Eschyle

ESCHYLE

TRAGÉDIES.

AGAMEMNON.

Traduction française : M. ARTAUD

Partie I - Partie II

 

 

 

 

143 L'ORESTIE,

TRILOGIE.

AGAMEMNON, LES CHOÉPHORES, LES EUMÉNIDES.

ARGUMENT.

L'Orestie est le chef-d'œuvre d'Eschyle, et, je ne crains pas de le dire, le chef-d'œuvre du théâtre antique. Sans doute, pris à part, considéré uniquement en soi-même, et sans égard au reste de la trilogie, aucun des poèmes qui la composent n'est un tout complet et qui satisfasse véritablement l'esprit; et rien n'est plus juste peut-être, sous ce rapport, que quelques-uns des reproches exprimés par la critique ignorante et à courte vue : l'exposition de l'Agamemnon est trop prolongée ; celle des Choéphores l'est trop peu et manque de clarté ; rien n'est motivé que vaguement dans les Euménides. Mais les trois pièces ont entre elles un lien indissoluble; c'est de suite qu'il les faut lire, comme jadis elles étaient représentées : l'une amène l'autre, et la prépare, et l'explique ; et l'exposition immense de l'Agamemnon n'a que l'étendue proportionnée à l'immensité de l'action triple e une qui se développe dans l'Orestie.

Agamemnon avait promis à son épouse Clytemnestre de lui annoncer la prise de Troie le jour même où la ville de Priam aurait succombé. Une ligne de signaux avait été établie; un grand feu allumé sur le sommet de l'Ida devait en faire allumer un autre sur la montagne la plus rapprochée; et, de montagne en montagne, la nouvelle devait arriver jusque dans Argos. Un homme veille, la nuit, sur le toit du palais des Atrides ; c'est lui qui avertira Clytemnestre dès que paraîtra le signal. Nous ne savons pas si cette histoire est de l'invention d'Eschyle: Homère dit seulement qu'un homme, aposté par Egisthe, épiait le retour d'Agamemnon. Il est nuit encore, et tout dort dans Argos; seule, la sentinelle a les yeux ouverts. Cet infortuné déplore tristement sa condition présente ; il désespérait de voir paraître jamais le signal, quand la flamme tout à coup brille dans le lointain. Il pousse un cri de joie, et il descend éveiller la reine. Devant le palais on voit 144 s'avancer le chœur : ce sont des vieillards que l'âge et les infirmités ont empêchés de partir avec Agamemnon. Ils rappellent, dans des chants admirables, et l'origine de la grande lutte entre l'Europe et l'Asie, et les prophéties de Calchas, et le sacrifice d'Iphigénie qui fut le pris dont les Grecs payèrent leur départ. Bientôt Clytemnestre vient se réjouir avec eux de la nouvelle qui met fin aux anxiétés de toute la Grèce. Au bout de quelque temps un héraut arrive, qui décrit le spectacle de la ville prise, pillée, livrée aux flammes , les transports des vainqueurs et le désespoir des vaincus. Enfin Agamemnon entre lui-même sur la scène, menant captive Cassandre, la prophétesse méconnue. Clytemnestre aecueille son époux avec une joie perfide; elle fait même étendre sous ses pas des tissus précieux, pour que le pied du vainqueur ne touche pas la terre. Agamemnon entre dans le palais ; mais Cassandre reste là, muette et immobile, malgré tous les témoignages d'intérêt que lui prodigue Clytemnestre. Elle est seule avec le chœur ; saisie tout à coup d'un délire prophétique, elle pousse des cris confus, elle voit en esprit tous les forfaits dont ce palais funeste a été le théâtre ; elle voit le meurtre qui se prépare, elle annonce la mort d'Agamemnon et la sienne, et la vengeance qui suivra un jour; puis, entraînée comme par une force irrésistible, elle court se livrer au fer des bourreaux. On entend les cris d'Agamemnon qui expire; le palais s'ouvre, et Clytemnestre, debout à côté de ses deux victimes, se glorifie d'un forfait qui n'est, à ses yeux, que la juste vengeance du meurtre d'Iphigénie. Egisthe, à son tour, vient s'applaudir de la part qu'il a prise, par ses conseils, à l'assassinat d'Agamemnon.

Il s'est écoulé plusieurs années; la deuxième action commence. Oreste a grandi; l'oracle lui a commandé de punir les meurtriers de son père. Il arrive, avec l'inséparable Pylade, auprès du tombeau d'Agamemnon. Il invoque les mânes paternels, et il annonce les projets de vengeance qui le ramènent d'un lointain exil. Il dépose, pour offrande, une boucle de ses cheveux. Conduites par Electre sa sœur, des captives troyennes viennent faire des libations sur la tombe du roi (01) : c'est Clytemnestre qui les envoie, dans l'espoir de détourner les présages terribles du songe qu'elle vient d'avoir. Après une reconnaissance que le poète a plus ou moins habilement ménagée, le frère et la sœur se concertent sur les moyens d'assurer l'exécution de leur dessein. Oreste se donnera pour un étranger, pour un homme du pays où avait été élevé le fils d'Agamemnon. Lui-même il apportera la nouvelle de sa propre mort; on le recevra dans le palais, et les assassins périront à leur tour. Tout s'exécute en effet comme il l'avait prévu. A l'instant de frapper sa mère, il sent son cœur défaillir; mais la voix sévère de Pylade lui rappelle l'ordre et les menaces d'Apollon ; tout ce qui restait du sentiment filial a disparu : il n'y a plus en présence qu'une femme coupable et son juge, et bientôt tout est consommé. Alors, comme à la fin de l'Agamemnon, les cadavres des morts sont offerts aux regards des spectateurs. Oreste fait déployer devant le peuple d'Argos le voile où les assassins avaient enveloppé son père, pour l'égorger sans qu'il pût se défendre. Mais tout à coup il sent que sa raison s'égare; il annonce qu'il va se réfugier dans le temple de Delphes, auprès du dieu qui avait commandé la vengeance.

En effet, au début des Euménides nous sommes transportés devant le temple de Delphes. La Pythie paraît, vêtue de ses habits sacerdotaux ; elle 145 adresse ses prières aux dieux ; elle entre dans le temple, pour se placer sur le trépied prophétique. Elle en sort aussitôt, saisie d'une horreur profonde : elle a vu un homme dans la posture et l'habit des suppliants : ses mains dégouttaient de sang; autour de lui dormaient des monstres affreux, les Furies. Oreste sort du temple, conduit par Apollon ; le dieu lui promet son aide, et lui commande de courir vers Athènes. Il obéit, il part. L'œil du spectateur pénètre dans le temple : on aperçoit l'ombre de Clytemnestre, pâle, portant encore les traces des blessures qu'elle avait reçues de son fils. Elle adresse des reproches aux Furies, qui ont laissé échapper le coupable, et elle disparaît. Les Furies se réveillent, cherchent leur victime, poussent des cris sauvages, courent en désordre au travers de la scène : ce sont les premiers chants de ce chœur terrible, et ses premières danses. Apollon chasse loin de son temple les êtres odieux dont la présence souillait le sanctuaire. A ce moment la scène change. Nous voyons le temple de Minerve et la colline de l'Aréopage. Nous sommes à Athènes. Oreste tient embrassée la statue de la déesse, qui était devant le temple. Le chœur arrive sur ses traces. Les Furies chantent, calmes cette fois, mais plus terribles encore qu'à Delphes, leurs redoutables fonctions parmi les mortels et les dieux; elles réclament la tête d'Oreste ; elles dévouent leur victime à des tourments sans fin. Pallas arrive, à la prière du suppliant : elle écoute les plaintes des Furies, les réclamations d'Oreste; elle se charge du rôle d'arbitre entre les deux parties. Elle s'entoure de juges équitables; la cause est débattue; le nombre des suffrages est égal de part et d'autre; l'accusé est absous. Oreste exprime, avec une vive ardeur, sa reconnaissance pour Pallas, tandis que les Furies éclatent en reproches contre la licence de ces dieux nouveaux qui prennent à tâche d'humilier les vieilles divinités titaniques. Mais elles s'apaisent enfin, grâce à l'éloquence persuasive de Pallas : elles promettent de bénir ce sol de l'Attique où Pallas leur accorde un sanctuaire; elles se montrent dignes du nom qu'on doit leur donner un jour, les Euménides, c'est-à-dire les bienveillantes. Elles se retirent dans la demeure qui leur est destinée. Une troupe de vieillards, de femmes et d'enfants, vêtus d'habits de fête, les accompagnent en chantant des hymnes religieux.

L'unité de cette grande composition tragique est si évidente par elle-même, que je croirais faire injure au lecteur en insistant sur ce point. C'est dans les Choéphores que s'accomplit la prédiction de Cassandre sur les assassins d'Agamemnon et les siens; et cet Oreste qu'on voit, à la fin des Choéphores, tourmenté par les Furies pour avoir obéi aux dieux, fils dévoué et parricide tout à la fois, soutenu par la religion, accusé par la nature, pieux et scélérat, comme Ovide le dit d'Alcméon, son sort n'est fixé que dans les Euménides. C'est là que tout se concilie, et que l'antique loi de vengeance, le talion, fait place à une autre loi plus sainte et plus morale, l'expiation par la prière et le repentir, et la réhabilitation du coupable.

L'Orestie fut représentée dans la deuxième année de la LXXXe olympiade, sous l'archonte Philoclès, l'an 459 avant Jésus-Christ. Eschyle avait alors soixante-six ans. Eschyle, suivant l'auteur de la didascalie grecque qui accompagne l'Agamemnon remporta le prix dans le concours.

A cette trilogie était joint un drame satyrique intitulé Protée. On peut eonjecturer que le sujet de ce drame se rattachait lui-même aux événements déroulés dans l'Orestie. Il s'y agissait probablement de l'aventure de 146 Ménélas et d'Hélène avec Protée. le vieux pâtre des troupeaux marins de Neptune. Les vers de l'Agamemnon où les vieillards s'informent du sort de Ménélas, et où Taltbybius leur apprend que la tempête l'a séparé de son frère, et qu'on ignore ce qu'il est devenu, offrent, en effet, un point de suture assez naturel ; et les merveilleux récits de l'Odyssée fournissaient amplement matière à une pièce du genre demi-sérieux, demi-bouffon auquel appartenait le Protée.

147 L'ORESTIE

 

AGAMEMNON, TRAGEDIE.

 

Personnages.

Une sentinelle placée sur le toit du palais d'Agamemnon.

CLYTEMNESTRE.

Chœur de vieillards d'Argos.

Le héraut TALTHYBIUS.

AGAMEMNON.

CASSANDRE.

 ÉGISTHE (02).

La scène est à Argos, devant le palais d'Agamemnon,

 

 

ΧΟΡΟΣ

[στρ. α.
Τίπτε μοι τόδ' ἐμπέδως [στρ. α.
Δεῖμα προστατήριον
καρδίας τερασκόπου
πωτᾶται,
μαντιπολεῖ δ' ἀκέλευστος ἄμισθος ἀοιδά,
980 οὐδ' ἀποπτύσαι δίκαν
δυσκρίτων ὀνειράτων
θάρσος εὐπειθὲς ἵ-
ζει φρενὸς φίλον θρόνον;
Χρόνος δ' † ἐπεὶ
πρυμνησίων ξυνεμβολαῖς
ψαμμίας ἀκάτα † παρή-
βησεν, εὖθ' ὑπ' Ἴλιον
ὦρτο ναυβάτας στρατός.

[ἀντ. α.
Πεύθομαι δ' ἀπ' ὀμμάτων
νόστον, αὐτόμαρτυς ὤν
990 τὸν δ' ἄνευ λύρας ὅμως
ὑμνῳδεῖ
θρῆνον Ἐρινύος αὐτοδίδακτος ἔσωθεν
θυμός, οὐ τὸ πᾶν ἔχων
ἐλπίδος φίλον θράσος.
Σπλάγχνα δ' οὔτοι ματᾴ-
ζει, πρὸς ἐνδίκοις φρεσὶν
τελεσφόροις
δίναις κυκλούμενον κέαρ.
Εὔχομαι δ' ἐξ ἐμᾶς
ἐλπίδος ψύθη πεσεῖν
1000 ἐς τὸ μὴ τελεσφόρον.

[στρ. β.
Μάλα † γάρ τοι τᾶς πολλᾶς †
ὑγιείας ἀκόρεστον
τέρμα. Νόσος γὰρ
γείτων ὁμότοιχος ἐρείδει,
καὶ πότμος εὐθυπορῶν
. . . . .
Ἀνδρὸς ἔπαισεν ἄφαντον ἕρμα.
Καὶ πρὸ μέν τι χρημάτων
κτησίων ὄκνος βαλὼν
1010 σφενδόνας ἀπ' εὐμέτρου–
οὐκ ἔδυ πρόπας δόμος
πλησμονᾶς γέμων ἄγαν,
οὐδ' ἐπόντισε σκάφος.
Πολλά τοι δόσις ἐκ Διὸς ἀμφιλα-
φής τε καὶ ἐξ ἀλόκων ἐπετειᾶν
νῆστιν ὤλεσεν νόσον,

[ἀντ. β.
Τὸ δ' ἐπὶ γᾶν πεσὸν ἅπαξ
1020 θανάσιμον πρόπαρ ἀνδρὸς
μέλαν αἷμα τίς ἂν
πάλιν ἀγκαλέσαιτ' ἐπαείδων;
Οὐδὲ τὸν ὀρθοδαῆ
τῶν φθιμένων ἀνάγειν
Ζεὺς ἀπέπαυσεν ἐπ' ἀβλαβείᾳ.
Εἰ δὲ μὴ τεταγμένα
μοῖρα μοῖραν ἐκ θεῶν
εἶργε μὴ πλέον φέρειν,
προφθάσασα καρδία
γλῶσσαν ἂν τάδ' ἐξέχει.
1030 Νῦν δ' ὑπὸ σκότῳ βρέμει
θυμαλγής τε καὶ οὐδὲν ἐπελπομέ-
να ποτὲ καίριον ἐκτολυπεύσειν
ζωπυρουμένας φρενός.

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LE CHŒUR.

D'où vient cette image qui assiège mon cœur, qui le remplit de funestes pressentiments ; cet oracle qui retentit dans mon âme, cet oracle que je n'ai point invoqué, dont je n'ai point payé la voix ? Pourquoi ne puis-je, comme un songe inexplicable, le rejeter loin de moi, et laisser asseoir dans mon âme la confiance et l'espoir? Le temps a coulé depuis le jour où, du haut de la proue, la flotte guerrière a jeté l'ancre sur le sable du rivage et s'est élancée vers Ilion.

186 Mes yeux m'apprennent son retour; moi-même j'en suis le témoin ; et pourtant mon cœur refuse de se livrer tout entier à l'espérance : un chant inspiré retentit en moi, l'hymne que n'accompagne point la lyre, le chant funèbre d'Érinnys ! Le cri des entrailles n'est point un vain cri : ces agitations, ces angoisses du cœur, c'est le pressentiment de l'expiation qui s'apprête. Puisse le ciel démentir une part au moins de ma crainte, et s'arrêter dans l'accomplissement !

La santé florissante finit au sein d'inexprimables douleurs (104) : la maladie est toujours là qui menace, voisine dont un mur seul la sépare. Le destin de l'homme se heurte souvent, dans un cours prospère, à quelque invisible écueil. Une prudente crainte sacrifie quelque chose de la charge de l'opulence : cette perte suffit, même légère; et la famille échappe au naufrage, malgré l'assaut de l'infortune, et le navire n'est point englouti par les vagues. Les dons abondants de Jupiter, ces fertiles moissons dont les sillons se couvrent chaque année, sont le remède assuré de la famine.

Mais le noir sang du meurtre, ce sang qui a coulé du corps de la victime, une fois tombé sur la terre, quel enchantement le rappellerait dans les veines ? Jupiter n'arrêta-t-il point jadis, sage prévoyance ! celui dont l'art savait ranimer les morts (105)? Deux destinées ont été réglées par les dieux : ah ! si j'eusse pu sacrifier l'une à l'autre ! Mon cœur a devancé ma langue ; mon cœur eût tout ré- 187 vêlé (106). Mais non ! voilà mon âme condamnée à frémir dans les ténèbres, en proie à la douleur, dévorée par l'inquiétude, sans nul espoir de dérouler au moins quelque salutaire conseil

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

εἴσω κομίζου καὶ σύ, Κασσάνδραν λέγω•
ἐπεί σ' ἔθηκε Ζεὺς ἀμηνίτως δόμοις
κοινωνὸν εἶναι χερνίβων, πολλῶν μέτα
δούλων σταθεῖσαν κτησίου βωμοῦ πέλας,
ἔκβαιν' ἀπήνης τῆσδε, μηδ' ὑπερφρόνει.
1040 Καὶ παῖδα γάρ τοι φασὶν Ἀλκμήνης ποτε
πραθέντα τλῆναι, † δουλίας μάζης βίᾳ.
Εἰ δ' οὖν ἀνάγκη τῆσδ' ἐπιρρέποι τύχης,
ἀρχαιοπλούτων δεσποτῶν πολλὴ χάρις.
Οἳ δ' οὔποτ' ἐλπίσαντες ἤμησαν καλῶς,
ὠμοί τε δούλοις πάντα καὶ πέρα σταθμῶν.
Ἔχεις παρ' ἡμῶν οἷάπερ νομίζεται.

