. On avait établi des vasques pour désaltérer les voyageurs et construit, dans un but pieux, des maisons pour leur fournir un abri.

La route s'élevait graduellement à partir de Qariet el Anab et nous nous imaginions qu'après avoir gravi la montagne et descendu le versant opposé, nous trouverions la ville. Mais, après avoir monté pendant quelque temps, nous nous trouvâmes en face d'une grande plaine unie, qui était en partie couverte de pierres, tandis qu'en d'autres endroits la terre se montrait à nu. C'est sur le point le plus élevé de ce plateau que s'élève la ville de Beit el Mouqaddes (Jérusalem).

Jérusalem est située à cinquante-six fersengs de Tripoli, sur la côte de Syrie, et à cinq cent soixante-seize fersengs de Balkh. Nous entrâmes à Jérusalem le cinquième jour du mois de Ramazan 438 (16 mars 1046).

Une année solaire s'était écoulée depuis que nous avions quitté notre demeure, et nous avions voyagé sans nous être arrêtés nulle part pendant longtemps, et sans avoir, en aucun lieu, goûté un repos complet.

Les habitants de la Syrie et de la Palestine désignent Jérusalem sous le nom de Qouds. Les gens de ces contrées, qui ne peuvent faire le voyage de la Mekke, se rendent à Jérusalem à l'époque du pèlerinage ; ils y séjournent pendant le Mauqaf,[97] en se conformant à l'usage consacré, et ils y célèbrent la fête des sacrifices.

Il y a des années où dans les premiers jours du mois de Zil Hidjèh plus de vingt mille hommes se trouvent réunis dans la ville. On y amène les enfants pour les faire circoncire.

Les chrétiens et les Juifs y viennent aussi en grand nombre des provinces de l'empire de Roum et d'autres contrées pour y visiter l'église et le temple. On trouvera en son lieu la description de la grande église.

La banlieue et les environs de Jérusalem sont entièrement couverts de montagnes cultivées en céréales et plantées d'oliviers, de figuiers et d'autres arbres. Tous les terrains sont dépourvus d'eau ; néanmoins les vivres sont en abondance et à bon marché.

Il y a des chefs de famille qui ne recueillent pas moins de cinq mille men d'huile d'olive chacun ; cette huile est conservée dans des puits et des réservoirs, et on l'exporte dans toutes les parties du monde.

La famine n'a, dit-on, jamais sévi en Syrie. Je tiens d'autorités dignes de foi qu'un saint personnage vit en songe le Prophète de Dieu, sur qui soient les bénédictions et le salut ! Il lui adressa la parole en ces termes : « O Prophète de Dieu, accorde-moi ton aide pour ma subsistance ! » « Je te la garantis, lui répondit le Prophète, par le pain et par l'huile de la Syrie. »

Je décrirai maintenant Jérusalem. La ville est bâtie sur une hauteur. On n'y a point d'autre eau que celle de la pluie. Bien qu'il existe des sources dans les villages voisins, on n'en trouve cependant pas une seule dans l'intérieur de la ville. Jérusalem est entourée de solides murailles construites en pierres et en mortier ; les portes sont en fer.

La ville étant bâtie sur le roc, on ne voit pas un seul arbre dans ses environs immédiats. Jérusalem est une grande cité ; à l'époque où je m'y trouvais, elle renfermait vingt mille habitants mâles. Les bazars sont beaux et les maisons fort hautes. Le sol est partout recouvert de dalles de pierre, et on a taillé et aplani toutes les inégalités du terrain, de sorte qu'il est complètement lavé et nettoyé par la pluie. Les artisans sont très nombreux, et chaque corps de métier occupe dans le bazar une rangée distincte de boutiques.

La grande mosquée où l'on fait la prière du vendredi est située à l'est, du côté du bazar, et les remparts de la ville lui servent de murailles. Quand on sort de la mosquée, on voit s'étendre devant soi une grande plaine très unie qui porte le nom de Sahirèh. C'est la plaine où, selon la tradition, auront lieu la résurrection de la chair et le jugement dernier. Cette croyance attire de tous les points du monde, à Jérusalem, une foule de personnes qui viennent s'y fixer pour y finir leurs jours et pour se trouver près de l'emplacement désigné par Dieu, lorsque s'accomplira la parole du Tout-Puissant.[98] O Dieu, sois dans ce jour, le refuge de tes serviteurs ! Daigne leur accorder ton pardon ! Ainsi soit-il, ô maître des mondes !

Au bord de cette plaine s'étend un vaste cimetière qui renferme les tombeaux de saints personnages. Le peuple s'y rend pour prier et pour adresser à Dieu des vœux qu'il daigne exaucer.

O Dieu, accueille nos vœux ! Pardonne-nous nos péchés et nos iniquités ! Que ta clémence prenne pitié de nous, ô toi, qui es le plus miséricordieux des miséricordieux !

Entre la mosquée et la plaine de Sahirèh court une vallée extrêmement profonde, ayant l'apparence d'un fossé. J'y vis des constructions faites à la mode antique, ainsi qu'une coupole, taillée dans un bloc de pierre et qui surmonte un petit édifice. Il est impossible de rien voir de plus extraordinaire et l'on se demande comment on a réussi à l'élever. Le peuple prétend que c'était la maison de Pharaon.[99]

Cette vallée porte le nom de Wadi Djehennem (le val de l'Enfer). Je demandai le motif de cette dénomination. On me répondit que le khalife Omar ibn el Khaththab (que Dieu soit satisfait de lui !) établit son camp dans la plaine de Sahirèh ; en la contemplant, il s'écria : Ceci est le val de l'enfer ! Les gens du peuple prétendent que, lorsqu'on est sur le bord de cette vallée, on entend s'en élever les cris des damnés. J'y suis allé, mais je n'ai rien entendu.

Quand on sort de la ville dans la direction du sud, on descend, à la distance d'un demi-ferseng, dans un ravin où l'on voit une source qui jaillit d'un rocher. Elle porte le nom d’Aïn Selwan (la source de Siloé).[100] Au dessus d'elle s'élèvent de nombreux bâtiments. L'eau s'écoule à travers un village et, sur ses bords, on a construit beaucoup de maisons et planté des jardins. On prétend que, lorsque l'on s'est baigné dans cette eau, on est délivré des douleurs et des maladies chroniques. Un nombre considérable de legs pieux sont affectés à l'entretien de ce lieu.

suite


 

[1] L’orthographe, conservée telle quelle dans l’Introduction, a parfois été légèrement modernisée dans le texte du Voyage, sans en modifier aucunement la signification. Par ex. Isfahan est devenu Ispahan, Mançour = Mansour, Fathimite = Fatimide, etc.

Les notes ne sont pas toujours reproduites intégralement. L’Index alphabétique a été supprimé.

[2] Qobadian ou Qowadian est le nom d'un canton et d'une ville. Le canton de Qobadian s'étend sur le bord du Djihoun et il est limitrophe de la province de Saghanian. La ville est située au-dessous de Tirmiz, non loin du confluent du Vekhchâb et de la rivière de Badakhchan, qui, avec d'autres cours d'eau, forment le Djihoun. Qobadian est moins grande que Tirmiz. On en exportait de la garance. Yaqout, Moudjem oul bouldân, éd. Wüstenfeld, tome IV, page 196.

[3] Voy. Appendice I.

[4] Pendjdih ou les cinq villages. On désigne sous ce nom cinq villages très rapprochés les uns des autres qui se trouvent dans la province de Merw er Roud. Ils étaient primitivement distincts les uns des autres, mais ils furent, ensuite, reliés entre eux par des agrandissements successifs, de sorte qu'ils semblent être les quartiers différents d'une même ville. Ce bourg porte également le nom de Fendj Dyèh. Yaqout, Dictionnaire géographique de la Perse, traduit par M. Barbier de Meynard, Paris, 1861, page 116.

[5] Merw er Roud est le chef lieu du district de ce nom : les autres villes sont Qasr Ahnef et Dizèh. Merw er Roud, dit Abou Ishaq el Isthakhry, a moins d'étendue que Bouchendj. Son territoire est traversé par une grosse rivière sur les bords de laquelle il y a un grand nombre de vergers et de vignobles. Le terroir est fertile et le climat salubre. Les habitants de Merw, au rapport d'el Mouqaddessy, ressemblent pour la physionomie et le langage à ceux du Ghardjistan. Selon Yaqout, le mot Merw désigne une pierre à feu de couleur blanchâtre, et Roud a, en persan, la signification de rivière. Abou Ishaq el Isthakhry, Viœ regnorum, éd. de Goeje, Leyde, 1870, pages 260 à 270. Mouqaddessy, Descriptio Imperii moslemici, éd. de Goeje, Leyde, 1877, page 323.

[6] Nassiri Khosrau désigne sous ce nom Enbar, la capitale de la province. Le Djouzdjanan ou Djouzdjan est un vaste district de la province de Balkh qui s'étend entre cette dernière ville et celle de Merw er Roud. Les villes principales étaient : Yehoudièh ou Djehoudan qui porte aujourd'hui le nom de Meïmenèh, Chibourghan, Ouchtroudj, San, Enbar et Enkhoud ou Endkhoudj qui était, déjà au IXe siècle, occupée par une colonie de Kurdes. Aux IVe et Ve siècles de l'Hégire, Enbar était la ville la plus considérable du Djouzdjanan et la résidence du prince de la famille de Ferighoun qui gouvernait cette province. Elle était, comme la Mekke, bâtie entre deux montagnes dont les gorges ont quelque ressemblance avec celles qui s'ouvrent sur la cité sainte. Elle était entourée de vignobles et de vergers arrosés par des eaux courantes. Les maisons étaient construites en pisé. On tannait à Enbar des cuirs qui étaient exportés dans tout le Khorassan. Tout ce qui est nécessaire à la vie était à fort bon marché dans le Djouzdjanan et les transactions commerciales y étaient très actives. Les impôts de ce district s'élevaient, selon Qoudamah Ibn Djafer, au chiffre de deux cent vingt mille quatre cents dirhems. C'est dans le Djouzdjanan qu'El Aqra', fils de Habis Ettemimy, lieutenant d'Ahnef, livra en l'année 33 de l'Hégire (A. D. 653) aux contingents de Thaliqan et de Fariab la sanglante et désastreuse bataille dans laquelle Yahia, fils de Zeyd, fils d'Aly, fils de Husseïn, fils du Khalife Aly perdit la vie. Le Djouzdjanan fut annexé au Kharezm après le meurtre d'Aly, fils de Mamoun Ferighouny.

[7] Il faut lire 413 au lieu de 410; ce chiffre se trouve indiqué à tort dans les manuscrits que j'ai pu consulter. L'ère de Yezdedjerd a commencé le 16 juin de l'an 944 de l'ère d'Alexandre qui correspond à l'année 631—632 de Jésus-Christ et à la onzième année de l'Hégire. Thomas Hyde, Veterum Persarum et Parthorum et Medorum religionis historia. Editio secunda. Oxonii 1760. Page 199.

[8] Chibourghan, ville prospère du Djouzdjanan est séparée de Yehoudièh, capitale de cette province, par une distance de deux journées de marche. Elle est arrosée par des eaux courantes. Les récoltes consistent principalement en céréales. Son territoire produit peu de fruits. Chibourghan est à trois jours de marche de Fariab. Le nom de cette ville est quelquefois écrit Esfourqan ou Soufourqan. Marco Polo en fait mention sous le nom de Sofurgan et il ajoute que les melons et les citrouilles que produisait son territoire étaient coupés par tranches et séchés et qu'ils formaient un article considérable de commerce. Le Livre de Marc Pol, édition de M. Pauthier, Paris 1865, tome Ier, page 105.

[9] Fariab, Farâb ou Bariab est une ville florissante et industrieuse du Djouzdjanan, à trois journées de marche de Thaliqan. Les maisons sont construites en pisé; la grande mosquée où l'on fait la prière du vendredi n'a point de minaret. Fariab est la patrie du célèbre philosophe Abou Nasr Mohammed Tharkhany, auquel les Orientaux donnent le titre de Mouallim Çani (le second maître) et que les écrivains du moyen-âge désignent sous le nom d'Al Farabius. Ce docteur dont Ibn Khallikan a écrit la biographie mourut en 339 (950). Il fut le maître d'Avicenne.

[10] Deux villes portent le nom de Thaliqan. L'une est située dans la province de Merw er Roud, l'autre dans celle de Qazwin. La première se trouve à trois jours de marche de Fariab et à six de Balkh. Elle s'élève dans une plaine, à la distance d'une portée de flèche des montagnes. Elle est traversée par un gros cours d'eau, les maisons sont construites en pisé et on y voit peu de vergers. Elle a, à peu près, la même superficie que Merw, et elle est d'un tiers moins grande que Balkh. L'air est y plus salubre qu'à Merw. A Thaliqan, dit Hafiz Abrou, on remarque une source dont l'eau est extrêmement chaude. La température en est si élevée que l'on peut y faire cuire de la viande, et elle fait bouillir l'eau contenue dans un chaudron. Dans une grotte qui se trouve au pied d'une des collines qui entourent Thaliqan, on voit les corps intacts de six personnes qui y ont été enterrées depuis plus de quatre cents ans. Thaliqan est aussi désignée sous le nom de Thaikan. Marco Polo écrit ce nom fort exactement : « Si trouve l'en un chastel qui a nom Taican, ou il a moult grand marché de blé; et est moult belle terre et ces montaignes devers midi sont toutes de sel, qui sont moult grans. » Le Livre de Marc Pol, chapitre XLV, page 113. Le château qui défendait Thaliqan portait le nom de Nouqra Kouh (montagne d'argent). Il fut détruit par Djinghiz Khan en 618 (1221).

