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NOTICE SUR ALCESTE.
Le passage suivant du Banquet de Platon expose fort bien le sujet de la tragédie d'Euripide :
« Non seulement des hommes, mais des femmes même ont donné leur vie pour sauver ce qu'elles aimaient ; témoin Alceste, fille de Pélias : dans toute la Grèce, il ne se trouva qu'elle qui voulût mourir pour son époux, quoiqu'il eût son père et sa mère. L'amour de l'amante surpassa de si loin leur amitié, qu'elle les déclara, pour ainsi dire, des étrangers à l'égard de leur fils ; il semblait qu'ils ne fussent ses proches que de nom. Aussi, quoiqu'il se soit fait dans le monde un grand nombre de belles actions, celle d'Alceste a paru si belle aux dieux et aux hommes, qu'elle a mérité une récompense qui n'a été accordée qu'à un très petit nombre. Les dieux, charmés de son courage, lui rendirent avec l'âme de son époux la sienne propre : tant il est vrai qu'un amour noble et généreux se l'ait estimer des dieux mêmes. »
Dans Alceste nous voyons donc l'héroïsme de l'amour conjugal, et en même temps Admète représente ce qu'on peut appeler l'héroïsme de l'hospitalité. Il se fait violence pour cacher sa douleur, il retient ses larmes, il défend même à ses serviteurs de pleurer, pour empêcher Hercule de deviner que la mort d'Alceste est la cause du deuil qui règne dans sa maison ; car alors le héros se ferait scrupule de prendre place à son foyer et de s'asseoir à sa table : et quelle tache pour l'honneur d'Admète, si l'on pouvait dire que jamais un hôte ait frappé en vain à sa porte ! Il faut se transporter dans ces temps où régnaient des mœurs et des idées bien differentes des nôtres, pour comprendre l'antique vertu de l'hospitalité, et le respect religieux avec lequel ses lois étaient observées.
Le rôle d'Hercule, dont le poêle a fait d'abord une espèce de bouffon, et dont les serviteurs d'Admète nous peignent sous un jour ridicule la voracité, les instincts sensuels et vulgaires, devient noble, généreux et grand, dans la dernière partie de la pièce, lorsqu'il apprend que c'est Alceste qui est morte, et qu'il prend la résolution de la ravir au tombeau, et de la disputer à la Mort même.
Parmi les scènes qui peuvent
offrir quelque chose de choquant pour nos mœurs modernes, il
faut citer la dispute entre Admète et son père, qui, malgré son
grand âge, n'a pas voulu sacrifier un reste de vie pour sauver
les jours de son fils. Les reproches d'Admèle sont bien
violents, il faut l'avouer ; il accuse son père de lâcheté, et,
comme dit Pnérès, ses outrages passent les bornes. D'un autre
côté, cette peur de mourir si naïvement avouée, cet amour de la
vie exprimé avec un entêtement opiniâtre, ont quelque chose de
bas et d'indigne d'un homme, ainsi que le dit Admète. Mais les
anciens ne reculaient pas devant l'expression d'un sentiment
vrai, fût-il vulgaire.
La pièce s'ouvre par un prologue, où Apollon. devenu berger chez
Admète, fait connaître qu'il l'a déjà sauvé de la mort en
trompant les Parques ; mais un autre a dû prendre sa place, et
Alceste s'est dévouée. La Mort vient réclamer sa proie. Quelque
étrange que soit ce dialogue de la Mort et d'Apollon, il est du
moins dramatique et saisissant. L'action réelle, le drame humain
commence quand le Chœur, c'est-à-dire le peuple, vient devant le
palais s'informer de l'état d'Alceste, cette femme que sa
tendresse pour son époux rend l'objet de l'admiration publique.
C'est là une scène tout à fait prise dans le vrai et dans la
nature.
Les derniers adieux d'Alceste et d'Admète sont d'une beauté incomparable : la peinture de cet amour mutuel s'élève jusqu'au sublime. En nous retraçant cette affection qui suit nue épouse bien-aimée par delà le tombeau, Euripide a fait entendre les accents les plus vrais que In poésie ait jamais trouvés pour exprimer la tendresse conjugale.
La simplicité même de l'action est ici une preuve de tact de la part du poète, qui n'a pas voulu mêler d'incidents étrangers au dévouement de son héroïne.
On sait que Racine regardait le sujet d'Alceste comme un des plus beaux du théâtre grec ; on assure même qu'il avait entrepris de le traiter, et qu'avant de mourir il détruisit par scrupule religieux les parties qu'il avait achevées. Perte à jamais regrettable, quand on pense à l'admirable transformation que l'auteur de Phèdre et d'Iphigénie avait subir aux beautés dramatiques d'Euripide.
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ALCESTE PERSONNAGES. APOLLON. LA MORT. ALCESTE. LE CHOEUR, composé de vieillards de Phère. UNE SERVANTE. ALCESTE. ADMETE. EUMÉLUS, HERCULE. PHÉRÈS. Un Serviteur. La scène est devant le palais d'Admète. dans la ville de Phère en Thessalie. --------------------------------------------- |
Άλκηστις ΑΠΟΛΛΩΝ
Ὦ δώματ΄ Ἀδμήτει΄͵ ἐν οἷς ἔτλην ἐγὼ ΘΑΝΑΤΟΣ
Ἆ ἆ· ΑΠΟΛΛΩΝ Θάρσει· δίκην τοι καὶ λόγους κεδνοὺς ἔχω. ΘΑΝΑΤΟΣ Τί δῆτα τόξων ἔργον͵ εἰ δίκην ἔχεις; ΑΠΟΛΛΩΝ Σύνηθες αἰεὶ ταῦτα βαστάζειν ἐμοί. 40 ΘΑΝΑΤΟΣ Καὶ τοῖσδέ γ΄ οἴκοις ἐκδίκως προσωφελεῖν. ΑΠΟΛΛΩΝ Φίλου γὰρ ἀνδρὸς συμφοραῖς βαρύνομαι. ΘΑΝΑΤΟΣ Καὶ νοσφιεῖς με τοῦδε δευτέρου νεκροῦ; ΑΠΟΛΛΩΝ Ἀλλ΄ οὐδ΄ ἐκεῖνον πρὸς βίαν σ΄ ἀφειλόμην. ΘΑΝΑΤΟΣ Πῶς οὖν ὑπὲρ γῆς ἐστι κοὐ κάτω χθονός; 45 ΑΠΟΛΛΩΝ Δάμαρτ΄ ἀμείψας͵ ἣν σὺ νῦν ἥκεις μέτα. ΘΑΝΑΤΟΣ Κἀπάξομαί γε νερτέραν ὑπὸ χθόνα. ΑΠΟΛΛΩΝ Λαβὼν ἴθ΄· οὐ γὰρ οἶδ΄ ἂν εἰ πείσαιμί σε. ΘΑΝΑΤΟΣ Κτείνειν γ΄ ὃν ἂν χρῆι; τοῦτο γὰρ τετάγμεθα. ΑΠΟΛΛΩΝ Οὔκ͵ ἀλλὰ τοῖς μέλλουσι θάνατον ἀμβαλεῖν. 50 ΘΑΝΑΤΟΣ Ἔχω λόγον δὴ καὶ προθυμίαν σέθεν. ΑΠΟΛΛΩΝ Ἔστ΄ οὖν ὅπως Ἄλκηστις ἐς γῆρας μόλοι; ΘΑΝΑΤΟΣ Οὐκ ἔστι· τιμαῖς κἀμὲ τέρπεσθαι δόκει. ΑΠΟΛΛΩΝ Οὔτοι πλέον γ΄ ἂν ἢ μίαν ψυχὴν λάβοις. ΘΑΝΑΤΟΣ Νέων φθινόντων μεῖζον ἄρνυμαι γέρας. 55 ΑΠΟΛΛΩΝ Κἂν γραῦς ὄληται͵ πλουσίως ταφήσεται. ΘΑΝΑΤΟΣ Πρὸς τῶν ἐχόντων͵ Φοῖβε͵ τὸν νόμον τίθης. ΑΠΟΛΛΩΝ Πῶς εἶπας; ἀλλ΄ ἦ καὶ σοφὸς λέληθας ὤν; ΘΑΝΑΤΟΣ Ὠνοῖντ΄ ἂν οἷς πάρεστι γηραιοὶ θανεῖν. ΑΠΟΛΛΩΝ Οὔκουν δοκεῖ σοι τήνδε μοι δοῦναι χάριν; 60 ΘΑΝΑΤΟΣ Οὐ δῆτ΄· ἐπίστασαι δὲ τοὺς ἐμοὺς τρόπους. ΑΠΟΛΛΩΝ Ἐχθρούς γε θνητοῖς καὶ θεοῖς στυγουμένους. ΘΑΝΑΤΟΣ Οὐκ ἂν δύναιο πάντ΄ ἔχειν ἃ μή σε δεῖ. ΑΠΟΛΛΩΝ
Ἦ μὴν σὺ πείσηι καίπερ ὠμὸς ὢν ἄγαν· ΘΑΝΑΤΟΣ
Πόλλ΄ ἂν σὺ λέξας οὐδὲν ἂν πλέον λάβοις· |
APOLLON.
