M. PATIN, Etudes sur les tragiques Grecs : Livre III, SOPHOCLE, Chapitre I : AJAX
NOTICE SUR L'AJAX.
L'action se passe le lendemain da jour où les chefs de l'armée des Grecs ont décerné à Ulysse les armes d'Achille, au détriment d'Ajax, qui les réclamait Comme un prix dû au plus vaillant. Indigné de cet affront, Ajax voulut en tirer vengeance. Pendant la nuit, il se préparé à immoler Ulysse et les Atrides, mais au moment où il allait pénétrer dans leurs tentes pour les égorger; Minerve frappe son esprit de vertige, et fait tomber ses coups sur des troupeaux» dont il fait un horrible carnage, croyant punir les Grecs. Il enchaîne ce que son bras a épargné, et il flagelle impitoyablement un bélier qu'il prend pour Ulysse ; d'où est venu le titré de la pièce, Ajax porte-fouet (μαστιγοφόρος), épithète ajoutée sans doute pour le distinguer d'Ajax le Locrien, autre tragédie de Sophocle, dont il ne reste que des fragments (01).
C'est a ce moment que la pièce commence. Le lieu de la scène est d'abord dans le camp des Grecs, devant la tente d'Ajax ; plus tard, lorsque Ajax se donne la mort, la scène est transportée dans un lieu écarté et sauvage, non loin du camp, tes exemples de ces changements de lieux ne sont pas rares dans le théâtre grec, quoi qu'en aient dit ceux qui ont voulu défendre la loi absolue des unités. L'exposition est faite par Minerve elle-même, qui raconte à Ulysse les événements de la nuit; Remarquons en passant l'art du poète, qui ne nous a pas montré Ajax au plus fort de l'accès de sa frénésie; nous n'en voyons .que le déclin, Par un habile emploi du clair-obscur, il a mis eu récit tout ce qui aurait pu dégrader par trop son héros ; et de ce triste spectacle il fait sortir une impression religieuse, en mettant dans la bouche d'Ulysse ces deux vers, qui sont comme la morale de la pièce : « Je vois que tous, sur cette terre, nous ne sommes que des fantômes ou une ombre vaine. » A quoi 4 Minerve ajoute : « Pénétré de cette vérité, garde-toi donc d'outrager les dieux par des paroles superbes, et de t'enorgueillir de ta force et de tes richesses. Un seul jour abaisse ou relève les grandeurs humaines : la modestie plaît aux dieux ; l'impiété les irrite. »
Bientôt la triste nouvelle se répand dans le camp; le Chœur, composé de matelots salaminiens, compagnons d'Ajax, est l'écho des bruits qui circulent dans l'armée ; enfin la vérité se fait jour, et l'auteur du carnage est connu. Cette tente qui s'ouvre, et laisse voir Ajax tout sanglant, assis sur la terre, au milieu des troupeaux égorgés, est comme un poétique emblème du réveil de la raison après un funeste délire.
Lorsque, revenu à son bon sens, le héros reconnaît que ses coups, au lieu de frapper les ennemis qu'il croyait punir, n'ont porté que sur de vils troupeaux, la honte l'accable ; il se voit la fable de l'armée, il ne peut survivre à la perte de son honneur. Tecmesse, captive et concubine d'Ajax, essaie par ses supplications de le ramener à des sentiments plus calmes ; 4es guerriers salaminiens, ses compagnons, s'efforcent de le consoler; mais rien n'ébranle la résolution qu'il a prise de se donner la mort. Il se montre plus tranquille en apparence; sous prétexte d'aller se purifier par des ablutions sur le rivage de la mer, il cherche un endroit écarté, fixe en terre l'épée que lui a donnée Hector, et se précipite dessus.
Il faut rendre grâces à l'art avec lequel le poète a su conserver l'intérêt qui s'attache au héros, tout déchu qu'il est. Le monologue d'Ajax avant de se donner la mort est reconnu comme le morceau le plus brillant de la pièce. Dans nos idées modernes, elle aurait pu finir là ; mais il n'en est pas ainsi dans les idées antiques. Le deuil des amis de la victime faisait partie essentielle de la tragédie grecque; il était surtout dans les idées religieuses d'alors de ne pas laisser son corps au pouvoir de ses ennemis, exposé à être privé de sépulture. Un débat s'élève donc sur le corps d'Ajax : Ménélas et Agamemnon veulent qu'il reste exposé aux oiseaux de proie; Teucer déclare que rien ne l'empêchera de rendre les honneurs, funèbres à son frère. Enfin Ulysse prend le parti de Teucer contre les Atrides, et la pièce se termine par la cérémonie des funérailles.
Cette dernière partie n'est peut-être pas exempte de quelque langueur; les longs discours de Ménélas et de Teucer, le dialogue entre Ulysse et Agamemnon, dégénèrent un peu en subtilités de rhétorique. Néanmoins, le rôle de Teucer est fort beau; son amour fraternel et son indignation contre les ennemis d'Ajax s'exhalent avec 5 une noble simplicité. C'est en effet l'éternel honneur des poètes antiques d'exceller dans la peinture de tous les sentiments naturels. Ainsi, dans cette même pièce, le dévouement de Tecmesse pour son époux, sa tendresse maternelle qui s'inquiète pour son jeune enfant, lorsque Ajax demande à le voir, les adieux que le héros adresse à ce fils avant de mourir, tout cela est empreint d'une vérité profonde, tout cela émeut, parce que le poète touche là des cordes qui vibrent dans tous les cœurs.
Sur la date de la représentation de l'Ajax, nous n'avons le témoignage d'aucun grammairien, et la pièce elle-même ne fournit aucun indice. Nous sommes réduits sur ce point à des données purement négatives. Il est probable qu'elle est une des plus anciennes parmi les tragédies qui nous restent de Sophocle. D'abord, elle paraît antérieure au Philoctète; c'est ce qu'on peut induire des vers 1047-1057 de ce dernier ouvrage, où il y a évidemment allusion à la scène de Teucer et de Ménélas, dans la dernière partie de l'Ajax. Il y a encore, dans le rythme et le choix des mètres, une donnée qui peut faire ranger l'Ajax au nombre des ouvrages les plus anciens de ce poète; on n'y voit nulle trace de certaines licences de versification, qu'il s'est permises dans d'autres pièces, et dont nous aurons occasion de parler ailleurs.
Mais c'est surtout la nature des idées morales et religieuses exprimées dans l'Ajax, qui me porte à le ranger parmi les ouvrages de la première époque de Sophocle. En le comparant à l'Œdipe à Colone, par exemple, on est frappé de l'intervalle immense qui les sépare. Il y a, il est vrai, dans le caractère d'Ajax une idée exagérée de la puissance humaine ; c'est l'homme des temps héroïques, c'est le guerrier qui doit tout à la force de son bras: Le délire qui égare son esprit est une punition de son irrévérence envers les dieux ; mais, dans la réalité, Ajax est victime de la colère de Minerve. Au fond du délit qui lui attire un châtiment si funeste, on ne voit guère qu'une rancune de la déesse, qui veut venger un grief personnel. L'intervention divine n'apparaît, donc ici que dans un intérêt privé, et non dans l'intérêt de la loi morale. L'idée de la justice divine ne s'y élève pas encore à cette hauteur et à cette généralité, que Sophocle atteindra plus tard dans l'Œdipe à Colone.
Le Chœur, cherchant la cause de l'égarement d'Ajax, s'inquiète seulement de savoir s'il n'aurait pas offensé quelque divinité. Ainsi, v. 173-179 : « Est-ce Diane qui a poussé ton bras contre ces vils troupeaux? ne lui aurais-tu pas rendu grâce de quelque victoire? l'aurais-tu frustrée d'une riche dépouille, ou du produit de ta 6 chasse? ou le dieu Mars, irrité que ta aies mal reconnu ses secours, a-t-il vengé son affront par les horreurs de cette nuit? »
Et ailleurs, après avoir réprouvé ce propos orgueilleux d'Ajax : « Avec les dieux, un lâche même peut obtenir la victoire ; moi je me flatte, sans leur aide, d'obtenir cette gloire, » Calchas ajoute : « Une autre fois, Minerve le pressait de tourner son bras meurtrier contre les ennemis; il lui répliqua par ces paroles pleines d'arrogance : Déesse, cours assister les autres Grecs; jamais l'ennemi ne rompra nos rangs. C'est par ces discours et cet orgueil plus qu'humain qu'il s'est attiré la colère implacable de la déesse. »
De tout cela il résulte qu'Ajax est poursuivi surtout par une animosité propre à Minerve, qui veut venger sur lui des offenses personnelles.
La déesse ne joue-t-elle pas d'ailleurs dans cette tragédie un rôle peu digne de la divinité? Elle descend à la duplicité: après avoir dit qu'elle a elle-même égaré l'esprit d'Ajax, elle s'adresse à lui, V. 69-90 : « Ajax, c'est pour la seconde fois que je t'appelle ; t'inquiètes-tu si peu de celle qui te protège ? » Elle l'encourage dans son délire, elle prend plaisir à le faire extravaguer; en un mot, elle met en pratique ce qu'elle vient de dire à Ulysse ; « N'est-il pas doux de rire d'un ennemi? »
Et pourtant on ne peut s'empêcher de plaindre Ajax; on compatit à son malheureux sort ; on gémit sur l'abaissement de ce guerrier si vaillant; Ulysse, son ennemi, est lui-même touché de pitié. Le sentiment moral est ici moins avancé dans la divinité que dans l'homme.
Quant à la date de la pièce, plusieurs indices autorisent à penser qu'elle fut représentée au milieu même de la guerre du Péloponnèse, entre les années 421 et 411, au temps où Alcibiade était exilé, et où les désastres de l'expédition de Sicile imminents ou consommés inspiraient un plus vif désir de la paix. Les maux de la guerre y sont déplorés dans un Chœur, v. 1182-1220, en termes plus énergiques que partout ailleurs, et, vers la fin, on y invoque Athènes comme une terre désirée de tous les citoyens, qui loin d'elle exposaient leur vie à tant de périls.
AJAX
TRAGÉDIE
AJAX
PERSONNAGES.
MINERVE
ULYSSE.
AJAX
CHŒUR DE MATELOTS SALAMINIENS.
AGAMEMNON.
UN MESSAGER.
TEUCER.
MÉNÉLAS.
Personnages muets.
EURYSACÈS, fils d'Ajax.
LE GOUVERNEUR.
UN HÉRAUT.
La scène est dans le camp des Grecs, devant la tente d'Ajax.
Σοφοκλέους Αἴας [Ed. Richard Jebb. Cambridge. 1893] Ἀθήνα
Ἀεὶ μέν, ὦ παῖ Λαρτίου, δέδορκά σε Ὀδυσσεύς
Ὦ φθέγμ᾽ Ἀθάνας, φιλτάτης ἐμοὶ θεῶν, Ἀθήνα
Ἔγνων, Ὀδυσσεῦ, καὶ πάλαι φύλαξ ἔβην Ὀδυσσεύς Ἦ καί, φίλη δέσποινα, πρὸς καιρὸν πονῶ; Ἀθήνα Ὡς ἔστιν ἀνδρὸς τοῦδε τἄργα ταῦτά σοι. Ὀδυσσεύς Καὶ πρὸς τί δυσλόγιστον ὧδ᾽ ᾖξεν χέρα; 40 Ἀθήνα Χόλῳ βαρυνθεὶς τῶν Ἀχιλλείων ὅπλων. Ὀδυσσεύς Τί δῆτα ποίμναις τήνδ᾽ ἐπεμπίπτει βάσιν; Ἀθήνα Δοκῶν ἐν ὑμῖν χεῖρα χραίνεσθαι φόνῳ. Ὀδυσσεύς Ἦ καὶ τὸ βούλευμ᾽ ὡς ἐπ᾽ Ἀργείοις τόδ᾽ ἦν; Ἀθήνα Κἂν ἐξεπράξατ᾽, εἰ κατημέλησ᾽ ἐγώ. 45 Ὀδυσσεύς Ποίαισι τόλμαις ταῖσδε καὶ φρενῶν θράσει; Ἀθήνα Νύκτωρ ἐφ᾽ ὑμᾶς δόλιος ὁρμᾶται μόνος. Ὀδυσσεύς Ἦ καὶ παρέστη κἀπὶ τέρμ᾽ ἀφίκετο; Ἀθήνα Καὶ δὴ ᾽πὶ δισσαῖς ἦν στρατηγίσιν πύλαις. Ὀδυσσεύς Καὶ πῶς ἐπέσχε χεῖρα μαιμῶσαν φόνου; 50 Ἀθήνα
Ἐγώ σφ᾽ ἀπείργω, δυσφόρους ἐπ᾽ ὄμμασι Ὀδυσσεύς Τί δρᾷς, Ἀθάνα; μηδαμῶς σφ᾽ ἔξω κάλει. Ἀθήνα Οὐ σῖγ᾽ ἀνέξει μηδὲ δειλίαν ἀρεῖ; 75 Ὀδυσσεύς Μὴ πρὸς θεῶν, ἀλλ᾽ ἔνδον ἀρκείτω μένων. Ἀθήνα Τί μὴ γένηται; πρόσθεν οὐκ ἀνὴρ ὅδ᾽ ἦν; Ὀδυσσεύς Ἐχθρός γε τῷδε τἀνδρὶ καὶ τανῦν ἔτι. Ἀθήνα Οὔκουν γέλως ἥδιστος εἰς ἐχθροὺς γελᾶν; Ὀδυσσεύς Ἐμοὶ μὲν ἀρκεῖ τοῦτον ἐν δόμοις μένειν. 80 Ἀθήνα Μεμηνότ᾽ ἄνδρα περιφανῶς ὀκνεῖς ἰδεῖν; Ὀδυσσεύς Φρονοῦντα γάρ νιν οὐκ ἂν ἐξέστην ὄκνῳ. Ἀθήνα Ἀλλ᾽ οὐδὲ νῦν σε μὴ παρόντ᾽ ἴδῃ πέλας. Ὀδυσσεύς Πῶς, εἴπερ ὀφθαλμοῖς γε τοῖς αὐτοῖς ὁρᾷ; Ἀθήνα Ἐγὼ σκοτώσω βλέφαρα καὶ δεδορκότα. 85 Ὀδυσσεύς Γένοιτο μέντἂν πᾶν θεοῦ τεχνωμένου. Ἀθήνα Σίγα νυν ἑστὼς καὶ μέν᾽ ὡς κυρεῖς ἔχων. Ὀδυσσεύς Μμένοιμ᾽ ἄν· ἤθελον δ᾽ ἂν ἐκτὸς ὢν τυχεῖν. |
MINERVE. Toujours, fils de Laërte, je te vois attentif à prévenir les pièges de l'ennemi; et maintenant te voilà près des tentes d'Ajax, sur le bord de la mer, à l'extrémité du camp des Grecs (02), épiant et mesurant depuis longtemps les traces récentes de ses pas, afin de reconnaître s'il est dedans ou dehors : ton instinct en quête, pareil à celui d'un limier de Laconie, a bien guidé tes pas. Oui» il est dans sa tente, le front dégouttant de sueur, et les mains ensanglantées. Il n'est plus besoin que tu jettes à travers cette porte un regard curieux; dis-moi seulement le sujet de tes recherches, et tu apprendras de moi ce que je sais. ULYSSE. Ο Minerve, déesse que je chéris le plus, je reconnais ta voix; et, bien que tu sois invisible à mes yeux (03), tes 8 paroles retentissent à mon oreille et frappent mon esprit , comme les sons éclatants d'une trompette tyrrhénienne (04). Et maintenant tu as bien compris que j'épiais un ennemi; c'est en effet le redoutable Ajax que je cherche. Il a commis cette nuit l'action la plus incroyable, s'il est vrai qu'il en soit l'auteur ; car nous ne savons encore rien de certain, et nous flottons dans le doute ; aussi me suis-je chargé volontairement d'éclaircir nos soupçons. Tous les troupeaux que nous avions pris dans le butin ont été trouvés égorgés avec leurs gardiens eux-mêmes; or, chacun l'accuse de ces meurtres; et un éclaireur m'a assuré l'avoir vu traverser à grands pas la plaine, seul, avec une épée fraîchement teinte de sang ; aussitôt j'ai suivi ses traces ; quelques indices me semblent certains, d'autres me troublent et je ne trouve rien de sûr. Mais tu es venue à propos; car en toutes choses, par le passé comme dans l'avenir, je me laisse diriger par ta main (5). MINERVE. Je le savais, Ulysse, et depuis longtemps je suis venue veiller sur ta route, pour favoriser ta chasse. 