ΧΟΡΟΣ

Σοί τοι λέγουσα παύεται σαφῆ λόγον.
Ἐντὸς δ' ἁλοῦσα μορσίμων ἀγρευμάτων
πείθοι' ἄν, εἰ πείθοι' ἀπειθοίης δ' ἴσως.

1050 ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Ἀλλ' εἴπερ ἐστὶ μὴ χελιδόνος δίκην
ἀγνῶτα φωνὴν βάρβαρον κεκτημένη,
ἔσω φρενῶν λέγουσα πείθω νιν λόγῳ.

ΧΟΡΟΣ

Ἓπου. Τὰ λῷστα τῶν παρεστώτων λέγει.
Πείθου λιποῦσα τόνδ' ἁμαξήρη θρόνον.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ.

Οὔτοι θυραίᾳ τῇδ' ἐμοὶ σχολὴ πάρα
τρίβειν τὰ μὲν γὰρ ἑστίας μεσομφάλου
ἕστηκεν ἤδη μῆλα πρὸς σφαγὰς πάρος.
[Ὡς οὔποτ' ἐλπίσασι τήνδ' ἕξειν χάριν.]
Σὺ δ' εἴ τι δράσεις τῶνδε, μὴ σχολὴν τίθει.
1060 Εἰ δ' ἀξυνήμων οὖσα μὴ δέχῃ λόγον–
σὺ δ' ἀντὶ φωνῆς φράζε καρβάνῳ χερί.

ΧΟΡΟΣ

Ἑρμηνέως ἔοικεν ἡ ξένη τοροῦ
δεῖσθαι. Τρόπος δὲ θηρὸς ὡς νεαιρέτου.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Ἦ μαίνεταί γε καὶ κακῶν κλύει φρενῶν,
ἥτις λιποῦσα μὲν πόλιν νεαίρετον
ἥκει, χαλινὸν δ' οὐκ ἐπίσταται φέρειν
πρὶν αἱματηρὸν ἐξαφρίζεσθαι μένος.
Οὐ μὴν πλέω ῥίψασ' ἀτιμασθήσομαι.

ΧΟΡΟΣ

Ἐγὼ δ', ἐποικτίρω γάρ, οὐ θυμώσομαι.
1070 Ἴθ', ὦ τάλαινα, τόνδ' ἐρημώσασ' ὄχον,
εἴκουσ' ἀνάγκῃ τῇδε καίνισον ζυγόν.

CLYTEMNESTRE., sortant du palais.

Entre avec nous, Cassandre. Jupiter l'a voulu ; tu vas, dans ce palais, partager la facile condition de nos nombreuses esclaves, à l'ombre des autels domestiques. Descends donc de ce char, dépose une fierté mal placée. Le fils d'Alcmène, dit-on, a été vendu comme un captif; il a cédé à la force, il s'est résigné à subir le joug. Quand la nécessité nous réduit à une telle fortune, des maîtres depuis longtemps accoutumés à l'opulence sont le plus grand des Mens. Mais ceux qui viennent, contre tout espoir, de faire une heureuse moisson, ceux-là sont toujours durs, toujours injustes pour leurs esclaves. Chez nous, tu seras traitée comme il convient (107).

LE CHŒUR, à Cassandre.

La reine s'est expliquée clairement avec toi. Puisque tu es prise dans le rets fatal, obéis, crois-moi. Mais quoi ! tu ne veux pas m'entendre ?

CLYTEMNESTRE.

Si son langage n'est pas, comme celui de l'hirondelle (108), 188 un langage inconnu, étranger, mes paroles ont dû pénétrer jusqu'à son esprit, elle va m'obéir.

LE CHŒUR, à Cassandre.

Suis-la. Dans ta fortune présente, tu ne pouvais entendre de meilleures paroles. Obéis, descends de ce char.

 

CLYTEMNESTRE.

Je n'ai pas le temps de l'attendre à la porte. Déjà, près du foyer domestique, sont rangées les brebis que nous allons immoler aux dieux : action de grâces pour un bonheur que nous n'espérions plus. Toi, Cassandre, si tu as le dessein de venir, ne tarde pas. Ou, si tu ne comprends pas notre langue, si mes paroles n'ont pas de sens pour toi, fais comme les barbares , réponds au moins par des signes (109).

LE CHŒUR.

L'étrangère a besoin, ce semble, d'un interprète. Elle est farouche comme une bête fauve qu'on vient de prendre.

CLYTEMNESTRE.

Oui, elle est dans le délire ; c'est la déraison qu'elle écoute, cette femme qui naguère a vu prendre sa ville, et qu'on a amenée ici captive. Elle ne saura pas porter le frein, avant de l'avoir couvert d'une écume sanglante. Mais je ne m'abaisserai point à lui parler davantage.

(Elle rentre dans le palais.)

LE CHŒUR.

Pour moi, saisi de pitié, je ne puis lui témoigner de la colère. Allons, infortunée, quitte ce char, cède à la nécessité, accoutume-toi au joug.

  ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

[στρ. α.

Ὀτοτοτοτοῖ πόποι δᾶ.
Ὦπολλον ὦπολλον.

ΧΟΡΟΣ

Τί ταῦτ' ἀνωτότυξας ἀμφὶ Λοξίου;
Οὐ γὰρ τοιοῦτος ὥστε θρηνητοῦ τυχεῖν.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

[ἀντ. α.

Ὀτοτοτοτοῖ πόποι δᾶ.
Ὦπολλον ὦπολλον.

ΧΟΡΟΣ

Ἣδ' αὖτε δυσφημοῦσα τὸν θεὸν καλεῖ
οὐδὲν προσήκοντ' ἐν γόοις παραστατεῖν.

1080 ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

[στρ. β.

Ἄπολλον Ἄπολλον
ἀγυιᾶτ', ἀπόλλων ἐμός.
Ἀπώλεσας γὰρ οὐ μόλις τὸ δεύτερον.

ΧΟΡΟΣ

Χρήσειν ἔοικεν ἀμφὶ τῶν αὑτῆς κακῶν.
Μένει τὸ θεῖον δουλίᾳ περ ἐν φρενί.

[ἀντ. β.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἄπολλον Ἄπολλον
ἀγυιᾶτ', ἀπόλλων ἐμός.
Ἆ ποῖ ποτ' ἤγαγές με; Πρὸς ποίαν στέγην;

ΧΟΡΟΣ

Πρὸς τὴν Ἀτρειδῶν εἰ σὺ μὴ τόδ' ἐννοεῖς,
ἐγὼ λέγω σοι καὶ τάδ' οὐκ ἐρεῖς ψύθη.

[στρ. γ.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

1090 Μισόθεον μὲν οὖν πολλὰ συνίστορα,
αὐτόφονα, † κακὰ καρτάναι †
ἀνδρὸς σφαγεῖον καὶ πέδον ῥαντήριον.

ΧΟΡΟΣ

Ἔοικεν εὔρις ἡ ξένη κυνὸς δίκην
εἶναι, ματεύει δ' ὧν ἀνευρήσει φόνον.

[ἀντ. γ.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Μαρτυρίοισι γὰρ τοῖσδ' ἐπιπείθομαι
κλαιόμενα τάδε βρέφη σφαγὰς
ὀπτάς τε σάρκας πρὸς πατρὸς βεβρωμένας.

ΧΟΡΟΣ

† Ἡ μὴν κλέος σοῦ μαντικὸν πεπυσμένοι
ἦμεν προφήτας δ' οὔτινας ματεύομεν.

[στρ. δ.

1100 ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἰὼ πόποι, τί ποτε μήδεται;
Τί τόδε νέον ἄχος μέγα;
Μέγ' ἐν δόμοισι τοῖσδε μήδεται κακόν,
ἄφερτον φίλοισιν, δυσίατον ἀλκὰ δ'
ἑκὰς ἀποστατεῖ.

ΧΟΡΟΣ

Τούτων ἄιδρίς εἰμι τῶν μαντευμάτων.
Ἐκεῖνα δ' ἔγνων πᾶσα γὰρ πόλις βοᾷ.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

[ἀντ. δ.

Ἰὼ τάλαινα, τόδε γὰρ τελεῖς;
Τὸν ὁμοδέμνιον πόσιν
λουτροῖσι φαιδρύνασα – πῶς φράσω τέλος;
1110 Τάχος γὰρ τόδ' ἔσται προτείνει δὲ χεὶρ ἐκ
χερὸς ὀρεγομένα.

ΧΟΡΟΣ

Οὔπω ξυνῆκα νῦν γὰρ ἐξ αἰνιγμάτων
ἐπαργέμοισι θεσφάτοις ἀμηχανῶ.

[στρ. ε.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἒ ἔ, παπαῖ παπαῖ, τί τόδε φαίνεται;
Ἦ δίκτυόν τί γ' Ἅιδου.
Ἀλλ' ἄρκυς ἡ ξύνευνος, ἡ ξυναιτία
φόνου. Στάσις δ' ἀκόρετος γένει
κατολολυξάτω θύματος λευσίμου.

ΧΟΡΟΣ

Ποίαν Ἐρινὺν τήνδε δώμασιν κέλῃ
1120 ἐπορθιάζειν; Οὔ με φαιδρύνει λόγος.
Ἐπὶ δὲ καρδίαν ἔδραμε κροκοβαφὴς
σταγών, ἅτε καὶ δορὶ πτωσίμοις
ξυνανύτει βίου δύντος αὐγαῖς.
Ταχεῖα δ' ἄτα πέλει.

[ἀντ. ε.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἆ ἆ, ἰδοὺ ἰδού ἄπεχε τῆς βοὸς
τὸν ταῦρον ἐν πέπλοισιν
μελαγκέρῳ λαβοῦσα μηχανήματι
τύπτει πίτνει δ' <ἐν> ἐνύδρῳ τεύχει.
Δολοφόνου λέβητος τύχαν σοι λέγω.

ΧΟΡΟΣ

1130 Οὐ κομπάσαιμ' ἂν θεσφάτων γνώμων ἄκρος
εἶναι, κακῷ δέ τῳ προσεικάζω τάδε.
Ἀπὸ δὲ θεσφάτων τίς ἀγαθὰ φάτις
βροτοῖς τέλλεται; Κακῶν γὰρ διαὶ
πολυεπεῖς τέχναι θεσπιῳδοὶ
φόβον φέρουσιν μαθεῖν.

[στρ. ζ.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἰὼ ἰὼ ταλαίνας κακόποτμοι τύχαι
τὸ γὰρ ἐμὸν θροῶ πάθος ἐπεγχέασα.
Ποῖ δή με δεῦρο τὴν τάλαιναν ἤγαγες;
Οὐδέν ποτ' εἰ μὴ ξυνθανουμένην. Τί γάρ;

1140 ΧΟΡΟΣ

Φρενομανής τις εἶ θεοφόρητος, ἀμ-
φὶ δ' αὑτᾶς θροεῖς
νόμον ἄνομον, οἷά τις ξουθὰ
ἀκόρετος βοᾶς, φεῦ, φιλοίκτοις φρεσὶν
Ἴτυν Ἴτυν στένουσ' ἀμφιθαλῆ κακοῖς
ἀηδὼν βίον.

[ἀντ. ζ.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἰὼ ἰὼ λιγείας μόρον ἀηδόνος
πτεροφόρον γάρ οἱ περὶ δέμας βάλοντο
θεοὶ γλυκύν τ' ἀγῶνα κλαυμάτων ἄτερ
ἐμοὶ δὲ μίμνει σχισμὸς ἀμφήκει δορί.

1150 ΧΟΡΟΣ

Πόθεν ἐπισσύτους θεοφόρους [τ'] ἔχεις
ματαίους δύας;
Τὰ δ' ἐπίφοβα δυσφάτῳ κλαγγᾷ
μελοτυπεῖς ὁμοῦ τ' ὀρθίοις ἐν νόμοις.
Πόθεν ὅρους ἔχεις θεσπεσίας ὁδοῦ
κακορρήμονας;

[στρ. η.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἰὼ γάμοι, γάμοι Πάριδος,
ὀλέθριοι φίλων.
Ἰὼ Σκαμάνδρου πάτριον ποτόν.
Τότε μὲν ἀμφὶ σὰς ἀιόνας τάλαιν'
ἠνυτόμαν τροφαῖς
1160 νῦν δ' ἀμφὶ Κωκυτόν τε κἀχερουσίους
ὄχθους ἔοικα θεσπιῳδήσειν τάχα.

ΧΟΡΟΣ

Τί τόδε τορὸν ἄγαν ἔπος ἐφημίσω;
Νεογνὸς ἂν ἀΐων μάθοι.
Πέπληγμαι δ' ὑπ' αὖ δήγματι φοινίῳ
δυσαλγεῖ τύχᾳ μινυρὰ θρεομένας,
θραύματ' ἐμοὶ κλύειν.

[ἀντ. η.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἰὼ πόνοι πόνοι πόλεος
ὀλομένας τὸ πᾶν.
Ἰὼ πρόπυργοι θυσίαι πατρὸς
πολυκανεῖς βοτῶν ποιονόμων ἄκος δ'
1170 οὐδὲν ἐπήρκεσαν
τὸ μὴ πόλιν μὲν ὥσπερ οὖν ἐχρῆν παθεῖν,
ἐγὼ δὲ θερμόνους τάχ' ἐν πέδῳ βαλῶ.

ΧΟΡΟΣ

Ἑπόμενα προτέροισι τάδ' ἐφημίσω.
Καί τίς σε κακοφρονῶν τίθη-
σι δαίμων ὑπερβαρὴς ἐμπίτνων
μελίζειν πάθη γοερὰ θανατοφόρα.
`Τέρμα δ' ἀμηχανῶ.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

καὶ μὴν ὁ χρησμὸς οὐκέτ' ἐκ καλυμμάτων
ἔσται δεδορκὼς νεογάμου νύμφης δίκην
1180 λαμπρὸς δ' ἔοικεν ἡλίου πρὸς ἀντολὰς
πνέων ἐσᾴξειν, ὥστε κύματος δίκην
κλύζειν πρὸς αὐγάς, τοῦδε πήματος πολὺ
μεῖζον φρενώσω δ' οὐκέτ' ἐξ αἰνιγμάτων.
Καὶ μαρτυρεῖτε συνδρόμως ἴχνος κακῶν
ῥινηλατούσῃ τῶν πάλαι πεπραγμένων.
Τὴν γὰρ στέγην τήνδ' οὔποτ' ἐκλείπει χορὸς
σύμφθογγος οὐκ εὔφωνος οὐ γὰρ εὖ λέγει.
Καὶ μὴν πεπωκώς γ', ὡς θρασύνεσθαι πλέον,
βρότειον αἷμα κῶμος ἐν δόμοις μένει,
1190 δύσπεμπτος ἔξω, συγγόνων Ἐρινύων.
Ὑμνοῦσι δ' ὕμνον δώμασιν προσήμεναι
πρώταρχον ἄτης ἐν μέρει δ' ἀπέπτυσαν
εὐνὰς ἀδελφοῦ τῷ πατοῦντι δυσμενεῖς.
Ἥμαρτον, ἢ κυρῶ τι τοξότης τις ὥς;
Ἢ ψευδόμαντίς εἰμι θυροκόπος φλέδων;
Ἐκμαρτύρησον προυμόσας τό μ' εἰδέναι
λόγῳ παλαιὰς τῶνδ' ἁμαρτίας δόμων.

ΧΟΡΟΣ

Καὶ πῶς ἂν ὅρκου πῆγμα, γενναίως παγέν,
παιώνιον γένοιτο; Θαυμάζω δέ σου,
1200 πόντου πέραν τραφεῖσαν ἀλλόθρουν πόλιν
κυρεῖν λέγουσαν, ὥσπερ εἰ παρεστάτεις.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Μάντις μ' Ἀπόλλων τῷδ' ἐπέστησεν τέλει.

ΧΟΡΟΣ

Μῶν καὶ θεός περ ἱμέρῳ πεπληγμένος;

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Προτοῦ μὲν αἰδὼς ἦν ἐμοὶ λέγειν τάδε.

ΧΟΡΟΣ

Ἁβρύνεται γὰρ πᾶς τις εὖ πράσσων πλέον.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἀλλ' ἦν παλαιστὴς κάρτ' ἐμοὶ πνέων χάριν.

ΧΟΡΟΣ

Ἦ καὶ τέκνων εἰς ἔργον ἤλθετον νόμῳ;

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ξυναινέσασα Λοξίαν ἐψευσάμην.

ΧΟΡΟΣ

Ἤδη τέχναισιν ἐνθέοις ᾑρημένη;

1210 ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἤδη πολίταις πάντ' ἐθέσπιζον πάθη.

ΧΟΡΟΣ

Πῶς δῆτ' ἄνατος ἦσθα Λοξίου κότῳ;

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἔπειθον οὐδέν' οὐδέν, ὡς τάδ' ἤμπλακον.

ΧΟΡΟΣ

Ἡμῖν γε μὲν δὴ πιστὰ θεσπίζειν δοκεῖς.
 

89 CASSANDRE.

Grands dieux ! grands dieux ! Ah ! ciel ! terre ! Apollon ! Apollon !

LE CHŒUR.

Pourquoi ces cris de douleur adressés à Loxias (110)? Ce qu'il faut à ce dieu, ce ne sont pas des lamentations.

