Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
PAR
Revue Africaine, 1899.
[P. 791 En 385 (4 février 995), El-Mançoûr Mohammed ben Aboû ‘Amir, qui gouvernait l’Espagne [P. 80] au nom de Hichâm el-Mo’ayyed, dirigea contre le pays franc une expédition qui fut poussée fort loin et qui procura un butin considérable. Parmi les prisonniers figura le roi Garcia, qui complaît parmi les plus grands et les plus forts, et était lui-même fils de Sancho. Or, le sort voulut qu’un poète, Aboû’l-’Alà Çâ’id ben H’asan Rab’i, venu de Mawçel auprès de Mançoûr et qui chantait ses louanges depuis quelque temps déjà, envoyât à ce prince un cerf en même temps que des vers parmi lesquels ceux-ci :
[Kâmil] O sauvegarde des gens effrayés, sécurité des fuyards, redresseur des abaissés ! Tes dons vont à ceux qui en sont dignes, tes bienfaits s’adressent à quiconque espère en toi.
Et plus loin on lit encore :
Seigneur, toi qui réjouis mon exil, qui m’as retiré des griffes de l’adversité et sauvé de la prison, l’esclave que tu as arraché à la misère et comblé de bienfaits l’amène ce cerf ! Je l’ai nommé Garcia et je l’amène, la corde, au cou, dans l’espoir que mon pronostic se vérifiera. Daigne l’accepter, et ce sera pour moi le plus beau cadeau que je puisse recevoir de mon bienfaiteur !
Or le poète avait donné au cerf le nom de Garcia, dans l’intention de pronostiquer la prise du prince de ce nom, laquelle eut lieu le jour même de l’envoi, ce qui constitue une concordance des plus curieuses.[87]
Dans les premiers jours de rebi’ I 386 (fin mars 996), El-Mançoûr ben Yoûsof Bologgîn mourut en dehors de Cabra et fut inhumé dans son palais.[88] C’était un prince libéral, vaillant, décidé, à qui la victoire fut toujours fidèle, sage administrateur, ami de la justice et la pratiquant toujours vis-à-vis de ses sujets ; il accorda aux habitants de l’Ifrîkiyya la remise des impôts impayés, qui montaient à un total considérable.
Après sa mort, [P. 90] l’autorité passa aux mains de son fils Aboû Mennâd Bâdîs, qui, après avoir été reconnu, se transporta à Serdâniya et reçut la visite des gens venus de partout pour lui présenter leurs condoléances et leurs félicitations. Les Benoû Zîrî, oncles paternels de son père, avaient des velléités de lui faire opposition, mais ils en furent empêchés tant par ses propres partisans que par ceux de son père. Ce prince, qui était né en 374 (3 juin 984), reçut l’investiture et les robes d’honneur qui lui furent envoyées d’Egypte par El-H’âkim bi-amr Allah ; à la suite de la lecture du diplôme, il prêta serment de fidélité au khalife, et ses cousins et les principaux officiers firent de même.
En la même année, un Çanhâdjite du nom de Khalîfa ben Mobârek se révolta contre Bâdîs, mais il fut pris et amené au prince : on le fit monter sur un âne, et un nègre monté en croupe le souffletait pendant qu’on le promenait par les rues. Le dédain qu’il inspirait empêcha de l’exécuter, il fut simplement emprisonné.
En la même année,[89] Bâdîs nomma son oncle H’ammâd ben Yoûsof Bologgîn au gouvernement d’Achîr, qu’il lui attribua en fief ; il lui fit en outre cadeau d’une grande quantité de chevaux, d’armes et d’approvisionnements, après quoi H’ammâd rejoignit son poste. Ce dernier prince est l’aïeul des Benoû H’ammâd, qui devinrent princes d’Ifrîkiyya et du fort (K’al’a), bien connu dans ce pays, qui porte leur nom. Ce fort leur fut enlevé par ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali.
À la mi-çafar 389 (4 février 999), Bâdis ben el-Mançoûr d’Ifrîkiyya donna à son vice-roi (nâ’ib) Mohammed ben Aboû’l-’Arab l’ordre d’équiper et de bien approvisionner des troupes nombreuses destinées à attaquer les Zenâta. Il avait en effet reçu de son oncle Itewwoufet [P. 108] l’avis que Zîrî ben ‘At’iya surnommé El-K’art’âs, déjà cité, était venu camper près de Tâhert et avait engagé les hostilités. En conséquence, Mohammed partit à la tête d’une armée considérable et gagna d’abord Achîr, où H’ammâd ben Yoûsof, qui avait reçu cette ville en fief de son neveu Bâdîs, se joignit à lui ; puis ces deux chefs partirent pour Tâhert, où ils opérèrent leur jonction avec Itewwoufet, à deux étapes de Zîrî ben ‘At’iya. Ils s’avancèrent alors contre ce dernier, et plusieurs engagements très sérieux eurent lieu. Mais H’ammâd était mal vu de ses troupes à cause de sa lésinerie, et elles se débandèrent au plus fort du combat ; le reste de l’armée les suivit, et les efforts de Mohammed ben Aboû’l-Arab pour les rallier et poursuivre la lutte furent vains ; la débandade fut complète, et Zîrî s’empara des biens et des approvisionnements des fuyards, qui regagnèrent Achîr.[90]
Bâdis se mit en marche en apprenant cette déroute, et quand il fut près de T’obna il fit appeler Felfoûl ben Sa’îd. Mais celui-ci peu rassuré se fit excuser et demanda un acte lui concédant en fief la ville de T’obna ; Bâdîs lui envoya la pièce demandée et poursuivit sa route. Mais quand il fut éloigné, Felfoûl se rendit à T’obna (d’où il était, d’abord sorti), conquit le pays avoisinant, puis marcha sur Bâghâya, devant laquelle il mit le siège, tandis que Bâdîs continuait de se diriger vers Achîr. D’autre pari, Zîri ben ‘At’iya, en apprenant que ce dernier s’approchait, se replia sur Tâhert, puis, comme Bâdis continuait d’avancer, il se retira chez les Arabes. En présence de cette retraite, Bâdîs nomma son oncle Itewwoufet au gouvernement d’Achîr, lui fournit de l’argent et des approvisionnements, et il se mit luimême en route pour regagner Achîr. Mais il apprit alors les agissements de Felfoûl ben Sa’îd, et par suite envoya une armée contre lui, pendant qu’il laissait sur place Itewwoufet avec ses oncles et ses cousins. Mais ceux-ci, entre autres Mâksen et Zâwi, profitèrent du départ de Bâdîs pour se révolter contre Itewwoufet, de la personne de qui ils s’assurèrent en même temps qu’ils lui prenaient son argent. Itewwoufet put cependant s’échapper et rejoindre Bâdis. Quant à Felfoûl ben Sa’îd, il tint victorieusement tête au corps d’armée qui alla l’attaquer, lui fit subir des pertes et marcha sur K’ayrawân. Bâdîs alors arriva à Bâghâya, dont les habitants se portèrent à sa rencontre et lui apprirent les attaques qu’ils avaient eu à soutenir de la part de Felfoûl pendant un siège de 45 jours ; [P. 109] il les remercia de leur fidélité et leur promit sa bienveillance, puis poursuivant sa marche à la recherche de Felfoûl, il arriva à Mermadjenna. Le rebelle l’attaqua à la tête de nombreuses bandes de Berbères et de Zenâta auxquelles s’étaient joints tous ceux qu’animait la haine contre Bâdîs et ses parents. La rencontre, qui eut lieu à Wâdi Aghlân, fut d’un acharnement inouï et l’opiniâtreté fut aussi grande des deux parts pendant tout le long temps qu’elle dura ; Dieu fit enfin descendre sa protection sur Bâdîs et les Çanhâdja : les Berbères et les Zenâta furent battus à plate couture, et Felfoûl se sauva le plus loin qu’il put ; neuf mille hommes rien que des Zawîla (lis. Zenâta ?) restèrent sur le terrain, sans parler des Berbères. Bâdîs alors rentra dans son palais, à la grande joie des Kayrawâniens, qui redoutaient l’arrivée de Felfoûl.
Ensuite les oncles de Bâdîs rejoignirent le vaincu pour marcher contre Bâdîs, qui se mit en campagne pour leur tenir tête, mais qui, en arrivant au K’açr el-Ifrîk’i, apprit que tous l’avaient abandonné, à l’exception toutefois de Mâksen ben Zîrî. Cela se passait au commencement de 390 (12 déc. 999).
Bâdîs avait, à Tripoli un lieutenant qui s’adressa à El-H’âkim bi-amr Allah d’Egypte pour lui offrir la cession de cette ville et son propre concours, et en conséquence El-H’âkim lui envoya un de ses intimes, Yânis le Sicilien, qui était alors gouverneur de Bark’a, pour prendre possession de Tripoli, où ce chef s’installa en 390 (12 déc. 999).’ Bâdîs alors fit demander à Yânis pourquoi il s’établissait à Tripoli en le priant, pour le cas où il tiendrait son investiture d’El-H’âkim, de lui communiquer son diplôme pour qu’il en prît connaissance. À quoi Yânis répondit : « Le khalife m’a envoyé pour que je serve d’auxiliaire si mon concours est nécessaire ; mais on ne demande pas de diplôme d’investiture à quelqu’un qui occupe le rang que j’ai à la cour d’El-H’àkim. » Bâdîs alors fit marcher contre lui un corps d’armée, que Yânis attaqua en dehors de Tripoli ; mais ce chef trouva la mort dans cette rencontre, et ses partisans, après avoir subi de fortes pertes, rentrèrent dans la ville et s’y fortifièrent.[91] Ils y furent assiégés par les troupes victorieuses et réclamèrent du secours à El-H’âkim, qui leur envoya un corps d’armée équipé et commandé par Yah’ya ben ‘Ali Andalosi, à qui, d’après ses ordres, de l’argent devait être versé par la ville de Bark’a. Mais Yah’ya ne trouva pas [P. 110] dans cet endroit les sommes promises, et alors, se laissant aller au découragement, il rejoignit Felfoûl, qui avait pénétré à Tripoli et s’en était rendu maître, et il s’installa auprès de lui dans cette ville, dont il fit désormais son séjour. Nous finirons ce récit sous l’année 393.[92]
En 391 (31 nov. 1000), Mâksen ben Zîrî, grand-oncle paternel de Bâdîs, marcha sur Achîr, où se trouvait le fils de son frère, H’ammâd ben Yoûsof Bologgîn, et livra à son neveu une sanglante bataille où les trois fils de Mâksen, Moh’sin, Bâdîs et H’abbâsa, périrent avec leur père. Quant à Zîrî ben ‘At’iya, il mourut neuf jours après ce dernier événement.[93]
En 393 (9 nov. 1002) mourut Aboû ‘Amir Mohammed ben Aboû ‘Amir Ma’âfiri, surnommé el-Mançoûr (Almanzor), qui gouverna l’Espagne du temps d’El-Mo’ayyed Hichâm ben H’akam et dont il a été parlé à propos de ce dernier prince. Originaire d’une famille bien connue d’Algésiras, [P. 125] il se rendit à Cordoue pour y étudier. Il avait de l’ambition et s’attacha à la mère d’El-Mo’ayyed du vivant même d’El-Mostançir, père de ce dernier. Quand Hichâm encore mineur monta sur le trône, El-Mançoûr s’engagea vis-à-vis de la princesse à administrer au nom du jeune homme, à réprimer les troubles qui s’élevaient et à lui assurer le pouvoir, et elle lui abandonna les affaires de son fils. C’était un homme habile, brave, énergique, bon politique, qui se concilia les troupes par les bienfaits qu’il répandit sur elles. Sous le surnom d’El-Mançoûr, il ne cessa de lancer des expéditions soit contre les Francs, soit contre d’autres, et le royaume lui-même resta dans un calme que ne troublait aucune sédition. Savant lui-même, il aimait les savants, les fréquentait et discutait avec eux ; aussi ont-ils maintes fois mentionné ses mérites et écrit bien des livres à ce sujet.
Il dirigeait une incursion contre les chrétiens quand il tomba malade, mais il continua sa route, pénétra chez l’ennemi et y remporta des avantages ; alors seulement il songea à revenir, mais son état était grave, et il mourut à Medina-Celi. Il avait fait recueillir la poussière dont sa cuirasse se couvrait quand il faisait la guerre sainte, et par ses ordres, elle fut placée dans son linceul pour s’attirer ainsi la bénédiction divine. Sa foi et ses mœurs étaient pures ; il pratiquait la justice, de sorte que son règne parut être une période de fête, grâce à l’éclat qu’il jeta et au calme dont jouit le peuple. Il est aussi auteur de très bons vers. Sa mère était Temîmite.
Il eut pour successeur son fils Moz’affer Aboû Merwân ‘Abd el-Melik, qui marcha sur les traces de son père.
En 393 (9 nov. 1002), Yah’ya ben ‘Ali Andalosi et Felfoûl quittèrent Tripoli avec une armée considérable et allèrent assiéger Gabès, puis (n’ayant pas réussi), ils retournèrent à Tripoli. Quand Yah’ya se vit presque sans argent, dans une situation peu favorable et assez mal traité par Felfoûl et les siens, il retourna en Egypte auprès d’El-H’âkim, non sans que ceux qu’il quittait lui eussent, à prix d’argent ou par violence, enlevé ses chevaux et ce qu’ils trouvèrent à leur gré dans ses objets d’équipement. El-H’âkim voulut tout d’abord le faire exécuter, mais ensuite lui pardonna.