Ô
palais d'Admète, où j'ai dû me contenter de la table des
mercenaires, tout dieu que je suis ! Jupiter en fut cause, en
tuant mon fils Esculape, contre lequel il lança la foudre : dans
mon ressentiment, je tue les Cyclopes, qui fabriquaient le feu
céleste ; et, pour m'en punir, LA MORT. Ah ! ah ! ah ! que fais-tu auprès de ce palais ? pourquoi rôdes-tu ici, Apollon ? tu violes encore la justice, en dérobant et en ravissant aux dieux infernaux leurs prérogatives. Ne te suffit-il pas d'avoir empêché la mort d'Admète, en trompant les Parques par tes artifices ? Et maintenant, la main armée de ton arc, tu veilles encore sur la fille de Pélias, qui a promis, en délivrant son époux, de mourir elle-même à sa place. APOLLON . Rassure-toi ; je ne demande rien que de juste et de raisonnable. LA MORT. À quoi bon cet arc, si tu ne veux que la justice ? APOLLON. C'est toujours mon habitude de le porter. LA MORT. Et de prêter à cette maison un injuste secours. APOLLON. Je souffre en effet des malheurs d'un homme que j'aime. LA MORT. Et tu veux me dérober ce second mort ? APOLLON. Mais je ne t'ai pas même enlevé l'autre de force. LA MORT. Pourquoi donc Admète est-il encore sur la terre, et non dans les enfers ? APOLLON. Il a donné en échange son épouse, que tu viens chercher à présent. LA MORT. Et je l'emmènerai au fond des enfers. APOLLON. Prends-la donc, et va-t'en ; car je ne sais si je te persuaderais... LA MORT. De tuer celui qui m'appartenait ? Pour cela, je suis prête. APOLLON. Non ; mais d'enlever ceux qui tardent à mourir (2). LA MORT. Je comprends ta pensée et ton désir. APOLLON. Eh bien ! y a-t-il moyen qu'Alceste parvienne à la vieillesse ? LA MORT. Non : je veux aussi jouir de mes prérogatives. APOLLON. Du moins, tu ne pourras toujours disposer que d'une seule vie. LA MORT. Quand les morts sont jeunes, ma gloire en est plus grande. APOLLON. Si elle meurt vieille, elle sera ensevelie avec plus de magnificence. LA MORT. Apollon, cela n'est bon que pour les riches. APOLLON. Que dis-tu ? serais-tu devenue subtile (3) sans t'en douter ? LA MORT. Les riches achèteraient le privilège de mourir vieux. APOLLON. Ne te plaît-il pas de m'accorder cette faveur ? LA MORT. Non certes ; tu connais mon caractère. APOLLON. Haï des mortels, et détesté des dieux. LA MORT. Tu n'obtiendras rien de ce que tu ne dois pas obtenir. APOLLON. Tu t'adouciras, tout impitoyable que tu es. Déjà s'avance vers le séjour de Phérès le héros qu'Eurysthée a envoyé ravir les coursiers de Diomède, dans les contrées glacées de la Thrace ; bientôt il recevra l'hospitalité dans le palais d'Admète, et il t'enlèvera son épouse de force. Tu n'auras aucune reconnaissance à attendre de moi, tout en faisant ce que je désire, et tu ne m'en seras pas moins odieuse. LA MORT. Malgré toutes tes paroles, tu ne gagneras rien : cette femme descendra au séjour de Pluton. Je marche sur elle pour l'initier de mon glaive (4) ; car ceux dont ce glaive a consacré la chevelure sont dévoués dès lors aux dieux infernaux (5). ------------------------------------------- |
ΧΟΡΟΣ
τί ποθ΄ ἡσυχία πρόσθεν μελάθρων; ΘΕΡΑΠΑΙΝΑ Καὶ ζῶσαν εἰπεῖν καὶ θανοῦσαν ἔστι σοι. ΧΟΡΟΣ Καὶ πῶς ἂν αὑτὸς κατθάνοι τε καὶ βλέποι; 140 ΘΕΡΑΠΑΙΝΑ Ἤδη προνωπής ἐστι καὶ ψυχορραγεῖ. ΧΟΡΟΣ Ἐλπὶς μὲν οὐκέτ΄ ἐστὶ σώιζεσθαι βίον; ΘΕΡΑΠΑΙΝΑ Πεπρωμένη γὰρ ἡμέρα βιάζεται. ΧΟΡΟΣ Οὔκουν ἐπ΄ αὐτῆι πράσσεται τὰ πρόσφορα; ΘΕΡΑΠΑΙΝΑ Κόσμος γ΄ ἕτοιμος͵ ὧι σφε συνθάψει πόσις. 145 ΧΟΡΟΣ Ὦ τλῆμον͵ οἵας οἷος ὢν ἁμαρτάνεις. ΘΕΡΑΠΑΙΝΑ Οὔπω τόδ΄ οἶδε δεσπότης͵ πρὶν ἂν πάθηι. ΧΟΡΟΣ
Ἴστω νυν εὐκλεής γε κατθανουμένη |
LE CHŒUR, composé de vieillards, habitants de Phère. PREMIER DEMI-CHOEUR. D'où vient ce calme funeste devant le palais ? Pourquoi ce silence dans la maison d'Admète ? DEUXIÈME DEMI-CHOEUR. Eh quoi ! il n'y a pas même un ami qui puisse nous dire s'il faut pleurer la mort de la reine, ou si la fille de Pélias vit encore, si elle voit encore le jour, cette Alceste dont j'admire, comme le peuple entier, le dévouement pour son époux ? PREMIER DEMI-CHOEUR. Entend-on dans l'intérieur les gémissements et les sanglots ? entend-on résonner les coups qui annoncent que tout est fini ? Aucun même des serviteurs ne se tient aux portes. Ô Apollon ! viens repousser les flots de l'adversité qui nous envahissent ! DEUXIÈME DEMI-CHOEUR. Si elle était morte, on ne garderait pas le silence ; et le corps n'a pas encore été enlevé du palais. PREMIER DEMI-CHOEUR. D'où te vient cet espoir ? qui t'inspire cette confiance ? DEUXIÈME DEMI-CHOEUR. Comment Admète aurait-il fait sans pompe les funérailles d'une épouse si digne d'amour ? LE CHOEUR. Je ne vois point devant les portes le bassin d'eau lustrale qu'on place, selon l'usage, à la porte des morts ; je ne vois personne couper, devant le vestibule, les chevelures qu'on fait tomber en signe de deuil, ni les jeunes femmes se meurtrir le corps de leurs mains. PREMIER DEMI-CHOEUR. Voici cependant le jour fatal.... DEUXIÈME DEMI-CHOEUR. Que dis-tu ? PREMIER DEMI-CHOEUR. Où elle doit descendre sous la terre. DEUXIÈME DEMI-CHOEUR. Tu as touché mon âme, tu 'as compris ma pensée Quand les cœurs honnêtes sont déchirés, tous les gens de bien doivent partager leur souffrance. LE CHOEUR. En quelque lieu de la terre qu'on envoie des navires, soit en Lycie (6), ou vers l'aride séjour de Jupiter Ammon, il n'est aucun moyen de sauver cette âme infortunée. L'inévitable destin s'approche ; je ne sais aux autels de quels dieux ni à quel sacrificateur m'adresser. Ah ! si seulement le fils d'Apollon (7) voyait encore la lumière, Alceste reviendrait bientôt du séjour ténébreux et des portes de l'enfer. Il ressuscitait les morts, avant que la foudre lancée par Jupiter ne l'eût frappé ; mais à présent quelle espérance puis-je encore concevoir ? Car tout a été mis en usage par nos rois : sur les autels de tous les dieux, de sanglants sacrifices ont été accomplis, et il n'est aucun emède à nos maux. Mais voici une des servantes d'Alceste qui sort du palais, en versant des larmes. Quel événement va-t-elle nous apprendre ? Pleurer est bien pardonnable, lorsque les maîtres sont dans l'affliction. Mais Alceste vit-elle encore, ou a-t-elle perdu la vie ? Nous désirons bien le savoir. LA SERVANTE. Tu peux la dire également ou vivante ou morte. LE CHOEUR. Comment la même personne peut-elle être à la fois morte et vivante ? LA SERVANTE. Elle est expirante et à l'agonie. LE CHOEUR. Malheureux Admète, quelle épouse tu perds, toi, son digne époux ! LA SERVANTE. Il ne connaîtra pas tout son malheur, avant qu'il ne soit accompli. LE CHOEUR. Il n'est donc plus d'espoir de la sauver ? LA SERVANTE. L'ascendant du jour fatal est irrésistible. LE CHOEUR. Prend-on les dispositions convenables en ce triste accident ? LA SERVANTE. Les apprêts funèbres sont faits, son époux va l'ensevelir. LE CHOEUR. Qu'elle le sache bien, sa mort est glorieuse, et elle est de beaucoup la plus noble des femmes qui existent sous le soleil. |
