RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE

ALLER à LA TABLE DES MATIERES D'HOMERE

Homère

ILIADE

LIVRE IV

 

Pour d'autres traductions françaises

LIVRE I

 

 chant 3       chant 5

 

 

 


 

RUPTURE DES TRAITES.  REVUE DES TROUPES.

ES dieux assis autour de Jupiter délibéraient dans les palais de l'Olympe aux planchers dorés; et, tandis que la divine Hébé leur versait le nectar, ils se saluaient mutuellement de leurs coupes d'or en abaissant leurs regards sur la ville des Troyens (01). Bientôt le fils de Saturne essaie d'irriter Junon par des paroles blessantes en disant avec malignité:

 [7] « Deux déesses favorisent Ménélas, Junon d'Argos et Minerve d'Alalcomène (02) ; mais, assises à l'écart, elles se plaisent à le voir combattre, tandis que Vénus au doux sourire se tient près de Pâris et éloigne de lui les Parques fatales. Maintenant encore elle vient de le sauver, lui qui pensait mourir; mais enfin la victoire appartient au vaillant Ménélas. C'est à nous de décider comment les choses se passeront dans l'avenir. Rallumerons-nous une guerre terrible et de funestes discordes, ou bien ferons-nous naître l'amitié entre ces deux peuples ? Si ce dernier avis convient à tous les dieux, la ville du roi Priam conservera ses habitants , et Ménélas pourra s'en retourner dans sa patrie avec l'Argienne Hélène. »

[20] A ces mots Minerve et Junon compriment leurs lèvres avec dépit : elles étaient assises l'une près de l'autre, et elles méditaient la ruine des Troyens. Minerve, quoique irritée contre Jupiter, reste silencieuse et ne profère aucune parole : une farouche colère la possède. Mais Junon, ne pouvant contenir plus longtemps son courroux dans son sein, s'écrie :

[25] « Cruel fils de Saturne, quelle parole viens-tu de prononcer ? Quoi  tu veux rendre mes efforts inutiles? Tu veux que je perde la sueur prodiguée dans de si pénibles travaux? Cependant pour accabler de malheurs Priam et les fils de Priam, mes coursiers se sont lassés à rassembler les peuples. Accomplis donc ton dessein ; mais les dieux ne t'approuveront pas! »

[30] Jupiter, le dieu qui amoncelle les nuages, lui répond avec colère :

« Malheureuse! quels maux si grands t'ont faits Priam et les fils de Priam, pour que tu désires sans cesse renverser la superbe ville d'Ilion? Peut-être que si, franchissant ses portes et ses hautes murailles, tu dévorais Priam, ses fils et tous les Troyens, apaiserais-tu ta colère. Agis donc selon la volonté; mais que cette querelle ne fasse point naître entre nous de graves sujets de discordes. Maintenant écoute-moi , et conserve bien ces paroles au fond de ton âme. Lorsque, moi aussi, dans ma fureur, je désirerai détruire une ville où seront nés des mortels qui te sont chers, n'enchaîne point ma vengeance, et laisse-moi agir. - Quoique à regret je te donnai librement Troie, cette ville sacrée qui, parmi toutes les autres villes habitées par les hommes, enfants de la terre, et situées sous les rayons du soleil et sous la voûte étoilée des cieux, fut toujours chère à mon cœur, ainsi que Priam et le peuple de ce roi belliqueux. Car jamais, dans Ilion, mes autels ne furent privés ni de repas égaux (03), ni de libations, ni de la fumée des sacrifices, honneurs que nous autres immortels avons seuls en partage. »

[50] L'auguste Junon aux grands yeux lui répond :

« Il est trois villes que je chéris entre toutes : ce sont Argos, Sparte et Mycènes aux larges rues. Détruis-les lorsqu'elles te seront devenues odieuses ; je ne les protégerai pas, je n'en serai point jalouse; car, lors même que je le deviendrais et que je m'opposerais à la destruction de ces villes, ma jalousie ne pourrait me servir puisque tu es de beaucoup plus puissant que moi. Mais il ne faut pas que mes travaux soient inutiles : je suis déesse aussi, moi, et d'une origine égale à la tienne. Enfantée par le prudent Saturne, je suis, à double titre, digne des plus grands hommages, et par ma naissance et parce qu'on m'appelle l'épouse de celui qui règne sur les immortels. Mais enfin cédons-nous mutuellement, moi à tes désirs, toi aux miens, et les autres dieux nous obéiront. Ordonne à Minerve de se rendre au milieu des deus armées troyenne et achéenne, et d'engager les Troyens à violer les serments en attaquant, les premiers, les Achéens si fiers de leur gloire. »

[68] Elle dit. Le père des dieux et des hommes l'écoute favorablement; aussitôt il adresse à Minerve ces rapides paroles :

« Vole promptement vers les deux armées achéenne et troyenne, et engage les Troyens à violer les serments en attaquant, les premiers, les Achéens si fiers de leur gloire. »

[73] En parlant ainsi, Jupiter excite encore l'ardeur de Minerve. La déesse s'envole en s'élançant des sommets de l'Olympe : elle est semblable à un astre brillant qui, envoyé comme présage par le fils de l'artificieux Saturne aux nautoniers ou à une immense assemblée de peuples, fait jaillir autour de lui mille étincelles. Minerve, d'un vol rapide, descend sur la terre et se présente au milieu des deux armées. A l'aspect de la déesse, les Troyens dompteurs de coursiers et les Achéens aux belles cnémides sont frappés d'étonnement. Et plus d'un d'entre ces guerriers disait à ceux qui se trouvaient près de lui :