Quant à Felfoûl, il resta à Tripoli jusqu’en 400 (24 août 1009), où il mourut de maladie. Ce fut son frère Warroû qui lui succéda et dont l’autorité fut reconnue par les Zenâta. Bâdîs alors se dirigea contre Tripoli pour y combattre les Zenâla, qui, apprenant qu’il se mettait en campagne, évacuèrent la ville. [P. 126] Bâdîs alors l’occupa, ce que les habitants virent avec plaisir.[94] Puis Warroû fit demander à Bâdîs de leur accorder l’aman, à lui et aux Zenâta qui l’accompagnaient, d’accepter leur soumission et de choisir parmi eux des gouverneurs au même titre que chez les autres (tribus). Bâdîs leur accorda l’amnistie, les traita bien et leur concéda le Nefzâwa el Kasl’îliya à condition qu’ils évacuassent les cantons tripolitains, ce qu’ils firent. Ensuite Khazroûn ben Sa’îd, abandonnant son frère, vint faire sa soumission à Bâdîs, qui l’accueillit honorablement et lui fit des libéralités. Après cela, Warroû, toujours hostile à Bâdîs, marcha contre Tripoli pour l’assiéger, et Khazroûn se mit en campagne pour l’en empêcher. Cela se passa en 403 (22 juill. 1012).
[P. 131] En 395 (17 oct. 1004), une violente disette sévit en Ifrîkiyya, à ce point que ni boulangeries ni bains n’eurent plus rien à faire ; la mortalité fut grande et les riches perdirent leur fortune. Une épidémie fit de grands ravages, et le nombre quotidien des morts variait de cinq à sept cents.[95]
[P. 152] Nous avons raconté la déposition et l’emprisonnement de ce prince, qui s’appelait Hichâm ben El-H’akam ben ‘Abd er-Rah’mân en-Nâçir. Le 9 dhoû‘l-hiddja 400 (23 juill. 1010), il fut replacé sur le trône pour une nouvelle période pendant laquelle Wâd’ih’ l’Amiride exerça le pouvoir. Ce chef présenta les Cordouans à El-Mo’ayyed, qui leur fit des promesses et écrivit aux Berbères partisans de Soleymân ben H’akam ben Soleymân ben ‘Abd er-Rah’mân en-Nâcir pour leur demander de le reconnaître. Mais comme il n’obtint même pas de réponse, il ordonna à ses troupes et aux Cordouans de se tenir sur leurs gardes. Le peuple d’ailleurs le prit en affection.[96]
Une dénonciation lui ayant appris que quelques Omeyyades de Cordoue s’étaient mis d’accord avec Soleymân pour livrer la ville à celui-ci le 27 dhoû‘l-hiddja, il fit saisir et emprisonner les conjurés. Au jour convenu, les Berbères se présentèrent devant Cordoue ; mais les soldats et la population conduits par Mo’ayyed marchèrent contre eux, ce qui fit faire volte-face aux Berbères. Les troupes se mirent à leur poursuite, mais sans pouvoir les joindre. Divers messages furent échangés entre les deux parties, mais rien ne fut conclu.
Alors Soleymân et les Berbères demandèrent du secours au roi des Francs en s’engageant à lui livrer des forteresses conquises sur les chrétiens par Mançoûr ben Aboû ’Amir Ce roi informa Mo’ayyed des offres qui lui étaient faites, et promit de refuser tout secours à Soleymân si ces places-fortes lui étaient rendues. D’après l’avis favorable des Cordouans, qui furent consultés à ce sujet et qui redoutaient l’alliance des chrétiens avec Soleymân, la paix fut conclue sur ces bases en moharrem 401 (août-sept. 1010).
Quand les Berbères virent qu’il ne fallait plus compter sur l’aide des Francs, ils vinrent camper proche de Cordoue en çafar 401 (sept.-oct. 1010), et leur cavalerie fit çà et là des incursions qui ruinaient ce territoire. Mo’ayyed et Wâdih’ installèrent un rempart et un fossé en avant de la grande enceinte de Cordoue, et Soleymân entreprit le siège de la ville ; mais au bout de quarante cinq jours il n’avait pas obtenu de résultat, et il alla assiéger Zahrâ, contre les habitants de qui il combattit trois jours. Alors un officier livra la porte qu’il était chargé de garder, ce qui permit aux Berbères d’arriver aux remparts et d’enchâsser les défenseurs ; une fois la ville prise, la plupart des soldats qui s’y trouvaient, furent tués. Les habitants se réfugièrent sur la montagne, et des hommes s’enfermèrent dans la mosquée, où les Berbères les égorgèrent, femmes et enfants compris ; puis ils mirent le feu à cet édifice, aussi bien qu’au palais et aux maisons, dont la plupart furent brûlées, en même temps que tout était mis au pillage. Wâdih informa alors Soleymân de son intention de quitter Cordoue en secret, lui conseillant de reprendre à ce moment le siège de la ville ; mais Mo’ayyed, qui eut vent de la chose, fit mettre le traître à mort. Cordoue était réduite à la plus triste situation : les vivres manquaient et la mort faisait de cruels ravages. Au dehors, les Berbères avaient moins de vivres encore, tant ils avaient ravagé les campagnes. Les Cordouans émigraient et Mo’ayyed punissait de mort quiconque penchait pour Soleymân. Celui-ci et ses Berbères poussaient le siège vigoureusement et serraient les habitants de très près.
Au cours de cette période, ‘Obeyd Allah ben Mohammed ben ‘Abd el-Djebbâr se révolta à Tolède et fut reconnu par les habitants de cette ville. Mais une armée que Mo’ayyed envoya contre eux les ramena à l’obéissance, et le rebelle fut fait prisonnier et mis à mort en cha’bân 401 (9 mars 1011).
Dans un certain combat, les Cordouans infligèrent aux Berbères des pertes sérieuses, tant en tués qu’en individus noyés dans le fleuve. Les assaillants s’éloignèrent alors de Cordoue et allèrent assiéger Séville ; mais une armée envoyée par Mo’ayyed protégea celle-ci et les força à se retirer. [P. 154] Soleymân sollicita et obtint l’adhésion du lieutenant de Mo’ayyed à Saragosse et autres lieux. Quand il fut repoussé de Séville, il alla attaquer et piller Calatrava, où il s’installa avec les siens. Il recommença ensuite le siège de Cordoue, d’où la faim et la peur avaient fait sortir nombre d’habitants et de soldats ; il poussa vigoureusement la lutte et finit par se rendre maître de vive force de la ville. On tua tous ceux qu’on trouva dans les rues, on pilla les habitations et on y mit le feu. Le nombre des victimes fut innombrable. Les Berbères s’installèrent dans les maisons qui avaient échappé à l’incendie, et les Cordouans virent des choses inouïes.
L’entrée de Soleymân à Cordoue eut lieu à la michawwâl 403 (29 avril 1013), et on lui prêta serment de fidélité. Mo’ayyed tiré du palais lui fut amené. On raconte bien des choses sur ce qui se passa entre eux, puis les partisans de Mo’ayyed se retirèrent (?) dans l’Espagne orientale.[97]
Parmi les victimes innocentes de ce siège, figure Aboû‘l-Welîd [‘Abd Allah ben Mohammed] ben el-Farad’i.[98]
En 403, à la mi-chawwâl (14 mai 1012), Soleymân ben El-H’akam ben Soleymân ben ‘Abd er-Rah’mân Nâçir l’Omeyyade, surnommé Mosta’în, remonta pour la seconde fois sur le trône, comme il a été dit sous l’an 400, et on lui prêta serment de fidélité. Les Cordouans se portèrent à sa rencontre pour le saluer, et alors il répéta ces vers proverbiaux :
[Tâwîl] « En me voyant apparaître pour la seconde fois et bien qu’ils me connaissent, ils demandent qui je suis ; ils m’accablent de souhaits de bienvenue et de prospérité, mais ils m’auraient tué s’ils m’avaient eu un moment en leur pouvoir[99] ».
Sous le règne de Soleymân, qui était lettré, poète et éloquent, des flots de sang furent versés, ainsi qu’il a été dit sous l’an 400. Les Berbères étaient alors les véritables maîtres, et comme ils constituaient la majorité de son armée, il ne pouvait rien contre eux ; il a été dit d’ailleurs que ce sont eux qui le soutinrent et qui le mirent ensuite sur le trône.
En 403 (22 juill. 1012), Aboû’l-Welîd ‘Abd Allah ben Mohammed, dit Ibn el-Farad’i Andalosi, fut tué à Cordoue par les Berbères.
En 406 (20 juin 1015) surgirent entre l’émir d’Ifrîk’iyya Bâdis et son oncle H’ammâd des dissensions qui aboutirent à une guerre sans merci. [P. 177] Des propos mordants et divers actes de ce dernier étaient parvenus à la connaissance de son neveu, que cela indisposa, mais qui cacha son mécontentement jusqu’au jour où cela lui devint intolérable. Il avait un fils, El-Mançoûr, à qui il voulut donner un commandement, et la qualité d’héritier présomptif, et il écrivit en conséquence à H’ammâd de remettre une partie des cantons qui lui avaient été concédés en fief, c’est-à-dire Tîdjis, K’açr el-Ifrîk’i et Constantine, au représentant de son fils El-Mançoûr. Il envoya pour en prendre livraison l’un des ses principaux officiers, Hâchim[101] ben Dja’far, qu’il fit accompagner de son propre oncle Ibrâhîm, dont la mission était d’empêcher une opposition éventuelle de H’ammâd, frère du dit Ibrâhîm. Ces deux envoyés n’étaient plus bien éloignés de H’ammâd quand Ibrâhîm, quittant Hâchim, se rendit auprès de H’ammâd, qu’il exhorta à se révolter contre Bâdîs ; ses conseils furent suivis, et les deux frères, levant l’étendard de la révolte, rassemblèrent de nombreuses troupes dont l’ensemble constituait trente mille combattants.
À cette nouvelle, Bâdîs réunit ses guerriers et se mit en campagne, tandis que H’ammâd et Ibrâhîm marchaient contre Hâchim ben Dja’far, qui était dans le fort de Chikkabenariyya,[102] le battaient et le forçaient à se réfugier à Bâdja, non sans que H’ammâd lui eût enlevé son argent et ses approvisionnements. Bâdîs étant arrivé au lieu dit K’abr ech-Chehîd (tombeau du martyr),[103] un grand nombre des soldats de H’ammâd se rendirent auprès de lui, et il reçut des lettres où ses deux oncles disaient ne s’être pas séparés de la communauté musulmane et n’avoir pas cessé de lui obéir, assertions que démentaient leurs actes, puisqu’ils versaient le sang, massacraient les enfants, mettaient le feu aux moissons et aux habitations et réduisaient les femmes en esclavage. Ainsi H’ammâd arriva à Bâdja, aux habitants de laquelle il accorda l’amân qu’ils sollicitaient ; ces gens, se fiant à sa parole, se croyaient en sécurité, et quand il entra dans la ville, il se mit à tout tuer, piller et incendier. Cependant Bâdîs continuait sa marche en avant ; en çafar 406 (20 juil. 1015), H’ammâd arriva à Achîr, qui était dans sa dépendance et que gouvernait son lieutenant Khalaf H’imyari ; mais celui-ci lui en refusa l’entrée et fit sa soumission à Bâdîs, ce qui ne laissa pas de décourager H’ammâd, qui avait mis son principal espoir dans la force et les retranchements de cette ville. Bâdîs arriva alors à Mesîla, dont les habitants se portèrent tout joyeux à sa rencontre ; il envoya de là un corps d’armée contre la ville qu’avait fondée H’ammâd et il la fit ruiner, mais sans rien enlever des biens des habitants. [P. 178] Comme un grand nombre des soldats de la garnison du fort appartenant au rebelle (c’est-à-dire la K’al’at H’ammâd) s’enfuit auprès de Bâdîs, Ibrâhîm, qui l’occupait, fit saisir et égorger sur le sein de leurs mères les enfants des fugitifs, et lui-même, dit-on, en exécuta soixante de sa main ; après quoi, les mères elles-mêmes furent mises à mort. La rencontre entre Bâdis el H’ammâd, qui eut lieu le 1er djomâda I (16 oct. 1015), fut des plus terribles : les soldats de Bâdis, sachant le sort qui leur était réservé s’ils étaient battus, étaient bien décidés à mourir plutôt que de céder ; mais à la suite d’une mêlée corps à corps qui fit de nombreuses victimes, H’ammâd et les siens s’enfuirent sans plus s’occuper de rien, de sorte que les vainqueurs restèrent maîtres de leurs bagages et de leurs biens, où figuraient entre autres dix mille boucliers de choix en cuir d’antilope. H’ammâd, qui ne dut de n’être pas pris qu’à l’empressement des vainqueurs à piller, arriva à sa K’al’a le 9 djomâda I (24 oct.) ; il alla ensuite à Dekma[104] dont, sous quelque vaine accusation, il fit périr par l’épée trois cents habitants. Alors un juriste de cette localité se présenta à lui et lui parla ainsi : « O H’ammâd ! quand tu es devant des guerriers lu es mis en déroute, quand des masses te résistent tu fuis ; tu n’as de force et de puissance que contre un prisonnier qui ne peut rien contre toi ! » Il punit cet audacieux de mort, et emporta tous les vivres, le sel et les provisions de cette ville dans sa K’al’a.