9 ULYSSE. Eh bien, maîtresse chérie! ai-je comme il faut employé mes peines? MINERVE. Oui, sans doute, puisqu'en lui tu as trouvé le coupable. ULYSSE. Quel a donc été le motif de cette fureur insensée? MINERVE. Le ressentiment d'être frustré des armes d'Achille. ULYSSE. Et pourquoi donc cette attaque contre nos troupeaux? MINERVE. Il croyait tremper ses mains dans votre sang. ULYSSE. Ces coups étaient donc destinés aux Grecs? MINERVE. Et il les eût frappés, si je ne l'eusse observé. ULYSSE. D'où lui venait tant d'audace et de résolution? MINERVE. Pendant la nuit, en secret, il marchait seul contre vous. ULYSSE. Est-ce qu'il a été près d'atteindre son but? MINERVE. Il touchait déjà aux tentes des deux généraux. ULYSSE. Et comment a-t-il retenu son bras avide de sang? MINERVE. C'est moi qui, offrant à ses yeux de trompeuses visions (6), le privai de celte horrible jouissance, et tournai sa rage sur les troupeaux, Butin confus, dont vous n'aviez pas encore fait le partage et que gardaient vos bergers. Il s'élança sur eux, et en fit un grand carnage, en frap- 10 pant à coups redoublés, et 11 croyait tantôt égorger de ses mains les deux Atrides, tantôt poursuivre un des autres généraux. Mais moi, j'excitais les accès de son délire furieux, et je l'égarais encore davantage. Enfin, las de verser lé sang, il enchaîne les boeufs et ceux des animaux qu'il a épargnés, et les emmène dans sa tente» pensant tenir, non de vils troupeaux, mais des guerriers captifs ; et maintenant il les tient enfermés et les déchire à coups de fouet. Je te rendrai témoin de cette frénésie, afin que tu puisses instruire tous lès Grecs de ce que tu auras vu. Mais demeure ici avec confiance, et ne crains pas qu'il te fasse aucun mal ; car je détournerai ses regards de manière à lui dérober ta vue. — Holà, toi qui charges de liens les mains des captifs, c'est moi qui t'appelle, Ajax; sors de ta tente, et viens ici. ULYSSE. Que fais-tu, Minerve? Garde-toi de l'appeler. MINERVE. Demeure donc en silence et ne conçois nulle terreur. ULYSSE. Non, par les dieux, mais qu'il reste dans sa tente. MINERVE. Que crains-tu? Que peut-il arriver? n'est-ce pas toujours le même homme? ULYSSE. Il fut toujours mon ennemi, et il l'est encore. MINERVE. N'est-il pas doux de rire d'un ennemi (7) ? ULYSSE. Il me suffit qu'il ne sorte pas de sa tente. MINERVE. Crains-tu de voir en face un homme dans le délire? ULYSSE. S'il avait sa raison, je ne le craindrais pas. 11 MINERVE. Mais à présent, quoique tu sois près de lui, il ne te verra pas. ULYSSE. Comment donc, s'il a toujours ses yeux pour voir? MINERVE. Je couvrirai d'un nuage ses yeux, même clairvoyants. ULYSSE. A la vérité, tout est possible, quand un dieu s'en mêle. MINERVE. A présent, garde le silence, et reste à la place où tu es. ULYSSE. Je resterai, mais j'aimerais mieux être loin d'ici, ------------------------------------
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Ἀθήνα
Ὦ οὕτος, Αἴας, δεύτερόν σε προσκαλῶ. Αἴας
Ὦ χαῖρ᾽ Ἀθάνα, χαῖρε Διογενὲς τέκνον, Ἀθήνα
Καλῶς ἔλεξας· ἀλλ᾽ ἐκεῖνό μοι φράσον, Αἴας Κόμπος πάρεστι κοὐκ ἀπαρνοῦμαι τὸ μή. Ἀθήνα Ἦ καὶ πρὸς Ἀτρείδαισιν ᾔχμασας χέρα; Αἴας Ὥστ᾽ οὔποτ᾽ Αἴανθ᾽ οἵδ᾽ ἀτιμάσουσ᾽ ἔτι. Ἀθήνα Τεθνᾶσιν ἄνδρες, ὡς τὸ σὸν ξυνῆκ᾽ ἐγώ. Αἴας Θανόντες ἤδη τἄμ᾽ ἀφαιρείσθων ὅπλα. 100 Ἀθήνα
Εἶεν, τί γὰρ δὴ παῖς ὁ τοῦ Λαερτίου, Αἴας Ἦ τοὐπίτριπτον κίναδος ἐξήρου μ᾽ ὅπου; Ἀθήνα Ἔγωγ᾽· Ὀδυσσέα τὸν σὸν ἐνστάτην λέγω. Αἴας
Ἥδιστος, ὦ δέσποινα, δεσμώτης ἔσω 105 Ἀθήνα Πρὶν ἂν τί δράσῃς ἢ τί κερδάνῃς πλέον; Αἴας Πρὶν ἂν δεθεὶς πρὸς κίον᾽ ἑρκείου στέγης. Ἀθήνα Τί δῆτα τὸν δύστηνον ἐργάσει κακόν; Αἴας Μάστιγι πρῶτον νῶτα φοινιχθεὶς θάνῃ. 110 Ἀθήνα Μὴ δῆτα τὸν δύστηνον ὧδέ γ᾽ αἰκίσῃ. Αἴας
Χαίρειν, Ἀθάνα, τἄλλ᾽ ἐγώ σ᾽ ἐφίεμαι· Ἀθήνα
Σὺ δ᾽ οὖν, ἐπειδὴ τέρψις ἥδε σοι τὸ
δρᾶν, Αἴας
Χωρῶ πρὸς ἔργον· σοὶ δὲ τοῦτ᾽ ἐφίεμαι, |
MINERVE. Holà, Ajax, c'est pour la seconde fois que je t'appelle : pourquoi t'inquiètes-tu si peu de celle qui te protège? AJAX. Salut, ô Minerve, salut, fille de Jupiter! Oui, tu arrives à propos, et je t'offrirai de précieuses (8) dépouilles, en l'honneur de cette victoire. MINERVE. C'est bien dit; mais, raconte-moi ceci, as-tu bien trempé ton épée dans le sang des Grecs? AJAX. Je puis m'en vanter, et je suis loin de le nier. MINERVE. As-tu aussi porté tes mains armées sur les Atrides? AJAX. Si bien que jamais ils n'outrageront plus Ajax. MINERVE. Ils sont morts, si je te comprends bien? AJAX. Morts ! Qu'ils viennent à présent me ravir mes armes ! 12 MINERVE. Bien. Et le fils de Laërte, quel a été son sort? t'aurait-il échappé? AJAX. Ce renard, ce vil roué, tu me demandes où il est? MINERVE. Oui, je parle d'Ulysse, ton adversaire. AJAX. Spectacle charmant, ô ma maîtresse! Il est là dedans enchaîné; car je ne veux pas encore qu'il meure. MINERVE. Que veux-tu donc faire? ou que prétends-tu y gagner? AJAX. Je veux qu'attaché à cette colonne de moo foyer domestique... MINERVE. Quel mal feras-tu donc à ce malheureux? AJAX. Le dos ensanglanté de coups de fouet, il périsse. MINERVE. De grâce, ne meurtris pas ainsi le malheureux à coups de fouet. AJAX. Minerve, je désire te complaire en tout le reste; mais ce châtiment (9) sera le sien. MINERVE. Eh bien, puisque c'est ton plaisir d'agir ainsi, exerce ta vengeance, et accomplis tes projets tout entiers. AJAX. Je cours à l'œuvre ; je te le demande seulement, sois toujours ainsi ma protectrice. (Il rentre dans sa tente. ) -------------------------------- |
Ἀθήνα
Ὁρᾷς, Ὀδυσσεῦ, τὴν θεῶν ἰσχὺν ὅση; Ὀδυσσεύς
Ἐγὼ μὲν οὐδέν᾽ οἶδ᾽· ἐποικτίρω δέ νιν Ἀθήνα
Τοιαῦτα τοίνυν εἰσορῶν ὑπέρκοπον |
MINERVE. Tu vois, Ulysse, quelle est la puissance des dieux. Quel 13 homme fut plus prudent qu'Ajax? ou qui était plus brave quand il fallait agir? ULYSSE. Je n'en connus jamais; cependant j'ai pitié de son malheur, quoiqu'il soit mon ennemi, quand je le vois en proie à un mal si terrible ; et ce n'est pas son sort plus que le mien que je considère; je vois que tous dans cette vie nous- ne sommes que des fantômes ou une ombre vaine (10). MINERVE. Devant un tel spectacle, garde-toi donc de jamais outrager les dieux par des paroles superbes, et de t'enorgueillir si tu remportes sur d'autres par ta force ou par tes richesses ; un seul jour abaisse ou relève les grandeurs humaines; les dieux aiment les hommes modestes et détestent les méchants. (Il sortent tous deux.) ------------------------------------- |
Χορός
Τελαμώνιε παῖ, τῆς ἀμφιρύτου
Ἦ ῥά σε Ταυροπόλα Διὸς Ἄρτεμις--
Ἀλλ᾽ ἄνα ἐξ ἑδράνων, ὅπου μακραίωνι |
LE CHOEUR. Fils de Télamon, qui règnes sur Salamine baignée de tous côtés par les flots, ta prospérité fait ma joie; mais si la colère de Jupiter ou les discours injurieux des Grecs ingrats viennent à te poursuivre, alors je crains et je tremble pour toi, comme la timide colombe (11). Et maintenant de grandes vociférations répétées à ton déshonneur nous ont appris que la nuit dernière, t'élançant dans la prairie où paissent les coursiers, tu us égorgé les troupeaux des Grecs, et détruit ce qui restait encore du butin avec un fer étincelant. Ulysse ourdit lui-même ces sourdes calomnies; il les murmure à l'oreille et les persuade adroitement. Le mal qu'il dit de toi 14 trouve aisément des crédules, et chacun, insultant à tes malheurs, prend plus de plaisir à l'entendre que lui-même à le dire. Car le trait lancé contre les grandes âmes ne manque pas son but ; de tels discours dirigés contre moi seraient crus à peine; c'est en effet contre l'homme puissant que l'envie se glisse. Et cependant les petits, sans le secours des grands, sont un faible rempart pour les États; avec l'appui des grands, le faible devient fort, et le grand s'élève avec l'aide des petits. Mais il n'est pas possible aux insensés de comprendre ces sages maximes (12). Ce sont de tels hommes qui, aujourd'hui, se soulèvent contre toi ; mais, ô roi, nous ne pouvons les repousser sans ta présence. Une fois, en effet, qu'ils se sont dérobés à tes regards, ils crient dans les airs, comme un essaim de lâches oiseaux contre le vautour; mais si tu parais, aussitôt, à l'aspect du grand vautour, saisis d'effroi, ils se cacheront en silence et resteront muets. (Strophe.) Est-ce Diane, fille de Jupiter, traînée par des taureaux (13) (étrange rumeur, mère (14) de ma honte!) qui a poussé ton bras contre les troupeaux de l'armée, soit que tu ne lui aies pas rendu grâce de quelque victoire, ou que tu l'aies frustrée d'une riche dépouille ou du fruit de ta chasse? ou est-ce le dieu Mars, à la cuirasse d'airain, irrité que tu aies mal reconnu ses secours dans les combats, qui a vengé son affront par les pièges de cette nuit? 15 (Antistrophe.) Car jamais de ton propre mouvement, fils de Télamon, tu n'aurais eu la malheureuse idée d'attaquer ainsi des troupeaux : il faut qu'un dieu t'ait infligé ce coup funeste. Que du moins Jupiter et Apollon répriment les propos outrageante des Grecs. Si c'est une calomnie clandestinement semée par les Atrides, ou par un rejeton de la race infâme de Sisyphe (15), ô roi, je t'en conjure, ne reste pas plus longtemps ainsi enfermé dans ta tente au bord de la mer, en butte à des bruits insultants. (Épode.) Lève-toi donc, sors de cette retraite où tu languis depuis trop longtemps dans l'inaction, loin des combats, fomentant le mal fatal envoyé du ciel. Cependant l'insolence de tes ennemis se déchaîne sans crainte, comme le feu allumé dans un bois par les vents, tous lancent sur toi des sarcasmes amers, et moi je suis en proie à la douleur. ------------------------------
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Τέκμησσα
Ναὸς ἀρωγοὶ τῆς Αἴαντος, Χορός
Τί δ᾽ ἐνήλλακται τῆς ἡμερίας Τέκμησσα
Πῶς δῆτα λέγω λόγον ἄρρητον; 215 Χορός
Οἵαν ἐδήλωσας ἀνέρος αἴθονος Τέκμησσα
Ὤμοι· κεῖθεν κεῖθεν ἄρ᾽ ἡμῖν Χορός
Ὥρα τιν᾽ ἤδη τοι κρᾶτα καλύμμασι 245 Τέκμησσα
Οὐκέτι· λαμπρᾶς γὰρ ἄτερ στεροπῆς Χορός
Ἀλλ᾽ εἰ πέπαυται, κάρτ᾽ ἂν εὐτυχεῖν δοκῶ· Τέκμησσα
Πότερα δ᾽ ἄν, εἰ νέμοι τις αἵρεσιν, λάβοις, 265 Χορός Τό τοι διπλάζον, ὦ γύναι, μεῖζον κακόν. Τέκμησσα Ἡμεῖς ἄρ᾽ οὐ νοσοῦντες ἀτώμεσθα νῦν. Χορός Πῶς τοῦτ᾽ ἔλεξας; οὐ κάτοιδ᾽ ὅπως λέγεις. 270 Τέκμησσα
Ἀνὴρ ἐκεῖνος, ἡνίκ᾽ ἦν ἐν τῇ νόσῳ, Χορός
ξύμφημι δή σοι καὶ δέδοικα μὴ ᾽κ θεοῦ Τέκμησσα Ὡς ὧδ᾽ ἐχόντων τῶνδ᾽ ἐπίστασθαί σε χρή. Χορός
Τίς γάρ ποτ᾽ ἀρχὴ τοῦ κακοῦ προσέπτατο; |
TECMESSE. Défenseurs des vaisseaux d'Ajax, issu de l'antique Érechthée (16), quel sujet de pleurs pour nous qui prenons intérêt à la noble famille de Télamon ! Cet Ajax si grand, si redoutable (17), le voilà abattu par un violent délire! LE CHOEUR. Quelle accahlante infortune cette nuit a-t-elle donc 15 fait succéder au calme dont nous jouissions? Fille du Phrygien Téleutas, réponds, captive d'Ajax, toi qu'il aime et qu'il honore comme une épouse; tu sais les faits et tu peux nous en instruire. TECMESSE. Comment donc raconter ce fait inouï? Car ce que tu vas entendre n'est pas moins affreux que la mort. Cette nuit même, l'illustre Ajax s'est déshonoré par un honteux délire; tu peux voir encore dans sa tente des victimes sanglantes, déchirées de ses mains, triste trophée de sa victoire. LE CHOEUR. (Strophe.) Quelle révélation tu m'as faite sur le bouillant caractère de ce héros! nouvelle déplorable et pourtant trop vraie, propagée par les chefs des Grecs, et que grossit la rumeur populaire! Hélas! j'en redoute les suites fatales. Il ne peut manquer de subir la mort, celui qui, d'une main furieuse et d'un glaive sanglant, a égorgé à la fois les bergers et les troupeaux. TÈCMESSE. Hélas! c'est d'ici qu'il est sorti, emmenant des troupeaux enchaînés ; les uns„ il les renverse à terre et les égorge ; aux autres, il leur ouvre les flancs et les déchire. Puis, saisissant deux béliers aux pieds blancs, à l'un il arrache la tête et la langue, et les jette au loin; l'autre, il le lie, dressé contre une colonne, avec une large courroie, il le frappe d'une double lanière, et le charge d'imprécations, qu'une divinité (18) ennemie a pu seule suggérer. LE CHOEUR. (Antistrophe.) C'est à présent donc qu'il faut, la tète enveloppée de voiles, nous dérober d'un, pas rapide, ou prendre place sur les bancs d'un agile navire, et franchir la mer à force de rames; tant sont vives les menaces des Atrides contre nous! Je tremble d'expirer bientôt sous 17 une grêle de pierres (19), et de partager le supplice de celui que poursuit une destinée indomptable. TECMESSE (20). Elle cesse de le poursuivre; sa fureur s'est calmée, comme l'impétueux Notos, quand il s'élève sans éclairs étincelants. Mais le retour de sa raison lui rend de nouvelles douleurs; la vue de nos propres souffrances, quand nous en sommes les seuls auteurs (21), éveille en nous de cuisantes douleurs. LE CHOEUR. Mais si son délire a cessé, j'espère que tout va bien ; car on tient moins de compte d'un mal passé. TECMESSE. Que préférerais-tu, si tu avais le choix, ou d'éprouver toi-même quelque plaisir en affligeant tes amis, ou de partager leur douleur commune? LE CHOEUR. La double souffrance, ô femme, est un grand mal. TECMESSE. Eh bien, le mal a cessé, et nous n'en sommes pas moins livrés au malheur. LE CHOEUR. Que veux-tu dire? je ne te comprends pas. TECMESSE. Cet infortuné, tant qu'a duré son délire, se complaisait dans le mal qui le possédait, et n'attristait que nous, qui en étions témoins, dans notre bon sens; mais maintenant que le mal a cessé et le laisse respirer, il est tout entier en proie à l'affliction, et la nôtre n'en est pas moins vive qu'auparavant. N'est-ce pas là une souffrance double (22)? 18 LE CHOEUR. Je te l'avoue, et je crains que ce malheur ne soit venu des dieux ; car comment en serait-il autrement, si, délivré de son mal, Ajax n'est pas plus heureux que lorsqu'il en sentait la violence? TECMESSE. Il en est ainsi, sois-en bien certain. LE CHŒUR. Quel a donc été le commencement de ce délire? confie-nous tes peines, à nous qui les partageons.
