Numatianus

RUTILIUS NUMATIANUS

POÈME SUR SON RETOUR A ROME

 

Traduction française : Eugène DESPOIS.

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

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NOTICE SUR RUTILIUS NUMATIANUS.

 

PARMI les derniers représentants de la littérature latine, plusieurs appartiennent à la Gaule, et ce ne sont pas les moins honorables : de ce nombre est Cl. Rutilius Numatianus.

On le fait naître à Toulouse ou à Poitiers. Son père, Lachanius, avait été proconsul en Toscane, et les Pisans lui avaient élevé une statue en reconnaissance de ses services. Lui-méme fut maître des offices, puis préfet de Rome, en 417, sous Honorius. Tous ces renseignements sont tirés de l'ouvrage mène de Rutilius.

Il fut, en 419, rappelé en Gaule par les malheurs de sa patrie. C'est ce voyage qu'il a décrit dans un poème, dont il ne nous reste que le premier chant et soixante vers environ du second.

Rutilius était païen : il appartenait à cette portion encore considérable de la société romaine qui, consternée des désastres de l'empire, les attribuait à la religion nouvelle, et confondait, dans un regret égal les victoires et la religion des Scipions et des Césars. Aussi, chez Rutilius, quel amour pour la vieille Rome ; quel enthousiasme pour ce merveilleux séjour ! quel respect pour l'ombre même de cette grandeur éclipsée ! et, en même temps, quelle haine pour le christianisme, contemporain de tant de malheurs et de tant d'abaissement ! Peut-être a-t-il aussi contre le nouveau culte une rancune d'amour-propre : ses croyances avaient du nuire à sa fortune politique ; et d'ailleurs, la nécessité où il se trouvait de dissimuler jusqu'à un certain point son aversion pour la religion dominante, devait encore donner à son dépit quelque chose de plus vif et de plus amer.

Et pourtant, ce qui fait surtout l'intérêt de son livre, c'est cette dévotion pour la vieille Rome et cet acharnement, furieux contre le christianisme ; c'est ce regret stérile pour ce qui est mort à jamais, et cette haine impuissante contre ce qui doit vivre et triompher. II y a dans ce livre une valeur historique que Gibbon n'a peut-être pas assez appréciée (01). II est curieux de lire, dans un païen du Ve siècle, une protestation amère contre une religion qui bientôt ne comptera plus d'opposants ; d'y retrouver les attaques anti-chrétiennes, et en même temps les précautions du XVIIIe siècle ; de le voir, par exemple, comme Voltaire, attaquer les juifs pour atteindre les chrétiens. Spirituel et mondain, il ne comprend rien au christianisme; charmé des délices et des splendeurs de la ville impériale, « il maudit la tristesse de ce monde sombre et idéal, qui va fouler la vieille Rome aux pieds. Tout change, il le sent bien ; tout s'écroule, et il s'effraye. Ce sont les âmes, surtout, qui changent autour de lui ; il ne sait à quoi attribuer ce prodige : 

« Autrefois on ne voyait que les corps se transformer, s'écrie-t-il, et maintenant ce sont les coeurs ! »

Tunc mutabantur corpora, nunc animi !

Voilà le vers le plus remarquable de tout son livre, et c'est un grand témoignage historique (02). »

A cette valeur historique, ce poème joint un mérite littéraire qu'on ne saurait contester : on y trouve un style plus pur, en général, que celui de ses contemporains ; des descriptions gracieuses, des digressions piquantes ; de l'esprit, mais sans élévation, comme le prouve sa haine aveugle contre le christianisme ; enfin, une sensibilité un peu banale, il est vrai, mais qui pourtant a quelque chose d'intéressant.

Cet ouvrage, sur lequel d'ingénieux littérateurs ont appelé l'attention dans ces derniers temps, avait été un peu trop négligé. II n'a été traduit que deux fois en français. Lefranc de Pompignan en a publié (dans le Recueil amusant de Voyages) une paraphrase élégante, et M. Collombet vient d'en donner tout récemment une savante traduction.

E. DESPOIS.

(01) Voici le passage de Gibbon (Mémoires, t. II) : ..Si Rutilius avait retranché les cent quatre-vingts premiers vers de son poëme, on le lui attrait pardonné.... Je pense qu'un grand poète aurait évité un pareil sujet. Ce n'était pas sous le règne d'Honorius qu'il fallait peindre la force de l'empire romain : ses forces l'avaient abandonné depuis longtemps, etc. ", sans doute l'empire n'était plus alors qu' une ruine ; sans doute cette vénération de Rutilius pour une puissance déchue est un véritable anachronisme ; mais c'est précisément là ce qui est intéressant. Rutilius croit encore à l'éternité de Rome, malgré ses revers, ou, du moins, il s'efforce d'y croire. Désolé de tant de misères, il se réfugie dans ses souvenirs ; le passé le console du présent.

(02) M. Philarète CHASLES, Revue des deux Mondes, 1er avril 1842.

 

 

 

