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PERSE

 

SATIRE II

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

SATURA II / SATIRE II

(éd. Jules Lacroix)

satire I - satire III

 

 

 

SATURA II.

SATIRE II.

VOTA HOMINUM NEFANDA STULTAQUE DAMNAT.

CONTRE LES VŒUX CRIMINELS ET INSENSÉS DES HOMMES.

Hunc, Macrine, diem numera meliore lapillo,
Qui tibi labentes apponit candidus annos
Funde merum Genio. Non tu prece poscis emaci
Quæ, nisi seductis, nequeas committere divis:
5 At bona pars procerum tacita libavit acerra.
Haud cuivis promptum est, murmurque humilesque susurros
Tollere de templis, et aperto vivere voto.

 

 

 

 

« Mens bona, fama, fides! » hæc clare, et ut audiat hospes:
Illa sibi introrsum, et sub lingua immurmurat: « O si
10 Ebullit patrui præclarum funus! » et: « O si
Sub rastro crepet argenti mihi seria, dextro
Hercule! pupillumve utinam, quem proximus heres
Impello, expungam! namque est scabiosus, et acri
Bile tumet. Nerio jam tertia conditur uxor! »

 

15 Hæc sancte ut poscas, Tiberino in gurgite mergis
Mane caput bis terque, et noctem flumine purgas.
Heus age, responde; minimum est quod scire laboro:
De Jove quid sentis? estne ut præponere cures
Hunc...— cuinam? — cuinam? Vis
Staio?... anscilicet hæres
20 Quis potior judex, puerisve quis aptior orbis?
Hoc igitur, quo tu Jovis aurem impellere tentas,
Dic agedum Staio. Proh Jupiter! o bone, clamet,
Jupiter! » At sese non clamet Jupiter ipse?
Ignovisse putas, quia, quum tonat, ocius ilex
25 Sulfure discutitur sacro, quam tuque domusque?
An quia non, fibris ovium
Ergennaque jubente,
Triste jaces lucis evitandumque
bidental,
Idcirco stolidam præbet tibi vellere barbam
Jupiter? aut quidnam est, qua tu mercede deorum
30 Emeris auriculas? pulmone et lactibus unctis?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ecce avia, aut metuens divum matertera, cunis
Exemit puerum, frontemque atque uda labella
Infami digito et lustralibus ante salivis
Expiat,
urentes oculos inhibere perita.
35 Tunc manibus quatit, et spem macratti supplice voto
Nunc Licini in campos, nunc Crassi mittit in ædes.
Hunc optent generum rex et regina! puellæ
Hunc rapiant! quidquid calcaverit, hic rosa fiat!
Ast ego nutrici non mando vota: negato,
40 Jupiter, hæc illi, quamvis te
albata rogarit!

 

 

 

 

Poscis opem nervis, corpusque fidele senectæ.
Esto, age; sed grandes patinæ tucetaque crassa
Annuere his superos vetuere, Jovem que motantui.

 

Rem struere exoptas, cæso bove, Mercuriumque
45 Arcessis fibra : « Da fortunare Penates;
Da pecus, et gregibus fetum! » Quo, pessime, pacto,
Tot tibi quum in flammis junicum omenta liquescant?
Et tamen hic extis et opimo vincere ferto
Intendit : jam crescit ager, jam crescit ovile,
50 Jam dabitur, jam, jam... donec deceptus et exspes
Nequidquam fundo suspiret nummus in imo.

 

 

 

Si tibi crateras argenti incusaque pingui
Auro dona feram, sudes, et pectore lævo
Excutiat guttas lætari prætrepidum cor.
55 Hinc illud subiit, auro sacras quod ovato
Perducis facies: nam,
fratres inter ahenos,
Somnia pituita qui purgatissima mittunt,
Præcipui sunto, sitque illis aurea barba.

 

 

 

 

Aurum vasa Numæ Saturniaque impulit æra,
60 Vestalesque urnas et Tuscum fictile mutat.
O curvæ in terras animæ, et cœlestium inanes!
Quid juvat hos templis nostros immittere mores,
Et hona dis ex hac scelerata ducere pulpa?
Hæc sibi corrupto casiam dissolvit olivo,
65 Et Calabrum coxit vitiato murice vellus;
Hæc baccam conchæ rasisse, et stringere venas
Ferventis massæ crudo de pulvere jussit.
Peccat et hæc, peccat; vitio tamen utitur: at vos
Dicite, pontifices; in sacro quid facit aurum?
70 Nempe hoc quod
Veneri donatæ a virgine puppæ.