ΘΕΡΑΠΑΙΝΑ
Πῶς δ΄ οὐκ ἀρίστη; τίς δ΄ ἐναντιώσεται;
150 ΧΟΡΟΣ
Ἦ που στενάζει τοισίδ΄ Ἄδμητος κακοῖς͵ ΘΕΡΑΠΑΙΝΑ
Κλαίει γ΄ ἄκοιτιν ἐν χεροῖν φίλην ἔχων |
LA SERVANTE. Comment ne serait-elle pas la plus noble des femmes ? Qui dira le contraire ? Que serait donc celle qui la surpasserait ? Comment témoigner plus de tendresse à un époux, qu'en voulant mourir pour lui ? Toute la ville le sait. Mais ce qu'elle a fait dans le palais, tu l'apprendras avec admiration. Lorsqu'elle s'aperçut que le jour fatal était venu, elle lava son beau corps dans une eau courante, et, tirant de ses coffres de cèdre une robe et ses ornements, elle se para avec élégance ; et, debout devant le foyer, elle fait entendre sa prière : « Déesse, dit-elle, puisque je vais descendre aux enfers, prosternée, pour la dernière fois, devant toi, je te supplie de veiller sur mes enfants orphelins : donne à l'un une tendre épouse qu'il aime, et à l'autre un généreux époux. Qu'ils ne meurent pas, comme leur mère, d'une mort prématurée ; mais qu'ils remplissent des jours fortunés sur la terre de la patrie. » Puis elle se rend à tous les autels qui étaient dans le palais d'Admète ; elle les couronne, et y prie, en arrachant les feuilles des branches de myrte, sans pousser ni sanglots, ni gémissements : l'approche même de la mort n'avait pas terni la fraîcheur de son teint. Ensuite elle court à son appartement, et, tombant sur sa couche, elle se mit à pleurer, en disant : « Ô lit nuptial, sur lequel j'ai dénoué ma ceinture virginale par la main de l'homme pour qui je meurs, adieu ; je ne puis te haïr ; mais tu m'as perdue : c'est pour ne pas te trahir, toi et mon époux, que je meurs. Une autre épouse te possédera, non plus chaste, mais peut-être plus heureuse (8), » Et, se laissant aller sur sa couche, elle la baise, et l'arrose d'un torrent de larmes. Après s'être rassasiée de pleurs, elle s'éloigne du lit, la tête penchée, sort de l'appartement, y rentre à plusieurs reprises, et se jette autant de fois sur sa couche. Cependant ses enfants, suspendus aux vêtements de leur mère, pleuraient ; et elle, les prenant dans ses bras, les embrassait l'un après l'autre, comme au moment de mourir. Tous les esclaves pleuraient aussi dans le palais, émus de pitié pour leur maîtresse. Elle tendait la main à chacun d'eux, et il n'en est aucun, si humble qu'il fût, auquel elle n'adressât la parole, et dont elle ne reçût les adieux. Voilà le triste spectacle que présente la maison d'Admète. En mourant, il n'aurait perdu que la vie ; mais, en échappant à la mort, il lui reste une douleur telle qu'il ne l'oubliera jamais. LE CHOEUR. Sans doute Admète gémit sur son malheur, s'il lui faut perdre une femme si bonne. LA SERVANTE. Oui, il pleure, tenant dans ses bras son épouse chérie, et il la conjure de ne pas l'abandonner : vœu impossible ! car déjà le mal la dévore et la consume. Son corps défaillant pèse tristement sur les bras d'Admète ; mais, quoique respirant à peine, elle veut contempler encore la lumière du soleil, qu'elle ne doit plus revoir ; car c'est pour la dernière fois que les rayons de l'astre du jour vont frapper ses yeux. Mais je vais annoncer ton arrivée ; car tous ne sont pas assez attachés à leurs chefs, pour se montrer dévoués dans leurs afflictions. Mais toi, tu es pour mes maîtres un vieil ami. -------------------------------------------- |
ΧΟΡΟΣ
Ἰὼ Ζεῦ͵ τίς ἂν πᾶι πόρος κακῶν
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LE CHOEUR. Ô Jupiter, quelle issue trouver à ces maux ? comment délivrer mes maîtres du sort qui les poursuit ? quelqu'un viendra-t-il m'annoncer ce qui se passe ? faut-il nous couper la chevelure, et revêtir des habits de deuil ? LA SERVANTE. C'en est fait, mes amis, c'en est fait : cependant prions les dieux ; la puissance des dieux est grande. Ô Apollon, trouve un remède aux maux d'Admète ! viens, viens à notre aide : déjà tu as su le sauver ; maintenant encore délivre Alceste de la mort ; arrête l'homicide Pluton. LE CHOEUR. Hélas ! hélas ! fils de Phérès, que vas-tu devenir, privé de ton épouse ? En présence d'un tel malheur, il n'y a plus qu'à se percer du glaive, ou à se suspendre à un lien dans les airs : car tu verras mourir aujourd'hui une femme bien aimée, que dis-je ? tendrement chérie. La voici, la voici qui sort du palais avec son époux. Ô terre de Phère, pleure, regrette cette femme excellente, que le mal consume et entraîne dans le séjour souterrain où règne Pluton. Jamais je ne dirai que l'hymen apporte plus de joie que de souffrances ; j'en juge et par passé. et par le spectacle de la destinée de ce roi, qui, après avoir perdu la meilleure des épouses, traînera désormais une vie languissante et décolorée. -------------------------------------------------- |
ΑΛΚΗΣΤΙΣ
Ἅλιε καὶ φάος ἁμέρας ΑΔΜΗΤΟΣ
Ὁρᾶι σε κἀμέ͵ δύο κακῶς πεπραγότας͵ ΑΛΚΗΣΤΙΣ
Γαῖά τε καὶ μελάθρων στέγαι ΑΔΜΗΤΟΣ
Ἕπαιρε σαυτήν͵ ὦ τάλαινα͵ μὴ προδῶις· ΑΛΚΗΣΤΙΣ
Ὁρῶ δίκωπον ὁρῶ σκάφος ἐν ΑΔΜΗΤΟΣ
Οἴμοι· πικράν γε τήνδε μοι ναυκληρίαν
265 ΑΛΚΗΣΤΙΣ
Ἄγει μ΄ ἄγει τις͵ ἄγει μέ τις (οὐχ ΑΔΜΗΤΟΣ
Οἰκτρὰν φίλοισιν͵ ἐκ δὲ τῶν μάλιστ΄ ἐμοὶ ΑΛΚΗΣΤΙΣ
Μέθετε μέθετέ μ΄ ἤδη· 275 ΑΔΜΗΤΟΣ
Οἴμοι· τόδ΄ ἔπος λυπρὸν ἀκούειν ΑΛΚΗΣΤΙΣ
Ἄδμηθ΄͵ ὁρᾶις γὰρ τἀμὰ πράγμαθ΄ ὡς ἔχει͵
290
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ALCESTE. Soleil, lumière du jour, nuages du ciel, emportés par un tourbillon rapide ! ADMÈTE. Ce soleil te voit ainsi que moi, tous deux éprouvés par le malheur, sans avoir rien fait aux dieux qui ait pu te mériter la mort. ALCESTE. Ô terre, ô palais, ô lit nuptial d'iolcos (9) ma patrie ! ADMÈTE. Ranime-toi, infortunée, ne m'abandonne pas ; prie les dieux tout-puissants d'avoir pitié de nous. ALCESTE. Je vois la double rame, je vois la barque fatale. Le nocher des morts, Caron, la main sur la rame, m'appelle déjà: «Qui t'arrête ? hâte-toi : tu me retardes.» C'est ainsi qu'il me presse dans sa colère (10). ADMÈTE. Hélas ! tu parles là d'un funeste trajet. Ô cruelle souffrance ! ALCESTE. On m'entraîne, ne le vois-tu pas ? on m'entraîne à la cour des morts : c'est Pluton lui-même ; il vole autour de moi, lançant de terribles regards de ses sombres sourcils. Que fais-tu ? laisse-moi.