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APPIEN.

Guerre civile, livre I

TIBERIUS GRACCHUS

Ι.[7] ῾Ρωμαῖοι τὴν ᾿Ιταλίαν πολέμῳ κατὰ μέρη χειρούμενοι γῆς μέρος ἐλάμβανον καὶ πόλεις ἐνῴκιζον ἢ ἐς τὰς πρότερον οὔσας κληρούχους ἀπὸ σφῶν κατέλεγον. καὶ τάδε μὲν ἀντὶ φρουρίων ἐπενόουν, τῆς δὲ γῆς τῆς δορικτήτου σφίσιν ἑκάστοτε γιγνομένης τὴν μὲν ἐξειργασμένην αὐτίκα τοῖς οἰκιζομένοις ἐπιδιῄρουν ἢ ἐπίπρασκον ἢ ἐξεμίσθουν, τὴν δ' ἀργὸν ἐκ τοῦ πολέμου τότε οὖσαν, ἣ δὴ καὶ μάλιστα ἐπλήθυεν, οὐκ ἄγοντές πω σχολὴν διαλαχεῖν ἐπεκήρυττον ἐν τοσῷδε τοῖς ἐθέλουσιν ἐκπονεῖν ἐπὶ τέλει τῶν ἐτησίων καρπῶν, δεκάτῃ μὲν τῶν σπειρομένων, πέμπτῃ δὲ τῶν φυτευομένων. ὥριστο δὲ καὶ τοῖς προβατεύουσι τέλη μειζόνων τε καὶ ἐλαττόνων ζῴων. καὶ τάδε ἔπραττον ἐς πολυανδρίαν τοῦ ᾿Ιταλικοῦ γένους, φερεπονωτάτου σφίσιν ὀφθέντος, ἵνα συμμάχους οἰκείους ἔχοιεν. ἐς δὲ τοὐναντίον αὐτοῖς περιῄει. οἱ γὰρ πλούσιοι τῆσδε τῆς ἀνεμήτου γῆς τὴν πολλὴν καταλαβόντες καὶ χρόνῳ θαρροῦντες οὔ τινα σφᾶς ἔτι ἀφαιρήσεσθαι τά τε ἀγχοῦ σφίσιν ὅσα τε ἦν ἄλλα βραχέα πενήτων, τὰ μὲν ὠνούμενοι πειθοῖ, τὰ δὲ βίᾳ λαμβάνοντες, πεδία μακρὰ ἀντὶ χωρίων ἐγεώργουν, ὠνητοῖς ἐς αὐτὰ γεωργοῖς καὶ ποιμέσι χρώμενοι τοῦ μὴ τοὺς ἐλευθέρους ἐς τὰς στρατείας ἀπὸ τῆς γεωργίας περισπᾶν, φερούσης ἅμα καὶ τῆσδε τῆς κτήσεως αὐτοῖς πολὺ κέρδος ἐκ πολυπαιδίας θεραπόντων ἀκινδύνως αὐξομένων διὰ τὰς ἀστρατείας. ἀπὸ δὲ τούτων οἱ μὲν δυνατοὶ πάμπαν ἐπλούτουν, καὶ τὸ τῶν θεραπόντων γένος ἀνὰ τὴν χώραν ἐπλήθυε, τοὺς δ' ᾿Ιταλιώτας ὀλιγότης καὶ δυσανδρία κατελάμβανε, τρυχομένους πενίᾳ τε καὶ ἐσφοραῖς καὶ στρατείαις. εἰ δὲ καὶ σχολάσειαν ἀπὸ τούτων, ἐπὶ ἀργίας διετίθεντο, τῆς γῆς ὑπὸ τῶν πλουσίων ἐχομένης καὶ γεωργοῖς χρωμένων θεράπουσιν ἀντὶ ἐλευθέρων.

VII. En s'emparant progressivement de l'Italie par les armes, les Romains avaient l'habitude de confisquer une partie du territoire du peuple vaincu pour y bâtir une ville, ou de fonder, dans les villes déjà existantes, une colonie composée de citoyens romains. Ils imaginèrent de substituer cette méthode à celle des garnisons. La partie de territoire dont ils s'étaient rendus propriétaires par conquête, ils la distribuaient immédiatement, si elle était cultivée, à ceux qui venaient s'y établir ; sinon ils la vendaient ou la donnaient à ferme : si, au contraire, elle avait été dévastée par la guerre, ce qui était le plus souvent le cas, sans attendre le moment de la distribuer par le sort, ils la mettaient aux enchères telle qu'elle était, et n'importe qui pouvait l'exploiter, moyennant une redevance annuelle en fruits : à savoir un dixième pour des terres susceptibles d'être ensemencées, un cinquième pour les terres à plantations. Celles qui ne pouvaient servir qu'au pâturage, il demandaient comme impôt une partie du gros et du petit bétail. Leur idée était de multiplier la population des peuples de l'Italie, qui leur paraissait la plus apte à supporter les travaux pénibles, afin d'avoir des auxiliaires pour leurs armées.
Mais ce fut le contraire qui se produisit. Les citoyens riches s'emparèrent de la plus grande partie des terres incultes, et, à la longue, ils se considérèrent comme des propriétaires immuables. Ils acquirent par persuasion, ou ils prirent par violence les petites propriétés des citoyens pauvres qui étaient leurs voisins. De vastes domaines succédèrent à de minces héritages. Les terres et les troupeaux furent mis dans les mains d'agriculteurs ou de pasteurs de condition servile, afin d'éviter les inconvénients que le service militaire faisait courir sur les hommes libres. Cette ruse des propriétaires amena une augmentation énorme des esclaves, qui, puisqu'il ne faisaient pas de service militaire, se multipliaient à leur aise. Le résultat fut que les riches devinrent plus riches et que les pauvres plus pauvres, et que la population des esclaves dans les campagnes augmenta tandis que celle des hommes libres diminua à cause du malaise, des contributions et du service militaire qui les accablaient ; et quand bien même ils jouissaient de quelque tranquillité, ils ne pouvaient que perdre leur temps dans l'oisiveté, parce que, d'un côté, les terres étaient entièrement dans les mains des riches, et que, de l'autre, ceux-ci employaient pour les cultiver des esclaves de préférence à des hommes libres.