[82] « Les guerres cruelles et les funestes mêlées vont sans doute recommencer parmi nous, ou bien une alliance entre les deux peuples a été résolue par Jupiter, l'arbitre des combats entre les hommes. »

[85] Ainsi parlait maint guerrier achéen et troyen. - Minerve, sous les traits du vaillant guerrier Laodocus, fils d'Anténor, se mêle à la foule des Troyens, cherchant à rencontrer Pandarus, semblable a un dieu; bientôt elle trouve le brave fils de Lycaon: il se tenait debout, et autour de lui étaient rangées les valeureuses cohortes de soldats armés de boucliers qui le suivirent des bords de l'Ésèpe. La déesse s'approche de ce héros et lui adresse ces paroles rapides :

[93] « Fils belliqueux de Lycaon, voudrais-tu m'obéir? Oserais-tu lancer contre Ménélas une flèche légère? Les Troyens seraient reconnaissants envers toi, et Pâris te comblerait surtout de gloire et d'honneurs. Tu obtiendrais de ce héros des présents splendides s'il voyait le brave Ménélas, fils d'Atrée, dompté par ta flèche, monter sur le char funèbre. Eh bien ! lance un trait contre l'illustre Ménélas, et jure à Apollon de Lycie, dieu célèbre par son arc, de lui immoler une magnifique hécatombe des premiers-nés de tes agneaux lorsque tu reverras tes foyers dans la sainte ville de Zélée. »

[104] Ainsi parla Minerve; et ses paroles allèrent au cœur de cet insensé. Soudain il s'empare de son arc brillant fait avec les cordes d'une chèvre sauvage que lui-même avait frappée dans la poitrine lorsqu'elle s'élançait d'un rocher; Pandarus, en sortant de son embuscade, lui perça le flanc, et elle tomba renversée sur la pierre : ses cornes, hautes de seize palmes, s'élevaient au-dessus de sa tête, et elles avaient été travaillées et polies par un habile ouvrier qui les réunit avec soin et les entoura d'or.

[112] Le fils de Lycaon, après avoir tendu adroitement son arc, l'appuie contre terre et l'incline ; et ses braves compagnons le couvrent de lents boucliers de peur que les belliqueux enfants des Achéens ne se précipitent sur lui avant qu'il n'ait frappé l'intrépide Ménélas, fils d'Atrée. Alors Pandarus découvre son carquois et en tire une flèche qui n'avait point encore été lancée, trait rapide, source de noires douleurs (04) ; il place ensuite le dard aigu sur la corde et promet à Apollon de Lycie, célèbre par son arc, de lui immoler une splendide hécatombe de jeunes agneaux lorsqu'il reverra la sainte ville de Zélée. Pandarus saisit à la fois la flèche par son entaille et la corde flexible, puis il les tire en approchant le nerf de sa poitrine et en faisant toucher le fer de la flèche à la corne de l'arc. Quand cette arme immense et recourbée est tendue, l'arc gémit, la corde résonne, et le trait acéré vole impatient de percer la foule.

[127] Mais toi, Ménélas, tu n'es point oublié par les dieux fortunés, et surtout par la fille de Jupiter, la triomphante Minerve (05), qui, se plaçant devant toi, détourne le dard aigu. La déesse en préserve ton corps comme la mère écarte une mouche loin de son enfant plongé dans le doux sommeil. Minerve dirige elle-même la flèche à l'endroit où les agrafes d'or retiennent le baudrier et où la cuirasse présente une double surface. Le trait acerbe tombe sur le baudrier ajusté avec art; il traverse l'armure du héros, s'enfonce dans sa cuirasse richement ornée, perce la ceinture d'airain qu'il portait comme défense et pour le garantir de la mort. La flèche pénètre dans cette ceinture, qui l'avait tant de fois préservé du trépas, et la pointe du dard effleure légèrement la peau de Ménélas : tout à coup un sang noir s'échappe de la blessure.

[141] Ainsi, lorsqu'une femme de Méonie ou de Carie a coloré de pourpre l'ivoire destiné à la parure des coursiers (cet ivoire, qui, placé dans les appartements et envié par de nombreux cavaliers, est réservé au roi pour devenir à la fois l'ornement des chevaux et la gloire du maure); de même, ô Ménélas, le sang colora tes fortes cuisses et descendit sur tes jambes jusqu'à tes beaux pieds.