De reditu suo sive iter Gallicum

POEME SUR SON RETOUR A ROME

LIBER PRIMUS

LIVRE PREMIER

Velocem potius reditum mirabere, lector,
Tam cito Romuleis posse carere bonis.
Quid longum toto Romam venerantibus aevo!
Nil umquam longum est, quod sine fine placet.
5  O quantum et quotiens possum numerare beatos,
Nasci felici qui meruere solo,
Qui Romanorum procerum generosa propago
Ingenitum cumulant urbis honore decus!
Semina virtutum demissa et tradita caelo
10  Non potuere aliis dignius esse locis.
Felices etiam, qui proxima munera primis
Sortiti Latias optinuere domos!
Relligiosa patet peregrinae curia laudi
Nec putat externos, quos decet esse suos;
15  Ordinis imperio collegarumque fruuntur
Et partem genii, quem venerantur, habent,
Quale per aetherios mundani verticis axes
Concilium summi credimus esse dei.
At mea dilectis fortuna revellitur oris
20  Indigenamque suum Gallica rura vocant,
Illa quidem longis nimium deformia bellis,
Sed quam grata minus, tam miseranda magis;
Securos levius crimen contemnere cives,
Privatam repetunt publica damna fidem.
25  Praesentes lacrimas tectis debemus avitis;
Prodest admonitus saepe dolore labor,
Nec fas ulterius longas nescire ruinas,
Quas mora suspensae multiplicavit opis.
Jam tempus laceris post saeva incendia fundis
30  Vel pastorales aedificare casas.
Ipsi quin etiam fontes si mittere vocem
Ipsaque si possent arbuta nostra loqui,
Cessantem iustis poterant urgere querelis
Et desideriis addere vela meis.
35  Jamiam laxatis carae complexibus urbis
Vincimur, et serum vix toleramus iter.
Electum pelagus, quoniam terrena viarum
Plana madent fluviis, cautibus alta rigent;
Postquam Tuscus ager postquamque Aurelius agger
40  Perpessus Geticas ense vel igne manus
Non silvas domibus, non flumina ponte cohercet,
Incerto satius credere vela mari.
Crebra reliquendis infigimus oscula portis.
Inviti superant limina sacra pedes.
45  Oramus veniam lacrimis, et laude litamus,
In quantum fletus currere verba sinit:
«Exaudi, regina tui pulcherrima mundi,
Inter sidereos, Roma, recepta polos,
Exaudi, genetrix hominum genetrixque deorum;
50  Non procul a caelo per tua templa sumus.
Te canimus semperque, sinent dum fata, canemus;
Sospes nemo potest immemor esse tui.
Obruerint citius scelerata oblivia solem
Quam tuus e nostro corde recedat honos.
55  Nam solis radiis aequalia munera tendis,
Qua circumfusus fluctuat Oceanus;
Volvitur ipse tibi, qui continet omnia, Phoebus
Eque tuis ortos in tua condit equos;
Te non flammigeris Libye tardavit arenis,
60  Non armata suo reppulit ursa gelu:
Quantum vitalis natura tetendit in axes,
Tantum virtuti pervia terrae tuae.
Fecisti patriam diversis gentibus unam;
Profuit iniustis te dominante capi;
65  Dumque offers victis proprii consortia iuris,
Urbem fecisti, quod prius orbis erat.
Auctores generis Venerem Martemque fatemur,
Aeneadum matrem Romulidumque patrem;
Mitigat armatas victrix clementia vires,
70  Convenit in mores nomen utrumque tuos;
Hinc tibi certandi bona parcendique voluptas,
Quos timuit superat, quos superavit amat.
Inventrix oleae colitur vinique repertor
Et qui primus humo pressit aratra puer,
75  Aras Paeoniam meruit medicina per artem,
Factus et Alcides nobilitate deus:
Tu quoque, legiferis mundum complexa triumphis
Foedere communi vivere cuncta facis;
Te, dea, te celebrat Romanus ubique recessus
80  Pacificoque gerit libera colla iugo.
Omnia perpetuos quae servant sidera motus
Nullum viderunt pulchrius imperium.
Quid simile Assyriis conectere contigit armis?
Medi finitimos condomuere suos,
85  Magni Parthorum reges Macetumque tyranni
Mutua per varias iura dedere vices.
Nec tibi nascenti plures animaeque manusque,
Sed plus consilii iudiciique fuit.
Justis bellorum causis nec pace superba
90  Nobilis ad summas gloria venit opes:
Quod regnas minus est quam quod regnare mereris,
Excedis factis grandia fata tuis.
Percensere labor densis decora alta trophaeis,
Ut si quis stellas pernumerare velit,
95  Confunduntque vagos delubra micantia visus:
Ipsos crediderim sic habitare deos.
Quid loquar aerio pendentes fornice rivos,
Qua vix imbriferas tolleret Iris aquas;
Hos potius dicas crevisse in sidera montes;
100  Tale giganteum Graecia laudat opus?
Intercepta tuis conduntur flumina muris;
Consumunt totos celsa lavacra lacus,
Nec minus et propriis celebrantur roscida venis
Totaque nativo moenia fonte sonant;
105  Frigidus aestivas hinc temperat halitus auras
Innocuamque levat purior unda sitim.
Nempe tibi subitus calidarum gurges aquarum
Rupit Tarpeias hoste premente vias;
Si foret aeternus, casum fortasse putarem:
110  Auxilio fluxit qui rediturus erat.
Quid loquar inclusas inter laquearia silvas,
Vernula quae vario carmine ludit avis.
Vere tuo numquam mulceri desinit annus
Deliciasque tuas victa tuetur hiems.
115  Erige crinales lauros seniumque sacrati
Verticis in virides, Roma, refinge comas;
Aurea turrigero radient diademata cono
Perpetuosque ignes aureus umbo vomat.
Abscondat tristem deleta iniuria casum;
120  Contemptus solidet vulnera clausa dolor.
Adversis solemne tuis sperare secunda,
Exemplo caeli ditia damna subis.
Astrorum flammae renovant occasibus ortus,
Lunam finiri cernis, ut incipiat.
125  Victoris Brenni non distulit Allia poenam,
Samnis servitio foedera saeva luit,
Post multas Pyrrhum clades superata fugasti,
Flevit successus Hannibal ipse suos:
Quae mergi nequeunt, nisu maiore resurgunt
130  Exiliuntque imis altius acta vadis,
Utque novas vires fax inclinata resumit,
Clarior ex humili sorte superna petis.
Porrige victuras Romana in saecula leges
Solaque fatales non vereare colos,
135  Quamvis sedecies denis et mille peractis
Annus praeterea iam tibi nonus eat;
Quae restant, nullis obnoxia tempora metis,
Dum stabunt terrae, dum polus astra feret;
Illud te reparat, quod cetera regna resolvit:
140  Ordo renascendi est crescere posse malis.
Ergo age sacrilegae tandem cadat hostia gentis,
Submittant trepidi perfida colla Getae,
Ditia pacatae dent vectigalia terrae,
Impleat augustos barbara praeda sinus;
145  Aeternum tibi Rhenus aret, tibi Nilus inundet,
Altricemque suam fertilis orbis alat;
Quin et fecundas tibi conferat Africa messes
Sole suo dives, sed magis imbre tuo.
Interea et Latiis consurgant horrea sulcis
150  Pinguiaque Hesperio nectare prela fluant.
Ipse triumphali redimitus arundine Thybris
Romuleis famulas usibus aptet aquas
Atque opulenta tibi placidis commercia ripis
Devehat hinc ruris, subvehat inde maris.
155  Pande precor gemino pacatum Castore pontum,
Temperet aequoream dux Cytherea viam,
Si non displicui, regerem cum iura Quirini,
Si colui sanctos consuluique patres.
Nam quod nulla meum strinxerunt crimina ferrum,
160  Non sit praefecti gloria, sed populi.
Sive datur patriis vitam componere terris
Sive oculis umquam restituere meis,
Fortunatus agam votoque beatior omni,
Semper digneris si meminisse mei.»
165  His dictis iter arripimus; comitantur amici;
Dicere non possunt lumina sicca «vale».
Jamque aliis Romam redeuntibus haeret eunti
Rufius, Albini gloria viva patris,
Qui Volusi antiquo derivat stemmate nomen
170  et reges Rutulos teste Marone refert.
Huius facundae commissa palatia linguae;
Primaevus meruit principis ore loqui;
Rexerat ante puer populos pro consule Poenos;
Aequalis Tyriis terror amorque fuit;
175  Sedula promisit summos instantia fasces:
Si fas est meritis fidere, consul erit.
Invitum tristis tandem remeare coegi;
Corpore divisos mens tamen una tenet.
Tum demum ad naves gradior, qua fronte bicorni
180  Dividuus Tiberis dexteriora secat
Laevus inaccessis fluvius vitatur arenis,
Hospitis Aeneae gloria sola manet.
Et iam nocturnis spatium laxaverat horis
Phoebus chelarum palliodore polo.
185  Cunctamur tentare salum portuque sedemus
Nec piget oppositis otia ferre moris,
Occidua infido dum saevit gurgite Plias
Dumque procellosi temporis ira cadit.
Respectare iuvat vicinam saepius urbem
190  Et montes visu deficiente sequi;
Quaque duces, oculi grata regione fruuntur,
Dum se quod cupiunt cernere posse putant;
Nec locus ille mihi cognoscitur indice fumo,
Qui dominas arces et caput orbis habet
195  (Quamquam signa levis fumi commendat Homerus,
Dilecto quotiens surgit in astra solo),
Sed caeli plaga candidior tractusque serenus
Signat septenis culmina clara iugis.
Illic perpetui soles, atque ipse videtur,
200  Quem sibi Roma facit, purior esse dies.
Saepius attonitae resonant circensibus aures;
Nuntiat accensus plena theatra favor;
Pulsato notae redduntur ab aethere voces,
Vel quia perveniunt vel quia fingit amor.
205  Explorata fides pelagi ter quinque diebus,
Dum melior lunae fideret aura novae.
Tum discessurus studiis urbique remitto
Palladium, generis spemque decusque mei;
Facundus iuvenis Gallorum nuper ab arvis
210  Missus Romani discere iura fori.
Ille meae secum dulcissima vincula curae
Filius affectu, stirpe propinquus habet.
Cuius Aremoricas pater Exuperantius oras
Nunc postliminium pacis amare docet;
215  Leges restituit libertatemque reducit
Et servos famulis non sinit esse suis.
Solvimus aurorae dubio, quo tempore primum
Agnosci patitur redditus arva color.
Progredimur parvis per littora proxima cymbis,
220  Quorum perfugio crebra pateret humus.
Aestivos penetrent oneraria carbasa fluctus,
Tutior autumnus mobilitate fugae.
Alsia praelegitur tellus Pyrgique recedunt,
Nunc villae grandes, oppida parva prius.
225  Jam Caeretanos demonstrat navita fines:
Aevo deposuit nomen Agylla vetus.
Stringimus expugnatum et fluctu et tempore Castrum;
Index semiruti porta vetusta loci.
Praesidet exigui formatus imagine saxi
230  Qui pastorali cornua fronte gerit.
Multa licet priscum nomen deleverit aetas,
Hoc Inui Castrum fama fuisse putat,
Seu Pan Tyrrhenis mutavit Maenala silvis
Sive sinus patrios incola Faunus init;
235  Dum renovat largo mortalia semina fetu,
Fingitur in Venerem pronior esse deus.
Ad Centumcellas forti defleximus austro;
Tranquilla puppes in statione sedent.
Molibus aequoreum concluditur amphitheatrum,
240  Angustosque aditus insula facta tegit;
Attollit geminas turres bifidoque meatu
Faucibus artatis pandit utrumque latus.
Nec posuisse satis laxo navalia portu,
Ne vaga vel tutas ventilet aura rates:
245  Interior medias sinus invitatus in aedes
Instabilem fixis aera nescit aquis,
Qualis in Euboicis captiva natatibus unda
Sustinet alterno bracchia lenta sono.
Nosse iuvat tauri dictas de nomine thermas,
250  Nec mora difficilis milibus ire tribus.
Non illic gustu latices vitiantur amaro
Lymphaque fumifico sulphure tincta calet:
Purus odor mollisque sapor dubitare lavantem
Cogit, qua melius parte petantur aquae.
255  Credere si dignum famae, flagrantia taurus
Investigato fonte lavacra dedit,
Ut solet excussis pugnam praeludere glebis,
Stipite cum rigido cornua prona terit,
Sive deus faciem mentitus et arma iuvenci,
260  Noluit ardentis dona latere soli,
Qualis Agenorei rapturus gaudia furti
Per freta virgineum sollicitavit onus.
Ardua non solos deceant miracula Graios.
Auctorem pecudem fons Heliconis habet:
265  Elicitas simili credamus origine nymphas.
Musarum latices ungula fodit equi:
Haec quoque Pieriis spiracula comparat antris
Carmine Messalae nobilitatus ager,
Intrantemque capit discedentemque moratur
270  Postibus adfixum dulce poema sacris;
Hic est qui primo seriem de consule ducit,
Usque ad Publicolas si redeamus avos;
Hic et praefecti nutu praetoria rexit,
Sed menti et linguae gloria maior inest;
275  Hic docuit, qualem poscat facundia sedem:
Ut bonus esse velit, quisque disertus erit.
Roscida puniceo fulsere crepuscula caelo:
Pandimus obliquo lintea flexa sinu.
Paulisper litus fugimus Munione vadosum:
280  Suspecto trepidant ostia parva salo.
Inde Graviscarum fastigia rara videmus,
Quas premit aestivae saepe paludis odor;
Sed nemorosa viret densis vicinia lucis
Pineaque extremis fluctuat umbra fretis.
285  Cernimus antiquas nullo custode ruinas
Et desolatae moenia foeda Cosae.
Ridiculam cladis pudet inter seria causam
Promere, sed risum dissimulare piget:
Dicuntur cives quondam migrare coacti
290  Muribus infestos deseruisse lares;
Credere maluerim Pygmaeae damna cohortis
Et coniuratos in sua bella grues.
Haud procul hinc petitur signatus ab Hercule portus.
Vergentem sequitur mollior aura diem.
295  Inter castrorum vestigia sermo retexit
Sardoam Lepido praecipitante fugam;
Littore namque Cosae cognatos depulit hostes
Virtutem Catuli Roma secuta ducis.
Ille tamen Lepidus peior, civilibus armis
300  Qui gessit sociis impia bella tribus,
Qui libertatem Mutinensi Marte receptam
Obruit auxiliis urbe pavente novis.
Insidias paci moliri tertius ausus
Tristibus excepit congrua facta reis.
305  Quartus Caesareo dum vult inrepere regno,
Incesti poenam solvit adulterii.
Nunc quoque - sed melius de nostris fama queretur;
Judex posteritas semina dira notet.
Nominibus certos credam decurrere mores?
310  Moribus an potius nomina certa dari?
Quidquid id est, mirus Latiis annalibus ordo,
Quod Lepidum totiens reccidit ense malum.
Necdum decessis pelagos permittimur umbris;
Natus vicino vertice ventus adest.
315  Tenditur in medias mons Argentarius undas
Ancipitique iugo caerula curva premit -
Transversos colles bis ternis milibus artat,
Circuitu ponti ter duodena patet -
Qualis per geminos fluctus Ephyreius Isthmos
320  Ionias bimari littore findit aquas.
Vix circumvehimur sparsae dispendia rupis,