[8] )Εφ' οἷς ὁ δῆμος ἐδυσφόρει μὲν ὡς οὔτε συμμάχων ἐξ ᾿Ιταλίας ἔτι εὐπορήσων οὔτε τῆς ἡγεμονίας οἱ γενησομένης ἀκινδύνου διὰ πλῆθος τοσόνδε θεραπόντων· διόρθωσιν δ' οὐκ ἐπινοοῦντες, ὡς οὐδὲ ῥᾴδιον ὂν οὐδὲ πάντῃ δίκαιον ἄνδρας τοσούσδε ἐκ τοσοῦδε χρόνου κτῆσιν τοσήνδε ἀφελέσθαι φυτῶν τε ἰδίων καὶ οἰκοδομημάτων καὶ κατασκευῆς, μόλις ποτὲ τῶν δημάρχων εἰσηγουμένων ἔκριναν μηδένα ἔχειν τῆσδε τῆς γῆς πλέθρα πεντακοσίων πλείονα μηδὲ προβατεύειν ἑκατὸν πλείω τὰ μείζονα καὶ πεντακοσίων τὰ ἐλάσσονα. καὶ ἐς ταῦτα δ' αὐτοῖς ἀριθμὸν ἐλευθέρων ἔχειν ἐπέταξαν, οἳ τὰ γιγνόμενα φυλάξειν τε καὶ μηνύσειν ἔμελλον.
Οἱ μὲν δὴ τάδε νόμῳ περιλαβόντες ἐπώμοσαν ἐπὶ τῷ νόμῳ καὶ ζημίαν ὥρισαν, ἡγούμενοι τὴν λοιπὴν γῆν αὐτίκα τοῖς πένησι κατ' ὀλίγον διαπεπράσεσθαι· φροντὶς δ' οὐδεμία ἦν οὔτε τῶν νόμων οὔτε τῶν ὅρκων, ἀλλ' οἵτινες καὶ ἐδόκουν φροντίσαι, τὴν γῆν ἐς τοὺς οἰκείους ἐπὶ ὑποκρίσει διένεμον, οἱ δὲ πολλοὶ τέλεον κατεφρόνουν,
VIII. Cet état de chose excitait le mécontentement du peuple romain. Car il voyait que les auxiliaires pour le service militaire allaient lui manquer, et que le maintien de sa puissance serait compromis au milieu d'une si grande multitude d'esclaves. On n'imaginait pas néanmoins de remède à ce mal, parce qu'il n'était ni facile, ni absolument juste de dépouiller de leurs possessions, de leurs propriétés agrandies, améliorées, enrichies de bâtiments, tant de citoyens qui en jouissaient depuis si longues années. Les tribuns du peuple avaient en effet anciennement éprouvé de grandes difficultés pour faire passer une loi, qui portait que nui citoyen ne pourrait posséder de ces terres au-delà de cinq cents arpents, ni avoir en troupeaux au-dessus de cent têtes de gros et de cinquante têtes de menu bétail. La même loi avait enjoint aux propriétaires de prendre à leur service un nombre déterminé d'hommes libres, pour être les surveillants et les inspecteurs de leurs propriétés. Ces dispositions de la loi furent consacrées par la religion du serment. Une amende fut établie contre ceux qui refuseraient de s'y conformer; et les portions de terres récupérées en conséquence, l'on devait en disposer sur-le-champ en faveur des citoyens pauvres et les leur aliéner à vil prix. Mais ni la loi ni les serments ne furent respectés. Quelques citoyens, afin de sauver les apparences, firent, par des transactions frauduleuses, passer leur excédent de propriété sur la tête de leurs parents; le plus grand nombre bravèrent la loi complètement.

[9] μέχρι Τιβέριος Σεμπρώνιος Γράκχος, ἀνὴρ ἐπιφανὴς καὶ λαμπρὸς ἐς φιλοτιμίαν εἰπεῖν τε δυνατώτατος καὶ ἐκ τῶνδε ὁμοῦ πάντων γνωριμώτατος ἅπασι, δημαρχῶν ἐσεμνολόγησε περὶ τοῦ ᾿Ιταλικοῦ γένους ὡς εὐπολεμωτάτου τε καὶ συγγενοῦς, φθειρομένου δὲ κατ' ὀλίγον εἰς ἀπορίαν καὶ ὀλιγανδρίαν καὶ οὐδὲ ἐλπίδα ἔχοντος ἐς διόρθωσιν. ἐπὶ δὲ τῷ δουλικῷ δυσχεράνας ὡς ἀστρατεύτῳ καὶ οὔποτε ἐς δεσπότας πιστῷ, τὸ ἔναγχος ἐπήνεγκεν ἐν Σικελίᾳ δεσποτῶν πάθος ὑπὸ θεραπόντων γενόμενον, ηὐξημένων κἀκείνων ἀπὸ γεωργίας, καὶ τὸν ἐπ' αὐτοὺς ῾Ρωμαίων πόλεμον οὐ ῥᾴδιον οὐδὲ βραχύν, ἀλλὰ ἔς τε μῆκος χρόνου καὶ τροπὰς κινδύνων ποικίλας ἐκτραπέντα. ταῦτα δὲ εἰπὼν ἀνεκαίνιζε τὸν νόμον μηδένα τῶν πεντακοσίων πλέθρων πλέον ἔχειν. παισὶ δ' αὐτῶν ὑπὲρ τὸν παλαιὸν νόμον προσετίθει τὰ ἡμίσεα τούτων· καὶ τὴν λοιπὴν τρεῖς αἱρετοὺς ἄνδρας, ἐναλλασσομένους κατ' ἔτος, διανέμειν τοῖς πένησι.

IX. Tel était l'état des choses, lorsque Tiberius Sempronius Gracchus, citoyen noble, animé de la plus noble ambition, singulièrement distingué par son éloquence, et, à tous ces titres, le plus renommé de tous les Romains, étant arrivé au tribunat, fit un discours solennel touchant la situation des peuples de l'Italie.
Il représenta que c'étaient eux qui rendaient le plus de services dans les armées ; qu'ils tenaient aux habitants de Rome par les liens de sang ; que néanmoins ils étaient sur le point de périr de misère et d'être anéantis par la dépopulation, sans que leur sort parût avoir nulle amélioration à attendre. D'un autre côté il jeta des regards d'animadversion sur les esclaves ; il parla de leur inutilité militaire, de leur perpétuelle infidélité envers leurs maîtres ; il exposa ce que venaient d'éprouver tout récemment, en Sicile, les propriétaires de cette contrée de la part de leurs esclaves, dont le nombre s'était grandement accru à l'ombre des travaux rustiques ; il rapporta que la guerre que les Romains avaient été obligés de porter dans cette île contre ces rebelles n'avait été ni facile, ni expéditive, mais qu'elle avait traîné en longueur, et même que les succès y avaient été mêlés de beaucoup de revers. A la faveur de ce discours, il proposa le renouvellement de la loi qui réglait que nul citoyen ne pourrait posséder au-delà de cinq cents arpents de terre ; il ajouta à ses anciennes dispositions que les enfants des propriétaires pourraient posséder la moitié de cette mesure ; et que trois citoyens, alternant chaque année, seraient nommés pour distribuer aux citoyens pauvres les terres dont la récupération serait opérée par la loi.