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Τέκμησσα
Ἅπαν μαθήσει τοὔργον ὡς κοινωνὸς ὤν. Χορός
Τέκμησσα, δεινά, παῖ Τελεύταντος, λέγεις Αἴας Ἰώ μοί μοι. Τέκμησσα
Τάχ᾽, ὡς ἔοικε, μᾶλλον· ἢ οὐκ ἠκούσατε Αἴας Ἰώ μοί μοι. Χορός
Ἀνὴρ ἔοικεν ἢ νοσεῖν ἢ τοῖς πάλαι Αἴας Ἰὼ παῖ παῖ. Τέκμησσα
Ὤμοι τάλαιν᾽· Εὐρύσακες, ἀμφὶ σοὶ βοᾷ. 340 Αἴας
Τεῦκρον καλῶ. ποῦ Τεῦκρος; ἢ τὸν εἰσαεὶ Χορός
Ἀνὴρ φρονεῖν ἔοικεν. ἀλλ᾽ ἀνοίγετε. Τέκμησσα
Ἰδού, διοίγω· προσβλέπειν δ᾽ ἔξεστί
σοι |
TECMESSE. Tu sauras tout ce qui s'est passé, puisque tu prends part à mon malheur. Au milieu de la nuit, lorsque les eux du soir ne jetaient plus de lumière, il saisit son épée (23)l, et semblait vouloir sortir sans motif. Je l'arrête alors et lui dis : « Ajax, que fais-tu? où portes-tu tes pas, sans être appelé, sans que le héraut se soit fait entendre, ni que la trompette ait retenti? En ce moment, toute l'armée dort» » Mais lui me répond par ces mots si connus : « Femme, le silence est l'ornement de ton sexe (24). » A ces mots, je me tus, et il s'élança seul. Ce qu'il a fait là-bas, je ne saurais le dire; mais il rentra, faisant marcher ensemble devant lui des taureaux enchaînés, des chiens de berger, et tout le butin cornu. Aux uns. il tranche la tête; les autres, il les étend, les égorge et les met en pièces ; il en attache d'autres qu'il frappe à coups de fouet, comme des captifs. Enfin il s'élance hors de sa tente, tenant à je ne sais quel fantôme des discours violents et contre les Atrides, et sur Ulysse, entremêlés de grands éclats de rire et se vantant de la Vengeance qu'il a tirée d'eux. Ensuite, après s'être précipité dans sa tente, à grand'peine et après un long temps il rentre en lui-même; et lorsqu'il voit sa tente pleine du carnage 19 causé par son délire, il se frappe la tête, pousse des cris, se couche et s'étend sur cet amas de troupeaux égorgés, s'arrachant les cheveux avec violence. Il resta longtemps assis dans un morne silence; puis, m'adressant les plus terribles menaces, si je ne lui révélais tout cé qui s'est passé, il me demanda en quelle extrémité il était tombé. Et moi, mes amis, effrayée, je lui racontai tout ce qu'il avait fait, autant du moins que je le savais; alors il poussa des gémissements douloureux, tels que je n'en avais jamais entendu sortir de sa bouche; car toujours il disait que de telles plaintes ne partaient que d'Une âme faible et pusillanime; mais sans faire entendre de lamentations aiguës, sa douleur ne s'exprime que par des gémissements étouffés, semblables aux mugissements d'un taureau. Et maintenant, plongé dans cet abîme d'infortune, il refuse toute nourriture, et reste immobile au milieu de ces troupeaux égorgés : à son langage, à ses plaintes, il est aisé de voir qu'il médité quelque dessein funeste. Ο mes amis, je suis venue pour implorer votre aide; entrez, donnez-lui les secours qui sont en votre pouvoir; car le» hommes tels que lui cèdent à la voix de leurs amis. LE CHOEUR. Fille de Téleutas, ô Tecmesse! tu nous dis là un fait terrible, que son malheur l'ait jeté dans l'égarement! AJAX, dans sa tente. Hélas! hélas! TECMESSE. Bientôt, il semble, son mal va redoubler; c'est Ajax, n'avez-vous pas entendu quels cris il pousse? AJAX. Ah! malheureux! LE CHOEUR. On le dirait encore dans le délire, ou il pleure son délire passé. AJAX. Ô mon fils ! mon fils ! 20 TECMESSE. Eurysacès! c'est toi! c'est toi qu'il appelle! Que veut-il? où es-tu? malheureuse que je suis! AJAX. Teucer! où est Teucer? sera-t-il sans cesse occupé à chercher du butin? et cependant je meurs. LE CHOEUR. Il paraît recouvrer ses sens; ouvrez les portes; ma vue lui rendra peut-être quelque retenue. TECMESSE. Voici, je les ouvre, tu peux contempler ce qu'il a fait, et en quel état déplorable il est lui-même (25). ------------------------------
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Αἴας
Ἰὼ Χορός
Οἴμ᾽ ὡς ἔοικας ὀρθὰ μαρτυρεῖν ἄγαν. Αἴας
Ἰὼ Χορός
Εὔφημα φώνει· μὴ κακὸν κακῷ διδοὺς Αἴας
Ὁρᾷς τὸν θρασύν, τὸν εὐκάρδιον, Τέκμησσα Μή, δέσποτ᾽ Αἴας, λίσσομαί σ᾽, αὔδα τάδε. Αἴας
οὐκ ἐκτός; οὐκ ἄψορρον ἐκνεμεῖ πόδα; Χορός ὦ πρὸς θεῶν ὕπεικε καὶ φρόνησον εὖ. Αἴας
Ὦ δύσμορος, ὃς χερὶ μὲν Χορός
Τί δῆτ᾽ ἂν ἀλγοίης ἐπ᾽ ἐξειργασμένοις; Αἴας
Ἰὼ πάνθ᾽ ὁρῶν ἁπάντων τ᾽ ἀεὶ Χορός Ξύν τοι θεῷ πᾶς καὶ γελᾷ κὠδύρεται. Αἴας
Ἴδοιμι μήν νιν, καίπερ ὧδ᾽ ἀτώμενος. Χορός μηδὲν μέγ᾽ εἴπῃς· οὐχ ὁρᾷς ἵν᾽ εἶ κακοῦ; Αἴας
Ὦ Ζεῦ, προγόνων προπάτωρ, Τέκμησσα
Ὅταν κατεύχῃ ταῦθ᾽, ὁμοῦ κἀμοὶ θανεῖν Αἴας
Ἰὼ Τέκμησσα
Ὦ δυστάλαινα, τοιάδ᾽ ἄνδρα χρήσιμον 410 Αἴας
Ἰὼ Χορός
Οὔτοι σ᾽ ἀπείργειν οὐδ᾽ ὅπως ἐῶ λέγειν |
AJAX. (Strophe 1;) Ο chers compagnons, mes seuls amis, les seuls qui restiez encore fidèles aux lois de l'amitié, regardez quels flots de sang ma fureur meurtrière a amoncelés autour de moi! LE CHOEUR (26). Hélas ! tu ne disais que trop vrai ; les faits attestent quel est son délire. AJAX. (Ântistrophe 1.) Ô braves auxiliaires, habiles dans l'art nautique, dont la rame agile fait voler mes vaisseaux sur la mer, vous, les seuls de tous mes anciens appuis que je voie prêts à me secourir, allons, donnez-moi la mort. LE CHOEUR. Cesse ce langage funeste; ne va pas, réparant un mal par un autre, aggraver notre malheur. AJAX. (Strophe 2.) Voyez-vous ce guerrier si brave, au cœur 21 si hardi, si intrépide dans les combats, signaler maintenant sa valeur contre des animaux paisibles? Hélas! quels rires insultants ! en quel opprobre je suis tombé ! TECMESSE. Ajax, ô mon maître! je t'en conjure, ne parle pas ainsi. AJAX. Veux-tu bien te retirer? Ne t'en iras-tu pas? Hélas! hélas ! LE CHOEUR. Au nom des dieux, cède, et reviens à la raison. AJAX. (Strophe 3.) Malheureux ! j'ai laissé ces hommes maudits échapper de mes mains, pour me jeter sur des génisses, sur des agneaux bêlants, et je me suis baigné dans leur sang ! LE CHOEUR. Pourquoi donc te tourmenter de ce qui est accompli? tu n'y saurais rien changer (27). AJAX. (Antistrophe 2.) O toi, espion infatigable, artisan de tous les maux, fils de Laërte, opprobre de l'armée, par quels rires ne fais-tu pas éclater ta joie ! LE CHOEUR. Ce sont les dieux qui dispensent à chacun le rire et les larmes. AJAX. Puissé-je le voir en face, même dans la détresse où je suis réduit ! Ah ! hélas ! LE CHOEUR. Laisse ces orgueilleuses menaces; ne vois-tu pas en quelle infortune tu es tombé ? AJAX. (Antistrophe 3.) Ô Jupiter, père de mes aïeux (28), que ne 22 puis-je, égorgeant ce parleur infatigable, cet odieux charlatan et les deux rois des Grecs, expirer moi-même après eux ! TECMESSE. Quand tu fais de tels vœux, demande aussi la mort pour moi; car comment pourrais-je vivre, si tu meurs(29)? AJAX. (Strophe 4.) O ténèbres qui êtes ma lumière (30), Érébe resplendissant à mon esprit, du moins recevez un nouvel habitant; recevez-moi, Car je ne suis plus digne de voir ni la race des dieux ni la race des hommes, pour moi désormais inutiles. La redoutable déesse, fille de Jupiter, me torture jusqu'à la mort. Où donc fuir? où trouver un asile? Si tout cela a péri, ô mes amis, la vengeance me suit de près (31), et j'ai poursuivi une chasse insensée ; mais l'armée entière s'apprête à me percer de ses traits. TECMESSE. Infortunée ! faut-il qu'un homme de sens profère de telles choses, que jusqu'alors il n'eût osé dire! AJAX. (Antistrophe 4.) Ô fleuves qui coulez dans ta mer, grottes baignées par les flots, prairies qui couvrez le rivage, assez et trop longtemps vous m'avez retenu devant Troie; mais vous ne me verrez plus jouir de la lumière, non, Vous ne me verrez plus. Que l'homme avisé comprenne. Eaux du Scamandre, voisines de notre camp, si favorables aux Grecs, vous ne verrez plus ce héros, je puis le dire avec orgueil, le plus grand des guerriers que la Grèce ait envoyés devant Troie; aujourd'hui me voilà déchu, déshonoré ! 23 LE CHOEUR. Je n'ose ni modérer ni approuver tes plaintes, dans tes malheurs où je te vois tombé.
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Αἴας
Αἰαῖ· τίς ἄν ποτ᾽ ᾤεθ᾽ ὧδ᾽ ἐπώνυμον 430 Χορός
οὐδεὶς ἐρεῖ ποθ᾽ ὡς ὑπόβλητον λόγον, |
AJAX. Hélas! qui eût jamais pensé que mon nom (32) convînt si bien à mes malheurs? Je ne puis trop en répéter les lettres douloureuses (33), tant sont grands les maux qui m'accablent ! De cette même terre de l'Ida, où mon père reçut le plus beau prix de la victoire (34), il revint dans sa patrie, couvert d'une gloire sans tache : et moi, son fils, venu sur ce même rivage de Troie, avec un courage digne de lui, je me signale par autant d'exploits, et je meurs ainsi déshonoré parmi les Grecs. Cependant, j'en suis certain, si Achille, de son vivant, eût voulu disposer de ses armes par un jugement, et en faire le prix de la leur, nul autre que moi ne les eût possédées. Mais aujourd'hui les Atrides ont tout fait pour les livrer au plus méchant des hommes, au mépris de ma bravoure, Ah! si mes yeux, si mes sens abusés n'eussent trompé ma volonté, c'eût été là leur dernière injustice (35). Mais au moment où j'allais frapper, une déesse invincible, qui porte l'épouvante, la fille de Jupiter, a égare mon bras, en m'inspirant un affreux délire, et souillé mes mains du sang de ces vils troupeaux. Ils me raillent maintenant d'avoir échappé malgré moi à mes coups; comme si, quand un dieu veut nous nuire, le lâche n'échappait point au plus brave! Que dois-je donc faire à présent, moi visiblement haï des dieux, déteste de l'année des Grecs, en 24 horreur à la ville de Troie et à la contrée tout entière? Irai-je, quittant notre flotte et ces rivages et abandonnant les Atrides, traverser la mer Égée pour retourner dans ma patrie? Et de quel front aborderai-je mon père Télamon? de quel œil me verra-t-il revenir sans gloire, privé des récompenses dont sa valeur fut honorée? Non, je ne puis plus supporter cette idée. Dois-je donc, m'élançant sur les remparts des Troyens, les combattre corps à corps, me signaler par un coup d'éclat, et enfin mourir? Mais ce serait faire la joie des Atrides. Non, ce n'est point ce qu'il faut. Je dois chercher une voie sûre de montrer à mon vieux père que son sang n'a pas dégénéré. Il est honteux pour un homme de désirer une longue vie, quand il ne peut espérer de soulagement à ses maux. Quelle joie en effet peut nous donner un jour ajouté à un autre, en présence de la nécessité de mourir? Je ne fais aucun cas du mortel qui se repaît de vaines espérances; mais vivre ou mourir avec gloire, est le devoir d'un homme de cœur. Telles sont mes maximes.
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Τέκμησσα
Ὦ δέσποτ᾽ Αἴας, τῆς ἀναγκαίας τύχης 485 Χορός
Αἴας, ἔχειν σ᾽ ἂν οἶκτον ὡς κἀγὼ φρενὶ 525 Αἴας
καὶ κάρτ᾽ ἐπαίνου τεύξεται πρὸς γοῦν ἐμοῦ, Τέκμησσα Ἀλλ᾽ ὦ φίλ᾽ Αἴας, πάντ᾽ ἔγωγε πείσομαι. Αἴας Κόμιζέ νύν μοι παῖδα τὸν ἐμόν, ὡς ἴδω. 530 Τέκμησσα Καὶ μὴν φόβοισί γ᾽ αὐτὸν ἐξελυσάμην. Αἴας Ἐν τοῖσδε τοῖς κακοῖσιν; ἢ τί μοι λέγεις; Τέκμησσα Μὴ σοί γέ που δύστηνος ἀντήσας θάνοι. Αἴας Πρέπον γέ τἂν ἦν δαίμονος τοὐμοῦ τόδε. Τέκμησσα Ἀλλ᾽ οὖν ἐγὼ ᾽φύλαξα τοῦτό γ᾽ ἀρκέσαι. 535 Αἴας Ἐπῄνεσ᾽ ἔργον καὶ πρόνοιαν ἣν ἔθου. Τέκμησσα Τί δῆτ᾽ ἂν ὡς ἐκ τῶνδ᾽ ἂν ὠφελοῖμί σε; Αἴας Δός μοι προσειπεῖν αὐτὸν ἐμφανῆ τ᾽ ἰδεῖν. Τέκμησσα Καὶ μὴν πέλας γε προσπόλοις φυλάσσεται. Αἴας Τί δῆτα μέλλει μὴ οὐ παρουσίαν ἔχειν; 540 Τέκμησσα
Ἦ παῖ, πατὴρ καλεῖ σε. δεῦρο προσπόλων Αἴας Ἕρποντι φωνεῖς ἢ λελειμμένῳ λόγων; Τέκμησσα
Καὶ δὴ κομίζει προσπόλων ὅδ᾽ ἐγγύθεν. |
LE CHOEUR. Personne, Ajax, ne dira jamais que ce langage ne soit sincère et qu'il ne parte du fond de ton cœur. Calme-toi, cependant, laisse ces pensées funestes, et livre-toi aux conseils de tes amis. TECMESSE. Ajax, ô mon maître! il n'est pas de plus grand mal pour les hommes que la servitude. J'étais née d'un père libre et distingué entre tous les Phrygiens par ses richesses, et aujourd'hui je suis esclave ; les dieux, et surtout ton bras, l'ont ainsi décidé. Aussi, depuis le moment où je suis entrée dans ta couche, je n'ai eu de pensée que pour toi ; je te conjure donc, au nom de Jupiter, protecteur du foyer domestique, par ce lit qui t'unit à moi, ne me laisse pas devenir la fable et le jouet de tes ennemis, et passer en d'autres mains. Car si tu meurs, si par ta mort tu m'abandonnes, songe que ce jour-là même, victime de la violence des Grecs, je serai réduite en escla- 25 vage avec ton fils. Et bientôt un de ces nouveaux maîtres m'insultera par des paroles amères : « Voyez (36), dira-t-il, l'épouse d'Ajax, qui fut le plus vaillant des Grecs; contre quelle servitude elle a échangé un sort digne d'envie ! » Voilà ce qu'on dira ; et moi je serai la proie d'un sort fatal, mais la honte de ces paroles rejaillira sur toi et sur ta race. Ah! songe à ton malheureux père, que tu abandonnes dans sa triste vieillesse; songe à une mère chargée d'années, qui invoque sans cesse les dieux pour ta vie et ton retour dans ses foyers; prends aussi pitié de ton fils; si, privé de l'éducation de sa jeunesse où ta mort le laissera, il est dans l'abandon, livré à des tuteurs ennemis, songe quelle misère tu nous prépares à tous deux, en mourant. Pour moi, je n'ai plus d'autre asile que toi. Car tu as ruiné ma patrie par tes armes; quant à ma mère et à mon père, victimes d'un autre destin, ils sont descendus au séjour infernal des morts (37). Ai-je une autre patrie, une autre fortune que toi? En toi seul est tout mon salut. Eh bien, conserve de moi quelque souvenir; l'homme ne doit point oublier ce qui a pu lui plaire (38). Car un bienfait en engendre toujours un autre ; mais celui qui perd la mémoire du bien qu'on lui a fait ne saurait être un cœur généreux. LE CHOEUR. Ajax, je voudrais voir ton cœur saisi de la même compassion que moi, tu louerais alors ses paroles. AJAX. Elle peut compter sur mes éloges, si elle ose exécuter mes ordres. 26 TECMESSE. Ah ! cher Ajax, je t'obérai en toutes choses. AJAX. Amène-moi mon fils, que je le voie, TECMESSE. Dans ma frayeur, je l'ai éloigné, AJAX. Était-ce pendant mon délire, ou par quelque autre motif? TECMESSE, Je craignais d'exposer le malheureux à la mort, s'il s'offrait à ta vue. AJAX. C'eût été un trait digne de ma fureur. TECMESSE. C'est pour l'en préserver que j'ai pris ces précautions, AJAX. J'approuve ta conduite et ta prudence, TECMESSE. En quoi donc maintenant puisse te satisfaire? AJAX. Fais en sorte que je le voie et que je lui parle. TECMESSE. Il est près d'ici, sous la garde de serviteurs fidèles. AJAX. Eh bien, que tarde-t-il à paraître? TECMESSE. Viens, mon fils, ton père t'appelle. Amène-le ici, toi dont les soins veillent sur lui. AJAX. Vient-il, ou ne t'aurait-il pas entendue? TECMESSE. Voici ce serviteur qui l'amène.