Bâdîs, qui s’était mis à sa poursuite, résolut de ne pas bouger du pays, fit élever des constructions et payer de grosses soldes à ses guerriers. H’ammâd fut vivement contrarié d’un plan qui souriait peu à ses soldats ; le découragement le prit et une partie de ses compagnons le quitta. Ensuite Warroû ben Sa’îd Zenâti, qui s’était rendu maître de la Tripolitaine, vint à mourir, et la discoïde qui se mit chez les Zenâta, les uns se ralliant à son frère Khazroûn, les autres au fils de Warroû, augmenta les soucis de H’ammâd, car il espérait que les Zenâta, en faisant quelques conquêtes, forceraient Bâdîs à marcher contre eux.[105]
Le mardi 30 dhoû’l-k’a’da 406 (9 mai 1016), Bâdîs passa son armée en revue et fut très satisfait du résultat ; vers la fin du jour, il monta à cheval, puis rentra chez lui tandis que ceux de ses compagnons qui lui avaient fait escorte regagnaient leurs tentes ; au milieu de la nuit, il mourut. [P. 179] Le serviteur (qui eut le premier connaissance de l’événement) porta aussitôt cette nouvelle à H’abîb ben Aboû Sa’îd, à Bâdîs ben Aboû[107] H’ammâma et à Ayyoùb ben Itewwoufet, qui étaient les trois principaux officiers. Les deux premiers étaient en état d’hostilité ; chacun d’eux cependant se précipita vers la tente de l’autre, et quand ils se croisèrent chacun tint à l’autre le même langage : « Nous savons tous les deux quels sont nos sentiments réciproques ; mais ce que nous devons faire maintenant tous les deux, c’est d’unir nos efforts pour parer aux suites de ce malheur, après quoi notre inimitié renaîtra ». Ils tinrent conseil avec Ayyoûb et se dirent ceci : « L’ennemi est proche et notre prince est loin ; tant que nous n’aurons pas choisi un chef à qui nous en référions pour nos affaires, nous ne serons pas tranquilles du côté de l’ennemi. Or nous savons que les Çanhâdja penchent pour El-Mo’izz et d’autres pour Kerâmet[108] ben el-Mançoûr, le neveu de Bâdîs » ; et en conséquence, ils se mirent d’accord pour ‘ donner en apparence le pouvoir à Kerâmet, sauf à le déférer à El-Mo’izz ben Bâdis quand ils seraient en lieu sûr et à remettre ainsi tout en ordre. Ils firent donc appeler Kerâmet et lui prêtèrent aussitôt serment de fidélité. Sur ces entrefaites, le jour se leva sans qu’aucun soldat sût ce qui s’était passé ; leur plan était d’annoncer au matin que Bâdîs avait pris médecine. Mais, ce matin-là même, les habitants de Mohammediyya fermèrent les portes de la ville, tout comme si la mort de Bâdîs eût tait l’objet d’une proclamation. Alors la nouvelle se répandit et une grande crainte envahit tout le monde, de sorte qu’en présence de ce bouleversement (les officiers en question) annoncèrent que Kerâmet avait pris le pouvoir en main. Mais les esclaves noirs de Bâdîs et ceux qui étaient avec eux témoignant leur désapprobation, H’abîb prit leurs chefs à part, et l’exposé qu’il leur fit de la situation les tranquillisa. D’autre part, Kerâmet se rendit à Achîr pour y enrôler des Çanhâdja, des Telkâta[109] et autres, à qui l’on distribua cent mille dinars tirés des réserves (du trésor).
Quant à El-Mo’izz, qui avait environ huit ans et demi et quelques jours,[110] puisqu’il était né en djomâda I 398, son entourage, en apprenant la mort de Bâdîs, lui fit tenir une audience pour recevoir les compliments de condoléance, puis il monta à cheval, fit une sortie processionnelle et reçut la prestation de serment ; après quoi il sortit tous les jours à cheval et fit organiser quotidiennement des repas auxquels le peuple prenait part sous ses yeux. L’armée quitta Mohammediyya pour se rendre auprès de lui, en emportant le cadavre de Bâdîs, placé dans un cercueil qui, précédé des tambours et des étendards, était porté en tête des troupes, tandis que les soldats l’escortaient à gauche et à droite. Ils passèrent à Mançoûriyya [P. 180] le 4 moh’arrern 407 (12 juin 1016), et arrivèrent à Mehdiyya, où se trouvait El-Mo’izz, le 8 du même mois. Le jeune prince à cheval écouta les présentations que lui fit H’abib, nommant les hommes et lui faisant connaître les officiers et les principaux, après quoi El-Mo’izz partit de Mehdiyya pour se rendre à Mançoûriyya, où il arriva le 15 moh’arrern. C’est ce prince qui, le premier, poussa les habitants d’Ifrîkiyya à embrasser les doctrines malékites, au lieu des hanéfiles qui y avaient jusqu’alors prévalu.
Quant à Kerâmet, les tribus Çanhâdja et autres, lors de son arrivée à Achîr, se groupèrent autour de lui, et comme H’ammâd, à la tête de quinze cents cavaliers, se disposait à l’attaquer, il marcha contre le rebelle avec une armée de sept mille combattants. Il fut déployé beaucoup d’acharnement dans la rencontre qui suivit ; mais certains de ceux qui suivaient Kerâmet ayant quitté leur chef pour aller piller le trésor, lui et son armée furent complètement mis en déroute, et il regagna Achîr. Le kâdi et les principaux habitants de cette ville lui ayant conseillé d’y rester pour en défendre l’entrée à H’ammâd, il se rendit à leur opinion. Ce dernier, étant-venu établir son camp sous les murs, demanda une entrevue à Kerâmet, qui alla le trouver et qui accepta de lui une somme d’argent avec l’autorisation de se rendre auprès d’El-Mo’izz. H’ammâd, ensuite, fît massacrer un grand nombre des habitants d’Achîr pour les punir d’avoir conseillé à Kerâmet de s’y installer pour l’empêcher, lui H’ammâd, d’y entrer. Quant à Kerâmet, qui arriva auprès d’El-Mo’izz en moh’arrem (juin-juillet 1016), il fut bien accueilli par ce prince et fut l’objet de ses libéralités.
A la fin de dhoû’l-h’iddja (28 mai 1017), El-H’âkim fit d’Egypte un envoi à El-Mo’izz de robes d’honneur et lui octroya le titre honorifique de Cheref ed-Dawla, sans parler aucunement des poursuites par le fer et le feu dont, les Chiites étaient victimes.[111] Le 21 çafar 408 (17 juillet 1017), El-Mo’izz se mit en campagne pour arrêter les incursions de H’ammâd, qui assiégeait’ Bâghâya et d’autres villes.[112] Ce dernier, à l’approche de son adversaire, abandonna Bâghâya, et la bataille s’engagea le 30 rebî’ I (26 août 1017) ; mais presque aussitôt H’ammâd fut mis en déroute, et les guerriers d’El-Mo’izz commencèrent à égorger les vaincus et à piller tous leurs biens, approvisionnements, etc. Une quantité considérable de têtes fut apportée à El-Mo’izz, dont une proclamation avait fait connaître qu’il serait payé quatre dinars pour chacune d’elles. Ibrâhîm, frère de H’ammâd, fut fait prisonnier, mais ce chef lui-même, bien que blessé et abandonné par les siens, put s’échapper. El-Mo’izz ensuite s’éloigna, et alors un messager de H’ammâd vint lui apporter les excuses du rebelle, qui avouait sa faute et réclamait son pardon : « Si tes paroles sont sincères, répondit le vainqueur, envoie-nous ton fils El-K’â’id ». El-Mo’izz chargea alors [P. 181] Kerâmet, [fils de] son oncle, de la surveillance des Arabes clients d’Ibrâhîm. H’ammâd fit répondre qu’il enverrait son fils El-K’â’idou qu’il se présenterait lui-même quand il aurait reçu de son frère Ibrâhîm, selon les formes employées entre eux, la nouvelle qu’Ibrâhîm avait entre les mains l’engagement d’El-Mo’izz le concernant lui H’ammâd. Alors Ibrâhîm se présenta à El-Mo’izz, de qui il reçut l’acte demandé et informa son frère de la chose, en même temps qu’il lui disait sa reconnaissance pour les libéralités d’El-Mo’izz. Ce dernier, rentré dans son palais le 30 djomâda I (23 octobre), fit alors rendre la liberté à son oncle Ibrâhîm, lui fit don de robes d’honneur et lui envoya de l’argent, des montures et tout ce qui lui était nécessaire. Quand H’amniâd sut ce qui se passait, il fit partir-son fils El-Kâ’id, qui arriva à la cour le 15 cha’bân (5 janv. 1018) : ce jeune homme fut honorablement traité, reçut des cadeaux considérables et il lui fut assigné, à titre de fiefs, Mesîla, T’obna et autres localités. Il retourna alors en ramad’ân (janv.-févr.) auprès de son père, qui adhéra par serment à la conclusion de la paix. Les choses furent ainsi arrangées, et un mariage conclu entre la sœur d’El-Mô’izz et ‘Abd Allah ben H’ammâd consolida encore le rétablissement de la bonne entente et de la sécurité réciproque.[113]
L’Ifrîkiyya et le Maghreb eurent à souffrir d’une disette provoquée par les ravages des sauterelles et les désordres des princes.[114] Mais après le rétablissement de la paix et de la bonne intelligence, El-Mo’izz envoya des troupes contre les tribus berbères et autres, chez qui régnaient des mésintelligences qui provoquaient de fréquents et sanglants combats. La vue des troupes du prince mit un terme à leur ardeur guerrière et ramena le calme ; les récalcitrants furent ramenés à la raison par la force, et l’exécution des fauteurs de troubles rétablit la paix entre ces tribus.
Zâwi ben Zîri ben Mennâd, oncle paternel du père d’El-Mo’izz, revint avec ses femmes, ses enfants et ses serviteurs d’Espagne, où il avait fait un long séjour. Nous avons dit le motif qui l’avait fait émigrer dans ce pays, où il avait conquis Grenade et eu à soutenir de nombreux combats. Il ramenait avec lui de l’argent, des approvisionnements et des pierres précieuses en prodigieuses quantités. El-Mo’izz fit bon accueil à ses parents, leur adressa des cadeaux de prix et des vivres abondants, et ils se fixèrent auprès de lui.[115]
La mort de Bâdis et ce qui suivit devrait figurer sous l’année 407, mais nous avons donné un récit d’ensemble.
En 407 (9 juin 1016), le gouvernement de l’Espagne passa aux mains d’Ali ben H’ammoûd ben Aboù ‘l-’Aych ben Meymoûn ben Ahmed ben ‘Ali ben ‘Abd Allah ben ‘Omar ben Idrîs ben Idris ben ‘Abd Allah ben El-H’asan ben El-H’asan ben ‘Ali ben Aboû T’âleb ; on diffère sur les degrés seuls de cette généalogie, mais on est unanime à reconnaître qu’elle remonte bien au Prince des croyants ‘Ali.
Voici ce qui se passa. Kheyrân, guerrier ‘âmiride qui avait été partisan d’El-Mo’ayyed, était, à cause de cela, mécontent devoir Soleymân ben El-H’akam l’Omeyyade sur le trône. Lors de la prise de Cordoue par Soleymân, Kheyrân s’enfuit avec un gros de guerriers ‘âmirides ; mais, poursuivi et rejoint par les Berbères, il leur tint résolument tête et reçut de nombreuses blessures qui le firent laisser pour mort sur le champ de bataille. Il put néanmoins, après le départ des ennemis, se relever, et il fut recueilli par un Berbère de Cordoue qui le soigna et le guérit. Après avoir récompensé son sauveur,[116] il passa secrètement dans l’Espagne orientale. De nombreux partisans se joignirent à lui, et il combattit énergiquement les Berbères de cette région. Almeria étant tombé entre ses mains, les soldats des djond se réunirent à lui, et il expulsa les Berbères du territoire environnant, de sorte que sa situation devint très forte.