Nec sinuosa gravi cura labore caret;
Mutantur totiens vario spiramina flexu:
Quae modo profuerant vela, repente nocent.
325  Eminus Igilii silvosa cacumina miror,
Quam fraudare nefas laudis honore suae.
Haec proprios nuper tutata est insula saltus
Sive loci ingenio seu domini genio,
Gurgite cum modico victricibus obstitit armis
330  Tamquam longinquo dissociata mari;
Haec multos lacera suscepit ab urbe fugatos,
Hic fessis posito certa timore salus,
Plurima terreno populaverat aequora bello
Contra naturam classe timendus eques:
335  Unum mira fides vario discrimine portum
Tam prope Romanis, tam procul esse Getis.
Tangimus Umbronem; non est ignobile flumen,
Quod tuto trepidas excipit ore rates:
Tam facilis pronis semper patet alveus undis,
340  In pontum quotiens saeva procella ruit.
Hic ego tranquillae volui succedere ripae,
Sed nautas avidos longius ire sequor.
Sic festinantem ventusque diesque reliquit:
Nec proferre pedem nec revocare licet.
345  Littorea noctis requiem metamur arena;
Dat vespertinos myrtea silva focos.
Parvula subiectis facimus tentoria remis,
Transversus subito culmine contus erat.
Lux aderat: Tonsis progressi stare videmur,
350  Sed cursum prorae terra relicta probat.
Occurrit Chalybum memorabilis Ilva metallis,
Qua nihil uberius Norica gleba tulit;
Non Biturix largo potior strictura camino
Nec quae Sardonico cespite massa fluit;
355  Plus confert populis ferri fecunda creatrix
Quam Tartesiaci glarea fulva Tagi.
Materies vitiis aurum letale parandis,
Auri caecus amor ducit in omne nefas,
Aurea legitimas expugnant munera taedas
360  Virgineosque sinus aureus imber emit,
Auro victa fides munitas decipit urbes,
Auri flagitiis ambitus ipse furit.
At contra ferro squalentia rura coluntur,
Ferro vivendi prima reperta via est;
365  Saecula semideum, ferrati nescia Martis
Pugnis crudeles sustinuere feras:
Humanis manibus non sufficit usus inermis,
Si non sint aliae ferrea tela manus.
His mecum pigri solabar taedia venti,
370  Dum resonat variis vile celeuma modis.
Lassatum cohibet vicina Faleria cursum,
Quamquam vix medium Phoebus haberet iter;
Et tum forte hilares per compita rustica pagi
Mulcebant sacris pectora fessa iocis;
375  Illo quippe die tandem revocatus Osiris
Excitat in fruges germina laeta novas.
Egressi villam petimus lucoque vagamur:
Stagna placent saepto deliciosa vado;
Ludere lascivos intra vivaria pisces
380  gurgitis inclusi laxior unda sinit.
Sed male pensavit requiem stationis amoenae
Hospite conductor durior Antiphate
(namque loci querulus curam Iudaeus agebat,
Humanis animal dissociale cibis);
385  Vexatos frutices, pulsatas imputat algas
Damnaque libatae grandia clamat aquae.
Reddimus obscenae convicia debita genti,
Quae genitale caput propudiosa metit,
Radix stultitiae, cui frigida sabbata cordi,
390  Sed cor frigidius relligione sua;
Septima quaeque dies turpi damnata veterno,
Tamquam lassati mollis imago dei.
Cetera mendacis deliramenta catastae
Nec pueros omnes credere posse reor.
395  Atque utinam numquam Iudaea subacta fuisset
Pompeii bellis imperioque Titi.
Latius excisae pestis contagia serpunt
Victoresque suos natio victa premit.
Adversus surgit Boreas, sed nos quoque remis
400  Surgere certamus, cum tegit astra dies.
Proxima securum reserat Populonia litus,
Qua naturalem ducit in arva sinum.
Non illic positas extollit in aethera moles
Lumine nocturno conspicienda Pharos,
405  Sed speculam validae rupis sortita vetustas,
Qua fluctus domitos arduus urget apex,
Castellum geminos hominum fundavit in usus,
Praesidium terris indiciumque fretis.
Agnosci nequeunt aevi monumenta prioris,
410  Grandia consumpsit moenia tempus edax;
Sola manent interceptis vestigia muris,
Ruderibus latis tecta sepulta iacent.
Non indignemur mortalia corpora solvi:
Cernimus exemplis oppida posse mori.
415  Laetior hic nostras crebrescit fama per aures
Consilium Romam paene redire fuit,
Hic praefecturam sacrae cognoscimus urbis
Delatam meritis, dulcis amice, tuis.
Optarem verum complecti carmine nomen,
420  Sed quosdam refugit regula dura pedes:
Cognomen versu veneror, carissime Rufi;
Illo te dudum pagina nostra canit.
Festa dies pridemque meos dignata penates
Poste coronato vota secunda colat,
425  Exornent virides communia gaudia rami;
Provecta est animae portio magna meae.
Sic mihi, sic potius placeat geminata potestas:
Per quem malueram, rursus honore fruor.
Currere curamus velis aquilone reverso,
430  Cum primum roseo fulsit Eous equo.
Incipit obscuros ostendere Corsica montes
Nubiferumque caput concolor umbra levat:
Sic dubitanda solet gracili vanescere cornu
Defessisque oculis luna reperta latet.
435  Haec ponti brevitas auxit mendacia famae:
Armentale ferunt quippe natasse pecus,
Tempore Cyrnaeas quo primum venit in oras
Forte secuta vagum femina Corsa bovem.
Processu pelagi iam se Capraria tollit;
440  Squalet lucifugis insula plena viris.
Ipsi se monachos Graio cognomine dicunt,
Quod soli nullo vivere teste volunt.
Munera fortunae metuunt, dum damna verentur.
Quisquam sponte miser, ne miser esse queat?
445  Quaenam perversi rabies tam stulta cerebri,
Dum mala formides, nec bona posse pati?
Sive suas repetunt factorum ergastula poenas,
Tristia seu nigro viscera felle tument.
Sic nimiae bilis morbum assignavit Homerus
450  Bellerophonteis sollicitudinibus;
Nam iuveni offenso saevi post tela doloris
Dicitur humanum displicuisse genus.
In Volaterranum, vero Vada nomine, tractum
Ingressus dubii tramitis alta lego.
455  Despectat prorae custos clavumque sequentem
Dirigit et puppim voce monente regit.
Incertas gemina discriminat arbore fauces
Defixasque offert limes uterque sudes.
Illis proceras mos est adnectere lauros
460  Conspicuas ramis et fruticante coma,
Ut praebente viam densi symplegade limi
Servet inoffensas semita clara notas.
Illic me rapidus consistere corus adegit,
Qualis silvarum frangere lustra solet.
465  Vix tuti domibus saevos toleravimus imbres;
Albini patuit proxima villa mei;
Namque meus, quem Roma meo subiunxit honori,
Per quem iura meae continuata togae;
Non exspectatos pensavit laudibus annos,
470  Vitae flore puer, sed gravitate senex;
Mutua germanos iunxit reverentia mores
Et favor alternis crevit amicitiis;
Praetulit ille meas, cum vincere posset, habenas,
At decessoris maior amore fuit.
475  Subjectas villae vacat aspectare Salinas;
Namque hoc censetur nomine salsa palus,
Qua mare terrenis declive canalibus intrat
Multifidosque lacus parvula fossa rigat.
Ast ubi flagrantes admonuit Sirius ignes,
480  Cum pallent herbae, cum sitit omnis ager,
Tum cataractarum claustris excluditur aequor,
Ut fixos latices torrida duret humus.
Concipiunt acrem nativa coagula Phoebum
Et gravis aestivo crusta calore coit,
485  Haud aliter quam cum glacie riget horridus Hister
Grandiaque adstricto flumine plaustra vehit.
Rimetur solitus naturae expendere causas
Inque pari dispar fomite quaerat opus:
Vincta fluenta gelu conspecto sole liquescunt
490  Et rursus liquidae sole gelantur aquae.
O quam saepe malis generatur origo bonorum.
Tempestas dulcem fecit amara moram;
Victurinus enim, nostrae pars maxima mentis,
Congressu explevit mutua vota suo.
495  Errantem Tuscis considere compulit agris
Et colere externos capta Tolosa lares.
Nec tantum duris nituit sapientia rebus:
Pectore non alio prosperiora tulit.
Conscius Oceanus virtutum, conscia Thyle
500  Et quaecumque ferox arva Britannus arat,
Qua praefectorum vicibus frenata potestas
Perpetuum magni fenus amoris habet.
Extremum pars illa quidem discessit in orbem,
Sed tamquam media rector in urbe fuit.
505  Plus palmae est illos inter voluisse placere,
Inter quos minor est displicuisse pudor.
Illustris nuper sacrae comes additus aulae
Contempsit summos ruris amore gradus.
Hunc ego complexus ventorum adversa fefelli,
510  Dum videor patriae iam mihi parte frui.
Lutea protulerat sudos Aurora iugales:
Antemnas tendi littoris aura iubet.
Inconcussa vehit tranquillus aplustria flatus,
Mollia securo vela rudente tremunt.
515  Adsurgit ponti medio circumflua Gorgon
Inter Pisanum Cyrnaicumque latus.
Adversor scopulos, damni monumenta recentis:
Perditus hic vivo funere civis erat.
Noster enim nuper iuvenis maioribus amplis
520  Nec censu inferior coniugiove minor
Impulsus furiis homines terrasque reliquit
Et turpem latebram credulus exul agit.
Infelix putat illuvie caelestia pasci
Seque premit laesis saevior ipse deis.
525  Num, rogo, deterior Circaeis secta venenis?
Tunc mutabuntur corpora, nunc animi.
Inde Triturritam petimus: Sic villa vocatur,
Quae latet expulsis insula paene fretis;
Namque manu iunctis procedit in aequora saxis,
530  Quique domum posuit, condidit ante solum.
Contiguum stupui portum, quem fama frequentat
Pisarum emporio divitiisque maris.
Mira loci facies: Pelago pulsatur aperto,
Inque omnes ventos littora nuda patent;
535  Non ullus tegitur per bracchia tuta recessus,
Aeolias possit qui prohibere minas,
Sed procera suo praetexitur alga profundo
Molliter offensae non nocitura rati,
Et tamen insanas cedendo intersecat undas
540  Nec sinit ex alto grande volumen agi.
Tempora navigii clarus reparaverat Eurus,
Sed mihi Protadium visere cura fuit.
Quem qui forte velit certis cognoscere signis,
Virtutis speciem corde vidente petat.
545  Nec magis efficiet similem pictura colore
Quam quae de meritis mixta figura venit;
Aspicienda procul certo prudentia vultu
Formaque iustitiae suspicienda micat.
Sit fortasse minus, si laudet Gallia civem:
550  Testis Roma sui praesulis esse potest.
Substituit patriis mediocres Umbria sedes;
Virtus fortunam fecit utramque parem:
Mens invicta viri pro magis parva tuetur,
Pro parvis animo magna fuere suo.
555  Exiguus regum rectores cespes habebat
Et Cincinnatos iugera pauca dabant:
Haec etiam nobis non inferiora feruntur
Vomere Serrani Fabriciique foco.
Puppibus ergo meis fida in statione locatis
560  Ipse vehor Pisas, qua solet ire pedes;
Praebet equos, offert etiam carpenta tribunus,
Ex commilitio carus et ipse mihi,
Officiis regerem cum regia tecta magister
Armigerasque pii principis excubias.
565  Alpheae veterem contemplor originis urbem,
Quam cingunt geminis Arnus et Ausur aquis.
Conum pyramidis coeuntia flumina ducunt,
Intratur modico frons patefacta solo.
Sed proprium retinet communi in gurgite nomen
570  Et pontum solus scilicet Arnus adit.
Ante diu quam Troiugenas fortuna penates
Laurentinorum regibus insereret,
Elide deductas suscepit Etruria Pisas
Nominis indicio testificata genus.
575  Hic oblata mihi sancti genitoris imago,
Pisani proprio quam posuere foro;
Laudibus amissi cogor lacrimare parentis;
Fluxerunt madidis gaudia maesta genis.
Namque pater quondam Tyrrhenis praefuit arvis,
580  Fascibus et senis credita iura dedit;
Narrabat, memini, multos emensus honores
Tuscorum regimen plus placuisse sibi;
Nam neque opum curam, quamvis sit magna, sacrarum
Nec ius quaesturae grata fuisse magis;
585  Ipsam, si fas est, postponere praefecturam
Pronior in Tuscos non dubitat amor.
Nec fallebatur, tam carus et ipse probatis:
Aeternas grates mutua cura canit,
Constantemque sibi pariter mitemque fuisse
590  Insinuant natis, qui meminere, senes.
Ipsum me gradibus non degenerasse parentis
Gaudent et duplici sedulitate fovent.
Haec eadem, cum Flaminiae regionibus irem,
Splendoris patrii saepe reperta fides:
595  Famam Lachanii veneratur numinis instar
Inter terrigenas Lydia tota suos.
Grata bonis priscos retinet provinicia mores
Dignaque rectores semper habere bonos,
Qualis nunc Decius, Lucilli nobile pignus,
600  Per Corythi populos arva beata regit.
Nec mirum, magni si redditus indole nati
Felix tam simili posteritate pater.
Huius vulnificis satyra ludente Camenis
Nec Turnus potior nec Iuvenalis erit;
605  Restituit veterem censoria lima pudorem,
Dumque malos carpit, praecipit esse bonos.
Non olim sacri iustissimus arbiter auri
Circumsistenses reppulit Harpyias?
Harpyias, quarum discerpitur unguibus orbis,
610  Quae pede glutineo quod tetigere trahunt,
Quae luscum faciunt Argum, quae Lyncea caecum:
Inter custodes publica furta volant.
Sed non Lucillum Briareia praeda fefellit,
Totque simul manibus restitit una manus.
615  Jamque Triturritam Pisaea ex urbe reversus
Aptabam nitido pendula vela noto,
Cum subitis tectus nimbis insorduit aether;
Sparserunt radios nubila rupta vagos.
Substitimus. Quis enim sub tempestate maligna
620  Insanituris audeat ire fretis.
Otia vicinis terimus navalia silvis
Sectandisque iuvat membra movere feris.
Instrumenta parat venandi villicus hospes
Atque olidum doctas nosse cubile canes.
625  Funditur insidiis et rara fraude plagarum
Terribilisque cadit fulmine dentis aper,
Quem Meleagrei vereantur adire lacerti,
Qui laxet nodos Amphitryonidae.
Tum responsuros persultat buccina colles
630  Fitque reportando carmine praeda levis.
Interea madidis non desinit Africus alis
Continuos picea nube negare dies.
Jam matutinis Hyades occasibus udae,
Jam latet hiberno conditus imbre lepus,
635  Exiguum radiis, sed magnis fluctibus, astrum,
Quo madidam nullus navita linquat humum;
Namque procelloso subiungitur Orioni
Aestiferumque canem roscida praeda fugit.
Vidimus excitis pontum flavescere arenis
640  Atque eructato vertice rura tegi,
Qualiter Oceanus mediis infunditur agris,
Destituenda vago cum premit arva salo,
Sive alio refluus nostro conliditur orbe
Sive corusca suis sidera pascit aquis.