— Ah ! malheureuse, quelle est cette route inconnue dans laquelle je m'avance ? ADMÈTE. Route déplorable pour ceux qui t'aiment, mais surtout pour moi, et pour tes enfants, qui partagent ma désolation. ALCESTE, aux femmes. Vous, laissez-moi à présent, étendez-moi. Cher époux, les forces m'abandonnent ; la mort est proche ; les ténèbres de la nuit se répandent sur mes yeux : mes enfants, mes chers enfants, c'en est fait, vous n'avez plus de mère. Soyez heureux, mes enfants, et jouissez de la lumière du jour ! ADMÈTE. Hélas ! il me faut entendre ces paroles funestes, plus cruelles pour moi que la mort ! Ne m'abandonne pas, au nom des dieux, au nom de tes enfants, que tu vas rendre orphelins : allons, reprends tes esprits. Si tu meurs, je ne saurais plus vivre : de toi dépend ma vie ou ma mort ; car ta tendresse est pour moi l'objet d'un culte inviolable. ALCESTE. Admète, tu vois en quel état je suis réduite : je veux te dire, avant de mourir, mes dernières volontés. Animée d'un tendre respect, et sacrifiant ma vie pour que tu jouisses de la lumière, je meurs pour toi, quand je pouvais vivre, choisir un époux parmi les Thessaliens, et passer des jours heureux sur le trône. Je n'ai pas voulu vivre séparée de toi, avec des enfants orphelins ; je ne me suis point épargnée moi-même, malgré les dons brillants de la jeunesse dont je pouvais jouir. Cependant ton père et ta mère t'ont abandonné, quand la mort convenait à leur âge, quand il était beau pour eux de sauver leur fils, en mourant avec honneur. Car tu étais leur unique enfant, et toi mort, ils n'avaient pas l'espoir de donner le jour à d'autres. Je vivrais, ainsi que toi, pour longtemps, et tu n'aurais pas à pleurer la perte d'une épouse, et à élever des enfants orphelins. Mais un dieu a voulu qu'il en fût ainsi. Résignons-nous. Maintenant montre-toi reconnaissant de ce bienfait ; je t'en demanderai un prix, non pas égal, car rien n'est plus précieux que la vie, mais juste, comme tu l'avoueras toi-même. En effet, non moins que moi tu aimes ces enfants, puisque tu as le cœur bon ; laisse-les maîtres dans ce palais, et ne leur donne point une marâtre ; ne prends pas une femme qui ne me vaudrait point, et qui, dans sa jalousie, porterait la main sur tes enfants et les miens. Ne fais pas cela, je t'en conjure : une marâtre est l'ennemie des enfants du premier lit, et non moins cruelle qu'une vipère. Mon fils a du moins son père pour défenseur ; il peut s'adresser à lui et recevoir ses conseils. Mais toi, ma fille, qui formera dignement ta jeunesse, si tu rencontres une telle compagne auprès de ton père ? Crains qu'elle n'imprime sur toi quelque tache honteuse, et ne flétrisse ton hymen dans la fleur même de ton âge ; car ta mère ne te choisira pas un époux ; elle ne sera pas là, ma fille, pour t'encourager dans les douleurs de l'enfantement, où la présence d'une mère est si consolante. Il faut que je meure ; et ce n'est pas demain, ce n'est pas le troisième jour du mois que le terme fatal doit venir (11), c'est à l'instant même que je vais compter parmi ceux qui nu sont plus. Adieu, vivez heureux : toi, cher époux, tu peux te glorifier d'avoir eu la meilleure des femmes, et vous, mes enfants, la meilleure des mères. |
ΧΟΡΟΣ
θάρσει· πρὸ τούτου γὰρ λέγειν οὐχ ἅζομαι· ΑΔΜΗΤΟΣ
Ἔσται τάδ΄͵ ἔσται͵ μὴ τρέσηις· ἐπεί σ΄ ἐγὼ ΧΟΡΟΣ
Καὶ μὴν ἐγώ σοι πένθος ὡς φίλος φίλωι ΑΛΚΗΣΤΙΣ
Ὦ παῖδες͵ αὐτοὶ δὴ τάδ΄ εἰσηκούσατε ΑΔΜΗΤΟΣ Καὶ νῦν γέ φημι καὶ τελευτήσω τάδε. ΑΛΚΗΣΤΙΣ Ἐπὶ τοῖσδε παῖδας χειρὸς ἐξ ἐμῆς δέχου. 385 ΑΔΜΗΤΟΣ Δέχομαι͵ φίλον γε δῶρον ἐκ φίλης χερός. ΑΛΚΗΣΤΙΣ Σύ νυν γενοῦ τοῖσδ΄ ἀντ΄ ἐμοῦ μήτηρ τέκνοις. ΑΔΜΗΤΟΣ Πολλή μ΄ ἀνάγκη͵ σοῦ γ΄ ἀπεστερημένοις. ΑΛΚΗΣΤΙΣ Ὦ τέκν΄͵ ὅτε ζῆν χρῆν μ΄͵ ἀπέρχομαι κάτω. ΑΔΜΗΤΟΣ Οἴμοι͵ τί δράσω δῆτα σοῦ μονούμενος; 390 ΑΛΚΗΣΤΙΣ Χρόνος μαλάξει σ΄· οὐδέν ἐσθ΄ ὁ κατθανών. ΑΔΜΗΤΟΣ Ἄγου με σὺν σοί͵ πρὸς θεῶν͵ ἄγου κάτω. ΑΛΚΗΣΤΙΣ Ἀρκοῦμεν ἡμεῖς οἱ προθνήισκοντες σέθεν. ΑΔΜΗΤΟΣ Ὦ δαῖμον͵ οἵας συζύγου μ΄ ἀποστερεῖς. ΑΛΚΗΣΤΙΣ Καὶ μὴν σκοτεινὸν ὄμμα μου βαρύνεται. 395 ΑΔΜΗΤΟΣ Ἀπωλόμην ἄρ΄͵ εἴ με δὴ λείψεις͵ γύναι. ΑΛΚΗΣΤΙΣ Ὡς οὐκέτ΄ οὖσαν οὐδὲν ἂν λέγοις ἐμέ. ΑΔΜΗΤΟΣ Ὄρθου πρόσωπον͵ μὴ λίπηις παῖδας σέθεν. ΑΛΚΗΣΤΙΣ Οὐ δῆθ΄ ἑκοῦσά γ΄· ἀλλὰ χαίρετ΄͵ ὦ τέκνα. ΑΔΜΗΤΟΣ Βλέψον πρὸς αὐτούς͵ βλέψον. 400 ΑΛΚΗΣΤΙΣ Οὐδέν εἰμ΄ ἔτι. ΑΔΜΗΤΟΣ Τί δρᾶις; Προλείπεις; ΑΛΚΗΣΤΙΣ Χαῖρ΄. ΑΔΜΗΤΟΣ Ἀπωλόμην τάλας. ΧΟΡΟΣ Βέβηκεν͵ οὐκέτ΄ ἔστιν Ἀδμήτου γυνή. 405 |
LE CHOEUR. Rassure-toi ; je ne crains pas de répondre pour lui : il fera ce que tu désires, à moins qu'il ne perde la raison. ADMÈTE. Je le ferai, oui, je le ferai ; ne crains rien. Puisque vivante tu fus mon épouse, tu le seras seule encore après ta mort, et nulle autre femme thessalienne, à ta place, ne m'appellera son époux ; non jamais, quelle que soit la noblesse de sa naissance, quel que soit l'éclat de sa beauté. J'ai assez d'enfants, et je prie les dieux de me les conserver, puisque je n'ai pu te conserver toi-même. Mon deuil durera non pas seulement une année, mais autant que ma vie, chère épouse, autant que ma haine pour une mère et pour un père qui m'aimaient en paroles, et non en réalité. C'est toi qui, donnant ta vie en échange de la mienne, m'as sauvé. Pourrais-je ne pas gémir en perdant une telle épouse ? Je renonce désormais aux fêtes, aux joyeux festins, aux couronnes, et aux chants qui retentissaient dans mon palais. Je ne toucherai plus de la lyre ; ma voix ne s'animera plus à chanter au son de la flûte libyenne ; car tu emportes avec toi toute la joie de ma vie. Mais ton image, reproduite par la main habile des artistes, reposera sur ma couche ; prosterné à ses côtés, je l'entourerai de mes bras, et, l'appelant par ton nom, je croirai presser contre mon sein mon épouse chérie, quoique absente : froide consolation, mais qui du moins soulagera le poids de mon cœur ; et, en me visitant dans mes songes, tu me rendras quelque joie. Il est toujours doux de voir ce qu'on aime, même la nuit, ou en quelque moment que ce soit. Si j'avais la voix et les accents d'Orphée, pour fléchir par mes chants la fille de Gérés ou son époux, et te ravir aux enfers, j'y descendrais. Ni le chien de Pluton, ni le conducteur des âmes, Caron, avec sa rame, ne m'empêcheraient de te ramener à la lumière du jour. Du moins attends-moi là-bas, quand je mourrai ; prépare-s-y ma demeure pour l'habiter avec moi ; car j'ordonnerai qu'on me place dans le même cercueil de cèdre, pour que mes flancs reposent auprès de tes flancs. Que la mort même ne me sépare jamais de toi, qui seule m'as été fidèle ! LE CHOEUR. Et moi je partagerai avec toi, comme ton ami, les tristes regrets qu'elle t'inspire, et dont elle est si digne. ALCESTE. Mes enfants, vous avez entendu votre père s'engager à ne pas vous donner une seconde mère, et à ne pas déshonorer ma couche. ADMÈTE. Je le promets encore, et je tiendrai ma promesse. ALCESTE. À cette condition, reçois nos enfants de ma main. ADMÈTE. Je reçois ce don précieux d'une main chérie. ALCESTE. Remplace-moi, et sers-leur de mère. ADMÈTE. Il le faut bien, puisqu'ils t'ont perdue. ALCESTE. Chers enfants, quand je devrais vivre, il me faut mourir. ADMÈTE. Hélas ! que ferai-je sans toi ? ALCESTE. Le temps adoucira ta douleur : les morts ne sont plus rien. ADMÈTE. Emmène-moi avec toi, au nom des dieux ! emmène moi aux enfers. ALCESTE. C'est assez de moi, qui meurs pour toi. ADMÈTE. Ô destin ! quelle épouse tu me ravis ! ALCESTE. Déjà mes yeux s'appesantissent, et se voilent d'un nuage. ADMÈTE. Je meurs, Alceste, si tu m'abandonnes. ALCESTE. Je n'existe plus, je ne suis plus rien. ADMÈTE. Lève les yeux ; n'abandonne pas tes enfants. ALCESTE. C'est malgré moi ; adieu, mes enfants. ADMÈTE. Tourne un dernier regard sur eux. Hélas ! ALCESTE. C'en est fait. ADMÈTE. Que fais-tu ? Tu nous quittes ? ALCESTE, expirant. Adieu. ADMÈTE. Je suis perdu ! LE CHOEUR. Elle n'est plus: Admète n'a plus d'épouse. ---------------------------------------------- |