[11] Serakhs située entre Merw et Nichapour, à six journées de marche de chacune d'elles, est une ancienne ville du Khorassan fondée, selon quelques auteurs, sous le règne de Key Kaous. Des historiens prétendent, d'un autre côté, qu'elle doit son origine à Afrasiab. Iskender Zoul Qarneïn l'agrandit et la fortifia. Serakhs est bâtie dans une plaine; on n'y trouve d'autre cours d'eau que celui qui est formé par le superflu des eaux de la rivière de Hérat. Son lit est à sec pendant une partie de l'année. La superficie de Serakhs est égale à la moitié de celle de Merw. Les maisons sont construites en pisé. L'eau y est fournie par des puits. Les meules des moulins sont mises en mouvement par des bêtes de somme. Cette ville est un des entrepôts du commerce du Khorassan. Le sol des environs de la ville est bon et couvert en grande partie de pâturages. La principale richesse du pays consiste en chameaux. On voit peu de villages dans les environs de la ville. Les habitants de Serakhs ont la même physionomie et le même langage que ceux de la province du Ghardjistan. Isthakhry, page 272. Mouqaddessy, pages 312, 313. Yaqout, traduction de M. Barbier de Meynard, pages 307 et 308.

[12] Voy. Appendice II.

[13] Le sultan Seldjouqide Roukn Eddin Abou Thalib Thogroul beik Mohammed ne se rendit maître qu'après un long siège de la ville d'Ispahan qui était défendue par l'émir Abou Mansour Feramourz, fils d'Ala ed Daoulèh, fondateur de la dynastie des Béni Kakouièh. Il y fit son entrée au mois de Moharrem 443 (mai 1051). L'émir Abou Mansour reçut en fief, pour le dédommager de la perte d'Ispahan, les provinces de Yezd et d'Ebrkouh ibn el Athir, El Kamil fit Tarikh, éd. de H. Tornberg, Leyde, 1863, tome IX, p. 385.

[14] Le Khadjeh Hibet oullah Mouwaffaq était secrétaire du sultan Thogroul beik. Ce fut lui qui désigna à ce prince comme chef de la correspondance arabe le célèbre Abou Nasr Mansour el Koundoury qui fut mis à mort par Alp Arslan en 456 (1063). Mouwaffaq est le père d'Abou Sahl Mohammed, plus connu sous le nom d'Ibn Mouwaffaq, chef des Chaféites de Nichapour qui fut chargé d'accompagner à Bagdad Seïydèh, fille du Khalife El Qaïm bi Amr illah que Thogroul beik avait épousée. Il mourut en route de la petite vérole (466—1064). Ibn el Athir, Kamil fit Tarikh, tome X, page 23.

[15] Qoumès est la transcription arabe altérée des mots persans Kouh Mis (montagne du cuivre). On désigne sous ce nom un vaste district montagneux de quatre-vingts fersengs de longueur sur soixante de largeur. Le climat est tempéré, les fruits abondants, mais la population y est peu nombreuse. Les habitants de Qoumès avaient une grande réputation de vertu, de modestie et de piété. Ils avaient le goût des sciences et des arts. La capitale de la province était Dameghan, et les villes principales Simnan, Bistham, Zeghnèh, Byar et Moghoun. Nassiri Khosrau désigne ici, sous le nom de Qoumès, Bistham où se trouve le tombeau du Cheikh Bayezid Bisthamy. Bistham est sur la route de Nichapour à Rey. C’est, dit Mo'cir Ibn Mouhilhil, cité par Yaqout, un gros bourg qui ressemble plutôt à une petite ville. Le fameux Cheikh Abou Yézid Bisthamy y est né. On donne le nom de Bisthamy à une qualité de pommes très jaunes et d'un goût exquis qui proviennent de cette ville et qu'on exporte dans l'Iraq .... En face de la ville, sur une colline, s'élève un château-fort, très vaste, garni de solides murailles et flanqué de donjons et de tourelles. On en attribue la fondation à Chapour Zoul Ektaf. Selon Mouqaddessy, la ville de Bistham était peu peuplée. Elle était entourée de nombreux vergers où l'on recueillait des fruits délicieux. Les environs de la ville sont charmants. La grande mosquée, d'une construction élégante, s'élève comme une citadelle au milieu des bazars. La ville est sillonnée par des eaux courantes. Le tombeau du Cheikh Abou Yézid est au centre de la ville, près du grand bazar. Le nom de ce saint personnage est Theïfour Ibn Issa. Son arrière-grand-père appelé Serouchan était un guèbre converti à l'Islamisme. Abou Yézid mourut en 261 (A. D. 874). La coupole qui surmonte aujourd'hui son tombeau a été construite en 700 (1313) par le prince mogol Oldjaïtou Sultan Mohammed Khoudabendèh qui avait pour directeur spirituel le Cheikh Cheref Eddin, un des descendants d'Abou Yézid. On trouve une description de la ville actuelle de Bistham et une vue du tombeau dans la « Relation du voyage de S. M. Nassir Eddin Chah à Mechhed » Téhéran, 1286 (1870), pages 88 à 89.

[16] Dameghan, capitale de la province de Qoumès, se trouve sur la route de Nichapour à Rey. Cette ville, qui a peu d'eau et qui est moins grande que Bistham, est construite sur un terrain rocailleux. Quelques-uns de ses quartiers sont en ruines; trois portes s'ouvrent dans le mur de la ville. On y voit deux marchés situés l'un dans la partie haute, l'autre dans la partie basse de la ville. Le revenu de leurs boutiques est consacré à entretenir en bon état les caravansérails de Dihistan et d'Efravèh et à défrayer les voyageurs. La grande mosquée est au centre de la ville. Les bains sont fort mal tenus et les citernes sont semblables à celles de Merw. Isthakhry, page 211. Mouqaddessy, page 256. Yaqout, traduction de M. Barbier de Meynard, page 223.

[17] Abkhoury est une localité aujourd'hui déserte qui se trouve entre Qouchèh et Ahouan sur la grande route de Nichapour à Rey. Les champs qui peuvent être irrigués, sont ensemencés par les habitants de Dameghan. Tchachtkharan est le nom d'un lieu maintenant inhabité et qui est situé entre Ahouan et Simnan, à la distance de trois fersengs de cette dernière ville. Il y a à Tchachtkharan une mine de cuivre. Un canal souterrain amène une quantité d'eau suffisante pour permettre à des habitants de Simnan de cultiver quelques pièces de terre. Voyage de S. M. Naub Eddin Chah à Mechhed. Téhéran 1286 (1870), pages 66—68.

Simnan, sur la grande route du Khorassan, possède une belle mosquée bâtie au milieu du bazar. L'eau est distribuée de façon que chaque habitant la reçoit à son tour et la fait couler dans des citernes. En venant de Rey on passe avant d'arriver à Simnan par le village de Simnan et dont le marché est plus important que celui de cette dernière ville qui était à demi ruinée lorsque Yaqout la traversa au commencement du XIIIe siècle.

[18] Le nom de Levassan désigne aujourd'hui un district situé sur la pente et au pied du Demavend. Il est divisé en deux cantons : le grand Levassan et le petit Levassan. Chacun d'eux renferme de cinquante à soixante villages.

[19] Qouhed, dont la prononciation vulgaire est Qouhèh, est, dit Yaqout, le nom de deux bourgs importants du district de Rey. Le premier est celui de Qouhed supérieur ou Qouhed à l'eau, ainsi nommé par ce que c'est là que se partagent les cours d'eau qui arrosent le territoire de Rey. J'y ai passé en 617 (1220) avant l'invasion des Tartares. C'était un vaste bourg qui renfermait plusieurs caravansérails, un marché et un beau couvent de soufis. L'autre Qouhed inférieur ou Qouhed aux ânes est situé à un farsakh du premier, entre celui-ci et Rey. Il m'a paru aussi riche et aussi peuplé, et j'y ai remarqué un beau bazar. Yaqout, traduit par M. Barbier de Meynard, page 463.

[20] Qazvin était déjà, à l'époque des anciens rois de Perse, une place forte occupée par une nombreuse garnison chargée de protéger le pays contre les incursions des Deïlémites et les attaques des brigands. Elle portait, dit Ibn el Faqih, cité par Yaqout, le nom de Kechwin. Au rapport d'Abou Ishaq el Isthakhry, Qazwin a un mille carré de superficie. Les habitants n'ont d'autre eau que celle de la pluie ou des puits et celle qui leur est fournie par un petit canal souterrain dont le superflu est insuffisant pour servir à l'irrigation des terres. Malgré cette sécheresse, les vivres sont à bon marché et les fruits abondants, le raisin sec forme un important article d'exportation.

Qazvin se compose de deux villes distinctes. La plus petite porte le nom de Chehristan et est entourée d'une enceinte fortifiée : une autre ville également défendue par un rempart s'étend autour d'elle. On rencontre ensuite les jardins et les vergers, puis les champs cultivés. Chapour Zoul Ektaf est, suivant Ibn el Faqih, le fondateur de cette cité intérieure qui porte aujourd'hui le nom de Chehristan.

Lorsque le khalife Haroun er Rachid traversa la province du Djibal pour se rendre dans le Khorassan, les habitants lui firent parvenir leurs doléances au sujet des maux que leur faisaient endurer les Deïlémites leurs voisins. Ce prince se rendit à Qazwin : il fit construire les remparts qui la défendent, et une mosquée qui remplaça comme mosquée cathédrale celle qui avait été bâtie par Mohammed fils de Heddjadj (254 A. D. 868). Pendant son séjour à Qazvin, le khalife fut témoin d'une alerte. Il entendit sonner la trompette d'alarme, il vit les habitants fermer leurs boutiques, courir aux armes et se porter précipitamment à la rencontre de l'ennemi. Il fut pris de compassion et il abolit les impôts à l'exception d'une taxe de dix mille dirhems.

Qazvin renferme des sanctuaires qui jouissent d'une grande renommée de sainteté ; tous les vœux que l'on y forme sont exaucés : ce sont les mosquées de Chalikan, de Chehristanek, de Dîhek et celle de Bab el Mouchabbak (la porte grillée), adossée au mur d'enceinte. Une des merveilles de Qazvin est la Maqçourah de la grande mosquée construite par l'émir Khoumar Tach, affranchi du prince Bouyde Imad oud Daoulèh Aboul Hassan Aly (338—949). Elle est surmontée d'une très haute coupole qui a la forme d'un melon d'eau. On n'en voit de plus grande et de plus belle ni dans les pays de l'Islamisme, ni dans les contrées des infidèles. On remarque également à Qazvin le marché aux chevaux qui se tient à Restaq ech Chaïr (la file des magasins d'orge). On y voit, dit-on, paraître de suite les marques qui indiquent les blessures de tout cheval qui est amené pour y être vendu. Le cimetière de Bab el Mouchabbak renferme les tombes de docteurs, de confesseurs de la foi et de personnages dont la vie a été sainte et pure. On s'y rend pour prier, les nuits qui précèdent le vendredi. On voit alors des jets lumineux s'élever des tombeaux et retomber à terre. J'en fus, moi-même, une nuit, le témoin. Je vis s'élancer d'un tombeau un globe ayant le volume d'une aiguière. Il s'éleva en l'air plus haut qu'une portée de flèche ; sa lumière éclaira les environs. Une nombreuse assistance le contempla comme moi et s'écria : « Dieu est le plus grand ! » et : « Il n'y a de Dieu qu'Allah ! » La couleur de ce globe lumineux n'était point celle du feu : elle se rapprochait de celle de la lune avec une teinte verdâtre. Il retomba à l'endroit d'où il s'était élevé.

Abou Ishaq el Isthakhry, page 211. Yaqout, traduction de M. Barbier de Meynard, pages 441 À 446. Zekeria Ibn Mohammed el Qazwiny, Açar oul bilad, édition de M. Wüstenfeld, Göttingen 1848, pages 290 à 294.

L'histoire de Qazvin a été écrite par l'Imam Abou Abdallah Mohammed Ibn Yézid bin Madjèh (mort en 273—886), par l'Imam Aboul Qasim Abdoul Kerim er Rafiy (623—1226) et par Abou Yaly Khalil el Qazwiny. Hamdallah Moustaufy a donné à la fin de son Tarikhi Gouzidèh une notice sur sa ville natale. Elle a été traduite par M. Barbier de Meynard et insérée dans le Journal Asiatique, année 1857. Les inscriptions qui constatent les travaux faits par Khoumar Tach et donnent la liste des legs pieux institués par lui ont été recueillies par Hassan Aly Khan et insérées dans le Mirât oul bouldân Nassiry, Téhéran 1297, tome IV, pages 109 à 111. Les chaussures fabriquées à Qazvin sont encore estimées en Perse. On les désigne sous le nom de « Tchemouch ».

[21] Abou Ishaq el Isthakhry, Ibn Haukal et Mouqaddessy ne mentionnent point le nom de ces bourgs ou de ces districts. Yaqout ne donne au sujet de Bil que des renseignements fort vagues. Selon Abou Saad, dit-il, Bil est le nom d'un bourg, et selon Abou Nasr, celui d'un district tout entier de la province de Rey. Abdallah Ibn Hassan er Razy el Bily, connu par sa dévotion ascétique, et Abou Abdallah Mohammed el Bily el Mouaddil (l'arbitre), mort en 330 (941), y ont vu le jour. Yaqout, traduction de M. Barbier de Meynard, page 129.