 

1 TU t'étonneras sans doute, lecteur, de la promptitude d'un retour qui me prive sitôt des jouissances de Rome. Peut-il paraître long, le temps qu'on passe dans cette Rome adorée ? On ne trouve jamais trop long ce qui plaît toujours. Mille et mille fois heureux ceux qui ont mérité de naître sur cette terre fortunée; race généreuse des patriciens de Rome, à l'illustration de leur naissance, ils joignent l'honneur d'être citoyens de la ville éternelle. Les semences des vertus, présents venus du ciel, n'ont pu tomber sur un sol plus digne de les recevoir heureux aussi ceux qu'après les citoyens de Rome, la, fortune a le plus favorisés, ceux qui jouissent du droit de cité latine. Le sénat ouvre son enceinte sacrée au mérite étranger, et regarde comme citoyens de Rome ceux qui sont dignes d'y être admis. Ils partagent avec les autres sénateurs cette dignité souveraine, et sont, eux aussi, les ministres de cette puissance tutélaire, objet de leur vénération : ainsi la voûte éthérée du ciel unit à la terre le Dieu suprême. Mais ma fortune m'arrache à ce sol bien-aimé ; et les champs de la Gaule me rappellent au lieu de ma naissance. Ces champs ont été dévastés par de trop longues guerres ; mais plus leur aspect est triste, plus ils ont de droits à ma pitié. On est moins coupable d'oublier une patrie heureuse et calme ; mais les malheurs publics exigent de chaque citoyen tout son dévouement. Je dois aux foyers de mes pères mes larmes et ma présence ; souvent la douleur vient utilement nous rappeler à nos devoirs. II ne m'est plus permis de méconnaître ces longs désastres, qu'on a multipliés encore en négligeant de les réparer. Il est temps, après tant d'incendies qui ont dévoré ces domaines, d'y rebâtir au moins d'humbles chaumières. Nos fontaines, si elles avaient une voix, nos arbres mêmes, s'ils pouvaient parler, pourraient par de justes plaintes stimuler ma lenteur, et hâter mon retour en réveillant mes regrets.

35 Bientôt, me séparant de la ville chérie, je cède enfin, et je me résigne, mais avec peine, à ce retour, bien tardif cependant. Je choisis la route de mer ; dans la plaine les fleuves débordés, sur les hauteurs des rochers à pic, rendent la route de terre difficile. Depuis que la campagne de Toscane et la voie Aurélienne, que la main des Goths a dévastées par le fer et par la flamme, n'ont plus d'habitations pour éloigner les forêts ; de ponts pour contenir les fleuves, la mer, malgré ses dangers, est une route plus sûre.

43 Mille fois je colle mes lèvres sur ces portes qu'il me faut quitter ; mes pieds ne dépassent qu'à regret le seuil sacré. Par mes larmes, par mes hommages, je conjure Rome de me pardonner mon départ; mes pleurs entrecoupent ma voix.

47 Ecoute-moi, reine magnifique du monde, devenu ton domaine, Rome, toi dont l'astre brille parmi mes étoiles ; écoute-moi, mère des hommes, mère des dieux, tes temples nous rapprochent du ciel. Je te chante et te chanterai toujours, tant que le permettra le sort ; la mort seule peut effacer ton souvenir. Oui, je pourrais plutôt méconnaître la lumière du jour, qu'étouffer dans mon cœur le culte que je te dois ! Tes bienfaits s'étendent aussi loin que les rayons du soleil, jusqu'aux bornes de la terre qu'enferme la ceinture de l'Océan. C'est pour toi que roule Phébus, dont la course embrasse l'univers ; ses coursiers se couchent et se lèvent dans tes États. Les sables brillants de la Libye n'ont pu t'arrêter ; l'Ourse t'a vainement opposé ses remparts de glaces. Aussi loin que le voisinage des pôles permet à l'homme de vivre, aussi loin ta valeur a su se frayer un passage. Aux nations diverses tu as fait une seule patrie ; les peuples qui ignoraient la justice ont gagné à être soumis par tes armes ; et, en appelant les vaincus au partage de tes droits, de l'univers tu as fait une seule cité. Nous reconnaissons pour auteurs de ta race Vénus et Mars, la mère d'Énée et le père de Romulus : ta clémence victorieuse sait tempérer la vigueur de tes armes ; tes mœurs rappellent ainsi l'influence diverse de ces deux divinités. C'est pour cela que tu te plais également à combattre et à pardonner ; à dompter ceux que tu as pu craindre, à chérir ceux que tu as domptés. On adore la déesse qui apporta l'olivier aux hommes, le dieu qui leur donna le vin, et l'enfant qui, le premier, enfonça dans la terre le soc de la charrue ; la médecine par l'art de Péon a mérité des autels ; la gloire d'Alcide en a fait un dieu. Et toi, dont les triomphes embrassent et civilisent le monde entier, tu fais de l'univers une vaste société ; c'est toi, déesse, toi que célèbrent tous les peuples devenus Romains ; tous portent une tête indépendante sous ton joug pacifique. Les astres, dans leur invariable et éternelle carrière, ne virent jamais empire plus magnifique. Quel empire, en effet, comparer au tien ? Vainqueurs de leurs voisins, les Mèdes n'ont uni leur territoire qu'à celui des Assyriens ; les rois puissants des Parthes, les souverains de Macédoine n'ont dominé due successivement. Et ce n'est pas qu'à ta naissance tu aies pu disposer de plus de courages, de plus de bras ; mais tu as été plus prudente et plus sage. Des guerres justement entreprises, ta modération pendant la paix ont fait briller ta gloire et mis le comble à la puissance. Tu es moins grande par ta royauté même que par la conduite qui t'en a rendue digne ; tes actions surpassent encore tes magnifiques destinées. Entreprendre de compter tes gloires attestées par tant de trophées, ce serait vouloir nombrer les étoiles. Tes temples resplendissants éblouissent nos yeux étonnés : telle doit être la demeure même des dieux. Que dire de ces ruisseaux que des voûtes suspendent ait milieu des airs à une hauteur où Iris élèverait à peine soir arc chargé de pluie ? on croirait voir dans ces monuments des montagnes entassées jusqu'au ciel par la main de ces géants dont la Grèce exalte les travaux. Détournés de leur cours, des fleuves sont enfermés dans tes murs ; tes bains placés au sommet des édifices épuisent des lacs entiers. Tu vois aussi circuler dans ton enceinte des eaux vives, nées du sol même de la ville et qui y résonnent de toutes parts. La fraicheur qu'elles répandent tempère les chaudes vapeurs de l'été, et l'on peut sans danger se désaltérer dans leurs ondes limpides. Jadis un torrent d'eaux bouillantes, jaillissant tout à coup du sol, rompit sous les pas de l'ennemi le chemin de la roche Tarpéienne : si cette source avait continué de couler, on pourrait ne voir dans cet événement que l'effet du hasard ; mais elle ne jaillit que pour te secourir, puisqu'ensuite elle disparut. Parlerai-je des forêts enfermées dans l'enceinte de tes palais, et où des oiseaux égayent leurs maîtres de leurs chants variés ? Le printemps t'appartient ; jamais il ne cesse d'adoucir l'atmosphère, et l'hiver vaincu respecte ton délicieux séjour.

115 Relève ta tête chargée de lauriers, ô Rome, et que tes cheveux blanchis se disposent sur toit front sacré, comme la chevelure d'une jeune déesse ! Que ton diadème d'or fasse rayonner fièrement sa couronne de tours ; que l'or de toit bouclier vomisse incessamment des feux. Oublie tes disgrâces, et tu en effaceras le souvenir; méprise ta douleur, et tes plaies se fermeront. Toujours ce fut ta coutume d'espérer le bonheur dans l'adversité : à l'exemple du ciel, tu t'enrichis de tes pertes. C'est en disparaissant que les astres préparent leur brillant retour ; la lune s'éteint heu à heu pour recommencer sa carrière. La victoire d'Allia ne put retarder longtemps la perte de Brennus ; le Samnite expia dans l'esclavage le cruel traité de Caudium : c'est après de nombreux échecs que tu vis Pyrrhus fuir devant toi ; Annibal même eut à pleurer ses succès. Les corps que leur nature maintient à la surface des eaux, remontent avec un plus rapide essor et s'élancent plus haut du fond des ondes où l'on veut les plonger ; un flambeau que l'on penche resplendit ensuite d'une plus vive lumière ; ainsi, abattue un moment, tu te relèves plus brillante. Propage tes lois, dont la durée égalera l'éternité ô Rome ; seule tu peux braver le fuseau des Parques ; et pourtant aux onze siècles que comptent tes murs s'ajoutent encore soixante-neuf années. Dans l'avenir tes destinées ne connaitront aucune borne, tant que la terre restera immobile, que le ciel portera les astres. Les malheurs qui renversent les empires te donnent une vigueur nouvelle ; ta destinée est de renaître en grandissant toujours par tes maux.

141 Courage ! et que la nation qui t'a profanée tombe à tes pieds comme une victime expiatoire ; que les Gètes tremblants courbent devant toi leur tête perfide. Qu'ils payent de riches tributs à la terre enfin pacifiée ; que la dépouille des barbares remplisse ton auguste sein. A toi pour toujours les récoltes du Rhin, à toi celles que fécondent les débordements du Nil ; la terre, redevenue fertile, doit nourrir à son tour la nourrice des nations. Que l'Afrique même t'apporte ses moissons fécondes, cette terre si riche de son soleil, plus riche encore des pluies que tu lui envoies. Que les sillons du Latium suffisent pourtant à tes greniers ; que sous tes riches pressoirs coulent les vins de l'Hespérie. Que le Tibre, le front ceint d'un roseau triomphal, soumette aux besoins de Rome ses ondes obéissantes ; et qu'enrichissant tes murs par un paisible commerce, il t'apporte d'un côté les fruits de tes campagnes, et que de l'autre le tribut des mers remonte jusqu'à toi.

155 Ouvre-moi, je t'en supplie, cette mer calmée par l'influence de Castor et de son frère ; que Cythérée me guide et m'aplanisse la route des ondes, si je n'ai point déplu quand je commandais aux enfants de Quirinus, si j'ai toujours consulté avec respect le vénérable sénat. Jamais sous mon gouvernement le crime n'a fait sortir du fourreau le glaive de la justice ; mais c'est plutôt la gloire du peuple que celle du préfet. Soit que je puisse finir ma vie dans les champs paternels, soit que tu doives un jour être rendue à mes regards, mon bonheur dépassera tous mes vœux, si tu daignes toujours te souvenir de moi.

165 A ces mots, je pars ; mes amis m'accompagnent ; mes yeux se mouillent de larmes au moment des adieux. Ils retournent à Rome ; seul Rufius s'attache à mes pas, Rufius, la gloire vivante de son père Albinus ; il tient son nom de la race antique de Volusus, et Virgile lui donne pour ancêtres des rois rutules. Le palais est confié à son éloquence ; tout jeune encore, il a mérité d'être l'organe de l'empereur. Au sortir de l'enfance, il avait déjà été proconsul de Carthage ; il était à la fois la terreur et l'amour des colons tyriens. Imitant toujours son père, il doit aussi obtenir les faisceaux ; si le mérite est une garantie de succès, le consulat lui est assuré. Plein de tristesse, j'ai dû employer la contrainte pour l'éloigner de moi ; mais cette séparation n'a pas désuni nos deux âmes.