ΠΑΙΣ
Ἰώ μοι τύχας. μαῖα δὴ κάτω ΑΔΜΗΤΟΣ
Τὴν οὐ κλύουσαν οὐδ΄ ὁρῶσαν· ὥστ΄ ἐγὼ ΠΑΙΣ
Νέος ἐγώ͵ πάτερ͵ λείπομαι φίλας ΧΟΡΟΣ
Ἄδμητ΄͵ ἀνάγκη τάσδε συμφορὰς φέρειν· ΑΔΜΗΤΟΣ
Ἐπίσταμαί τοι͵ κοὐκ ἄφνω κακὸν τόδε
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EUMÉLUS. Ô quel est mon malheur ! ma mère est descendue aux enfers, elle ne jouit plus de la lumière du soleil, et en nous quittant, elle me laisse orphelin. Vois, mon père, vois ses paupières fixes et ses mains défaillantes. Écoute, écoute-moi, ma mère, je t'en supplie. C'est moi, ma mère, c'est moi qui t'appelle : c'est ton petit enfant qui reste attaché à tes lèvres. ADMÈTE. Elle ne t'entend plus, elle ne te voit plus. Vous et moi, un coup terrible nous a frappés. EUMÉLUS. Encore tout jeune, ô mon père, me voilà seul, abandonné par une mère chérie. Victime infortunée (12)... Et toi, chère petite sœur, tu partages mon sort. Ô mon père, en vain, en vain tu as pris une épouse ; tu n'es pas parvenu avec elle au terme de la vieillesse, elle t'a précédé au tombeau. Mais, ô ma mère, avec toi périt toute notre maison. LE CHOEUR. Admète, c'est une nécessité de supporter ces malheurs. Tu n'es ni le premier ni le dernier des mortels qui ait perdu une épouse vertueuse : sache que mourir est notre lot à tous. ADMÈTE. Oui, je le sais, et ce malheur n'est pas venu fondre à l'improviste ; je le prévoyais, et depuis longtemps j'étais en proie à la douleur. Mais je dois rendre à ce corps les funèbres devoirs : secondez-moi, et chantez alternativement l'hymne de l'inexorable dieu des enfers. Que tous les Thessaliens, sur lesquels je règne, prennent part au deuil de cette noble femme, la chevelure rasée et les vêtements sombres. Aux chevaux des quadriges, comme aux coursiers seuls, que le fer coupe les crinières (13). Que le son des flûtes et de la lyre ne se fasse plus entendre dans la ville, avant douze lunes accomplies. Jamais je n'ensevelirai une personne plus chère, et qui ait mieux mérité de moi. Elle est bien digne que je l'honore, elle qui seule a consenti à mourir pour moi. ---------------------------------------------- |
ΧΟΡΟΣ
Ὦ Πελίου θύγατερ͵
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LE CHOEUR. Ô fille de Pélias, sois heureuse dans le séjour des enfers ténébreux empire de Pluton ! que ce dieu à la noire chevelure, que le vieux conducteur des morts, assis au gouvernail, et qui tient l'aviron en main, sachent que la plus vertueuse des femmes a traversé le marais de l'Achéron sur la barque à double rame. Les poètes te célébreront à l'envi, et sur le luth aux sept cordes, et dans des hymnes que n'accompagnera pas la lyre, à Sparte, quand revient la saison périodique du mois carnéen (14), et que la lune brille au ciel toute la nuit, et dans la brillante et fortunée Athènes. Tel est le sujet de chants que ta mort a laissé aux poètes. Que ne puis-je te rendre à la lumière !-que ne puis-je te tirer du sombre séjour de Pluton, et te faire repasser le Cocyte dans la barque infernale ! Car, ô femme unique, femme chérie, tu n'as pas craint de donner ta vie, pour racheter ton époux des enfers : que la terre te soit légère ! Mais si jamais ton époux formait un nouvel hymen, il me deviendrait odieux, ainsi qu'à tes enfants. Ni la mère d'Admète, ni son vieux père, n'ont voulu donner leur vie pour leur fils ; ils laissaient en proie à Pluton (15) celui qu'ils ont mis au monde ; ils refusaient de le sauver, les cruels, eux dont les cheveux sont tout blanchis ! Mais toi, dans la fleur de l'âge, tu meurs pour ton jeune époux. Puissent les dieux m'accorder une femme semblable pour compagne ! une telle rencontre est rare dans la vie. Mes jours se passeraient sans nuages auprès d'elle. ---------------------------------------------- |
ΗΡΑΚΛΗΣ
Ξένοι͵ Φεραίας τῆσδε κωμῆται
χθονός͵ ΧΟΡΟΣ
Ἔστ΄ ἐν δόμοισι παῖς Φέρητος͵ Ἡράκλεις. ΗΡΑΚΛΗΣ Τιρυνθίωι πράσσω τιν΄ Εὐρυσθεῖ πόνον. ΧΟΡΟΣΚ Καὶ ποῖ πορεύηι; τῶι συνέζευξαι πλάνωι; ΗΡΑΚΛΗΣ Θρηικὸς τέτρωρον ἅρμα Διομήδους μέτα. ΧΟΡΟΣ Πῶς οὖν δυνήσηι; μῶν ἄπειρος εἶ ξένου; ΗΡΑΚΛΗΣ Ἄπειρος· οὔπω Βιστόνων ἦλθον χθόνα. 500 ΧΟΡΟΣ Οὐκ ἔστιν ἵππων δεσπόσαι σ΄ ἄνευ μάχης. ΗΡΑΚΛΗΣ Ἀλλ΄ οὐδ΄ ἀπειπεῖν μὴν πόνους οἷόν τ΄ ἐμοί. ΧΟΡΟΣ Κτανὼν ἄρ΄ ἥξεις ἢ θανὼν αὐτοῦ μενεῖς. ΗΡΑΚΛΗΣ Οὐ τόνδ΄ ἀγῶνα πρῶτον ἂν δράμοιμ΄ ἐγώ. ΧΟΡΟΣ Τί δ΄ ἂν κρατήσας δεσπότην πλέον λάβοις; 505 ΗΡΑΚΛΗΣ Πώλους ἀπάξω κοιράνωι Τιρυνθίωι. ΧΟΡΟΣ Οὐκ εὐμαρὲς χαλινὸν ἐμβαλεῖν γνάθοις. ΗΡΑΚΛΗΣ Εἰ μή γε πῦρ πνέουσι μυκτήρων ἄπο. ΧΟΡΟΣ Ἀλλ΄ ἄνδρας ἀρταμοῦσι λαιψηραῖς γνάθοις. ΗΡΑΚΛΗΣ Θηρῶν ὀρείων χόρτον͵ οὐχ ἵππων͵ λέγεις. ΧΟΡΟΣ Φάτνας ἴδοις ἂν αἵμασιν πεφυρμένας. 510 ΗΡΑΚΛΗΣ Τίνος δ΄ ὁ θρέψας παῖς πατρὸς κομπάζεται; ΧΟΡΟΣ Ἄρεος͵ ζαχρύσου Θρηικίας πέλτης ἄναξ. ΗΡΑΚΛΗΣ
Καὶ τόνδε τοὐμοῦ δαίμονος πόνον λέγεις ΧΟΡΟΣ
Καὶ μὴν ὅδ΄ αὐτὸς τῆσδε κοίρανος χθονὸς
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HERCULE. Ô habitants de Phère, trouverai-je Admète dans ce palais ? LE CHOEUR. Oui, Hercule, le fils de Phérès est dans ce palais. Mais dis-moi, quel sujet t'amène dans le pays des Thessaliens, et te l'ait entrer dans notre ville ? HERCULE. J'accomplis un des travaux que m'impose Eurysthée. LE CHOEUR. Et où vas-tu ? À quel voyage es-tu condamné ? HERCULE. Je vais enlever les coursiers du Thrace Diomède. LE CHOEUR. Comment le pourras-tu ? ne connais-tu pas cet étranger ? HERCULE. Je ne le connais pas ; je ne suis pas encore venu dans le pays des Bistoniens (16). LE CHOEUR. Tu ne pourrais t'emparer de ses coursiers sans combat. HERCULE. Mais il ne m'est pas possible de refuser ces travaux. LE CHOEUR. Il faut le tuer et revenir, ou mourir et rester. HERCULE. Ce n'est pas le premier combat que je livrerai. LE CHOEUR. Et que gagneras-tu, si tu remportes la victoire ? HERCULE. J'amènerai les coursiers au roi de Tirynthe (17). LE CHOEUR. Il n'est pas facile de leur mettre un frein. HERCULE À moins quêteurs naseaux ne lancent des flammes. LE CHOEUR. Mais ils déchirent les hommes de leurs dents voraces. HERCULE. Cette pâture est celle des bêtes féroces, mais non des chevaux. LE CHOEUR. Tu verras leurs étables toutes dégouttantes de sang. HERCULE. Celui qui les nourrit, de quel père tire-t-il son origine ? LE CHOEUR. De Mars ; il est roi de la Thrace riche et belliqueuse. HERCULE. Voilà une entreprise digne de ma destinée ; celle-ci est laborieuse, et tend toujours à un but élevé ; elle me donne à combattre des fils de Mars : d'abord Lycaon, puis Cycnus ; enfin pour cette troisième lutte, Diomède et ses coursiers. Mais personne ne verra jamais le fils d'Alcmène trembler devant des ennemis. LE CHOEUR. Mais voici le roi de cette contrée, Admète lui-même, qui sort du palais. ------------------------------------------------- |
