ALLER à LA TABLE DES MATIERES DE TYrtée

Tyrtée

 

Poésies

 Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

autre traduction

autre traduction

 

TYRTEE

TRADUIT EN VERS FRANÇAIS,

PAR A. BARON.

 

CHANTS.

 

1

Mourir est beau ; mourir, tomber aux premiers rangs,

Brave, et, le fer en main, défendant sa patrie !

Mais fuir, mais déserter et sa ville et ses champs,

Comme un vil mendiant tendre une main flétrie,

Traîner en vagabond une épouse chérie,

Des enfants, une mère, un père chargé d'ans,

Ah ! de tous les malheurs ceux-là sont les plus grands !

Le lâche lit partout le reproche et la haine ;

Esclave des besoins et de la pauvreté,

Il dégrade sa race, il flétrit sa beauté,

Nuls égards, nul respect ne consolent sa peine,

Et, dans quelque climat que sa fuite l'entraîne,

Le vice et le mépris marchent à son côté.

Prodigues d'une courte vie,

Combattons pour notre patrie,

Sachons mourir pour nos enfants *

Jeunes guerriers, gardez vos rangs ;

Laissez au sein du vil esclave

La pâle fuite et la terreur ;

Faites-vous un cœur mâle, indomptable à la peur,

Dédaigneux de la vie, et songez que du brave

Un plus brave seul est vainqueur.

Abandonnerez-vous, aux heures de détresse,

Ces vétérans dont l'âge a raidi les genoux?

Honte, honte sur la jeunesse,

Si leur généreuse vieillesse

Court au front de bataille et tombe devant vous !

Si l'homme aux cheveux gris, couché dans la poussière,

Exhale devant vous son âme libre et fière,

Tandis que, de ses mains couvrant sa nudité,

Honteux, il cache aux yeux de la foule insolente

Le sexe du vieillard, marque pâle et sanglante

D'inutile virilité.

Pitié pour lui ! mais vous! tout sied bien à votre âge :

Tant que brille en sa fleur l'aimable puberté,

Admiré des guerriers, chéri de la beauté,

Le soldat peut sans crainte affronter le carnage,

Sans honte il peut tomber au milieu des combats,

Il est jeune, il est beau même dans son trépas !

2

Non ! vous êtes les fils de l'invincible Alcide !

Non ! Jupiter n'a point détourné son regard :

Qu'aux traits des ennemis le soldat intrépide

Des boucliers levés oppose le rempart.

De leurs mille guerriers ne craignez pas le nombre ;

Prenez la vie en haine et la mort en amour,

A l'égal des splendeurs du jour

Chérissez sa nuit froide et sombre.

De Mars, ô jeunes gens, du Dieu père des pleurs,

Vous connaissez les brillantes faveurs,

Vous connaissez la fatale vengeance,

Tour à tour vaincus et vainqueurs,

Vous avez épuisé la double expérience

De ses dons et de ses rigueurs ;

Eh bien ! dites-le-nous, dans les champs du carnage,

Tombent-ils plus nombreux, ceux dont le fier courroux

Des glaives menaçants brave les premiers coups,

Et sauve un peuple entier que guide leur courage ?

Non : au lâche est la mort ; sans avoir combattu,

Dans son corps frissonnant expire la vertu.

Qui pourrait raconter l'opprobre, la misère,

Les innombrables maux nés de la lâcheté ?

O supplice ! le lâche est frappé par derrière,

Tandis que des combats il fuit épouvanté ;

Son cadavre est couché, le front dans la poussière,

Et sur son dos la lance meurtrière

De sa honte a gravé le signe ensanglanté.

Ah ! ne l'imitons pas : que le brave, au contraire,

Les pieds bien séparés, s'attachant à la terre,

Par le fer arrondi d'un vaste bouclier

De la tête aux genoux se couvre tout entier :

Que sa droite brandisse une lance pesante,

Qu'il morde de ses dents sa lèvre frémissante,

Et que l'aigrette menaçante

S'agite sur son front guerrier.

A la valeur encore ajoutez la science.

Que jamais hors des traits ils n'arrêtent leurs pas

Ceux qui du bouclier peuvent armer leur bras ;

Qu'ils frappent l'ennemi du glaive ou de la lance,

Et luttant corps à corps, cimier contre cimier,

Bouclier contre bouclier,

Pied contre pied, poitrine sur poitrine,

Qu'ils sachent saisir dans sa main,

Ou le bois de la javeline,

Ou le pommeau du fer levé contre leur sein.

Vous, suivez-le, troupe légère,

Et de leurs boucliers ne vous éloignez pas;

Sous ce rempart d'airain lancez l'énorme pierre,

Et le dard aiguisé pour les sanglants combats.