179 Je m'embarque enfin à l'endroit où le Tibre, séparé en deux branches, se jette vers la droite. On évite l'autre embouchure, obstruée par les sables ; il ne lui reste que la gloire d'avoir reçu Énée. Déjà Phébus avait cédé un plus grand espace aux heures de la nuit, et le ciel pâlissait sous le signe du Scorpion. Nous hésitons à nous risquer sur la mer, nous restons dans le port, et nous supportons sans regret le repos auquel nous sommes condamnés, tandis que le coucher des Pléiades agite les ondes perfides : nous attendons que la mer orageuse ait laissé tomber sa colère. J'aime à regarder souvent la ville encore peu éloignée, et à contempler ses collines qui s'évanouissent à notre vue ; partout où se portent mes regards, ils jouissent de cette contrée chérie; je crois toujours apercevoir ce que désirent mes yeux. Et ce n'est pas la fumée qui m'indique la place où s'élève la cité dominante, la tête de l'univers ; pourtant Homère nous vante le charme d'une fumée légère, qui monte vers le ciel du sein d'un lieu chéri : c'est la blancheur du ciel, la sérénité de l'air qui révèle los sommets éclatants des sept collines. Là rayonne toujours le soleil, et la pureté de la lumière semble doublée par le jour que Rome se fait à elle-même. Souvent à mes oreilles étonnées retentissent les bruits du cirque ; une ardente clameur m'annonce que la foule remplit le théâtre. L'air ébranlé m'apporte des sons familiers ; est-ce une réalité ? est-ce une illusion de mon cœur ?

205 Nous attendons quinze jours le moment de nous confier à la mer, celui où la nouvelle lune nous promet un vent favorable. Prêt à partir, je renvoie à Rome et à ses études Palladius, l'espoir et l'honneur de ma race ; cet éloquent jeune homme venait d'être envoyé des Gaules à Rome pour y apprendre le droit. Les liens les plus doux nous unissent ; c'est mon fils par la tendresse, mon parent par les liens du sang : son père Exupérance apprend aux peuples de l'Armorique à bénir le retour de la paix ; il rétablit chez eux le régime des lois et de la liberté, et les sauve de la domination de ceux qui ne doivent être que leurs esclaves.

217 Nous levons l'ancre au moment où la lueur douteuse de l'aurore rend aux objets leurs couleurs et permet de reconnaître les campagnes. Nous glissons sur de petites barques entre les rivages voisins, où nous voyons s'ouvrir de nombreux asiles pour nos embarcations. C'est pendant l'été que les gros navires doivent se risquer sur les flots ; mais l'automne est plus sûre pour une barque qui fuit rapidement. Nous dépassons le territoire d'Alsium, Pyrgi disparaît à notre vue : ce ne sont maintenant que de grandes villas, c'étaient naguère de petites cités. Bientôt le nautonier mous montre le pays de Curé ; le temps lui a fait perdre son ancien nom d'Agylla. Nous longeons ensuite Castrum, dont les murs sont rongés par les flots et par les années : une vieille porte indique l'emplacement de cette ville à demi ruinée. Cette porte est gardée par une petite statue représentant un dieu champêtre et par-devant portant une inscription. Quoique le temps ait effacé l'ancien nom de cette ville, on dit que c'était le Castrum d'Inuus. Inuus, c'est Pan qui a quitté le Ménale pour les forêts de là Tyrrhénie, ou Faune, qui parcourt encore les lieux de sa naissance ; ce dieu renouvelle toutes choses et verse partout la fécondité; c'est pour cela qu'on le suppose si ardent pour les plaisirs de l'amour.

238 L'Auster, soufflant avec violence, nous force de relâcher à Contumcellae ; notre barque est à l'abri dans un port tranquille : c'est un cirque fermé par des jetées ; une île, faite de main d'homme, en protège l'étroit accès ; elle élève dans les airs deux tours, et, resserrant l'entrée du port, elle laisse deux passages ouverts à ses deux extrémités. On ne s'est pas contenté d'offrir aux vaisseaux un asile assuré dans ce vaste port, et de les garantir du moindre souffle qui aurait pu s'y glisser ; on a fait pénétrer la mer au milieu des maisons, où ses eaux immobiles lie connaissent plus les variations de l'air : c'est ainsi qu'à Cumes la mer rendue captive résonne sous les coups des nageurs, dont les bras remués avec lenteur la frappent alternativement.

249 Nous voulons voir le lieu appelé Thermes du Taureau : le trajet est court, il n'est que de trois milles. Les eaux de cette fontaine n'ont pas de saveur amère ; elles sont chaudes, sans que leur couleur soit altérée par des vapeurs sulfureuses. Elles ont une odeur si pure, un goût si agréable, qu'on se demande, en s'y baignant, lequel vaut le mieux de les prendre en bains ou de les boire. S'il faut en croire la tradition, c'est un taureau qui a découvert cette fontaine et donné aux hommes ces bains d'eaux chaudes, en faisant jaillir la terre autour de lui, comme il fait quand il se prépare au combat, et qu'il use sur le tronc des chênes ses cornes inclinées. Peut-étre aussi est-ce un dieu qui, pour révéler les richesses de ce sol brûlant, prit la figure d'un taureau, comme fit Jupiter, quand, pour entraîner à travers les mers la fille adorée d'Agénor, il invita la jeune fille à s'asseoir sur sa croupe. Non, la Grèce n'a pas le privilège des grands prodiges ; c'est un coursier qui fit jaillir la fontaine d'Hélicon : croyons que cette source a une origine semblable, puisque la fontaine des Muses a pu naitre sous le pied d'un cheval. Messala, dans des vers où il célèbre ce lieu, compare cette source aux fontaines des Muses ; ces vers délicieux, inscrits sur la porte sacrée, charment celui qui entre dans le temple, et l'arrêtent encore à sa sortie. C'est lui, c'est ce Messala qui descend du premier consul, et dont la race remonte jusqu'aux Publicola : c'est lui qui fut préfet du prétoire ; mais son génie, sa puissante parole lui ont mérité plus d'illustration. C'est lui qui nous a appris quel sanctuaire habite l'éloquence, le cœur d'un homme de bien.

277 Le crépuscule humide brille à l'horizon empourpré nos voiles s'ouvrent pour prêter leur flanc à la brise. Nous dérivons un peu pour éviter les sables que le Minion amasse sur le rivage ; ses eaux, s'échappant par son étroite embouchure, bouillonnent sur ce fond dangereux. Le sommet de quelques édifices nous indique la place de Graviscae ; pendant l'été cette ville est infectée par les exhalaisons des marais. Mais des bois épais couvrent de verdure tout le voisinage, et l'ombre que des pins projettent dans la mer semble flotter au fond des eaux. Nous voyons les ruines antiques et les murs noircis de Cosa, murs déserts et sans gardiens. J'ai honte, au milieu d'un ouvrage sérieux, de conter la ridicule histoire de ses malheurs ; mais pourquoi n'en pas rire franchement ? On dit qu'autrefois ses habitants furent obligés d'émigrer, chassés par des rats qui infestaient leurs demeures. J'aimerais mieux croire aux défaites des Pygmées, et à la ligue des grues acharnées à cette guerre implacable.

293 Non loin de là nous gagnons le port qui a reçu le nom d'Hercule. Une brise légère s'élève à la chute du jour. Les vestiges d'un camp nous rappellent la fuite précipitée de Lepidus en Sardaigne ; car c'est sur le rivage de Cosa, que Rome, guidée par la valeur de Catulus, repoussa des Romains devenus ses ennemis. Il fut pourtant plus coupable, ce Lepidus, qui, dans les discordes civiles, soutint avec ses deux collègues des guerres impies, et vint , par des secours nouveaux, écraser, au grand effroi du monde, la liberté relevée par la bataille de Modène. Un troisième Lepidus, couvant au sein de la paix de coupables desseins, subit le sort réservé au crime. Le quatrième tenta de se glisser jusqu'au trône des Césars, et reçut la peine de son incestueux adultère. Maintenant d'autres encore .... Mais pour eux, c'est à la renommée à en faire justice ; c'est à la postérité à juger et à flétrir cette race coupable. Croirai-je que l'instinct du crime se transmet avec le sang ? ou qu'aux mêmes mœurs s'attache le même nom ? Quoi qu'il eu soit, c'est un fait singulier dans les annales de Rome, que l'épée ait eu tant de fois à punir le crime des Lepidus.

313 L'ombre ne s'était pas encore retirée, que déjà nous nous confions à la mer, poussés par un vent qui nous vient de la montagne voisine. Le mont Argentarius s'avance au milieu des ondes, et sa double cime presse deux golfes azurés. Ce promontoire n'a que six milles de largeur ; par mer, il a trente-six milles de tour. Tel l'isthme d'Éphyre s'allonge entre les mers d'Ionie, dont les flots viennent battre son double rivage. Nous nous avançons avec peine au milieu des rochers semés sur notre route ; les circuits que nous sommes obligés de faire, rendent cette navigation laborieuse. Chaque détour change pour nous la direction du vent, et les mêmes voiles qui aidaient notre marche, la retardent tout à coup.

325 J'admire de loin les sommets boisés d'Igilium ; il serait mal de ne pas leur payer le tribut de louanges qui leur est dû. Naguère cette île a vu ses bois préservés de l'invasion, soit par le bonheur de la situation, soit par le génie tutélaire de l'empereur. Un simple détroit l'a aussi bien défendue contre les armes des vainqueurs, que si l'étendue des mers l'eût isolée du continent. Cette île recueillit un grand nombre de citoyens échappés de Rome saccagée ; c'est là qu'ils trouvèrent enfin le repos et un asile qui les rassura contre le danger. Un grand nombre d'îles n'avaient pu échapper aux désastres du continent, et la cavalerie des Goths, malgré la nature, s'était fait craindre jusque sur les mers. C'est un prodige que, par une contradiction singulière, ce port ait été à la fois si près des Romains et si loin des Goths.

337 Nous entrons dans les eaux de l'Umbro ; c'est une rivière assez considérable ; sa large embouchure est un asile pour les vaisseaux effrayés de la tempête. Toujours il présente un accès facile aux navires que la mer y apporte, lorsque l'ouragan furieux s'abat sur les flots. J'aurais voulu descendre sur cette rive tranquille ; mais les matelots ont hâte d'aller plus loin, et il faut les suivre. Mais voilà qu'en dépit de notre impatience le vent et le jour nous abandonnent à la fois ; nous ne pouvons ni avancer, ni revenir sur nos pas. Nous choisissons sur le sable du rivage une place pour y passer la nuit : un bois de myrtes nous fournit le feu du soir. Nous dressons sur nos rames de petites tentes ; un croc en travers forme le sommet de cette retraite improvisée.

349 Le jour, arrive, nous avançons à force de rames ; nous semblons rester en place, mais l'éloignement de la terre nous prouve que nous avons fait du chemin. Nous rencontrons Ilva, célèbre par ses mines de fer, aussi riche que celles du Noricum. Les vastes forges des Bituriges n'en travaillent pas une quantité plus grande ; le feu n'en dégage pas davantage des minerais de la Sardaigne. Une terre si riche en fer est plus utile aux peuples que le sable semé de paillettes d'or sur lequel roule le Tage, le fleuve de Tartesse. L'or, fléau des nations, enfante tous les vices ; l'aveugle amour de l'or conduit à tous les crimes. L'or triomphe de la vertu conjugale ; les embrassements des vierges, l'or peut les acheter. L'honneur même, vaincu par l'or, livre les villes vainement défendues ; c'est au moyen de l'or; que l'ambition furieuse sème la corruption. Mais c'est le fer qui défriche les campagnes incultes ; c'est le fer qui donna d'abord aux hommes le moyen de subsister. Le siècle des demi-dieux ignora Mars et ses fureurs, et se servit du fer contre les bêtes féroces. Mais cet usage innocent du fer ne suffit pas à l'homme, si des armes de fer ne viennent donner à son bras la force qui lui manque. C'est par ces pensées que je soulageais l'ennui d'une lente navigation, tandis que les matelots faisaient retentir l'air de leurs chiants grossiers.