[148] Agamemnon, roi des hommes, est saisi d'effroi quand il voit un sang noir couler de la blessure de son frère. L'intrépide Ménélas lui-même frissonne; mais, lorsque celui-ci s'aperçoit que le nerf et les crochets acérés du dard ne sont point entrés dans les chairs, le courage renaît dans son cœur. Le roi Agamemnon pousse un profond soupir; et tenant Ménélas par la main il prend la parole en ces termes au milieu de ses compagnons qui gémissent :

[155] « Ô mon frère chéri, c'est donc ta mort que je jurai par cette alliance lorsque je t'exposai seul à combattre pour les Achéens contre les Troyens! Nos ennemis t'ont blessé, et ils ont foulé aux pieds la foi des serments! Non, ces traités ne seront point stériles, ni le sang des agneaux, ni les libations pures (06), ni la foi scellée par nos mains réunies. Ce que Jupiter Olympien n'accomplit pas maintenant, il l'accomplira dans l'avenir, et les Troyens expieront leur crime, eux, leurs femmes et leurs enfants! Oui, je le sais par mon esprit et je le sens au fond de mon âme, un jour viendra oie périront et la ville sacrée d'Ilion, et Priam, et le peuple de ce roi habile à lancer le javelot. Le fils de Saturne, assis au sommet des cieux, dans les régions éthérées, Jupiter, irrité de cette perfidie, agitera sur nos ennemis sa formidable égide (07); et ces paroles ne seront point vaines. Quelle douleur pour moi si tu succombes, ô Ménélas, et si tu touches au terme fatal de tes jours! II ne me restera plus qu'a retourner dans l'aride Argos; car les Achéens, regrettant alors leur patrie, nous forceront à abandonner l'Argienne Hélène pour qu'elle devienne la gloire de Priam et des Troyens. Toi, mon frère, tes ossements seront consumés par la terre dans les plaines de Troie, sans que nous avons pu terminer nos travaux; et maint orgueilleux Troyen, insultant à la tombe du glorieux Ménélas. dira : - « Puisse Agamemnon assouvir désormais sa colère sur tous ses ennemis, comme naguère il se vengea eu conduisant inutilement une armée en ces lieux ; car il s'en retourna dans sa chère patrie sur des vaisseaux vides, après avoir abandonne le vaillant Ménélas! » - Voila ce qu'on dira un jour! Ah! qu'alors la terre s'entrouvre pour m'engloutir! »

[183] Le blond Ménélas le console par ces paroles :

« Prends courage et ne répands point l'effroi parmi les Achéens; le trait aigu ne m'a pas frappé dans un endroit mortel : le riche baudrier, la cuirasse et la ceinture d'airain que fabriquèrent jadis des ouvriers habiles ont préservé mes jours. »

[188] Le roi Agamemnon lui répond aussitôt :

« Cher Ménélas, plaise aux dieux qu'il eu soit ainsi! Un ils d'Esculape examinera ta blessure, et il y appliquera le remède qui calme les sombres douleurs. »

[192] Puis s'adressant a Talthybius, le divin héraut, il lui dit :

« Talthybius, hâte-toi de conduire en ces lieux Machaon, fils du savant Esculape, afin qu'il se rende auprès du belliqueux Ménélas, chef des Achéens; ce héros vient d'être percé d'une flèche lancée par un habile archer d'entre les Troyens ou d'entre les Lyciens. Hélas! la gloire est pour lui, et pour nous la douleur ! »

[198] Il dit. Le héraut obéit aussitôt à cet ordre , et il parcourt l'armée des Grecs revêtus d'airain, cherchant des yeux l'illustre Machaon: bientôt il l'aperçoit entouré des valeureux Achéens armés de boucliers qui l'ont suis loin des Troyens, où paissent les coursiers; il s'approche de Machaon et lui adresse ces rapides paroles :

[204] « Accours, fils d'Esculape, le roi Agamemnon t'appelle auprès du belliqueux Ménélas, chef des Achéens : ce héros vient d'être percé dune flèche lancée par un habile archer d'entre les Troyens ou d'entre les Lyciens. Hélas! la gloire est pour lui, et pour nous la douleur! »

[208] Ce discours touche vivement le cœur de Machaon. Aussitôt ils se hâtent tous deux de fendre la foule en traversant la vaste armée des Grecs, et ils arrivent à l'endroit où le blond Ménélas a été blessé (autour de lui sont réunis en cercle les plus illustres guerriers; et lui-même, semblable à un dieu, se tient au milieu des chefs). Machaon extrait la dèche du baudrier : les crochets aigus du dard s'y brisent et y restent engagés (08); puis il délie le riche baudrier, la ceinture d'airain et la cuirasse que lui façonnèrent des ouvriers habiles.

[217] Ensuite Machaon visite la blessure où pénétra le trait acéré; il exprime le sang de la plaie; et, en homme expérimenté, il y applique un baume salutaire que Chiron, plein de bienveillance, donna jadis à son père Esculape.

[220] Tandis qu'on s'empresse autour de Ménélas, guerrier à la voix sonore, les phalanges troyennes s'avancent rouvertes de leurs boucliers. Aussitôt les Achéens se revêtent de leurs armes, et ils sont tous enflammés d'une ardeur guerrière.

[223] Alors on n'eût point vu le divin Agamemnon se livrer au repos, ni trembler, ni refuser le combat; mais on l'aurait aperçu se précipitant dans les mêlées terribles qui ennoblissent les guerriers. Il renvoie ses chevaux et son char étincelant d'airain.