Or ‘Ali ben H’ammoûd régnait à Ceuta, qui est séparée de l’Espagne par le détroit de Gibraltar, et son frère El-K’âsim ben H’ammoûd était à Algésiras en qualité de gouverneur. Ils étaient partisans de Soleymân ben El-H’akam, et c’est à cela qu’ils devaient d’avoir été mis, par ce prince, d’abord à la tête des Maghrébins, puis dans les postes qu’ils occupaient alors. Les préférences de Kheyrân étaient acquises au gouvernement d’El-Mo’ayyed, et comme il croyait que ce prince, disparu du palais [de Cordoue] était encore en vie, c’était en son nom qu’il faisait dire le prône dans le pays qu’il gouvernait. ‘Ali ben H’ammoûd, voyant le désordre qui régnait partout, fut mordu du désir de régner en Espagne, et il écrivit à Kheyrân qu’El-Mo’ayyed avait fait de lui, ‘Ali, son héritier présomptif avec mission de tirer vengeance de sa propre mort s’il venait à être tué. [P. 189] Kheyrân lui reconnut cette qualité d’héritier, et se mit à écrire de tous côtés pour exciter des soulèvements contre Soleymân. Plusieurs entrèrent dans ses vues, entre autres ‘Amir ben Fotoûh, vizir d’El-Mo’ayyed, qui était à Malaga, et l’on manda à ‘Ali ben H’ammoûd à Ceuta de passer la mer pour marcher avec lui contre Cordoue. ’Ali débarqua en 405 (1er juillet 1014) à Malaga, que lui livra ‘Amir ben Fotoûh, lequel le reconnut comme héritier présomptif. En. 406 (20 juin 1015), Kheyrân et ceux qui pensaient comme lui se réunirent à Almuñecar, entre Almeria et Malaga, pour s’entendre sur leurs projets-ultérieurs ; puis chacun retourna chez soi pour se préparer à l’attaque de Cordoue. On se retrouva ensuite pour cette expédition, et l’on reconnut ‘Ali en réservant les droits d’El-Mo’ayyed. Quand on passa par Grenade, l’émir qui commandait dans cette ville[117] se rallia aussi : et marcha avec cette armée. La bataille avec Soleymân et les Berbères s’engagea à dix parasanges de Cordoue et fut acharnée, mais ceux-ci furent battus et perdirent beaucoup de monde. Soleymân fut fait prisonnier[118] et amené devant ‘Ali ben H’ammoûd, ainsi que son frère et son père, Er-H’âkâm beir Soleymân’ ben Abd er-Rah’mân Nâçir. L’entrée d’Ali à Cordoue eut lieu en moharrem 407 (juin-juillet 1016). Kheyrân et plusieurs autres se rendirent au palais dans l’espoir d’y trouver El-Mo’ayyed encore en vie. Mais ils n’y découvrirent qu’un cadavre qu’ils exhumèrent ; on réunit la population, et l’un des pages (feta) qu’avait fait élever El-Mo’ayyed ; fut appelé pour reconnaître si c’était là son cadavre. Cet homme examina le corps et notamment les dents, car le prince en avait une qui était noire et qui pouvait établir son identité ; il déclara, de même que d’autres, que c’était bien El-Mo’ayyed, car ils craignaient les suites de la ; colère d’Ali, et pourtant ce jeune homme n’ignorait pas qu’El-Mo’ayyed était encore vivant. Le 7 moharrem (15 juin), ‘Ali fit mettre à mort Soleymân, ainsi que son frère et son père. Quand celui-ci parut devant ’Ali ben H’ammoûd, il fut interpellé par le vainqueur : « Réponds, vieillard ! C’est vous autres qui avez tué El-Mo’ayyed ? J’en atteste Dieu ! nous ne l’avons pas tué, car il vit encore ! » Cette réponse fit hâter la mort de ce vieillard, homme de bien qui vivait retiré du monde et n’avait été pour rien dans les événements politiques auxquels avait été mêlé son fils.
‘Ali ben H’ammoûd, devenu maître de Cordoue, se fit prêter serment de fidélité et exerça pleinement l’autorité sous le surnom d’El-Motawakkel ’ala’llâh.
[P. 190] Dans la suite, Kheyrân se révolta contre lui et quitta Cordoue pour des raisons diverses, entre autres qu’il cherchait, mais en vain, à retrouver El-Mo’ayyed et qu’il était informé des intentions homicides d’Alî à son égard.
Kheyrân ayant commencé à faire de l’opposition à ‘Ali, s’enquit d’un Omeyyade, et on lui désigna ‘Abd erRah’mân ben Mohammed ben ’Abd el-Melik ben ’Abd er-Rah’mân Nâcir, qui avait fui de Cordoue en secret pour aller se cacher à Jaén et qui était le plus vertueux des Omeyyades survivants. Kheyrân ainsi que d’autres lui prêtèrent serment et le surnommèrent El-Mortad’a ; puis ce chef députa à Mondhir ben Yah’ya Tôdjibi, qui commandait à Saragosse et à la frontière supérieure, de même qu’aux habitants de Xaliva, de Valence, de Tortose et d’Alpuente. Tous consentirent à reconnaître le nouveau prince et à s’insurger contre ‘Ali ben H’ammoûd, et la majeure partie de l’Espagne fit de même.
Une réunion eut lieu lors de la Fête des sacrifices de 408 (29 avril 1018) dans un lieu dit Er-Riyâh’eyn ; les légistes et les cheikhs y assistaient, et après être convenus de rendre le khalifat électif, on tomba d’accord pour choisir El-Mortad’a, puis on se dirigea avec lui contre les Çanhâdja et l’on campa sous les murs de Grenade. Mais El-Mortad’a marcha contre Valence et Xativa[119] et agit avec hauteur à l’égard de Mondh’ir ben Yah’ya et de Kheyrân, devant l’autorité de qui il ne s’inclinait pas, de sorte que ces deux chefs regrettèrent ce qu’ils avaient fait. Le prince marcha ensuite vers Grenade, dont il commença le siège. Mais après plusieurs jours de combat acharné les Grenadins et leur chef Zâwi ben Zîri remportèrent la victoire.[120] Mortad’a et ses troupes furent poursuivis par les Çanhâdja, qui tuèrent les uns et réduisirent les autres en captivité ; le prince vaincu lui-même, alors âgé de quarante ans et plus jeune que son frère Hichâm, fut lue au cours de la poursuite.[121]
Le dit Hichâm se retira à Alpuente, où il resta jusqu’à ce qu’on le proclama khalife. Quant à Ali ben H’ammoûd, à la suite de cette affaire, il ne cessa de gagner de jour en jour sur le territoire de Kheyrân et des ‘Amirides.
En dhoû’l-k’a’da 408 (20 mars 1018), ‘Ali ben H’ammoûd [P. 191] fit les préparatifs d’une expédition contre Jaén, qu’occupaient des soldats de Kheyrân. Le 28 de ce mois (16 avril 1018), l’armée sortit de Cordoue, drapeaux et tambours en tête, et l’on attendit son arrivée. Comme on s’impatientait, on alla à sa recherche et l’on trouva son cadavre dans la salle de bain, où il était entré en compagnie de quelques-uns de ses pages, lesquels l’avaient assassiné. Les troupes rentrèrent alors dans la ville.
Il avait pour prénom Aboû‘l-H’asan et pour surnom El-Motawakkil ‘Ala ‘llâh, ou, selon d’autres, En-Nâçir li-dîn Allah. Fils d’une Koreychide et père de deux fils, Yah’ya el-Idrîs, il mourut à quarante-huit ans, après avoir régné un an et neuf mois. C’était un brun aux grands yeux de couleur foncée, au corps long et élancé, au caractère résolu et décidé, pratiquant la justice et bon administrateur. Il avait résolu de rendre aux Cordouans les biens que leur avaient enlevés lès Berbères, mais son règne fut pour cela trop court. Il aimait la louange et la récompensait largement.
Il eut pour successeur son frère El-K’âsim, qui avait quelques années de plus que lui.
Après la mort violente de son frère ‘Ali, que. nous avons racontée sous la présente, année 407,[122] on reconnut l’autorité d’El-K’âsim, qui fut surnommé El-Ma’moûn. Quand son pouvoir fut solidement établi, il écrivit aux ‘Amirides pour se les concilier et donna en fief à Zoheyr Jaén, Calatrava et Baôza. De même il sut s’entendre avec Kheyrân, qui se rendit auprès de lui pour ensuite retourner à Almeria. El-K’âsim conserva donc le gouvernement de Cordoue et autres lieux jusqu’en 412 (16 avril 1021). C’était un homme tranquille et doux, qui aimait le calme et sous le règne de qui le peuple-vécut en repos. Bien que Chi’ite, il ne faisait nullement montre de ses croyances. Il quitta Cordoue pour se rendre à Séville, et alors son neveu Yah’ya se révolta dans la première de ces villes.[123]
Sitôt qu’El-K’âsim se fut dirigé vers Séville, son neveu Yah’ya ben’Ali partit de Malaga et entra à Cordoue sans difficulté. Une fois installé dans cette ville, il se fit prêter serment de fidélité par les habitants le 1er djomâda I de 412 (12 août 1021), et prit le surnom de El-Mo’tali. Il resta à Cordoue [P. 192] revendiquant le titre de khalife, tandis que son oncle El-K’âsim en faisait autant à Séville, jusqu’en dhoû’l-k’a’da 413 (25 janv. 1023). Yah’ya s’étant alors rendu de Cordoue à Malaga, son oncle, sitôt qu’il en fut informé, sauta à cheval et sans s’arrêter ni jour ni nuit gagna Cordoue, où il entra le 18 dhoû‘l-k’a’da 413 (13 fév. 1023). Pendant son séjour à Séville, il avait su gagner les Berbères, et c’est sur eux qu’il s’appuyait ; il resta ainsi quelques mois à Cordoue, puis ses affaires se gâtèrent. Son neveu Yah’ya marcha sur Algésiras, qu’il conquit, et qui renfermait la femme et les biens d’El-Kâsim, pendant qu’Idrîs, frère de Yah’ya et gouverneur de Ceuta, conquérait Tanger, qu’El-Kâsim avait installée de façon à s’y retirer si ses affaires ne réussissaient pas à son gré en Espagne.
Les succès de ses neveux excitèrent les convoitises du peuple, et comme les Berbères étaient devenus maîtres de Cordoue et s’emparaient de ce qui leur convenait, la population prit les armes et un combat acharné s’engagea le 10 djomâda I 414 (30 juillet 1023) ; puis une trêve survint pendant laquelle les deux partis se respectèrent et qui dura jusqu’au 15 de ce mois.[124] El-K’âsim occupait le palais et témoignait de l’amitié aux Cordouans, se donnant comme étant pour eux, alors que ses sympathies étaient pour les Berbères. Le vendredi 15 djomâda II (3 septembre) après qu’on eût fini la prière solennelle, le cri « aux armes ! » retentit, et toute l’a population obéissant mit la ville en état de défense. On pénétra dans le palais, d’où El-K’âsim sortit pour se mettre-à la tête des Berbères, qui, grâce à la supériorité de leur nombre, serrèrent les habitants de très près. On resta ainsi à se battre pendant plus de cinquante jours, puis les Cordouans pris de peur demandèrent à leurs adversaires de leur laisser le champ libre et de leur garantir la vie sauve, à eux et à leurs familles. Mais ils essuyèrent un refus formel, ce qui leur fit déployer une énergie nouvelle dans le combat : le 12 cha’bân (29 octobre), ils firent une sortie et luttèrent en désespérés, si bien que Dieu leur donna la victoire : Celui qui recevra un outrage sera assisté par Dieu lui-même (Coran, XXII, 59). Les Berbères subirent une déroute complète, et chacun de leurs divers groupés s’enfuit d’un côté différent, dans quelque endroit dont il se rendit maître.
El-K’âsim ben H’ammoûd se dirigea vers Séville et écrivit aux habitants d’évacuer mille maisons destinées à recevoir les Berbères ; mais cette exigence leur parut trop lourde : [P. 193] ils se soulevèrent contre ses deux fils Mohammed et El-H’asan, qui habitaient parmi eux, et les chassèrent, eux et leurs compagnons. Après quoi, restés maîtres de la ville, ils choisirent trois d’entre les principaux, savoir le kâdi Aboû l’-K’âsim Mohammed ben Ismâ’îl ben ‘Abbâd Lakhmi, Mohammed ben Yerîm Alhfini et Mohammed ben Mohammed ben El-H’asan Zobeydi, pour administrer les affaires publiques et privées.
Puis Ibn Yerîm et Zobeydi d’un commun accord demandèrent à Ibn ‘Abbâd qu’il se chargeât seul de gouverner ; celui-ci refusa d’abord, mais il finit par se rendre à leurs instances et à céder aussi à la crainte du préjudice que pouvait causer son refus, de sorte qu’il fut investi du pouvoir civil et militaire.
El-K’âsim, au courant de ce qui se passait, se dirigea d’abord de ce côté, puis se rendit à Xérès, où il fut bientôt assiégé par son neveu Yah’ya ben ‘Ali à la tête de troupes berbères. Il fut pris et resta détenu en prison jusqu’à la fin du règne de Yah’ya, et mis à. mort par le frère et successeur de celui-ci, Idrîs, lors de son avènement.[125] D’après une autre version, il mourut de mort naturelle et son cadavre fut envoyé à Algésiras à son fils Mohammed, qui le fit enterrer. Entre le moment où El-K’âsim prit à Cordoue le titre de khalife et celui où son neveu le fit prisonnier, il s’écoula six ans ; après seize ans de-captivité, il fut mis à mort en 431 (22 sept. 1039), à l’âge de quatre-vingts ans. Il eut comme fils Mohammed et El-H’asan, dont la mère était Emîra, fille d’El-H’asan ben K’âsim dit K’attoûn[126] ben Ibrâhîm ben Mohammed ben El-K’âsim ben Idrîs ben Idrîs ben El-H’asan ben El-H’asan ben ‘Ali ben Aboû T’aieb. C’était un brun aux grands yeux noirs, au teint jaune, de haute taille et aux joues minces.
Après avoir repoussé les Berbères et El-K’âsim ben ‘Ali, les Cordouans tombèrent d’accord pour rappeler les Omeyyades, et leur choix se porta sur ‘Abd er-Rah’mân ben Hichâm ben ’Abd el-Djebbâr ben ’Abd er-Rah’mân En-Nâçir, qu’ils reconnurent comme khalife le 13 ramadan 414 (28 novembre 1023). Ce prince, alors âgé de vingt-deux ans, prit le surnom d’El-Mostaz’hir billâh, et fut tué au bout d’un mois [P. 194] et dix-sept jours de règne dans les circonstances que voici. Il avait emprisonné plusieurs des principaux Cordouans et confisqué leurs biens à cause des sympathies qu’ils nourrissaient pour Soleymân ben El-Mortad’a ‘Abd er-Rah’mân ben Mohammed ben ‘Abd el-Melik ben ‘Abd er-Rah’mân En-Nâçir. Mais de leur prison ils nouèrent des intelligences au dehors, entre autres avec le chef de la garde (chort’a) et semèrent le mécontentement, si bien qu’on marcha sur leur prison et qu’on les en tira. Il y avait aussi parmi leurs libérateurs Aboû ‘Abd er-Rah’mân Mohammed ben ‘Abd er-Rah’mân l’Omeyyade suivi de nombreux partisans. El-Mostaz’hir eut le dessous et fut tué en dhoû’l-ka’da (janv.-févr. 1024).