CASSANDRE.

Grands dieux ! grands dieux ï Ah! ciel! terre! Apollon! Apollon !

LE CHŒUR.

La voilà qui gémit encore ; elle invoque de nouveau le dieu qui n'aime pas nous assister dans .les larmes.

CASSANDRE.

Apollon ! Apollon ! Dieu qui m'entraînes ! dieu qui me perds (111) ! Je vais donc une seconde fois subir tes coups !

LE CHŒUR.

On dirait qu'elle veut prédire les maux qui l'attendent. Même esclave, le soufie divin est resté dans son âme.

CASSANDRE.

Apollon! Apollon ! Dieu qui m'entraînes! dieu qui me perds ! Ah ! où m'as-tu amenée ? vers quel palais ?

LE CHŒUR.

Vers le palais des Atrides. Si tu n'en sais rien encore, je te l'apprends ; et c'est la vérité.

190 CASSANDRE.

Ah ! palais abhorré des dieux : complice de tant de meurtres (112) ! Cordes fatales (113) ! Époux égorgé (114) ! Sol couvert d'une pluie sanglante !

LE CHŒUR.

L'étrangère a donc la sagacité du chien : elle suit la piste de quelque meurtre ; elle va le découvrir.

CASSANDRE.

Ah ! j'en crois ces témoignages ; ces enfants qu'on égorge et qui pleurent (115) ; ces chairs cuites qu'a mangées un père.

LE CHŒUR.

Oui, la renommée en est venue jusqu'à nous, tu as le don des oracles. Mais qu'avons-nous ici besoin de prophètes ?

CASSANDRE.

Hélas ! grands dieux, que prépare-t-on encore ? Quel est ce nouveau forfait, ce forfait terrible, oui terrible, qui se prépare dans ces demeures? attentat odieux à des amis même (116) ; plaie difficile à guérir : le remède est si loin (117) !

LE CHŒUR.

Je ne comprends rien à ces derniers oracles ; le reste est trop connu : toute la ville en retentit encore.

191 CASSANDRE.

Ah ! malheureuse, tu vas donc l'accomplir ! Tu vas le faire entier au bain, cet époux qui partagea ta couche ; tu vas le laver toi-même ! — Comment achever? — Ce sera bientôt ! Les coups succèdent aux coups !

LE CHŒUR.

Je ne comprends pas davantage : ces oracles sont enveloppés d'énigmes ; je n'y sais rien démêler.

CASSANDRE.

Dieux ! dieux! hélas ! hélas ! que vois-je ? — Est-ce un filet de l'enfer? — Oui, un rets! C'est le voile jadis protecteur du sommeil; c'est là le complice du meurtre (118) ! — Furies (119) insatiables du sang de cette race, poussez le cri du triomphe : l'exécrable sacrifice va se consommer !

LE CHŒUR.

Quelle est donc cette Érinnys dont tu appelles les clameurs sur ce palais ? Tes paroles troublent mon âme. Mon sang reflue vers mon cœur et se glace : c'est comme un coup de lance qui m'a percé ; c'est comme le nuage qui obscurcit les rayons d'une vie expirante. Ah ! l'infortune marche vite !

CASSANDRE.

Ah ! ah ! les voilà ! les voilà ! Éloignez le taureau de la génisse. — Elle le saisit, le taureau aux cornes noires (120), elle  192 l'enveloppe dans le piège, elle le frappe. Il tombe dans le bassin que remplit l'onde, dans le vase de la ruse et du la mort !

LE CHŒUR.

Je n'ose me vanter d'être habile à interpréter les oracles; mais, dans ces paroles, j'entrevois des malheurs. Eh! quel oracle annonça jamais un bonheur aux mortels ? Toujours l'art antique des devins porte la terreur dans les âmes (121) !

CASSANDRE,

Hélas ! hélas ! infortunée ! Affreux destin qui m'accable! car c'est sur mon malheur aussi que je gémis, que je verse des larmes. Infortunée ! où m'as-tu conduite ? où ? si ce n'est à la mort avec toi ; oui, à la mort !

LE CHŒUR.

Une fureur divine transporte ton âme; tu chantes sur toi-même le chant du malheur : tel l'oiseau au plumage sombre, aux infatigables accents, Philomèle, du fond de son âme désolée, pousse, éternelle victime de la douleur, sa plainte lamentable : Itys, Itys (122) !

193 CASSANDRE.

Hélas ! hélas ! trop heureux le sort de l'harmonieuse Philomèle ! Les dieux l'ont revêtue d'un corps ailé ; sa vie est douce et sans larmes : moi, la mort par le fer à double tranchant, voilà mon avenir !

LE CHŒUR.

D'où viennent-ils en toi, ces transports subits, ces angoisses sans objet ? Pourquoi ces cris de terreur, de désespoir, cet hymne dont l'accent perce mon cœur ? Qui la conduit ainsi, ta marche divinatrice, à travers les sinistres oracles ?

CASSANDRE.

O noces de Pâris ! noces fatales à tous les siens ! O Scamandre, fleuve où s'abreuvait ma patrie ! Naguère, infortunée! mon enfance a grandi sur tes bords ; et, bientôt sans doute, c'est sur les rives du Cocyte, de l'Achéron, que je vais rendre mes oracles !

LE CHŒUR.

Ah ! ces paroles se font trop bien entendre : un enfant même les comprendrait. Une sanglante morsure déchire mon âme ; le cri plaintif de ton infortune, l'accent de ta souffrance me brise.

CASSANDRE.

Ô travaux d'ilion ! travaux qui n'ont pas détourné la destruction fatale ! O sacrifices qu'offrit mon père au pied de nos murs ! innombrables hécatombes ! Remèdes sans effet, car Ilion n'est plus ; et moi, la prêtresse inspirée, bientôt je serai abattue sur la terre (123).

194 LE CHŒUR.

. Ah ! tes discours lie se démentent point ! Et quel est donc ce fatal génie qui s'est emparé de toi, qui a mis le délire en ton âme, qui te force d'exhaler les accents de la souffrance, du deuil, de la mort ? Où aboutiront ces présages ? Je ne devine rien.

CASSANDRE.

Hé bien, l'oracle ne regardera plus (124) à travers des voiles, comme la nouvelle épouse. Le voilà qui va briller au jour. Il s'élance, ce vent fatal, vers le soleil qui se lève ; et bien tôt, pareil à une vague, le malheur battra la plage, aux rayons de la lumière ; un malheur bien plus grand que celui-là encore ! Non, je ne vous parlerai plus par énigmes. Rendez-moi ce témoignage, que je cours bien sur la piste des malheurs que vous avez subis jadis. Un chœur n'abandonne point encore ce palais, chœur dont les voix sont en concert, mais dont les funestes chants épouvantent. Il en a bu, pour raviver son audace, il a bu du sang humain : désormais elle reste dans ces demeures, cette troupe enivrée, ces sœurs, ces Furies ; nul ne pourra les en chasser. C'est là qu'elles se sont fixées ; c'est là qu'elles chantent l'hymne fatal, le crime qui a enfanté tant de crimes (125). Puis, elles ont maudit, dans leur courroux, celui qui souilla la couche de 195 son frère (126). — Me suis-je trompée? ai-je, comme l'archer, touché au but ? Suis-je une fausse prophétesse, une mendiante bavarde qui frappe aux portes? Rends témoignage à mes paroles ; jure que je connais les antiques forfaits de cette famille, que j'en puis parler.

LE CHŒUR.

Et ce serment, ce lien si fort dont tu veux que je m'enchaîne, sera-ce un remède à nos maux ? Oui, je t'admire ; toi qui as été élevée au delà des mers, dans une ville où l'on parle une autre langue (127), on dirait qu'alors tu as vécu près de nous.

CASSANDRE.

Apollon, le dieu prophète, m'a fait don de son art.

LE CHŒUR.

Est-ce que le dieu était blessé d'amour ?

CASSANDRE.

Jadis j'eusse rougi de le dire (128).

LE CHŒUR.

En effet ; qui peut tout est bien porté à n'écouter que son désir.

196 CASSANDRE.

Il m'attaqua vivement ; sa passion était extrême.

LE CHŒUR.

Et lui accordas-tu le droit de l'époux  (129) ?

CASSANDRE.

Je promis à Loxias ; mais je ne tins pas ma promesse.

LE CHŒUR.

Possédais-tu dès lors déjà l'art de la divination ?

CASSANDRE.

Déjà je prophétisais aux Troyens tous leurs malheurs.

LE CHŒUR.

Mais le courroux de Loxias te laissa-t-il impunie ?

CASSANDRE.

Depuis mon mensonge, personne ne croit plus à mes oracles.

LE CHŒUR.

Tes oracles cependant me semblent dignes de foi.

 ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἰοὺ ἰού, ὢ ὢ κακά.
Ὑπ' αὖ με δεινὸς ὀρθομαντείας πόνος
στροβεῖ ταράσσων φροιμίοις .....
Ὁρᾶτε τούσδε τοὺς δόμοις ἐφημένους
νέους, ὀνείρων προσφερεῖς μορφώμασιν;
Παῖδες θανόντες ὡσπερεὶ πρὸς τῶν φίλων,
1220 χεῖρας κρεῶν πλήθοντες οἰκείας βορᾶς
σὺν ἐντέροις τε σπλάγχν', ἐποίκτιστον γέμος,
πρέπουσ' ἔχοντες, ὧν πατὴρ ἐγεύσατο.
Ἐκ τῶνδε ποινάς φημι βουλεύειν τινά,
λέοντ' ἄναλκιν, ἐν λέχει στρωφώμενον
οἰκουρόν, οἴμοι, τῷ μολόντι δεσπότῃ–
ἐμῷ φέρειν γὰρ χρὴ τὸ δούλιον ζυγόν
νεῶν τ' ἄπαρχος Ἰλίου τ' ἀναστάτης
οὐκ οἶδεν οἵα γλῶσσα, μισητῆς κυνὸς
λείξασα κἀκτείνασα φαιδρὸν οὖς δίκην,
1230 ἄτης λαθραίου τεύξεται κακῇ τύχῃ.
Τοιάδε τόλμα θῆλυς ἄρσενος φονεύς
ἔστιν – τί νιν καλοῦσα δυσφιλὲς δάκος
τύχοιμ' ἄν; Ἀμφίσβαιναν, ἢ Σκύλλαν τινὰ
οἰκοῦσαν ἐν πέτραισι, ναυτίλων βλάβην,
† θύουσαν Ἅιδου μητέρ' † ἄσπονδόν τ' Ἄρη
φίλοις πνέουσαν; Ὡς δ' ἐπωλολύξατο
ἡ παντότολμος, ὥσπερ ἐν μάχης τροπῇ.
Δοκεῖ δὲ χαίρειν νοστίμῳ σωτηρίᾳ.
Καὶ τῶνδ' ὅμοιον εἴ τι μὴ πείθω τί γάρ;
1240 Τὸ μέλλον ἥξει. Καὶ σύ μ' ἐν τάχει παρὼν
ἄγαν γ' ἀληθόμαντιν οἰκτίρας ἐρεῖς.

ΧΟΡΟΣ

Τὴν μὲν Θυέστου δαῖτα παιδείων κρεῶν
ξυνῆκα καὶ πέφρικα, καὶ φόβος μ' ἔχει
κλύοντ' ἀληθῶς οὐδὲν ἐξῃκασμένα.
Τὰ δ' ἄλλ' ἀκούσας ἐκ δρόμου πεσὼν τρέχω.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἀγαμέμνονός σέ φημ' ἐπόψεσθαι μόρον.

ΧΟΡΟΣ

Εὔφημον, ὦ τάλαινα, κοίμησον στόμα.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἀλλ' οὔτι παιὼν τῷδ' ἐπιστατεῖ λόγῳ.

ΧΟΡΟΣ

Οὔκ, εἴπερ ἔσται γ' ἀλλὰ μὴ γένοιτό πως.

1250 ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Σὺ μὲν κατεύχῃ, τοῖς δ' ἀποκτείνειν μέλει.

ΧΟΡΟΣ

Τίνος πρὸς ἀνδρὸς τοῦτ' ἄχος πορσύνεται;

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἦ κάρτα χρησμῶν παρεκόπης ἐμῶν ἄρα.

ΧΟΡΟΣ

Τοῦ γὰρ τελοῦντος οὐ ξυνῆκα μηχανήν.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Καὶ μὴν ἄγαν γ' Ἕλλην' ἐπίσταμαι φάτιν.

ΧΟΡΟΣ

Καὶ γὰρ τὰ πυθόκραντα δυσμαθῆ δ' ὅμως.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Παπαῖ, οἷον τὸ πῦρ ἐπέρχεται δέ μοι.
Ὀτοτοῖ, Λύκει' Ἄπολλον, οἲ ἐγὼ ἐγώ.
Αὕτη δίπους λέαινα συγκοιμωμένη
λύκῳ, λέοντος εὐγενοῦς ἀπουσίᾳ,
1260 κτενεῖ με τὴν τάλαιναν ὡς δὲ φάρμακον
τεύχουσα κἀμοῦ μισθὸν ἐνθήσει ποτῷ
ἐπεύχεται, θήγουσα φωτὶ φάσγανον,
ἐμῆς ἀγωγῆς ἀντιτείσεσθαι φόνον.
Τί δῆτ' ἐμαυτῆς καταγέλωτ' ἔχω τάδε,
καὶ σκῆπτρα καὶ μαντεῖα περὶ δέρῃ στέφη;
Σὲ μὲν πρὸ μοίρας τῆς ἐμῆς διαφθερῶ.
Ἴτ' ἐς φθόρον πεσόντα γ' ὧδ' ἀμείβομαι.
Ἄλλην τιν' Ἄτην ἀντ' ἐμοῦ πλουτίζετε.
Ἰδοὺ δ', Ἀπόλλων αὐτὸς ἐκδύων ἐμὲ
1270 χρηστηρίαν ἐσθῆτ', ἐποπτεύσας δέ με
κἀν τοῖσδε κόσμοις καταγελωμένην † μετὰ
φίλων ὑπ' ἐχθρῶν οὐ διχορρόπως μάτην.
Κακουμένη δέ, φοιτὰς ὡς ἀγύρτρια,
πτωχὸς τάλαινα λιμοθνὴς ἠνεσχόμην
καὶ νῦν ὁ μάντις μάντιν ἐκπράξας ἐμὲ
ἀπήγαγ' ἐς τοιάσδε θανασίμους τύχας.
Βωμοῦ πατρῴου δ' ἀντ' ἐπίξηνον μένει,
θερμῷ κοπείσης φοίνιον προσφάγματι.
Οὐ μὴν ἄτιμοί γ' ἐκ θεῶν τεθνήξομεν.
1280 Ἥξει γὰρ ἡμῶν ἄλλος αὖ τιμάορος,
μητροκτόνον φίτυμα, ποινάτωρ πατρός
φυγὰς δ' ἀλήτης τῆσδε γῆς ἀπόξενος
κάτεισιν, ἄτας τάσδε θριγκώσων φίλοις
ὀμώμοται γὰρ ὅρκος ἐκ θεῶν μέγας,
ἄξειν νιν ὑπτίασμα κειμένου πατρός.
Τί δῆτ' ἐγὼ κάτοικτος ὧδ' ἀναστένω;
Ἐπεὶ τὸ πρῶτον εἶδον Ἰλίου πόλιν
πράξασαν ὡς ἔπραξεν, οἳ δ' εἷλον πόλιν
οὕτως ἀπαλλάσσουσιν ἐν θεῶν κρίσει.
1290 Ἰοῦσα πράξω τλήσομαι τὸ κατθανεῖν.
Ἅιδου πύλας δὲ τάσδ' ἐγὼ προσεννέπω
ἐπεύχομαι δὲ καιρίας πληγῆς τυχεῖν,
ὡς ἀσφάδᾳστος, αἱμάτων εὐθνησίμων
ἀπορρυέντων, ὄμμα συμβάλω τόδε.

ΧΟΡΟΣ

Ὦ πολλὰ μὲν τάλαινα, πολλὰ δ' αὖ σοφὴ
γύναι, μακρὰν ἔτεινας. Εἰ δ' ἐτητύμως
μόρον τὸν αὑτῆς οἶσθα, πῶς θεηλάτου
βοὸς δίκην πρὸς βωμὸν εὐτόλμως πατεῖς;

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Οὐκ ἔστ' ἄλυξις, οὔ, ξένοι, † χρόνῳ πλέῳ.

1300 ΧΟΡΟΣ

Ὁ δ' ὕστατός γε τοῦ χρόνου πρεσβεύεται.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἥκει τόδ' ἦμαρ σμικρὰ κερδανῶ φυγῇ.

ΧΟΡΟΣ

Ἀλλ' ἴσθι τλήμων οὖσ' ἀπ' εὐτόλμου φρενός.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Οὐδεὶς ἀκούει ταῦτα τῶν εὐδαιμόνων.

ΧΟΡΟΣ

Ἀλλ' εὐκλεῶς τοι κατθανεῖν χάρις βροτῷ.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἰὼ πάτερ σοῦ σῶν τε γενναίων τέκνων.

ΧΟΡΟΣ

Τί δ' ἐστὶ χρῆμα; Τίς σ' ἀποστρέφει φόβος;

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Φεῦ φεῦ.