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Αἴας
Αἶρ᾽ αὐτόν, αἶρε δεῦρο· ταρβήσει γὰρ
οὒ 545 Χορός
Δέδοικ᾽ ἀκούων τήνδε τὴν προθυμίαν· Τέκμησσα Ὦ δέσποτ᾽ Αἴας, τί ποτε δρασείεις φρενί; 585 Αἴας Μὴ κρῖνε, μὴ ᾽ξέταζε· σωφρονεῖν καλόν. Τέκμησσα
Οἴμ᾽ ὡς ἀθυμῶ· καί σε πρὸς τοῦ σοῦ
τέκνου Αἴας
Ἅγαν γε λυπεῖς· οὐ κάτοισθ᾽ ἐγὼ θεοῖς Τέκμησσα Εὔφημα φώνει. Αἴας -- Τοῖς ἀκούουσιν λέγε. Τέκμησσα Σὺ δ᾽ οὐχὶ πείσει; Αἴας -- Πόλλ᾽ ἄγαν ἤδη θροεῖς. Τέκμησσα Ταρβῶ γάρ, ὦναξ. Αἴας -- Οὐ ξυνέρξεθ᾽ ὡς τάχος; Τέκμησσα Πρὸς θεῶν, μαλάσσου. Αἴας
-- Μῶρά μοι δοκεῖς φρονεῖν, |
AJAX. Approche-le de moi, approche-le ici. Ces traces récentes de carnage n'effraieront pas ses regards, s'il est vraiment mon fils. Il faut le former de bonne heure à 27 l'âpreté des moeurs de sort père, et que son caractère lui ressemble. O mon fils (39), sois plus heureux que ton père ; pour tout le reste ressemble-lui, et tu ne seras pas un homme méprisable. Que dis-je? dès ce moment, je puis te porter envie, puisque tu ne sens aucun de ces maux. Ignorer est en effet le bonheur de la vie, jusqu'à ce que tu aies appris à jouir et à souffrir. Mais une fois arrivé à cet âge, songe à montrer aux ennemis de ton père qui tu es, et de quel sang tu as reçu l'être. Jusqu'alors, nourrie à la douce haleine des zéphyrs, que ta jeune âme croisse en paix pour les délices de ta mère. Non, ne crains pas que, même séparé de moi, aucun Grec t'insulte par des outrages. Je laisserai près de toi un gardien fidèle, Teucer, dont les soins veilleront sur ton enfance, quoiqu'à présent, il soit bien loin de ces lieux, occupé à poursuivie l'ennemi. Mais vous, guerriers, braves matelots, je vous demande à tous ce service, annoncez à Teucer mes derniers vœux; qu'il conduise cet enfant dans mes foyers, qu'il le montre à Télamon, et à Éribée, ma mère, pour être à jamais l'appui de leur vieillesse (jusqu'à ce qu'ils descendent au séjour des morts (40)). Quant à mes armes, je ne veux point qu'elles soient disputées par les Grecs ni par l'auteur de mes maux. Toi seul, ô mon fils, prends ce bouclier immense, impénétrable, et recouvert de sept peaux, auquel tu dois ton nom (41); garde-le, en le maniant par la poignée couverte de lanières repliées : le reste de 28 mon armure sera enseveli avec moi. Allons, prends vite cet enfant, ferme les portes, et ne fais pas retentir la tente de tes gémissements. Les femmes se plaisent aux lamentations. Ferme au plus tôt les portes : un habile médecin ne cherche pas à calmer par des paroles enchantées (42) les maux qu'il faut guérir avec le fer. LE CHOEUR. Un tel empressement me saisit de crainte; tes paroles menaçantes m'affligent (43). TECMESSE. Ajax, ô mon maître! quel projet médite ton cœur? AJAX. Ne cherche point à le pénétrer, ne m'interroge pas. La réserve est une vertu. TECMESSE. Hélas ! je perds courage! Je t'en conjure au nom de ton fils, au nom des dieux, ne nous abandonne pas. AJAX. Tes prières m'importunent. Ignores-tu que je n'ai plus d'obligations envers les dieux ? TECMESSE Ne blasphème pas. AJAX. Je n'écoute plus rien. TECMESSE. Seras-tu inflexible? AJAX. Tu me fatigues de tes cris. TECMESSE. C'est que je tremble pour toi. AJAX. Qu'on l'emmène à l'instant. TECMESSE. Au nom des dieux, laisse-toi fléchir. AJAX. Tu me parais insensée, si tu crois pouvoir à présent réformer mon caractère (44). ------------------------------
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Χορός
Ὦ κλεινὰ Σαλαμίς, σὺ μέν που
Καί μοι δυσθεράπευτος Αἴας
Ἦ που παλαιᾷ μὲν σύντροφος ἁμέρᾳ,
Κρείσσων παρ᾽ Ἅιδᾳ κεύθων ὁ νοσῶν
μάταν, 635 Αἴας
ἅπανθ᾽ ὁ μακρὸς κἀναρίθμητος χρόνος |
LE CHOEUR. (Strophe 1.) Illustre Salamine, tu résides au milieu des mers, toujours heureuse et environnée de gloire; et moi, malheureux, voilà bien longtemps que j'attends la conquête des champs par le cours de l'Ida, sans honneur, continuellement tout flétri par le cours invariable des années, gardant encore la triste espérance de descendre un jour à l'odieux et ténébreux séjour de Pluton... (Antistrophe 1.) A mes douleurs se joignent celles d'Ajax (45), frappé d'un mai sans remède, hélas! en proie à un délire envoyé par les dieux ; celui que tu envoyas jadis vainqueur dans les combats de Mars, privé maintenant de sa raison, est pour ses amis un sujet de deuil; les anciens exploits de sa valeur, accomplis par ses mains vaillantes, n'ont rencontré que l'ingratitude et l'oubli des ingrats Atrides. (Strophe 2.) Ah! certes, sa mère, chargée d'années et blanchie par l'âge, quand elle apprendra le malheur de son fils et l'égarement de sa raison, ce ne seront ni de doux gémissements ni les accents plaintifs du rossignol que l'infortunée fera entendre, mais elle éclatera en cris perçants et lamentables; elle se frappera la poitrine de coups redoublés et arrachera ses cheveux blancs. (Antistrophe 2.) Plus heureux serait Ajax caché dans la nuit infernale, troublé par un incurable délire; lui qui, issu d'une race illustre entre les héros grecs, au 30 lieu de rester fidèle à ses moeurs, a tout à coup changé de caractère. Ô malheureux père! quelle affreuse destinée de ton fils il te reste à apprendre! Jamais, avant lui, la race des Éacides n'en avait subi de pareille. AJAX. Oui, le temps, dans son cours immense, révèle ce qui était caché, et dérobe ce qui paraissait au jour; rien ne lui est impossible, il surprend en faute même la religion du serment et la rigueur des âmes inflexibles. Moi, en effet, qui longtemps m'étais endurci par l'obstination, comme le fer par la trempe, je me sens attendrir aux discours de cette femme, j'ai pitié de là laisser veuve parmi mes ennemis avec un fils orphelin. Mais je vais au rivage qui borde la prairie, pour purifier mes souillures par un bain, et apaiser la colère redoutable de la déesse ; puis, je chercherai quelque lieu désert et j'y cacherai mon épée, cette arme qui me fut si funeste, dans le sein de la terre, loin de tous les regards; puissent la nuit et les enfers la garder à jamais dans leurs entrailles! Car depuis le jour où le terrible Hector me fit ce funeste présent (46), je n'ai reçu des Grecs que des outrages : tant est vrai cet adage, que les dons d'un ennemi ne sont point dus dons et n'ont rien que de fatal (47). Désormais donc je saurai céder aux dieux, et j'apprendrai à vénérer (48) les Atrides. lié sont les chefs, il faut donc leur obéir. Et peut-il en être autrement? partout, en effet, la force et la vigueur cèdent au rang; ainsi les frimas de l'hiver se retirent à l'approche de l'été fertile; le char obscur de la nuit s'éloigne pour laisser briller l'astre éclatant du 31 jour; les vents, quand leur fureur s'apaise, calment à leur tour la mer mugissante; et le sommeil, maître du monde, relâche ses chaînes et ne nous tient pas continuellement sous ses lois. Et nous, ne saurons-nous donc pas modérer nos passions? Pour moi, je le saurai, j'ai appris tout récemment qu'il fallait haïr notre ennemi, comme s'il pouvait nous aimer un jour, je veux à mon tour aimer et servir mon ami comme s'il pouvait cesser de l'être (49): en effet, pour la plupart des hommes, le port de l'amitié n'a rien de sûr, Mais, à cet égard, tout ira bien; toi, femme, rentre, et prie soigneusement les dieux d'accomplir les vœux de mon cœur. Vous, compagnons, donnez-moi les mêmes marques d'affection, et quand Teucer sera venu, dites-lui de se souvenir de moi et de vous montrer une égale bienveillance. Pour moi, je vais où je dois aller; vous, faites ce que je vous demande, et bientôt peut-être apprendrez-vous que, malgré le malheur qui m'accable à présent, je suis sauvé (50). ---------------------------- |
Χορός
Ἔφριξ᾽ ἔρωτι, περιχαρὴς δ᾽ ἀνεπτόμαν. |
LE CHOEUR. (Strophe.) J'ai tressailli de plaisir, et je vole sur les ailes de la joie. Ô Pan! ô Pan! qui parcours les mers du sommet des roches du Cyllène (51) couvert de neiges, apparais-nous, toi qui présides aux danses des dieux, viens figurer avec nous celles de Nysa et de Gnosse (52), qu'un instinct naturel t'a enseignées ! car à présent je veux figurer des danses. Qu'Apollon, roi de Délos, franchisse la 32 mer d'Icare, vienne se meîer à nous et me soit toujours propice. (Antistrophe.) Mars a dissipé le délire funeste qui voilait les regards d'Ajax. Maintenant encore, maintenant luit un jour pur et brillant, ô Jupiter! qui nous permet d'approcher des vaisseaux rapides, depuis qu'Ajax, oubliant ses douleurs, a rendu aux dieux avec un soin religieux les honneurs qui leur sont dus. Le temps vient à bout de tout, et rien ne peut plus me paraître incroyable, puisque Ajax a renoncé aux terribles querelles et à son ressentiment implacable contre les Atrides. -----------------------------
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Ἄγγελος
Ἄνδρες φίλοι, τὸ πρῶτον ἀγγεῖλαι θέλω· Χορός
Οὐκ ἔνδον, ἀλλὰ φροῦδος ἀρτίως, νέας
735 Ἄγγελος
Ἰοὺ ἰού· Χορός Τί δ᾽ ἐστὶ χρείας τῆσδ᾽ ὑπεσπανισμένον; 740 Ἄγγελος
Τὸν ἄνδρ᾽ ἀπηύδα Τεῦκρος ἔνδοθεν
στέγης Χορός
Ἀλλ᾽ οἴχεταί τοι, πρὸς τὸ κέρδιστον
τραπεὶς Ἄγγελος
Ταῦτ᾽ ἐστὶ τἄπη μωρίας πολλῆς πλέα,
745 Χορός Ποῖον; Τί δ᾽ εἰδὼς τοῦδε πράγματος πάρει; Ἄγγελος
Τοσοῦτον οἶδα καὶ παρὼν ἐτύγχανον. Χορός
Ὦ δαΐα Τέκμησσα, δύσμορον γένος, |
UN MESSAGER. Amis, je veux vous apprendre une nouvelle; Teucer arrive à l'instant des montagnes de la Mysie (53) ; et à peine était-il au milieu du camp, qu'il est outragé par tous les Grecs à la fois. Du plus loin qu'ιλs le virent s'avancer, ils l'entourèrent de tous les côtés et l'accablèrent d'injures, à l'envi, l'appelant le frère d'un furieux, conjuré contre l'armée, et disant que rien ne pourrait les empêcher de l'écraser sous une grêle de pierres. Enfin ils en vinrent jusqu'à tirer les épées hors du fourreau. Cependant la discorde, arrivée au comble de la fureur, s'arrêta, calmée par les paroles et l'intervention des vieillards. Mais où est Ajax, pour que je lui fasse ce récit à lui-même? car il faut tout révéler à ses maîtres. LE CHŒUR. Il n'est point dans sa tente; mais il vient dé sortir, occupé de nouvelles pensées, conformes à son nouveau caractère. LE MESSAGER. Hélas! hélas! c'est trop tard que l'on m'a envoyé, ou je suis venu trop lentement. LE CHOEUR. Qu'a-t-on négligé de ce qu'il fallait faire? 33 LE MESSAGER. Teucer ne voulait point qu'Ajax sortît de sa tente avant que lui-même ne fût arrivé. LE CHOEUR. Mais il est sorti dans les intentions les plus sages, afin d'apaiser la colère des dieux. LE MESSAGER. Ce sont là des paroles pleines de folie, si la prophétie de Calchas est véritable (54) ! LE CHŒUR. Quelle est-elle? que sait-il donc là-dessus? LE MESSAGER. Voici ce que j'ai su, et dont moi-même j'ai été témoin. Calchas, sortant de l'assemblée des rois, et quittant les Atrides, a pris la main de Teucer avec amitié, et il lui a dit et recommandé de faire tous ses efforts pour retenir Ajax et l'empêcher de sortir de sa tente, s'il voulait le retrouver vivant. Car ce jour seul encore, ajouta-t-il, la colère de la divine Minerve le poursuivra pendant toute la journée qui luit à présent. En effet, les hommes les plus élevés, mais dépourvus de prudence, sont précipités par les dieux dans un abîme de misère, disait le devin, quand, oubliant qu'ils sont mortels, ils ont des sentiments peu conformes à leur nature. — Déjà au sortir de ses foyers, Ajax montra sa démence, en n'écoutant pas les sages avis de son père. Celui-ci lui disait : « Mon fils, sois jaloux de vaincre, mais toujours de vaincre avec l'appui des dieux. » Il répondit dans son fol orgueil : « Mon père, avec les dieux un lâche même peut obtenir la victoire; moi, je me flatte, sans leur aide, d'acquérir cette gloire. » Tel était son superbe langage. Une autre fois, quand la divine Minerve, le pressant, l'exhortait à tourner son bras meurtrier contre les ennemis, il lui répliqua par ces paroles arrogantes et impies : « Déesse, 34 cours assister les autres Grecs; pour nous, jamais l'ennemi ne rompra nos rangs. » C'est par ces discours et cet orgueil plus qu'humain qu'il s*est attiré la colère implacable de la déesse. Cependant, s'il échappe aux dangers de cette journée, nous le sauverons peut-être, avec le secours des dieux. — Ainsi parla Calchas, et Teucer m'envoie aussitôt te porter ces ordres, pour qu'ils soient observés. S'il n'est plus possible de les exécuter, c'en est fait d'Ajax, si Calchas est bien inspiré. LE CHOEUR. O infortunée Tecmesse, race malheureuse, viens entendre les nouvelles qu'il apporte ; le danger est imminent (55), et la joie est perdue pour nous. -----------------------------------