ΑΔΜΗΤΟΣ Χαῖρ΄͵ ὦ Διὸς παῖ Περσέως τ΄ ἀφ΄ αἵματος. ΗΡΑΚΛΗΣ Ἄδμητε͵ καὶ σὺ χαῖρε͵ Θεσσαλῶν ἄναξ. 525 ΑΔΜΗΤΟΣ Θέλοιμ΄ ἄν· εὔνουν δ΄ ὄντα σ΄ ἐξεπίσταμαι. ΗΡΑΚΛΗΣ Τί χρῆμα κουρᾶι τῆιδε πενθίμωι πρέπεις; ΑΔΜΗΤΟΣ Θάπτειν τιν΄ ἐν τῆιδ΄ ἡμέραι μέλλω νεκρόν. ΗΡΑΚΛΗΣ Ἀπ΄ οὖν τέκνων σῶν πημονὴν εἴργοι θεός. ΑΔΜΗΤΟΣ Ζῶσιν κατ΄ οἴκους παῖδες οὓς ἔφυσ΄ ἐγώ. 530 ΗΡΑΚΛΗΣ Πατήρ γε μὴν ὡραῖος͵ εἴπερ οἴχεται. ΑΔΜΗΤΟΣ Κἀκεῖνος ἔστι χἠ τεκοῦσά μ΄͵ Ἡράκλεις. ΗΡΑΚΛΗΣ Οὐ μὴν γυνή γ΄ ὄλωλεν Ἄλκηστις σέθεν; ΑΔΜΗΤΟΣ Διπλοῦς ἐπ΄ αὐτῆι μῦθος ἔστι μοι λέγειν. ΗΡΑΚΛΗΣ Πότερα θανούσης εἶπας ἢ ζώσης ἔτι; 535 ΑΔΜΗΤΟΣ Ἔστιν τε κοὐκέτ΄ ἔστιν͵ ἀλγύνει δέ με. ΗΡΑΚΛΗΣ Οὐδέν τι μᾶλλον οἶδ΄· ἄσημα γὰρ λέγεις. ΑΔΜΗΤΟΣ Οὐκ οἶσθα μοίρας ἧς τυχεῖν αὐτὴν χρεών; ΗΡΑΚΛΗΣ Οἶδ΄͵ ἀντὶ σοῦ γε κατθανεῖν ὑφειμένην. ΑΔΜΗΤΟΣ Πῶς οὖν ἔτ΄ ἔστιν͵ εἴπερ ἤινεσεν τάδε; ΗΡΑΚΛΗΣ Ἆ͵ μὴ πρόκλαι΄ ἄκοιτιν͵ ἐς τότ΄ ἀμβαλοῦ. 540 ΑΔΜΗΤΟΣ Τέθνηχ΄ ὁ μέλλων κἀνθάδ΄ ὢν οὐκ ἔστ΄ ἔτι. ΗΡΑΚΛΗΣ Χωρὶς τό τ΄ εἶναι καὶ τὸ μὴ νομίζεται. ΑΔΜΗΤΟΣ Σὺ τῆιδε κρίνεις͵ Ἡράκλεις͵ κείνηι δ΄ ἐγώ. ΗΡΑΚΛΗΣ Τί δῆτα κλαίεις; τίς φίλων ὁ κατθανών; 545 ΑΔΜΗΤΟΣ Γυνή· γυναικὸς ἀρτίως μεμνήμεθα. ΗΡΑΚΛΗΣ Ὀθνεῖος ἢ σοὶ συγγενὴς γεγῶσά τις; ΑΔΜΗΤΟΣ Ὀθνεῖος͵ ἄλλως δ΄ ἦν ἀναγκαία δόμοις. ΗΡΑΚΛΗΣ Πῶς οὖν ἐν οἴκοις σοῖσιν ὤλεσεν βίον; ΑΔΜΗΤΟΣ Πατρὸς θανόντος ἐνθάδ΄ ὠρφανεύετο. 550 ΗΡΑΚΛΗΣ
Φεῦ. ΑΔΜΗΤΟΣ Ὡς δὴ τί δράσων τόνδ΄ ὑπορράπτεις λόγον; ΗΡΑΚΛΗΣ Ξένων πρὸς ἄλλων ἑστίαν πορεύσομαι. ΑΔΜΗΤΟΣ Οὐκ ἔστιν͵ ὦναξ· μὴ τοσόνδ΄ ἔλθοι κακόν. ΗΡΑΚΛΗΣ Λυπουμένοις ὀχληρός͵ εἰ μόλοι͵ ξένος. ΑΔΜΗΤΟΣ Τεθνᾶσιν οἱ θανόντες· ἀλλ΄ ἴθ΄ ἐς δόμους. ΗΡΑΚΛΗΣ Αἰσχρόν γε παρὰ κλαίουσι θοινᾶσθαι ξένους. ΑΔΜΗΤΟΣ Χωρὶς ξενῶνές εἰσιν οἷ σ΄ ἐσάξομεν. ΗΡΑΚΛΗΣ Μέθες με καί σοι μυρίαν ἕξω χάριν. 560 ΑΔΜΗΤΟΣ
Οὐκ ἔστιν ἄλλου σ΄ ἀνδρὸς ἑστίαν μολεῖν. |
ADMÈTE. Salut, fils de Jupiter issu du sang de Persée (18), sois heureux (19). HERCULE. Sois heureux aussi, Admète, roi des Thessaliens. ADMÈTE. Je le voudrais ; je connais ta bienveillance pour moi. HERCULE. Pourquoi ces cheveux coupés, et ces signes de deuil ? ADMÈTE. Je dois aujourd'hui ensevelir un mort. HERCULE. Qu'un dieu écarte ce malheur de tes enfants ! ADMÈTE. Mes enfants sont vivants dans ma maison. HERCULE. Ton père est avancé en âge, peut-être est-il mort ? ADMÈTE. Il vit aussi, Hercule, ainsi que ma mère. HERCULE. Ce n'est pas ton épouse Alceste qui est morte ? ADMÈTE. Sur elle je puis faire deux réponses. HERCULE. Est-elle morte ou vivante ? ADMÈTE. Elle est, et n'est plus : mais elle me désole. HERCULE. Je n'en suis pas plus instruit ; car tes paroles ne sont pas claires. ADMÈTE. Ne sais-tu pas la destinée qu'elle doit subir ? HERCULE. Je sais qu'elle a consenti à mourir pour toi. ADMÈTE. Comment donc existe-t-elle encore, si elle a pris cet engagement ? HERCULE. Ah ! ne pleure pas ton épouse d'avance ; attends le moment fatal. ADMÈTE. Être sur le point de mourir, c'est être mort ; et celui qui est mort n'est plus. HERCULE. Être et n'être pas sont cependant des choses différentes. ADMÈTE. Tu en juges ainsi, Hercule, et moi autrement. HERCULE. Pourquoi donc pleures-tu ? Lequel de tes amis est mort ? ADMÈTE. Une femme : c'est d'une femme que je parlais tout à l'heure. HERCULE. Est-elle étrangère, ou tient-elle à ta famille ? ADMÈTE. Étrangère ; cependant elle appartenait à ma maison. HERCULE. Comment donc est-elle morte dans ton palais ? ADMÈTE. Après la mort de son père, elle y fut élevée comme orpheline. HERCULE. Hélas ! je voudrais, Admète, ne t'avoir pas trouvé dans l'affliction. ADMÈTE. Dans quelle intention dis-tu ces paroles ? HERCULE. Je vais chercher l'hospitalité ailleurs. ADMÈTE. Cela ne se peut, Hercule : ne m'accable pas de ce nouveau malheur. HERCULE. Au sein de l'affliction, la présence d'un étranger est importune. ADMÈTE. Les morts sont morts. Entre dans ma maison. HERCULE. Mais il est honteux de faire des festins chez des amis qui sont dans la douleur. ADMÈTE. La chambre des hôtes, où je te ferai entrer, est séparée du reste de la maison. HERCULE. Laisse-moi partir, et je t'en aurai une grande reconnaissance. ADMÈTE. Il ne t'est pas permis d'aller au foyer d'un autre. ( À un de ses esclaves. ) Toi, prends les devants, et va ouvrir la chambre des hôtes, séparée de ces appartements ; et dis à ceux qui en ont le soin, de préparer un festin abondant. — Vous, fermez la porte intérieure (20) : il ne convient pas de troubler la joie du festin par des gémissements, ni d'attrister nos hôtes par des larmes. (Hercule entre dans le palais. ) ----------------------------------- |
ΧΟΡΟΣ
Τί δρᾶις; τοσαύτης συμφορᾶς προσκειμένης͵ ΑΔΜΗΤΟΣ
ἀλλ΄ εἰ δόμων σφε καὶ πόλεως ἀπήλασα ΧΟΡΟΣ
Πῶς οὖν ἔκρυπτες τὸν παρόντα δαίμονα͵ ΑΔΜΗΤΟΣ
Οὐκ ἄν ποτ΄ ἠθέλησεν εἰσελθεῖν δόμους͵ ΧΟΡΟΣ
Ὦ πολύξεινος καὶ ἐλευθέρου ἀνδρὸς ἀεί ποτ΄ |
LE CHOEUR. Que fais-tu, Admète ? Dans le malheur qui t'accable, comment peux-tu recevoir un hôte ? As-tu perdu le sens ? ADMÈTE. Mais si j'avais repoussé cet hôte de mon palais et de la ville, m'approuverais-tu davantage ? Non certes. Mon malheur n'en serait pas moindre, et j'aurais manqué aux lois de l'hospitalité. À mes maux se joindrait cet autre mal, de voir ma maison appelée inhospitalière. Mais moi, j'ai en lui un hôte dévoué, quand je vais dans l'aride contrée d'Argos. LE CHOEUR. Comment donc lui as-tu caché le malheur qui t'arrive, si, comme tu le dis, c'est un ami qui viεnt chez toi ? ADMÈTE. Jamais il n'aurait voulu entrer dans ma maison, s'il avait su quelque chose de mes malheurs. Il en est peut-être à qui je ne parais pas raisonnable en agissant ainsi, et qui ne m'approuveront pas. Mais ma maison ne sait ni repousser ni mal accueillir les étrangers. (Il quitte la scène. ) LE CHOEUR. Ô maison hospitalière et libérale d'Admète, Apollon Pythien, à la lyre harmonieuse, daigna t'habiter ; il ne rougit pas de devenir berger sous ton toit, et, conduisant tes troupeaux sur le penchant des collines, il leur sifflait, sur sa flûte champêtre, les airs par lesquels les pâtres les invitent à l'amour. Attirés par ses accents, on vit paître auprès d'eux les lynx tachetés ; on vit accourir des bocages du mont Othrys (21) la troupe fauve des lions ; autour de ta lyre, ô Phébus, bondissait le faon à la peau nuancée, s'élançant, d'un pied léger, au delà des sapins à la haute chevelure, pour venir entendre tes doux accords. Grâce à toi, Admète habite un domaine riche en troupeaux, qui errent sur les bords riants du lac de Bœbé (22) ; et, par ses champs cultivés et ses vastes plaines, il marque ses limites, du côté du soleil couchant, sous le ciel des Molosses ; et vers les bords orageux de la mer Égée, il est maître du Pélion. Et maintenant, ouvrant sa maison, il y reçoit un hôte, l'œil encore humide, et pleurant une tendre épouse, morte récemment dans ce palais ; car les naturels généreux sont portés à respecter autrui. Tous les dons de la nature sont le partage des gens de bien ; et mon cœur a la ferme confiance que le mortel pieux doit prospérer. ----------------------------------------------- |
ΑΔΜΗΤΟΣ
Ἀνδρῶν Φεραίων εὐμενὴς παρουσία͵
620 ΧΟΡΟΣ
Καὶ μὴν ὁρῶ σὸν πατέρα γηραιῶι ποδὶ
625 ΦΕΡΗΣ
Ἥκω κακοῖσι σοῖσι συγκάμνων͵ τέκνον· ΑΔΜΗΤΟΣ
Οὔτ΄ ἦλθες ἐς τόνδ΄ ἐξ ἐμοῦ κληθεὶς τάφον |
ADMÈTE. Citoyens de Phères, dont la présence témoigne l'affection, déjà mes serviteurs portent le corps d'Alceste, paré de tous ses ornements, à sa sépulture et au bûcher. Vous, selon la coutume, adressez vos adieux à l'infortunée qui fait son dernier voyage. LE CHOEUR. Je vois ton père qui s'avance d'un pas appesanti par la vieillesse, et les serviteurs portant dans leurs mains des ornements pour ton épouse, présents agréables aux morts. PHÉRÈS. Je partage tes peines, mon fils ; tu as perdu une épouse vertueuse et chaste, personne ne le niera ; mais il faut supporter ce malheur, tout accablant qu'il est. Recois ces vêtements précieux, et dépose-les dans la tombe. C'est un devoir d'honorer celle qui est morte pour te sauver la vie, qui m'a conservé un fils, et qui n'a pas permis que ma vieillesse abandonnée se consumât dans le deuil. Par cette action généreuse, elle a laissé à toutes les femmes une vie glorieuse à imiter. Ô toi qui as sauvé mon fils et relevé.ma vieillesse abattue, adieu : sois heureuse dans le séjour de Pluton. Voilà les mariages profitables aux mortels ; autrement, se marier est inutile. ADMÈTE. Ce n'est point appelé par moi que tu es venu à ces funérailles ; et, je le dis, ta présence ne m'est pas agréable. Jamais Alceste ne revêtira les ornements que tu lui offres ; elle n'a besoin de rien qui vienne de toi, pour être ensevelie. Il fallait pleurer, alors que j'allais mourir. Mais tu te tins à l'écart, laissant mourir une autre plus jeune, vieux comme tu es ; et maintenant tu viens gémir sur ce cadavre. Non, tu n'es pas réellement mon père, et celle qui dit m'avoir enfanté, et qu'on appelle ma mère, ne m'a pas enfanté ; mais, issu d'un sang esclave, j'ai été furtivement attaché au sein de ta femme. Par les effets tu as prouvé qui tu es, et je crois fermement que je ne suis pas ton fils. Certes, il faut que tu sois le plus lâche des hommes, toi qui, si avancé en âge, et touchant au terme de la vie, n'as pas voulu, n'as pas osé mourir pour ton fils, mais as laissé cet honneur à une femme, à une étrangère, que seule aujourd'hui j'ai droit de regarder comme ma mère et comme mon père. Certes, c'eût été pour toi une glorieuse épreuve, de mourir pour ton fils : le temps qui te restait à vivre était bien court ; Alceste et moi nous aurions passé sans crainte le reste de nos jours, et je n'aurais pas à pleurer mon veuvage. Cependant tu avais eu en partage tout le bonheur permis à un homme ; ta jeunesse s'est passée sur le trône ; tu avais en moi un fils, héritier de tes états ; tu n'avais donc pas à craindre de mourir sans enfants, et de laisser ta maison en proie à des étrangers. Et ne me dis pas que, méprisant ta vieillesse, je t'ai livré à la mort, moi qui eus toujours tant de respect pour toi ; et telle est la reconnaissance que toi et ma mère vous m'en avez témoignée ! Aussi tu ne peux trop te hâter d'engendrer des enfants qui nourrissent ta vieillesse, et qui, à ta mort, t'ensevelissent et prennent soin de tes funérailles ; car, pour moi, ma main ne t'ensevelira pas ; je suis mort pour toi ; et si j'ai rencontré un autre sauveur à qui je dois la lumière, je suis son fils, et je dois être le soutien de sa vieillesse. C'est donc faussement que les vieillards invoquent la mort, se plaignent de la vieillesse et de la longue durée de la vie ; si la mort approche, aucun d'eux ne veut plus mourir, et la vieillesse n'est plu« pour eux un si pesant fardeau. |
ΧΟΡΟΣ
Παύσασθ΄͵ ἅλις γὰρ ἡ παροῦσα συμφορά· ΦΕΡΗΣ
Ὦ παῖ͵ τίν΄ αὐχεῖς͵ πότερα Λυδὸν ἢ Φρύγα ΧΟΡΟΣ
Πλείω λέλεκται νῦν τε καὶ τὸ πρὶν κακά·
720 ΑΔΜΗΤΟΣ
Λέγ΄͵ ὡς ἐμοῦ λέξαντος· εἰ δ΄ ἀλγεῖς κλύων ΦΕΡΗΣ Σοῦ δ΄ ἂν προθνήισκων μᾶλλον ἐξημάρτανον. ΑΔΜΗΤΟΣ Ταὐτὸν γὰρ ἡβῶντ΄ ἄνδρα καὶ πρέσβυν θανεῖν; ΦΕΡΗΣ Ψυχῆι μιᾶι ζῆν͵ οὐ δυοῖν͵ ὀφείλομεν. 725 ΑΔΜΗΤΟΣ Καὶ μὴν Διός γε μείζονα ζώηις χρόνον. ΦΕΡΗΣ Ἀρᾶι γονεῦσιν οὐδὲν ἔκδικον παθών; ΑΔΜΗΤΟΣ Μακροῦ βίου γὰρ ἠισθόμην ἐρῶντά σε. ΦΕΡΗΣ Ἀλλ΄ οὐ σὺ νεκρὸν ἀντὶ σοῦ τόνδ΄ ἐκφέρεις; 730 ΑΔΜΗΤΟΣ Σημεῖα τῆς σῆς γ΄͵ ὦ κάκιστ΄͵ ἀψυχίας. ΦΕΡΗΣ Οὔτοι πρὸς ἡμῶν γ΄ ὤλετ΄· οὐκ ἐρεῖς τόδε. ΑΔΜΗΤΟΣ Φεῦ· Εἴθ΄ ἀνδρὸς ἔλθοις τοῦδέ γ΄ ἐς χρείαν ποτέ. ΦΕΡΗΣ Μνήστευε πολλάς͵ ὡς θάνωσι πλείονες. 735 ΑΔΜΗΤΟΣ Σοὶ τοῦτ΄ ὄνειδος· οὐ γὰρ ἤθελες θανεῖν. ΦΕΡΗΣ Φίλον τὸ φέγγος τοῦτο τοῦ θεοῦ͵ φίλον. ΑΔΜΗΤΟΣ Κακὸν τὸ λῆμα κοὐκ ἐν ἀνδράσιν τὸ σόν. ΦΕΡΗΣ Οὐκ ἐγγελᾶις γέροντα βαστάζων νεκρόν. ΑΔΜΗΤΟΣ Θανῆι γε μέντοι δυσκλεής͵ ὅταν θάνηις. 740 ΦΕΡΗΣ Κακῶς ἀκούειν οὐ μέλει θανόντι μοι. ΑΔΜΗΤΟΣ Φεῦ φεῦ· τὸ γῆρας ὡς ἀναιδείας πλέων. ΦΕΡΗΣ Ἥδ΄ οὐκ ἀναιδής· τήνδ΄ ἐφηῦρες ἄφρονα. ΑΔΜΗΤΟΣ Ἄπελθε κἀμὲ τόνδ΄ ἔα θάψαι νεκρόν. ΦΕΡΗΣ
Ἄπειμι· θάψεις δ΄ αὐτὸς ὢν αὐτῆς φονεύς͵
745 ΑΔΜΗΤΟΣ
Ἔρρων νυν αὐτὸς χἠ ξυνοικήσασά σοι͵ ΧΟΡΟΣ
Ἰὼ ἰώ. Σχετλία τόλμης͵ |