Ce prince, qui ne laissa pas d’enfants, portait le prénom d’Aboû’l-Mot’arref et était fils d’une concubine ; c’était un blond aux grands yeux noirs, à la poitrine large et ayant les mains très fortes. Il était lettré, bon prédicateur, éloquent, avait le cœur sensible et est auteur de bons vers. Son vizir était Aboû Mohammed ‘Ali ben Ahmed ben Sa’îd ben H’azm.[127] Soleymân ben El-Mortada était mort dix jours avant lui.
Après le meurtre d’El-Mostaz’hir, les Cordouans reconnurent comme khalife, en dhoû’l-ka’da 414 (14 janv. 1024), Aboû-Abd er-Rah’mân Mohammed ben ‘Abd er-Rah’mân ben ‘Obeyd (sic) Allah ben En-Nâçir l’Omeyyade, à qui ils donnèrent le surnom d’El-Mostakfl billâh. Ce prince ne songeait qu’à la table et à la débauche et ne s’occupait ni ne pensait à rien qu’à ces plaisirs. Au bout de seize mois et quelques jours, en rébî’ I 416 (mai 1025), éclata un soulèvement qui aboutit à sa déposition ; il sortit de Cordoue avec un groupe de partisans et se dirigea du côté de Médina Celi. Il mourut en rebî II (juin) de la même année, empoisonné par l’aconit mêlé à une volaille rôtie que lui servit un des siens fatigué de le suivre. C’était un homme débauché au possible et dont ; on raconte des choses qu’on n’ose redire ; il était de petite taille, d’un blond foncé, était corpulent et avait la figure ronde ; il mourut à l’âge de cinquante ans environ. Après sa mort, les Cordouans appelèrent de nouveau au pouvoir Mo’tali billâh Yah’ya ben ‘Ali ben H’ammoûd l’Alide.
Quand les Cordouans surent de façon positive la mort d’Aboû ‘Abd er-Rah’mân, quelques uns d’entre eux s’efforcèrent de faire rappeler Yah’ya ben ‘Ali ben H’ammoûd en qualité de khalife : ce prince était alors à Malaga, où il se faisait donner ce titre au prône. On lui écrivit en cette qualité, et en ramadan 416 (comm. 25 oct. 1025), on fit dire le prône en son nom. Yah’ya accepta ces propositions et envoya comme gouverneur à Cordoue ‘Abd er-Rah’mân ben ‘Atlâf Ifreni, sans vouloir faire lui-même acte de présence. Son délégué resta dans cette ville jusqu’en moharrem 417 (comm. 21 févr. 1026) ; puis, au mois de rebî I (avril-mai) les deux ‘Amirides Modjâhid et Kheyrân s’étant avec une forte armée approchés de Cordoue dans des intentions hostiles, la population s’insurgea contre ‘Abd er-Rah’mân, massacra beaucoup de ses soldats et expulsa les survivants, tout comme le gouverneur lui-même.[128]
Modjâhid et Kheyrân étaient installés dans la ville depuis un mois quand la mésintelligence s’étant mise entre eux, la crainte mutuelle qu’ils s’inspiraient fit que Kheyrân, le 22 rebi’ II de cette année (11 juin), passa de Cordoue à Almeria, où il resta jusqu’à sa mort, survenue en 418 ou en 419 (1027 ou 1028). Son compagnon Zoheyr l’Amiride lui succéda dans cette ville.
H’abboûs ben Mâksen, Berbère çanhâdjide, ainsi que ses deux frères, firent de l’opposition à l’autorité de Yah’ya ben ‘Ali, et au bout de quelque temps Modjâhid se retira à Dénia, où le prône cessa d’être dit au nom de Yah’ya et le fut de nouveau au nom des Omeyyades, ainsi qu’il sera dit plus loin.
Yah’ya se mit alors à errer çà et là avec ses troupes, puis les Berbères reconnurent son autorité, et grâce à la remise qu’ils lui firent des places fortes et des villes qu’ils détenaient, sa situation devint très forte. Au bout de quelque temps, il se rendit à Carmona, d’où il se mit à assiéger Séville, dont il convoitait la possession. Un jour, en moharrem 427,[129] il marcha contre un parti de cavalerie envoyé par le kâdi Aboû’l-K’âsim ben ‘Abbâd de Séville dans la direction de Carmona, et tomba dans une embuscade où il ne put échapper à la mort ; il avait quarante-deux ans.
Fils lui-même d’une Berbère, il laissa deux enfants issus de concubines, El-H’asan et Idrîs. C’était un homme brun, aux grands yeux noirs, au buste long [P. 196] et aux jambes courtes, au caractère grave, calme et doux.
Nous allons donner d’ensemble l’histoire des fils et des neveux de Yah’ya, ainsi que des autres Alides, pour ne pas couper le récit.
Après la mort de Yah’ya ben ‘Ali, les deux conseillers de la dynastie Alide, Aboû Dja’far Ahmed ben Aboû Moûsa, dit Ibn Bak’iyya,[130] et Nadjâ, l’eunuque slave, retournèrent dans la capitale Malaga, et, s’adressant au frère du défunt, Idrîs ben ‘Ali, qui occupait Ceuta et Tanger, ils l’appelèrent à Malaga en qualité de khalife sous la condition, qu’il accepta, d’installer à sa place, à Ceuta, H’asan ben Yah’ya, fils du défunt. Idrîs accepta et fut reconnu par eux. H’asan, en conséquence, se rendit à Ceuta et à Tanger, en compagnie de Nadjâ, tandis qu’Idrîs prenait le surnom d’El Mota’ayyed billâh. Telle fut la situation jusqu’en 430 ou 431 (1038 et 1039).
Alors le kâdi Aboû’l-K’âsim ben ‘Abbâd envoya son fils Ismâ’îl à la tête d’une armée pour s’emparer de ces régions, et Carmona, Lisbonne, Ecija furent conquises.[131] Le prince vaincu s’adressa à Idrîs et à Bâdîs ben H’abboûs, le prince çanbâdjide : celui-ci répondit en personne à cet appel, et celui là envoya une armée de secours commandée par son ministre Ibn Bak’iyya, mais ces chefs n’osèrent attaquer Ismâ’îl et se retirèrent. Ismâ’îl, armé à la légère, voulut intercepter la route aux Çânhâdjides et parvint à les joindre une heure après le départ des troupes d’Idrîs. Un messager expédié à celles-ci leur fit rebrousser chemin, et les alliés livrèrent bataille à Ismâ’îl, dont l’armée ne tarda pas à fuir tandis que lui-même était tué. On lui coupa la tête pour l’envoyer à Idrîs, qui, sûr de succomber, avait quitté Malaga pour se réfugier sur une montagne où il pût se défendre ; mais ce prince était malade et mourut deux jours après avoir reçu cette tête. Les enfants qu’il laissait étaient Yah’ya, Mohammed et H’asan.
Yah’ya ben ‘Ali, celui qui avait été tué, avait interné à Algésiras ses deux cousins Mohammed et El-H’asan, fils d’El-K’âsim ben H’ammoûd. Après la mort d’Idrîs, leur gardien les rendit à la liberté [P. 197] et invita le peuple à les reconnaître, ce que firent notamment les noirs avant tous autres, à cause de la faveur que leur avait témoignée le père de ces princes. Mohammed régna donc à Algésiras, mais sans être qualifié de khalife, tandis que son frère El-H’asan, s’adonnant à la piété, se retira du monde et partit en pèlerinage.
Ibn Bak’iyya avait installé Yah’ya ben Idrîs, après la mort du père de ce prince, à Malaga. Nadjâ le Slave, accompagné d’El-H’asan ben Yah’ya, quitta Ceuta pour marcher sur cette ville, où il pénétra après qu’Ibn Bak’iyya s’en fut enfui. Puis les vainqueurs surent rendre confiance à ce chef, qui rentra dans la ville et fut mis à mort, par ordre d’El-H’asan, qui fit subir le même traitement à son cousin Yah’ya ben Idrîs. El-H’asan fut proclamé khalife sous la dénomination d’El-Mostançir billâh, et Nadjâ retourna à Ceuta après avoir installé auprès du prince son lieutenant, personnage connu sous le nom de Chet’îfi.[132] El-H’asan vécut dans cette situation deux ans environ et mourut en 434 (20 août 1042), empoisonné, dit-on, par sa femme qui était la fille d’Idrîs son oncle, et qui voulut venger la mort de son frère à elle, Yah’ya.
Après la mort d’El-H’asan, Chet’îfi emprisonna Idrîs ben Yah’ya, et Nadjâ passa de Ceuta à Malaga avec l’intention de mettre fin au gouvernement des Alides pour s’emparer lui-même de l’autorité. Il s’en ouvrit aux Berbères, qui réprouvèrent ce projet et le massacrèrent, lui et Chet’îfi. Idrîs ben Yah’ya tiré de prison fut par eux proclamé khalife sous le nom d’El-’Ali. Ce prince était très charitable et distribuait tous les vendredis[133] cinq cents dinars en aumônes ; il rappela tous les exilés et leur rendit leurs biens ; il était lettré, d’abord agréable bon poète ; mais il fréquentait des gens de rien, qu’il ne tenait pas même éloignés de ses femmes, et qui recevaient de lui, sitôt qu’ils la demandaient, l’une ou l’autre place forte. Les Çanhâdja lui prirent plusieurs châteaux-forts et réclamèrent la remise de son vizir et conseiller, ancien ministre de son père, Moûsa ben ‘Affàn ; il leur livra son serviteur, qui fut exécuté.
Comme il avait fait emprisonner ses deux cousins Mohammed et El-H’asan, fils d’Idrîs ben ‘Ali, dans le château d’Ayros, le gouverneur, mécontent de sa faiblesse, se révolta et reconnut le cousin d’Idrîs, Mohammed ben Idrîs ben ‘Ali. Les noirs qui entouraient Idrîs ben Yah’ya se révoltèrent aussi contre lui et appelèrent au milieu d’eux Mohammed, à qui Idrîs remit le pouvoir et jura fidélité en 432 (10 septembre 1040) ; puis l’ex-souverain fut emprisonné.
[P. 198] Mohammed prit le surnom d’El-Mahdi et désigna son frère El-H’asan comme héritier, sous la dénomination d’Es-Sâmi. Sa bravoure et son audace inspirèrent le respect et la crainte aux Berbères, qui se mirent en rapport avec le geôlier d’Idrîs ben Yah’ya et le décidèrent à relâcher celui-ci, qui fut reconnu et proclamé khalife à Ceuta et à Tanger ; il le resta jusqu’à sa mort, survenue en 446 (11 avril 1054).
Mahdi, mécontent de la conduite de son frère Sâmi, l’exila, et celui-ci passa sur le territoire africain, dans les montagnes des Ghomâra, où les populations soumises et dévouées aux Alides reconnurent son pouvoir. Ensuite les Berbères s’adressant à Mohammed ben El-K’âsim d’Algéziras, se joignirent à lui et le proclamèrent khalife sous la même dénomination d’El-Mahdi. C’était le comble du mensonge-et de la honte que de voir quatre chefs appelés Princes des croyants dans un coin de terre de trente parasanges ! Mais ensuite les Berbères laissèrent Mohammed, qui rentra à Algésiras pour y mourir peu de jours après.
Son fils El-K’âsim le remplaça à Algésiras, mais sans prendre le litre de khalife. Mohammed ben Idrîs resta à Malaga jusqu’à sa mort, en 445 (22 avril 1053). Idrîs ben Yah’ya surnommé El-’Ali resta à Tacorona chez les Benoû Ifren, et, après la mort de Mohammed ben Idrîs ben ‘Ali, il se rendit maître de Malaga, qui passa ensuite entre les mains des Çanhâdja.
Après que Yah’ya ben ‘Ali l’Alide eut fini de régner à Cordoue, en 417 (21 février 1026), les habitants se mirent d’accord pour renoncer aux ‘Alides, trop enclins à favoriser les Berbères, et pour prendre un Omeyyade comme khalife d’Espagne. Le meneur en cette affaire était Aboû’l-H’azm Djahwar ben Mohammed ben Djahwar. Après entente avec les habitants des frontières et avec les maîtres de régions plus rapprochées, on proclama Aboû Bekr Hichâm ben Mohammed ben ‘Abd el-Melik ben ‘Abd er-Rah’mân En-Nâcir l’Omeyyade, qui résidait à Alpuente depuis la mort de son frère cadet Mortad’a. Cela se fit en rebî’ I 418 (avril-mai 1027). Le nouveau souverain, qui prit le surnom de Mo’tadd billâh, se dirigea vers les places fortes de la frontière, où, toujours allant d’un lieu à un autre, il eut à lutter avec de graves difficultés provenant de la résistance des chefs. [P. 199] On finit enfin par décider qu’il se rendrait dans la capitale Cordoue, et il y entra en effet le 8 dhoû‘l-hiddja 420 (17 décembre 1029) ; il y resta jusqu’à sa déposition, survenue le 2 dhoû’l-hiddja 422 (20 novembre 1031), dans les circonstances suivantes. Son vizir Aboû ‘Acim Sa’îd K’azzâz, qui était nouveau dans l’exercice du pouvoir, agit autrement que ses prédécesseurs : il s’empara sous divers prétextes de sommes appartenant à des commerçants et à d’autres individus ; par ses dons et ses bons traitements, il favorisait les Berbères ; si bien que les Cordouans, se détachant de lui, apostèrent des gens qui le massacrèrent. Ensuite, et à cause de ce ministre, ils perdirent toute affection pour Hichâm, qu’ils déposèrent.