[227] Eurymédon, fils de Ptolémée, issu de Piraïs, tient à l'écart les coursiers haletants et impétueux. Atride ordonne à Eurymédon de se placer à ses côtés, si la fatigue accablait ses membres quand lui, le roi, porterait de toutes parts ses ordres souverains. Puis Agamemnon parcourt à pied les rangs des guerriers; il s'approche de tous les Grecs aux chevaux rapides qu'il rencontre pleins d'ardeur, et il exalte par ces paroles le courage des soldats :

[233] « Argiens, ne bannissez point de vos cœurs cette valeur irrésistible! Car Jupiter, le dieu paternel, ne viendra jamais en aide à la perfidie! Les vautours dévoreront les chairs palpitantes de ceux qui, les premiers, ont violé les serments! Et nous, lorsque nous aurons conquis la ville de Priam, nous emmènerons sur nos navires et les épouses chéries des Troyens et leurs petits enfants! »

[240] Mais, tous ceux qui veulent éviter la guerre cruelle, Atride les réprimande avec colère en leur disant :

« Lâches Argiens (09), vils guerriers, n'êtes-vous pas honteux ! Pourquoi restez-vous ainsi glacés d'effroi comme de jeunes faons, qui, après s'être fatigués à parcourir l'immense étendue des plaines, s'arrêtent tout à coup sans force et sans courage? Ainsi vous restez frappés de stupeur et vous ne combattez point. Attendez-vous donc que les Troyens s'avancent jusqu'aux bords de la mer blanchissante, où se trouvent nos navires aux belles poupes, pour voir enfin si le fils de Saturne étendra sur vous sa main protectrice ? »

[250] Agamemnon, exerçant ainsi son autorité, parcourt les phalanges guerrières; et bientôt à travers la foule il arrive près des Crétois: ces peules, rangés autour du belliqueux Idoménée, sont tous revêtus de leurs armes. Semblable à un sanglier par la force, Idoménée paraît au premier rang, et Mérion anime les dernières phalanges. En les apercevant, Agamemnon éprouve une douce joie; aussitôt il adresse à l'un des chefs ces flatteuses paroles :

[257] « Idoménée, parmi les Danaens aux rapides coursiers, je t'honore sans cesse, soit à la guerre, soit en toute entreprise, soit même dans nos festins, lorsque les chefs des Grecs mêlent dans le cratère étincelant le délectable vin d'honneur : les Achéens à la belle chevelure ne prennent que ce qui leur est mesuré ; mais toi, tu as toujours une coupe pleine, et tu peux ainsi que moi boire au gré de tes désirs. Vole aux combats, vaillant Idoménée, et sois tel qu'autrefois tu te glorifiais d'être. »

[265] Idoménée, chef des Crétois, lui répond à son tour :

« Fils d'Atrée, je serai toujours un compagnon fidèle comme je te l'ai promis et juré. Mais anime donc les autres Achéens à la longue chevelure, afin que nous puissions tous nous livrer au combat. Les Troyens ont rompu les traités; eh bien ! que la mort et le deuil soient le partage de ceux qui, les premiers, ont violé leurs serments! »

[272] A ces mots Atride s'éloigne le coeur joyeux; il traverse la foule des guerriers, et il arrive près des Ajax : tous deux sont sous les armes, et une nuée de fantassins suivent leurs pas. Ainsi, lorsque du sommet d'une montagne un pasteur aperçoit un nuage errer sur la mer au souffle du zéphyr, paraître dans le lointain plus noir que la poix elle-même (10) et s'avancer sur les flots en amenant une horrible tempête, il frissonne d'effroi et conduit ses brebis vers une grotte profonde : ainsi, les phalanges, épaisses et sombres, hérissées de boucliers et de lances, et formées de jeunes guerriers nourris par Jupiter (11), marchent avec les deux Ajax au combat meurtrier. En les voyant, le puissant Agamemnon leur adresse ces rapides paroles :

[285] « Ajax, chefs des Grecs revêtus d'airain, je ne vous encouragerai pas (car je n'ai nullement besoin de vous exciter); déjà vous-mêmes vous enflammez votre peuple pour qu'il combatte vaillamment. Que Jupiter, Minerve et Apollon déposent dans le cœur de tous nos guerriers un tel courage, et bientôt tombera la ville de Priam, conquise et renversée par nos mains! »

[292] En disant ces mots, Agamemnon quitte les deux Ajax et se rend vers d'autres guerriers. Il rencontre Nestor, orateur harmonieux de Pylos, qui formait les rangs de ses compagnons et les excitait à la guerre ; près de lui se tiennent le grand Pélagon, Alastor, Chromius, le puissant Hémon et Bias, pasteur de peuples. Nestor met en tête les cavaliers, les chevaux et les chars; derrière eux il dispose de nombreux et vaillants fantassins, remparts des armées; puis il place au milieu les soldats sans courage, afin que, malgré eux, la nécessité les force à combattre. Il s'adresse aux cavaliers; il leur commande de retenir les chevaux et de ne point se porter au hasard dans la mêlée.

[303] « Qu'aucun de vous, dit-il, se fiant dans son adresse à conduire les coursiers et dans sa vaillance au combat, ne se hâte de marcher seul en avant des autres pour attaquer les Troyens; mais aussi que parmi vous aucun ne recule; car vous seriez alors plus faciles à vaincre. Que tous ceux qui aborderont les chars ennemis se portent sur eux la lance en arrêt (12) : c'est le parti le plus sage.  Nos ancêtres, l'âme remplie de prudence et d'ardeur, renversèrent en combattant ainsi les villes et les remparts. »

[310] Ainsi les encourage le vieux Nestor, depuis longtemps habile dans l'art de la guerre. Le puissant Agamemnon se réjouit en le voyant , et il lui adresse ces rapides paroles :