ΧΟΡΟΣ

Τί τοῦτ' ἔφευξας; Εἴ τι μὴ φρενῶν στύγος.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Φόνον δόμοι πνέουσιν αἱματοσταγῆ.

1310 ΧΟΡΟΣ

Καὶ πῶς; Τόδ' ὄζει θυμάτων ἐφεστίων.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ὅμοιος ἀτμὸς ὥσπερ ἐκ τάφου πρέπει.

ΧΟΡΟΣ

Οὐ Σύριον ἀγλάισμα δώμασιν λέγεις;

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἀλλ' εἶμι κἀν δόμοισι κωκύσουσ' ἐμὴν
Ἀγαμέμνονός τε μοῖραν. Ἀρκείτω βίος.
Ἰὼ ξένοι.
Οὔτοι δυσοίζω, θάμνον ὡς ὄρνις, φόβῳ
ἄλλως θανούσῃ μαρτυρεῖτέ μοι τόδε,
ὅταν γυνὴ γυναικὸς ἀντ' ἐμοῦ θάνῃ,
ἀνήρ τε δυσδάμαρτος ἀντ' ἀνδρὸς πέσῃ.
1320 Ἐπιξενοῦμαι ταῦτα δ' ὡς θανουμένη.

ΧΟΡΟΣ

Ὦ τλῆμον, οἰκτίρω σε θεσφάτου μόρου.

ΚΑΣΣΑΝΔΡΑ

Ἅπαξ ἔτ' εἰπεῖν ῥῆσιν, ἢ θρῆνον θέλω
ἐμὸν τὸν αὐτῆς. Ἡλίου δ' ἐπεύχομαι
πρὸς ὕστατον φῶς τοῖς ἐμοῖς τιμαόροις
ἐχθροὺς φόνευσιν τὴν ἐμὴν τίνειν ὁμοῦ,
δούλης θανούσης, εὐμαροῦς χειρώματος.
Ἰὼ βρότεια πράγματ' εὐτυχοῦντα μὲν
σκιᾷ τις ἂν πρέψειεν εἰ δὲ δυστυχοῖ,
βολαῖς ὑγρώσσων σπόγγος ὤλεσεν γραφήν.
1330 Καὶ ταῦτ' ἐκείνων μᾶλλον οἰκτίρω πολύ.
 

CASSANDRE.

Hélas ! hélas ! ah ! ah ! douleur ! — Le travail funeste de la divination m'agite ; le prélude de l'hymne de malheur trouble mon âme. — Voyez-vous ces enfants assis dans le palais, pareils aux fantômes des songes ? Ils ont péri, ces enfants, par le crime de ceux qui les devaient chérir. Ils sont là, tenant dans leurs mains leur chair, leurs entrailles, leurs cœurs : mets épouvantable, dont le père a goûté ! 197 Mais le forfait sera vengé : un lion médite la vengeance, un lion sans courage (130). Il se vautre dans le lit conjugal ; il guette, au fond de la maison, hélas ! l'arrivée, de mon maître. — Oui, mon maître, puisqu'il me faut porter le joug de l'esclavage ! — Ah ! ce chef des vaisseaux, ce destructeur d'Ilion, il ne sait pas ce que cachent les longs discours, les doux sourires de l'exécrable chienne, l'affreux destin que la Furie lui prépare dans l'ombre. Une femme a donc ce courage ! Une femme égorger son époux ! Quel nom puis-je donner à ce monstre odieux ? O serpent à double tête (131) ! Scylla, habitante des rochers, fléau des matelots ! prêtresse de l'enfer ! C'est contre les siens qu'elle exhale cette implacable haine ! Oh ! comme elle a poussé le cri de joie, la scélérate ! On dirait qu'elle a vaincu l'ennemi, qu'elle célèbre son retour triomphant (132). — Encore aujourd'hui, si je trouve des incrédules — après tout, c'est mon sort — ce qui doit être arrivera : bientôt tes yeux seront témoins, et tu m'appelleras en gémissant la trop véridique prophétesse.

LE CHŒUR.

Le festin de Thyeste, ce père qui mangea la chair de ses fils, je l'ai reconnu, et j'ai frémi ; l'effroi me pénètre encore à ce récit fidèle. Mais le reste de ton discours m'échappe, et je perds la trace.

198 CASSANDRE.

Je dis que tu vas voir le trépas d'Agamemnon.

LE CHŒUR.

Malheureuse ! que dis-tu ? Calme tes discours.

CASSANDRE.

Il n'est pas de remède au malheur dont j'ai parlé.

LE CHŒUR.

Non, sans doute, s'il arrive ; mais puisse-t-il n'arriver pas !

CASSANDRE.

Toi, tu fais des vœux ; eux, ils songent au meurtre.

LE CHŒUR.

Quel homme accomplirait ce forfait?

CASSANDRE.

Tu as, certes, bien mal compris mes oracles.

LE CHŒUR.

Je ne pénètre pas le complot.

CASSANDRE.

Tu sais assez bien pourtant la langue grecque (133).

LE CHŒUR.

Les oracles de Pytho parlent grec aussi; néanmoins ils sont difficiles à comprendre.

CASSANDRE.

Grands dieux ! quel feu m'embrase ! Hélas ! hélas ! Apollon ! dieu destructeur (134) ! O douleur ! douleur ! — Cette lionne à deux pieds a dormi avec le loup, dans l'absence du lion généreux : c'est elle qui me tuera, moi malheureuse ! Elle prépare la vengeance ; moi aussi je servirai à assouvir son courroux. Elle dit, aiguisant le poignard pour frapper son époux, que c'est pour m'avoir amenée qu'il doit périr. — Mais pourquoi gardé-je encore ces vains ornements, ce sceptre, ces guirlandes des devins qui parent ma tête ? (Jetant son sceptre.) Je te brise, avant de mourir. (Jetant ses guirlandes.) Allez, je vous foule aux pieds : c'est le prix de vos bienfaits (135). Portez à quelque autre vos trésors d'infortune. Viens, Apollon, viens toi-même me dépouiller du manteau fatidique. Tu m'as vue, au temps du siège, malgré ces ornements, l'objet des railleries des miens ; railleries insensées, certes ! On m'appelait vagabonde, comme une magicienne du carrefour ; et je subissais la pauvreté, le malheur, la faim. Et ce prophète qui m'a fait prophétesse, voilà le trépas où il m'a conduite ! Au lieu de l'autel où périt mon père, ce qui m'attend, c'est un billot de cuisine (136): c'est là que je serai frappée, que va couler mon sang. Et pourtant les dieux ne laisseront pas ma mort impunie. Notre vengeur (137) à son tour viendra. Rejeton fatal à 200 sa mère, il fera payer le meurtre d'un père ; exilé aujourd'hui, errant loin de sa patrie, il reviendra enfin, il accomplira le dernier des forfaits de sa famille (138) Ce qui le ramènera, c'est le souvenir de son père étendu dans le sang. — Ah ! pourquoi gémir ainsi, m'arrêter aux portes du palais ? J'ai vu Ilion à son heure fatale ; et ceux qui ont été les maîtres dans ma patrie, voilà le retour du jugement des dieux sur leur cause ! Marchons donc; ayons le courage de mourir. Aussi bien les dieux ont prononcé le grand serment. Vous voilà, portes de l'enfer ; je vous salue! Puisse le premier coup être le coup mortel ! puisse mon sang s'écouler à grands flots, et mon œil se fermer sans effort !

LE CHŒUR.

O femme trop infortunée, trop savante! ton discours renferme bien des événements. Mais si tu sais enfin le sort qui t'attend, pourquoi, comme la génisse qui suit l'appel des dieux, courir ainsi audacieusement à l'autel?

CASSANDRE.

Je ne puis éviter mon sort. O mes hôtes ! le temps m'entraîne.

LE CHŒUR.

Mourir le dernier, c'est toujours gagner du temps.

CASSANDRE.

Le jour est arrivé ; la fuite serait inutile.

LE CHŒUR.

Crois-moi, c'est ton courage qui fait ton malheur.

201 CASSANDRE.

Ce reproche ne s'adresse jamais aux heureux.

LE CHŒUR.

Du moins, si c'était un glorieux trépas, un mortel pourrait s'en réjouir  (139).

CASSANDRE, s'avançant à la porte du palais.

Malheur à toi, triste père ! Généreux enfants (140), malheur à vous !

LE CHŒUR.

Hé bien, qu'y a-t-il? Quel effroi te ramène sur tes pas ?

CASSANDRE.

Ah! ah!

LE CHŒUR.

D'où vient ce cri d'effroi ? Quelle horreur a saisi ton âme?

CASSANDRE.

Ce palais respire le sang et le carnage.

LE CHŒUR.

N'est-ce pas l'odeur des sacrifices qu'on fait au foyer ?

CASSANDRE.

On dirait plutôt la vapeur qui s'exhale des tombeaux.

202 LE CHŒUR.

Ce n'est point là, certes, un parfum de Syrie.

CASSANDRE.

J'entre ; je vais encore, dans le palais, déplorer mon destin et le destin d'Agamemnon. C'est assez vécu. Adieu, mes hôtes ! Je ne tremble pas, comme l'oiseau à l'aspect de la glu (141) : à cet instant fatal, rendez-moi du moins ce témoignage. Un jour viendra où ma mort sera vengée par la mort d'une femme ; où le sang d'un homme expiera le sang d'un époux infortuné* (142) — C'était donc là l'hospitalité qu'on me préparait ; c'était la mort !

LE CHŒUR.

Ô malheureuse, je plains cette destinée que te révèlent les dieux !

CASSANDRE.

Je veux dire encore une parole (143), encore une fois gémir sur moi. O soleil ! par cette lumière que je ne verrai plus, fais, je t'en conjure, que mes ennemis, que mes assassins 203 payent, frappés l'un et l'autre par mes vengeurs, le meurtre d'une esclave sans défense. O néant des choses humaines ! Pour mettre le bonheur en fuite, la vue d'une ombre suffit. Et le malheur ! le frottement d'une éponge humide (144) en fait disparaître l'empreinte : oubli qui m'inspire plus de pitié que la perte du bonheur. (Elle entre dans le palais.)

 ΧΟΡΟΣ

Τὸ μὲν εὖ πράσσειν ἀκόρεστον ἔφυ
πᾶσι βροτοῖσιν δακτυλοδείκτων δ'
οὔτις ἀπειπὼν εἴργει μελάθρων,
μηκέτ' ἐσέλθῃς, τάδε φωνῶν.
Καὶ τῷδε πόλιν μὲν ἑλεῖν ἔδοσαν
μάκαρες Πριάμου
θεοτίμητος δ' οἴκαδ' ἱκάνει
νῦν δ' εἰ προτέρων αἷμ' ἀποτείσει
καὶ τοῖσι θανοῦσι θανὼν ἄλλων
1340 ποινὰς θανάτων ἐπικρανεῖ,
τίς τἂν εὔξαιτο βροτῶν ἀσινεῖ
δαίμονι φῦναι τάδ' ἀκούων;

ΑΓΑΜΕΜΝΩΝ

Ὤμοι, πέπληγμαι καιρίαν πληγὴν ἔσω.

ΧΟΡΟΣ

Σῖγα τίς πληγὴν ἀυτεῖ καιρίως οὐτασμένος;

ΑΓΑΜΕΜΝΩΝ

Ὤμοι μάλ' αὖθις, δευτέραν πεπληγμένος.

ΧΟΡΟΣ

Τοὔργον εἰργάσθαι δοκεῖ μοι βασιλέως οἰμώγμασιν.
Ἀλλὰ κοινωσώμεθ', ἤν πως, ἀσφαλῆ βουλεύματα.

1. Ἐγὼ μὲν ὑμῖν τὴν ἐμὴν γνώμην λέγω,
πρὸς δῶμα δεῦρ' ἀστοῖσι κηρύσσειν βοήν.

1350 2. Ἐμοὶ δ' ὅπως τάχιστά γ' ἐμπεσεῖν δοκεῖ
καὶ πρᾶγμ' ἐλέγχειν σὺν νεορρύτῳ ξίφει.

3. Κἀγὼ τοιούτου γνώματος κοινωνὸς ὢν
ψηφίζομαί τι δρᾶν τὸ μὴ μέλλειν δ' ἀκμή.

4. Ὁρᾶν πάρεστι φροιμιάζονται γὰρ ὥς,
τυραννίδος σημεῖα πράσσοντες πόλει.

5. Χρονίζομεν γάρ. Οἱ δὲ τῆς μελλοῦς κλέος
πέδοι πατοῦντες οὐ καθεύδουσιν χερί.

6. Οὐκ οἶδα βουλῆς ἧστινος τυχὼν λέγω.
τοῦ δρῶντός ἐστι καὶ τὸ βουλεῦσαι πέρι.

1360 7. Κἀγὼ τοιοῦτός εἰμ', ἐπεὶ δυσμηχανῶ
λόγοισι τὸν θανόντ' ἀνιστάναι πάλιν.

8. Ἦ καὶ βίον τείνοντες ὧδ' ὑπείξομεν
δόμων καταισχυντῆρσι τοῖσδ' ἡγουμένοις;

9. Ἀλλ' οὐκ ἀνεκτόν, ἀλλὰ κατθανεῖν κρατεῖ
πεπαιτέρα γὰρ μοῖρα τῆς τυραννίδος.

10. Ἦ γὰρ τεκμηρίοισιν ἐξ οἰμωγμάτων
μαντευσόμεσθα τἀνδρὸς ὡς ὀλωλότος;

11. Σάφ' εἰδότας χρὴ τῶνδε θυμοῦσθαι πέρι•
τὸ γὰρ τοπάζειν τοῦ σάφ' εἰδέναι δίχα.

1370 12. Ταύτην ἐπαινεῖν πάντοθεν πληθύνομαι,
τρανῶς Ἀτρείδην † εἰδέναι κυροῦνθ' ὅπως.

LE CHŒUR.

Il n'est point de mortel qui se rassasie du bonheur. Jamais on ne vous repousse d'un palais montré du doigt pour son opulence. Mais n'y portez pas des maximes comme celles de la captive (145). Les immortels ont donné à Agamemnon de prendre d'assaut la ville de Priam : il est rentré dans Argos, comblé d'honneur par les dieux. Ah ! s'il doit payer le prix du sang autrefois répandu; s'il doit mourir parce que d'autres sont morts ; si un meurtre doit venger d'autres meurtres, quel mortel, après cela, pourra se flatter d'être né sous d'heureux auspices ?

AGAMEMNON, derrière le théâtre.

Ah ! dieux ! je suis frappé du coup mortel

PREMIER DEMI-CHŒUR.

Silence ! quelle est celte voix? qui frappe-t-on à mort?

AGAMEMNON.

Ah ! dieux ! un autre coup m'a frappé.

DEUXIÈME DEMI-CHŒUR.

Ce cri funeste, c'est le roi qui l'a pousse : le forfait s'accomplit sans doute. A quel parti nous arrêter? Mettons en commun nos avis.

PREMIER DEMI-CHŒUR.

Mon avis, le voici : appelons les citoyens au secours.

DEUXIÈME DEMI-CHŒUR.

Nous ferions mieux de fondre brusquement dans le palais, de saisir les meurtriers sur le fait, le glaive tout dégouttant encore (146).

PREMIER DEMI-CHŒUR.

J'approuve ce conseil. Il faut agir : il n'y a pas tir. instant à perdre.

DEUXIÈME DEMI-CHŒUR.

Il faut nous assurer de tout par nos yeux. C'est ainsi que préludent ceux qui, dans un État, se préparent à signaler leur tyrannie.

PREMIER DEMI-CHŒUR.

Nous perdons ici le temps ; eux, ils marchent sur le chemin qui conduit à la puissance (147) : aussi leur main ne s'endort pas.

205 DEUXIÈME DEMI-CHŒUR.

Je ne sais plus à quel parti me résoudre. D'ailleurs, il vaut mieux maintenant délibérer qu'agir.

PREMIER DEMI-CHŒUR.

Tel est aussi mon sentiment. Je ne sais pas de discours qui puissent rappeler un mort à la vie.

DEUXIÈME DEMI-CHŒUR.

Oui ; mais tuerons-nous (148) toute notre existence, en obéissant à de tels chefs, à des criminels souillés du sang de notre roi?

PREMIER DEMI-CHŒUR.

Un tel sort est insupportable; je préfère la mort. La mort est plus douce que la vie sous un tyran.

DEUXIÈME DEMI-CHŒUR.

Mais, dites-moi, ces plaintifs gémissements sont-ils une preuve que notre roi n'est plus ?

PREMIER DEMI-CHŒUR.

Pour avoir la preuve, il faut voir de ses yeux (149) : autre chose est la conjecture ou la certitude.

DEUXIEME DEMI-CHŒUR.

L'avis auquel tout m'engage à m'arrêter, c'est d'éclaircir les événements et de nous assurer du sort d'Atride.

  ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Πολλῶν πάροιθεν καιρίως εἰρημένων
τἀναντί' εἰπεῖν οὐκ ἐπαισχυνθήσομαι.
Πῶς γάρ τις ἐχθροῖς ἐχθρὰ πορσύνων, φίλοις
δοκοῦσιν εἶναι, πημονῆς ἀρκύστατ' ἂν
φράξειεν ὕψος κρεῖσσον ἐκπηδήματος;
Ἐμοὶ δ' ἀγὼν ὅδ' οὐκ ἀφρόντιστος πάλαι
νείκης παλαιᾶς ἦλθε, σὺν χρόνῳ γε μήν
ἕστηκα δ' ἔνθ' ἔπαισ' ἐπ' ἐξειργασμένοις.
1380 Οὕτω δ' ἔπραξα – καὶ τάδ' οὐκ ἀρνήσομαι–
ὡς μήτε φεύγειν μήτ' ἀμύνεσθαι μόρον.
Ἄπειρον ἀμφίβληστρον, ὥσπερ ἰχθύων,
περιστιχίζω, πλοῦτον εἵματος κακόν,
παίω δέ νιν δίς κἀν δυοῖν οἰμωγμάτοιν
μεθῆκεν αὐτοῦ κῶλα καὶ πεπτωκότι
τρίτην ἐπενδίδωμι, τοῦ κατὰ χθονός,
Ἅιδου, νεκρῶν σωτῆρος, εὐκταίαν χάριν.
Οὕτω τὸν αὑτοῦ θυμὸν ὁρμαίνει πεσών,
κἀκφυσιῶν ὀξεῖαν αἵματος σφαγὴν
1390 βάλλει μ' ἐρεμνῇ ψακάδι φοινίας δρόσου,
χαίρουσαν οὐδὲν ἧσσον ἢ διοσδότῳ
γάνει σπορητὸς κάλυκος ἐν λοχεύμασιν.
Ὡς ὧδ' ἐχόντων, πρέσβος Ἀργείων τόδε,
χαίροιτ' ἄν, εἰ χαίροιτ', ἐγὼ δ' ἐπεύχομαι.
Εἰ δ' ἦν πρεπόντων ὥστ' ἐπισπένδειν νεκρῷ,
τῷδ' ἂν δικαίως ἦν, ὑπερδίκως μὲν οὖν
τοσόνδε κρατῆρ' ἐν δόμοις κακῶν ὅδε
πλήσας ἀραίων αὐτὸς ἐκπίνει μολών.

ΧΟΡΟΣ

Θαυμάζομέν σου γλῶσσαν, ὡς θρασύστομος,
1400 ἥτις τοιόνδ' ἐπ' ἀνδρὶ κομπάζεις λόγον.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Πειρᾶσθέ μου γυναικὸς ὡς ἀφράσμονος
ἐγὼ δ' ἀτρέστῳ καρδίᾳ πρὸς εἰδότας
λέγω – σὺ δ' αἰνεῖν εἴτε με ψέγειν θέλεις
ὅμοιον – οὗτός ἐστιν Ἀγαμέμνων, ἐμὸς
πόσις, νεκρὸς δὲ τῆσδε δεξιᾶς χερός,
ἔργον δικαίας τέκτονος. Τάδ' ὧδ' ἔχει.

ΧΟΡΟΣ

[στρ. α]

Τί κακόν, ὦ γύναι,
χθονοτρεφὲς ἐδανὸν ἢ ποτὸν
πασαμένα ῥυτᾶς ἐξ ἁλὸς ὄρμενον
τόδ' ἐπέθου θύος, δημοθρόους τ' ἀράς;
1410 Ἀπέδικες ἀπέταμες, ἀπόπολις δ' ἔσῃ,
μῖσος ὄβριμον ἀστοῖς.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Νῦν μὲν δικάζεις ἐκ πόλεως φυγὴν ἐμοί,
καὶ μῖσος ἀστῶν δημόθρους τ' ἔχειν ἀράς,
οὐδὲν τότ' ἀνδρὶ τῷδ' ἐναντίον φέρων,
ὃς οὐ προτιμῶν, ὡσπερεὶ βοτοῦ μόρον,
μήλων φλεόντων εὐπόκοις νομεύμασιν,
ἔθυσεν αὑτοῦ παῖδα, φιλτάτην ἐμοὶ
ὠδῖν', ἐπῳδὸν Θρῃκίων ἀημάτων.
Οὐ τοῦτον ἐκ γῆς τῆσδε χρῆν σ' ἀνδρηλατεῖν,
1420 μιασμάτων ἄποινα; Ἐπήκοος δ' ἐμῶν
ἔργων δικαστὴς τραχὺς εἶ. Λέγω δέ σοι
τοιαῦτ' ἀπειλεῖν, ὡς παρεσκευασμένη
σ' ἐκ τῶν ὁμοίων χειρὶ νικήσαντ' ἐμοῦ
ἄρχειν ἐὰν δὲ τοὔμπαλιν κραίνῃ θεός,
γνώσῃ διδαχθεὶς ὀψὲ γοῦν τὸ σωφρονεῖν.

CLYTEMNESTRE.

Tout à l'heure j'ai longuement parlé, et comme il convenait à la circonstance ; maintenant, je ne rougirai point de démentir mon premier discours. Comment, sans le mensonge, préparer la ruine d'un ennemi qui semble nous être cher ? comment l'envelopper d'un réseau fatal, dont nul effort ne le puisse dégager ? Il y a longtemps que j'avais perdu la bataille; il y a longtemps aussi que je méditais ce nouveau combat : l'ennemi a été vaincu ; il est tombé, et moi je suis restée debout. J'avais tout préparé, j'en dois convenir ; il ne pouvait ni fuir ni défendre sa vie. Je l'enveloppai, comme on fait les poissons, dans un filet sans issue: c'était un riche voile, mais un voile de mort. Deux fois je le frappe, deux fois il pousse un cri plaintif ; la force l'abandonne, il tombe. Tombé, un troisième coup l'achève ; et Pluton, le gardien souterrain des mânes, a vu ses vœux comblés. La victime expire ; les convulsions de la mort font jaillir le sang de ses blessures; et la rosée du meurtre tombe en noires gouttes sur moi, rosée aussi douce à mon cœur que l'est pour les guérets la pluie de Jupiter, dans la saison où l'épi sort de l'enveloppe. Voilà ce qui s'est passé : vous que je vois en ces lieux, vieillards d'Argos, partagez ou condamnez ma joie, peu m'importe ; je m'applaudis de mon action. S'il était permis de verser des libations sur un cadavre, c'est ici surtout qu'il serait juste de remercier les dieux : cet homme avait comblé d'exécrables horreurs la coupe des Pélopides ; et c'est lui-même qui l'a bue au retour.

LE CHŒUR.

Nous admirons l'impudence de ton langage ! Une femme insulter ainsi à son époux !

207 CLYTEMNESTRE.

Vous me prenez pour une femme sans résolution ; mais, quand je vous prends à témoin de ce que j'ai fait, mon cœur ne tremble pas. Louange ou blâme, tout ce que tu diras de moi m'est égal. (Montrant le cadavre d'Agamemnon.) Voilà Agamemnon, mon époux; et voilà la main qui l'a tué. L'ouvrage est d'une bonne ouvrière. J'ai dit.

LE CHŒUR.

O femme ! quel mets, production de la terre, quel breuvage puisé dans les mers, avait donc troublé tes sens? Oser accomplir l'affreux sacrifice ! t'exposer aux imprécations de tout un peuple! Tu as renversé ton époux, tu l'as égorgé : objet de la haine des citoyens, tu vivras dans un éternel exil.

CLYTEMNESTRE.

Tu décernes à présent contre moi l'arrêt du bannissement ; tu me charges de la haine des citoyens, des imprécations populaires ; et tu n'as nul reproche pour cet homme. Lui, il a estimé la vie de sa fille à l'égal de celle d'une brebis (150), alors que les troupeaux à la riche toison abondaient dans ses pâturages: il a immolé sa propre enfant, le fruit bien-aimé de mes entrailles ; et c'était pour charmer les vents de Thrace! N'était-ce pas lui qu'il fallait bannir? n'était-ce pas là la récompense due à un pareil sacrilège ? Mais non ; c'est mon action qui enflamme ton zèle, c'est pour moi seule que tes jugements sont sévères. Hé bien, tes menaces me trouvent préparée. Combattons! Si tu es vainqueur, c'est à moi d'obéir ; mais si le ciel en décide autrement, le malheur sera pour toi la tardive mais efficace leçon de la sagesse.

ΧΟΡΟΣ

Μεγαλόμητις εἶ, [ἀντ.
Περίφρονα δ' ἔλακες, ὥσπερ οὖν
φονολιβεῖ τύχᾳ φρὴν ἐπιμαίνεται
λίβος ἐπ' ὀμμάτων αἵματος ἐμπρέπει
ἄντιτον ἔτι σε χρὴ στερομέναν φίλων
1430 τύμμα τύμματι τεῖσαι.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Καὶ τήνδ' ἀκούεις ὁρκίων ἐμῶν θέμιν
μὰ τὴν τέλειον τῆς ἐμῆς παιδὸς Δίκην,
Ἄτην Ἐρινύν θ', αἷσι τόνδ' ἔσφαξ' ἐγώ,
οὔ μοι Φόβου μέλαθρον ἐλπὶς ἐμπατεῖ,
ἕως ἂν αἴθῃ πῦρ ἐφ' ἑστίας ἐμῆς
Αἴγισθος, ὡς τὸ πρόσθεν εὖ φρονῶν ἐμοί.
Οὗτος γὰρ ἡμῖν ἀσπὶς οὐ σμικρὰ θράσους.
. . . . . . .
Κεῖται, γυναικὸς τῆσδε λυμαντήριος,
Χρυσηίδων μείλιγμα τῶν ὑπ' Ἰλίῳ
1440 ἥ τ' αἰχμάλωτος ἥδε καὶ τερασκόπος
καὶ κοινόλεκτρος τοῦδε, θεσφατηλόγος
πιστὴ ξύνευνος, ναυτίλων δὲ σελμάτων
ἰσοτριβής. Ἄτιμα δ' οὐκ ἐπραξάτην.
Ὁ μὲν γὰρ οὕτως, ἡ δέ τοι κύκνου δίκην
τὸν ὕστατον μέλψασα θανάσιμον γόον
κεῖται † φιλήτως τοῦδ', ἐμοὶ δ' ἐπήγαγεν
εὐνῆς παροψώνημα τῆς ἐμῆς χλιδῇ.

[στρ. α.

ΧΟΡΟΣ

Φεῦ, τίς ἂν ἐν τάχει, μὴ περιώδυνος,
μηδὲ δεμνιοτήρης,
1450 μόλοι τὸν ἀεὶ φέρουσ' ἐν ἡμῖν
Μοῖρ' ἀτέλευτον ὕπνον, δαμέντος
φύλακος εὐμενεστάτου [καὶ]
πολέα τλάντος γυναικὸς διαί; Πρὸς γυναι-
κὸς δ' ἀπέφθισεν βίον.
[ἐφυμν. α
– Ἰὼ ἰὼ παράνους Ἑλένα
μία τὰς πολλάς, τὰς πάνυ πολλὰς
ψυχὰς ὀλέσασ' ὑπὸ Τροίᾳ,
νῦν τελέαν πολύμναστον ἐπηνθίσω
1460 δι' αἷμ' ἄνιπτον ἥτις ἦν τότ' ἐν δόμοις
ἔρις ἐρίδματος, ἀνδρὸς οἰζύς.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Μηδὲν θανάτου μοῖραν ἐπεύχου
τοῖσδε βαρυνθείς
μηδ' εἰς Ἑλένην κότον ἐκτρέψῃς,
ὡς ἀνδρολέτειρ', ὡς μία πολλῶν
ἀνδρῶν ψυχὰς Δαναῶν ὀλέσασ'
ἀξύστατον ἄλγος ἔπραξε.

[ἀντ. α.

ΧΟΡΟΣ

Δαῖμον, ὃς ἐμπίτνεις δώμασι καὶ διφυί-
οισι Τανταλίδαισιν,
1470 κράτος <τ'> ἰσόψυχον ἐκ γυναικῶν
καρδιόδηκτον ἐμοὶ κρατύνεις,
ἐπὶ δὲ σώματος δίκαν [μοι]
κόρακος ἐχθροῦ σταθεὶς ἐννόμως ὕμνον ὑ-
μνεῖν ἐπεύχεαι <κακόν>.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Νῦν δ' ὤρθωσας στόματος γνώμην,
τὸν τριπάχυντον
δαίμονα γέννης τῆσδε κικλῄσκων.
Ἐκ τοῦ γὰρ ἔρως αἱματολοιχὸς
νείρᾳ τρέφεται πρὶν καταλῆξαι
1480 τὸ παλαιὸν ἄχος, νέος ἰχώρ.

[στρ. β.

ΧΟΡΟΣ

Ἦ μέγαν οἴκοις τοῖσδε
δαίμονα καὶ βαρύμηνιν αἰνεῖς,
φεῦ φεῦ, κακὸν αἶνον
ἀτηρᾶς τύχας ἀκόρεστον
ἰὼ ἰὴ διαὶ Διὸς
παναιτίου πανεργέτα
τί γὰρ βροτοῖς ἄνευ Διὸς τελεῖται;
Τί τῶνδ' οὐ θεόκραντόν ἐστιν;

[ἐφυμν. β.

– Ἰὼ ἰὼ βασιλεῦ βασιλεῦ,
1490 πῶς σε δακρύσω;
Φρενὸς ἐκ φιλίας τί ποτ' εἴπω;
Κεῖσαι δ' ἀράχνης ἐν ὑφάσματι τῷδ'
ἀσεβεῖ θανάτῳ βίον ἐκπνέων,
ὤμοι μοι, κοίταν τάνδ' ἀνελεύθερον
δολίῳ μόρῳ δαμεὶς <δάμαρτος>
ἐκ χερὸς ἀμφιτόμῳ βελέμνῳ.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Αὐχεῖς εἶναι τόδε τοὔργον ἐμόν
μὴ δ' ἐπιλεχθῇς
Ἀγαμεμνονίαν εἶναί μ' ἄλοχον.
1500 Φανταζόμενος δὲ γυναικὶ νεκροῦ
τοῦδ' ὁ παλαιὸς δριμὺς ἀλάστωρ
Ἀτρέως χαλεποῦ θοινατῆρος
τόνδ' ἀπέτεισεν,
τέλεον νεαροῖς ἐπιθύσας.

[ἀντ. β.

ΧΟΡΟΣ

Ὡς μὲν ἀναίτιος εἶ
τοῦδε φόνου τίς ὁ μαρτυρήσων;
Πῶ πῶ; Πατρόθεν δὲ
συλλήπτωρ γένοιτ' ἂν ἀλάστωρ.
Βιάζεται δ' ὁμοσπόροις
1510 ἐπιρροαῖσιν αἱμάτων
μέλας Ἄρης, ὅποι δίκαν προβαίνων
πάχνᾳ κουροβόρῳ παρέξει.

[ἐφυμν. β.

– Ἰὼ ἰὼ βασιλεῦ βασιλεῦ,
πῶς σε δακρύσω;
Φρενὸς ἐκ φιλίας τί ποτ' εἴπω;
Κεῖσαι δ' ἀράχνης ἐν ὑφάσματι τῷδ'
ἀσεβεῖ θανάτῳ βίον ἐκπνέων,
ὤμοι μοι, κοίταν τάνδ' ἀνελεύθερον
δολίῳ μόρῳ δαμεὶς <δάμαρτος>
1520 ἐκ χερὸς ἀμφιτόμῳ βελέμνῳ.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

[Οὔτ' ἀνελεύθερον οἶμαι θάνατον
τῷδε γενέσθαι.]
Οὐδὲ γὰρ οὗτος δολίαν ἄτην
οἴκοισιν ἔθηκ';
Ἀλλ' ἐμὸν ἐκ τοῦδ' ἔρνος ἀερθέν,
† τὴν πολύκλαυτόν τ' Ἰφιγενείαν,
ἄξια δράσας, ἄξια πάσχων,
μηδὲν ἐν Ἅιδου μεγαλαυχείτω,
ξιφοδηλήτῳ
θανάτῳ τείσας ἅπερ ἔρξεν.

1530 ΧΟΡΟΣ

[στρ. γ.

Ἀμηχανῶ φροντίδος στερηθεὶς
εὐπάλαμον μέριμναν
ὅπᾳ τράπωμαι, πίτνοντος οἴκου.
Δέδοικα δ' ὄμβρου κτύπον δομοσφαλῆ
τὸν αἱματηρόν. Ψακὰς δὲ λήγει;
Δίκην [δ'] ἐπ' ἄλλο πρᾶγμα θηγάνει βλάβης
πρὸς ἄλλαις θηγάναισι Μοῖρα.

[ἐφ. γ.

– Ἰὼ γᾶ γᾶ, εἴθ' ἔμ' ἐδέξω,
πρὶν τόνδ' ἐπιδεῖν ἀργυροτοίχου
1540 δροίτης κατέχοντα χάμευναν.
Τίς ὁ θάψων νιν; Τίς ὁ θρηνήσων;
Ἦ σὺ τόδ' ἔρξαι τλήσῃ, κτείνασ'
ἄνδρα τὸν αὑτῆς ἀποκωκῦσαι,
ψυχῇ τ' ἄχαριν χάριν ἀντ' ἔργων
μεγάλων ἀδίκως ἐπικρᾶναι;
– Τίς δ' ἐπιτύμβιος αἶνον ἐπ' ἀνδρὶ θείῳ
σὺν δακρύοις ἰάπτων
1550 ἀληθείᾳ φρενῶν πονήσει;

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Οὐ σὲ προσήκει τὸ μέλημ' ἀλέγειν
τοῦτο πρὸς ἡμῶν
κάππεσε, κάτθανε, καὶ καταθάψομεν
οὐχ ὑπὸ κλαυθμῶν τῶν ἐξ οἴκων,
ἀλλ' Ἰφιγένειά νιν ἀσπασίως
θυγάτηρ, ὡς χρή,
πατέρ' ἀντιάσασα πρὸς ὠκύπορον
πόρθμευμ' ἀχέων
περὶ χεῖρε βαλοῦσα φιλήσει.