Les deux villages de Bil et de Qebban qui dépendent de Qazvin n'en forment plus aujourd'hui qu'un seul qui porte le nom de Bilqan.

[22] Le nom de ce bourg est orthographié Kharzevil, Harzevil ou Herzevil dans les différents manuscrits que j'ai eus sous les yeux. Riza Qouly Khan, dans son Ferhengui Nasairy, le mentionne sub voce « Mendjil ». « Mendjil, dit-il, est une localité de la province de Tarim. Le village de Harzevil en est tout près. Il est renommé pour la pureté de son climat, l'abondance de ses eaux et le grand nombre des arbres qu'on y voit. Il est bâti sur le penchant d'une montagne et les maisons sont étagées les unes au-dessus des autres. » On lit dans l'histoire de Chah Abbas à laquelle Iskender Mounchy a donné le titre de Alem Aray que : « en l'heureuse année de Younat Yil (l'année du cheval, selon le cycle turc, qui correspond à l'année 1003—1694), Sa Majesté s'arrêta dans le Tarim et séjourna pendant quelques jours à Mendjil et à Harzevil, bourg du Tarim, qui est bâti sur la ponte d'une montagne. Les maisons sont construites en étages les unes au-dessus des autres. Le village est entouré d'un grand nombre de jardins; des sources d'une eau limpide et agréable coulent du haut de la montagne et se réunissent dans un seul lit qui les conduit jusqu'au bas. Dans la saison du printemps l'abondance des fleurs et des plantes odoriférantes fait ressembler chacun de ces jardins aux bosquets du paradis ». Tarikhi Alem Aray Abbassy, manuscrit de mon cabinet, page 37.

[23] Marchand de légumes et de comestibles.

[24] Tarim est le nom d'un vaste district dont les montagnes dominent Qazvin du côté du Déilem; il est d'une grande fertilité, bien arrosé et couvert de villages florissants. 21 était divisé en Tarim supérieur qui renfermait la forteresse de Badj ou de Tadj et cent villages, et en Tarim inférieur où se trouvaient les villes de Chemiran et de Firouzâbad. Dictionnaire géographique de la Perse etc., traduit par M. Barbier de Meynard, page 392. Hassan Aly Khan Seny' oud Daoulèh donne dans son Mirât oul bouldân Nassiry des détails sur l'histoire et la situation actuelle de Tarim, tome Ier, 334 à 337.

[25] L'émir Abou Salih Djestan Ibn Ibrahim dont il sera question plus loin.

[26] Le Chah Roud et le Sepid Roud, dit Qazwiny, sont deux rivières qui prennent leur source dans les montagnes de l'Azerbaïdjan. Le courant du Chah Roud est très rapide et son lit est semé de roches et couvert de cailloux. Le bruit de ses flots est effrayant et s'entend à une grande distance. Le Sepid Roud coule lentement et le volume de ses eaux est plus considérable que celui du Chah Rond. On dit que le Chah Roud est le théâtre de peu d'accidents, malgré la violence de son courant et le bruit de ses vagues, tandis que les catastrophes sont fréquentes dans le Sepid Roud, bien que ses eaux coulent doucement et silencieusement Les rives de ces deux rivières sont bordées par des montagnes; elles se réunissent à la distance d'une journée de marche du Guilan et forment un grand fleuve qui traverse cette province. Il fournit aux habitants l'eau potable et celle qui est nécessaire à l'irrigation de leurs terres. On a pratiqué, à cet effet, un grand nombre de saignées. Le surplus des eaux se déverse dans la mer Caspienne. Abou Zekeria el Qazwiny : Adjaïb el Makhlouqat, Göttingen 1849, page 181.

On peut consulter sur le cours de ces deux rivières: Journal of a tour through Azerbidjan and the shores of the Caspian, by the colonel Monteith. (Journal of the S. Geogr. Society, 1833, tome III, pages 13 à 17) et G. Melgunof, Das südliche Ufer des karpischen Meeres, Leipzig 1868, pages 247 à 248.

[27] La place forte de Chemiran est aussi désignée par les géographes arabes sous le nom de Semiran et de Semirem. Yaqout nous a conservé la description de cette forteresse d'après le récit de Mo'cir Ibn Mouhilhil. « J'arrivai, dit cet écrivain, dans la citadelle du roi du Déilem, connue sous le nom de Semiran. Je n'ai rien vu de mieux, construit et de plus vaste, parmi les résidences royales, car on y compte plus de 2860 palais et maisons de différentes dimensions. Son premier possesseur Mohammed ben Mussafir avait l'habitude, lorsqu'il voyait un travail bien exécuté et solide, de s'informer du nom de l'ouvrier; il lui envoyait une somme d'argent pour le capter et lui en promettait le double s'il voulait se rendre à la cour. Lorsqu'il se l'était attaché, il l'empêchait de sortir de la citadelle pour le reste de ses jours. En outre, il prenait les fils de ses propres sujets et les employait à ces travaux. » Le prince Bouyde Fakhr oud Daoulèh s'empara de cette place en 379 (989). Chemiran fut rasée par les Ismaïliens.

Yaqout qui en visita les ruines, dit qu'elles témoignaient de l'importance de cette place. Dictionnaire géographique de la Perse etc., page 319. Mouqaddessy dit que Chemiran était la citadelle de Salarvend, que l'on y voyait des lions en or et la représentation du soleil et de la lune. Mouqaddessy, page 360.

[28] Djestan, fils d'Ibrahim, de la dynastie des Benou Salar, fut en 430 (1038) confirmé par Thogroul beik dans le gouvernement de Déilem et du Thabarestan : mais il se vit enlever le Djourdjan qui fut donné par le sultan Seldjouqide à Asfar, un des officiers de Menoutchehr.

[29] Serâb, située entre Ardebil et Tabriz, à trois journées de marche de la première de ces deux villes, est traversée par la rivière qui porte son nom et qui prend sa source dans le mont Silam. Le climat de Serâb est froid. Son territoire produit en abondance du blé et d'autres céréales, mais les fruits et le raisin y sont rares. Dictionnaire géographique de la Perse, etc., page 306.

[30] M. Barbier de Meynard, dans le « Dictionnaire géographique, historique et littéraire de la Perse », a ajouté à la traduction de l'article consacré par Yaqout à Tabriz, celle de la notice de Hamdallah dans son Nouzhet oul Qouloub et d’Ahmed Razy dans .le Heft Iqlim. Ibn Batoutah donne une curieuse description de cette ville au XIVe siècle. Cf. Voyage d’Ibn Batoutah, traduits par C. Defrémery et le docteur B. R. Sanguinetti, Paris 1854, tome II, pages 129 et suivantes. Mohammed Hassan Khan Seny' oud Daoulèh a résumé dans son Mirât oul bouldân Nasairy tout ce que les géographes orientaux et les voyageurs modernes ont écrit sur cette ville. Mirât oul bouldân, tome I, page 337 à 419.

[31] Abou Mansour Vèhssoudan Ibn Mohammed er Rawedy el Azdy fut le dernier prince indépendant de la dynastie des Beni Salar ou Beni Moussafir qui gouvernait l'Azerbaïdjan depuis l'année 330 de l'Hégire (941).

Huit ans après le passage de Nassiri Khosrau, en 446 (1064), Thogroul beik marcha contre Tabriz avant d'envahir les États de l'empereur Michel.

A son approche, Abou Mansour se hâta de lui envoyer des présents et de lui faire sa soumission. Il lui donna son fils en otage pour répondre de sa fidélité et il fit réciter dans les mosquées de sa capitale la khouthbèh au nom du sultan Seldjouqide. Ibn el Athir, Kamil fit Tarikh, tome IX, page 410.

[32] Tous les annalistes orientaux mentionnent le violent tremblement de terre qui ruina la plus grande partie de Tabriz en 434.

Soyoutby, dans l'opuscule qu'il a écrit sous le titre de Kechfoul aoUsalèh fi auatfil zehelèh, donne de cette catastrophe un court récit qu'il a emprunté aux chroniques d'Ibn Kethir et de Zeheby.

Ibn el Athir la raconte dans les termes suivantes : « En cette année 434, un violent tremblement de terre ébranla la ville de Tabriz et détruisit le château, les murs d'enceinte, les maisons, les bazars et la plus grande partie du palais du gouvernement L'émir (Abou Mansour Vèhssoudan) qui se trouvait dans un jardin échappa à la mort. On fit le dénombrement des gens qui avaient péri et on reconnut que leur nombre s'élevait à près de cinquante mille. L'émir prit des vêtements noirs pour témoigner la douleur que lui faisait éprouver une pareille calamité. »

Zeheby et Yafey rapportent que le célèbre jurisconsulte Abou Zerr Abad el Herewy fut enseveli sous les décombres de sa maison. Il était âgé de soixante-dix huit ans. Ce tremblement de terre avait été prédit, dit le Qadhi Roukn Eddin, par l'astronome Abou Thahir de Chiraz. L'émir Abou Mansour commença, sur l'avis de ce savant, la reconstruction de la ville en 435, lorsque le soleil entrait dans le signe du Scorpion.

On trouve dans le divan du poète Qathran une pièce de vers dans laquelle il fait la description du bouleversement éprouvé par la ville.

[33] Les biographes persans ne sont pas d'accord sur le lieu de naissance d'Abou Mansour Qathran el Djebely el Azhedy. On désigne les villes de Tirmiz et d'Ourmiah. Il est plus probable qu'il est originaire de la province du Djebel dans le Deïlein, ainsi que l'indique son surnom. Il vécut à Tabriz. Il fit, dit-on, le voyage de Balkh pour présenter à l'émir Ahmed Ibn Qoumadj, gouverneur de cette ville pour le sultan Sindjar, un poème qu'il avait composé et qui porte le titre de Qous Namih.

Le recueil des œuvres poétiques de Qathran se compose de huit mille distiques. Il a écrit un certain nombre d'odes à la louange du prince Bouyde Azhed oud Daoulèh, de Vèhssoudan, de l'émir Fazhloun et du sultan Memlan.

Qathran mourut en 465 (1072).

[34] Aboul Hassan Aly Ibn Mohammed était originaire de la ville de Tirmiz. Le mot Mendjik signifie un joueur de harpe. Mais l’auteur de l’ouvrage qui porte le titre de Ihia oul moulouk (ce qui vivifie les rois) prétend que ce surnom fut donné à ce poète parce qu’il naquit à Mendjik village situé à l’est de Tirmiz. Mendjik était doué d’une grande éloquence et ses vers se font remarquer par leur élégante facilité mais il avait un caractère violent et personne n’était à l’abri de ses traits satiriques. Selon quelques biographes il aurait été le poète attitré des princes du Saghanian, selon d’autres, il aurait été attaché à la cour du sultan Mahmoud le Ghaznévide.

La plus grande partie de ses œuvres ne nous est pas parvenue. Le temps a épargné une ode à la louange d’Aboul Mouzhaffer Ahmed de la dynastie des Saffârides, et deux autres dans lesquelles il exalte les vertus du prince du Séistan, Thahir Ibn Ahmed.

[35] Oustad Abou Mansour Mohammed Ibn Ahmed Daqiqy naquit à Balkh suivant quelques-uns de ses biographes. D’autres auteurs disent qu’il vit le jour à Samarkand. Il était le contemporain des derniers princes Samanides. L’émir Aboul Mouzhaffer Mouhtadj, gouverneur de la province de Saghanian le combla de bienfaits. Il fut le panégyriste de ce prince. Il passa ensuite au service de l’émir Nasr, fils de Nassir oud Din Sebektekin puis à celui du sultan Mahmoud qui lui donna [ordre de mettre en vers l’histoire des anciens rois de Perse. Il écrivit sans beaucoup de méthode et sous le titre de Gouchtasp Namèh l’histoire de ce roi. On a émis l’opinion que ce poème avait été écrit par l’ordre du prince Samanide Nouh, fils de Mansour.

Daqiqy fut tué en 413 (1022) par un esclave turc dans une partie de débauche. Ferdowsi a inséré dans son Chah Namèh mille distiques empruntés au Gouchtasp Namèh. Quelques pièces de vers consacrées, les unes à la louange de l’émir Aboul Mouzhaffer Mouhtadj les autres aux plaisirs du vin, sont parvenues jusqu’à nous.

[36] Merend, située à deux journées de Tabriz, était à l’époque de Mouqaddessy une ville fortifiée. En dehors de ses murs on voyait de nombreux vergers et un faubourg bien peuple la grande mosquée s’élevait au milieu des bazars.

Selon Belazory, le château et les fortifications de Merend ont été construits par Ibn el Bayat et par son fils Mohammed. Ce dernier s’y retrancha lorsqu’il se révolta contre le khalife Moutewekkil. Ce prince fit marcher contre lui des troupes commandées par Kutchuk Bogha qui le fit prisonnier et rasa le château ainsi que les murailles de la ville.

Au XIIIe siècle, Merend, minée par les incursions des Kurdes, était à peu près déserte.

[37] Khoy est une ville de l'Azerbaïdjan ; elle est fortifiée et florissante. On y fabrique des étoffes qui portent le nom de Khoydjièh. Yaqout, traduction de M. Barbier de Meynard, page 220.