Alors ‘Omeyyâbeh ‘Abd er-Râh’mân ben Hichâm ben ‘Abd el-Djebbâr ben En-Nâcir franchit.les murs du palais avec une troupe de jeunes gens (ah’dâth) et revendiqua le pouvoir. Nombre de gens du peuple, en effet, lui prêtèrent serment de fidélité, et comme quelques Cordouans lui faisaient remarquer qu’il y avait lieu de redouter une issue funeste, parce que les Omeyyades semblaient n’avoir plus de veine : Aujourd’hui le trône, demain la mort ! répondit-il.
Les notables de Cordoue lui intimèrent, à lui et à Mo’tadd, l’ordre de sortir de la ville. Mo’tadd fit ses adieux aux siens et se retira dans le château-fort de Mohammed ben Ech-Choûr, dans la montagne de Cordoue, où il resta jusqu’à l’époque où celui-ci périt victime : de la trahison de ses partisans. Ces derniers : emprisonnèrent Mo’tadd dans un autre fort, mais le prince parvint par ruse à s’enfuir nuitamment auprès de Soleymân ben Hoûd Djodhâmi, qui le reçut bien et le garda auprès de lui jusqu’à ce que la mort enlevât ce dernier des princes Omeyyades d’Espagne, en çafar 428 (novembre-décembre 1036). Il fut inhumé dans le voisinage de Lérida.
Omeyya se tint d’abord caché à Cordoue ; mais à la suite de la proclamation qui fut faite par les Cordouans dans les marchés et les faubourgs qu’aucun membre de cette famille n’eût à rester dans la ville ou à y recevoir l’hospitalité d’un citoyen, il sortit de la ville avec’ plusieurs personnes. Pendant quelque temps, on perdit ses traces, puis il rentra dans la ville, poussé qu’il était par le désir d’y résider. Mais les chefs l’empêchèrent ; par la force de persister dans son projet, et l’on dit même qu’il fut tué secrètement en djomâda II 424 (mai 1033). Puis les liens du gouvernement républicain se relâchèrent et le 1 morcellement du territoire s’ensuivit.
Les chefs et les seigneurs dès diverses localités se partagèrent alors l’Espagne, et chacun en obtint un ; fragment, comme avaient fait autrefois les rois des provinces de Perse (molouk et-t’àwâ’if). Cela fut des plus funeste aux musulmans et excita les convoitises des infidèles. Le morcellement ne finit que par là conquête du Prince des fidèles ‘Ali ben Yoûsof ben Tâchefîn.
Le gouvernement de Cordoue échut à Aboû’l-H’azm Djahwar ben Mohammed : ben Djahwar, ancien vizir de la dynastie ‘Amiride, homme qui avait l’habitude de l’exercice du pouvoir, remarquable par sa pénétration et son intelligence, et qui jusqu’alors non seulement n’avait pas participé aux troubles, mais s’en était soigneusement tenu à l’écart. Néanmoins quand il se vit le champ libre et qu’une occasion se présenta, il la saisit hardiment et se chargea de l’administration et de là protection de la cité ; il ne prit cependant pas ouvertement le rang de chef, mais il s’occupa d’administrer plus, activement que personne et se montra capable de défendre les intérêts de la cité, jusqu’au jour où il pourrait remettre le pouvoir ; à quelqu’un qui le revendiquerait et serait accepté par le peuple. Il laissa dans l’es divers palais la même installation de concierges et d’employés que sous la précédente dynastie, et il ne quitta pas sa propre demeure pour s’y installer. Les revenus des propriétés royales furent confiés à dès fonctionnaires nommés à cet effet et qui étaient sous sa surveillance. Il organisa une garde composée des gens des marchés ; et dont la solde se composait de l’intérêt de sommes qu’ils avaient entre les mains, mais dont le capital restait dû par eux ; de temps en temps, il se rendait chez eux pour examiner si le capital était ou non intact. Chacun de ces hommes avait reçu des armes qu’il ne quittait pas, de manière à être, en cas de besoin, prêt sur le champ. Fidèle à l’habitude des gens de bien, Djahwar assistait aux funérailles, visitait lès malades et figurait dans les fêtes, mais n’en dirigeait pas moins les affaires de l’État aussi bien que le font, les princes. Il ne trompait pas la confiance qu’on mettait en lui, et à son époque le peuple vécut tranquille.[134]
Après sa mort, survenue en çafar 435 (8 sept. 1043), son fils Aboû’l-Welîd Mohammed ben Djahwar le remplaça et suivit le même mode de gouvernement. Quand la mort frappa ce dernier, Cordoue devint la proie d’El-Ma’moûn, prince de Tolède, qui la conserva jusqu’à sa mort, laquelle survint en cette ville.
[P. 201] Séville avait comme chef le kâdi Aboû’l-K’âsim Mohammed ben Ismâ’il ben ’Abbâd Lakhmi, descendant de No’mân ben Mondhir ; nous avons dit, en parlant de Yah’ya ben ‘Ali ben H’ammoûd, comment cela s’était fait.
À cette époque on recommença à parler de Hichâm El-Mo’ayyed, fils de H’akam, qui, après s’être caché et n’avoir plus fait de bruit, reparut à Malaga, d’où il se rendit à Almeria ; mais Zoheyr l’Amiride, chef de cette dernière ville, prit peur et le renvoya. Hichâm gagna alors le fort de Calatrava, dont les habitants reconnurent son autorité. Mais le prince de qui ils relevaient, Ismâ’il ben Dhoû’n-Noûn, marcha contre eux, et leur impuissance à lui tenir tête les força de renvoyer Hichâm. Celui-ci fut alors appelé à Séville par le kâdi Aboû’l-K’âsim Mohammed ben Ismâ’il ben Abbâd, qui fit connaître son existence et lui prêta secours. Comme les divers chefs de l’Espagne obéissaient au dit kâdi, il obtint l’adhésion des seigneurs de Valence et des environs, de Cordoue, de Dénia et des îles, ainsi que de celui de Tortose : Hichâm fut proclamé khalife, son nom fut prononcé au prône et on lui renouvela le serment de fidélité à Cordoue, en moharrem 429 (13 oct. 1037).[135]
Ibn ‘Abbâd expédia des troupes contre Zoheyr l’‘Amiride, qui se refusait à faire la khotba au nom de Mo’ayyed ; mais Zoheyr ayant obtenu le concours de H’abboûs ben Mâksen le Çanhâdjide, chef de Grenade, qui amena son armée, les troupes d’Ibn ‘Abbâd se retirèrent sans combattre. Zoheyr resta à Baëza, et H’abboûs retourna à Malaga, où il mourut en ramadan de cette année (429). Son fils et successeur Bâdîs alla trouver Zoheyr pour continuer l’entente qui avait existé entre ce dernier et le défunt ; mais loin de tomber d’accord, on en vint aux mains, et Zoheyr avec beaucoup des siens furent tués vers la fin de 429 (13 oct. 1037).
En 431 (21 sept. 1039), l’armée d’Ibn ’Abbâd, commandée par son fils Ismâ’il, livra bataille aux troupes réunies de Bâdîs ben H’abboûs et d’Idrîs l’Alide, ce que nous avons déjà raconté en parlant des Alides ; l’affaire fut chaude, et ismâ’il y laissa sa vie. Bientôt, en 433 (30 août 1041), mourut son père le kâdi Aboû’l-K’âsim, qui eut pour successeur son fils Aboû ‘Amr ‘Abbâd ben Mohammed, surnommé El-Mo’tad’id billâh, lequel mit décidément la main sur le pouvoir et révéla la mort d’El-Mo’ayyed.
[P. 202] Telle est la version d’Ibn Aboû’l-Feyyâd au sujet de ce dernier prince. Mais, d’après un autre, toute trace d’El-Mo’ayyed est perdue depuis le jour où il disparut de Cordoue lors de l’entrée d’Ali ben H’ammoûd dans cette ville et du meurtre de Soleymân, et tout cela n’est qu’une des ruses et des tromperies mises en œuvre par l’astuce d’Ibn ‘Abbâd. Ce qui serait plus étonnant que la disparition d’El-Mo’ayyed, et la confiance qu’on accorda au dire d’Ibn ‘Abbâd qu’il était encore en vie, c’est qu’un homme d’origine sédentaire, apparaissant vingt ans après la mort du vrai El-Mo’ayyed, se serait donné pour lui, aurait été proclamé khalife, aurait vu son nom figurer à diverses reprises dans toutes les chaires de l’Espagne, pendant que le sang coulait pour lui et que des armées se levaient pour le combattre ou le défendre !
Après avoir révélé la mort d’El-Mo’ayyed, Ibn ‘Abbâd resta le chef indépendant de Séville et des autres villes qui en dépendaient jusqu’à ce qu’il mourut d’une suffocation le 2 djomâda II 461 (28 mars 1069).
Son fils Aboû’l-K’âsim Mohammed ben ‘Abbâd ben Aboû‘l-K’âsim lui succéda sous le surnom d’El-Mo’tamid ‘ala ’llâh ; il développa ses possessions et jouit d’une grande autorité. Parmi les conquêtes qui lui donnèrent Une grande partie de l’Espagne figure Cordoue, dont il confia le gouvernement à son fils Ez-Z’âfer billâh.
En apprenant cette conquête, Yah’ya ben Dhoû’n Nôûn ; seigneur de Tolède, lui en envia la possession, et alors Djerîr ben ‘Okâcha se porta fort de la lui faire obtenir.[136] En conséquence, cet officier se rendit à Cordoue, où il se fixa pour arriver à réaliser sa promesse et guetter quelque occasion. Une certaine nuit, que la pluie tombait à verse et qu’un vent violent accompagnait lès éclats de la foudre et les éclairs, il se jeta avec ses partisans sur le palais gouvernemental, où il ne rencontra aucune résistance. Mais le portier prévint Ez-Z’âfér, qui, bien que tout jeune, se précipita avec les noirs et les gardes contre les assaillants et les rejeta au-dehors ; mais au cours d’une charge il trébucha et tomba, de sorte qu’un des agresseurs put l’égorger. Le palais était entre leurs mains avant que les troupes et les habitants fussent prévenus de rien, et les adhérents de Djerîr vinrent successivement le rejoindre.
Le cadavre d’Ez-Z’âfer gisait nu sur le sol quand un Cordouan, qui le reconnut en passant, se dépouilla de son manteau pour le couvrir, de sorte que le père du jeune prince, -quand il songeait à cela, répétait ce vers proverbial :
[P. 203 ; tawil] Je ne sais qui l’a couvert de son manteau, mais je sais que c’est un homme noble et généreux.[137]
Mais El-Mortamid, à force d’efforts réitérés, finit par recouvrer cette ville, qu’il confia aux soins de son fils El-Ma’moûn. Celui-ci y resta jusqu’à la conquête qu’en fit Yoûsof ben Tâchefîn, et il y fut tué après une vigoureuse résistance, en 484 (22 févr. 1091). La même année, la ville de Séville fut conquise sur Mo’tamid lui-même, qui fut envoyé à Aghmât en captivité et qui y mourut.
Ce prince, aussi bien que son père, son grand-père et tous ses enfants, Rechîd, Ma’moûn, Hâd’i et Mo’tamid, étaient des gens de talent, savants et poètes.
À Badajoz, ce fut Sàboùr, guerrier ‘âmiride, qui s’empara du pouvoir sous le surnom d’El-Mançoûr. Après lui, ce fut Aboû Bekr Mohammed ben ‘Abd Allah ben Salama,[138] connu sous le nom d’Ibn el-Aft’as, dont la famille était berbère et originaire de Miknâsa, mais dont le père même était né en Espagne. Tous ses enfants y furent élevés d’après la mode du pays, si bien qu’ils prétendaient descendre de Todjîb ; ils étaient d’ailleurs dignes de régner. Après la mort d’Ibn el-Afi’as, le trône échut à son fils Aboû Mohammed ‘Omar ben Mohammed, dont l’autorité s’étendit jusqu’à l’extrême Occident. Il périt de la main du bourreau avec ses deux fils lors de la conquête de l’Espagne par Yoûsof ben Tâchefîn.
Tolède vit tout d’abord s’élever le pouvoir d’Ibn Ya’îch qui dura peu, et l’autorité passa entre les mains d’Ismâ’îl ben ‘Abd er-Rah’mân ben ‘Amir ben Mot’arrif ben Dhoû’n-Noûn, surnommé Ez-Z’âfir bi-hawl Allah, Berbère d’origine mais né en Espagne et élevé dans les usages de ce pays. Ismâ’îl, né en 390 (12 déc. 999) et mort en 435 (9 août 1043), était versé dans la littérature ; il était bon poète et a écrit un traité historico-littéraire. Son fils et successeur Yah’ya,[139] adonné à la débauche et à un libertinage éhonté, combla les Francs de cadeaux et d’argent pour n’avoir pas à les combattre et pouvoir se livrer au jeu ; il dépouillait ses sujets de leurs biens, tandis que les Francs, emportent successivement toutes les places fortes, finirent par s’emparer de Tolède en 477 (9 mai 1084). Il s’établit alors à Valence, et il y fut tué par le kâdi [Dja’far ben ‘Abd Allah] Ibn Djahh’âf el-Ah’naf,[140] à propos de qui [P. 204] le ra’îs Aboû ‘Abd er-Rah’mân Mohammed ben T’â’hir[141] a dit :
[Madid] Doucement, Ah’naf, car tu as fait une chose grave en tuant le roi Yah’ya et en endossant sa tunique ; plus d’un jour te verra courir, si toutefois tu trouves alors un refuge.