3

Qu'à la course, à la lutte, un homme soit vainqueur,

Ce n'est pas dans mes chants que vivra sa mémoire,

Et je sais mal priser une si faible gloire.

Du Cyclope il aurait la taille et la vigueur,

Le pied léger du vent qui vole aux champs de Thrace,

Du beau Tithon la fraîcheur et la grâce,

Les immenses trésors que rappelle le nom

Et de Midas et de Cinyre,

Son sceptre s'étendrait sur un plus vaste empire

Que n'en soumit jamais l'aïeul d'Agamemnon ;

D'Adraste au doux parler ajoutez l'éloquence ;

Tous ces dons réunis, force, beauté, puissance,

Ne sont rien à mes yeux, s'il n'a pas la valeur,

S'il ne voit, sans pâlir, le sang et le carnage,

Si d'un fier ennemi son indomptable cœur

N'aspire à défier la rage ;

Car c'est là la vertu, le véritable honneur,

La palme la plus belle à cueillir au jeune âge.

Il est d'un peuple entier le trésor et l'appui

Ce héros, étranger à la fuite honteuse,

Qui, livrant aux hasards son âme belliqueuse,

Encourage les siens à mourir comme lui.

A peine, de fer hérissée,

Paraît des ennemis la phalange pressée,

Que lui, debout au premier rang,

D'un bras vainqueur l'a déjà repoussée ;

Il soutint du combat la vague courroucée ;

Et si lui-même enfin, sous les traits expirant

Au poste de l'honneur laissa sa noble vie,

Gloire alors, gloire à sa patrie,

Gloire au vieux père du guerrier !

C'est par devant que son noir bouclier,

Et sa poitrine et sa cuirasse

De blessures sans nombre ont conservé la trace.

Tous pleurent le héros : vieillards et jeunes gens

Exhalent leurs regrets en longs gémissements;

Un vêtement de deuil couvre la ville entière ;

Sa tombe est à jamais illustre ; son pays

L'honore dans ses fils, dans les fils de ses fils,

Dans sa postérité dernière.

Sa gloire avec son nom passe à l'éternité.

S'il éprouva de Mars la colère fatale,

Quand, le fer à la main, d'un courage indompté

Il défendait ses fils et sa ville natale,

Sous terre il vit encor pour l'immortalité.

Mais s'il peut de la mort fuir l'éternel silence,

S'il revient tout brillant de l'éclat du vainqueur,

Que d'hommages lui rend la vieillesse et l'enfance !

Quelle sublime jouissance

Jusqu'à son dernier jour enivrera son cœur !

Il vieillit entouré de la publique estime ;

L'offenser dans ses droits, outrager son honneur,

Aux yeux de tous serait un crime.

Paraît-il? jeunes, vieux, pleins d'un noble respect,

Tous se lèvent à son aspect

Par un mouvement unanime.

Oui ! la voilà, la gloire ! il la faut conquérir :

Mais il n'est qu'un chemin vers ce faite sublime,

La guerre : et la valeur peut seule nous l'ouvrir.

4

Autour de ces remparts les pères de nos pères,

Patients aux travaux, indomptables guerriers,

Jadis ont combattu dix-neuf ans tout entiers.

Alors, abandonnant les fertiles campagnes,

Leurs ennemis d'Ithome ont quitte les montagnes.

5

Fils de Saturne, époux de la belle Junon,

Cette ville par toi fut autrefois donnée

Aux vaillants héritiers du fils d'Amphitryon.

Nous, quittant avec eux l'orageuse Erinée,

Nous avons abordé cette île fortunée

Qui du riche Pélops a conservé le nom.

6

Courbés sous le fardeau de la nécessité,

Comme l'âne stupide, ils portent à leur maître

Une moitié des fruits que leur sol a vus naître.

7

Si l'un de leurs vainqueurs à la Parque succombe,

Leurs femmes avec eux gémissent sur sa tombe.

8

Au Roi chéri des Dieux, à notre vaillant Roi

Théopompe; il soumit Messène à notre loi.

9

Messène, riche en fruits, riche en moissons dorées.

10

Du trépied de Phébus ils portent en ce lieu

La parole parfaite et l'oracle du Dieu.

Que du conseil les rois soient la source et la vie,

En eux l'aimable Sparte espère et se confie :

Qu'ensuite les vieillards, puis au dernier degré

Le peuple, soient l'écho du rhètre vénéré.

11

Allez, de Sparte la vaillante

Dignes enfants, braves guerriers,

A gauche, vos ronds boucliers,

A droite, la lance brillante.

Surtout n'épargnez pas vos jours,

De Sparte ce n'est pas l'usage...

12

Plutôt qu'à la vertu renoncer à la vie.

13

C'est le cœur d'un lion qui bat dans sa poitrine.