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Τέκμησσα
Τί μ᾽ αὖ τάλαιναν, ἀρτίως πεπαυμένην
Χορός
Τοῦδ᾽ εἰσάκουε τἀνδρός, ὡς ἥκει φέρων Τέκμησσα Οἴμοι, τί φής, ἄνθρωπε; μῶν ὀλώλαμεν; Ἄγγελος
Οὐκ οἶδα τὴν σὴν πρᾶξιν, Αἴαντος δ᾽
ὅτι, Τέκμησσα Καὶ μὴν θυραῖος, ὥστε μ᾽ ὠδίνειν τί φής. Ἄγγελος
Ἐκεῖνον εἴργειν Τεῦκρος ἐξεφίεται 795 Τέκμησσα Ποῦ δ᾽ ἐστὶ Τεῦκρος, κἀπὶ τῷ λέγει τάδε; Ἄγγελος
Πάρεστ᾽ ἐκεῖνος ἄρτι· τήνδε δ᾽ ἔξοδον Τέκμησσα Οἴμοι τάλαινα, τοῦ ποτ᾽ ἀνθρώπων μαθών; 800 Ἄγγελος
Τοῦ Θεστορείου μάντεως, καθ᾽ ἡμέραν Τέκμησσα
Οἲ ᾽γώ, φίλοι, πρόστητ᾽ ἀναγκαίας
τύχης, Χορός
χωρεῖν ἕτοιμος, κοὐ λόγῳ δείξω μόνον· |
TECMESSE. Pourquoi arracher encore une infortunée au repos dont elle jouit à peine après tant de maux inépuisables ? LE CHOEUR. Écoute cet homme, il nous apporte sur le sort d'Ajax des nouvelles qui m'ont contristé. TECMESSE. Hélasî qu'as-tu à nous dire, ami? est-ce fait de nous! LE MESSAGER. l'ignore ton destin, mais je crains fort pour celui d'Ajax, si toutefois il est sorti de sa tente. TECMESSE. Oui, il est sorti ; je suis dans l'anxiété feur ce que tu vas dire. LE MESSAGER. Teucer recommande de le retenir dans sa tente et de ne point le laisser sortir seul. TECMESSE. Mais où est Teucer? et pourquoi parle-t-il ainsi? 35 LE MESSAGER. Il va venir iui-ynême ; il craint qije cette sortie d'Ajax ne lui sçit funeste. TECMESSE. Que je suis malheureuse ! et de quel mortel le sait-il? LE MESSAGER. Le fils de Thestor, Calchas, a prédit que ce Jour apportera à Ajax ou la vie ou la mort. TECMESSE. Hélas ! mes amis, secourez-moi dans cette circonstance critique; et hâtez-vous, les uns d'amener au plus vite Teucer, ceux-ci d'aller vers les collines qui sont au couchant, ceux-là vers celles qui regardent l'aurore, chercher les traces de mon malheureux époux; car je vois qu'il m'a trompée, et que mon ancien pouvoir sur lui est perdu. Hélàs! que faire, mon flls? Mais ce n'egt pas le temps de se reposer; j'irai moi-même, autant que mes forces me le permettront. Partons, hâtons-nous, il n'y a pas un moment à perdre, si nous voulons sauver un homme qui court à la mort, LE CHOEUR. Je suis prêt à partir, et ce ne sont point de vains propos; l'effet suivra de près mes paroles (56). (Le Choeur et Tecmesse sortent.) --------------------------------- |
Αἴας
Ὁ μὲν σφαγεὺς ἕστηκεν ᾗ τομώτατος 815 |
AJAX. Voilà, si je ne me trompe (57), le fer meurtrier dressé de manière à frapper le coup le plus sûr; triste présent d'Hector, pour moi le plus odieux et le plus haï des 36 hôtes: le voilà enfoncé sur le sol ennemi de Troie, j'en ai aiguisé la pointe sur la pierre (58), je l'ai affermi de telle sorte qu'il me rendra le service (59) de me donner promptement la mort. J'ai ainsi tout disposé avec soin. Maintenant, Jupiter, c'est à toi à m'aider d'abord; je ne te demanderai pas une faveur bien grande ; fais seulement parvenir à Teucer cette triste nouvelle, afin qu'il soit le premier à enlever ce corps tombé sur une épée sanglante, et qu'aucun de mes ennemis ne le prévienne, et ne me livre aux chiens et aux oiseaux de proie. Tels sont les vœux que je t'adresse, ô Jupiter! Je prie aussi Mercure, conducteur des ombres, de me ménager aux enfers une descente prompte et sans douleur, aussitôt que cette épée aura percé mon flanc. J'appelle encore à mon aide les déesses toujours vierges et toujours attentives aux actions des mortels, les augustes Euménides, aux pas rapides; qu'elles sachent que je meurs victime des Atrides. Puissent-elles infliger à ces infâmes un supplice digne de leurs forfaits; et, ainsi qu'elles me voient périr de ma propre main, puissent-ils tomber eux-mêmes sous les coups de leurs enfants les plus chers ! Venez, déesses promptes à punir le crime, n'épargnez rien, frappez l'armée entière. Et toi qui conduis ton char dans l'étendue des cieux, Soleil, quand tu verras la terre de ma patrie, retiens tes rênes d'or, annonce mes calamités et ma destinée à mon vieux père et à l'infortunée qui m'a nourri (60).. Malheureuse! comme à cette nouvelle donnée elle fera retentir toute la ville de ses lamentations. Mais à quoi bon ces plaintes inutiles ? achevons au plus tôt notre ouvrage. Ô Mort! ô Mort! viens, jette sur moi tes regards; bientôt j'habiterai avec toi dans les sombres demeures. Et toi, brillante clarté du jour, Soleil radieux (61), je te parle pour la dernière fois. Ô lumière, ô sol sacré 37 de Salamine, ma patrie, foyers de mes ancêtres, glorieuse Athènes (62), amis élevés avec moi, fontaines, fleuves, campagnes de Troie, je vous salue ! Adieu, ô vous qui m'avez nourri ! Ce sont les dernières paroles qu'Ajax vous adresse; je dirai le reste aux enfers. (Il se jette sur son épée). ----------------------------
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Ἡμιχόριον Α
Πόνος πόνῳ πόνον φέρει. Ἡμιχόριον Β Ἡμῶν γε ναὸς κοινόπλουν ὁμιλίαν. Ἡμιχόριον Α Τί οὖν δή; Ἡμιχόριον Β Πᾶν ἐστίβηται πλευρὸν ἕσπερον νεῶν Ἡμιχόριον Α Ἔχεις οὖν; 875 Ἡμιχόριον Β Πόνου γε πλῆθος, κοὐδὲν εἰς ὄψιν πλέον. Ἡμιχόριον Α
Ἀλλ᾽ οὐδὲ μὲν δὴ τὴν ἀφ᾽ ἡλίου βολῶν Χορός
Τίς ἂν δῆτά μοι, τίς ἂν φιλοπόνων Τέκμησσα Ἰώ μοί μοι. Χορός Τίνος βοὴ πάραυλος ἐξέβη νάπους; Τέκμησσα Ἰὼ τλήμων. Χορός
Τὴν δουρίληπτον δύσμορον νύμφην ὁρῶ Τέκμησσα ᾬχωκ᾽, ὄλωλα, διαπεπόρθημαι, φίλοι. Χορός Τί δ᾽ ἔστιν; Τέκμησσα
Αἴας ὅδ᾽ ἡμῖν ἀρτίως νεοσφαγὴς Χορός
Ὤμοι ἐμῶν νόστων· 900 Τέκμησσα Ὡς ὧδε τοῦδ᾽ ἔχοντος αἰάζειν πάρα. 905 Χορός Τίνος ποτ᾽ ἆρ᾽ ἔπραξε χειρὶ δύσμορος; Τέκμησσα
Αὐτὸς πρὸς αὑτοῦ, δῆλον· ἐν γάρ οἱ χθονὶ Χορός
Ὤμοι ἐμᾶς ἄτας, οἶος ἄρ᾽ αἱμάχθης, ἄφαρκτος φίλων· Τέκμησσα
Οὔτοι θεατός· ἀλλά νιν περιπτυχεῖ 915 Χορός
Ἔμελλες, τάλας, ἔμελλες χρόνῳ Τέκμησσα Ἰώ μοί μοι. Χορός Χωρεῖ πρὸς ἧπαρ, οἶδα, γενναία δύη. Τέκμησσα Ἰώ μοί μοι. Χορός
Οὐδέν σ᾽ ἀπιστῶ καὶ δὶς οἰμῶξαι, γύναι, 940 Τέκμησσα Σοὶ μὲν δοκεῖν ταῦτ᾽ ἔστ᾽, ἐμοὶ δ᾽ ἄγαν φρονεῖν. Χορός Ξυναυδῶ. Τέκμησσα
Οἴμοι, τέκνον, πρὸς οἷα δουλείας ζυγὰ Χορός
Ὢμοι, ἀναλγήτων Τέκμησσα Οὐκ ἂν τάδ᾽ ἔστη τῇδε μὴ θεῶν μέτα. 950 Χορός Ἄγαν ὑπερβριθὲς γὰρ ἄχθος ἤνυσαν. Τέκμησσα
Τοιόνδε μέντοι Ζηνὸς ἡ δεινὴ θεὸς Χορός
Ἦ ῥα κελαινώπαν θυμὸν ἐφυβρίζει πολύτλας ἀνήρ, 955 Τέκμησσα
Οἱ δ᾽ οὖν γελώντων κἀπιχαιρόντων κακοῖς |
DEMI-CHOEUR. Fatigue sur fatigue met le comble à la fatigue. Où, en effet, ne suis-je point allé? Et nulle part je n'ai pu rien apprendre. Voici! voici! j'entends quelque bruit. DEMI-CHOEUR. Ce sont nos compagnons, ceux qui partagent nos recherches. DEMI-CHOEUR. Qu'y a-t-il donc? DEMI-CHOEUR. J'ai parcouru tout le côté du camp qui regarde l'occident. DEMI-CHŒUR. Avez-vous trouvé? DEMI-CHOEUR. Beaucoup de fatigue, et rien de plus. DEMI-CHŒUR. Mais du côté du soleil levant non plus, et je ne i'ai pas rencontré. LE CHOEUR. (Strophe.) Quel mortel, quel pêcheur laborieux, vigilant, attentif à sa proie, quelle nymphe du mont Olympe ou des fleuves du Bosphore (63), me dira si elle a aperçu ce farouche guerrier? Il est pénible d'avoir avec de longues fatigues fait une course inutile, sans pouvoir découvrir cet homme, tout affaibli qu'il est. 38 TECMESSE. Hélas! malheur à moi ! LE CHOEUR. Quelle est cette voix sortie du bois voisin ? TECMESSE. Ah! malheureuse! LE CHOEUR. C'est sa captive que je vois, sa triste épouse Tecmesse, livrée au désespoir. TECMESSE. C'est fait de moi» mes amis, je me meurs, je suis perdue! LE CHOEUR. Qu'y a-t-il donc? TECMESSE. Ajax est là, gisant, percé d'une blessure récente, auprès d'un glaive dont il s'est secrètement frappé. LE CHOEUR. Hélas! que deviendra notre retour? O roi! tu as entraîné dans ta perte tes compagnons de navigation. Malheureux que je suis! ô femme infortunée! TECMESSE. Après ce coup qui l'a frappé (64), il ne me reste plus qu'à gémir. LE CHOEUR, Par quelle main a-t-il donc accompli ce meurtre? TECMESSE. Par sa propre main, on n'en saurait douter; cette épée, enfoncée dans la terre et sur laquelle il s'est jeté, l'accuse assez. LE CHOEUR. Hélas! quel est mon malheur! tu t'es frappé, sans être secouru par aucun ami ! et moi, dans mon aveuglement, dans mon incurie, j'ai négligé de veiller sur 39 toi. Où est-il, où donc est-il ce guerrier indomptable, cet Ajax dont le nom est si funeste (65)? TECMESSE, Vous ne le verrez point; je l'envelopperai tout entier des longs plis de ce voile; car nul, pas même un ami, ne pourrait soutenir la vue de ces flots de sang noir, qui sortent de ses narines et de la plaie saignante dont il s'est frappé. Hélas ! que faire? quel ami enlèvera son corps? Où est Teucer? s'il arrivait, qu'il viendrait à propos, pour rendre avec nous à son frère mort les derniers devoirs! O malheureux Ajax! quel sort indigne de ta gloire ! car pour tes ennemie même tu es un objet digne de larmes. LE CHOEUR. (Antistrophe.) Ton cœur inflexible méditait donc depuis longtemps de terminer ainsi la destinée funeste de tes malheurs infinis. Tels étaient nuit et jour les gémissements qui s'échappaient de ton cœur implacable, exhalant avec une violente passion des menaces terribles contre les Atrides. Il ouvrit certes une grande source de maux, ce jour où les armes d'Achille furent proposées pour prix de la valeur. TECMESSE. Hélas! malheureuse! LE CHOEUR. Une douleur poignante déchire ton cœur, je le sais. TECMESSE. Hélas! LE CHOEUR. Je ne m'étonne point que tes gémissements redoublent, ô femme, quand tu viens de perdre un tel ami. TECMESSE. Tu peux, il est vrai, comprendre mon malheur, mais moi seule j'en connais l'étendue. 40 LE CHOEUR. J'en conviens. TECMESSE. Hélas! mon fils! quel joug va peser sur nous! quels maîtres nous sont réservés ! LE CHOEUR. Quoi! les impitoyables Atrides ajouteraient cet outrage à votre douleur ! puissent les dieux l'empêcher ! TECMESSE. Ces maux ne seraient point arrivés sans la volonté des dieux. LE CHOEUR. Ils en ont par trop appesanti le fardeau. TECMESSE. Voilà pourtant la trame funeste que la fille de Jupiter, la redoutable Pallas, a ourdie en faveur d'Ulysse. LE CHOEUR. Ainsi, dans son âme perfide, le patient Ulysse nous outrage, et rit des maux qu'a enfantés le délire ! Hélas ! hélas! et les deux Atrides partagent ses rires insolents! TECMESSE. Qu'ils rient donc, et qu'ils se réjouissent de ses maux ! Peut-être, quoiqu'ils ne l'aient point recherché vivant, ils pleureront sa mort à l'heure du combat. Ainsi les insensés ne connaissent le prix du bien qu'ils possèdent, qu'après l'avoir perdu. Cette mort, plus amère pour moi qu'agréable pour eux, a été douce^pour Ajax; car, en se la donnant lui-même, il a atteint l'objet de ses vœux. Qu'ont-ils à se railler de lui? C'est par la volonté des dieux qu'il est mort, et non par la peur. Qu'Ulysse donc se livre à de vains outrages ! Ajax n'est plus au milieu d'eux; c'est à moi qu'il a laissé, en partant, la douleur et les larmes. (Elle sort.) -------------------------