1560 ΧΟΡΟΣ

[ἀντ. γ.

Ὄνειδος ἥκει τόδ' ἀντ' ὀνείδους,
δύσμαχα δ' ἐστὶ κρῖναι.
Φέρει φέροντ', ἐκτίνει δ' ὁ καίνων.
Μίμνει δὲ μίμνοντος ἐν θρόνῳ Διὸς
παθεῖν τὸν ἔρξαντα θέσμιον γάρ.
Τίς ἂν γονὰν ἀραῖον ἐκβάλοι δόμων;
Κεκόλληται γένος πρὸς ἄτᾳ.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Ἐς τόνδ' ἐνέβη σὺν ἀληθείᾳ
χρησμός. Ἐγὼ δ' οὖν
ἐθέλω δαίμονι τῷ Πλεισθενιδᾶν
1570 ὅρκους θεμένη τάδε μὲν στέργειν,
δύστλητά περ ὄνθ' ὃ δὲ λοιπόν, ἰόντ'
ἐκ τῶνδε δόμων ἄλλην γενεὰν
τρίβειν θανάτοις αὐθένταισι•
κτεάνων δὲ μέρος
βαιὸν ἐχούσῃ πᾶν ἀπόχρη μοι,
μανίας μελάθρων
ἀλληλοφόνους ἀφελούσῃ.

 

208 LE CHŒUR.

Ton cœur est plein d'audace ; l'orgueil éclate dans tes discours : le carnage t'a enivrée ; la fureur trouble ton âme. Mais le sang dont les gouttes souillent ton visage, ce sang doit être vengé. Oui, les tiens t'abandonneront à ton sort, et ta mort serait; prix de la mort d'un époux.

CLYTEMNESTRE.

Voici, à mon tour, le serment sacré que je prononce. J'en jure par la vengeance de ma fille ; par vous, Até, Érinnys (151), qui m'avez aidée à immoler cet homme; jamais, j'en ai l'espoir, mon pied ne pénétrera dans le palais de la Crainte (152), tant qu'Égisthe allumera le feu à mon foyer, tant qu'il me gardera son amour. Égisthe est le fort bouclier où se fie mon audace. — Le voilà donc étendu sous nos yeux, cet homme qui m'a rendue si malheureuse ; cet homme, les délices des Chryséis du siège d'Ilion (153); lui et cette esclave , cette prophétesse inspirée, son amante, la fidèle compagne de sa couche, celle qui a traversé les mers avec lui ! Qu'ils ont bien leur récompense ! Lui, vous savez son destin ; elle, comme le cygne, elle a chanté le plaintif chant de sa mort ; amante de cet homme, elle a péri : douce volupté qui assaisonne encore les voluptés de mes amours !

209 LE CHŒUR.

Viens, ô mort! hâte-toi, frappe le coup fatal; ne nous fais pas languir dans la douleur ; viens étendre sur nos yeux le sommeil sans fin ! Il n'est plus, le gardien qui avait pour nous tant d'affection ! Celui qui avait essuyé mille travaux pour une femme, la main d'une femme lui a ravi le jour ! Ah! perfide Hélène, que de guerriers, sous les murs de Troie, toi seule as fait périr ! Et voilà encore que le héros accompli, illustre entre tous, est tombé par toi : c'est pour toi qu'il avait versé un sang inexpiable ! Ah ! quand s'apprêtait le sacrifice, la Discorde terrible, au fond du palais, méditait la ruine d'un époux (154) !

CLYTEMNESTRE.

A quoi bon t'affliger de ce que j'ai fait, invoquer la mort, accabler Hélène de ton courroux, l'accuser du trépas des héros? Non, ce n'est pas elle qui seule a fait périr tant de Grecs, qui a causé ces éternelles douleurs.

 LE CHŒUR.

O génie attaché à une race fatale ! Une femme a donc égalé l'affreuse audace des deux Tantalides (155) ! Ta nouvelle victoire déchire mon cœur. Elle, l'impie ! elle se dresse sur 210 le cadavre (156), comme un corbeau dévorant ; elle se fait gloire de chanter l'hymne du triomphe !

CLYTEMNESTRE.

Hé bien ! tu as redressé la sentence prononcée : tu l'accuses enfin, le tout-puissant génie de cette race! C'est lui qui nourrit dans nos entrailles l'inextinguible soif du sang : avant qu'une plaie se ferme, un nouveau sang a coulé.

LE CHŒUR.

Oui, ce génie dont tu parles , le génie de cette famille est plein d'un puissant, d'un terrible courroux! Ah ! ce mot funeste rappelle des maux affreux, des maux sans fin ! Hélas ! hélas ! Jupiter l'a voulu, Jupiter, l'arbitre suprême, le dieu qui fait tout! Eh! que se passe-t-il dans le monde, sans l'aveu de Jupiter? — Grands dieux ! grands dieux ! O mon roi, mon roi, comment te pleurer? Par quels mots dire les regrets de mon âme? Te voilà, couché dans ce tissu d'araignée (157) ! Un trépas impie a tranché tes jours ! O mort indigne, indigne d'un homme libre ! Périr dans un piège, frappé parla hache à deux tranchants!

CLYTEMNESTRE.

C'est là, dis-tu, mon ouvrage. Oui ; mais ne m'appelle pas l'épouse d'Agamemnon. C'est l'antique, le cruel ven- 211 geur du festin affreux qu'Atrée offrit à son frère; c'est lui qui a pris les traits de la femme de ce mort; c'est lui qui a puni cet homme : la mort d'un guerrier a payé celle des deux enfants.

LE CHŒUR.

Toi, innocente de ce meurtre ! Qui témoignera pour toi? Où sont-ils, les témoins ? où sont-ils ? Ah ! il t'aura aidée, ce fatal génie qui venge les crimes des pères ! Oui, mais l'affreux combat dure encore; le sang coulera encore, -versé par le parricide (158) : un forfait à glacer d'horreur celui-là même qui dévora la chair de ses fils (159) ! — Grands dieux ! grands dieux ! O mon roi, mon roi, comment te pleurer ? Par quels mots dire les regrets de mon âme ? Te voilà, couché dans ce tissu d'araignée ! Un trépas impie a tranché tes jours ! O mort indigne, indigne d'un homme libre ! Périr dans un piège, frappé par la hache à deux tranchants !

CLYTEMNESTRE.

Non, la mort de cet homme n'est pas indigne de lui. Il n'a pas déguisé, lui, le forfait dont il a frappé sa maison. Cette fille, fruit de notre hymen, cette Iphigénie tant pleurée, a subi un indigne supplice; mais lui, son supplice était mérité. Qu'il ne se plaigne pas trop haut dans les enfers : immolé par le glaive, il n'a fait que payer le prix de son crime.

LE CHŒUR.

Quel parti prendre ? ma raison s'égare ; où porter mes soins et mon zèle, pour arrêter la chute de la maison de 212 mes rois? Je frissonne au bruissement de la pluie de sang où ce palais va s'abîmer : ce n'est plus goutte à goutte que le sang tombe ; à chaque forfait, la Parque aiguise le fer pour un foi fait vengeur.

PREMIER DEMI-CHŒUR.

Hélas! terre, terre, que ne suis-je rentré dans ton sein, avant d'avoir vu mon roi couché ainsi dans la baignoire aux parois d'argent! Qui va l'ensevelir? qui va mener son deuil? Est-ce toi qui auras ce courage, toi la meurtrière de ton époux? Oseras-tu gémir sur son trépas ; oseras-tu lui donner, après ton crime, une satisfaction que repousseraient ses mânes?

DEUXIÈME DEMI-CHŒUR.

Quel chant funèbre retentira sur le tombeau de cet homme divin? quel chant accompagné de larmes, échappé d'un cœur sincère(160)?

CLYTEMNESTRE.

Ce soin ne te regarde pas. C'est par nos mains qu'il est tombé, qu'il est mort; c'est nous qui l'ensevelirons. Ses funérailles ne retentiront pas du gémissement désolé des siens; mais Iphigénie, sa fille, pleine, comme il sied, d'un tendre empressement, s'avancera au-devant d'un père, et elle l'embrassera sur les bords du rapide fleuve des douleurs (161).

LE CHŒUR.

A mon reproche, elle répond en outrageant la victime. Hélas! où s'arrêteront tant de forfaits? Qui pourrait la 213 dire (162) ? Le meurtre est puni par le meurtre, le sang est le prix du sang. Tant que subsiste Jupiter dans la durée, cette loi demeure éternelle : Au coupable le châtiment. Eh ! qui peut, sinon par la violence (163), chasser à jamais de légitimes héritiers de la maison d'un père ? Un lien indissoluble enchaîne à la maison la race.

CLYTEMNESTRE.

Il est trop vrai ! Tes paroles sont les mots de l'oracle. Hé bien, j'en fais le serment au génie des Plisthénides : je me soumets à la loi, quoi qu'il en coûte. Qu'il sorte du moins, ce génie, qu'il sorte de ces demeures ; qu'il écrase, par les meurtres domestiques, une autre race que la mienne ! La moindre part de nos biens me suffit, pourvu qu'enfin je délivre ce palais de la fureur des mutuels homicides.

 ΑΙΓΙΣΘΟΣ

Ὦ φέγγος εὖφρον ἡμέρας δικηφόρου.
Φαίην ἂν ἤδη νῦν βροτῶν τιμαόρους
θεοὺς ἄνωθεν γῆς ἐποπτεύειν ἄχη,
1580 ἰδὼν ὑφαντοῖς ἐν πέπλοις Ἐρινύων
τὸν ἄνδρα τόνδε κείμενον, φίλως ἐμοί,
χερὸς πατρῴας ἐκτίνοντα μηχανάς.
Ἀτρεὺς γὰρ ἄρχων τῆσδε γῆς, τούτου πατήρ,
πατέρα Θυέστην τὸν ἐμόν, ὡς τορῶς φράσαι,
αὑτοῦ δ' ἀδελφόν, ἀμφίλεκτος ὢν κράτει,
ἠνδρηλάτησεν ἐκ πόλεώς τε καὶ δόμων.
Καὶ προστρόπαιος ἑστίας μολὼν πάλιν
τλήμων Θυέστης μοῖραν ηὕρετ' ἀσφαλῆ,
τὸ μὴ θανὼν πατρῷον αἱμάξαι πέδον
1590 αὐτός ξένια δὲ τοῦδε δύσθεος πατὴρ
Ἀτρεύς, προθύμως μᾶλλον ἢ φίλως πατρὶ
τὠμῷ, κρεουργὸν ἦμαρ εὐθύμως ἄγειν
δοκῶν, παρέσχε δαῖτα παιδείων κρεῶν.
Τὰ μὲν ποδήρη καὶ χερῶν ἄκρους κτένας
ἔθρυπτ' ἄνωθεν ἀνδρακὰς καθημένοις
ἄσημ' ὁ δ' αὐτῶν αὐτίκ' ἀγνοίᾳ λαβὼν
ἔσθει βορὰν ἄσωτον, ὡς ὁρᾷς, γένει.
Κἄπειτ' ἐπιγνοὺς ἔργον οὐ καταίσιον
ᾤμωξεν, ἀμπίπτει δ' ἀπὸ σφαγὴν ἐρῶν,
1600 μόρον δ' ἄφερτον Πελοπίδαις ἐπεύχεται,
λάκτισμα δείπνου ξυνδίκως τιθεὶς ἀρᾷ,
οὕτως ὀλέσθαι πᾶν τὸ Πλεισθένους γένος.
Ἐκ τῶνδέ τοι πεσόντα τόνδ' ἰδεῖν πάρα.
Κἀγὼ δίκαιος τοῦδε τοῦ φόνου ῥαφεύς.
Τρίτον γὰρ ὄντα μ' ἔλιπε, κἀθλίῳ πατρὶ
συνεξελαύνει τυτθὸν ὄντ' ἐν σπαργάνοις
τραφέντα δ' αὖθις ἡ δίκη κατήγαγεν,
καὶ τοῦδε τἀνδρὸς ἡψάμην θυραῖος ὤν,
πᾶσαν ξυνάψας μηχανὴν δυσβουλίας.
1610 Οὕτω καλὸν δὴ καὶ τὸ κατθανεῖν ἐμοί,
ἰδόντα τοῦτον τῆς δίκης ἐν ἕρκεσιν.

ΧΟΡΟΣ

Αἴγισθ', ὑβρίζειν ἐν κακοῖσιν οὐ σέβω.
Σὺ δ' ἄνδρα τόνδε φῂς ἑκὼν κατακτανεῖν,
μόνος δ' ἔποικτον τόνδε βουλεῦσαι φόνον;
Οὔ φημ' ἀλύξειν ἐν δίκῃ τὸ σὸν κάρα
δημορριφεῖς, σάφ' ἴσθι, λευσίμους ἀράς.

ΑΙΓΙΣΘΟΣ

Σὺ ταῦτα φωνεῖς νερτέρᾳ προσήμενος
κώπῃ, κρατούντων τῶν ἐπὶ ζυγῷ δορός;
Γνώσῃ γέρων ὢν ὡς διδάσκεσθαι βαρὺ
1620 τῷ τηλικούτῳ, σωφρονεῖν εἰρημένον.
Δεσμοὶ δὲ καὶ τὸ γῆρας αἵ τε νήστιδες
δύαι διδάσκειν ἐξοχώταται φρενῶν
ἰατρομάντεις. Οὐχ ὁρᾷς ὁρῶν τάδε;
Πρὸς κέντρα μὴ λάκτιζε, μὴ παίσας μογῇς.

ΧΟΡΟΣ

Γύναι, σὺ τοὺς ἥκοντας ἐκ μάχης νέον–
οἰκουρὸς εὐνήν <τ'> ἀνδρὸς αἰσχύνουσ' ἅμα,
ἀνδρὶ στρατηγῷ τόνδ' ἐβούλευσας μόρον;

ΑΙΓΙΣΘΟΣ

Καὶ ταῦτα τἄπη κλαυμάτων ἀρχηγενῆ.
Ὀρφεῖ δὲ γλῶσσαν τὴν ἐναντίαν ἔχεις.
1630 Ὁ μὲν γὰρ ἦγε πάντα που φθογγῆς χαρᾷ,
σὺ δ' ἐξορίνας νηπίοις ὑλάγμασιν
ἄξῃ κρατηθεὶς δ' ἡμερώτερος φανῇ.

ΧΟΡΟΣ

Ὡς δὴ σύ μοι τύραννος Ἀργείων ἔσῃ,
ὃς οὐκ, ἐπειδὴ τῷδ' ἐβούλευσας μόρον,
δρᾶσαι τόδ' ἔργον οὐκ ἔτλης αὐτοκτόνως.

ΑΙΓΙΣΘΟΣ

Τὸ γὰρ δολῶσαι πρὸς γυναικὸς ἦν σαφῶς,
ἐγὼ δ' ὕποπτος ἐχθρὸς ἦ παλαιγενής.
Ἐκ τῶν δὲ τοῦδε χρημάτων πειράσομαι
ἄρχειν πολιτῶν τὸν δὲ μὴ πειθάνορα
1640 ζεύξω βαρείαις, οὔτι μὴ σειραφόρον
κριθῶντα πῶλον ἀλλ' ὁ δυσφιλὴς σκότῳ
λιμὸς ξύνοικος μαλθακόν σφ' ἐπόψεται.

ΧΟΡΟΣ

Τί δὴ τὸν ἄνδρα τόνδ' ἀπὸ ψυχῆς κακῆς
οὐκ αὐτὸς ἠνάριζες, ἀλλὰ σὺν γυνὴ
χώρας μίασμα καὶ θεῶν ἐγχωρίων
ἔκτεινε; Ὀρέστης ἆρά που βλέπει φάος,
ὅπως κατελθὼν δεῦρο πρευμενεῖ τύχῃ
ἀμφοῖν γένηται τοῖνδε παγκρατὴς φονεύς;

ΑΙΓΙΣΘΟΣ

Ἀλλ' ἐπεὶ δοκεῖς τάδ' ἔρδειν καὶ λέγειν, γνώσῃ τάχα
1650 εἶα δή, φίλοι λοχῖται, τοὔργον οὐχ ἑκὰς τόδε.

ΧΟΡΟΣ

Εἶα δή, ξίφος πρόκωπον πᾶς τις εὐτρεπιζέτω.

ΑΙΓΙΣΘΟΣ

Ἀλλὰ κἀγὼ μὴν πρόκωπος οὐκ ἀναίνομαι θανεῖν.