Hamdallah Moustaufy dit dans son Nouzhet oul Qouloub que : « Khoy est une ville de moyenne grandeur; la circonférence de son mur d'enceinte a six mille cinq cents pas. Le climat est assez chaud. Son territoire est arrosé par un cours d'eau qui sort des montagnes de Selmas et se jette dans l'Araxe ».

[38] Abou Ishaq Isthakhry, Ibn Haukal et Mouqadessy mentionnent Berkery : « bourg situé entre Khoy et Ardjich ».

[39] Van, au sud-est du lac auquel elle donne son nom, est une ancienne ville de la province arménienne de Dotb. Les écrivains arméniens disent qu'elle portait autrefois les noms de Vanapert et Vanagerd. Elle fut, si l'on s'en rapporte à une ancienne tradition, fondée par la reine Sémiramis. Elle tomba en ruines et fut rebâtie par le roi Van peu de temps avant l'expédition d'Alexandre. Les princes Ardzouni y fixèrent leur résidence, et, au commencement du XIe siècle, ils la cédèrent, avec toutes leurs autres possessions, aux empereurs de Constantinople. Elle passa ensuite sous la domination des Seldjouqides. Selon Yaqout, on fabriquait à Van d'excellents tapis. Saint-Martin : Mémoires sur l’Arménie, Paris 1818, tome I, page 147. Yaqout, tome IV, page 895.

[40] Vesthan (Osdan des écrivains arméniens) est le nom d'un district et d'une petite ville située sur le bord méridional du lac de Van. Le distinct de Vesthan fait partie de la province arménienne de Rechdouni. Il est bien arrosé, couvert de pâturages et abondant en fruits de toutes sortes. Il renferme treize villages. La ville de Vesthan est à six fersengs au sud-ouest de Van : elle est entourée d'une enceinte crénelée et défendue par un château. Cf. Indjidjian, Géographie universelle, Venise 1806, tome Ier, page 158. Taqouim oul bouldân, publié par M. Reinaud et M. Mac Guckin de Slane, Paris 1840, page 396. Djihan Numa, Constantinople 1145 (1732), page 417.

[41] « Akhlath ou Khilath est située dans une plaine. Elle est entourée de beaux vergers et dominée par un château en terre. La grande mosquée s'élève au milieu des bazars. Elle est traversée par un cours d'eau.

« Khilath, dit Yaqout, est une ville de l'Arménie moyenne; elle est renommée par l'abondance de ses fruits et de ses eaux. La rigueur du froid qui y sévit en hiver est proverbiale. Le lac qui se trouve dans son voisinage fournit un poisson appelé tharrikh que l'on exporte dans tous les pays. J'en ai vu à Balkh, et on le transporte même à Ghaznèh, bien que cette ville soit à quatre mois de marche de Khilath. » Yaqout, Moudjem oul bouldân, tome II, pages 457—458.

[42] Cet émir était le troisième fils de Merwan ibn Rouchek, le fondateur de la dynastie Kurde qui porte son nom et qui gouverna le Diar Bekr et le Bjezirèh de 373 à 487 (981 à 1094). Il monta sur le trône en 402 (1011) après le meurtre de ses deux frères Abou Aly Sayd et Moumehhid oud Daoulèh Mansour. Au commencement de son règne, il était tributaire de l'empire de Byzance, mais quand le sultan Thogroul beik entra dans le Djezirèh (446 [1064]) il lui envoya une ambassade et il lui fit offrir un rubis célèbre en Orient, qu'il avait acheté d'un prince Bouyde. Il se déclara son vassal et lui donna les assurances d'une inaltérable amitié. Nasr oud Daoulèh régna paisiblement pendant cinquante-deux ans et mourut en 453 (1061) à l'âge de plus de quatre-vingts ans. Il eut pour ministres deux hommes d'état célèbres : Fakhr oud Daoulèh Abou Nasr Mohammed ibn Djehir et Aboul Qassim Ali ibn Husseïn el Maghreby. Tous les historiens orientaux parlent de son luxe, de ses goûts littéraires et de la générosité avec laquelle il récompensait les poètes. Le titre de Nasr oud Daoulèh (l'aide de l'empire) lui fut accordé par le khalife Qadir billah. Scheref Eddin : Histoire des Kourdes, publiée par V. Véliaminof-Zernof, Saint-Pétersbourg, 1860 à 1802, tome I, pages 19 à 20.

Tarikhi Mimedjdjim bachy, Constantinople, 1285 (1870), tome II, pages 514-615.

Ibn el Athir : Kamil fit Tarikh, tome IX passim et tome X, page 11.

L'histoire a conservé les noms des fils de Nasr oud Daoulèh. L'un d'eux, l'émir Abou Harb Souleyman, gouverna la province de Djezirèh et fut tué en 447 (1055) par les Kurdes de Fenek.

[43] Akhlath a, en arabe, la signification de mélange, de réunion d'hommes de différentes races.

[44] Bidlis ou Bithlis, à sept fersengs d'Akhlath, est située dans une vallée profonde entourée de hautes montagnes. La chaleur y est très grande en été et le froid très rigoureux en hiver. Les géographes orientaux prétendent qu'elle fut fondée par Alexandre.

Cheref Eddin, dans son Histoire des Kourdes, a consacré une longue notice à sa ville natale. Cf. Scheref Eddin Bidlissy, Cheref Namèh ou Histoire des Kourdes, texte persan, publié par V. Véliaminof-Zernof, Saint-Pétersbourg 1860, tome I, pages 334 à 340.

[45] Ce château est celui de Hisn Keïf ou Hisn Keïfa, appelée aussi par les Arabes Ras el Ghoul (la tête de l'ogre), qui domine la ville de ce nom. Elle est située sur les bords du Tigre et c'était, au dire de Mouqaddessy, la place frontière du territoire de Meïafarékïn. Cette forteresse est appelée Κίφας par Procope : les Persans lui donnaient le nom de Guilkerd. Elle devint en 629 (1231) la capitale d'une dynastie Kurde Eyyoubite qui régna jusqu'en 930 (1523).

[46] Mesdjid Ouweïs Qarany (la mosquée d'Ouweïs Qarany), est située, dit el Mouqaddessy, entre Arzen et Maaden, à une journée de marche de chacune de ces deux villes.

Ouweïs Qarany, un des compagnons du Prophète, fut tué à Siffin en combattant pour Aly. D'autres auteurs prétendent qu'il mourut en Arménie ou dans le Sedjestan. El Qorthoby affirme qu'il expira dans le désert en se rendant de Médine à Damas. On montre son tombeau dans cette dernière ville, dans le cimetière qui s'étend entre Bab el Djabièh et Bab es Saghir.

Cf. Ibn el Athir, Kamil fit Tarikh, tome III, page 272. Ibn Batoutah, Voyages, tome I, pages 222 à 223.

[47] Arzen, Arzendjan, et selon la prononciation locale Arzenkan, est une ville prospère; elle jouit d'une certaine renommée et le séjour en est agréable. On y trouve en abondance tous les biens de la terre et elle est bien peuplée. Elle fait partie de l'Arménie et est située entre les frontières de l'empire grec et Akhlath, non loin d'Arzinet er Roum (Erzeroum). Les habitants sont pour la plupart Arméniens, mais il y a des Musulmans qui sont les notables de la ville.

A Arzen, on boit du vin et l'on se livre ouvertement et publiquement à la débauche. Yaqout, Moudjem oul bouldân, tome I, page 205.

[48] Meïafarékïn est la ville la plus considérable du Diar Bekr. Elle fut conquise par les Musulmans commandés par Ayadh Ibn Ghanem, sous le khalifat d'Omar.

Les Arabes établirent leur camp dans une plaine où jaillit une source qui porte le nom d’Aïn el Beidha (la source blanche). Cette ville capitula moyennant une rançon de 60.000 dinars. Chaque habitant parvenu à l'âge viril dut payer deux dinars, deux boisseaux de blé, une mesure (moudd) d'huile, une de vinaigre et une de miel.

Les géographes orientaux donnent peu de détails sur la ville de Meïafarékïn qui fut la capitale de la dynastie des Béni Merwan. Yaqout a inséré une assez longue notice sur son histoire avant la conquête arabe (Moudjem, tome IV, pages 703 à 707).

[49] Les géographes orientaux donnent peu de détails sur la ville d’Amid. Ils se bornent à dire qu’Amid est entourée de vergers et qu’elle est remarquable par ses fortifications construites en pierres noires que le fer ne peut entamer et qui résistent à l’action du feu. Le récit de Procope confirme l’exactitude de la description de Nassiri Khosrau. Les murs d’Amid furent réparés par Justinien : « Urbis Amidae muros, majorem ac minorem qui ob vetustatem jam ruinae proximi videbantur, nova quadam substructione firmavit, itaque urbi secuntatem praestitit » Procopius, De Aedificiis Bonnae 1838, page 220.

Amid fut jusqu’en 1176 le siège du patriarche Jacobite Assemani, Bibliotheca orientalis, Romae 1721, tome II.

Alp Arslan passa devant Amid en 463 (1070). Ce prince, frappé de la force de ses remparts, les toucha de sa main qu’il porta ensuite sur son visage, comme pour s’en attirer les bénédictions. Bar Hebraeus, Chronicon Syriacum, éd. Bruns, Leipzig 1789, page 260

Les fortifications de Tortose étaient construites. D’après le système adopté par les ingénieurs grecs pour celles d’Amid. M. G. Rey en a donné un dessin dans ses « Monuments de l’architecture des Croisés en Syrie », Paris 1871, in 4°, page 73.

Aly el Herewy nous apprend dans son « Livre des pèlerinages » qu’Amid possédait cinq mosquées et que l’on y vénérait le tombeau du Cheikh Saad. Il y fut lui même l’objet d un miracle dû à l’intercession de ce saint personnage El Icharat ila’z ziarat, f° 58 r°.

[50] Harrân, ville principale de la province de Beni Modhar, est bâtie dans une vallée qu'entourent des montagnes qui s'étendent sur une longueur de deux journées de marche. Elle est à la distance d'un jour de Rohâ (Edesse) et de deux jours de Raqqa. Selon Mouqaddessy, l'enceinte fortifiée de Harrân est construite en pierres de taille, et elle rappelle par sa beauté celle de Jérusalem. L'eau est amenée dans la ville par des canaux en maçonnerie. La grande mosquée est bâtie en pierres noires et blanches.

Ibn Haukal dit que Harrân était une ville de Sabéens ; ils y avaient leurs temples. De son temps, ou voyait sur une colline un lieu d'adoration pour lequel ils avaient la plus grande vénération et dont ils faisaient remonter la fondation à Abraham.

Yaqout, tome II, pages 230—232. Mouqaddessy, page 141. Ibn Haukal, pages 142—145. Cf. sur Harrân et les Sabéens de cette ville Maçoudi, Les prairies d'or, éd. de M. Barbier de Meynard, tome II, pages 61—65 et tome VI passim.

[51] La ville dans laquelle Nassiri Khosrau s'est arrêté pendant si peu de temps est, sans aucun doute, celle de Rohâ ou Edesse.

Le nom de Qaroul, avec le changement si fréquent de l en r dans les dialectes vulgaires de l'Orient, me paraît être, ainsi que celui de Rohâ, une corruption du nom de Callirrhoë que portait Édesse sous !a domination des Grecs.

[52] Coran, chap. CXIV.

[53] Coran, chap. CXI.

[54] Seroudj, ville de la province de Diar Modhar, est a une journée de marche de Harrân et à la même distance de Birèh qui est située au nord.

Les environs sont arrosés par de nombreux cours d'eau. Les vergers de cette ville produisaient des grenades, des poires, des pêches et des coings d'une saveur exquise. Seroudj était en ruines au XIVe siècle. Taqouim oul bouldân, pages 276—277.

[55] Menbidj fut fondée, dit-on, par Kesra ou Chosroès pendant la campagne qui se termina par la soumission de la Syrie.

Ce prince bâtit dans cette ville un pyrée auquel il donna le nom de Menbèh. Menbidj est la forme arabisée de ces deux mots persans.

Cette ville s'élève dans une plaine à trois fersengs, c'est-à-dire à une journée de marche de l'Euphrate; elle est à dix fersengs ou deux jours de voyage d'Haleb. Elle était entourée d'une muraille en pierres de taille. L'eau y était amenée par des canaux à fleur de terre, mais il y avait, dans toutes les maisons, des puits qui fournissaient l'eau nécessaire aux besoins des habitants. Les environs étaient plantés en mûriers pour l'élève des vers à soie. Le premier gouverneur de Menbidj fut un descendant d'Ardeschir, fils de Babek, nommé Ibn Denyar. Celui-ci est l'aïeul du célèbre jurisconsulte Souleyman Ibn Mekhalid. Le khalife Haroun er Rachid avait fait de Menbidj le chef-lieu d'un district de la province d’Awassim qui formait les frontières militaires de l'empire des Abbassides. Les fortifications et la plus grande partie de la ville étaient en ruines au XIIIe siècle.

Yaqout, Moudjem oul bouldân, tome IV, page 654—656. Taqouim oul bouldân, pages 270—271. Ibn Djobaïr, édition de M. Wright. Leyde, 1852, page 250.

[56] Le prince qui gouvernait Haleb lorsque Nassiri Khosrau y arriva, était Mouizz oud Daoulèh Abou Alwan Thimal Ibn Salih de la dynastie des Beni Mirdas qui tiraient leur origine de la tribu arabe des Beni Kelab. Cette dynastie posséda la ville d'Haleb de 414 (1023) à 477 (1084).