[10] Τοῦτο δ' ἦν, ὃ μάλιστα ἠνώχλει τοὺς πλουσίους, οὐ δυναμένους ἔτι ὡς προτερον τοῦ νόμου καταφρονεῖν διὰ τοὺς διαιροῦντας οὐδὲ ὠνεῖσθαι παρὰ τῶν κληρουμένων· ὁ γάρ τοι Γράκχος καὶ τόδε προϊδόμενος ἀπηγόρευε μὴ πωλεῖν. συνιστάμενοι δὴ κατὰ μέρος ὠλοφύροντο καὶ προύφερον τοῖς πένησιν ἀρχαῖά τε ἔργα ἑαυτῶν καὶ φυτὰ καὶ οἰκοδομίας, καὶ τιμὴν ἔνιοι δεδομένην γείτοσιν, εἰ καὶ τήνδε μετὰ τῆς γῆς ἀπολέσουσι, τάφους τε ἔνιοι πατέρων ἐν τῇ γῇ καὶ διαιρέσεις ἐπὶ τοῖς κλήροις ὡς πατρῴοις, οἱ δὲ καὶ προῖκας γυναικῶν ἐς ταῦτα ἀνηλωμένας ἢ τὴν γῆν παισὶν ἐμπροίκιον δεδομένην, δανεισταί τε χρέα καὶ ταύτης ἐπεδείκνυον, καὶ ἄκοσμος ἦν ὅλως οἰμωγὴ καὶ ἀγανάκτησις. οἱ δ' αὖ πένητες ἀντωδύροντο ἐξ εὐπορίας ἐς πενίαν ἐσχάτην καὶ ἀπ' αὐτῆς ἐς ἀγονίαν, οὐ δυνάμενοι παιδοτροφεῖν, περιφέρεσθαι. στρατείας τε ὅσας στρατεύσαιντο τὴν γῆν τήνδε περιποιούμενοι, κατέλεγον καὶ ἠγανάκτουν, εἰ τῶν κοινῶν ἀποστερήσονται, ὠνείδιζόν τε ἅμα αὐτοῖς αἱρουμένοις ἀντὶ ἐλευθέρων καὶ πολιτῶν καὶ στρατιωτῶν θεράποντας, ἄπιστον ἔθνος καὶ δυσμενὲς αἰεὶ διὰ τοῦτο ἀστράτευτον. τοιαῦθ' ἑκατέρων ὀδυρομένων τε καὶ ἀλλήλοις ἐπικαλούντων, πλῆθος ἄλλο, ὅσον ἐν ταῖς ἀποίκοις πόλεσιν ἢ ταῖς ἰσοπολίτισιν ἢ ἄλλως ἐκοινώνει τῆσδε τῆς γῆς, δεδιότες ὁμοίως ἐπῄεσαν καὶ ἐς ἑκατέρους αὐτῶν διεμερίζοντο. πλήθει τε θαρροῦντες ἐξετραχύνοντο καὶ στάσεις ἐξάπτοντες ἀμέτρους τὴν δοκιμασίαν τοῦ νόμου περιέμενον, οἱ μὲν ὡς οὐδενὶ τρόπῳ συγχωρήσοντες αὐτὸν γενέσθαι κύριον, οἱ δ' ὡς κυρώσοντες ἐξ ἅπαντος. φιλονικία δὲ ἑκατέροις προσέπιπτεν ἐπὶ τῇ χρείᾳ καὶ ἐς τὴν κυρίαν ἡμέραν παρασκευὴ κατ' ἀλλήλων.

X. Ce fut ce dernier article de la loi qui excita principalement le mécontentement et l'animosité des riches. Ils ne pouvaient plus espérer tourner la loi comme auparavant, puisque l'exécution en était confiée à trois commissaires, et que, d'un autre côté, il leur était défendu d'acquérir ; car Gracchus y avait pourvu par la prohibition de toute espèce de vente. Aussi les voyait-on de toutes parts se réunir en particulier, se répandre en doléances, représenter aux citoyens pauvres qu'ils avaient arrosé leurs propriétés de leur propres sueurs ; qu'ils en avaient planté les arbres, construit les édifices; qu'ils avaient payé à quelques-uns de leurs voisins des prix d'acquisition qu'on leur allait enlever avec la terre achetée. Les uns disaient que leurs pères étaient inhumés dans leurs domaines; les autres, que leurs propriétés toutes patrimoniales n'étaient qu'un lot de succession entre leurs mains. Ceux-ci alléguaient que leurs fonds de terre avaient été payés avec les dots de leurs femmes, et que l'hypothèque dotale de leurs enfants reposait dessus. Ceux-là montraient les dettes qu'ils avaient contractées en devenant propriétaires. De tous les côtés on n'entendait que plaintes de cette nature, que clameurs mêlées d'indignation. Les citoyens pauvres répondaient à toutes ces doléances, que de leur ancienne aisance ils étaient tombés dans une extrême misère ; que cette détresse les empêchait de faire des enfants, faute d'avoir de quoi les nourrir ; ils alléguaient que les terres conquises avaient été le fruit de leurs expéditions militaires ; ils s'indignaient de se trouver privés de leur proportion dans ces propriétés ; en même temps ils reprochaient aux riches d'avoir préféré à des hommes de condition libre, à leurs concitoyens, à ceux qui avaient l'honneur de porter les armes, des esclaves, engeance toujours infidèle, toujours ennemie de ses maîtres, et par cette raison exclue du service militaire. Tandis qu'à Rome tout retentissait ainsi de plaintes et de reproches, les mêmes scènes s'offraient dans toutes les colonies romaines, dans toutes les villes, qui jouissaient du droit de cité. Partout la multitude, qui prétendait avoir un droit de communauté sur les terres conquises, était en scission ouverte avec les propriétaires, qui craignaient d'être spoliés. Les uns et les autres, forts de leur nombre, s'exaspéraient, provoquaient des séditions continuelles, en attendant le jour où la loi devait être présentée ; bien décidés, les uns à ne consentir d'aucune manière qu'elle fût sanctionnée, les autres à tout mettre en oeuvre pour la faire passer. Ils s'évertuèrent et se piquèrent d'émulation dans leurs intérêts respectifs, et chacun se prépara des deux côtés pour le jour des comices.