Saragosse et la frontière supérieure obéissaient à Mondhir ben Yah’ya Todjîbi, qui fut remplacé à sa mort par son fils Yah’ya. Cette région passa ensuite entre les mains de Soleymân ben Âh’med ben Mohammed ben Hoûd Djod’hâmi, surnommé El-Mosta’în billâh, qui était d’abord en qualité d’officier au service de Mondhir et préposé au gouvernement de Lérida ; en 434 (20 août 1042), il eut avec les Francs, à Tafalla[142] une affaire bien connue. Il eut pour successeur son fils El-Mok’tadir billâh ; après celui-ci régna Yoûsof ben Ahmed El-Mou’temin, fils du précédent, puis Ahmed fils de Yoûsof, surnommé, comme son grand-père, El-Mosta ‘in billâh ; puis ‘Abd el-Melik ‘Imâd ed-Dawla, fils d’Ah’ined ; enfin El-Mostancir billâh, fils d’Abd el-Melik, avec qui finit cette dynastie vers le commencement du VIe siècle. Tout ce pays passa alors aux mains d’Ibn Tâchefîn. J’ai vu à Damas en 590 (26 déc. 1193) un descendant de cette maison réduit à la plus extrême misère et chef des gardiens de nuit.[143] Louange à Celui qui ne finit pas et contre qui le temps ne peut rien !
Tortose obéissait à Lebîb, guerrier ‘Amiride.
À Valence régnait El-Mançoûr Aboû’l-H’asan ‘Abd el’Azîz ben ‘Abd er-Rah’mân ben Mohammed ben el-Mançoûr ben Aboû ‘Amir Ma’âferi. Alméria et son territoire furent ensuite annexés à ce domaine. Il eut pour successeur son fils Mohammed, qui, en dhoû’l-hiddja 457 (2 nov. 1065), fut dépouillé de l’autorité à Valence par suite de la trahison d’El-Ma’moûn ben’ Ismâ’îl ben Dhoû’n-Noûn, son gendre. Il dut alors aller s’installer à Alméria, dont il fut aussi dépouillé dans les circonstances que nous dirons.
La Sahla [Albarracin] avait pour chef ‘Abboûd ben Rezîn, berbère d’origine mais né en Espagne, qui fut après sa mort remplacé par son fils ‘Abd el-Melik, [P. 205] qui était lettré et poète. ‘Izz ed-Dawla, fils du précédent, fut dépouillé de ses possessions par les Almoravides.[144]
[145]Dénia et les îles[146] obéissaient à El-Mowaffak’ Aboû’l-H’asan[147] Modjâhid l’Amiride. Le légiste Aboû Mohammed Abd Allah Mo’ît’i accompagné de nombreux partisans quitta Cordoue pour se joindre à lui. Modjâhid fit ; de lui un semblant de khalife qu’il put faire agir à sa guise et l’installa comme tel en djomâda II 405 (26 nov. 1014). Mo’ît’i resta auprès de Modjâhid et des siens environ cinq mois, puis les deux alliés se rendirent, aux îles, c’est-à-dire à Mayorque, Minorque et Iviça. Mo’ît’i envoya ensuite Modjâhid en Sardaigne avec cent vingt bateaux, tant grands que petits, et mille chevaux : la conquête de cette île eut lieu en rebi I 446 (comm. 9 juin 1054) et une foule de chrétiens y trouvèrent la mort, tandis qu’un nombre non moins grand était réduit en captivité. Mais à la fin de la même année, les Francs et les Roûm du continent vinrent l’expulser de ‘ l’île, et il rentra en Espagne, alors que Mo’ît’i était mort. Modjâhid fut jusqu’à sa mort mêlé sans interruption à toutes les luttes intestines du pays.[148] Il eut pour successeur son fils ‘Ali ben Modjâhid, qui, tout comme son père, était-un homme de science, aimait les savants, les traitait bien et les attirait de partout. ‘Ali fut remplacé à sa mort par son fils Aboû Amir, qui ne ressemblait en rien à son père ni à son grand-père. Dénia et le reste du territoire des Benoû Modjâhid passèrent alors aux mains d’El-Mok’tadir billâh Ahmed ben Soleymân ben Hoûd en ramad’ân 478 (20 déc. 1085).
Murcie obéissait aux Benoû T’âhir. Celui d’entre eux qui exerça l’autorité en dernier lieu est Aboû ‘Abd erRah’mân, connu sous le nom d’Er-Ra’îs, qui fut dépossédé par Mo’tamid ben ‘Abbâd. La conquête fut faite par le vizir de ce dernier, Aboû Bekr ben ‘Ammar Mehri (car. Fihri), qui s’insurgea aussitôt, et à Murcie même, contre son maître. Mo.’tamid envoya contre lui des troupes commandées par Aboû Mohammed ‘Abd er-Rah’mân ben Rechîk’ K’ocheyri, qui serra de si près le rebelle que celui-ci dut. fuir. Mais K’ocheyri à son tour, dès qu’il eut pénétré dans la ville, refusa d’obéir à Mo’tamid, et il finit par se soumettre à l’autorité des Almoravides. Quant à Aboû ’Abd er-Rah’mân ben Tâhir, [P. 206] il resta jusqu’à sa mort à Valence et fut enterré à Murcie, en 507 (17 juin 1113), à l’âge de plus de quatre-vingt-dix ans.
Almeria avait pour chef Kheyrân l’Amiride, dont la mort fit passer le pouvoir à Zoheyr l’Amiride. Celui-ci agrandit son domaine jusqu’à Xaliva, proche du territoire de Tolède. Quand il fut tué, ce territoire échut à El-Mançoûr Aboû’l-H’asan’ Abd el-’Azîz ben ‘Abd er-Rah’mân ben El-Mançoûr ben Aboû ‘Amir, et après lui à son fils Mohammed. ‘Abd el-’Azîz était mort à Valence, mais son fils Mohammed fixa sa résidence à Almeria, tout en gouvernant Valence. Mais El-Ma’moûn Yah’ya ben Dhoû’n-Noûn saisit l’occasion qu’il guettait et s’empara de cette dernière ville. Il resta à Almeria jusqu’à la conquête qu’en fit son parent par alliance, le premier ministre (dhoû‘l-wazârateyn) Aboû‘l-Ahwaç El-Mo’taçim Ma’n ben Çomâdih’ Todjîbi, à qui se soumirent Lorca, Baëza, Jaén, etc. A sa mort, arrivée en 443 (14 mai 1051), il eut comme successeur son fils Aboû Yah’ya Mohammed ben Ma’n, dont les affaires, car il n’avait que quatorze ans, furent gérées par son oncle Aboû ‘Ataba ben Mohammed. La mort de celui-ci, arrivée en 446 (11 avril 1054), laissa Aboû Yah’ya sans protecteur de sa jeunesse, de sorte que les portions les plus éloignées de ses états furent conquises sur ce prince, qui ne garda qu’Almeria et le territoire adjacent. Mais quand il eut atteint l’âge d’homme, il s’adonna aux sciences et à la pratique des nobles actions, de sorte que sa renommée s’étendit au loin, que son autorité devint grande et qu’il fut compté parmi les plus grands princes. Cela dura jusqu’au jour où l’armée almoravide vint l’assiéger. Sur ces entrefaites, il tomba malade, et c’était au pied de son palais qu’on se battait : aussi dit-il un jour qu’il entendait des cris et du tumulte : Tout, jusqu’à la mort, m’aura été pénible ici-bas ! Cette maladie l’enleva le 22 rebî’ I 484 (13 mai 1091) ; ses enfants et ses femmes s’embarquèrent pour Bougie, en Ifrîkiyya, capitale des Benoû H’ammâd, tandis que les Almoravides s’emparaient d’Almeria et de ses dépendances.
Malaga obéissait aux Benoû ‘Ali ben H’ammoûd, au nom de qui la khotba fut prononcée sans interruption dans cette ville et dans les territoires relevant des Alides, Elle fut conquise sur eux par Idrîs ben H’abboûs, seigneur de Grenade, en 447 (le 1er avril 1055), ce qui mit fin au pouvoir des Alides en Espagne.
Grenade était au pouvoir de H’abboûs ben Mâksen le Çanhâdji, [P. 207] qui mourut en 429 (13 oct. 1037) et eut pour successeur son fils Bâdîs. Celui-ci, étant mort à son tour, fut remplacé par le fils de son frère, ‘Abd Allah ben Bologgîn, dont le règne dura jusqu’à la conquête des Almoravides ; en redjeb 484 (18 août 1091). Toutes ces petites dynasties furent anéanties par les nouveaux conquérants, dont le chef, le Prince des fidèles Yoûsof ben Tâchefîn, vit son royaume s’étendre du Maghreb el-akça aux limites extrêmes, des possessions musulmanes en Espagne.
En moh’arrem 407 (juin-juillet 1016) les Chiites furent massacrés dans toute l’Ifrîkiyya. Ce mouvement eut son origine dans ce fait qu’El-Mo’izz ben Bâdîs faisant à Kayrawân une promenade à cheval et recevant les salutations du peuple qui adressait des prières au ciel en sa faveur, vint à passer auprès d’un groupe sur lequel il demanda des renseignements : Ce sont, lui répondit-on, des Râfed’ites[150] qui injurient Aboû Bekr et ’Omar. — Daigne Dieu, répartit-il, accorder sa faveur à Aboû Bekr et à ‘Omar ! Aussitôt la populace se précipita vers le quartier de Kayrawân appelé Derb el-Mok’alli,[151] où habitaient tous les Chiites et massacra un certain nombre de ceux-ci. C’était là ce que désiraient la soldatesque et ceux qui marchaient à sa suite, afin de pouvoir se livrer au pillage. Ces excès, de la populace contre les Chiites étaient d’ailleurs favorisés et suscités’ par le gouverneur de Kayrawân, qui avait d’abord bien administré la ville, mais avait appris qu’El-Mo’izz ben Bâdîs voulait le destituer, et s’efforçait de la sorte de lui créer des embarras. C’est ainsi que périrent par le fer et par le feu de nombreux hérétiques, dont les demeures furent livrées au pillage. Ces massacres eurent lieu aussi dans toute l’Ifrîkiyya. Un certain nombre de ceux que l’on traquait se réfugièrent dans le palais d’El-Mançoûr, proche de Kayrawân,[152] et s’y fortifièrent ; mais la populace les y bloqua étroitement, et comme la faim les en faisait sortir successivement, les assiégeants les égorgèrent jusqu’au dernier. Ceux de Mehdiyya furent tous égorgés dans la grande mosquée, où ils avaient cherché un refuge.
[P. 209] Les Chiites étaient appelés au Maghreb Orientaux, par allusion à Aboû ‘Abd Allah Chii, qui venait de l’Orient. La plupart des poètes ont parlé de cet événement, les uns pour le célébrer joyeusement, les autres pour le pleurer tristement.
[P. 227] En 411 (26 avril 1020), les Zenâta firent en Ifrîkiyya une incursion pour s’emparer des bêtes de somme d’El Mo’izz ben Bâdîs, prince de ce pays ; mais le gouverneur de Gabès leur tint tête et les mit en déroute.
En rebî’ II de la même année (24 juillet 1020), un violent orage éclata en Ifrîkiyya, avec accompagnement d’éclairs et de tonnerre ; il y eut une chute de pierres plus grosses que ce qu’on avait jamais vu, et tous ceux qui en reçurent quelque éclat périrent.[153]
En 413 (5 avril 1022), El-Mo’izz ben Bâdîs d’Ifrîkiyya fit exécuter son vizir et commandant militaire Aboû ‘Abd Allah Mohammed ben El-H’asan. En effet, pendant sept ans ce ministre n’avait rendu à son maître aucun compte des impôts qu’il prélevait mais qu’il gardait pour lui, car.il avait une très grande et insupportable avidité causée par le besoin d’entretenir ses nombreux parti sans ; de plus, son frère ‘Abd Allah, qui était à Tripoli, protégeait les Zenâta, ennemis de l’État, et enfin El-Mo’izz ne pouvait ni écrire ni députer à aucun prince sans qu’Aboû ‘Abd Allah écrivît aussi de son propre chef. Tout cela finit par lasser El-Mo’izz, qui fit exécuter ce ministre.[154] On rapporte qu’Aboû ‘Abd Allah lui-même a raconté ce qui suit : Une nuit que j’étais à veiller en réfléchissant à quelque mesure relevant de mes fonctions et que j’avais à prendre à l’égard du peuple, je vins à m’endormir, et je vis en songe le secrétaire ‘Abd Allah ben Mohammed , — qui avait été le ministre puissant et considéré de Bâdis, père d’El-Mo’izz’, — lequel me parla ainsi : Honore Dieu, ô Aboû ‘Abd Allah, [P. 231] dans tous les hommes en général et en toi-même particulièrement. Voilà que tu as tenu tes yeux éveillés et fatigué tes deux anges gardiens ; or je sais sur toi des choses que tu ignores : bientôt tu seras où nous en sommes, tu arriveras au même point que nous. Écris mes paroles, car je ne dis que la vérité ! Et il me dicta ces vers :
[Wâfit] Tu as eu le pouvoir après avoir, de la surface de la terre où tu étais, vu aussi haut que le ciel des gens qui se croyaient tranquilles au suprême degré où ils étaient parvenus, mais qui, touchés par le malheur, sont tombés du sommet dans l’abîme. Je te suis l’exemple le plus frappant, car moi aussi j’ai exercé l’autorité, mais sans vivre longtemps. Ne te laisse donc pas séduire par le monde et abstiens-t’en, car ta période de pouvoir est passée.