Yaqout nous a donné dans son Dictionnaire géographique un extrait de la relation de voyage qu'Ibn Bouthlan el-Mouthetabbib adressa à Hilal Ibn el Mouhssin.

« Nous partîmes de Rotiçafèh, dit Ibn Bouthlan, et après quatre jours de marche nous arrivâmes à Haleb. Cette ville est entourée d'une muraille en pierres blanches percée de six portes. Non loin de cette enceinte se trouve le château; on voit dans sa partie la plus élevée une mosquée et deux églises. L'une d'elles est construite sur l'emplacement du lieu où Abraham offrait ses sacrifices à Dieu. Au pied du château est la caverne où ce patriarche abritait ses brebis .... Il y a à Haleb une grande mosquée, six églises et un petit hôpital. Les jugements des jurisconsultes d'Haleb sont basés sur les prescriptions de la doctrine des Imamièh. « Les habitants boivent l'eau de la pluie qui est recueillie dans des citernes. La ville est traversée par la rivière du Qoueïq dont les eaux débordent pendant l'hiver; en été, son lit est à sec. Au milieu de la ville on voit la maison d'Alwah, amante de Bohtory. Il n'y a à Haleb que peu de fruits, de légumes et de vin. Ce que l'on on trouve est apporté du pays de Roum. Le Qaïs-sarièh où se vendent les étoffes est une des merveilles d'Haleb. Il se compose de vingt boutiques où des commis vendent chaque jour des marchandises pour une valeur de vingt mille dinars; il en est ainsi depuis vingt ans. Aujourd'hui il n'y a point dans cette ville un seul bâtiment tombant en ruines. »

Yaqout, Moudjem, tome II, pages 307—308.

Hafiz Abrou, dans la notice qu'il a consacrée à Haleb, a résumé tous les renseignements fournis par les auteurs qu'il avait à sa disposition. « Dans la ville s'élève, dit-il, un monticule fort élevé et de forme ronde: il a mille guez de circonférence. On a bâti au sommet un château-fort entouré d'un fossé d'une grande profondeur. Dans le château se trouve le Maqam d'Ibrahim (Abraham) où ce patriarche faisait traire ses brebis tous les vendredis et en distribuait le lait aux pauvres. Ceux-ci s'écriaient alors « Haleb » (il a trait) et ce nom a été donné à la ville en mémoire de ce fait.

Il y a à Haleb plusieurs mosquées où l’on récite la khouthbèh, et le nombre de celles où l'on faisait la prière du vendredi s'élevait ù soixante-quatre à l'époque du sultan Barqouq (784—801 [1382—1398]).

« Dans le collège qui porte le nom de Medresset oul Halawèh (le collège des confitures) on voit, près du bassin, une pierre qui a la forme d'un siège et sur laquelle on remarque quelques sculptures. Les Francs ont pour cette pierre une grande vénération, et ils ont offert pour la posséder des sommes considérables ; mais, les gouverneurs de la ville et ceux de la Syrie n'ont jamais accordé la permission de l'enlever. Une industrie particulière à Haleb est celle de la verrerie. Nulle part ailleurs, dans le monde entier, on ne voit de plus beaux objets en verre. Quand on entre dans le bazar où on les vend, on ne peut se déterminer à en sortir, tant on est séduit par la beauté des vases qui sont décorés avec une élégance et un goût merveilleux. Les verreries d'Haleb sont transportées dans tous les pays pour être offertes en présent. »

L'histoire d'Haleb a été écrite par Ibn Abi Thay Yahia el Haleby (630—1232), par Kemal oud din Abou Hafs Omar qui est plus connu sous le nom d'Ibn Adim (660—1262), par le Qadi Ala oud Din Aboul Hassan Aly el Djibriny (843—1439) et par d'autres historiens qui ont ajouté des appendices aux annales rédigées par leurs prédécesseurs.

La biographie d'Ibn Bouthlan dont il est fait mention plus haut a été insérée dans le Namèhi Danichveran. Téhéran, 1296 (1879), in f°, pages 414—428.

Tous les voyageurs européens qui, depuis le XVe siècle, ont traversé le nord de la Syrie ont donné une description d'Alep; mais, l'ouvrage le plus complet qui ait été écrit sur cette ville est dû à la plume du docteur Alexandre Russell : The natural history of Aleppo containing a description of the city, and the principal natural productions in its neighbourhood, Londres 1794, 2 volumes in-4.

[57] Le rathl Dhahiry est celui qui est marqué du poinçon du khalife d'Egypte, Ed Dhahir li'izaz din illah qui régna de 411 à 427 (1020—1035).

[58] Qinnisrin avait été jusqu’au IXe siècle de notre ère une ville prospère et bien peuplée. Elle était le chef lieu d'un district des frontières militaires de l’empire des khalifes. Le voisinage d’Haleb hâta sa décadence Les Grecs en l’année 351 (A. D. 962) tentèrent un coup de main sur Haleb et massacrèrent la population des faubourgs. Les habitants de Qinnisrin saisis de frayeur émigrèrent, les uns en Mésopotamie, les autres à Haleb sur l’ordre qui leur fut donné par Seyf ed Daoulèh Aboul Hassan Aly Ibn Hamdan. Quelques mois avant sa mort, en 355 (965), ce prince, redoutant une attaque des Grecs qu’il était impuissant à repousser, se rendit à Qinnisrin qu’il rasa et dont il incendia les mosquées. Cette ville ne se releva jamais de ce désastre, elle ne fut plus qu’un lieu de station pour les caravanes qui y payaient les droits dus au fisc.

[59] Sermin, à une journée de marche au sud d’Haleb, possède un marché et une mosquée ou l’on fait la prière du vendredi. La population n'a d’autre eau que celle de la pluie. Les environs de cette ville sont bien cultivés et l’on y voit une grande quantité d’oliviers. Les habitants de Sermin embrassèrent les doctrines des Ismaïliens, ils furent massacrés lors de la destruction de cette secte, et des turcomans et des Arabes vinrent s'établir à leur place dans la ville. Yaqout, Moudjem, tome III, page 83 Hafiz Abrou

[60] Aboul Ala Ahmed ibn Abdallah el Tenoukhy el Ma'arry naquit à Ma'arrah le 27 du mois de Reby oul evvel 363 (22 décembre 973). Il mourut dans cette ville au mois de Reby oul evvel 449 (Mai 1057).

Ibn Khallikan a écrit la biographie de ce littérateur et il confirme quelques-uns des détails que Nassiri Khosrau nous donne sur sa manière de vivre. Cf. Kitab Ouefiat il Ayan, Boulaq, 1275 (1858), tome Ier, page 47, et la traduction de M. de Slane, Biographical dictionary, Paris 1842, in-4°, tome 1er, pages 94—98. M. Rieu a publié sur ce poète une étude qui porte le titre de : De Abul Alae poetae arabici vita et carminibus secundum codices Leydanos et Parisiensem commentatio. Bonnae 1843. On trouve également une notice sur Aboul Ala en tête du commentaire qui a été publié sous le titre de « Tenwir ala siqth iz send » (Eclaircissements sur le livre des étincelles qui jaillissent du briquet). Caire 1282 (1865).

Le titre exact de l'ouvrage dont parle Nassiri Khosrau est el foussoul ouel ghayat (les divisions et les conclusions), et non pas foussoul oul ghayat. Cet ouvrage est un examen critique des Sourèh ou chapitres du Coran et des Ayèh ou versets. Il se compose, au dire d'Ibn el Djauzy qui en cite le titre, de trente cahiers.

Ajout : Sur ce même site on pourra retrouver des extraits de poèmes de al-Ma'ary. Un ouvrage de cet auteur est encore disponible en français de nos jours (2010), il est intitulé L’épître du pardon.

[61] Koueïmat est le pluriel du diminutif du substantif arabe (butte, colline, éminence). Koueïmat a donc le sens de petites buttes, petites collines. Malgré toutes mes recherches, je n'ai pu trouver trace de cette localité dans aucun auteur oriental. Le nom de Koïmal figure dans la liste alphabétique de tous les noms géographiques contenus dans la carte générale des Pachaliks de Bagdad, Orfa et Hhaleb, dressée par M. Rousseau, mais il est donné à un village situé au-delà d'Orfa sur la rive du Djulab.

Je crois donc qu'il faut substituer au mot de Koueïmat ceux de Kafr Thab, village situé entre Cheïzar et Ma'arrat en N'a'aman à une distance de douze milles de chacune de ces deux villes et qui avait quelque célébrité pour ses poteries, ses habitants étaient originaires du Yémen. Yaqout, tome IV, page 289. Taqouim oul bouldân, page 262.

[62] « Le nom de Hamâh, dit Hafiz Abrou, est mentionné dans les livres des Israélites. La beauté et l'élégance de ses édifices lui a fait donner en Syrie le surnom de Arous el bilad (la fiancée des pays). On vante sa prospérité et sa richesse. Hamah est entourée au nord-est par l'Oronte, au sud et à l'ouest s'élèvent des montagnes. La ville bâtie sur une éminence est protégée par une enceinte fortifiée. On a construit devant les portes des ponts sur lesquels ou franchit l'Oronte. Les marchés sont bien fournis; celui qui se trouve sur la colline dans l'intérieur de la ville porte le nom de Souq el aala (le marché haut); l'autre s'étend en dehors d'elle, sur les bords de l'Oronte, et s'appelle Souq el esfel (le marché bas). Le château est situé à une extrémité de la ville. Sa hauteur est telle qu'un bon archer peut seul atteindre avec sa flèche le sommet de ses murailles. La grande mosquée est bâtie dans l'intérieur de la cité sur le point le plus élevé de la colline. On a établi, sur le fleuve, le long de la ville des roues hydrauliques que le courant fait tourner. Elles servent à arroser les jardins et à distribuer l'eau dans les maisons. Leur diamètre est de près de quarante guez. »

[63] La source dont parle Nassiri Khosrau est le Fons sabbathicus, mentionnée par Josèphe et que Titus visita dans sa marche d'Arcaea (Irqah) à Raphanea (Barin). D'après l'assertion de Josèphe, la source cessait de couler le samedi. Au dire des Musulmans, elle s'arrête le vendredi. Le Révérend Samuel Lyde nous apprend (The Ansaryeh and Ismaelyeh, a visit te the secret secte of Northern Syria, London 1853, page 250), qu'elle sort de dessous un rocher calcaire et qu'elle jaillit à des intervalles irréguliers, mais plus fréquemment en été qu'en hiver. L'eau se précipite quelquefois avec tant de violence que le torrent formé par elle est assez puissant pour déraciner les arbres qui se trouvent sur son passage. La source qui porte le nom de Fewwaret ed Déir (la source jaillissante du couvent) est encore aujourd'hui un lieu de pèlerinage très fréquenté par les Chrétiens et par les Musulmans.

Les grands bâtiments dont parle Nassiri Khosrau sont ceux du couvent de Mar Djirdjis (Saint Georges) occupé par des moines grecs. Il s'élève dans la partie supérieure du Wadi Rouweïd à une distance de vingt minutes de la source. Burckardt en a donné une description dans la relation de son voyage en Syrie et en Palestine. Travels in Syria and the Holy Land, London 1822, pages 169—160.

[64] Cette plaine est celle de la Bouqeiya ou petite Biqa'a. Elle s’étend du nord-est au sud-ouest sur une longueur de trois lieues et sur une largeur d’une lieue et demie. Elle est bornée au sud et à l’est par les derniers contreforts du Liban et par un plateau qui attend vers Kibleh. Elle est fermée à l’ouest et au nord par une chaîne de collines qui se détache des montagnes occupées par les Ansarjehs. Au nord de cette chaîne de collines, s’ouvre un défilé dominé par le château qui porte le nom de Hisn el Akrad (le château des Kurdes, le Crac des historiens des Croisades. La plaine de la Bouqeiya se couvre de fleurs au printemps la terre y est d une extrême fertilité Les pentes des montagnes qui l’entourent sont couvertes de cultures et d’oliviers. Les écrivains du moyen âge n’ont point altéré le nom de la Bouqeiya.

« Quant toute cette gent fut assemblée et ils furent hébergés en la Boquie dessous le Crac… et lendemain s en retournèrent a la Boquie dont il se estoient partis » L’Estoire de Eracles empereur, dans les Historiens occidentaux des Croisades, publiés par l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, tome II, page 404—405.

« Il avint einsi com il avoient devisé que tuit s’assemblèrent en la terre de Triple et de toutes parz vindrent en un leu qui a non la Boquée »

« Noradin se demorait es parties de Triple, au leu que l’en appelé la Bouchie » Guillaume de Tyr et ses continuateurs, texte français publié par M. P. Paris, Paris 1880, tome II, pages 220 et 262.

Les géographes orientaux signalent l’abondance des narcisses qui croissent spontanément au printemps dans les plaines de la Syrie. Yaqout, tome III, page 439, sub voce Sayda. Une des îles de la rade de Tripoli porte le nom de Djeziret el Nerdjes (Ile des narcisses).

[65] Irqah est un gros bourg avec un petit château fort, il est arrosé par un cours d’eau de peu d’importance Selon el-Azizy, il fait partie du gouvernement de Damas et il est situé sur l’extrême limite nord de ce gouvernement, non loin de la côte. On compte douze milles d’Irqah à Tripoli dans la direction du sud. Irqah est à la distance de soixante six milles de Baalbek et à deux fersengs de la mer. Hafiz Abrou, dans la courte notice qu’il consacre à cette petite ville, dit quelle est aussi connue sous le nom de Medinet oul kelab (la ville des chiens). Cf. Aboulféda, Taqouim el bouldân, pages 254—255.