[11] Γράκχῳ δ' ὁ μὲν νοῦς τοῦ βουλεύματος ἦν οὐκ ἐς εὐπορίαν, ἀλλ' ἐς εὐανδρίαν, τοῦ δὲ ἔργου τῇ ὠφελείᾳ μάλιστα αἰωρούμενος, ὡς οὔ τι μεῖζον οὐδὲ λαμπρότερον δυναμένης ποτὲ παθεῖν τῆς ᾿Ιταλίας, τοῦ περὶ αὐτὸ δυσχεροῦς οὐδὲν ἐνεθυμεῖτο. ἐνστάσης δὲ τῆς χειροτονίας πολλὰ μὲν ἄλλα προεῖπεν ἐπαγωγὰ καὶ μακρά, διηρώτα δ' ἐπ' ἐκεινοις, εἰ δίκαιον τὰ κοινὰ κοινῇ διανέμεσθαι καὶ εἰ γνησιώτερος αἰεὶ θεράποντος ὁ πολίτης καὶ χρησιμώτερος ὁ στρατιώτης ἀπολέμου καὶ τοῖς δημοσίοις εὐνούστερος ὁ κοινωνός. οὐκ ἐς πολὺ δὲ τὴν σύγκρισιν ὡς ἄδοξον ἐπενεγκὼν αὖθις ἐπῄει τὰς τῆς πατρίδος ἐλπίδας καὶ φόβους διεξιών, ὅτι πλείστης γῆς ἐκ πολέμου βίᾳ κατέχοντες καὶ τὴν λοιπὴν τῆς οἰκουμένης χώραν ἐν ἐλπίδι ἔχοντες κινδυνεύουσιν ἐν τῷδε περὶ ἁπάντων, ἢ κτήσασθαι καὶ τὰ λοιπὰ δι' εὐανδρίαν ἢ καὶ τάδε δι' ἀσθένειαν καὶ φθόνον ὑπ' ἐχθρῶν ἀφαιρεθῆναι. ὧν τοῦ μὲν τὴν δόξαν καὶ εὐπορίαν, τοῦ δὲ τὸν κίνδυνον καὶ φόβον ὑπερεπαίρων ἐκέλευε τοὺς πλουσίους ἐνθυμουμένους ταῦτα ἐπιδόσιμον, εἰ δέοι, παρὰ σφῶν αὐτῶν τήνδε τὴν γῆν εἰς τὰς μελλούσας ἐλπίδας τοῖς παιδοτροφοῦσι χαρίσασθαι καὶ μή, ἐν ᾦ περὶ μικρῶν διαφέρονται, τῶν πλεόνων ὑπεριδεῖν, μισθὸν ἅμα τῆς πεπονημένης ἐξεργασίας αὐτάρκη φερομένους τὴν ἐξαίρετον ἄνευ τιμῆς κτῆσιν ἐς αἰεὶ βέβαιον ἑκάστῳ πεντακοσίων πλέθρων, καὶ παισίν, οἷς εἰσὶ παῖδες, ἑκάστῳ καὶ τούτων τὰ ἡμίσεα. τοιαῦτα πολλὰ ὁ Γράκχος εἰπὼν τούς τε πένητας καὶ ὅσοι ἄλλοι λογισμῷ μᾶλλον ἢ πόθῳ κτήσεως ἐχρῶντο, ἐρεθίσας ἐκέλευε τῷ γραμματεῖ τὸν νόμον ἀναγνῶναι.

XI. Quant à Gracchus, il avait principalement en vue d'augmenter non l'aisance, mais la population des citoyens romains. C'était là le point d'utilité le plus important de son entreprise ; et comme rien ne pouvait plus hautement ni plus puissamment intéresser l'Italie, il ne pensait pas qu'il y rencontrerait des obstacles.
Le jour donc où la loi devait être soumise aux suffrages étant arrivé, il prononça, avant toute chose, un long discours où étaient développés plusieurs motifs en faveur de la loi. Il demanda aux uns s'il n'était pas juste que des biens communs subissent une répartition commune. Il demanda aux autres s'ils n'avaient pas, dans tous les temps, plus à attendre des liens qui les unissaient à un concitoyen, qu'ils n'avaient à espérer d'un esclave. Aux uns il demanda si celui qui servait dans les armées de la république n'était pas plus utile que celui qui en était exclu : aux autres, si celui qui était personnellement intéressé au bien public, n'y était pas plus affectionné que celui qui n'y avait point de part. Sans s'arrêter longtemps sur ces comparaisons, comme peu susceptibles de controverse, il entra dans le détail des espérances et des craintes que devait avoir la patrie ; il exposa que la plus grande partie du territoire de la république était le fruit de la guerre, et que la conquête du reste de l'univers était promise aux Romains ; que dans ces circonstances, ils avaient sur toutes choses à réfléchir qu'ils étaient placés entre l'espérance et la crainte, ou de conquérir le reste du monde par l'accroissement de la population des plébéiens, ou de perdre par sa décadence, ainsi que par la jalousie de leurs ennemis, les conquêtes déjà consommées; il exalta la splendeur et la gloire de la première de ces perspectives; il exagéra les craintes et les dangers à l'égard de la seconde ; il invita les citoyens riches à considérer s'il ne convenait pas qu'à l'aspect de ces brillantes espérances de la patrie, ils consentissent à transmettre l'excédent de leurs propriétés à ceux qui donneraient des enfants à la république, et que, dans l'alternative d'un faible avantage et d'un très grand bien, ils donnassent la préférence à ce dernier. Il leur fit en même temps envisager qu'ils seraient suffisamment récompensés des soins qu'ils avaient donnés à leurs possessions, par la propriété imprescriptible que la loi assurait à chacun, à titre gratuit, de cinq cents arpents de terre, et de la moitié de cette quantité à chacun des enfants de ceux qui étaient pères de famille. Gracchus ayant par ce discours échauffé l'énergie des citoyens pauvres, et de tous ceux des autres citoyens qui étaient plus accessibles à la force de la raison qu'à l'amour de la propriété, ordonna au greffier de lire la loi.