ΧΟΡΟΣ

Δεχομένοις λέγεις θανεῖν σε τὴν τύχην δ' αἱρούμεθα.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ

Μηδαμῶς, ὦ φίλτατ' ἀνδρῶν, ἄλλα δράσωμεν κακά.
ἀλλὰ καὶ τάδ' ἐξαμῆσαι πολλὰ δύστηνον θέρος
πημονῆς δ' ἅλις γ' ὑπάρχει μηδὲν αἱματώμεθα.
Στείχετ' αἰδοῖοι γέροντες πρὸς δόμους, πεπρωμένοις
πρὶν παθεῖν εἴξαντες ἀρκεῖν χρὴ τάδ' ὡς ἐπράξαμεν.
Εἰ δέ τοι μόχθων γένοιτο τῶνδ' ἅλις, δεχοίμεθ' ἄν,
1660 δαίμονος χηλῇ βαρείᾳ δυστυχῶς πεπληγμένοι.
Ὧδ' ἔχει λόγος γυναικός, εἴ τις ἀξιοῖ μαθεῖν.

ΑΙΓΙΣΘΟΣ

Ἀλλὰ τούσδε μοι ματαίαν γλῶσσαν ὧδ' ἀπανθίσαι
κἀκβαλεῖν ἔπη τοιαῦτα δαίμονος πειρωμένους,
σώφρονος γνώμης δ' ἁμαρτεῖν τὸν κρατοῦντ' <ἀρνουμένους>.

ΧΟΡΟΣ

Οὐκ ἂν Ἀργείων τόδ' εἴη, φῶτα προσσαίνειν κακόν.

ΑΙΓΙΣΘΟΣ

Ἀλλ' ἐγώ σ' ἐν ὑστέραισιν ἡμέραις μέτειμ' ἔτι.

ΧΟΡΟΣ

Οὔκ, ἐὰν δαίμων Ὀρέστην δεῦρ' ἀπευθύνῃ μολεῖν.

ΑΙΓΙΣΘΟΣ

Οἶδ' ἐγὼ φεύγοντας ἄνδρας ἐλπίδας σιτουμένους.

ΧΟΡΟΣ

Πρᾶσσε, πιαίνου, μιαίνων τὴν δίκην, ἐπεὶ πάρα.

1670 ΑΙΓΙΣΘΟΣ

Ἴσθι μοι δώσων ἄποινα τῆσδε μωρίας χάριν.

ΧΟΡΟΣ

Κόμπασον θαρσῶν, ἀλέκτωρ ὥστε θηλείας πέλας.

ΚΛΥΤΑΙΜΗΣΤΡΑ
Μὴ προτιμήσῃς ματαίων τῶνδ' ὑλαγμάτων <ἐγὼ>
καὶ σὺ θήσομεν κρατοῦντε τῶνδε δωμάτων <καλῶς>.

 

ÉGISTHE.

O douce clarté du jour de la justice ! Enfin je puis donc dire qu'il est des dieux vengeurs, qui veillent d'en haut sur tes douleurs des humains! Le voilà donc, dans ce voile, dans ce tissu des Furies ; le voilà étendu, cet homme, spectacle bien doux pour moi ! et expiant le forfait de son père. Oui, Atrée, le roi de ce pays, le père de cet homme, disputa l'empire à Thyeste mon père, —je fixe vos 214 souvenirs, — son propre frère ; il l'exila de sa patrie, de sa maison. Le malheureux Thyeste revint au foyer, invoqua les droits de l'hospitalité : la vie lui fut assurée ; sa mort ne devait point ensanglanter le sol foulé par ses ancêtres, oui, le sol que voilà (164). Le père de cet homme, l'impie Atrée, offre à mon père le festin des hôtes. Il est plein de soins empressés, le perfide! Des viandes se préparent; c'est un jour de fête qu'il semble vouloir célébrer : et le mets qu'il sert à Thyeste, c'est la chair de ses fils ! Atrée est assis au haut bout; il s'est réservé pour sa part, il dévore les doigts des pieds et des mains (165). Les morceaux méconnaissables sont offerts à Thyeste : il mange cette nourriture, fatale enfin, tu le vois, à la race d'Atrée. Puis, il reconnut le forfait épouvantable. Il pousse un gémissement ; il se roule sur la terre, vomissant le mets du carnage ; il dévoue les Pélopides (166) au plus affreux destin; il renverse du pied la table, et ses justes imprécations appellent la destruction sur la race entière de Plisthènes (167). Voilà pourquoi tu vois devant tes yeux ce cadavre ; voilà pourquoi c'est justement que j'ai ourdi ce meurtre. J'étais le troisième (168) enfant de 215 Thyeste : tout petit, dans les langes encore, je fus chassé avec mon infortuné père. Mais j'ai grandi, la justice m'a ramené. Ma main s'est fait sentir à cet homme : j'étais hors du lieu où il a péri ; mais c'est moi qui menais la machination fatale. Et maintenant la mort même me semblerait belle : je vois l'ennemi dans le lac de la vengeance !

LE CHŒUR.

Égisthe, l'insolence dans le crime ne m'impose pas. Tu te vantes d'avoir volontairement tué ce héros ; d'avoir, toi seul, conçu le projet de ce meurtre exécrable. Ta tête en répondra ! Condamné par le peuple, je le jure, tu seras lapidé.

ÉGISTHE.

Est-ce bien toi, assis au dernier banc des rameurs, qui parles ainsi à ceux qui dominent la manœuvre, assis à un banc plus élevé ? Vieillard ! il est difficile, dit-on, d'apprendre la sagesse à ton âge : tu verras bien ! Pourtant les fers, les horreurs de la faim peuvent être pour l'âme des vieillards même d'excellents maîtres, d'infaillibles médecins. A ces images, tes yeux s'ouvrent-ils (169) ? Va, ne regimbe pas contre l'aiguillon  (170) ; crains un châtiment douloureux.

LE CHŒUR à Clytemnestre.

O femme ! voilà donc ce qui l'attendait dans sa maison au retour des combats ! Ce n'était point assez pour toi de souiller le lit d'un époux ; c'est toi qui as préparé la mort de ton époux, du chef des guerriers !

ÉGISTHE.

Ces mots te coûteront bien des larmes. Ta voix a des ef- 216 fets tout autres que ceux de la voix d'Orphée : lui, il entraînait tout par le charme de ses chants ; toi, tu nous irrites par tes aboiements insensés (171). Tu seras mis aux fers; maîtrisé enfin, tu montreras moins de roideur.

LE CHŒUR.

Quoi ! je te verrais le maître des Argiens, toi qui as préparé la mort de ce héros, et qui n'as pas eu le courage d'accomplir le meurtre toi-même !

ÉGISTHE.

Évidemment c'était à sa femme de faire triompher la ruse. Moi, son ennemi de tout temps, j'étais suspect. Maître de sa puissance, je vais tâcher de commander dans Argos. Quiconque refusera d'obéir, je le chargerai de chaînes comme un cheval fougueux, indocile au frein; la faim s'unira pour lui aux affreuses ténèbres du cachot et le verra bientôt s'adoucir.

LE CHŒUR.

Lâche ! mais tu n'as pas osé frapper ce héros toi-même. Il te fallait une aide : c'est cette femme qui l'a tué ; cette femme, l'opprobre de mon pays et des dieux d'Argos ! Ah ! si quelque part Oreste voit encore la lumière du jour, puisse-t-il revenir, connût par un destin favorable, et immoler ces deux assassins !

ÉGISTHE.

Puisque ce sont là tes actions, tes paroles ; puisque tu le veux, tu vas bientôt connaître...

217 LE CHŒUR.

Au secours! soldats, mes amis, le moment presse (172)! Au secours! tirez l'épée du fourreau (173).

ÉGISTHE.

Moi aussi, j'ai l'épée à la main ; et je saurais mourir.

LE CHŒUR.

Meurs donc; j'en accepte l'augure: interrogeons le sort des combats.

CLYTEMNESTRE, à Egisthe.

Ô le plus chéri des hommes, n'ajoutons plus rien à tant de maux. Eh ! la moisson que nous venons de cueillir n'est-elle pas déjà une assez déplorable moisson? Assez de désastres; ne versons plus le sang. Rentrez, vieillards, chacun dans vos maisons; n'attendez pas qu'on vous frappe. Nous avons cédé au destin : il fallait que ce qui s'est fait s'accomplît. Un châtiment, d'ailleurs, serait de trop : c'est bien assez de la lourde colère du ciel qui s'est appesantie sur nous. Tel est le conseil d'une femme ; veuillez l'écouter.

ÉGISTHE.

Ainsi donc ils lanceraient contre moi ces clameurs insensées ! leurs imprécations solliciteraient les dieux ! ils perdraient toute retenue ! ils insulteraient leur maître (174) !

LE CHŒUR.

Jamais, non jamais les Argiens ne seront les flatteurs d'un mortel pervers.

ÉGISTHE.

Quelque jour je t'infligerai ton châtiment.

LE CHŒUR.

Non ! non ! si le ciel favorable ramène Oreste.

ÉGISTHE.

Je sais bien qu'un proscrit se repaît toujours d'espérances.

LE CHŒUR.

Poursuis; prends le pouvoir, viole la justice (175); tu le pour aujourd'hui.

ÉGISTHE.

Ah ! tu me payeras cher ta folle insolence,

LE CHŒUR.

Triomphe, étale tes charmes, comme le coq près de sa poule (176).

CLYTEMNESTRE, à Egisthe.

Ne fais nulle attention à ces vains aboiements. Nous sommes, toi et moi, les maîtres en ces lieux; nous saurons partout mettre l'ordre.

Fin D'Agamemnon.

(104) Cette pensée est souvent exprimée par les auteurs anciens ; et le troisième aphorisme d'Hippocrate (première section) la présente sous sa forme scientifique. Il est donc mal à propos de prendre le mot ὑγείας; au figuré, dans le sens de bonheur, comme l'a fait Ahrens. Les mots ἀκόρεστον τέρμα, malgré ce qu'ils ont de vague, ne peuvent guère s'entendre autrement que des maladies auxquelles aboutit la santé. Ce qui le prouve, c'est la phrase νόσος γὰρ γείτων. Schütz, et avec lui Bothe et G. de Humboldt, préfèrent ἀχάριστον au mot ἀκόρεστον : cette correction eclaircit le sens littéral ; aussi la traduction de Schütz, illaetabils fere exitus est, est-elle un peu moins énigmatique que celle d'Ahrens, exitus sui insatiabitis est. Mais celle correction même est inutile.

(105) Exculape, foudroyé par Jupiter pour avoir ressuscité Hippolyte.

(106) Le passage qui précède est fort obscur dans le texte; soit qu'on écrive μοῖρα μοῖραν, soit qu'on admette la correctionde Blomfield, μοῖρα μοῖρα . De ces deux mots, il faut, je crois, rapporter l'un à Agamemnon et l'autre à Clytemnestre : il doit y avoir une victime et un assassin ; telle est la volonté des dieux. Au reste, je ne pouvais me contenter d'une version littérale sans tomber dans l'inconvénient d'Ahrens, qui s'est résigné à écrire des mots parfaitement imntelligibles, n'était le commentaire dont il les a a ecompagnés.

(107)  Soit qu'on lise  ἔχεις ou ἔξεις, il s'agira toujours, dans ce vers, des bons traitements que Clytemnestre promet à Cassandre. La différence des temps ne peut mettre qu'une nuance imperceptible entre les deux sens.

(108) La comparaison des barbares avec les hirondelles était assez fréquente chez les Grecs. Heath, critiquant l'interprétation donnée par Pauw à ce passage, en rappelle plusieurs exemples. Toute langue étrangère était, pour les Grecs, non pas une langue, mais un simple gazouillement.

(109) Schütz remarque avec raison que Clytemnestre, en prononçant ces paroles, cherchait elle-même par ses signes à les faire comprendre à sa captive : motu, vultu, gestu sermonem adjuvabat.

(110)  On donnait à Apollon le surnom de Loxias, c'est-à-dire tortueux, à cause de l'ambiguïté et de l'obscurité de ses oracles.

(111) Ἀπόλλων ἐμός. Jeu de mots dans le même genre que celui d'Amphiaraüs sur Polynice, et du chœur sur le nom d'Hélène; car le mot Ἀπόλλων, vient, ou du moins paraît venir, du verbe ἀπόλλυμι, perdre, détruire. Eschyle adopte cette étymologie, ou plutôt cette analogie de termes, de même qu'il fait veiir le mot Ἀγυιεύς du ἄγειν, conduire, entraîner.

(112)  Crimes d'AIrée et de Thyeste.

(113) Suicide d'Hippodamie, femme de Pélops

(114) L'assassinat qui va s'accomplir.

(115)  Les fils de Thyeste.

(116)   Les mots ἄφερτον φίλοισιν peuvent s'entendre encore d'une autre manière, en prenant  φίλος dans le sens de parent, comme on le trouve fréquemment dans Eschyle, et sans aucun regard à l'idée d'amitié.  Cassandre dirrait alors que la victime doit tomber sous l'impitoyable main de ses proches.

(117)  Oreste absent.

(118)  Voyez plus loin le récit de la mort d'Agamemnon.

(119)  Il y a, dans le texte, στάσις, mais le sens de ce mot est déterminé par la réponse du chœur : c'est la troupe des Furies attachées à la famille des Pélopides. Aussi Schütz reproche-t-il avec raison à Stanley d'avoir rendu ce mot par simultas, qui ne veut rien dire à cet endroit.

(120) C'était là, suivant les anciens, le signe caractéristique des bonnes races bovines. Parandi sunt boves... cornibus proceris ac nigricantibus. Ce conseil est de Columelle, qui copiait le Carthaginois Magon. C'est une idée étrange que celle de Schütz, accueillie pourtant par Ahrens, de lire μελαγκέρῳ μαχανήματι nigricorni machinamento, comme traduit ce dernier. Si l'on demande ce que signifie cette inintelligible expression, Ahrens répondra sans doute, avec Schütz, qu'il s'agit là d'une hache a manche de corne, et de corne noire. Je ne sais pas si l'on emmanchait les haches avec des cornes, j'en doute ; mais je demande si ce n'est pas aller chercher à cent lieues où placer les cornes, quand on a là le taureau et même la génisse, qui ne peuvent s'en passer. Je lis μελάγκερων, qui se rapporte à τὸν ταῦρον.

(121) Schütz rapproche ici les invectives d'Agamemnon contre Calchas, dans le 1er chant de l''Iliade : Μάντι κακῶν, κ. τ. λ. Pour Ahrens, trompé par le mot μαθεῖν, ilatténue la pensée dans sa paraphrase (id est, malis cognoscitur, de eo quod antea eral praedictum, justum metum fuisse). Φόβαν μαθεῖν signifie seulement éprouver la terreur, et, comme dit Schütz : vatum artes afferunt s. nuntiant aliquid unde timeamus.

(122) Allusion à la fable si connue des matheurs de Philomèle et de la mort d'Itys, sur lequel  Philomène avait vengé le crime de Térée,

(123) J'entends, avec Wellauer, θερμόνευς comme un adjectif: afflatu divino inflammata. Plusieurs font de θερμόνευς; deux mots, θερμὸν οὖς. C'est ainsi que l'écrivent Canter, M. Boissnnade et Ahrens. Cette bizarre expression d'oreitle chaude ne peut dévenir supportable qu'avec des explications. Ahrens traduit, eu paraphrasant : « Ego vero calidam sanguinem aurem ad aeternum somnum mox in terra ponant; et M Boissonade : Aurem calido sanguine tinctam aflligam solo. N'est-ce pas là empirer le texte et se créer des embarras à plaisir ?

(124) Un helléniste habile m'a fait observer, à propos des mots ἔσται δεδορκῶς, que j'ai traduits, comme tout le monde, regardera, qu'il n'était pas rare, chez les poètes, de trouver βλέπω, et les expressions analogues, dans le sens neutre ou passif. Suivant lui, il faut entendre ce passage : l'oracle ne  se montrera plus. Je n'ai pas cru devoir me rendre aux raisons qu'il m'a alléguées à l'appui de cette opinion. Le lecteur, en comparant les deux traductions, verra suffisamment pourquoi.

(125) La mort de Myrtile, tué par Pélops, le père d'Atrée et de Thyeste. C'était Myrtile qui avait donné à Pélops le moyen de vaincre OEnomaüs à la course des chars, victoire dont le prix fut, comme on sait, la main d'Hippodamie. Myrtile, suivant la tradition, était fils de Mercure.

(126Thyeste, qui avait séduit Érope, femme d'Atrée, son frère.

(127)  J'ai traduit littéralement ἀλλόθρουν πόλιν, mais peut-être ces mots signifient-ils seulement une ville étrangère. On sait, en effet, que dans Homère il n'est jamais dit que les Grecs et les Troyens se servissent de dialectes différents. Les héros des deux nations s'entendent très-bien les uns les autres et se servent de la même langue. Il est probable pourtant qu'il devait y avoir entre eux une différence sous ce rapport ; mais Homère l'a complétement négligée. Eschyle, an contraire, semble être revenu à la réalité historique, puisque Clytemnestre croit un instant que Cassandre ne comprend pas le grec, et qu'elle l'engage à parler du moins par signes. Le chœur voit bien que Cassandre comprend le grec, puisqu'elle le parle ; mais rien ne l'empêche de croire que ce n'est pas là l'idiome dont on se servait à Troie.

(128Les trois vers qui précèdent sont mal rangés dans le texte vulgaire. Ils ont été remis à leur place par les éditeurs modernes, et plus convenablement partagés entre les deux interlocuteurs.