« Ô vieillard, plût au ciel que tes genoux se tinssent aussi fermes et que ta force fût aussi inébranlable que le mâle courage qui réside dans ton cœur! Mais la vieillesse, qui n'épargne personne, t'accable! Ah! que n'est-elle plutôt le partage de tout autre guerrier ; et toi, Nestor, que n'es-tu rangé parmi les plus jeunes! »

Le chevalier Nestor de Gérenie lui répond :

« Fils d'Atrée, moi aussi je voudrais encore être tel que je fus lorsque je tuai le noble Ereuthalion. Mais les dieux n'accordent point aux hommes tous leurs dons à la fois. J'étais jeune alors; maintenant la vieillesse appesantit mes membres. Cependant tel que je suis, je me mêlerai aux cavaliers et je les exciterai par mes conseils et par mes paroles : c'est là, je pense, le partage des vieillards. Nos jeunes guerriers, se fiant à leurs forces, lanceront leurs javelines contre l'armée ennemie; car ils sont tous plus agiles que moi. »

Ainsi parle Nestor. Atride, charmé de ces paroles, poursuit sa route. Il arrive auprès du fils de Pétéus, Ménesthée, dompteur de coursiers, et le trouve debout entouré d'Athéniens, de ce peuple habile dans les combats. Près de Ménesthée se tiennent et Ulysse, fertile en conseils, et les phalanges indomptables des Céphallénniens. Ces guerriers n'avaient point entendu le cri d'alarme; et lorsque, récemment excités, les rangs des Troyens et des Grec se mettaient en mouvement, ils attendaient eux-mêmes dans le repos qu'une autre colonne d'Achéens fondît sur les ennemis et donnât le signal de l'attaque. En les apercevant, Agamemnon roi des hommes, les réprimande en ces termes :

« Ô fils de Pétéus, de ce roi élevé par Jupiter, et toi, guerrier astucieux, fécond en stratagèmes funestes, pourquoi trembler ainsi? Pourquoi vous tenir à l'écart et attendre les autres phalanges? Vous devriez marcher aux premiers rangs et vous précipiter dans les plus ardentes mêlées; car vous êtes toujours appelés les premiers aux festins que les Grecs préparent pour les plus illustres des chefs. II vous semble plus doux de savourer au gré de vos désirs les viandes succulentes et de boire dans vos coupes un vin délicieux. Mais, en ce moment, vous verriez sans doute avec plaisir dix cohortes, armées du fer meurtrier, vous précéder dans les combats. »

Le sage Ulysse, jetant sur Agamemnon un regard courroucé, s'écrie :

« Fils d'Atrée, quelle parole s'est échappée de tes lèvres? Comment oses-tu dire que nous voulons éviter les luttes guerrières? Quand nous livrerons à nos ennemis une bataille sanglante, tu verras alors, si lu le veux, et si tu t'intéresses à mon sort, le père chéri de Télémaque attaquer les premiers les Troyens dompteurs de coursiers. Ainsi, les paroles sont donc vaines! »

Dès que le puissant Agamemnon s'aperçoit de la colère d'Ulysse, il change de langage et lui répond en souriant :

« Noble fils de Laërte, prudent Ulysse, je ne veux ni te blâmer, ni te commander. Je sais que dans ta poitrine bat un cœur animé des meilleurs sentiments; je sais aussi que tu penses toujours comme moi. Allons, nous concilierons cela plus tard : et si j'ai prononcé quelques paroles offensantes, puissent les dieux en effacer le souvenir! »

Ayant ainsi parlé, Agamemnon s'éloigne et dirige ses pas vers d'autres guerriers. Il trouve le fils de Tydée, le magnanime Diomède, debout sur un char richement orné et attelé de superbes coursiers. Près de ce héros se tient Sthénélus, fils de Capanée. En les apercevant, le puissant Agamemnon éclate encore en reproches, et il leur adresse ces rapides paroles :

« Hélas! fils du belliqueux Tydée, dompteur de coursiers, pourquoi trembles-tu? Pourquoi promènes-tu avec crainte tes regards sur le champ du combat ? Certes, ton père ne tremblait pas ainsi. Toujours en avant de ses chers compagnons, Tydée se précipitait sur les phalanges ennemies : c'est du moins ce que racontent ceux qui furent témoins de ses exploits. Quant à moi, je n'ai jamais vu ni rencontré ce héros; mais on assure qu'il l'emportait par sa valeur sur tous les autres guerriers. Il vint autrefois dans Mycènes, sans troupes et comme étranger, avec Polynice semblable à un dieu : ils levaient une armée qu'ils devaient diriger contre les murs sacrés de Thèbes. Les deux héros supplièrent les Mycéniens de leur accorder de vaillants auxiliaires; ces peuples y consentirent, et ils approuvèrent ce qu'ils leur demandaient; mais Jupiter leur fit changer de résolution en leur montrant de funestes présages. Tydée et Polynice partirent donc, et, poursuivant leur route, ils atteignirent bientôt I'Asope bordé de joncs épais et de lits de gazon. C'est alors que les Achéens envoyèrent Tydée à Thèbes comme ambassadeur : ce guerrier s'y rendit et il trouva les nombreux fils de Cadmus s'abandonnant à la joie des festins dans le palais du puissant Étéocle. Là, le brave cavalier Tydée, quoique étranger, quoique seul parmi ces nombreux Thébains, ne se troubla pas : il les provoqua même au combat, et tous furent vaincus par lui, tant Minerve lui était secourable! Les fils de Cadmus, indignés des triomphes de Tydée, placèrent en embuscade, au retour de ce héros, cinquante jeunes guerriers commandés par Méon, fils d'Hémon, semblable aux immortels, et par l'intrépide Lycophonte, fils d'Autophone. Mais Tydée leur prépara une fin ignominieuse : il les extermina tous et n'en laissa qu'un seul retourner dans ses foyers. Le héros Tydée, obéissant aux prodiges des dieux, renvoya Méon dans sa patrie. Tel fut Tydée l'Étolien; il a produit un fils moins prompt à combattre, mais seulement supérieur à lui dans les discours. »