[12] Μᾶρκος δ' ᾿Οκτάουιος δήμαρχος ἕτερος, ὑπὸ τῶν κτηματικῶν διακωλύειν παρεσκευασμένος, καὶ ὢν ἀεὶ παρὰ ῾Ρωμαίοις ὁ κωλύων δυνατώτερος. ἐκέλευε τὸν γραμματέα σιγᾶν. καὶ τότε μὲν αὐτῷ πολλὰ μεμψάμενος ὁ Γράκχος ἐς τὴν ἐπιοῦσαν ἀγορὰν ἀνέθετο . . . φυλακήν τε παραστησάμενος ἱκανὴν ὡς καὶ ἄκοντα βιασόμενος ᾿Οκτάουιον ἐκέλευε σὺν ἀπειλῇ τῷ γραμματεῖ τὸν νόμον εἰς τὸ πλῆθος ἀναγινώσκειν. καὶ ἀνεγίνωσκε καὶ ᾿Οκταουίου κωλύοντος ἐσιώπα. λοιδοριῶν δὲ τοῖς δημάρχοις ἐς ἀλλήλους γενομένων καὶ τοῦ δήμου θορυβοῦντος ἱκανῶς, οἱ δυνατοὶ τοὺς δημάρχους ἠξίουν ἐπιτρέψαι τῇ βουλῇ, περὶ ὧν διαφέρονται, καὶ ὁ Γράκχος ἁρπάσας τὸ λεχθέν, ὡς δὴ πᾶσι τοῖς εὖ φρονοῦσιν ἀρέσοντος τοῦ νόμου, διέτρεχεν ἐς τὸ βουλευτήριον. ἐκεῖ δ' ὡς ἐν ὀλίγοις ὑβριζόμενος ὑπὸ τῶν πλουσίων, αὖθις ἐκδραμὼν εἰς τὴν ἀγορὰν ἔφη διαψήφισιν προθήσειν ἐς τὴν ἐπιοῦσαν ἀγορὰν περί τε τοῦ νόμου καὶ τῆς ἀρχῆς τῆς ᾿Οκταουίου, εἰ χρὴ δήμαρχον ἀντιπράττοντα τῷ δήμῳ τὴν ἀρχὴν ἐπέχειν. καὶ ἔπραξεν οὕτως· ἐπείτε γὰρ ᾿Οκτάουιος οὐδὲν καταπλαγεὶς αὖθις ἐνίστατο, ὁ δὲ προτέραν τὴν περὶ αὐτοῦ ψῆφον ἀνεδίδου.
Καὶ τῆς πρώτης φυλῆς καταψηφισαμένης τὴν ἀρχὴν τὸν ᾿Οκτάουιον ἀποθέσθαι, ἐπιστραφεὶς πρὸς αὐτὸν ὁ Γράκχος ἐδεῖτο μεταθέσθαι. οὐ πειθομένου δὲ τὰς ἄλλας ψήφους ἐπῆγεν. οὐσῶν δὲ τότε φυλῶν πέντε καὶ τριάκοντα καὶ συνδραμουσῶν ἐς τὸ αὐτὸ σὺν ὀργῇ τῶν προτέρων ἑπτακαίδεκα, ἡ μὲν ὀκτωκαιδεκάτη τὸ κῦρος ἔμελλεν ἐπιθήσειν, ὁ δὲ Γράκχος αὖθις, ἐν ὄψει τοῦ δήμου, τότε μάλιστα κινδυνεύοντι τῷ ᾿Οκταουίῳ λιπαρῶς ἐνέκειτο μὴ ἔργον ὁσιώτατον καὶ χρησιμώτατον ᾿Ιταλίᾳ πάσῃ συγχέαι μηδὲ σπουδὴν τοῦ δήμου τοσήνδε ἀνατρέψαι, ᾧ τι καὶ παρενδοῦναι προθυμουμένῳ δήμαρχον ὄντα ἥρμοζε, καὶ μὴ αὑτοῦ τὴν ἀρχὴν ἀφαιρουμένην περιιδεῖν ἐπὶ καταγνώσει. καὶ τάδε λέγων καὶ θεοὺς μαρτυρόμενος ἄκων ἄνδρα σύναρχον ἀτιμοῦν, ὡς οὐκ ἔπειθεν, ἐπῆγε τὴν ψῆφον. καὶ ὁ μὲν ᾿Οκτάουιος αὐτίκα ἰδιώτης γενόμενος διαλαθὼν ἀπεδίδρασκε, Κόιντος δὲ Μούμμιος ἀντ' αὐτοῦ δήμαρχος ᾑρεῖτο, καὶ ὁ νόμος ὁ περὶ τῆς γῆς ἐκυροῦτο.

XII. Alors un des collègues de Gracchus, le tribun Marcus Octavius, qui s'était laissé gagner par les citoyens riches, ordonna, de son côté, au greffier de garder le silence. Or, chez les Romains, le tribun qui interposait son veto contre la loi proposée en arrêtait absolument l'émission. Gracchus, après avoir éclaté en reproches contre son collègue, ajourna l'assemblée au lendemain. Il s'entoura d'un appareil militaire important, dans la vue de forcer Octavius à se contraindre malgré lui. Il ordonna au greffier d'un ton menaçant de lire la loi à l'assemblée ; et le greffier se mit à lire. Mais Octavius lui ordonna de nouveau de se taire, et il obéit. Un combat de propos et d'invectives réciproques s'engagea soudain entre les tribuns. Le tumulte qui s'y mêla ne permettant point de mettre la loi en délibération, les grands conseillèrent aux tribuns de référer de leurs différends au sénat. Gracchus adopta cette proposition. Il ne doutait pas que les plus sensés d'entre les sénateurs ne fussent disposés en faveur de la loi. Il se rendit donc au sénat ; mais dans cette assemblée où l'on était moins nombreux que dans le Forum, les riches l'attaquèrent de manière qu'il se retira du sénat, et revint à l'assemblée du peuple, où il annonça que le lendemain on voterait sur la loi, ainsi que sur la question de savoir si un tribun qui, comme Octavius, se montrait l'ennemi des plébéiens, devait conserver ses fonctions. Les choses effectivement se passèrent de la sorte. Octavius, que rien ne pouvait intimider, renouvela son opposition à la loi ; et Gracchus fit alors, avant toute chose, délibérer sur son compte. Après qu'on eut recueilli les suffrages de la première tribu, qui vota la destitution d'Octavius, Gracchus se tourna de son côté et l'invita à se départir de son opposition. Sur son refus, on continua à recueillir les suffrages. Les tribus étaient alors au nombre de trente-cinq. Les dix-sept premières, dans leur animosité contre Octavius, avaient été unanimes ; et les suffrages de la dix-huitième devaient emporter la décision. Gracchus, encore une fois, se tournant du côté de son collègue, à la vue de l'assemblée, lui représenta l'extrême danger qui le menaçait ; il le pria avec instance de cesser de mettre obstacle à la loi la plus sacrée, et en même temps la plus importante pour toute l'Italie ; de ne pas contrarier plus longtemps l'intérêt qu'y attachait le peuple, à la cause duquel sa qualité de tribun lui faisait d'ailleurs un devoir de céder, et de ne pas braver la condamnation qui allait le dépouiller de sa magistrature. En terminant ce discours, Gracchus prit les dieux à témoin que c'était à contre-coeur qu'il provoquait le déshonneur d'un citoyen, son collègue ; mais Octavius demeura inébranlable ; et l'on continua de prendre les voix. A l'instant même, le décret du peuple fit rentrer le tribun dans la condition d'homme privé; et il s'échappa clandestinement de l'assemblée.