LE CHOEUR. Cessez vos débats : il suffit du malheur présent, mon fils ; n'aigris pas le cœur de ton père. PHÉRÈS. Mon fils, qui prétends-tu invectiver ainsi ? Est-ce quelque esclave lydien ou phrygien acheté à prix d'argent ? Ne sais-tu pas que je suis Thessalien, fils d'un père thessalien, et né libre ? Tes outrages passent les bornes ; tu lances contre moi d'insolents propos de jeune homme ; mais ce ne sera pas impunément. Je t'ai donné le jour et je t'ai élevé, pour être après moi le maître de ma maison ; mais rien ne m'oblige à mourir pour toi. Ni les coutumes de nos ancêtres, ni les lois de la Grèce, n'imposent aux pères de mourir pour leurs enfants : chacun vit pour soi, heureux ou malheureux. Tout ce que je devais te donner, tu l'as reçu de moi : tu commandes à un grand nombre d'hommes, et je te laisserai de vastes domaines : je les ai reçus de mon père. En quoi t'ai-je fait tort ? de quoi t'ai-je privé ? Ne meurs pas pour moi, ni moi pour toi. Tu aimes à jouir de la lumière ; et crois- tu que ton père ne l'aime pas ? Je songe que le temps de notre séjour dans les enfers sera long, et que cette vie est courte, mais douce. Toi-même tu as bataillé sans honte pour ne pas mourir, et tu vis, tu as franchi le terme fatal, en sacrifiant ton épouse. Et tu me reproches ma lâcheté, infâme, vaincu par une femme qui est morte pour toi, beau jeune homme ! Tu as trouvé là un heureux moyen de ne jamais mourir, si tu peux toujours persuader à I'épouse que tu auras, de mourir pour toi. Et ensuite tu fais un reproche à tes amis qui se refusent à le faire, quand toi-même tu n'en as pas le courage. Tais-toi : songe que si tu tiens à la vie, les autres y tiennent de même ; et si tu m'outrages, tu entendras de moi des vérités peu agréables. LE CHOEUR. C'est trop d'outrages de part et d'autre : cesse, vieillard, d'injurier ton fils. ADMÈTE. Dis tes griefs, puisque j'ai dit les miens ; mais, si la vérité te blesse, il ne fallait pas avoir de tort envers moi. • PHÉRÈS. Si j'étais mort pour toi, mon tort eût été plus grand. ADMÈTE. Est-ce donc la même chose, de mourir jeune ou vieux ? PHÉRÈS. Nous n'avons qu'une vie, et non deux. ADMÈTE. Puisses-tu donc vivre plus que Jupiter ! PHÉRÈS. Quoi ! tu lances des imprécations contre des parents qui ne t'ont fait aucun mal ! ADMÈTE. Ne sais-je pas que tu désires une longue vie ? PHÉRÈS. Et toi, n'as-tu pas livré au tombeau ce cadavre à la place ? ADMÈTE. Méchant, c'est une preuve de ta lâcheté. PHÉRÈS. Du moins ce n'est pas pour moi qu'elle est morte ; tu ne pourras pas le dire. ADMÈTE. Ah ! puisses-tu avoir un jour besoin de moi ! PHÉRÈS. Prends plusieurs épouses, afin qu'un plus grand nombre meurent pour toi. ADMÈTE. Sur toi tombe le reproche, car tu as refusé de mourir. PHÉRÈS. Il est doux de voir la lumière du soleil ; oui, c'est bien doux. ADMÈTE. Sentiments bas, et indignes d'un homme ! PHÉRÈS. Tu n'as pas la joie de porter un vieillard au tombeau. ADMÈTE. Tu n'en mourras pas moins, mais sans gloire. PHÉRÈS. Qu'on parle mal de moi, peu m'importe après ma mort. ADMÈTE. Hélas ! hélas ! que la vieillesse a d'impudence ! PHÉRÈS. Alceste ne fut pas impudente, mais elle fut insensée. ADMÈTE. Va-t'en, et laisse-moi ensevelir ce corps. PHÉRÈS. Je m'en vais : ensevelis-la, toi qui es son meurtrier. Mais tu seras puni par les parents de ta femme ; certes, Acaste ne comptera plus pour un homme, s'il ne venge sur toi le sang de sa sœur. ADMÈTE. Va donc, toi et ta femme ; vieillissez comme vous le méritez, sans enfants, quoique je vive encore. Car vous n'habiterez plus avec moi sous le même toit ; et s'il m'était possible de déclarer publiquement par des hérauts que je renonce à mes droits sur la maison paternelle, je le ferais. Mais nous (puisqu'il faut supporter le malheur), allons porter ce corps sur le bûcher. LE CHOEUR. Ô victime de ton courage, ô la plus généreuse et la meilleure des épouses, adieu. Que Mercure infernal et Pluton t'accueillent avec bienveillance ; et, s'il v a là-bas des récompenses pour les justes, puisses-tu y participer, et prendre place à côté de l'épouse de Pluton (23) ! ------------------- |
(1) On sait qu'en grec le nom de la Mort est masculin. — Macrobe. le traduit en latin par Orcus (Saturnal., V, ) (2) Le père et la mère dAdmète. (3) Σοφὸς, dans le sens de σοφιστὴς, raisonneur subtil. (4) Il était usité dans les sacrifices, chez les Grecs, de couper d'abord des poils sur le front de la victime, et de les faire brûler sur l'autel. Ainsi dans l'Enéide, VI, :
Et summas carpens
media inter cornua setas, (5) Virgile, Énéide, IV,, dit de Proserpine ce qu'Euripide applique ici à la Mort :
nondum illi flauum
Proserpina uertice crinem (6) Il y avait un temple d'Apollon, où l'on rendait des oracles, à Patare ville de Lycie. Virgile, En., IV, :
Qualis ubi
hibernam Lyciam Xanthique fluenta (7) Esculape. (8) Ceci a été parodié par Aristophane, dans les Chevaliers, v. , page de ma traduction. (9) Iolcos, ville de Thessalie, où avait régné Pélias, père d'Alceste. (10) Racine, dans la préface de son Iphigénie, a traduit ainsi ce passage :
Je vois déjà la
rame, et la barque fatale ; (11) Brumoy pensait que ceci se rapporte au délai d'un ou deux jours que les créanciers laissaient à leurs débiteurs pour s'acquitter. Il est plus probable que cela faisait allusion à l'usage établi, dans les condamnations capitales, de laisser au condamné un délai de trois jours pour l'exécution de la sentence. (12) Il y a ici une lacune de quelques mots dans le texte. Barnès a essayé de la restituer, pour compléter la strophe. (13) C'était un usage de couper les crins des chevaux en signe de deuil. Voir Hérodote, IX,, Plutarque, Vie de Pélopidas et d'Alexandre. (14) Le mois appelé à Sparte carnéen répondait au mois thargélion des Athéniens, et au mois d'avril des Romains. Les fêtes dont parle ici le Chœur étaient des jeux et des combats de musique qui se célébraient à Sparte et à Athènes le septième jour de ce mois jusqu'au seizième, lorsque la lune était dans son plein. Comme ces combats poétiques se faisaient en l'honneur d'Apollon, on les appelait carnêens, du nom de Carnus, fameux poète et musicien, fils de Jupiter et d'Europe, favori d'Apollon. (15) Il y a ici dans le texte une lacune de trois mots, que M. Boissonade a suppléés (16) Bistonie, contrée de la Thrace, entre l'Hébre et le fleuve Nésius. (17) Eurysthée. (18)Jupiter eut Persée de Danaé ; Persée fut père d'Alcée, qui eut pour fils Amphitryon, mari d'Alcmène. Ce fut d'elle et de Jupiter que naquit Hercule. (19) Il faut exprimer ici le double sens du mot χαῖρε, à cause des vers suivants. (20) Θύρας μεσαύλους, la porte qui séparait les deux corps de logis des maisons, et qui conduisait de la cour a l'appartement des femmes. La porte extérieure, qui ouvrait sur la rue, s'appelait αὔλειος. (21) Montagne de la Thessalie. (22) Voici un passage de l'Iliade, II, H-I, qui n'est pas étranger à notre sujet : « Ceux qui possédaient Phères, près du lac Bœbéis, et Bœbé, et Glaphyre, et la riche lolcos, ont suivi sur onze vaisseaux le fils chéri d'Admète, Eumèle, qu'enfanta l'épouse d'Admète, Alceste, la plus noble des femmes, elle qui par sa beauté l'emportait sur toutes les filles de Pélias. »
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