Il dit. Le vaillant Diomède ne répond point; il respecte les amères paroles que vient de lui adresser ce roi vénérable. Mais le fils du glorieux Capanée s'adresse aussitôt à Agamemnon en ces termes :

« Fils d'Atrée, ne mens pas, toi qui sais dire la vérité. Certes, nous nous glorifions d'être de beaucoup plus braves que nos pères. Nous avons pris, nous, la ville de Thèbes aux sept portes en conduisant sous ses murs, consacrés à Mars, une armée moins nombreuse que celle de nos ennemis, et en nous fiant aux prodiges des dieux et à l'appui de Jupiter. Les Thébains, au contraire, périrent victimes de leur propre lâcheté; ainsi, ne place donc pas nos pères sur le même rang que nous. »

Le fort Diomède, lançant un regard sombre au fils de Capanée, lui dit :

« Ami, reste silencieux et obéis à mes paroles. Ce n'est point moi qui blâmerai Agamemnon, pasteur des peuples, d'exciter aux combats les Achéens aux belles cnémides; car la gloire le suivra si ses troupes exterminent les Troyens et si elles s'emparent de la ville sacrée d'Ilion; mais aussi pour lui quel déshonneur si les Achéens succombent ! Marchons donc, et souvenons-nous de notre valeur impétueuse ! »

Il dit; et de son char il saute à terre revêtu de ses armes : l'airain, sur la poitrine du héros qui s'élance, rend un son terrible; et, à ce bruit, le plus intrépide des guerriers eût été saisi d'effroi.
Comme sur un bruyant rivage les vagues de l'Océan, succédant les unes aux autres soulevées par le zéphyr, s'élèvent dans la pleine mer pour aller se briser en mugissant sur la plage, et là, s'amoncelant autour des promontoires, se gonflent et vomissent au loin l'écume blanchissante : de même les phalanges des fils de Danaüs, se succédant les unes aux autres, marchent au combat. Chaque prince commande ses guerriers : ceux-ci le suivent sans prononcer une parole (on ne dirait pas que ces hommes si nombreux ont une voix dans la poitrine), et par ce silences ils respectent les chefs. Les soldats s'avancent en ordre revêtus de leurs armes, qui, richement travaillées, jettent de toutes part un vif éclat. Les Troyens, au contraire, sont comme d'innombrables brebis qui, se laissant extraire de leurs mamelles un lait éclatant de blancheur, poussent dans l'étable d'un homme entouré de richesses de longs bêlements lorsqu'elles entendent la voix de leurs agneaux : telles sont les clameurs confuses qui s'élèvent de la vaste armée des Troyens. Ces peuples ne possédaient ni la même voix, ni le même accent : leur langage était mêlé; car ces guerriers avaient été appelés de divers pays. Là, Mars excite les Troyens à combattre; là, Minerve aux yeux d'azur encourage les Achéens. Partout règnent la Terreur, la Crainte, et l'insatiable Discorde, la sœur et la compagne de l'homicide Dieu de la guerre, la Discorde, qui, faible d'abord, porte ensuite sa tête vers les cieux en appuyant ses pieds sur la terre. C'est elle qui maintenant traverse la foule; c'est elle qui sème parmi les deux peuples une égale fureur (13) afin d'augmenter encore les gémissements des guerriers.
Dès que les deux armées se rencontrent, on voit s'entrechoquer les boucliers, les lances et les guerriers valeureux étincelants d'airain; puis les cônes des solides boucliers (14) se heurtent, [la page 91 manque, je l'ai remplacée par Eugène LASSERRE, Homère, Iliade. Paris, Classiques Garnier, 1955.] un grand tumulte s'éleva.
Alors retentirent à la fois plaintes et cris de triomphe des guerriers frappant ou frappés, et le sang ruisselait sur la terre. Quand des torrents, descendant des montagnes, se mêlent, et jettent ensemble les masses d'eau des grandes sources dans un ravin profond, leur fracas lointain, dans la montagne, arrive aux oreilles du berger; ainsi la mêlée fit naître la clameur et la fuite. Le premier, Antilochos maîtrisa un Troyen casqué qui se distinguait au premier rang, le fils de Thalysias, Echépolos. Il le frappa le premier sur le cimier du casque à crinière, lui perça le front, et traversa l'os avec sa pointe de bronze. L'ombre voila les yeux d'Echépolos, et il s'abattit, ainsi qu'une tour, dans la rude mêlée. Comme il tombait, le saisit par les pieds le puissant Eléphénor, fils de Chalcodon, chef des Abantes au grand cœur; et il le tira de dessous les traits, désirant au plus vite le dépouiller de ses armes; mais court fut son élan. Car, le voyant traîner le cadavre, le magnanime Agénor, au flanc que, comme Eléphénor se courbait, son bouclier découvrait, le blessa de sa pique à pointe de bronze, et désunit ses membres. Ainsi la vie l'abandonna, et sur son corps s'engagea une action terrible entre Troyens et Achéens; comme des loups, ils se jetèrent les uns sur les autres, et le guerrier secouait le guerrier. Là, Ajax fils de Télamon frappa le fils d'Anthémion, le jeune et florissant Simoïsios, que sa mère, descendant de l'Ida, enfanta sur les bords du Simoïs, où elle avait suivi ses parents pour voir leurs troupeaux; aussi l'appela-t-on Simoïsios. Il ne remboursa pas à ses parents le prix de leurs soins : bientôt son existence fut remplie, le magnanime Ajax l'ayant dompté de sa lance.