[13] Διανέμειν τε αὐτὴν ἐκεχειροτόνηντο πρῶτοι Γράκχος αὐτός, ὁ νομοθέτης, καὶ ἀδελφὸς ὁμώνυμος ἐκείνου καὶ ὃς ἐκήδευε τῷ νομοθέτῃ Κλαύδιος ῎Αππιος, πάνυ τοῦ δήμου καὶ ὣς δεδιότος, μὴ τὸ ἔργον ἐκλειφθείη τοῦ νόμου, εἰ μὴ Γράκχος αὐτοῦ σὺν ὅλῃ τῇ οἰκίᾳ κατάρχοιτο. Γράκχος δὲ μεγαλαυχούμενος ἐπὶ τῷ νόμῳ ὑπὸ τοῦ πλήθους οἷα δὴ κτίστης οὐ μιᾶς πόλεως οὐδὲ ἑνὸς γένους, ἀλλὰ πάντων, ὅσα ἐν )Ιταλίᾳ ἔθνη, ἐς τὴν οἰκίαν παρεπέμπετο. καὶ μετὰ ταῦθ' οἱ μὲν κεκρατηκότες ἐς τοὺς ἀγροὺς ἀνεχώρουν, ὅθεν ἐπὶ ταῦτ' ἐληλύθεσαν, οἱ δ' ἡσσημένοι δυσφοροῦντες ἔτι παρέμενον καὶ ἐλογοποίουν οὐ χαιρήσειν Γράκχον, αὐτίκα ὅτε γένοιτο ἰδιώτης, ἀρχήν τε ὑβρίσαντα ἱερὰν καὶ ἄσυλον καὶ στάσεως τοσήνδε ἀφορμὴν ἐς τὴν ᾿Ιταλίαν ἐμβαλόντα.

XIII. Quintus Mummius fut élu pour le remplacer et la loi agraire sanctionnée. Afin d'en assurer l'exécution, on nomma d'abord Gracchus, de qui elle était l'ouvrage, son frère qui portait le même nom que lui, et Appius Claudius son beau-père ; car le peuple craignait que la loi ne fût encore un coup éludée, si l'on ne confiait le soin de l'exécuter à Gracchus et à toute sa famille. Ce tribun, triomphant dans son succès et comblé d'éloges par le peuple, non pas comme le fondateur d'une seule cité, non pas comme le père d'un seul peuple, mais comme le père de tous les peuples de l'Italie, fut reconduit en pompe à sa maison. Cela fait, ceux dont les suffrages avaient décidé la victoire en faveur de la loi s'en retournèrent dans leurs foyers rustiques qu'ils avaient quittés pour ce motif. Leurs adversaires, encore mécontents, restèrent à Rome, et divulguèrent qu'aussitôt que l'année du tribunat de Gracchus serait expirée, ils se garderaient bien de réélire celui qui avait attenté à une sainte, à une inviolable magistrature, et qui avait jeté au milieu de l'Italie tant de germes de sédition.

ΙΙ.[14] Θέρος δ' ἦν ἤδη καὶ προγραφαὶ δημάρχων ἐς τὸ μέλλον· καὶ οἱ πλούσιοι τῆς χειροτονίας πλησιαζούσης ἔνδηλοι σαφῶς ἦσαν ἐσπουδακότες ἐς τὴν ἀρχὴν τοῖς μάλιστα Γράκχῳ πολεμίοις. ὁ δ' ἐγγὺς τοῦ κακοῦ γιγνομένου δείσας, εἰ μὴ καὶ ἐς τὸ μέλλον ἔσοιτο δήμαρχος, συνεκάλει τοὺς ἐκ τῶν ἀγρῶν ἐπὶ τὴν χειροτονίαν. ἀσχολουμένων δ' ἐκείνων ὡς ἐν θέρει, συνελαυνόμενος ὑπὸ τῆς προθεσμίας ὀλίγης ἐς τὴν χειροτονίαν ἔτι οὔσης ἐπὶ τὸν ἐν τῷ ἄστει δῆμον κατέφευγε, καὶ περιιὼν κατὰ μέρος ἑκάστων ἐδεῖτο δήμαρχον αὑτὸν ἐς τὸ μέλλον ἑλέσθαι, κινδυνεύοντα δι' ἐκείνους. γιγνομένης δὲ τῆς χειροτονίας δύο μὲν ἔφθασαν αἱ πρῶται φυλαὶ Γράκχον ἀποφῆναι, τῶν δὲ πλουσίων ἐνισταμένων οὐκ ἔννομον εἶναι δὶς ἐφεξῆς τὸν αὐτὸν ἄρχειν καὶ ῾Ρουβρίου δημάρχου τοῦ προεστάναι τῆς ἐκκλησίας ἐκείνης διειληχότος ἐνδοιάζοντος ἐπὶ τῷδε, Μούμμιος αὐτόν, ὁ ἐπὶ τῷ ᾿Οκταουίῳ δημαρχεῖν ᾑρημένος, ἐκέλευεν ἑαυτῷ τὴν ἐκκλησίαν ἐπιτρέψαι. καὶ ὁ μὲν ἐπέτρεψεν, οἱ δὲ λοιποὶ δήμαρχοι περὶ τῆς ἐπιστασίας ἠξίουν ἀνακληροῦσθαι· ῾Ρουβρίου γὰρ τοῦ λαχόντος ἐκστάντος αὖθις ἐς ἅπαντας τὴν διακλήρωσιν περιιέναι. ἔριδος δὲ καὶ ἐπὶ τῷδε πολλῆς γενομένης ὁ Γράκχος ἐλταττούμενος τὴν μὲν χειροτονίαν ἐς τὴν ἐπιοῦσαν ἡμέραν ἀνέθετο, πάντα δ' ἀπογνοὺς ἐμελανειμόνει τε ἔτι ὢν ἔναρχος καὶ τὸ λοιπὸν τῆς ἡμέρας ἐν ἀγορᾶ τὸν υἱὸν ἐπάγων ἑκάστοις συνίστη καὶ παρετίθετο ὡς αὐτὸς ὑπὸ τῶν ἐχθρῶν αὐτίκα ἀπολούμενος.