371 Le voisinage de Falérie nous invite à nous y reposer de nos fatigues, Phébus n'étant encore qu'à la moitié de sa carrière. Des paysans remplissaient les rustiques carrefours, et la joie d'un jour de fête leur faisait oublier leurs peines. C'était le jour où Osiris féconde pour des moissons nouvelles les semences confiées à la terre. Nous sortons de la ville, et nous allons nous amuser dans la villa voisine : nous nous arrêtons avec délices sur les bords d'un étang, dont une partie est enfermée et forme un vivier tout rempli de poissons qui jouent et s'agitent à l'aise dans leur spacieuse prison. Mais ce qui gâta pour nous les charmes de cet agréable séjour, ce fut la présence d'un fermier plus cruel pour ses hôtes qu'Antiphate lui-même. Le gardien de ce lieu était un Juif chagrin, espèce d'animal qui ne se nourrit pas comme l'homme. Il se plaint que nous tourmentons ses arbustes, que nous agitons ses roseaux; à l'entendre, nous lui avons porté un grand dommage en touchant à l'eau de son étang. Nous lui répondons par toutes les injures dues à cette race dégradée, qui mutile sans pudeur les parties génitales ; à cette race, souche de toute folie, qui aime à célébrer sa fête si froide du sabbat, mais dont le cœur est plus froid encore que ces superstitions. Le septième jour est condamné chez eux à une honteuse oisiveté: cette inaction est un symbole de la fatigue de leur dieu. Quant aux autres extravagances de cette race d'imposteurs et d'esclaves, je crois que parmi les enfants mêmes il y en a beaucoup qui refuseraient d'y ajouter foi. Et plût aux dieux que jamais la Judée n'eût été soumise par les armes de Pompée et de Titus ! C'est un ulcère mal guéri qui porte plus loin ses ravages : la nation vaincue pèse sur les vainqueurs.

399 Borée en s'élevant s'oppose à notre marche; mais nous luttons contre lui en nous dressant sur nos rames tant que le jour cache les astres. Près de là, Populonie étend son tranquille rivage, où la nature a creusé un port dans les terres. II n'y a point là de phare portant à son sommet un flambeau qui rayonne au milieu des nuits ; mais jadis on y a choisi un rocher énorme dont la crête domine les flots vaincus, et on y a élevé un château destiné à deux usages, à protéger les terres, à éclairer les flots. On ne peut plus reconnaître les constructions, ouvrage des siècles passés ; le temps a dévoré ces grandes murailles : l'enceinte est brisée çà et là, et il n'en reste que des vestiges ; les toits sont étendus sur le sol, ensevelis sous de vastes décombres. Et nous, êtres chétifs, nous nous indignerons de mourir, quand ces exemples nous apprennent que les villes aussi sont sujettes à la mort !

415 Là une heureuse nouvelle, qui se confirme peu à peu, faillit me déterminer à retourner à Rome. Nous apprenons que la préfecture de la ville sacrée a été accordée à ton mérite, ô mon ami bien-aimé. Je voudrais faire entrer dans mon vers ton véritable nom ; mais il y a des pieds que la sévérité du mètre doit en bannir. Au moins, mon ami, ton surnom de Rufius trouvera place ici ; voilà longtemps que je te célèbre dans mes vers. Ce jour sera pour moi un jour de fête, comme celui qui jadis honora mes pénates, un jour où ma porte se couronnera de lauriers et que marqueront encore des vœux pour cet autre moi-même : que de verdoyants rameaux célèbrent notre commune joie : on a élevé aux honneurs mon ami, cette moitié de mon âme. O que j'aime à goûter ainsi de nouveau le plaisir du pouvoir ! c'est jouir encore une fois des honneurs dans la personne de mon plus cher ami.

429 Nous ouvrons nos voiles au souffle de l’Aquilon, aussitôt que l'Aurore a brillé sur son char de rose. La Corse commence à nous montrer ses sombres montagnes ; leur couleur se confond avec celle des nuages qui les couronnent. Ainsi le croissant aminci de la lune s'évanouit peu à peu dans les airs, et, aperçu d'abord, il échappe bientôt aux yeux fatigués. Le peu de largeur de ce canal semble appuyer la fable qui suppose qu'un troupeau de bœufs le traversa â la nage, alors qu'une femme du nom de Corsa, suivant un taureau échappé, aborda au rivage de Cyrnos.

439 Plus loin, dans la mer, s'élève Capraria ; c'est une île sauvage, pleine d'une espèce d'hommes qui fuient la lumière. Eux-mêmes se donnent le nom grec de moines, parce qu'ils veulent vivre seuls et sans témoins. Ils fuient les faveurs de la fortune, parce qu'ils en redoutent les disgrâces : c'est se faire malheureux par crainte du malheur ! N'est-ce pas le délire d'un cerveau renversé, que de ne pas pouvoir supporter le bien , par peur du mal ? Peut-être est-ce le destin de ces vils esclaves, de s'infliger ainsi le châtiment qu'ils méritent ; peut-être un fiel noir gonflent leur coeur. C'est ainsi qu'Homère attribue à un excès de bile la morne tristesse de Bellérophon ; on dit, en effet, que ce jeune héros, offensé par les hommes et rempli d'une sombre douleur, prit en haine le genre humain.

453 Ma barque entre dans les parages de Volaterra, dont le véritable nom est Vada, et s'engage dans un canal bordé par des bas-fonds dangereux: Le gardien de la proue regarde devant lui ; c'est de là qu'il dirige le gouvernail par les avertissements qu'il jette derrière lui au pilote placé à la poupe. Cette route incertaine est indiquée par deux arbres, et enfermée entre deux rangs de poteaux : on a coutume d'y attacher de grandes branches de laurier, qui frappent les regards par leurs rameaux, par leur verte et épaisse chevelure ; on a voulu ainsi qu'entre les algues qui croissent sur le limon accumulé contre les poteaux, le chemin, nettement tracé, conserve toujours ces signaux.

463 Je suis forcé d'aborder, le Corus soufflant alors avec cette violence qui brise souvent d'épaisses forêts. A peine pouvons-nous, dans les maisons voisines, nous abriter contre la pluie qui tombe par torrents ; nous trouvons près de là un asile dans la maison d'Albinus, mon ami ; car je peux lui donner ce titre, quand Rome lui, a transmis ma charge, quand il est revêtu des fonctions civiles que je remplissais. Son mérite compense sa jeunesse et n'a pas attendu le nombre des années ; c'est un jeune homme par son âge, un vieillard par la gravité de ses mœurs. La conformité de nos cœurs nous inspira une mutuelle considération ; notre sympathie s'accrut par des services réciproques. Il me céda les rênes du pouvoir, quoiqu'il y pût parvenir ; mais aimer son rival heureux, c'était l'emporter sur lui.

475 J'eus le temps de voir les salines placées au pied de sa villa ; c'est ainsi que l'on nomme un marais salant ; la mer y est déversée par des canaux creusés dans la terre, et des rigoles viennent la distribuer dans des réservoirs séparés. Quand le Sirius approche de nous ses feux brûlants, que les herbes se flétrissent, que la sécheresse règne dans les campagnes ; alors, avec des digues, on ferme l'accès à la mer, et le sol échauffé condense dans les réservoirs ses ondes devenues immobiles. Cette eau, douée de la propriété de se coaguler, absorbe les rayons brûlants du soleil ; et les chaleurs de l'été en font une croûte épaisse, semblable à la surface glacée qui couvre le sauvage Ister, lorsque ses flots enchaînés portent d'énormes chariots. Que le savant qui recherche les causes des phénomènes naturels, exerce ici sa pénétration, et me dise pourquoi le même foyer de chaleur produit des effets si différents ; les eaux durcies par le froid recommencent à couler à l'aspect du soleil, et ici les eaux s'arrêtent sous l'influence de ses rayons.

491 Oh ! comme souvent le bien est produit par le mal ! Une tempête maudite fait mon bonheur en me retardant !

493 Je trouve là Victorinus, cet ami qui tient une si grande place dans mon cœur, et cette rencontre nous comble tous deux de joie. La prise de Tolosa, en l'exilant de sa patrie, le força de s'établir dans les champs de la Toscane, et de placer ses pénates sur un sol étranger. Sa sagesse n'a pas brillé seulement dans l'infortune ; son cœur a supporté de même l'épreuve de la prospérité. L'Océan connaît ses vertus ; Thulé, les champs labourés par le sauvage Breton peuvent en rendre témoignage : la manière dont il remplit dans cette contrée la charge de vicaire des préfets a été récompensée par l'affection que lui portent toujours les Bretons. Ce pays est rejeté, il est vrai, aux extrémités de la terre ; mais dans soit gouvernement, il était comme au centre du monde. Ce qui augmente sa gloire, c'est d'avoir voulu se faire aimer par des peuples dont il est moins honteux d'avoir à subir l'aversion. Élevé dernièrement à la dignité de comte du palais impérial, il a, par amour pour les champs, dédaigné une si haute fonction. Ses embrassements me firent oublier les vents contraires ; il me semblait déjà que je jouissais d'une portion de ma patrie.

511 L'aurore aux lueurs safranées avait amené les chevaux brillants du jour ; la brise qui vient du rivage nous engage à tendre nos antennes. Un souffle paisible soulève mollement la flamme placée au haut du mat. Les voiles dociles tremblent au vent, sans tourmenter les cordages. Gorgon s'élève au milieu des flots qui la baignent, entre le rivage de Pise et celui de Cyrnos. Je me détourne avec douleur de ces rochers qui me rappellent un malheur trop récent ; c'est là qu'un infortuné est venu se séparer de la société pour s'ensevelir tout vivant. C'était un de mes amis, jeune, d'une noble famille ; sa fortune, l'union qu'il avait contractée, répondaient à sa naissance : poussé par les furies, il abandonna les dieux et les hommes, et la superstition lui fait aimer l'exil dans une honteuse retraite. Le malheureux : il se figure que les souillures du corps sont agréables au ciel ; et il se soumet à des tortures que ne lui infligeraient point les dieux offensés. Oui, je le demande, cette secte n'est-elle pas plus funeste que les poisons de Circé ? Ils n'avaient d'action que sur le corps, tandis qu'elle métamorphose les âmes.

527 Nous gagnons ensuite Triturrita : ainsi s'appelle une villa qui s'étend sur une péninsule au milieu de la mer qu'elle refoule. Elle s'avance dans les flots sur des rochers unis par la main de l'homme ; et celui qui éleva cette demeure a d'abord construit le sol sur lequel elle s'appuie. Le port voisin excite mon admiration ; il est célèbre ; c'est le marché de Pise, et la mer y apporte ses richesses. Ce havre présente un merveilleux aspect ; il est battu par les flots de la pleine mer, et ses rivages découverts sont exposés à tous les vents. Ce n'est point une baie abritée par des jetées, et qui puisse braver les menaces d’Éole ; mais de grandes algues, qui s'enlacent dans ses eaux, reçoivent les navires qu'elles heurtent doucement; tout en cédant aux flots, elles enchaînent leur violence, et empêchent ainsi la mer de venir y rouler ses vagues énormes.