Simoïsius s'avançait pour combattre, lorsqu'Ajax lui enfonce sa lance dans la poitrine au-dessus de la mamelle droite : la pointe d'airain ressort derrière l'épaule, et le héros roule dans la poussière. - Comme le peuplier uni qui, né sur les bords verdoyants d'un vaste marais, laisse croître à son sommet de nombreux rameaux, et qui, après avoir été coupé par le fer étincelant d'un ouvrier habile pour former les roues d'un char magnifique, gît étendu et desséché sur les rives d'un fleuve : ainsi Simoïsius, fils d'Anthémion, est abattu et dépouillé par Ajax issu de Jupiter. - Un des fils de Priam, Antiphus, couvert d'une cuirasse étincelante (15), lance contre Ajax, à travers la foule, son javelot acéré: il manque le héros: mais le fer atteint dans l'aine un brave compagnon d'Ulysse, Leucos, qui entraînait le corps de Simoïsius, et lui-même tombe auprès du cadavre qui s'échappe de ses mains. Ulysse, irrité, s'élance, à la tête des troupes, armé de l'airain brillant; il s'arrête auprès des Troyens, et, après avoir porté ses regards autour de lui, il fait vider un trait éblouissant. Les ennemis reculent aussitôt; mais Ulysse n'a point en vain lancé sa javeline, car il atteint le fils illégitime de Priam, Démocoon venu d'Abydos où paissent de rapides cavales. Ulysse, furieux de la perte de son ami, enfonce sa lance dans la tempe du Troyen, et la pointe ressort par l'autre tempe. Tout à coup les ténèbres obscurcissent les veux de Démocoon qui tombe avec fracas, et sur son corps retentissent ses armes. Les plus braves d'entre les Troyens, et même l'illustre Hector, reculent épouvantés. Alors les Argiens, poussant de grands cris, entraînent les cadavres et s'avancent avec une nouvelle ardeur dans les rangs ennemis. - Du haut de Pergame Apollon contemple la bataille; mais ce dieu indigné des exploits des Grecs encourage les Troyens en leur criant :

« Avancez donc, Troyens dompteurs de coursiers, et ne cédez point la victoire aux Argiens; car leurs corps ne sont ni de pierre, ni de fer, pour résister à l'airain tranchant! Achille, le fils de Thétis à la belle chevelure, ne combat plus avec eux ; ce héros, assis près de ses navires, nourrit une colère qui lui ronge le cœur. ».

Ainsi du haut de la ville parle le terrible Apollon, tandis que la fille de Jupiter, la glorieuse Tritogénie, anime les Achéens et vole dans tous les rangs où elle soit fléchir le courage des guerriers.
En ce moment la mort enchaîne Diorès, fils d'Amaryncée; il est frappé a la jambe droite, près de la cheville, par une pierre anguleuse que vient de lancer le chef des Thraces, Piroüs, fils d'Imbrase, venu de la ville d'Énos : l'impitoyable pierre déchire les deux nerfs et brise les os. Diorès tombe à la renverse dans la poussière. Ce héros, en tendant les mains à ses chers compagnon, exhale son âme; mais Piroüs, qui l'a blessé, accourt et lui plonge son glaive dans le corps : les entrailles du héros se répandent sur la terre, et les ténèbres de la mort enveloppent ses yeux.
Thoas l'Étolien attaque l'impétueux Piroüs, le blesse de sa lance au-dessus de la mamelle, et l'airain s'enfonce dans le poumon. Alors Thoas s'approche tout près de Piroüs; il arrache le fort javelot, et, tirant son épée, il la lui plonge dans le ventre et lui ôte la vie. Mais Piroüs n'est point dépouillé de ses armes: car ses compagnons, les Thraces aux cheveux relevés (16), l'environnent en agitant de longues lances entre leurs mains ; ce guerriers repoussent Thoas, qui, malgré sa grandeur, sa force et sa vaillance, est contraint de reculer. Ainsi, l'un prés de l'autre, sont étendus dans la poussière Piroüs, chef des Thraces, et Diorès, chef des Epéens aux cuirasses brillantes. Autour d'eux tombèrent encore beaucoup d'autres héros.
Alors tout homme qui, non frappé du glaive ou de la lance, serait venu, guidé par Minerve et préservé par elle de l'impétuosité des traits, parcourir le champ du combat, n'eût osé blâmer l'ardeur des combattants ; car, en ce jour, une foule de Troyens et d'Achéens étaient couchés les uns auprès des autres, le front dans la poussière.