 

 

 

 

 

Quin damus id superis, de magna quod dare lance
Non possit magni
Messalæ lippa propago
Compositum jus fasque animo, sanctosque recessus
Mentis, et incoctum generoso pectus honesto!
75 Hæc cedo ut admoveam templis, et
farre litabo.

Marque d’un blanc caillou ce beau jour, Macrinus,
Ce jour qui dans ta vie apporte un an de plus:
Épanche à ton Génie un vin pur en offrande!
Ces prières où l’homme avec les dieux marchands
Ta bouche n’oserait jamais les confier
Qu’à des dieux corrompus ! ... S’ils vont sacrifier,
Nos grands font aux autels des offrandes muettes.
Qui voudrait en bannir ces prières secrètes
Qu’on murmure à voix sourde, et mettre à nu ses vœux?

 

« Sagesse, honneur, vertu, c’est tout ce que je veux! »
On dit cela bien haut, et pour se faire entendre.
Mais en soi-même: « O dieux! si je pouvais étendre
En un cercueil pompeux mon oncle ! ... » Ou bien encor:
Si ma bêche heurtait une urne pleine d’or,
Hercule!.... Plaise aux dieux qu’enfin je congédie
Ce mineur dont j’hérite ! ... Il n’est que maladie,
Il regorge d’humeurs !... Trois femmes! déjà trois,
Que Nérius enterre ! Et dès l’aube, trois fois,
Le Tibre aux flots sacrés baigne ta chevelure,
Et de ta nuit coupable emporte la souillure.

 

Çà, réponds, un seul mot: Qu’est-ce que Jupiter?
Doit-on le préférer...— « A qui donc? »—Eh! mon cher,
A Staius. — « Vous cherchez quel est le meilleur juge,
Et du pauvre orphelin le plus digne refuge? »
— Eh bien! alors ces vœux dont Jupiter est las,
Cours les faire à Staius. Bon Jupiter! hélas!
Va s’écrier notre homme. Et le maître suprême
Ne crierait point aussi Jupiter à lui-même?
Te crois-tu pardonné si la foudre, éclatant,
Ne renverse qu’un chêne, et t’épargne un instant ?...
Dans le sang des brebis si ton corps sur la terre
Ne gît pas tristement en un lieu solitaire,
Dont le prêtre Ergenna nous défend d’approcher,
Pour cela Jupiter te permet d’arracher
Sa barbe comme un sot ?... Enfin, par quel salaire
Sais-tu des dieux vengeurs enchaîner la colère?
Est-ce avec un poumon et des intestins gras?

 

 

 

 

 

 

 

Une aïeule, une tante élève dans ses bras
Un enfant au berceau; puis, fervente et craintive,
Pour le purifier, elle enduit de salive,
Avec un doigt, la lèvre et le front de l’enfant,
Et des yeux meurtriers son charme le défend.
D’un léger coup sa main le frappe; et dans son âme,
Pour cet espoir si frêle, un vœu brûlant réclame
Tes domaines, Crassus, et ton pompeux séjour.
« Puisse un roi le nommer son gendre! et, quelque jour,
Les belles s’arracher son cœur et sa tendresse!
Sous chacun de ses pas qu’une rose paraisse! » —
Nourrice, point de vœux ! — Daigne les rejeter,
Malgré sa blanche robe, ô puissant Jupiter!

 

Tu veux la force, un corps ferme dans ta vieillesse.
Fort bien! Mais ces grands plats, succulents de mollesse,
Arrêtent Jupiter, qui voudrait t’exaucer.

 

Tu fais tuer tes bœufs, dans l’espoir d’amasser
Puis, appelant Mercure avec des sacrifices:
« Augmente mon avoir, féconde mes génisses! »
Le moyen, malheureux? quand tu fais sans repos
Fondre sur les charbons la graisse des troupeaux !
A force de victime et d’offrande, il espère
Vaincre enfin l’immortel. Champ, bercail, tout prospère!
J’aurai... bientôt!... bientôt!... Mais combien il frémit,
Quand son dernier écu dans sa bourse gémit!

 

 

Si je t’offrais, à toi, des coupes d’or massives,
La sueur du plaisir, des larmes convulsives
Inonderaient ton sein, bondissant et joyeux!
De là ce fol espoir que tu plairais aux dieux
En dorant leur visage; et, dans la foule antique
Des frères immortels rangés sous le portique,
Ceux qui d’un songe pur t’accordent le trésor
Sur leur face de bronze ont une barbe d’or.