(129)  L'expression grecque est beaucoup plus vive :  ἦ καὶ τέκνων εἰς ἔργον ἤλθετον νόμῳ ; num etiam liberis operam dedistis, ut usus fert !

(130)  Égisthe.

(131) Le mot ἀμφίσβαινα désignait un serpent dont la queue et la téle étaient à peu près d'égale grosseur, ce qui le faisait passer pour un serpent à deux têtes, et même, suivant la force de l'expression grecque, pour un serpent marchant des deux bouts.

(132 II m'a paru impossible de rapporter au retour d'Agamemnon le vers δοκεῖ δὲ χαίρειν νοστὶμῳ σωτηρίᾳ. J'y ai vu la suite de l'idée exprimée dans le vers précédent: après la victoire, ὥσπερ ἐν μάχης τροπῇ, le retour du vaiuqueur auquel Cassandre compare Clytemnestre. Si on l'entend autrement, il faut prendre δοκεῖ dans le sens de l'imparfait, et traduire : et pourtant elle semblait se réjouir du retour triomphant de son époux. Mais c'est briser la comparaison par une réflexion qui n'est guère à sa place. Tel est du moins mon avis ; mais le lecteur peut choisir.

(133) Plusieurs lisent ἐπίσταμαι, je sais, et Elmsley veut qu'on change Ἕλλη en ἐμήν. Le vers signifierait alors : Et pourtant je sais assez bien ma langue. Wellauer montre fort bien que la correction d'Elmsley est plus que hasardée ; et, quant à ἐπίσταμαι ou ἐπίστασαι, je ne pense pas que le sens gagne ou perde beaucoup à ce qu'on adopte l'un ou l'autre.

(134) J'ai traduit ici l'expression Λύκει Ἄπολλον dans le sens où on l'a déjà vue employée par Eschyle.

(135) II faut ici une correction au texte vulgaire ; le duel ἀγαθώ est inintelligible. J'ai adopté la plus simple : ἀγαθ' ὥδ' ἀμείψομαι, bona, quae mihi praerstitistis, ita re.munerabor ; bien que la présence d'un anapeste au quatrième pied du vers paraisse encore une difiiculté. M. Boissonade, du reste, la supprime en laissant seulement γ' devant ὧδ'. Le sens, avec sa leçon, est encore le même qu'avec celle de Wellauer. Ahrens lit : ἐγὼ δ' ἅμ' ἕψομαι, ego autem una sequar, et moi je vais vous suivre; ce qui est bien loin d'offrir un sens aussi convenable, et ce qui s'éloigne trop du texte des manuscrits.

(136) Ἔπιξηνον truncus culinarius, SCHÜTZ; mensa culinaria, truncus lanionius, ARRENS.

(137)  Oreste ; voyez les Choéphores.

(138) Quelques éditeurs transportent ici le vers ὀμώλοται γάρ.. Aussi bien les dieux ont prononcé le grand serment. Je l'ai laissé plus bas, où je suis loin de le croire mal placé, quoi qu'en disent Hermann et Wellauer, car il sert à expliquer la résignation subite de Cassandre. Quant à la difficulté que fait Wellauer sur le mot ἄξειν, qui, suivant lui, manquerait de sens si l'on ne faisait la transposition, elle n'existe pas pour le texte vulgaire, qui donne ἄξει et non pas ἄξειν.

(139) La plupart des éditeurs placent ces paroles dans la bouche de Cassandre, et. par suite, dans la bouche du chœur celles que Cassaodre vient de prononcer. Avec cette interversion, on traduira ἀκούει autrement que je ne l'ai fait; par exemple, dans le sens de fidem habet. La réponse à l'assertion du chœur : un mortel pourrait s'en réjouir, sera : C'est ce que ne croient guère les heureux.

(140) D'après Eschyle, les enfants vivants d'Agamemnon sont seulement Électre et Oreste. Voyez, dans les Choèphores, les traitements qu'Égisthe et Clytemnestre leur avaient fait subir.

(141) J'ai cru pouvoir interpréter ainsi le mot θάμνος qui signifie à la fois fruticetum et surculus. Dans ce dernier sens, l'oiseau ne peut craindre le θάμνος; qu'enduit de glu. Le scoliaste paraphrase autrement : « Je ne suis pas dans des transes, oomme un oiseau qui veut entrer dans son nid, et qui a peur de quelque bête sauvage.  » Explication bien plus éloignée du sens littéral de θάμνος, mais du reste fort soutenable.

(142) Ahrens fait de δυσδάμαρτος un nominatif, et le rapporte à Égisthe : virque infaustie maritatus. Sch*utz condamne avec raison ceux qui ont les premiers inventé ce prétendu nominatif. Mille analogies prouvent que la vraie forme est δυσδάμαρ, et que δυσδάμαρτος est un génitif et se rapporte à Agamemnon. Les éditeurs de Henri Estienne lisent δύδαμαρ, infelix conjugii; Wellauer de même, et il traduit : infelici conjugio cum mala uxore junctus.

(143) Ahrens traduit ῥῆσιν par de me valicinium; mais il n'y a qu'un souhait et non point une prophétie dans l'apostrophe de Cassandre au soleil. D'ailleurs le mot ῥῆσις ne signifie pas proprement une prophétie, mais une parole, et, dans le sens le plus étendu, une tirade.

(144) Les peintres se servaient de l'éponge pour enlever les couleurs ou adoucir les teintes.

(145) Plusieurs éditeurs mettent une virgule au lieu d'un point après μελάθρων. Le sens est alors simplement, et sans allusion aux paroles de Cassandre :  « Jamais on ne vous repousse d'un palais montré du doigt pour son opulence, en vous disant : N'entrez pas. » Le mot δακτυλοδεικτῶν est pris en bonne part dans ce passage, comme le sont chez un grand nombre d'auteurs anciens et modernes les expressions analogues ou correspondantes. M. Boissonade en cite plus de dix exemples.

(146) J'ai suivi l'interpretation de Schülz, appuyée sur l'explication de Suidas : νεόρρυτος, νεωστὶ ῥεὼν. Wellauer rapporte les mots νεορρύτῳ ξίφρει aux vieillards, qui veulent tirer l'épée pour fondre sur les meurtriers; et Ahrens traduit le vers : et facinus illico stricto gladio puniendum. Mais il est douteux que les vieillards paciliques du chœur fussent armés d'épées. Si l'on admet qu'il en était ainsi, rien n'empêche d'entendre le passage comme font Wellauer et Ahrens : le mot  νεόρρυτοϲ; viendrait alors du verbe ῥύομαι, tirer à soi.

(147) Plusieurs éditeurs, à la place de μελλούσηϲ κλέος, expression avec laquelle il faut sous-entendre quelque chose, le mot τυρρανίδος par exemple, lisent  μελλοῦς κλέος. Le sens est, avec cette leçon : « Eux,  ils foulent à terre la gloire de retarder leurs coups, et leur main ne s'endort pas. » J'ai préféré pour sa clarté, malgré l'ellipse même, le texte vulgaire, qui est certainement plus satisfaisant pour l'esprit que l'idée de fouler à terre la gloire du retard; sans compter qu'il est assez douteux que πέδον tout seul signifie humi, à terre, tandis qu'au contraire πέδον πατοῦντες, solwn caleantes, rinm affectanles, est ce qu'il y a de plus simple au monde.

(148) Au lieu de l énergique expression κτείνοντες, plusieurs lisent, d'après Canter, τείνοντες, qui signifie seulement producentes : passerons-nous noire vie en obéissant? etc.

(149)  Au lieu de μυθοῦσαι, Ahrens lit θυμοῦσθαι. Le vers signifie, avec celte leçon : « Quand on connaît bien la chose, il est loisible de se fâcher sur cela;  » ou quelque chose d'approchant. Mais je n'ai pas bien compris comment le vers ainsi entendu pouvait se lier soit à la question qui précède, soit à la réflexion contenue dans le vers qui suit. Quant à la forme μυθοῦσθαι, beaucoup de philologues et de lexicographes la jugent moins sévèrement que ne fait Abrens ; et, en tout cas, il vaudrait encore mieux la corriger en μθυεῖσθαι, avec Schneider, que de transformer le mot en θυμοῦσθαι.

(150)  On se rappelle que, d'apres la tradition suivi» psr Eschyle, Iphigénie avait été réellement immolée à Aulis.

(151)  Até était la déesse du mal et de la fatalité ; Érinnys a en grec le même sens qu'en latin te mot Furia.

(152) Au lieu de  φόβου μέλαθρον, Ahrens lit φόβον :  « Jamais, j'en ai l'espoir, la crainte ne mettra le pied dans mon palais. » La leçon vulgaire, qui est celle de tous les éditeurs, me paraît plus conforme aux habitudes du style d'Eschyle, et très bien à sa place à côté des expressions si poétiques dont se sert Clytemnestre en parlant d'Egisthe; nonobstant l'anathème d'Ahrens, qui déclare que φόβου ne s'accorde p«s avec le sens du passage.

(153)  Tout le monde sait combien, dans l'Iliade, Agamemnon est mécontent d'être obligé de rendre sa captive Chryséis, réclamée par Chrysès au nom d'Apollon.

(154) Schütz, qui a très-bien expliqué ce passage, rappelle les expressions de Calchas, rapportées par le chœur au commencement de la pièce. La fin de la prédiction du devia ressemble beaucoup, en effet, à la phrase qu'on vient de lire :  « Car, au fond d'un palais, une haine fermente, terrible, sans cesse ravivée, féconde en ruses : on se souvient d'une fille à venger ! » Ouelques métriciens prétendent qu'après le mot τέλειαν, il manque dans le texle plusieurs vers ; mais ce n'est là qu'une hypothèse, et reposant sur des considérations fort hypothétiques elles-mêmes. J'ai dû m'en tenir au texle tel qu'il est, puisqu'il offre un sens, plutôt que d'adopter une correction qui détruit tout sens possible, en ne laissant que deux bouts de phrase aux deux bords d'une vaste lacune.

(155) δισφυεῖσι Τανταλίδαισιν rectius de Atreo et Thyesta quam de Agamemnone et Menelao accipias. Semper enim choro obversantur illorum piacula, quœ etiam in posteria puniuntur. Schutz.

(156)  Je lis, comme Schütz, Blomiield et Wellauer, σταθεῖσ' au lieu de σταθείς. Avec l'ancienne leçon, il faut rapporter au génie de la famille des Atrides ce que le féminin attribue à Clytemnestre. Mais, ainsi que le fait remarquer un éditeur, la comparaison s'applique bien plus naturellement à la meurtrière elle-même s'applaudissant de son forfait en présence du cadavre de son époux.

(157) C'est se moquer du monde que de prendre ἀράχνης ὕφασα comme ὕφασμα λεπτότατον, par exemple un tissu de soie; et je regarderais comme du temps perdu de chercher à démontrer que le poète compare Agamemnon, enveloppé dans le drap ou le tissu quelconque jeté sur lui par Clytemnestre, à la mouche qui s'est prise dans la toile de l'araignée.

(158)  Le chœur est comme saisi d'un esprit prophétique, et il prédit, ou plutôt il pressent, la vengeance d'Oreste sur sa mère.

(159) Thyeste. Je lis πάχναν παρέξει, comme la plupart des éditeurs. Avec πάχνᾳ, la phrase n'a un sens qu'en supposant une ellipse considérable, et en faisant de πάχνᾳ κουριβόρῳ le synonyme de Θυέστα ou peu s'en faut, comme on peut le voir dans le latin, du reste fort louche encore, d'Ahrenb : « Quocum vero etiam incedit, cruori puerivoro cognati sanguinis rivulos suppeditabit.  »

(160Quelques éditeurs donnent de suite tout ce qui précède, à partir de : Quel parti prendre ? sans admettre la division, assez naturelle pourtant, qu'indiquent les manuscrits.

(161) Πόρθευμ' ἀχέων, c'est l'Achéron. I.e Grand Elhmologique, et Eustathe, sur l'Iliade, font même venir le mot Achéron de ὁ τὰ ἄχεα ῥέων, le fleuve qui roule les douleurs.

(162) Le texte, très-vague à-cet endroit, peut se prêter à bien des interprétations diverses. Je ne crois pourtant pas que δύσχαμα δ' ἐστὶ κρῖναι signifie, comme le veut Ahrens , prafracta sunt judicatu, et non pas difficile est judicare ; mais je comprends bien moins encore par quelle sorte d'alchimie ce praefracta, etc., peut se transformer, entre les mains du traducteur, en une comparaison du crime de Clytemnestre avec celui qu'a autrefois commis Agamemon.

(163) Le texte dit ῥᾷον, facilius. J'ai trouvé cette leçon satisfaisante, malgré ce qu'en disent plusieurs critiques, qui l'accusent d'être inintelligible, et qui la remplacent par ἀραῖον. Dans ῥᾷον y a un reproche à Clytemnestre, »ur sa conduite à l'égard d'Oreste, et une menace pour l'avenir. Mais personne ne pourrait dire comment cette idée de l'union de la maison et de la race pourrait être amenée par  τίς ἂν γονὰν ἐκβάλοι δόμων quis sobolem diris denotant e domo ejecerit ! comme traduit Abreus.

(164) J'avais négligé à tort de traduire l'adverbe αὐτοῦ, ibidem, qui n'est certainement pas si inutile que le pensent Schülz et d'autres éditeurs, et que le geste du personnage montrant le sol où gisait Agamemnon pouvait rendre fort énergique. Schütz supprime la valeur d'un vers entier dans le texte. Blomfield change αὐτοῦ en αὐτό. Hermann, pour faire disparaître αὐτοῦ, l'incorpore à ξένια, sous la forme ἀστοξένια. Je crois toutes ces corrections également inutiles.

(165)  Après le mot κτένας, et avant ἔθρυπτ', on suppose une lacune de plusieurs vers. Il n'est pourtant pas impossible d'entendre le mot ἔθρτπτ'' appliqué à ποδήρη, et à κτένας, puisque θρύπτω, d'après les meilleurs loxicographes, signifie proprement frango, confringo, in minutas partes frango, εἰς μικρὰ κόπτω, etc. Voyez le Thesaurus.

(166) Atrée et Tyeste étaient fils de Pélops et petits-fils de Tantale.

(167)  Plisthènes était le frère d'Atrée et de Thyeste, et, suivant plusieurs auteurs, le père d'Agamemnon et de Ménélas, dont Atrée n'était que le père adoptif, ayant élevé les deux enfants après la mort de Plisthènes.

(168) La correction d'Ahrens, τρίτον ἐπὶ δύ', au lieu de τ. ἐ. δέκ', paraît plausible, car on ne mentionne guère que trois enfants de Thyeste : deux égorgés par Atrée, et un troisième en sus de ces deux, Égisthe. J'ai cru devoir adopter cette correction, maigre l'autorité des manuscrits et de tous les éditeurs.

(169) Littéralement : Ne vois-tu pas, voyant cela. οὐχ ὁρᾷς ὁρῶν τάδε.

(170)  On a dejà vu cette expression dans le Prométhée,

(171) Je lis νηπίοις avec plusieurs éditeurs, au lieu de ἠπίοις. La leçon vulgaire, comme le remarque fort bien Wellauer, est intolérable. On peut en juger par la traduction d'Ahrens : Tu vero alios blandis ejulationibus libi adduces. Il est difficile d'admettre que ce soit là précisément le contraire de ce que faisait Orphée, même après ce commentaire : « id est malo affectus aliorum misericordiam implorabis.  » J'entends par ἄξει ou ἄξῃ, comme Schütz, ad vincula traheris; ce qui s'accorde très-bien avec les menaces adressées plus haut par ligisthe aux vieillards du chœur, et avec celles qu'il va proférer tout à l'heure.

(172) Si l'on suppose, comme le font quelques-uns, que les vieillards étaient eux-mêmes armés d'épées, cet appel aux soldats pourra paraître étrange, quand il s'agit de mettre un seul homme à la raison ; à moins que les vieillards ne s'appliquent à eux-mêmes le nom de λοχῖται, et ne s'exhortent les uns les autres à mettre l'épée à la main.

(173) Pour maintenir le dialogue monostique, comme il était probablement à cet endroit, quelques éditeurs admettent qu'entre les deux vers prononcés par le chœur il y en avait un, aujourd'hui perdu, que prononçait Egisthe.

(174) Il manque quelque chose à la fin du dernier vers, le mot λοιδορεῖν par exemple, ou les mots δ' ὑβρίσαι, qui compléteraient le sens et la mesure. Wellauer pense qu'il manque aussi, à la suite, plusieurs vers du rôle d'Égisthe.

(175) Le texte dit : engraisse-toi, souillant la justice. On a déjà vu, dans l'Agamemnon, un emploi assez extraordinaire du mot πιαίων, quand le chœur dit à Clytemnestre : ἀλλ' ᾖ σ' ἐπίανέν τις ἄπτερος φάτις. Cela justifie le sens figuré que je donne ici du mot πιαίνου.

(176) Cette comparaison, si énergique dans sa familiarité, est peut-être un anachronisme. On croit qu'au temps de la guerre de Troie ces gallinacés étaient inconnus en Grèce, ou du moins n'y étaient pas encore à l'état domestique. Il est certain qu'Homère ne les a pas nommés dan» l'Iliade ni dans l'Odyssée. La Batrachomyomachie, où il est question du coq, n'est pas d'Homère, et lui est postérieure de plusieurs siècles.