XIV. On était déjà en été, et les élections pour le tribunat étaient prochaines. A mesure que l'époque de ces élections s'avançait, les citoyens riches parurent avoir manifestement agi pour que les suffrages fussent donnés de préférence à ceux qui se montreraient les plus ardents ennemis de Gracchus.
Celui-ci, de son côté, à l'aspect du danger qui s'approchait, craignant pour lui s'il n'était pas réélu tribun, fit inviter tous les citoyens des champs à se rendre à Rome pour donner leurs voix ; mais ils n'en eurent pas le temps, à cause des travaux de la saison. Pressé par le court intervalle qui devait s'écouler de là au jour des comices, Gracchus eut recours aux plébéiens de la ville ; il s'adressa à chacun d'eux tour à tour, les suppliant de le nommer tribun à la prochaine élection, afin de le mettre à couvert des périls auxquels il s'était exposé pour eux. Le jour des comices étant arrivé, les deux premières tribus donnèrent leurs suffrages à Gracchus. Les riches réclamèrent ; ils prétendirent que les lois ne permettaient pas que le même citoyen fût élu tribun deux fois de suite.
Cependant le tribun Rubrius, à qui la présidence de ces comices était échue par le sort, ne savait quel parti prendre sur cette question. Mummius, celui qui avait été nommé tribun en remplacement d'Octavius, invita son collègue Rubrius à lui céder la présidence, et il le fit. Les autres tribuns prétendirent que la présidence devait être réglée par le sort, et que, puisque Rubrius, à qui elle était d'abord échue, la quittait, le sort devait être de nouveau tiré entre tous. Une très vive altercation s'étant élevée à ce sujet, et Gracchus voyant qu'il avait le dessous, il renvoya l'élection au lendemain ; et n'ayant plus aucune espérance, il prit les vêtements noirs, quoique encore tribun. Il employa tout le reste de la journée à promener son fils dans le Forum, à le présenter et à le recommander à tous ceux qu'ils rencontrait, comme étant près lui-même de périr victime du ressentiment de ses ennemis.


[15] Οἴκτου δὲ πολλοῦ σὺν λογισμῷ τοὺς πένητας ἐπιλαμβάνοντος ὑπέρ τε σφῶν αὐτῶν, ὡς οὐκ ἐν ἰσονόμῳ πολιτευσόντων ἔτι, ἀλλὰ δουλευσόντων κατὰ κράτος τοῖς πλουσίοις, καὶ ὑπὲρ αὐτοῦ Γράκχου, τοιαῦτα δεδιότος τε καὶ πάσχοντος ὑπὲρ αὐτῶν, σύν τε οἰμωγῇ προπεμπόντων αὐτὸν ἁπάντων ἐπὶ τὴν οἰκίαν ἑσπέρας καὶ θαρρεῖν ἐς τὴν ἐπιοῦσαν ἡμέραν ἐπικελευόντων, ἀναθαρρήσας ὁ Γράκχος ἔτι νυκτὸς τοὺς στασιώτας συναγαγὼν καὶ σημεῖον, εἰ καὶ μάχης δεήσειεν, ὑποδείξας κατέλαβε τοῦ Καπιτωλίου τὸν νεών, ἔνθα χειροτονήσειν ἔμελλον, καὶ τὰ μέσα τῆς ἐκκλησίας. ἐνοχλούμενος δ' ὑπὸ τῶν δημάρχων καὶ τῶν πλουσίων, οὐκ ἐώντων ἀναδοθῆναι περὶ αὐτοῦ χειροτονίαν, ἀνέσχε τὸ σημεῖον. καὶ βοῆς ἄφνω παρὰ τῶν συνειδότων γενομένης χεῖρές τε ἦσαν ἤδη τὸ ἀπὸ τοῦδε, καὶ τῶν Γρακχείων οἱ μὲν αὐτὸν ἐφύλαττον οἷά τινες δορυφόροι, οἱ δὲ τὰ ἱμάτια διαζωσάμενοι, ῥάβδους καὶ ξύλα τὰ ἐν χερσὶ τῶν ὑπηρετῶν ἁρπάσαντές τε καὶ διακλάσαντες ἐς πολλά, τοὺς πλουσίους ἐξήλαυνον ἀπὸ τῆς ἐκκλησίας, σὺν τοσῷδε ταράχῳ καὶ τραύμασιν, ὡς τούς τε δημάρχους δείσαντας διαφυγεῖν ἐκ μέσον, καὶ τὸν νεὼν τοὺς ἱερέας ἐπικλεῖσαι, δρόμον τε πολλῶν ἄκοσμον εἶναι καὶ φυγὴν καὶ λόγον οὐκ ἀκριβῆ, τῶν μὲν ὅτι καὶ τοὺς ἄλλους δημάρχους ὁ Γράκχος παραλύσειε τῆς ἀρχῆς (οὐ γὰρ ὁρωμένων αὐτῶν εἴκαζον οὕτως), τῶν δ' ὅτι αὐτὸς ἑαυτὸν ἐς τὸ μέλλον δήμαρχον ἄνευ χειροτονίας ἀποφαίνοι.

XV. Ce discours excitait parmi les citoyens pauvres une vive commisération, d'abord pour eux-mêmes, parce qu'ils sentaient que désormais toute égalité de droit serait anéantie, et qu'ils tomberaient nécessairement dans la dépendance des citoyens riches ; ensuite pour Gracchus personnellement, parce qu'il ne s'était exposé que pour leur avantage aux dangers qui le menaçaient. Aussi le reconduisirent-ils le soir en foule jusqu'à sa maison en l'invitant à prendre courage pour le jour suivant.
Gracchus reprit courage ; il réunit ses partisans de grand matin pendant qu'il était nuit encore; et après être convenu avec eux d'un signal, dans le cas où il faudrait en venir aux mains, il alla s'emparer du Capitole où devait se faire l'élection, et il occupa le lieu qui devait former le centre de l'assemblée. Pendant que les tribuns, ses collègues, lui cherchaient querelle d'un côté, et que de l'autre les citoyens riches intriguaient pour lui enlever les suffrages, il donna le signal convenu. Sur-le-champ ceux de son parti répondirent à ce signal par une énorme vocifération, et aussitôt les voies de fait se mirent de la partie. Un certain nombre de ses partisans l'entoura pour lui faire un rempart de leurs corps, tandis que les autres, retroussant leurs robes, s'emparant des verges qui étaient entre les mains des licteurs, et les mettant en pièces à force de frapper à tort et à travers, chassèrent les citoyens riches de l'assemblée avec tant de fracas, et chargés de tant de blessures, que les tribuns épouvantés prirent la fuite, et que les prêtres fermèrent la porte du temple. De toute part on courait, on se sauvait en désordre, on répandait des bruits vagues, tantôt que Tibérius avait fait destituer les autres tribuns (car on n'en voyait nulle part, c'est pourquoi on le présumait ainsi), tantôt qu'il s'était nommé lui-même tribun sans élection.