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Τεύκρος Ἰώ μοί μοι. Χορός
Σίγησον· αὐδὴν γὰρ δοκῶ Τεύκρου κλύειν 975 Τεύκρος
Ὦ φίλτατ᾽ Αἴας, ὦ ξύναιμον ὄμμ᾽ ἐμοί, Χορός Ὄλωλεν ἁνήρ, Τεῦκρε, τοῦτ᾽ ἐπίστασο. Τεύκρος Ὤμοι βαρείας ἆρα τῆς ἐμῆς τύχης. 980 Χορός Ὡς ὧδ᾽ ἐχόντων Τεύκρος -- Ὦ τάλας ἐγώ, τάλας. Χορός Πάρα στενάζειν. Τεύκρος -- Ὦ περισπερχὲς πάθος. Χορός Ἄγαν γε, Τεῦκρε. Τεύκρος
-- Φεῦ τάλας· τί γὰρ τέκνον Χορός Μόνος παρὰ σκηναῖσιν. 985 Τεύκρος
-- Οὐχ ὅσον τάχος Χορός
Καὶ μὴν ἔτι ζῶν, Τεῦκρε, τοῦδέ σοι μέλειν 990 Τεύκρος
Ὦ τῶν ἁπάντων δὴ θεαμάτων ἐμοὶ Χορός
Μὴ τεῖνε μακράν, ἀλλ᾽ ὅπως κρύψεις τάφῳ 1040 Τεύκρος Τίς δ᾽ ἐστὶν ὅντιν᾽ ἄνδρα προσλεύσσεις στρατοῦ; Χορός Μενέλαος, ᾧ δὴ τόνδε πλοῦν ἐστείλαμεν. 1045 Τεύκρος Ὁρῶ· μαθεῖν γὰρ ἐγγὺς ὢν οὐ δυσπετής. |
TEUCER. Hélas! malheur à moi! 41 LE CHOEUR. Silence! je crois entendre la voix de Teucer, poussant des cris, que lui arrache son malheur. TEUCER. Ô Ajax chéri ! frère bien-aimé ! en est-ce donc fait de toi, comme la renommée le publie? LE CHOEUR. Il a cesse de vivre, ô Teucer! ce n'est que trop vrai. TEUCER. Hélas! ô sort cruel qui pèse sur moi! LE CHOEUR. Dans une telle infortune... TEUCER. Ô malheureux que je suis! malheureux! LE CHOEUR. Il est juste de pleurer. TEUCER. Ô douleur accablante ! LE CHOEUR. Trop, hélas ! ô Teucer ! TEUCER. L'infortuné ! où donc est son fils? en quel lieu de la terre troyenne? LE CHOEUR. Il est seul dans la tente. TEUCER. Que ne l'amenez-vous ici à l'instant même, de peur qu'un de ses ennemis ne l'enlève, comme un lionceau délaissé. Allez, courez, hâtez-vous. Trop souvent on insulte les morts, une fois dans la tombe. LE CHOEUR. Tout à l'heure, Teucer, Ajax encore vivant confiait à tes soins ce fils que tu protèges. TEUCER. Ô spectacle le plus douloureux qui ait jamais frappé ma vue ! ô course, de toutes celles que je fis, la plus aflli- 42 géante pour mon cœur, lorsque apprenant ta destinée, j'allai, cher Ajax, à la poursuite de tes traces ! En effet, la renommée, aussi prompte que la voix d'un dieu, avait publié parmi tous les Grecs que tu avais cessé de vivre. A cette nouvelle, alors éloigné de toi, je pleurai; h présent je te vois, et je meurs. Hélas!... Eh bien ! découvrez ce corps; je veux contempler mon malheur dans toute son étendue. Ô trop cruelle résolution ! ô spectacle horrible! quel avenir de douleurs ta mort me prépare! En quels lieux, chez quels mortels pourrai-je porter mes pas, moi qui, dans tes maux, ne te fus d'aucun secours? Certes Télamon, ton père et le mien, m'accueillera avec un visage serein et bienveillant, quand il me verra revenir sans toi ! Ne dois-je pas m'y attendre? Jamais plus heureuse nouvelle n'appela le sourire sur ses lèvres. Gardera-t-il le silence? quel outrage m'épargnera-t-il? Il dira que je suis le fils illégitime (66) d'une captive; que je t'ai abandonné, cher Ajax, par crainte, par lâcheté, ou même par artifice, pour posséder après ta mort ton palais et tes richesses. Ainsi parlera ce vieillard irascible, aigri par son grand âge, qu'un rien irrite et exaspère, et enfin je serai chassé de ma patrie, et traité non en homme libre, mais en esclave. Voilà les maux qui m'attendent dans mes foyers. Ici, devant Troie, mille ennemis et peu de défenseurs. Voilà tout ce que ta mort me donne. Hélas! que dois-je faire? comment te détacherai-je, malheureux, de ce fer cruel, dont le fil meurtrier a tranché tes jours? Pensais-tu qu'un jour Hector, après son trépas, causerait ta perte? Au nom des dieux, voyez le sort de ces deux guerriers : Hector, attaché à un char par le baudrier qu'il avait reçu d'Ajax, a été traîné dans la poussière et déchiré, jusqu'à ce qu il eût expiré (67); Ajax, 43 qui avait reçu d'Hector cette épée en don, s'est donné le coup mortel en se jetant dessus (68). N'est-ce pas Érinnys qui fabriqua ce glaive, et Pluton, l'artisan de cruautés, qui fit le baudrier? Pour moi, je suis porté à dire que ces événements, comme tous les autres, sont toujours ourdis aux hommes par les dieux : celui qui ne goûte point cette opinion peut se complaire dans une autre, et moi, je garderai la mienne. LE CHOEUR. Ne prolonge pas ces discours, songe plutôt à ensevelir ce guerrier, et à trouver ce que tu auras bientôt à répondre ; car j'aperçois un ennemi, et peut-être, vu son méchant naturel, vient-il rire de nos maux. TEUCER. Quel est donc celui de nos guerriers que tu vois? LE CHOEUR. Ménélas, pour lequel nous sommes venus sur ces bords. TEUCER. Je le vois ; de si près il est facile à reconnaître. ---------------------
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Μενέλαος
Οὗτος, σὲ φωνῶ τόνδε τὸν νεκρὸν χεροῖν Τεύκρος Τίνος χάριν τοσόνδ᾽ ἀνήλωσας λόγον; Μενέλαος Δοκοῦντ᾽ ἐμοί, δοκοῦντα δ᾽ ὃς κραίνει στρατοῦ. 1050 Τεύκρος Οὔκουν ἂν εἴποις ἥντιν᾽ αἰτίαν προθείς; Μενέλαος
Ὁθούνεκ᾽ αὐτὸν ἐλπίσαντες οἴκοθεν Χορός
Μενέλαε, μὴ γνώμας ὑποστήσας σοφὰς Τεύκρος
Οὐκ ἄν ποτ᾽, ἄνδρες, ἄνδρα θαυμάσαιμ᾽ ἔτι, Χορός
Οὐδ᾽ αὖ τοιαύτην γλῶσσαν ἐν κακοῖς φιλῶ· Μενέλαος Ὁ τοξότης ἔοικεν οὐ σμικρὸν φρονεῖν. 1120 Τεύκρος Οὐ γὰρ βάναυσον τὴν τέχνην ἐκτησάμην. Μενέλαος Μέγ᾽ ἄν τι κομπάσειας, ἀσπίδ᾽ εἰ λάβοις. Τεύκρος Κἂν ψιλὸς ἀρκέσαιμι σοί γ᾽ ὡπλισμένῳ. Μενέλαος Ἡ γλῶσσά σου τὸν θυμὸν ὡς δεινὸν τρέφει. Τεύκρος Ξὺν τῷ δικαίῳ γὰρ μέγ᾽ ἔξεστιν φρονεῖν. 1125 Μενέλαος Δίκαια γὰρ τόνδ᾽ εὐτυχεῖν κτείναντά με; Τεύκρος Κτείναντα; δεινόν γ᾽ εἶπας, εἰ καὶ ζῇς θανών. Μενέλαος Θεὸς γὰρ ἐκσῴζει με, τῷδε δ᾽ οἴχομαι. Τεύκρος Μή νυν ἀτίμα θεούς, θεοῖς σεσωσμένος. Μενέλαος Ἐγὼ γὰρ ἂν ψέξαιμι δαιμόνων νόμους; 1130 Τεύκρος Εἰ τοὺς θανόντας οὐκ ἐᾷς θάπτειν παρών. Μενέλαος Τούς γ᾽ αὐτὸς αὑτοῦ πολεμίους. οὐ γὰρ καλόν. Τεύκρος Ἦ σοὶ γὰρ Αἴας πολέμιος προύστη ποτέ; Μενέλαος Μισοῦντ᾽ ἐμίσει· καὶ σὺ τοῦτ᾽ ἠπίστασο. Τεύκρος Κλέπτης γὰρ αὐτοῦ ψηφοποιὸς ηὑρέθης. 1135 Μενέλαος Ἐν τοῖς δικασταῖς, κοὐκ ἐμοί, τόδ᾽ ἐσφάλη. Τεύκρος Πόλλ᾽ ἂν κακῶς λάθρᾳ σὺ κλέψειας κακά. Μενέλαος Τοῦτ᾽ εἰς ἀνίαν τοὔπος ἔρχεταί τινι. Τεύκρος Οὐ μᾶλλον, ὡς ἔοικεν, ἢ λυπήσομεν. Μενέλαος Ἕν σοι φράσω· τόνδ᾽ ἐστὶν οὐχὶ θαπτέον. 1140 Τεύκρος Ἀλλ᾽ ἀντακούσει τοῦτον ὡς τεθάψεται. Μενέλαος
Ἤδη ποτ᾽ εἶδον ἄνδρ᾽ ἐγὼ γλώσσῃ θρασὺν Τεύκρος
Ἐγὼ δέ γ᾽ ἄνδρ᾽ ὄπωπα μωρίας πλέων, 1150 Μενέλαος
Ἄπειμι· καὶ γὰρ αἰσχρόν, εἰ πύθοιτό τις Τεύκρος
Ἄφερπέ νυν· κἀμοὶ γὰρ αἴσχιστον κλύειν |
MÉNÉLAS. Holà ! je te défends de porter les mains sur ce cadavre; je t'ordonne de le laisser dans l'état où il est (69). TEUCER. Pourquoi donc jettes-tu ces paroles arrogantes (70)? MÉNÉLAS. Telle est ma volonté et la volonté de celui qui commande à l'armée. 44 TEUCER. Ne saurais-tu alléguer quelque motif? MÉNÉLAS. C'est qu'en lui nous espérions amener ici un allié et un ami des Grecs, et nous avons trouvé un ennemi plus dangereux que les Phrygiens, lui qui a tramé la perte de l'armée entière, et est venu la nuit pour nous égorger ; et si un dieu n'eût arrêté ses efforts, nous aurions souffert le destin qu'il a subi lui-même, nous eussions péri de la mort la plus honteuse, et il vivrait. Mais un dieu a détourné ses coups, et les a fait tomber sur des troupeaux et des pâtres. Aussi, il n'est point d'homme assez puissant pour lui donner un tombeau, et son corps, jeté sur le sable du rivage, y deviendra la pâture des oiseaux de mer. D'ailleurs, ne laisse pas ton orgueil s'emporter trop loin ; car si pendant sa vie nous n'avons pu le soumettre à notre volonté, nous le pourrons du moins après sa mort, et, malgré toi, nos bras sauront t'y contraindre. Jamais, tant qu'il vécut, il ne voulut m'écouter; cependant c'est le propre d'un mauvais citoyen de ne pas vouloir obéir à ses chefs. Jamais, en effet, les lois n'auront de force dans un État où ne règne pas la crainte; une armée n'est point sagement conduite, si elle n'a pour premier rempart la crainte et le respect (71). Un homme, quelle que soit sa force, doit songer que le moindre mal peut l'abattre. Celui qui a la crainte et l'honneur pour guides, celui-là, sache-le bien, est en sûreté; mais où règne la licence d'outrager et de faire ce que l'on veut, songe qu'avec le temps un tel État tombera du faîte de la prospérité dans un abîme de maux. Maintenons donc une crainte salutaire, et ne nous flattons pas de ne ra- 45 cheter jamais par de justes peines un injuste plaisir; ils ont chacun leur tour. Ajax était fougueux et violent; aujourd'hui c'est moi qui commande ; et je te défends de l'ensevelir, ou crains, en le mettant dans le tombeau, d'y tomber toi-même. LE CHOEUR. Ménélas, après avoir fait entendre de si sages maximes, ne sois pas toi-même outrageux envers les morts. TEUCER. Je ne m'étonnerai plus jamais qu'un homme qui n'est rien par sa naissance fasse quelque faute, lorsque des hommes qui se prétendent bien nés se permettent de semblables discours. Reprends en effet tes paroles dès le début : ne dis-tu pas l'avoir amené ici comme allié des Grecs ? Mais n'est-il pas venu de lui-même, libre et indépendant? Où as-tu été son chef? quand t'a-t-il été donné de commander les peuples qu'il tirait de sa patrie? Tu es venu comme roi de Sparte, et non comme le nôtre, et tu n'avais pas plus de droits sur lui qu'il n'en avait sur toi. Tu es toi-même venu ici comme subordonné, tu ne fus jamais le chef de l'armée entière, ni celui d'Ajax. Règne donc sur les tiens, et réprimande-les avec ces arrogantes paroles; mais Ajax, malgré ta défense ou celle de tout autre général, je l'ensevelirai comme je le dois, sans m'effrayer de tes menaces. Il ne combattait pas pour ton épouse, comme les mercenaires, mais pour les serments (72) par lesquels il s'est lié, et nullement pour toi; car il estimait trop peu les hommes sans mérite. Maintenant amène une escorte de hérauts, fais venir le général, je ne m'inquiéterai pas de tes jactances, tant que tu seras ce que tu es.