Je m’éveillai, continuait-il, tout effrayé, mais les vers s’étaient gravés dans ma mémoire. Or, deux mois après ce rêve son exécution eut lieu.
À la nouvelle de sa mort, son frère ‘Abd Allah à Tripoli conclut un arrangement avec les Zenâta qu’il introduisit dans cette ville, et ces guerriers y massacrèrent les Ganhâdja et le reste de la garnison, de sorte qu’ils y restèrent les maîtres La connaissance de ces faits détermina El-Mo’izz à faire emprisonner les enfants d’Abd Allah et plusieurs personnes de sa famille ; quelques jours plus tard, il ordonna leur mise à mort, pour satisfaire aux réclamations dont il fut saisi par les veuves des victimes de Tripoli.
En la même année 413, la cherté des vivres fut grande en Ifrîkiyya et une disette inouïe sévit, tant la rareté des subsistances fut extraordinaire ; cependant personne ne mourut de faim et la population ne souffrit pas au delà de toute proportion.
En 415 (14 mars 1024), une nombreuse bande de Zenâta s’insurgea en Ifrîkiyya, intercepta les communications, exerça des ravages dans les pays de K’ast’îliya et de Nefzâwa et par l’envoi de diverses colonnes se procura du butin, de sorte que la puissance des insurgés grandit et que leur nombre s’accrut. Alors El-Mo’izz ben Bâdîs envoya contre eux un corps de troupes armé à la légère, qui, conformément à l’ordre qu’il avait reçu d’avancer à marches forcées et d’arriver sans être annoncé, atteignit les rebelles qui se croyaient à l’abri des poursuites, et tomba sur eux l’épée à la main. Un grand nombre furent massacrés, et cinq cents têtes suspendues à l’encolure des chevaux furent portées à El-Mo’izz : leur entrée dans la ville fut un spectacle mémorable.[155]
En 416 (3 mars 1025), les chrétiens en grand nombre envahirent la Sicile ; ils conquirent, les possessions musulmanes situées dans la presqu’île voisine de Calabre et commencèrent à y élever des habitations en attendant l’arrivée (du reste) de leur flotte ainsi que des troupes qui étaient avec le fils de la sœur du roi. À cette nouvelle, El-Mo’izz ben Bâdîs équipa une flotte considérable de quatre cents bâtiments, [P. 246] où il embarqua un grand nombre de levées et de volontaires accourus pour faire la guerre sainte et mériter des récompenses dans l’autre vie. Cette flotte mit à la voile en kânoûn II (janvier) ; mais en arrivant près de l’île de Pantellaria, non loin du continent africain, il s’éleva un vent violent et une tempête où la plupart des guerriers périrent et à laquelle un petit nombre seulement parvint à s’échapper.
En 417 (21 février 1026), les Zenâta et les Kotâma députèrent à El Mo’izz ben Bâdîs d’Ifrîkiyya pour lui demander de leur accorder la paix, d’accepter leur soumission et de les avoir pour sujets, s’engageant de leur côté à surveiller les routes et fournissant à cet effet les actes et engagements nécessaires. Le prince ayant donné son consentement, les cheikhs des Zenâta et des Kotâma se rendirent auprès de lui : ils furent reçus et hébergés, et de grosses sommes d’argent leur furent distribuées.[157]
En 417 (21 février 1026) mourût H’ammâd ben Bologgîn, oncle paternel d’El-Mo’izz ben Bâdis d’Ifrîkiyya. Sa mort fut occasionnée par une maladie qui le frappa au cours d’une promenade entreprise en dehors de sa forteresse, où il fut rapporté et inhumé. Il eut pour successeur son fils El-K’âïd. Cette mort était un événement important pour El-Mo’izz, puisque la paix était rétablie entre eux. D’ailleurs, après cela, tout s’arrangea au mieux des intérêts de ce prince, car les enfants du défunt reconnurent son autorité.[158]
[87] Cette anecdote figure également dans l’Histoire des Almohades de El-Merrâkechi, trad., p. 30 ; on trouve dans le même ouvrage quelques renseignements sur le poète.
[88] Le Bayân (i, 248 et 256) fixe la mort d’El-Mançoûr au 3 ou au 5 rebi I 386 ; Ibn Khaldoun (ii, 16 ; iii, 260) dit qu’elle eut lieu en 385.
[89] Cette nomination est de çafar 387 (février-mars 997), selon le Bayân, i, 257.
[90] Sur cette campagne, voir le Bayân, i, 259 ; Berbères, ii, 46 ; iii, 247 et 260. Cette défaite, dit le Bayân, est du 4 djomâda I (22 avril, 999) et eut lieu à Emsâr.
[91] Ce commencement du chapitre figure dans la Biblioteca, i, 435.
[92] Le Bayân parle aussi de ces événements (i, 360 et s.), dont Ibn Khaldoun donne une relation détaillée (iii, 262) ; cf. Tidjâni (Journ. as., 1853, i, 105 et 132).
[93] Voir le Bayân, i, 261.
[94] J’accepte, conformément au texte du Bayân, i, 269, la variante rejetée en note par l’éditeur du texte.
[95] Le Bayân (i, 267) décrit longuement cette famine.
[96] A propos de ces événements, il est indispensable de se reporter à l’Histoire des musulmans d’Espagne, iii, 290 et s.
[97] On dit aussi que Mo’ayyed fut alors exécuté (voir Mus. d’Espagne, iii, 320).
[98] C’est l’auteur du dictionnaire biographique dont M. Codera a donné une édition dans la Bibliotheca arabo-hispana.
[99] Voir Mus. d’Espagne, iii, 310 : sur le caractère de Solymân, ibid., 312.
[100] Voir Berbères, ii, 17 et 44 ; iii, 265 ; le Bayân, i, 272 et s., offre un récit détaillé et qui n’est pas toujours identique à celui de notre auteur.
[101] Le Bayân orthographie « Hichâm ».
[102] La Sicca Veneria de l’antiquité, le Kef de nos jours Merâcid, s. v. ; Bekri, p. 82).
[103] Je n’ai pas retrouvé ailleurs le nom de cette localité.
[104] Cette orthographe est celle qu’indique le Merâcid et qu’a adoptée M. de Slane dans sa traduction de Bekri (p. 131). M. de Goeje (trad. d’Edrisi, p. 441) écrit Deggama. Une faute de copiste a transforme ce nom en Zekma dans le Bayân, i, 275.
[105] ) Voyez Berbères, iii, 265 : Bayân, 1, 277.
[106] Voir le récit du Bayân, i, 277 ; Berbères, ii, 18 et 45.
[107] Dans le Bayân, « Aboû » manque.
[108] Le Bayân et Ibn Khaldoun orthographient Kerâma.
[109] Les Telkâlta sont une des soixante-dix tribus entre lesquelles se divisent les Çanhâdja, dit le Kartâs (texte p. 75) ; on retrouve la même orthographe plus loin et dans l’Hist. des Berbères (ii. 3, 5, 58 et 260) ; mais le Bayân orthographie Outelkâta (i, 259, 276 et 278).
[110] Le Bayân (i, 278) le fait plus jeune de deux mois.
[111] Il est ici fait allusion à des massacres dont il est parlé plus loin, et sur lesquels le Bayân aussi donne des détails (i, 279).
[112] Les détails qui suivent complètent utilement une sèche mention du Bayân (i, 280) ; voir aussi Berbères, ii, 18.
[113] Cf. Ibn Khaldoun, ii, 18 et 45.
[114] En l’an 403 (Bayân, i, 281).
[115] Ce retour de Zâwi, après vingt-deux ans d’absence, eut lieu en 410 (Bayân, i, 281 ; Berbères, ii, 19, 44 ; iii, 59, 247). Sur le rôle joué par ce chef en Espagne, voir Mus. d’Espagne, iii, 288 et s. ; 317.
[116] D’après Dozy (Mus. d’Esp., iii, 315), ce fut son sauveur qui pourvut Kheyrân d’argent.
[117] C’est-à-dire Zâwi ben Zîrî, dont il a été question ; voir Hist. d’Espagne, iii, 317.
[118] Mais par trahison et sans avoir combattu, d’après Dozy.
[119] De ce mouvement tenté par Mortad’a, il n’est rien dit dans l’Hist. des Mus. d’Espagne (i, 328) ; mais cf. Recherches, 2e éd., i, 238.
[120] Victoire due, d’après le récit de Dozy, à la trahison de Mondhir et de Kheyrân ; cf. Recherches, i, app., p. XL.
[121] Il tomba victime d’un assassinat, à Guadix, sous les coups des émissaires de Kheyrân, dit Dozy.
[122] Mais elle eut lieu en 408, comme il a été dit quelques lignes plus haut.
[123] Sur le règne de ce prince, voyez Dozy, iii, 329 ; Merrâkechi, trad. fr., p. 43.
[124] Il semble qu’il faut lire « de djomâda II », à en juger par ce qui est dit aussitôt après.
[125] Le récit de l’auteur suivi par Dozy (iii, 33i) diffère de celui de Merrâkechi et de nôtre auteur.
[126] Merrâkechi écrit « K’annoûn », et ajoute, après ben Idrîs, ben ‘Abd Allah.
[127] Voir le chapitre consacré à un gracieux épisode de la vie de ce prince, ainsi qu’à son ministre Ibn Hazm (Mus. d’Espagne, iii, 338).
[128] Voir Mus. d’Espagne, iii, 358.
[129] Le 7 moharrem (10 nov. 1035) selon Merrâkechi (trad., p. 47) ; voir aussi Dozy, Mus. d’Esp., iv, 23.
[130] Ce nom est écrit Bak’anna dans Merrâkechi (p. 53, n.), et Dozy a accepté cette orthographe.
[131] Voir Mus. d’Esp., iv, 50.
[132] La lecture Set’îfi de Merrâkechi (p. 55) paraît préférable.
[133] Merrâkechi (p. 57) fait de cette somme une aumône quotidienne.
[134] Comparez Merrâkechi, trad., p. 51.
[135] En 427, selon Dozy (iv, 290).
[136] Voir Mus. d’Espagne, iv, 157.
[137] Cf. Mus d’Esp. iv, 161 ; Hamâsa, v. 366 ; Abbadid, i, 110.
[138] Il faut, je crois, lire Maslama avec Dozy, iv, 302, et le ms. 1617 d’Alger, fº 143 vº.
[139] D’après Dozy (l. l.), Aboû’l-H’asan Yah’ya Ma’moûn régna de 1038 à 1075, et eut pour successeur Yah’ya ben Ismâ’îl ben Yah’ya K’âdir.
[140] Dhabbi, éd. Codera. n° 615 ; Ibn Khaldoun, éd. Boulak, iv, 162 ; Dozy, Recherches, 2e éd, ii, 9 et s. ; 152 et s.
[141] Il s’agit du chef régnant à Murcie ; il en est question plus bas. Voir Merrâkechi, trad. p. 1035 Dozy, Rech., l. l. Les vers qui suivent, et dont, le troisième présente des variantes, figurent aussi dans Dozy, ib., p. 20.
[142] Le texte a rejeté dans la note, à tort, le nom de Tafalla pour y substituer celui de Tolède ; voir Bayân, ii, 197 ; Corrections sur les textes du Bayân, etc., p. 55. Dans cette bataille, Ramire, fils de Sancho le Grand, fut défait par son frère Garcia.
[143] Je traduis par conjecture.
[144] La liste de ces chefs donnée par Dozy (iv, 303) diffère de la nôtre.
[145] Le paragraphe commençant ici est traduit dans la Bïblioteca arabo-sicula, i, 436.
[146] Amari traduit, à tort : les îles, c’est-à-dire les Iles Baléares, par Algésiras (l. l. ; à la p. 439, il traduit correctement le même mot … delle isole orientali [di Spagna] ).
[147] Lisez, Aboû’l-Djeydi (Dozy, iv, 304 ; Amari, l. l).
[148] On peut voir sur ce personnage, le Mugeto des chroniques pisanes et génoises, la note d’Amari, i, 437.
[149] Il y a été fait allusion plus haut, p. 350 ; voir aussi le Bayân, i, 279 et 285 ; Berbères, i, 30, ii, 20 ; Istibçar, tr. fr., p. 99.
[150] Sous-secte chiite qui refusait, en opposition avec Zeyd ben ‘Ali Zeyn el-’Abidîn, de reconnaître l’imamat d’Aboû Bekr et d’Omar (Berbères, ii, 500).
[151] Le Bayân écrit Derb el-Mo’alla.
[152] C’est-à-dire, ainsi que le porte le Bayân, à Mançoûriyya.
[153] Le Bayân mentionne également ce phénomène (i, 281) ; cf. Chrest. de Sacy, iii, 439).
[154] Le Bayân ne parle pas de ces faits ; Ibn Khaldoun ne les mentionne que dans l’histoire de Tripoli (iii, 265).
[155] Cette campagne paraît devoir se rattacher à la révolte d’Abd Allah ben El-H’asan à Tripoli. Le Bayân (i, 2811 ne fournit que des renseignements assez vagues.
[156] Ce chapitre est traduit dans la Biblioteca (i, 440).
[157] Ni le Bayân ni Ibn Khaldoun ne parlent de cette suspension d’hostilités entre les Zenâta et El-Mo’izz.
[158] Ibn Khaldoun (II, 45) place la mort de H’ammâd en 419.