[66] La ville de Tripoli fut détruite une première fois par un tremblement de terre sous le règne de l'empereur Marcien (450—466) : puis, une seconde fois, sous celui de Justinien en 550. Elle ouvrit ses portes aux Arabes en l'année 638, et le khalife Moawièh la repeupla en y transplantant une colonie de Juifs. Elle fut prise d'assaut pendant, la guerre que Nicéphore et Tzimiscès firent en Syrie (966—969). Depuis que l'empereur Basile avait mis le siège devant cette ville en 995, elle était occupée par une garnison à la solde du khalife d'Egypte et dont le chef relevait du gouverneur de Damas.

L'autorité civile et religieuse était entre les mains des membres de la famille Ammar. Lorsque Nassiri Khosrau passa par Tripoli, cette ville était administrée par Abou Thalib Ibn Ammar qui mourut en 464 (1071) et eut pour successeur son neveu Djélal oul Moulk Aboul Hassan Ammar qui dirigea la défense de la place contre les croisés en 1109 (A. H. 503).

M. Quatremère, dans ses Mémoires sur l’Egypte (Paris, 1811, tome II, page 506), a donné la traduction d'un passage d'Ibn Ferat relatif à la bibliothèque fondée et entretenue par la famille Ammar. Tous les écrivains orientaux et occidentaux des XIe et XIIe siècles sont unanimes à vanter la prospérité de la ville et la fertilité de ses environs. Outre les fabriques de papier dont parle Nassiri Khosrau, Tripoli possédait, comme toutes les villes de la côte, des verreries. Dans le traité que Boémond VI, prince d'Antioche et comte de Tripoli, conclut le 1er juin 1277 avec J. Contarini, doge de Venise, nous trouvons la stipulation suivante : « Et si Venicien trait verre brizé de la ville, il est tenuz de payer le dhime. » E. G. Rey: Recherches géographiques et historiques sur la domination des Latins etc., Paris 1877, page 47.

[67] Qalmoun ou Qalamoun, à une heure de marche au sud de Tripoli fait partie du district de Koura el Tahta. C'est un village entouré de vergers et défendu par un petit château fort Polybe parle d'une ville de Calamon située au sud de Tripoli et qui fut détruite par Antiochus.

Le révérend W. Thomson, dans la relation de son voyage, signale comme Nassiri Khosrau la source de Qalamoun et vante l’excellente qualité de son eau W. Thomson Bibliotheca sacra, New York, 1848, vol V, n° XX, pages 9—10

Qalamoun est également le nom d'une montagne aux environs de Damas.

[68] Je crois qu’il faut substituer le nom de Batroun à celui de Tharaberzen qui se trouve dans tous les manuscrits que j ai eus à ma disposition. Le nom de Tharaberzen s applique à une place forte qui relevait d Antioche, les Arabes l’ont corrompu et en ont fait Darbessak ; cette dernière dénomination est également employée par les historiens des Croisades.

Batroun (la Sethoron des écrivains du moyen âge) se trouve au sud de Tripoli à la distance indiquée par Nassiri Khosrau. C’est la Botrys de l’antiquité, fondée, selon Ménandre, par le roi de Tyr, Ithobaal, qui en fit une place de guerre pour arrêter les incursions des montagnards du Liban. Cette ville, qui était le siège d un évêque, fut renversée par un tremblement de terre en 550 après Jésus-Christ.

Edrissy est le seul géographe arabe qui fasse mention de Bathroun place forte, située, dit-il, à cinq milles du cap d’El Hadjar.

[69] Djobeïl est l’ancienne Byblos, la Giblet des historiens des Croisades.

Djobeïl, dit Edrissy, est une jolie ville située sur le bord de la mer. Elle est entourée de bonnes murailles, de vergers et de vignobles. Le mouillage y est bon. On n’y trouve point d’eau courante, mais seulement de l’eau de puits. De Djobaïl à Bathroun, ville forte, on compte cinq milles Edrissy, Géographie, traduite par M. Jaubert, tome I, page 356.

« Djobeïl a la forme d un trapèze appuyé à la mer. Son port assez vaste est formé dune haie déterminée par deux pointes du mage et par deux jetées aux extrémités desquelles se voient encore les traces des tours qui défendaient jadis la passe. L'enceinte fortifiée était percée au nord d une porte qui s ouvrait sur la route de Tripoli. Une autre, s’ouvrant dans la partie orientale, était commandée par le château. Le plan général de la ville bâtie en amphithéâtre, forme un vaste trapèze d'une longueur de 300 mètres sur une largeur de 250. Sur trois de ses côtés, Giblet était munie de remparts le quatrième était appuyé à la mer. » G. Rey, Monuments de l’architecture militaire des Croisés en Syrie, Paris 1671, pages 217—219

[70] Beyrouth avait été choisie pour résidence par Hérode Agrippa, elle fut embellie par ce prince qui y fit construire un amphithéâtre, des bains, des portiques et un théâtre. Sous Justinien, un violent tremblement de terre ruina tous les édifices publics, et il ne resta, dit Agathias, de tous ces magnifiques palais que les fondations. Beyrouth ne se releva pas de cette catastrophe. Elle tomba au pouvoir des Arabes en l'an 17 de l'Hégire (688).

Un historien arabe du XVe siècle, Salih Ibn Yahia qui appartenait à la famille des Émirs de la province du Gharb dont Beyrouth est le chef-lieu, a écrit l'histoire de cette ville sous le titre de « Akhbar Beyrouth » (Annales de Beyrouth). Il donne au commencement de son ouvrage quelques détails sur les débris antiques que l'on voyait aux environs. « Beyrouth, dit-il, est une ville dont l'origine remonte à une haute antiquité. Nous en trouvons la preuve dans les ruines que l'on y rencontre encore. On a fait entrer dans la construction de la muraille qui l'entoure un grand nombre de colonnes de marbre et de granit ; l'on sait ce que la mise en œuvre de cette dernière matière coûtait de peines et de travail aux anciens… On remarque également un grand nombre de colonnes de granit dans la mer où on les a placées pour servir de fondations à des murs qui trois fois ont été abattus par la violence des flots et reconstruite trois fois… La grande quantité de marbres et de débris de constructions antiques que l'on met au jour dans les jardins qui entourent la ville donne une idée de l’étendue qu'elle occupait autrefois. Cet espace est de deux milles : il commence au hameau de Qadouqissâ à l'ouest de la ville et il se termine au champ de Haql el Qicha. L'aqueduc qui amenait les eaux à la ville était admirablement construit. Il partait d’Arar, localité du Kesrouan, et il avait une longueur de douze milles. » M. Guys a donné les détails les plus exacts et les plus complets sur les colonnes et les pierres antiques que l'on rencontre aux environs de Beyrouth Relation d'un séjour de plusieurs années à Beyrout et dans le Liban (1824-1838). Paris 1847, tomes I et II.

[71] Il est facile de reconnaître à cette description le granit qui est désigné par les écrivains arabes sous le nom d'el mani.

[72] Tous les auteurs orientaux et les historiens occidentaux des Croisades sont unanimes à vanter les fortifications de Sour, la beauté de son port (mina), la prospérité de son commerce et de son industrie, et la richesse des habitants.

El Mouqaddessy nous apprend que l’on exportait de cette ville du sucre, des verroteries, des verres travaillés au tour et des objets de fantaisie. Guillaume de Tyr parle des verreries de Sour que l'on exportait dans tous les pays. (Willermi Tyriensis archiepiscopi historia, lib. XIII, cap. III, édition publiée par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, page 558). Benjamin de Tudèle vante également le sucre et la beauté des vases en verre fabriqués à Tyr (Voyages, traduits par J. P. Baratier, Amsterdam 1734, page 72). Ibn Djobaïr nous apprend que les grandes voies et les petites mes de la ville étaient plus propres que celles d'Acre ; les maisons plus grandes et mieux disposées Le même voyageur nous a donné une description du mina ou port, et je ne crois point inutile d'insérer ici la traduction de ce passage. Il servira à faire comprendre ce que Nassiri Khosrau dit du port ou mina de Saint-Jean d'Acre.

« Les fortifications de Sour, dit Ibn Djobaïr, sont merveilleuses. Les murailles de la ville sont percées de deux portes; l'une sur la terre ferme, l'autre sur la mer qui entoure la ville de trois côtés. On arrive à la porte de terre après avoir franchi trois ou quatre poternes protégées chacune par un Betirèh (barbacane) qui fait corps avec elle. La porte de la mer est flanquée de deux tours : elle donne accès dans le port dont on ne voit le pareil dans aucune autre ville maritime. Il est entouré de trois côtés par les murailles de la ville, et il est fermé sur le quatrième par un môle dont les pierres sont reliées avec du ciment. Les navires entrent dans le port et jettent l'ancre le long de ce môle. Une grande chaîne tendue entre les deux tours interdit l'entrée et la sortie aux bâtiments qui n'attendraient pas pour manœuvrer qu'elle fut levée. Il y a, dans ces tours, des gardiens et des employés sous les yeux desquels tous les bâtiments doivent passer… Le port d'Acre est disposé d'après le même système et il a, à peu près, la même configuration; mais il ne peut, comme celui de Tyr, abriter de grands navires. Ceux-ci sont obligés de mouiller au large, et les petits vaisseaux peuvent seuls entrer dans le mina. En un mot, le port de Sour est plus complet, plus beau et plus sûr. » Ibn Djobaïr, page 308. Cf. De Bertou : Essai sur la topographie de Tyr, Paris 1843, et Recherches sur ta topographie de Tyr, par P. A. Poulain de Bossay, dans le Bulletin de la Société de Géographie, Février 1861.

[73] Le spectacle des navires rangés côte à côte au fond du port d’Acre a suggéré à Nassiri Khosrau la comparaison dont il se sert dans ce passage de sa relation. Nous la retrouverons plus loin dans la description du bassin ou étaient remises les bateaux de parade du khalife Mostansser billah.

« Akka, dit Mouqaddessy, dont Yaqout et Abou Zekeria el Qazwiny ont copié le récit, est une grande ville bien fortifiée On voit dans l’enceinte de la principale mosquée, enceinte qui est très vaste, un bois d’oliviers dont les fruits fournissent une quantité d’huile plus que suffisante pour l’éclairage de la mosquée. Les fortifications d’Akka n’avaient pas jusqu’à l’arrivée d’Ibn Touloun, une grande importance. Ce prince ayant vu à Sour un port entouré de fortes murailles, voulut doter Akka du même avantage. Il réunit tous les architectes du pays et leur communiqua son projet. Ils lui répondirent unanimement que personne ne se chargerait plus, maintenant, de faire une construction dans l’eau. On lui cita, plus tard, le nom de mon aïeul Abou Bekr el Benna, en ajoutant que nul autre que lui ne serait capable d entreprendre un pareil travail. Ibn Touloun écrivit au gouverneur de Jérusalem de lui envoyer mon aïeul Lorsqu’il fut arrivé, Ibn Touloun lui fit part de son projet ; mon aïeul le trouva praticable et demanda qu’on lui fournit de grosses poutres de bois de sycomore. Il les rangea dans l’eau, l’une à côté de l’autre, en leur donnant la forme d une tour carrée. Il les relia fortement entre elles, en ayant soin de laisser une grande ouverture du côté de l’ouest. Il commença alors à asseoir sur ces poutres une construction en pierres et en mortier. Il divisa son travail en cinq parties qu'il rejoignit l'une à l'autre par de gros piliers pour les consolider. Les poutres s'enfonçaient dans l'eau à mesure qu'elles étaient chargées. Quand Abou Bekr el Benna se fut assuré que cet appareil reposait sur le sable, il l'abandonna pendant une année pour lui donner le temps d'acquérir une parfaite stabilité. Il reprit ensuite les travaux, en ayant soin d'établir une très grande cohésion entre toutes les parties de son œuvre, et il la rattacha à l'ancienne muraille qui se trouvait dans l'intérieur du port. Il jeta une arche au-dessus de l'ouverture. Chaque soir, les navires entrent dans ce mina et on tend une chaîne comme cela se pratique à Sour. Mon aïeul reçut du sultan, en récompense de ce travail, mille dinars, des vêtements d'honneur et des chevaux, et son nom est inscrit sur les murs qu'il construisit. » Mouqaddessy, pages 162—163.

Les Grecs avaient tenté des coups de main sur Acre en l'an 16 de l'Hégire (636), lorsqu’Amr Ibn el Ass était en Syrie, et sous le khalifat de Moawièh Ibn Abou Sofian. Ce prince avait, avant son expédition contre Chypre, fait restaurer les murs et les édifices de la ville. Elle fut reconstruite et embellie par le khalife Omeyyade Hicham Ibn Abd el Melik et par le khalife Abbasside Mouqtadir billah. Yaqout, tome III, pages 707—708.

[74] Cette source du Bœuf était un lieu sacré pour les israélites, les chrétiens et les musulmans; on s'y rendait en pèlerinage. Les musulmans y avaient construit une mosquée dédiée à Aly, fils d'Abou Thalib. Sous la domination latine, les Francs convertirent en chapelle la partie qui regardait l'orient. Ibn Djobaïr, page 307. Yaqout : Moudjem oul bouldân, tome III, page 768—769. Qazwiny : Adjaïb el Makhlouqat, page 190.