541 L'Eurus qui chasse les nuages avait ramené un temps favorable à la navigation : mais je voulus voir Protadius. Pour se faire de lui une idée exacte, qu'on se représente l'image même de la vertu. La peinture ne saurait donner de lui un portrait plus ressemblant que ce portrait idéal formé de la réunion de toutes les dualités. Son visage frappe d'abord par une expression de sagesse ; l'équité y respire et commandé l'admiration. Ces éloges peuvent paraître suspects dans la bouche d'un Gaulois vantant un concitoyen ; mais Rome, dont il a été le préfet, peut lui rendre témoignage. Au lieu des biens paternels, il ne possède en Ombrie qu'une habitation médiocre ; mais la vertu égale pour lui la bonne et la mauvaise fortune. Ce peu qu'il possède encore, semble une richesse à ce cœur invincible ; c'est que jadis les richesses lui semblaient être peu de chose. Un étroit terrain renfermait autrefois les maîtres des rois ; un enclos de quelques arpents enfantait les Cincinnatus : pour nous l'exemple de Protadius vaut bien le soc de Serranus et le foyer de Fabricius.

559 Dès que j'eus placé mes embarcations dans un abri sûr, je me rends à Pise par la route de terre. Le tribun me fournit des chevaux ; il m'offre même des voitures ; ce tribun était mon ami, depuis qu'il avait servi avec moi, lorsque, comme maître des offices, je commandais le palais et la garde du pieux empereur.

565 Je contemple cette ville antique, originaire des bords de l'Alphée ; l'Arnus et l'Auser l'entourent d'un double courant. Ces rivières, en se réunissant, forment un cône de pyramide, et la langue de terre qu'ils embrassent, étroite à son extrémité, va en s'élargissant. Mais dans leur lit commun, l'Arnus conserve son nom et le garde jusqu'à la mer. Longtemps avant que la fortune vînt greffer le rameau troyen sur la souche des rois de Laurence, le sol de l'Étrurie reçut Pise, sortie de l'Élide ; son nom révèle et atteste son origine.

575 Là s'offrit à mes yeux l'image sacrée de mon père, que les Pisans ont placée dans leur forum. Les éloges donnés à un père que j'ai perdu, m'arrachent des larmes, et une joie douloureuse me fait verser des pleurs. Mon père autrefois gouverna les champs Tyrrhéniens, et exerça le pouvoir confié aux six faisceaux proconsulaires, il racontait, je m'en souviens, que, dans une carrière marquée par tant d'honneurs, c'était le gouvernement de Toscane qui avait le plus flatté son cœur. En effet, ni la charge de distributeur des largesses sacrées (une dignité si haute !), ni l'office de questeur ne lui fut plus agréable. Et même, qui le croirait ? son affection pour les Toscans allait jusqu'à lui faire préférer ce gouvernement à 1a préfecture. Il avait raison, il avait éprouvé leur amour : leur reconnaissance honore sa mémoire par d'éternelles actions de grâces ; et les vieillards, recueillant leurs souvenirs, parlent à leurs enfants de son gouvernement, tout à la fois ferme et modéré. Ils sont heureux de voir que mes dignités ne sont pas au-dessous de celles de mon père, et ils m'aiment ainsi et pour mon père et pour moi-même. Cette gloire paternelle, je l'ai vue confirmée par de fréquents témoignages en parcourant le voisinage de la voie Flaminia ; le nom de Lachanius est révéré comme celui d'un dieu par la Tyrrhénie tout entière, par les enfants des Lydiens. Aimée des gens de bien, cette province conserve les mœurs antiques ; elle mérite d'avoir toujours de bons gouverneurs, semblables au noble fils de Lucillus, à Décius, qui gouverne les riches campagnes et les peuples de Corythus. Il est naturel qu'un père qui voit ses vertus reproduites par un fils aussi grand, soit heureux d'une telle ressemblance. La muse mordante de Lucillus, se jouant dans la satire, égalera Turnus et Juvénal. Ses amères censures ont rétabli l'antique pudeur ; châtier le vice, c'est enseigner la vertu. Autrefois, dispensateur scrupuleux des largesses sacrées, n'a-t-il pas repoussé les Harpies qui l'assiégeaient. Ces Harpies, dont les ongles déchirent l'univers, dont les pieds ne touchent à rien qu'ils ne s'y attachent comme de la glu, qui rendent Argus borgne et Lyncée aveugle ; car, sous les yeux des gardiens du trésor, le vol des deniers publics se fait avec la plus grande dextérité. Mais ces brigandages n'échappèrent point à Lucillus, et une seule main résista à tant de mains avides, aux cent mains de ces nouveau Briarées.

615 Déjà, revenu de Pise à Triturrita, je livrais au souffle heureux du Notus ma voile pendante, quand tout à coup le ciel se couvre de sombres nuages ; des éclairs jaillissent et déchirent la nue : nous nous arrêtons ; car qui oserait, par un temps orageux, se confier à la mer en démence ? Nous occupons le loisir que la mer nous impose à parcourir les forêts voisines, et nous nous livrons à l'exercice de la chasse. Le paysan, qui nous reçoit, nous fournit les instruments nécessaires, avec des chiens dont l'odorat subtil fait découvrir le gîte. Bientôt vient se prendre dans nos pièges et dans les larges mailles de nos filets un sanglier aux dents terribles comme la foudre ; un sanglier que n'eût osé attaquer le bras de Méléagre, et qui eût échappé aux étreintes puissantes du fils d'Amphitryon. Alors la trompette fait retentir l'écho des collines, et les chasseurs, qui rapportent la proie, la rendent plus légère par leurs chansons. Cependant l'Africus aux ailes humides ne cesse pendant plusieurs jours de voiler le ciel sous de sombres nuages. Déjà, au point du jour, le coucher des Ilyades était accompagné de pluies violentes, qui nous cachaient aussi le Lièvre, étoile peu brillante, mais puissante à soulever les flots, et sous laquelle nul navire n'ose quitter la terre inondée de pluie : car elle est voisine de l'orageux Orion, et fuit, humide proie, devant le Chien brûlant. Nous vîmes les flots jaunis par le sable agité et la mer vomissant ses ondes inonder les campagnes. Ainsi l'Océan se répand au milieu des plaines, quand il couvre de ses flots vagabonds une terre qu'il doit bientôt abandonner ; soit que, refoulé par un autre univers, il vienne se briser contre le nôtre, soit qu'il aille nourrir de ses eaux les astres éclatants. 

 

1. - Velocem potius reditum mirabere (v. 1). On a supposé qu'il manquait un distique au commencement de ce vers, et c'est le mot potius qui a servi à appuyer cette conjecture. Mais pourquoi ne pas se contenter du texte, quand il peut offrir un sens naturel et complet ?

2. - Latias obtinuere domos (v. 12). Le droit de cité latine, que la constitution de Caracalla conférait aux étrangers, et qui donnait accès aux magistratures, même à celles de Rome. (WERNSDORF.)

3. Et partem Genii (v. 16 et suiv.). Les sénateurs, représentant le génie de Rome, servent d'intermédiaires entre lui et le monde, comme l'air, placé entre Jupiter et la terre, parait servir à leur union, connubium.

4. - Arbuta (v. 32). Fréquemment employé pour arbusta en poésie.

5. In quantum fletus currere verba sinit (v. 46). " Le poème de Rutilius commence par un adieu à Rome. Depuis Rutilius, bien des voyageurs ont éprouvé un douloureux attendrissement au moment de cet adieu. Quand on s'est accoutumé à vivre à Rome, on ne peut s'en éloigner sans un serrement de coeur ; c'est comme si on quittait une patrie. Ëtranger, on éprouve quelque chose qui ressemble à la tristesse de l'exil, et il arrive de pleurer en regardant Rome pour la dernière fois. Eh bien, ce sentiment est déjà dans le Gaulois du Ve siècle, et il a inspiré à la muse latine de cette époque déchue quelques vers d'une mélancolie pénétrante." (M. AMPERE, Revue des Deux Mondes, juin 1835.)

6. Quid loquar aerio pendentes fornice rivos (v. 95) ? Les aqueducs.

7. Vernula... avis (v. 112). On a entendu par cette expression des oiseaux domestiques. Je crois que vernula a ici plus de sens; l'expression d'oiseaux domestiques ne s'entendrait que des espèces d'oiseaux qui vivent habituellement avec l'homme. Vernula s'applique ici à toutes les espèces d'oiseaux qui sont nés dans ces bois, et qui appartiennent aux propriétaires de ces palais.

8. - Virides... comas (v. 116). Le mot virides ne doit pas s'entendre de la couleur, mais de l'épaisseur et de la beauté des cheveux.

9. - Imbre tuo (v. 148). Les pluies qui viennent de l'Italie.

10. - Teste Marone (v. 170). Enéide, liv. XI, v. 463

Tu, Voluse, armari Volscorum edice maniplis; 
Duc, ait, et Rutulos . . . . . .

11. - Commissa Palatia (v. 171). C'était la charge de questeur du palais, ou de chancelier.

12. - Quem tibi Roma facit purior esse dies (v. 200). Rutilius entend par le mot dies la lumière et l'éclat que projetaient dans Rome les temples, les coupoles et les statues qui resplendissaient d'or et du marbre le plus beau.

13. - Famulis... suis (v. 216). Gothis, qui servire debebant, ut barbari. M. Collombet a adopté un autre sens qui me semble moins naturel.

14. - Praesidet exigui formatus imagine saxi (v. 229). Ce vers rappelle ceux de Chapelle :

C'est Notre-Dame de la Garde, 
Gouvernement commode et beau, 
A qui suffit, pour toute garde, 
Un suisse avec sa hallebarde 
Peint sur la porte du château.

15. - In sua bella (v. 292). Cette guerre implacable ipsis quasi propria, et fere perpetua, ut genti pugnaci.

16. - Ionias.... aquas (v. 320). Non pas la mer Ionienne, mais les mers d'Ionie, la mer Égée et la mer Ionienne proprement dite.

17. - Damnaque libatae grandis clamat aquae (v. 386). Je crois que libare a ici le sens de toucher plutôt que celui de boire. La stupidité du Juif est d'autant plus grande, que l'action du voyageur est plus innocente.

18.- Nos indignemur mortalia corpora, solvi (v. 413) ? Rutilius semble avoir imité ici un passage de la lettre fameuse de Sulpicius à Cicéron (Lettres famil. liv. IV lett. 5). " Hem ! nos homunculi indignamur, si quis nostrum interiit aut occisus est, quorum vita brevior esse debet, quum uno loco tot oppidorum cadavera projecta jaceant." C'est, au reste, l'idée exprimée dans ces vers si connus d'Horace :

Debemur morti nos nostraque .....
(Artis poet. v. 63.)

19. - Homerus (v. 449). Voyez Iliade, chant VI, v. 200.

20. - Praefectorum vicibus frenata potestas (v. 501). Le préfet des Gaules avait soirs sa puissance les vicaires de l'Espagne , de la Gaule et de la Bretagne.

21. - Perditus hic vivo funere civis erat (v. 510). Il me semble que civis a ici une valeur plus grande que celle-ci : un de mes concitoyens. Rutilius n'indique-t-il pas par ce mot, que ce jeune homme est mort pour la société humaine? - Voici quelques réflexions de M. Villemain relatives â ce passage et à plusieurs autres de Rutilius : "On peut remarquer qu'il n'y a pas plus d'art dans Child-Harold que dans l'Itinéraire de Rutilius, monument curieux et parfois éclatant du dernier âge des lettres romaines. C'est également un homme qui, sans ordre et sans but, se rappelle l'impression des lieux, et tour à tour décrit ou déclame. Il y a même ce rapport entre les deux voyages, que tous les deux se font à travers des ruines dans un temps de révolution pour les croyances et pour les empires. Le Gaulois du Ve siècle voit avec douleur s'écrouler le paganisme devant la foi nouvelle sortie de la Judée, et qui, déjà maîtresse à Rome peuple de monastères les îles désertes de l'Italie. L'Anglais du XIXe siècle croit voir tomber en Espagne et en Portugal les derniers asiles du christianisme romain. Comme Rutilius, il rencontre partout les vestiges de l'invasion et de la guerre. Napoléon est pour lui le nouvel Alaric, qui laisse partout sa trace sur le monde ravagé." (Biographie universelle, art. BYRON.)