LE CHOEUR. MÉNÉLAS. Cet archer (73) a l'air de ne pas manquer d'orgueil. TEUCER. C'est que l'art où j'excelle n'est point un art méprisable. MÉNÉLAS. Quelle serait ta fierté, si tu portais le bouclier? TEUCER. Même sans armes, je te combattrais armé de toutes MÉNÉLAS. Oh ! que ta langue nourrit un terrible courage ! TEUCER. La fierté est permise, quand on a pour soi la justice. MÉNÉLAS. Est-il donc juste de faire triompher mon assassin? TEUCER. Ton assassin! la chose est étrange; tu es mort, et tu vis ! MÉNÉLAS. C'est qu'un dieu m'a sauvé, mais dans l'intention d'Ajax, j'étais mort. TEUCER. N'outrage donc pas les dieux, qui ont sauvé tes jours. MÉNÉLAS. Voudrais-je donc enfreindre leurs lois? TEUCER. Oui, en ne permettant pas d'ensevelir les morts. MÉNÉLAS. Ce sont mes propres ennemis; car la chose est mal séante. TEUCER. Est-ce qu'Ajax fut jamais ton ennemi ? 47 MÉNÉLAS. Notre haine était mutuelle, toi aussi tu le sais. TEUCER. Tu fus surpris à lui dérober des suffrages. MÉNÉLAS. Ce fut la faute des juges, et non la mienne. TEUCER. Tu saurais ourdir encore bien d'autres trames. MÉNÉLAS. Ce discours pourra coûter cher à quelqu'un. TEUCER. Pas plus, je pense, qu'il ne t'en coûtera à toi-même. MÉNÉLAS. Je ne te dis qu'un mot : on ne l'ensevelira point. TEUCER, Je ne répondrai qu'un mot : il sera enseveli. MÉNÉLAS. J'ai vu un homme hardi de la langue, qui encourageait les matelots à partir avec l'orage, mais qui, au fort de la tempête, semblait avoir perdu la voix, se cachait sous son manteau et se laissait fouler aux pieds par le dernier des matelots (74). Ainsi, toi et tes vaines clameurs, une tempête violente, éclatant du sein d'un, léger nuage, vous aura bientôt dissipés. TEUCER. Et moi, j'ai vu un homme, plein de folie, qui insultait aux maux des autres: un homme assez semblable à moi, et d'un caractère aussi peu endurant, lui dit : « Gardent toi de maltraiter les morts, sinon apprends que tu « seras puni. » Voilà les avis qu'il donnait à ce malheureux. Cet insensé, il est devant mes yeux, et, si je ne me trompe, c'est toi-même. Y a-t-il là quelque énigme? MÉNÉLAS. Je sors; car je rougirais qu'on me vît gourmander par des paroles celui que je puis réduire par la force. 48 TEUCER. Pars donc; car, moi, je rougis encore plus d'entendre un insensé débiter tant de sottises. ------------------------
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Χορός
Ἔσται μεγάλης ἔριδός τις ἀγών. Τεύκρος
Καὶ μὴν ἐς αὐτὸν καιρὸν οἵδε πλησίοι |
LE CHOEUR. D'une grande querelle sortira un combat. Mais ne perds pas de temps, ô Teucer ! hâte-toi de creuser une sépulture, où Ajax ait un tombeau cher à jamais à la mémoire des hommes. TEUCER. Mais voici fort à propos le fils et l'épouse d'Ajax, qui s'avancent pour honorer la tombe de ce guerrier malheureux. Approche, jeune enfant, et viens, dans une attitude suppliante, toucher le corps de celui qui t'a donné le jour; reste à ses genoux, tenant en main l'offrande religieuse de ma chevelure, celle de ta mère et la tienne. Si quelque homme de l'armée osait ici employer la violence pour te séparer de ce cadavre, que lui-même, pour prix de son crime, il gise loin de sa patrie, privé de sépulture, et soit retranché de sa race, comme ces cheveux que je coupe. Veille sur lui, mon enfant, que personne ne t'en sépare; garde-le, tiens-le étroitement embrassé. Et vous, montrez que vous êtes des hommes, veillez sur eux et défendez-les, jusqu'à ce que je revienne, après avoir préparé le tombeau d'Ajax, malgré leur résistance. (Il sort.) -------------------- |
Χορός
Τίς ἄρα νέατος ἐς πότε λήξει πολυπλάγκτων ἐτέων ἀριθμός,
Ὄφελε πρότερον αἰθέρα δῦναι μέγαν ἢ τὸν πολύκοινον Ἅιδαν
Ἐκεῖνος οὔτε στεφάνων
Καὶ πρὶν μὲν αἰὲν νυχίου |
LE CHOEUR. (Strophe 1.) Quelle sera donc la dernière de ces années malheureuses, et quand le temps cessera-t-il de ramener pour nous les souffrances toujours renaissantes des fatigues de la guerre, devant cette Troie superbe, ruine et opprobre des Grecs ? (Antistrophe 1.) Ah! que n'a-t-il disparu dans les airs ou dans la demeure commune de Pluton, celui qui en- 49 seigna aux Grecs l'usage funeste alarmes et les guerres mortelles ! O travaux sans cesse renaissants ! celui-là fut le fléau des hommes. {Strophe 2.) Celui-là m'a ravi la joie des couronnes et des coupes profondes, les doux accents de la flûte, hélas ! et les plaisirs nocturnes des amours. Il m'a privé des amours, oui, des amours; hélas! étendu sur ce rivage, dans mon abandon, je laisse mes cheveux s'abreuver des rosées fréquentes, triste souvenir de Troie ! (Antistrophe 2.) Autrefois, contre les craintes de la nuit et contre les traits ennemis, le vaillant Ajax était mon rempart; mais maintenant il est la proie d'une divinité odieuse (75). Quel plaisir me reste-t-il désormais? Que ne suis-je à l'ombre des bois qui couronnent le promontoire de Sunium et ses vagues retentissantes, pour saluer les murs sacrés d'Athènes ! ----------------
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Τεύκρος
Καὶ μὴν ἰδὼν ἔσπευσα τὸν στρατηλάτην Ἀγαμέμνων
Σὲ δὴ τὰ δεινὰ ῥήματ᾽ ἀγγέλλουσί μοι Χορός
Εἴθ᾽ ὑμὶν ἀμφοῖν νοῦς γένοιτο σωφρονεῖν· Τεύκρος
Φεῦ· τοῦ θανόντος ὡς ταχεῖά τις βροτοῖς |
TEUCER. J'ai hâté mon retour, j'ai aperçu le chef de l'armée Agamemnon, marchant vers ces lieux à pas précipités; son air m'annonce des paroles sinistres. AGAMEMNON. On m'annonce que tu oses impunément proférer contre nous des paroles outrageantes, toi, le fils d'une captive (76). Sans doute, si tu avais été nourri par une noble mère, tu étalerais bien de l'arrogance et tu marcherais la tête haute (77), puisque, toi qui n'es rien, tu as combattu pour un homme de rien ! A t'en croire, nous ne sommes les chefs ni de l'armée ni de la flotte, ni le tien ; et Ajax, en venant ici, ne dépendait que de lui-même. N'est-ce pas une honte d'entendre ce langage d'un esclave ? Et pour quel homme encore fais-tu éclater tant d'audace? Où a-t-il été? qu'a-t-il fait, que je n'aie fait moi-même ? Après lui, n'y a-t-il plus d'hommes parmi les Grecs? 50 Certes nous avons eu toit d'établir un combat pour les armes d'Achille, si, au dire de Teucer, nous sommes convaincus d'injustice, et si vous tous, quand vous avez été vaincus, loin de céder à la pluralité des vois, ne cessez de nous attaquer par des injures» ou de venger votre défaite par des perfidies. Et que deviendrait, après de tels exemples, la stabilité des lois, si, repoussant ceux qui ont été jugés dignes des prix, nous mettions les vaincus,à la première place? Mais cet état de choses ne peut se souffrir; car ce n'est ni la force du corps ni la haute stature qui fait notre puissance; c'est .la sagesse qui donne la supériorité en tous lieux. Le bœuf le plus robuste obéit au fouet léger qui le ramène dans le sillon. Je prévois qu'on pourrait bien t'appliquer aussi ce remède, si tu ne reviens à la raison; toi qui, pour homme privé de vie, et déjà une vaine ombre, nous insultes avec tant d'orgueil et d'audace. Ne sauras-tu te modérer? n'iras-tu pas, connaissant ta naissance, chercher quelque homme libre qui nous parle pour toi (78) ? Car e'est en vain que tu voudrais me parler, je ne te comprendrais pas; je n'entends point la langue des Barbares (79) ? LE CHOEUR. Puissiez-vous tous deux devenir raisonnables! je ne saurais vous rien dire de mieux. TEUCER. Hélas ! que la reconnaissance due aux morts s'écoule vite et s'efface de la mémoire des hommes, puisque tu n'obtiens point, ô Ajax, Je plus léger souvenir d'un homme pour qui, prodiguant ta vie, tu as si souvent bravé les hasards des combats! Mais tant de services 51 sont déjà perdus. Et toi qui tout à l'heure as prononcé de si folles paroles, as-tu donc oublié qu'enfermés dans vos retranchements, déjà dans la déroute commune, près de périr, Ajax seul vous délivra quand déjà la flamme dévorait la poupe de vos vaisseaux, et qu'Hector, franchissant vos fossés, s'élançait furieux sur les bancs des rameurs (80)? Qui alors les repoussa? n'est-ce pas lui, ce même Ajax, qui, selon toi, ne combattit jamais de pied ferme? Toutes ces actions ne sont-elles pas les siennes ? Et lorsque, pour combattre Hector seul à seul, il tira au sort, il n'attendit pas des ordres, il ne jeta pas dans le casque une boule de terre humide pour éviter la chance; il en mit une qui, par sa légèreté, dût sortir du casque la première (81). Voilà ce qu'il a fait, et j'étais avec lui, moi, vil esclave, fils d'une mère Barbare. Malheureux! quel est ton aveuglement, d'oser tenir un tel langage? Ignores-tu que ton aïeul, le vieux Pélops, fut un Barbare, un Phrygien? qu'Atrée ton père fut le plus impie des hommes, lui qui servit à son frère, dans un festin, les membres de ses propres enfants? Toi-même, tu naquis d'une Crétoise (82), que son père surprit en flagrant délit avec un homme, et ordonna de jeter dans la mer, pour être la pâture des poissons. Et, issu d'une telle famille, tu viens me reprocher ma naissance ! moi, fds de Télamon, de ce héros qui, en récompense de sa rare valeur, obtint ma mère pour sa compagne, reine par sa naissance, fille de Laomédon, glorieux présent donné 52 par le fils d'Alcmène ! Digne fils de cette noble race, laisserai-je déshonorer ceux qui sont issus du même sang, et que maintenant, dans une si grande infortune, tu veux priver de sépulture? et tu ne rougis pas de le dire? Mais sache-le bien, si tu te permets cet outrage contre lui, l'outrage nous sera commun à tous trois (83); puisque enfin il me sera plus glorieux de combattre et de mourir pour lui que pour ton épouse (84) ou celle de ton frère. Songes-y donc, ce n'est plus mon intérêt, mais le tien : si tu me fais la moindre offense, tu regretteras bientôt de n'avoir pas montré plus de timidité que d'audace contre moi. -----------------------------
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Χορός
Ἄναξ, Ὀδυσσεῦ, καιρὸν ἴσθ᾽ ἐληλυθώς, Ὀδυσσεύς
Τί δ᾽ ἔστιν, ἄνδρες; Τηλόθεν γὰρ ᾐσθόμην Ἀγαμέμνων
Οὐ γὰρ κλύοντές ἐσμεν αἰσχίστους λόγους, 1320 Ὀδυσσεύς
Ποίους; ἐγὼ γὰρ ἀνδρὶ συγγνώμην ἔχω Ἀγαμέμνων Ἤκουσεν αἰσχρά· δρῶν γὰρ ἦν τοιαῦτά με. Ὀδυσσεύς Τί γάρ σ᾽ ἔδρασεν, ὥστε καὶ βλάβην ἔχειν; 1325 Ἀγαμέμνων
Οὔ φησ᾽ ἐάσειν τόνδε τὸν νεκρὸν ταφῆς Ὀδυσσεύς
Ἔξεστιν οὖν εἰπόντι τἀληθῆ φίλῳ Ἀγαμέμνων
Εἴπ᾽· ἦ γὰρ εἴην οὐκ ἂν εὖ φρονῶν, ἐπεὶ 1330 Ὀδυσσεύς
Ἄκουέ νυν. Τὸν ἄνδρα τόνδε πρὸς θεῶν Ἀγαμέμνων Σὺ ταῦτ᾽, Ὀδυσσεῦ, τοῦδ᾽ ὑπερμαχεῖς ἐμοί; Ὀδυσσεύς Ἔγωγ᾽· ἐμίσουν δ᾽, ἡνίκ᾽ ἦν μισεῖν καλόν. Ἀγαμέμνων Οὐ γὰρ θανόντι καὶ προσεμβῆναί σε χρή; Ὀδυσσεύς Μὴ χαῖρ᾽, Ἀτρείδη, κέρδεσιν τοῖς μὴ καλοῖς. Ἀγαμέμνων Τόν τοι τύραννον εὐσεβεῖν οὐ ῥᾴδιον. 1350 Ὀδυσσεύς Ἀλλ᾽ εὖ λέγουσι τοῖς φίλοις τιμὰς νέμειν. Ἀγαμέμνων Κλύειν τὸν ἐσθλὸν ἄνδρα χρὴ τῶν ἐν τέλει. Ὀδυσσεύς Παῦσαι· κρατεῖς τοι τῶν φίλων νικώμενος. Ἀγαμέμνων Μέμνησ᾽ ὁποίῳ φωτὶ τὴν χάριν δίδως. Ὀδυσσεύς Ὅδ᾽ ἐχθρὸς ἁνήρ, ἀλλὰ γενναῖός ποτ᾽ ἦν. 1355 Ἀγαμέμνων Τί ποτε ποήσεις; Ἐχθρὸν ὧδ᾽ αἰδεῖ νέκυν; Ὀδυσσεύς Νικᾷ γὰρ ἁρετή με τῆς ἔχθρας πολύ. Ἀγαμέμνων Τοιοίδε μέντοι φῶτες ἔμπληκτοι βροτῶν. Ὀδυσσεύς Ἦ κάρτα πολλοὶ νῦν φίλοι καὖθις πικροί. Ἀγαμέμνων Τοιούσδ᾽ ἐπαινεῖς δῆτα σὺ κτᾶσθαι φίλους; 1360 Ὀδυσσεύς Σκληρὰν ἐπαινεῖν οὐ φιλῶ ψυχὴν ἐγώ. Ἀγαμέμνων ἡμᾶς σὺ δειλοὺς τῇδε θἠμέρᾳ φανεῖς. Ὀδυσσεύς Ἄνδρας μὲν οὖν Ἕλλησι πᾶσιν ἐνδίκους. Ἀγαμέμνων Ἄνωγας οὖν με τὸν νεκρὸν θάπτειν ἐᾶν; Ὀδυσσεύς Ἔγωγε· καὶ γὰρ αὐτὸς ἐνθάδ᾽ ἵξομαι. 1365 Ἀγαμέμνων Ἡ πάνθ᾽ ὅμοια πᾶς ἀνὴρ αὑτῷ πονεῖ. Ὀδυσσεύς Τῷ γάρ με μᾶλλον εἰκὸς ἢ ᾽μαυτῷ πονεῖν; Ἀγαμέμνων Σὸν ἆρα τοὔργον, οὐκ ἐμὸν κεκλήσεται. Ὀδυσσεύς Ὡς ἂν ποήσῃς, πανταχῇ χρηστός γ᾽ ἔσει. Ἀγαμέμνων
Ἀλλ᾽ εὖ γε μέντοι τοῦτ᾽ ἐπίστασ᾽ ὡς ἐγὼ 1370 |
LE CHOEUR. Ô roi Ulysse, sache que tu es venu à propos, si c'est pour terminer et non pour aigrir leur dispute. ULYSSE. Qu'y a-t-il ? j'ai en effet entendu de loin les cris des Atrides sur ce mort vaillant. AGAMEMNON. N'avons-nous pas, ô Ulysse, entendu tout à l'heure d'insolents discours de la bouche de cet homme? ULYSSE. Quels discours? car je pardonne à l'homme qu'on injurie de répondre par d'autres outrages. AGAMEMNON. Je l'ai traité avec mépris, comme il m'avait traité moi-même. ULYSSE. Qu'a-t-il donc fait qui dût t'offenser ? AGAMEMNON. Il prétend ne pas laisser ce corps sans sépulture, et même il prétend l'ensevelir malgré moi. 53 ULYSSE. Est-il permis à un ami de te dire la vérité, sans rompre l'accord qui règne entre nous? AGAMEMNON. Parle; autrement je serais bien insensé, moi qui te regarde comme l'ami le plus cher que j'aie parmi les Grecs. ULYSSE. Écoute donc. Je te conjure par les dieux de ne pas priver si inhumainement cet homme de la sépulture; ne te laisse pas emporter par la violence à un degré de haine qui te fasse fouler aux pieds la justice. Sans doute, il fut, dans l'armée, le plus ardent de mes ennemis, depuis le jour où je remportai les armes d'Achille; cependant, quel qu'il ait été à mon égard, je ne lui ferai point l'injustice de nier qu'il fut après Achille le plus brave des Grecs qui sommes venus devant Troie. Tu serais donc injuste de le priver des honneurs auxquels il a droit; car ce serait offenser, non pas lui, mais les lois divines. L'homme de bien ne doit pas poursuivre, après la mort, celui même dont il aurait été l'ennemi pendant sa vie. AGAMEMNON. Ainsi, Ulysse, tu prends sa défense contre moi? ULYSSE. Sans doute; je haïssais, quand il était beau de haïr. AGAMEMNON. Toi aussi, ne dois-tu pas triompher du mort? ULYSSE. O Atride! ne t'applaudis pas d'un indigne avantage. AGAMEMNON. Il n'est pas facile à un roi d'être juste. ULYSSE. Mais il est facile d'écouter les conseils de sages amis. AGAMEMNON. L'homme de bien doit obéir à ceux qui ont le pouvoir. 54 ULYSSE. Cesse ce langage ; c'est vaincre que de céder à ses amis. AGAMEMNON. Souviens-toi quel fut l'homme que tu veux épargner. ULYSSE. Il fut mon ennemi, mais il était généreux. AGAMEMNON. Que prétends-tu donc? respectes-tu à ce point un ennemi mort? ULYSSE. La vertu est plus puissante sur moi que la haine. AGAMEMNON. Les hommes ainsi faits sont des mortels inconstants. ULYSSE. Que de gens, amis aujourd'hui, qui demain seront ennemis! AGAMEMNON. Approuves-tu donc qu'on ait de tels amis? ULYSSE. Je n'ai pas l'habitude d'approuver une âme inflexible. AGAMEMNON. Tu feras si bien, que nous passerons aujourd'hui pour des lâches. ULYSSE; Non, mais pour des hommes justes, aux yeux de tous les Grecs. AGAMEMNON. Tu me conseilles donc de laisser ensevelir ce cadavre? ULYSSE. Oui ; ne descendrai-je pas moi-même un jour au tombeau? AGAMEMNON. Ainsi chacun n'agit que dans son propre intérêt. ULYSSE. Quel intérêt servirais-je plutôt que le mien? 55 AGAMEMNON. On dira que ce fut ton œuvre, et non la mienne. ULYSSE. Quoi que tu fasses, tu seras partout un homme de bien. AGAMEMNON. Sache bien cependant qu'il n'est point de service plus grand que je ne sois prêt à te rendre; mais lui, et sur cette terre et dans les enfers (85), il me sera toujours également odieux, toi, tu peux agir à ton gré. (Il sort.) ---------------- |
Χορός
Ὅστις σ᾽, Ὀδυσσεῦ, μὴ λέγει γνώμῃ σοφὸν Ὀδυσσεύς
Καὶ νῦν γε Τεύκρῳ τἀπὸ τοῦδ᾽ ἀγγέλλομαι, Τεύκρος
Ἄριστ᾽ Ὀδυσσεῦ, πάντ᾽ ἔχω σ᾽ ἐπαινέσαι Ὀδυσσεύς
Ἀλλ᾽ ἤθελον μέν· εἰ δὲ μή ᾽στί σοι φίλον 1400 |
LE CHOEUR. Qui voudrait, Ulysse, te disputer le titre de sage, quand tu lé montres ainsi, serait un insensé. ULYSSE. Et maintenant je déclare désormais à Teucer que je suis l*ami d'Ajax autant que j'étais son ennemi. Je veux honorer avec vous ses funérailles, lui rendre mes soins, lie rien négliger enfin des devoirs que tes mortels doivent aux grands hommes. TEUCER. Généreux Ulysse, je puis te combler d'éloges; tu as bien démenti mes craintes. Tu étais pour lui le plus odieux des Grecs, et tu es le seul qui lui portes secours; seul, tu n'as point consenti à insulter son cadavre, comme ce général en délire et son frère, qui voulaient le priver ignominieusement de sépulture. Puisse Jupiter, maître de l'Olympe, et l'implacable Érinnys, et la Justice, dispensatrice des châtiments, punir ces méchants, comme ils le méritent, de l'indigne outrage qu'ils ont voulu faire à ce héros ! Pour toi, fils du vieux Laërte, je n'ose te laisser toucher à ce tombeau, dans la crainte de déplaire à l'ombre d'Ajax; mais j'accepte tes autres secours, et si tu veux amener quelqu'un de tes guerriers, 56 nous le verrons sans peine : c'est moi qui exécuterai le reste ; sache que tu t'es montré envers nous comme un homme de bien. ULYSSE. Je voulais du moins accomplir ce devoir ; mais s'il ne t'est pas agréable que j'y prenne part, je me retire en t'approuvant. (Il sort.) --------------
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Τεύκρος
Ἅλις· ἤδη γὰρ πολὺς ἐκτέταται Χορός
Ἦ πολλὰ βροτοῖς ἔστιν ἰδοῦσιν |
TEUCER. C'est assez ; trop de temps s'est déjà écoulé. Hâtez-vous de creuser une tombe ; vous, placez sur la flamme un trépied profond, pour le bain sacré; qu'une troupe de guerriers aille chercher son armure dans sa tente. Toi, jeune enfant, embrasse avec tendresse les flancs de ton père, et soulève-les avec moi, autant que tes forces le permettent. Le sang noir qu'il rejette de sa bouche n'a pas encore perdu sa chaleur. Vous tous, ses amis, venez, accourez ; rendez les derniers devoirs à cet homme qui rassemblait toutes les vertus, et qu'aucun mortel, j'ose le dire, ne surpassait de son vivant (86). LE CHOEUR. Certes, l'expérience apprend des choses aux mortels; mais avant d'en avoir été témoin, nul devin n'en peut prévoir l'issue (87).. FIN D'AJAX.