[75] Berwèh est un petit village peuplé de musulmans et de chrétiens du rite grec et situé à l'est de Saint-Jean d'Acre, non loin d'une colline qui porte le nom de Tell Berwèh.

[76] « Damoun est un grand village situé sur une colline qui, sans être très élevée, domine toute la plaine de Saint Jean d'Acre… Beaucoup de pierres de taille, d’apparence antique, placées autour des aires ou encastrées dans des maisons modernes, des citernes et des caveaux pratiqués dans le roc, et les vestiges d’un édifice presqu’entièrement rasé, attestent que, Damoun a succédé a une ville plus ancienne. » Guérin, Description géographique, historique et archéologique de la Palestine, IIIe partie, Galilée, tome Ier, pages 424—425.

Zoul Kifl Becher est le fils du patriarche Ayyoub (Job), il reçut le don de prophétie. Cf. Qissès oul Enbia d'Ibn Ishaq Ahmed eç Çaaleby, Caire 1295 (1878), pages 129-130.

[77] « Abillin est probablement la ville de Zabulon détruite par Cestius. Un village s'éleva sur les ruines de la ville antique dont il ne reste plus aujourd’hui que des fûts de colonnes, des citernes, des caveaux et des tombeaux creusés dans le roc sur les flancs de la colline. » Guérin, Description de la Palatine, IIIe partie, Galilée, tome Ier, page 420.

Houd est le patriarche Heber de la Bible. Dieu l'envoya vers le peuple de Ad qui, persévérant dans son incrédulité, fut détruit par un vent brûlant. Selon la tradition musulmane la plus accréditée, le tombeau de Houd se trouverait à Mirbath, près de Hadermaut, dans le Yémen. Cf. Coran, chap. XI, vers 51—63. Aly el Herewy, fol 91

[78] Ouzeïr est probablement le prophète Esdras.

[79] Ce village est aujourd’hui ruiné et désert : « L'emplacement est maintenant envahi par un fourré presqu'inextricable de hautes broussailles qui en rendent très difficile l'examen… On distingue ça et là les arasements de nombreuses maisons démolies, plusieurs tronçons de colonnes déplacées, restes d’un édifice détruit, l'un des jambages d'une belle porte ayant peut être appartenu également à ce monument, et les assises inférieures d une sorte de tour carrée, mesurant neuf mètres sur chaque face et construite avec des blocs gigantesques qu'aucun ciment n'unit entre eux… Sur les premières pentes d'une colline voisine, une belle voûte cintrée en magnifiques pierres de taille jonche de ses débris une construction rectangulaire très régulièrement bâtie, qu’elle couronnait autrefois et par laquelle on descendait, comme par une espèce de puits, dans une chambre sépulcrale dont l’entrée est actuellement obstruée par un amas de grosses pierres. Il m’est désigne par mon guide sous le nom de Oualy Neby Hazour. A en juger par les restes de la voûte, il paraît d’époque romaine. La chambre sépulcrale néanmoins est peut être plus ancienne. » Guérin, Description de la Palestine, IIIe partie, Galilée, tome II, pages 117 — 118. Il me paraît hors de doute que c’est cette chambre sépulcrale qui fut montrée à notre voyageur comme renfermant les tombeaux de Choueïb et de sa fille.

[80] Le village d’Arbil s’élève sur l’emplacement de l'ancienne ville d’Arbela ; on le désigne aussi sous le nom d'Arbed ou d’Irbid.

Yaqout, dans son Dictionnaire géographique, dit qu’Erbed est un village de la province d’Ourdounn (Jourdain), à peu de distance de la ville de Thabarièh, à droite de la route qui se dirige vers l’ouest. On y voit le tombeau de la mère de Moïse, fils d’Imran, et ceux de quatre des fils de Jacob que l'on suppose être Dan, Issadjar, Zabulon et Kad Moudjem oul bouldân, tome Ier, page 184 Cf. Robinson, Biblical researches in Palestine etc., New York,1838, tome II, pages 378, 198— 199 et tome III, page 343.

[81] Le lac de Tibériade a, selon les géographes orientaux, cinq fersengs de longueur sur cinq de largeur. Ses bords ne sont pas, comme ceux d'autres lacs, couverts de roseaux et de taillis. L'eau du lac qui est très douce s'étend, dit-on, sous la couche de roches sur laquelle est bâtie la ville. En effet, lorsque l'on creuse des puits, on la trouve à la profondeur de dix guez, et, quelle que soit la quantité que l'on tire, elle ne diminue jamais. L'eau de ces puits a la même saveur que celle du lac.

On raconte qu'un prince monta dans une barque et se fit conduire au milieu du lac pour en mesurer la profondeur. On jeta une corde, à l'extrémité de laquelle on avait fixé un objet très lourd. Elle n'atteignit point le fond. On attacha alors une autre corde à la première et l'on arriva à une profondeur de quatre mille guez. On ne fut point assuré d'avoir touché le fond. On mit alors au bout de la corde la pierre d'un moulin à bras au-dessous de laquelle on attacha une pièce d'étoffe blanche que l'on remplit d'œufs. La corde plongea à plus de quatre mille guez : lorsqu'on la retira, tous les œufs étaient intacts et la couleur blanche de l'étoffe n'avait subi aucune altération. On reconnut ainsi qu'elle n'était pas allée jusqu'au fond.

Au milieu du lac se trouve un rocher dans lequel on a pratiqué une excavation recouverte d'une pierre. Les gens du pays prétendent que c'est le tombeau de Souleyman, fils de Daoud, que le salut repose sur eux deux! Sur la rive, on voit également un tombeau que l’on assure être celui de Lokman et l'on dit que, lorsque l’on s'y rend en pèlerinage quarante jours de suite, on reçoit le don de la sagesse. Selon une tradition orientale, l'absorption des eaux du lac sera le signe de la venue de l'Antéchrist. D'autres docteurs prétendent que le lac sera mis à sec par les peuples de Gog et de Magog. Cf. Mouqaddessy, page 159, Yaqout, tome Ier, page 515, Hafiz Abrou.

[82] « Tibériade, dit Mouqaddessy, est une ville de la province d'Ourdounn et du district de la vallée de Kana'an. Elle est bâtie sur une bande de terre très étroite qui s'étend sur la longueur d'un ferseng. Le séjour en est fort triste, car il s'y dégage en été des miasmes pestilentiels qui engendrent de nombreuses maladies. Elle est, d'un bout à l'autre, traversée par le bazar. Les cimetières se trouvent sur le flanc de la montagne. La mosquée où l'on fait la prière du vendredi s'élève dans le bazar; elle est belle et soutenue par des colonnes de pierres jointes par du ciment; le sol est exhaussé par une couche de cailloux.

D'après un dicton populaire, les habitants de Tibériade passent deux mois de l'année à danser à cause de l'agitation que provoque la piqûre des puces; deux mois à se déchirer la peau à cause des punaises qui les dévorent; deux mois à jouer du bâton, allusion aux baguettes dont ils se servent pour éloigner les guêpes de leurs mets et de leurs plats sucrés. Ils sont nus pendant deux mois à cause de l'extrême chaleur qui les accable, et ils passent deux mois à jouer du zoummarah (flûte en roseau), allusion aux cannes à sucre qu'ils sucent. Enfin pendant deux autres mois ils barbotent dans la boue dont la ville est remplie.

La grande chaussée conduisant à Damas est au bas de Tibériade. Il y a trois journées de marche de Tibériade à Damas et la même distance jusqu'à Jérusalem. On compte deux étapes de Tibériade à Akkèh.

On visite à Tibériade les tombeaux de Lokman, d'Abou Obeïdah ibn el Djerrah et de sa femme. On y voit également une Bource appelée Source de Jésus, et c'est dans cette ville qu'est l'église élevée sur le lieu où Jésus appela à lui les pêcheurs et les foulons. »

Hafiz Abrou dit qu'il y a à Tibériade des scorpions dont la piqûre est mortelle comme celle des scorpions d'Ahwaz. Mouqaddessy, page 161. Aly el Herewy, Kitab ouz Ziarat, fos 14—16. Yaqout, tome III, pages 509 à 513. Hafiz Abrou, article « Thabarièh ».

[83] Le territoire de Thabarièh porte le nom d’Ardh el Hammam (terre des bains).

Edrissy dans sa Géographie nous donne les noms de ces sources thermales. Il en compte six dans l’intérieur de la ville Géographie tome Ier, page 147

Aly el Herewy fait mention de thermes situés à l’orient de Thabarièh dans une vallée du canton d’El Housseïnyèh. La construction en était attribuée à Salomon. L’eau jaillissait au milieu de l’édifice en douze jets (chacun deux guérissait une maladie particulière. L’eau était limpide, d’une odeur agréable et extrêmement chaude ; elle se déversait dans un bassin dans lequel se baignaient les malades qui étaient guéris des affections chroniques et rhumatismales Kitab ez Ziarat, fos 16 et 17. Ces thermes étaient de construction romaine. Les inscriptions latines qui s’y trouvaient n’étaient plus lisibles à la fin du XVIe siècle… Aquae salubres et medicinales quarum virtutem Romani in lapide literis descnptam reliquerunt quis tempus corrosit et consumpsit nec possum de eis plenam intelligentiam habere. F Bonifacii Stephani ord. Min. Obs. et Stagni Ep. liber de perenni cultu Terrae Sanctae, Venetiis 1875, pages 268—269.

[84] Un auteur moderne, le cheikh Abdoul Ghany el Nabloussy, nous a laisse la relation d'un voyage qu'il fit en 1101 (1689) de Damas à Jérusalem et à Hébron. Il visita les bords de la Mer Morte : « Cette mer, dit-il, est l'objet de récits merveilleux. J'en ai consigné quelques-uns dans mon ouvrage qui a pour titre « Les histoires du temps concernant les dynasties passées et les rois disparus ». J'y ai parlé des pierres qui sont rejetées par cette mer : elles ont la forme d'un melon d’eau et sont de deux espèces, on les appelle pierre des Juifs… Cette mer produit aussi la substance nommée Hammar.

C’est le seul endroit du monde où on la trouve…. Les gens du pays nous racontèrent que, pendant l'hiver, on entend s élever de la mer des bruits violents et des grondements qui ressemblent a ceux du tonnerre Ce phénomène leur apprend que des éclats se sont produits dans la couche de bitume et que des morceaux en ont été rejetés hors de l’eau Ils se rendent alors sur le rivage pour les recueillir. Ce bitume porte le nom de Qafr el Yohoud ». L’Imam, l’habile médecin, le cheikh Youssouf, fils d'Ismayl, fils d Elias, originaire de Khoy, plus connu sous le nom d’el Koutouby el Baghdady (le libraire ou le bibliothécaire de Bagdad) dit dans son ouvrage intitulé « Matières qu'un médecin ne peut ignorer » : « … que ce bitume est de deux espèces l'une est recueillie sur le rivage où elle est apportée par les flots, l'autre provient des fouilles que l'on fait non loin du bord. On débarrasse cette dernière espèce, au moyen du feu et de l'eau chaude, du gravier et de la terre qui y est mêlée, comme on sépare la cire du miel. Ainsi purifié, ce bitume a une couleur foncée et des reflets brillants et son odeur se rapproche de celle du goudron de l'Iraq. Quant à celui qui est rejeté par la mer, il est pesant et dur. On le falsifie en le mêlant avec de la poix… Celui que l'on extrait de la terre est de meilleure qualité que celui que l’on ramasse sur le sol… Ces deux espèces sont chaudes et sèches au troisième degré. Les habitants du pays les adoucissent en y mêlant de l’huile, et ils en frottent les vignes pour les préserver des ravages des vers. Cette substance les détruit partout où ils se trouvent, même dans les puits et les citernes, ainsi que les vermisseaux qui se rencontrent dans l'eau. »

El Hadhret el ounssièh fir rihlet il qoudssièh, manuscrit de mon cabinet, fos 78-80.

[85] Mouqaddessy nous apprend également (page 180) que l'on fabriquait à Thabarièh, avec une espèce de joncs qui croissaient sur les bords du lac, des nattes d'une extrême finesse Edrissy nous donne aussi le même renseignement : « Les nattes que l'on appelle semmèh sont d’une beauté qu'il est difficile de surpasser. » Géographie, tome Ier, page 347.

Il y avait, au XIe siècle, à Thabarièh comme à Tripoli et à Damas d'importantes fabriques de papier.

[86] Cette tradition est dénuée de fondement. Abou Horeïra ed Doussy, un des compagnons du Prophète, mourut à Aqiq en l'année 67 de l'Hégire (A. D. 676). Son corps fut transporté a Médine et enterré dans le cimetière de Baqy. Cf. Yzz oud Din Aly Ibn el Athir, Assad oul ghabèh fi ma'arifet is sehabèh. Caire 1280 (1863), tome V, pages 315—317.

[87] Kafar Kanna est, selon la tradition qui s'est perpétuée en Galilée, le village où notre Seigneur Jésus-Christ changea l'eau en vin. Il est situé sur une des routes qui partent de Tibériade, et à une heure et demie de marche de Nazareth. Il est bâti sur une éminence qui se relie aux collines qui entourent Nazareth. Le monastère dont parle Nassiri Khosrau est probablement l'église dont on voit encore aujourd'hui les ruines. On montre aussi à Kafar Kanna l'emplacement de la maison de Saint Barthélémy. Tous les voyageurs et tous les pèlerins qui ont visité la Palestine et la Galilée, depuis l'auteur de l'itinéraire de Bordeaux à Jérusalem en 333 jusqu'à ceux du XIXe siècle ont donné une courte description de Cana. Cf. Robinson, Biblical researches, tome II, pages 346—347, et de Vogué, Les églises de la Terre Sainte, Paris, 1860, pages 365.