[16] Γιγνομένων δὲ τούτων ἡ βουλὴ συνῆλθεν εἰς τὸ τῆς Πίστεως ἱερόν. καί μοι θαῦμα καταφαίνεται τὸ πολλάκις ἐν τοιοῖσδε φόβοις διὰ τῆς αὐτοκράτορος ἀρχῆς διασεσωσμένους τότε μηδ' ἐπὶ νοῦν τὸν δικτάτορα λαβεῖν, ἀλλὰ χρησιμώτατον τοῖς προτέροις τόδε τὸ ἔργον εὑρεθὲν μηδ' ἐν μνήμῃ τοῖς πολλοῖς ἄρα γενέσθαι μήτε τότε μήθ' ὕστερον. κρίναντες δ' ὅσα ἔκριναν ἐς τὸ Καπιτωλιον ἀνῄεσαν. καὶ πρῶτος αὐτοῖς ὁ μέγιστος ἀρχιερεὺς λεγόμενος ἐξῆρχε τῆς ὁδοῦ, Κορνήλιος Σκιπίων ὁ Νασικᾶς· ἐβόα τε μέγιστον ἕπεσθαί οἱ τοὺς ἐθέλοντας σῴζεσθαι τὴν πατρίδα καὶ τὸ κράσπεδον τοῦ ἱματίου ἐς τὴν κεφαλὴν περιεσύρατο, εἴτε τῷ παρασήμῳ τοῦ σχήματος πλέονάς οἱ συντρέχειν ἐπισπώμενος, εἴτε πολέμου τι σύμβολον τοῖς ὁρῶσιν ὡς κόρυθα ποιούμενος, εἴτε θεοὺς ἐγκαλυπτόμενος ὧν ἔμελλε δράσειν. ἀνελθόντι δὲ ἐς τὸ ἱερὸν καὶ τοῖς Γρακχείοις ἐπιδραμόντι εἶξαν μὲν ὡς κατ' ἀξίωσιν ἀνδρὶ ἀρίστῳ, καὶ τὴν βουλὴν ἅμα οἱ θεωροῦντες ἐπιοῦσαν· οἱ δὲ τὰ ξύλα τῶν Γρακχείων αὐτῶν περισπάσαντες, ὅσα τε βάθρα καὶ ἄλλη παρασκευὴ ὡς ἐς ἐκκλησίαν συνενήνεκτο διελόντες, ἔπαιον αὐτοὺς καὶ ἐδίωκον καὶ ἐς τὰ ἀπόκρημνα κατερρίπτουν. κἀν τῷδε τῷ κυδοιμῷ πολλοί τε τῶν Γρακχείων καὶ Γράκχος αὐτός, εἱλούμενος περὶ τὸ ἱερόν, ἀνῃρέθη κατὰ τὰς θύρας παρὰ τοὺς τῶν βασιλέων ἀνδριάντας. καὶ πάντας αὐτοὺς νυκτὸς ἐξέρριψαν εἰς τὸ ῥεῦμα τοῦ ποταμοῦ.

XVI. Sur ces entrefaites, le sénat s'assembla dans le temple de Fides ; et je suis singulièrement étonné qu'on n'ait point songé alors à nommer un dictateur, mesure qui plusieurs fois, dans des circonstances semblables, avaient sauvé la république, à la faveur de la toute-puissance attachée à cette magistrature, et que ce remède, dont on avait antérieurement éprouvé l'efficacité avec tant de succès, ne se soit présenté à la mémoire de personne, parmi un si grand nombre de citoyens, ni à cette époque, ni au milieu des troubles suivants. Après avoir arrêté ce qu'ils jugèrent convenable, les sénateurs prirent le chemin du Capitole. Ils avaient à leur tête Cornelius Scipion Nasica, Grand Pontife, qui criait à haute voix, tout en marchant : "Suivez-nous, citoyens, qui voulez sauver la patrie." Il avait relevé sur sa tête l'extrémité de sa robe sacerdotale, soit afin que l'étrange nouveauté de la chose attirât plus de monde à sa suite, soit afin que ce fût aux yeux des Romains comme une espèce de signal de ralliement et de bataille, soit afin de dérober aux regards des dieux ce qu'il allait faire. En entrant dans le Capitole, Scipion Nasica se jeta sur les partisans de Gracchus, qui ne firent nulle résistance, à cause de la vénération qu'inspirait un si grand personnage, et en même temps à cause que le sénat était avec lui. Ceux des citoyens qui s'étaient rangés sous l'étendard du Grand Pontife leur arrachèrent leurs bâtons, les débris des sièges dont ils s'étaient armés, et toutes les autres espèces d'armes qu'ils avaient apportées avec eux à l'assemblée. Ils assommèrent les partisans de Gracchus ; ils poursuivirent les fuyards, et les jetèrent du haut en bas des précipices qui environnaient le Capitole. Plusieurs de ces malheureux périrent dans cette bataille, Gracchus lui-même, atteint dans l'enceinte sacrée, fut égorgé près de la porte, à côté de la statue des rois. La nuit suivante, tous les cadavres furent jetés dans le Tibre.

[17] Οὕτω μὲν δὴ Γράκχος, ὁ Γράκχου τοῦ δὶς ὑπατεύσαντος καὶ Κορνηλίας τῆς Σκιπίωνος τοῦ Καρχηδονίους τὴν ἡγεμονίαν ἀφελομένου παῖς, ἀρίστου βουλεύματος ἕνεκα, βιαίως αὐτῷ προσιών, ἀνῄρητο ἔτι δημαρχῶν ἐν τῷ Καπιτωλίῳ. καὶ πρῶτον ἐν ἐκκλησίᾳ τόδε μύσος γενόμενον οὐ διέλιπεν, αἰεί τινος ὁμοίου γιγνομένου παρὰ μέρος. ἡ δὲ πόλις ἐπὶ τῷ Γράκχου φόνῳ διῄρητο ἐς λύπην καὶ ἡδονήν, οἱ μὲν οἰκτείροντες αὑτούς τε κἀκεῖνον καὶ τὰ παρόντα ὡς οὐκέτι πολιτείαν, ἀλλὰ χειροκρατίαν καὶ βίαν, οἱ δ' ἐξειργάσθαι σφίσιν ἡγούμενοι πᾶν, ὅσον ἐβούλοντο.

XVII. C'est ainsi que Tibérius Sempronius Gracchus, fils de Gracchus qui avait été deux fois consul, et de Cornélie, fille de celui des Scipions qui avait anéanti Carthage, fut immolé dans le Capitole, pendant qu'il était encore tribun ; et cela pour avoir employé la violence dans l'émission d'une excellente loi. Ce crime, le premier de tous qui fut commis dans les assemblées du peuple, ne devait pas manquer d'être suivi d'autres attentats tout à fait semblables. La mort de Gracchus partagea Rome entre le deuil et la joie. Les uns déplorèrent leur sort, celui du tribun, et la condition présente de la république, où les lois allaient céder la place aux voies de fait et aux actes de violence. Les autres avaient l'espérance de faire désormais tout ce qu'ils voudraient.