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NOTES
(01) Eschyle avait fait également une tragédie intitulée Ajax le Locrien, dont un seul fragment, qui ne forme pas même un vers complet, a été conservé par Zénobius. Proverbe VI, 14. (02) Voyez Iliade, ch. VIII, v. 222-6 ; et ch. XI, v. 5-9. Ajax et Achille occupaient les deux extrémités du camp. (03) Minerve apparaissait sans doute dans les airs, portée sur une machine. Les éditeurs diffèrent d'avis sur la question de savoir si Ulysse voit Minerve, ou s'il ne fait que l'entendre ; ce qui dépend de la manière de traduire le mot ἄποττος, invisible, ou bien qui se voit de loin. M. Boissonade pense qu'Ulysse voit et entend la déesse. Plus bas, Ajax la verra aussi. Hermann est du même avis. Brunck, et les éditeurs les plus récents, Wunder et Bothe, d'accord avec le Scholiaste, pensent que Minerve est invisible à Ulysse. J'ai adopté leur opinion. Dans l'Hippolyte d'Euripide, Diane, qui apparaît à la dernière scène, s'adresse à Thésée et a son fils, sans être vue par eux. De même, dans le Rhésus la voix de Minerve se fait entendre à Ulysse et à Diomède, qui ont pénétré la nuit dans le camp des Grecs, mais ils ne la voient pas. (04) Virgile, Enéide, VIII, v. 526 : Tyrrhenusque tubae mugiresser aethera clangor. Stace, Thébaïde, III, v. 650 Et tua non unquam Tyrrhenus tempora circum clangor eat; et Silius Italicus, II, 19 : Tyrrhenae clangore tubae. (5) Au dixième chant de l'Iliade, v.273-280, Ulysse adresse à Minerve une, invocation semblable. (6) CELSE, I. IV, c. 8 : «Quidam imaginibus falluntur, qualem insanientem Ajacem vel Orestem poetarum fabulae ferunt. ». (7) Littéralement : « N'est-ce pas le rire le plus deux que de rire de ses ennemis?» (8) Πάγχρυσοις, d'or massif (9) Dans le texte : « Ce châtiment, et non on autreI... (10) Ceci rappelle l'expression de Pindare : « L'homme est le songe d'une ombre» {Pyth., viii, 135), et un fragment à l'Ajax le Locrien. (11) Le texte dit : « L'œil de la colombe. » En effet l'œil des oiseaux timides est un indice de leur crainte. Un des scholiastes fait cette remarque : « Lorsque la colombe entend quelque bruit, elle cligne des yeux. » (12) Les six vers qui précèdent semblent dirigés contre le caractère léger et frondeur de la démocratie athénienne. il paraîtrait d'après cela que Sophocle, comme presque tous les hommes supérieurs d'Athènes, penchait pour l'Aristocratie, (13) « Diane traînée par des taureaux. » Le scholiaste donne les explications suivantes de l'épithète grecque : « Appelée Ταυροπόλα, soit parée que « son culte est établi à Tauris, en Scytbie ; soit parce qu'elle est protectice des bergers ; soit parce qu'elle est la même que la Lune, et qu'elle est traînée par des taureaux, d'où on l'appelle aussi ταυρωπόν. » On peut voir aussi dans Euripide, Iphigénie en Tauride, v. 1429. (14) Μᾶτερ αἰσχύνας ἐμᾶς. Cette expression se retrouve dans le Philoctète, v. 1360 : « Ceux dont la pensée est une mère de crimes, » (15) Ulysse était peur mère Aaticlée qui, déjà fiancée à Laërte, passait pour avoir été violée par Sisyphe. Voir un fragment d'Eschyle, Ὅπλων κρίσις, Jugement des armes (fragm. 148; éd. Didot); le Cyclope d'Euripide, v. 103-4 : « Ulysse d'Ithaque, le roi des Céphaloniens. — Je connais un moulin à paroles, odieuse race de Sisyphe. » (16) On sait les titres fabuleux que Solon fit valoir pour assurer à Athènes la possession de Salamine ; on les trouve dans Plutarque, Vie de Solon, c. 13. Ajax avait à Athènes un autel, que Pausanias y vit encore {Attica, c.. 5). Les familles de Miltiade et d'Alcibiade rattachaient même leur origine à la postérité d'Ajax. (Plutarque, Vie d'Alcibiade, c. 5, et Marcellin, Vie de Thucydide, c. 4.) (17) Le texte ajoute : « Aux robustes épaules. » C'est une épithète homérique, lliad., III, 225. (18) Le texte ajoute : « et pas un homme, » (19) Le supplice de la lapidation, dont Homère dit (Iliade, III, v. 57): Λαῖνον ἴσσο χιτῶνα. (20) Ici, Tecmesse vient d'entr'ouvrir la tente d'Ajax, et de le voir plus calme, mais profondément attristé. (21) Littéralement: « auxquelles nul autre n'a pris part. » (22) Le texte ajoute : « de simple qu'elle était. » (23) Il y a dans le texte : « à deux tranchants. » (24) Plaute, Rudens, a. IV, sc. 4, v. 70 : Eo tacent quia tacita bona est mulier semper, quam loquens. (25) Ici, les portes de la lente s'ouvrent, au moyen de l'ekeyelème, et l'on voit Ajax sanglant au milieu des troupeaux égorgés. (26) Le dialogue du Chœur et de Tecmesse, qui entrecoupe ces chants lyriques d'Ajax, est toujours en ïambes trimètres. (27) La même pensée est exprimée dans les Trachiniennes, v. 742 (28) Dans Ovide, Métam. XIII, v. 21, il rappelle cette origine : Sic ab Jove terlius Ajax. (29) Didon, Enéide, IV, 606, dit aussi : Cum genere exstinxem, memet super ipsi dedissem. (30) Stace, Thébaïde, I, v. 57, fait aussi parler Œdipe :
Tuque umbrifuro Styx livida fundo (31) J'adopte la correction de Dlndorf, éd. F. Didot : Τίσις δ' ὁμοῦ πέλει, (32) Les lettres grecques qui-forment le nom d'Ajax contiennent en même temps une exclamation douloureuse, jeu de mot intraduisible, Néanmoins Ovide le reproduit dans ses Métamorphoses, XIII, v. 394, et X, v. 215 :
Ipse suos foliis gemitus inscribit, et AI AI (33) « C'est maintenant qu'il me faut deux on trois fois αἰᾴζειν.» (34) La fille de Laomédon, Hésione, que Télamon reçut mains d'Hercule, eτ dont il eut Teucer. (35) Littéralement ; « jamais ils n'auraient porté contre un autre mortel un tel jugement. .» (36) Mouvement imité de l'entrevue d'Andromaque et d'Hector dans Homère. ^ (37) J'ai adopté les corrections proposées par Bothe et Wunder, et reçues dans l'édition de F. Didot. — Ce passage rappelle la prière d'Andromaque à Hector, au 6e chant de l'Iliade, v. 413-4. (38) Τερπνὸν εἴ τί που πάθοι. Il y a beaucoup de grâce dans cette expression réservée, que semble avoir imitée Virgile, lorsqu'il fait dire à Didon {Enéid., IV, 317):
Fuit aut tibi quidquam (39) Ici encore, nous retrouvons les vœux que fait Hector pour son jeune fils Astyanax, 6e chant de l'Iliade, v. 476 ët suivants. Énée dit de même au jeune Iule :
Duce, puer, virtutem ex me verumque laborem, On conserve à la bibliothèque Impériale un exemplaire de Sophocle enrichi des notes de Racine, dont l'admiration s'exprime aussi par des essais de traduction. Il avait ainsi rendu ce passage :
Ο mon fils, sois un jour plus heureux que ton père! (40) Ce vers a été retranché par Elmsley et par Dindorf, éd. F. Didot. (41) On sait que les anciens tiraient souvent leur nom de quelque circonstance particulière. Eurysacès signifie large bouclier (42) On croyait guérir certaines maladies ou certaines blessures par des charmes et des enchantements. (43) Littéralement : « Ta langue aiguisée ne me plaît pas. » (44) Pendant le Chœur suivant, Ajax reste sur la scène, réfléchissant aux moyens de se donner la mort. (45) 3 Le texte ajoute : mot qui désignait dans les jeux publics le combattant prêt à prendre la place du vaincu, et à lutter avec le vainqueur. (Voy. le Rhésus d'Euripide, v. 119 et 954; les Grenouilles d'Aristophane, v. 792. (46) Le fait est rapporté dans l'Iliade, VII, v. 303-305. (47) La même pensée est exprimée en termes assez semblables dans la Médée d'Euripide, v. 500. S. Clément d'Alexandrie (Stromat., l. VI, p. 740) dit qu'ici Sophocle a imité Euripide. Il faudrait en conclure que l'Ajax est postérieure la Médée. (48) Ce mot vénérer, σέβειν, appliqué aux Atrides, et non aux dieux, n'est pas sans amertume. (49) Aristote (Rhet., ΙΙ, 11, 13 et 22) attribue cette maxime à Bias. (Voir aussi Cicéron, de Amic. 16.) (50) Ces dernières paroles sont à double sens. Ajax fait allusion au coup mortel dont il veut se frapper, tandis que le Chœur les prend pour une assurance de salut. (51) Principale montagne de l'Arcadie, où Pan était en honneur. (52) A Nysa c'étaient les danses de Bacchus, à Gnosse celles des Corybantes. Pan, deus Arcadiœ, venit Plus haut, le Chœur l'appelle ἀλίπλαγκτε, qui parcourt les mers, parce qu'il avait des autels &ur les promontoires, au dire des Scholiastes. (53) L'Olympe, ou l'Ida. (54) Le Scholiaste dît que ce vers était devenu proverbe, et qu'il a été cité par Aristophane. Il ne se trouve pas du moins dans les pièces qui nous restent de lui. (55) V. 785, ξυρεῖ γὰρ ἐν χρῷ τοῦτο, le rasoir touche à la peau ; c'est-à-dire le danger est imminent. Locution proverbiale. (Voy. Antigone, vers 996, et Lucien, Jupiter trag., commencement.) (56) C'est la seule pièce de Sophocle où le Chœur quitte la scène ayant la fin de l'action. Il y avait nécessairement ici un changement de décoration ; le Scholiaste l'indique, et il ajoute que le théâtre représente un lieu désert, sur le rivage de la mer. A tort Dupuis, un des traducteurs de Sophocle, et Barthélémy, Voyage d'Ànacharsis, ont voulu maintenir ici l'unité de lieu. Les Grecs ne se faisaient pas scrupule d'y manquer, lorsque les besoins de l'action l'exigeaient. (57) Littéralement : « Si l'on a encore le loisir de considérer ceci. » (58) « Aiguisé récemment sur la pierre qui use le fer. » (59) Εὐνούστατον, t très-bienveillant. » C'est de l'épée d'Hector qu'il parle ainsi. (60) Sa mère Euribœa. (61) Διφευτὴν, conducteur de char, (62) Voyex la note sur le vers 202, à l'entrée de Tecmesse sur la scène. (63) Qui se jettent dans l'Ηellespont (64) «Dans l'état où sont les choses. » (65) Voir plus haut la note sur le vers 430. (66) Νόθος, bâtard. A Athènes, était réputé illégitime celui qui, né d'un père athénien, avait pour mère une étrangère ; et, d'après les lois de Solon, il ne jouissait pas du droit de cité. (67) On voit qu'ici Sophocle s'écarte en plusieurs points du récit d'Homère, Iliade, ch. XXII. (68) Les anciens voyaient dans ces coïncidences fortuites un signe de l'intervention des dieux. (69) Le scholiaste remarque que le poëte donne ici à Ménélas le ton arrogant qui était dans son caractère. On peut ajouter que l'esprit athénien attribuait quelque chose de grossier à tout ce qui tenait de Sparte. (70) Ἀνάλωσας, « as-tu dépensé. » Euripide, dans les Suppliantes, v. 547, a employé une expression semblable : Σπαιόνηγε τἀνάλωμα τῆς γλώσσης τὸδε. c'est là une dépense inepte de paroles. » (71) 1 Le scholiaste cite un fragment d'Épicharme : Ἔνθα δέος, ἐνταῦθα και αἰδώς « Où est la crainte là est aussi le respect. » Platon, dans l'Eutyphron, c. 13, cite deux vers des Cypriaques de Stasinos, où se trouve la même idée ; mais. Il retourne ainsi la pensée : « Où est le respect, là est aussi la crainte. » Plu tarque, Vie de Cléoméne, c. 9» cite aussi le passage d'Épicharme. (72) Le scholiaste rapporte que Tyndare, père d'Hélène, avait exigé des prétendants qui se disputaient la main de sa fille, de s'engager par serment à secourir celui d'entre eux qui serait choisi pour époux, dans le cas où un ravisseur voudrait lui enlever sa femme. Ajax avait été un des prétendants. (73) Les archers étaient moins estimés que les autres soldats. Dans Philoctète (v. 1057), Ulysse cite Teucer comme le plus habile archer de l'armée. Dans l'Hercule furieux d'Euripide, v. 159-164, Lycos parle avec mépris des archers. (74) Platon, dans son Thèœtète, a imité ce passage de l'Ajax, (Voir la traduction de M. Cousin, t. II, p. 178.) (75) De Pluton. (76) C'est-à-dire d'Hésione. (77) Κἀπ' ἄκρων ὠδοιπορεῖς ώ&οικορΐς, « tu marcherais sur l'extrémité des doigts. » (78) L'intention de ces propos est des plus insultantes. Le scholiaste rappelle une loi d'Athènes qui défendait à ceux qui étaient nés d'une esclave de prendre la parole en public. Il fallait être citoyen pour avoir ce droit; or, il paraît qu'au temps de Sophocle, on ne reconnaissait comme citoyens que ceux dont te père et la mère avaient eux-mêmes le droit de cité. (79) Hésione, mère de Teucer, était Phrygienne. (80) Voir Iliade, ch. XV. (81) Il est à propos de se reporter au passage d'Homère (Iliade, ch. VI, 171-190), pour-voir comment se faisait un tirage au sort, dans les temps héroïques. Chacun prenait ou un caillou, ou un petit brin de bois, auquel il faisait une marque particulière, et le déposait dans un casque. Puis, par une secousse donnée au casque, on faisait sortir un de ces signes ou sorts (κλήρον), qui désignait celui qui l'avait déposé. (82) Aerope. Elle fut séduite par un serviteur de son père. Celui-ci chargea Nauplios de la précipiter à la mer. Nauplios, au lieu de la faire mourir, lui conserva la vie et la remit à Plisthène. Ce sujet avait été traité par Euripide dans les Crétoises. (83) Eurysacès, Tecmesse et lui. (84 Il semble ignorer pour quelle femme on fait la guerre ; c'est le langage de la passion. (85) C'est-à-dire, vivant ou mort. (86) Ce dernier vers a été supprimé, dans l'édition de Dindorf.
(87) Le scholiaste dit que le Chœur, en prononçant ces paroles,
se
mettait en devoir de rendre à Ajax les honneurs funèbres ; la pompe
de cette cérémonie terminait le spectacle. |