Aly el Herewy nous apprend que les musulmans allaient visiter à Kafar Kanna le tombeau de Younis et celui de son fils. Kitab ez Ziarat, manuscrit de mon cabinet, f° 15, v°.

[88] Haïfa est l'ancienne ville phénicienne de Sycaminum « Oppidum Sycaminum nomine, de Caesarea Ptolemaidem pergentibus super mare, propter montem Carmelum Ephe dicitur. » Eusebii Pamphili episcopi Caesariensis Onomasticon... edideiunt F. Larsow et G. Parthey, Berlin, 1862, page 229.

Benjamin de Tudèle estime à trois parasanges la distance qui sépare Haïfa de Saint Jean d'Acre. Guillaume de Tyr (L IX ch 13, p 384) et Jacques de Vitry (Gesta Dei per Francos, page 1067) attribuent par erreur à Haïfa le nom de Porfiria. Au dire de Yaqout (Moudjem el bouldân, tome III, page 381), Haïfa était fortifiée. Gondefry (Godefroid de Bouillon) s'en empara en l'année 494 (1100). Au XIIe siècle cette ville servait de port à Thabarièh qui est à la distance de trois journées de marche : de grands navires venaient jeter l'ancre au pied du mont Carmel. Edrissy, traduction de M. Jaubert, tome I, page 348.

[89] Kouneïssèh (la petite église) est l'ancienne ville de Capharnaüm (Guillaume de Tyr, l. X, ch. 26, page 440 ; Jacques de Vitry, Gesta Dei per Francos, page 1071). Elle s’élevait au pied du mont Carmel un peu au nord d’Athlith (Castellum peregrinorum) La colline sur laquelle elle était bâtie, porte encore aujourd'hui le nom de Tell Kouneïsseh. Guérin, De ora Palestrinae a promontorio Carmelo usque ad urbem Joppen etc. Paris 1836, page 28.

[90] Le Wadi oul Temassih ou la vallée des Crocodiles est traversée par un cours d'eau qui porte le nom de Nahr Zerqa on Nahr oul Temissih. La ville de Crocodilon, mentionnée par Pline et par Strabon, s élevait sur le bord de la mer. Jacques de Vitry parle de ces crocodiles « In fluvio Nili plus quam alio inveniuntur crocodili... in flumine autem Caesareae Palestinae similiter habitant. L LXXXVI, page 1103, dans le Gesta Dei per Francos. Cf. Pococke, Description de l’Orient. Paris, 1772—1775, tome III, page 173. Les eaux du Nahr Zerqa étaient amenées à Qaïssarièh par un aqueduc qui est aujourd'hui presque entièrement couvert par le sable.

[91] Qaïssarièh (Στράτωνας πύργος de Strabon, Caesarea Stiatonis de Ptolémée) fut fondée par Hérode qui y éleva de magnifiques monuments. Cette ville, qui parvint à un haut degré de splendeur sous la domination romaine, reçut sous Vespasien le nom de « Colonia prima Flavia Augusta Caesarea ». Elle s'appela « Metropolis Palestinae primae », lorsque le christianisme devint la religion de l'empire. Les Arabes s’en emparèrent après un siège de sept ans et y firent un énorme butin.

Mouqaddessy dit que sur la côte de la mer de Roum, il n'y a pas de ville plus belle, plus abondante en tous biens que Qaïssarièh. Elle est extrêmement bien fortifiée ; son faubourg qui est très florissant est aussi entouré d'une forte enceinte. L'eau est fournie aux habitants par des puits et des citernes. La mosquée est belle (page 174).

Godefroy de Bouillon s'empara de Césarée en 1101, après quinze jours de siège. Les Croisés y trouvèrent d'immenses richesses. Les Génois eurent dans leur part de butin le vase en verre que l’on a cru être en émeraude et qui avait servi, dit-on, à la Sainte Cène.

Edrissy (trad. de M Jaubert, tome I, page 348) et Benjamin de Tudèle (éd. de Baratier, page 76) parlent de Césarée comme d’une ville très importante. Saint Louis la fortifia en 1251 ; elle fut prise en 661 (1265) par Melik ed Dahir Bibars qui la ruina de fond en comble. Elle ne s’est pas relevée depuis cette époque. Cf. V Guérin De ora Palestinae a promontorio Carmelo usque ad urbem Joppen pertinente etc. Paris 1856, pages 47 — 61

[92] Kafar Sallam et Kafar Saba sont deux localités bien distinctes. La première était, comme on l'a vu plus haut, située sur le bord de la mer, tandis que Kafar Saba se trouve dans l'intérieur des terres à la distance de six milles de la côte. Mouqaddessy nous apprend que ce village est bâti près de la grande route qui conduisait à la Mekke. Kafar Saba, dit Josèphe, est maintenant appelé Antipatris. Ce n'est plus aujourd'hui qu'un pauvre village dont les maisons sont construites en terre. Mouqaddessy donne, dans sa Géographie (page 177), de curieux détails sur Kafar Sallam qui était abandonné par sa population au XIe siècle. « Kafar Sallam, dit-il, est un gros bourg bien peuplé et situé sur le territoire de Qaïssarièh. La principale mosquée se trouve sur le bord de la grande route. Aux environs de Kafar Sallam, le long de la mer, s'élèvent des ribath où l’on fait des signaux d'alarme en sonnant de la trompette. C'est là que viennent aborder les navires et les barques des Grecs avec des prisonniers musulmans qui sont vendus par trois au prix de cent dinars. Dans chaque ribath se trouvent des gens qui connaissent la langue grecque, et qui se portent à la rencontre de ces navires avec toutes sortes de provisions. Dès que les bâtiments sont en vue, on sonne la trompette d'alarme. Si on les aperçoit pendant la nuit, on allume un feu sur la tour du ribath; pendant le jour, la fumée sert de signal. Entre le bourg et ces ribath, il y a un certain nombre de tours fort hautes occupées par des gens préposés à leur garde. Dès qu'une tour placée près d'un ribath a allumé son feu, celle qui est plus loin imite son exemple, et ainsi de suite. En moins d'une heure, la trompette a retenti dans le bourg, les tambours ont résonné et les crieurs publics ont donné l'indication du ribath. Aussitôt la population sort en armes et les gens de la campagne se réunissent en troupes. Alors a lieu le rachat des prisonniers; les uns procèdent par échange, homme pour homme, les autres achètent argent comptant ou par obligation scellée. Les villes de la côte de Syrie, où s'élèvent de semblables ribath et où l'on rachète les prisonniers, sont : Ghazzah, Mimas, Asqalan, Mahouz Azdoud, Mahouz Youbna, Jaffa et Arssouf. »

En 1064, Siegfried, archevêque de Mayence, les évêques d'Utrecht, de Bamberg et de Ratisbonne qui conduisaient à Jérusalem une caravane de plusieurs milliers de pèlerins allemands, furent assiégés pendant plusieurs jours dans Kafar Sallam par des Arabes bédouins; ils durent leur délivrance au gouverneur de Ramlèh.

« Multi divites et pauperes cum Mongentino archiepiscopo, Traiactensi episcopo, Bambergenst episcopo et Radisbonensi episcopo, post transitum Sancti Martini, Hierusalem VII milibus perseverunt... Arabitae vero, fama pecuniae congregati multosque predictorum in parasceve occidentes cum non sustinuerunt, in quoddam castellum vacuum Cavar Salim nomine (Kafar Sallam) nostri fugerunt. » Mariani Scotti Chronicon, apud Pertz, Monumenta Germaniae historica, tome V, page 556.

[93] Ramlèh, capitale de la province de Filastin, a été, disent les auteurs orientaux, la capitale de David, de Salomon et de Roboam.

Cette ville dût sa splendeur à Souleyman, fils d'Abdel Melik, qui reçut de son frère, le khalife Welid, le gouvernement de la province de Filastin. Il abandonna la ville de Loudd pour établir sa résidence à Ramlèh. Il y fit bâtir un palais, l'édifice qui porte le nom de Dar es Sahbaghin (l'hôtel des Teinturiers) et il jeta les fondements de la grande mosquée. Souleyman voulut faire à Ramlèh des travaux qui auraient rappelé ceux qu'Abdel Melik, son père, avait faits dans le temple de Jérusalem et Welid, son frère, dans la mosquée de Damas.

Un auteur moderne, Aboul Berekat el Behary, a donné la description des ruines de la grande mosquée de Ramlèh, et l'énumération des tombeaux des saints personnages que les musulmans visitent dans cette ville. Berekat oul ouns li zair il Qouds (les bénédictions de la fréquentation assidue [des saints] pour le pèlerin de Jérusalem), Calcutta 1282 (1865), pages 40—44.

Le récit de Nassiri Khosrau concorde avec la description que donnent Mouqaddessy (page 164) et Edrissy (tome Ier, page 339 de la traduction de M. Jaubert). Cf. Robinson, Biblical researches etc., tome II, pages 230—241.

[94] « En l'année 425 (1033), le sol de l'Egypte et celui de la Syrie furent ébranlés par de fréquentes secousses de tremblement de terre. Partout les édifices et les maisons s'écroulèrent, et un grand nombre de créatures humaines trouva la mort sous leurs décombres. Un tiers de la ville de Ramlèh fut abattu ; la grande mosquée devint un monceau de ruines.

La population émigra hors de la ville et campa pendant huit jours dans la campagne. »

Soyouthi, Kechf ous salssalèh, manuscrit de mon cabinet, page 18.

[95] Il faut au mot de Khatoun substituer celui de Lathroun ou de Nathroun qui est le nom d'uu village aujourd'hui en ruines. C'est le Castellum Emmaus de Saint Jérôme, le Castrum boni latronis des voyageurs du moyen âge et des historiens des Croisades. Ce village était situé sur une colline au pied d'un château-fort dont les ruines se voient encore et qui avait été construit pour défendre la route de Jérusalem.

[96] Le village de Qariet el Anab (le village des Raisins) est bâti sur la pente des collines qui bordent le Wadi Aly à l'entrée des montagnes de Judée. C'est l'ancien village de Kiryath Yearim. Les Latins y avaient construit pendant la période de leur domination une église sous le vocable de Saint Jérémie, on croyait que ce prophète avait reçu le jour dans ce village que l'on supposait être l'ancienne Anathoth.

[97] On désigne, sous le nom de Mauqaf, les stations des lieux saints de la Mekke et celles du mont Arafat, ainsi que le temps que l'on passe à les visiter selon les prescriptions des rites.

[98] Les manuscrits que j'ai eus à ma disposition portent Samirèh au lieu de Sahirèh. Ce dernier nom désigne un terrain uni au pied du mont des Oliviers, où le khalife Omar établit son camp lorsqu'il vint assiéger Jérusalem et où il établit un mousallah ou oratoire. D'après une tradition rapportée par Ibn Abbas, c'est dans la plaine de Sahirèh que doit avoir lieu la résurrection des hommes. La terre de cette plaine est blanche et l'on ne peut y répandre le sang. Moudjir ed-Din qui donne l'étymologie de ce mot de Sahirèh parle, comme Nassiri Khosrau, du cimetière réservé aux musulmans et où reposent les corps de personnages qui, pendant leur vie, ont été réputés pour leur sainteté. Mouqaddessy, page 172. Moudjir ed-Din, Histoire de Jérusalem et d'Hébron, Caire 1283 (1866), page 412.

[99] Les monuments antiques qui se trouvent dans la vallée de Josaphat sont, à partir du nord, le tombeau de la Vierge, ceux d'Absalon et de Zacharie, puis les sépulcres de Josaphat et de Jacques; enfin, dans la vallée supérieure du Cédron, au nord et au nord-ouest de Jérusalem, on remarque les tombeaux des Juges, celui de Simon le Juste et la catacombe de la reine Hélène d'Adiabène. Le dernier monument dont parle Nassiri Khosrau est connu sous le nom de tombeau d'Absalon. Les gens du peuple rap pellent encore aujourd'hui Thanthourâh Firaoun (le bonnet de Pharaon).

[100] Bereket ech Chah Bourhan ed-Din Ibrahim el Qarary a rapporté, dans son manuel du pèlerin à Jérusalem, intitulé Baïth en noufous ila Zaret il Qouds el mahrous (l'incitateur des esprits au pèlerinage de Jérusalem la bien gardée), toutes les traditions relatives à Aïn Selwan (la fontaine de Siloé), une des quatre sources saintes aux yeux des musulmans. Les docteurs musulmans prétendent que cette source vient de dessous la roche de la Sakhrah et que, tous les ans, les eaux du puits de Zemzem vont se mêler aux siennes. Le village de Siloé était considéré au Xe siècle comme un faubourg de Jérusalem. Tous les voyageurs du moyen-âge ont décrit les deux bassins (Natatoria Siloe) creusés dans le roc. Les maisons et les jardins qui les bordaient, et dont parle aussi Mouqaddessy, avaient disparu à l'époque où Jean de Wurtzbourg visita Jérusalem. Les fondations pieuses avaient été établies par le khalife Omar pour les malades de Jérusalem.