22. - Tribunus (v. 561). Le tribun des soldats, qui était en garnison dans le pays.

23- Gaudia maesta (v. 578). "Expression un peu prétentieuse, un peu coquette, un peu maniérée, mais élégamment pathétique, et qui donne une fort juste idée dit genre d'esprit de Rutilius, et du ton qu'il prête à sa pensée comme à son émotion." (M. Ph. CHASLES). Ajoutons ici que cette expression rappelle le mot touchant et si connu d'Homère, δακρυόεν γελάσασα

24.- Lydia tota (v, 596). « C'est-à-dire l'Étrurie, parce que Tyrrhenus, chef des Lydiens, conduisit une colonie dans cette partie de l'Italie et donna aux Toscans le nom de Thyrrhéniens." (LEMAIRE)

25. - Siderra pascit aquis. Lucain, Pharsale, liv. I , v. 415 : 

Flammiger an Titan, ut alentes hauriat undas, 
Erigat Oceanum, fluctusque ad sidera tollat.

LIBER SECUNDUS

LIVRE SECOND

Nondum longus erat nec multa volumina passus,
Jure suo poterat longior esse liber;
Taedia continuo timuit cessura labori,
Sumere ne lector iuge paveret opus.
5   Saepe cibis affert serus fastidia finis,
Gratior est modicis haustibus unda siti;
Intervalla viae fessis praestare videtur
Qui notat inscriptus milia crebra lapis.
Partimur trepidum per opuscula bina ruborem,
10    Quem satius fuerat sustinuisse semel.
Tandem nimbosa maris obsidione solutis
Pisano portu contigit alta sequi.
Arridet placidum radiis crispantibus aequor
Et sulcata levi murmurat unda sono.
15   Incipiunt Appennini devexa videri,
Qua fremit aerio monte repulsa Thetis.
Italiam rerum dominam qui cingere visu
Et totam pariter cernere mente velit,
Inveniet quernae similem procedere frondi
20   Artatam laterum conveniente sinu.
Milia per longum decies centena teruntur
A Ligurum terris ad freta Sicaniae;
In latum variis damnosa amfractibus intrat
Tyrrheni rabies Hadriacique salis,
25   Qua tamen est iuncti maris angustissima tellus,
Triginta et centum milia sola patet.
Diversas medius mons obliquatur in undas,
Qua fert atque refert Phoebus uterque diem:
Urget Dalmaticos Eoo vertice fluctus
30   Caerulaque occiduis frangit Etrusca iugis.
Si factum certa mundum ratione fatemur
Consiliumque dei machina tanta fuit,
Excubiis Latiis praetexuit Appenninum
Claustraque montanis vix adeunda viis.
35   Invidiam timuit natura parumque putavit
Arctois Alpes opposuisse minis,
Sicut vallavit multis vitalia membris
Nec semel inclusit quae pretiosa tulit.
Jam tum multiplici meruit munimine cingi
40   Sollicitosque habuit Roma futura deos.
Quo magis est facinus diri Stilichonis acerbum,
Proditor arcani quod fuit imperii.
Romano generi dum nititur esse superstes,
Crudelis summis miscuit ima furor,
45   Dumque timet, quidquid se fecerat ipse timeri,
Immisit Latiae barbara tela neci.
Visceribus nudis armatum condidit hostem
Illatae cladis liberiore dolo.
Ipsa satellitibus pellitis Roma patebat
50   Et captiva prius quam caperetur erat.
Nec tantum Geticis grassatus proditor armis:
Ante Sibyllinae fata cremavit opis.
Odimus Althaeam consumpti funere torris,
Nisaeum crinem flere putantur aves;
55   At Stilicho aeterni fatalia pignora regni
Et plenas voluit praecipitare colos.
Omnia Tartarei cessent tormenta Neronis;
Consumat Stygias tristior umbra faces;
Hic immortalem, mortalem perculit ille,
60   Hic mundi matrem perculit, ille suam.
Sed diverticulo fuimus fortasse loquaces;
Carmine propositum iam repetamus iter.
Advehimur celeri candentia moenia lapsu;
Nominis est auctor sole corusca soror.
65   Indigenis superat ridentia lilia saxis
Et levi radiat picta nitore silex;
Dives marmoribus telus, quae luce coloris
Provocat intactas luxuriosa nives.
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Reliqua desunt

 

1 LE premier livre avait peu d'étendue, et ne faisant encore sur le cylindre qu'un petit nombre de tours, il pouvait être continué ; mais j'ai craint l'ennui qui s'attache à un travail trop prolongé, l'effroi qu'inspire au lecteur un ouvrage sans divisions. Souvent un trop long repas inspire le dégoût l'eau que l'on boit à petites gorgées est plus douce à la soif : la pierre qui porte inscrits les milles parcourus, semble reposer le voyageur fatigué de la longueur du chemin. Honteuse et timide, ma muse aime mieux parcourir en deux fois la carrière qu'il eût mieux valu achever d'une seule haleine.

11 Délivré enfin des tempêtes qui nous tenaient assiégés dans le port de Pise, nous prenons le large. La mer paisible scintille sous les rayons du soleil, et l'onde sillonnée fait entendre un léger murmure. Nous commençons à apercevoir les flancs de l'Apennin, près du promontoire élevé où Thétis vient se briser en frémissant.

17 Quand on veut embrasser d'un regard l'Italie, la reine du monde, et la considérer dans son ensemble, on trouve qu'elle s'avance semblable à une feuille de chêne, resserrée sur ses deux flancs par les mers qui se réunissent à son extrémité. Elle s'étend dix fois l'espace de cent milles, depuis les terres des Ligures jusqu'aux mers de la Sicanie : les eaux furieuses de la mer Tyrrhénienne et de l'Adriatique viennent ronger ses flancs et y former différents golfes. Dans l'endroit où la terre est le plus resserrée entre les deux mers qui la pressent, elle n'a que cent trente milles de largeur.

27 L'Apennin se prolonge obliquement entre les deux mers, dont l'une est exposée au soleil du matin, l'autre à celui du soir. Le versant oriental domine la mer de Dalmatie ; le versant occidental voit se briser à ses pieds les ondes bleuâtres de la mer Tyrrhénienne. Si nous reconnaissons dans le monde les combinaisons d'une intelligence supérieure ; si nous voyons dans cette œuvre immense l'ouvrage d'un dieu, nous devons croire qu'il a étendu l'Apennin pour servir de rempart au Latium, pour en fermer l'entrée par des gorges inaccessibles. La nature a craint d'être accusée de négligence, de n'avoir pas fait assez pour Rome en opposant les Alpes aux menaces des enfants du Nord : de même, dans le corps, elle a multiplié autour des parties vitales et essentielles les membranes qui devaient les protéger. C'est ainsi qu'avant de naître, Rome avait mérité cette suite de remparts, et préoccupait déjà la pensée des dieux.

41 C'est ce qui rend encore plus grand le crime de Stilichon, qui a voulu déjouer la prévoyance de la nature en ouvrant l'empire aux barbares. Il voulut que la race des Romains périt avant lui ; ses cruelles fureurs ont tout bouleversé. Craignant pour lui les entreprises par lesquelles il s'était fait craindre, il introduisit les barbares en Italie pour la perte de Rome. Il cacha un ennemi redoutable dans le sein même de la patrie désarmée, et par le mal qu'il lui faisait ainsi, se préparait des moyens de lui en faire davantage. Rome était livrée à ces barbares couverts de peaux ; elle était captive avant d'être prise. Le traître ne s'est pas contenté de l'attaquer avec les armes des Goths ; il a anéanti, avec les livres Sibyllins, l'avenir révélé à Rome. Nous maudissons Althée, parce qu'elle brûla le tison fatal;  on dit que des oiseaux pleurent le cheveu de Nisus : mais Stilichon a voulu briser le gage auquel les destins attachaient l'éternité de l'empire, les fuseaux des Parques encore chargés d'années. Que les tourments de l'infernal Néron soient suspendus ! Une ombre plus coupable doit appeler sur elle les flambeaux des Furies. Néron n'a frappé qu'une mortelle ; c'est une immortelle qu'a frappé Stilichon : l'un a tué sa mère, l'autre la mère du monde.

61 Cette digression nous a peut-être entraînés trop loin ; rentrons dans le chemin que se propose ma muse. Nous arrivons bientôt dans une, ville aux blanches murailles, à laquelle la sueur brillante du Soleil a donné son nom. Les pierres qu'elle produit surpassent, par leur surface brillante et veinée, les lis aux riants calices : cette terre est riche en marbres dont l'éclat semble défier celui de la neige la plus pure . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le reste manque

NOTES DU LIVRE SECOND.

1 . - Nec multa volumina passus (v. 1). On a entendu volumen par volume. Comment supposer qu'un livre de six cents vers puisse former un grand nombre de volumes ? Cette pensée n'aurait pas besoin d'être exprimée.

2. - Qui notat inscriptus milliea crebra lapis (v. 8). "Chez les Romains, les distances sur les routes, étaient marquées par des colonnes en pierre, d'où est venue cette locution si familière aux écrivains latins : Tertio, quarto ab urbe lapide. Plutarque, Vie de C. Gracchus, ch. VII, dit que les premières colonnes milliaires de ce genre furent placéés sous le tribunat de C. Gracchus, frère de Tiberius" (M. COLLOMBET.)

3. - Millia per longurn decies centena teruntur (v. 21). Pline, liv. III, ch. 5, donne à l'Italie vingt mille pas de plus.

4. - Quo magis est facinus diri Stilichonis acerbum (v.41). Ces imprécations de Rutilius n'ont pas grande valeur, quand on se rappelle son dévouement pour tout ce qui tient à la famille impériale. Il accuse plus loin Stiliclion d'avoir brûlé les livres Sibyllins. Wernsdorf prouve que cette accusation est fausse : c'est sans doute un mensonge de courtisan.- « Quelque parti que l'on prenne dans la controverse qui a partagé les théologiens et les critiques sur l'inspiration, et même sur l'existence des sibylles, on ne peut s'empêcher de reconnaître que l'ouvrage qui est venu jusqu'à nous sous leur nom n'est autre chose qu'une compilation informe de plusieurs prophéties différentes , supposées la plupart, vers le Ier ou le IIème siècle du christianisme par quelques-uns de ces hommes qui, joignant la fourberie avec le fanatisme, ne font point scrupule d'appeler le mensonge et l'imposture au secours de la vérité. Ces vers sibyllins sont remplis de choses très fortes et très sensées contre l'idolâtrie et contre la corruption des moeurs qui régnait alors dans le paganisme, et l'on ne petit s'empêcher de reconnaître que les auteurs de ces vers ont eu soin, pour accréditer leurs prophéties prétendues, d'y insérer plusieurs circonstances véritables, que leur fournissaient les anciennes histoires qui existaient de ce temps, mais que la barbarie des siècles postérieurs a détruites. On doit donc regarder, à certains égards, ces auteurs comme les témoins des traditions historiques reçues de leur temps, témoins, à la vérité, très suspects, mais dont le témoignage peut être admis, lorsqu'il était dans leur intérêt de dire vrai." `(RÉRET, Mém. de l'Acad. des Inscript., t. X , p. 367.)

5. - Odimus Althaeam consumpti funere torris (v. 53). Althée brûla le tison auquel était attachée l'existence de Méléagre, son fils.

6. - Nisaeum crinem (v. 54). Scylla, fille de Nisus, coupa le cheveu de pourpre, duquel dépendait le sort de son père. Nisus mourut aussitôt, et fut métamorphosé eu épervier.

7. - Sole corusca soror (v. 64). Rutilius veut ici parler de Luna, célèbre en effet par ses carrières de marbre blanc.