 

 

L’or remplace et bannit des mains sacerdotales
Les vases de Numa, les urnes des Vestales,
Le cuivre de Saturne, et l’argile en débris...
O cœurs vides du ciel! cœurs de fange pétris!
Notre corruption, que sert de l’introduire
Dans le temple des dieux?... Quoi! c’est pour les séduire,
Qu’un luxe criminel marchande leur faveur
Ce luxe, de l’olive altérant la saveur,
Y détrempa la casse; et la pourpre qu’il souille
Des brebis de Calabre a rougi la dépouille;
Il arracha la perle à sa conque d’azur,
Fit jaillir, d’un sol brut, l’or éclatant et pur.
Ce luxe est né du vice: il sert du moins au vice!
Mais, prêtres, dites-moi, l’or dans un sacrifice,
Que fait-il? — Ce que font tous ces hochets parés,
De la main d’une vierge à Vénus consacrés.

 

 

Offrons ce qu’aux dépens des grands plats de sa table,
Du noble Messala l’héritier détestable
Ne peut offrir aux dieux un cœur juste, élevé,
Une âme aux saints replis, où l’honneur est gravé...
Riche de ces vertus, que j’approche du temple,
Et d’un simple gâteau le sacrifice est ample?


 

NOTES DE LA SATIRE II.

Juvénal, dans sa dixième satire, les Vœux, a traité le même sujet que Perse, avec plus d’éloquence et d’éclat, mais avec moins de profondeur peut-être.

V. 1. Hunc, Macrine, diem, etc. — Ce Macrinus était un homme sage et instruit, ami de Perse. — Meliore lapillo. — Les Thraces sont les premiers qui aient marqué tes jours heureux avec des cailloux blancs, les jours malheureux avec des cailloux noirs. Les Grecs d’abord, puis les Crétois, puis les Romains, leur empruntèrent cet usage.

Les anciens célébraient l’anniversaire de leur naissance avec beaucoup d’appareil.

V. 3. Funde merum Genio. L’antiquité païenne croyait que chaque homme avait un Génie particulier qui présidait à sa naissance, veillait à sa conservation, et l’exhortait à jouir de la vie.

Cette divinité était représentée sous ta figure d’un jeune homme tenant d’une main une corne d’abondance, et de l’autre un vase. C’était sur la tête de cette image qu’on faisait les libations.

V. 12. Hercule! — Hercule présidait aux trésors cachés.

Ce passage est imité d’Horace. Voy. liv. II, satire vi, vers 10 et suiv.

V. 15. Tiberino in gurgite. — Ces ablutions, encore en usage aujourd’hui dans tout l’Orient, remontent à la plus haute antiquité.

On croyait, par ce moyen, se purifier de toutes les souillures. Juvénal a dit comme Perse :

Ter matutino Tiberi mergetur.

Sat. VI, v. 523.

Le nombre de ces ablutions était ordinairement de trois.

V. 19. Staio. — Ce Staius était un juge prévaricateur, fameux par ses scélératesses.

V. 26. Ergenna. — C’est le nom d’un prêtre toscan.

V. 27. Bidental. — On appelait bidental un lieu où le tonnerre était tombé. On purifiait ce lieu en y sacrifiant une brebis de deux ans, bidens, qui le rendait vénérable comme les bois consacrés aux dieux.

Si un homme avait été foudroyé, on enterrait son cadavre, au lieu de le brûler, suivant l’usage.

V. 31. Ecce avia, etc. — C’était toujours l’aïeule ou la tante maternelle qui se chargeait de purifier l’enfant nouveau-né, en lui frottant le front et les lèvres de salive, avec le doigt du milieu.

V. 34. Urentes oculos. — On croyait généralement que le regard d’un envieux pouvait ensorceler. Urentes oculos est ce qu’on appelle encore aujourd’hui le mauvais œil.

Virgile a dit, dans sa troisième églogue

Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos.

V. 40. Albata rogarit! — Les anciens pensaient que la couleur blanche était la plus agréable aux dieux, aussi avaient-ils coutume de s’habiller de blanc pour sacrifier.

V. 44. Mercurium. — Mercure, dieu du gain.

V. 56. Fratres ahenos. — Casaubon pense qu’il faut voir dans ces frères de bronze les cinquante fils d’Egyptus. dont les statues équestres décoraient le portique du temple d’Apollon Palatin, avec celles des Danaïdes. Quelques-unes de ces statues passaient pour envoyer des songes favorables et véridiques.

V. 70. Veneri donatæ. — Les jeunes filles, parvenues à l’âge de puberté, consacraient leurs poupées à Vénus, dans l’espoir d’obtenir un heureux mariage.

V. 72 Messalæ. — Ce fils du grand Messala était Messalinus Cotta, que Pline cite comme un des plus fameux gourmands.

V. 75. Farre litabo. — C’était un gâteau de blé ou d’orge grillé, qu’on assaisonnait de sel.