 

(01) Aucun traducteur français n'a compris la véritable signification du verbe εἰσοράω, de ὁράω, ou ὄψομαι (voir), et de εἰς (dedans ). Madame Dacier et Bitaubé disent : les yeux attachés sur la ville et Dugas-Montbel s'éloigne encore plus du sens en disant : en considérant la ville. Voss a très bien  traduit ce passage par : und shaucten nieder auf Troja (du haut, ils regardaient en bas Troie).
(02) Selon les uns, Ἀλαλκομενηίς était une épithète de Minerve, parce que cette déesse avait un temple dans la ville d'Alalcoméne en Béotie ; selon les autres, ce nom, venant
d'ἀλαλκεῖν  (écarter, repousser, protéger), et se trouvant joint au nom de Minerve, signifiait : Minerve protectrice.
(03) Homère dit δαιτὸς ἐΐσης. Nous ne sommes pas de l'avis de Dugas-Montbel,qui, s'appuyant sur l'autorité d'Ernesti, traduit ce passage par mets délicieux; nous pensons, au contraire, que ces deux mots signifient repas égaux, ou pour nous exprimer plus clairement, repas où les mers étaient également partagés. Nous avons pour nous Dübuer. qui contredit Clarke en traduisant
δαιτὸς ἐΐσης par epulis aequis, et Coss, qui dit : des gemeinsamen Malhes (repas communs) MM Thieil et Haliez-d'Arrus ( Dic. des Homérides), au mot ἐΐσος, disent qu'il faut entendre par δάϊς ἐΐση, repas où les portions de chacun sont égales.
(04) Le texte grec porte : μελαινέως ἕρμ’ ὀδυνάων. Knight admet la suppression de ce passage et du vers 117 de ce livre ; il veut qu'on lise tout simplement
« Alors il découvre son carquois et en tire une flèche. »  Dans l'édition de Venise ce vers est marque d'un obel ; la scholie qui n'y rapporte dit qu'il doit être retranché, parce que, sans douve, elle n'a pu expliquer convenablement le mot ἕρμα. - Selon Tobias Damrn, ce mot signifie appui, support (stabilimentum, fulcrum). Ainsi ἕρμα πόληος veut dire rempart de lε ville Le même auteur, passant ensuite ᾿ἕρμ’ ὀδυνάων, traduit ce passage par flèche, aupporτ des douleurs, ou qui inflige des douleurs (sagittam, stabilimentum dolorum, infigens dolores). Samuel Patrick et Dugas-Montbel citent tous deux le mot ἕρμα sans l'expliquer davantage. Maintenant, comment peut-il se taire qu'ἕρμα, qui signifie support, puisse être employé ici pour cause ou pour source ? Le mot ἕρμα , venant de ἐρέιδειν (appuyer), signifie donc appui; or l'on doit entendre par μελαινέων ἕρμ’ ὀδυνάων le support de noires douleur, c'est à-dire la flèche sur laquelle reposent ou qui peut causer de noires douleurs; car, en parlant d'un guerrier, ἕρμα πόληος veut dire appui de la ville, parce que les citoyens d'une ville, se reposant sur ce guerrier, sont certains d'avance qu'il va la défendre comme on est sûr que la flèche va causer des douleurs. Cette espèce de personnification n'est nullement étrangère à Homère, qui dit dans un autre endroit
« Les flèches s'envolent avides de se repaître de chair. » Au reste, pour l'explication de ce passage, nous avons adopté les opinions émises par Bultmann et par MM Theil et Hallez d'Arros. Dübrer traduit très exactement μελαινέων ἕρμ’ ὀδυνάων par : atrorum causam dolorum, et Voss par den Urquell dunkeler Qualen (source de noires douleurs).
(05) Homère dit Διὸς θυγατὴρ ἀγελείη (fille de Jupiter qui amène du butin). Dübner traduit ce passage par Jovis filia pradatrix, et Voss par Zeus siegprangende Tochter (fille de Jupiter, dresse magnifique dans les triomphes). Tous les traducteurs français ont passé l'épithète
ἀγελείη sous silence.
(06)
Σπονδαὶ ἄκρητοι (libations faites d'un vin pur). On offrait aux dieux des libations sans mélange, c'est-à-dire faites avec un vin pur.
(07)
L'égide (ἡ αἰγίς) était le bouclier de Jupiter et le symbole d'une protection puissante. Le mot αἰγίς vient d'αἴξ (chèvre), parce qu'on se servait de la peau des chèvres pour garnir les boucliers. Dans les poèmes d'Homère l'égide signifie tempête, parce que, dit on, elle produisait un bruit terrible quand on l'agitait.
(08) Homère dit : Τοῦ δ’ ἐξελκομένοιο, πάλιν ἄγεν ὀξέες ὄγκοι. Ce passage a été traduit diversement par les versions latines et françaises. Clarke dit : Ea vero dum extraheretur, retro curvati acuti hami. Dübner écrit, au contraire: Ea vero dum extraheretur, retro fracti sunt acuti hami. Voss, adoptant l'opinion de Clarke, traduit ce passage par : Und wie er auszog bogen die spizigen Haken sich rükwarts (et en la retirant, les crochets aigus se recourbent en arrière). Madame Dacier et Bitaubé disent , l'une
« En la tirant, le bois se rompt et le fer demeure engagé par ses crochets; » et l'autre : « En la retirant, les côtés latéraux et acérés de l'arme se recourbent. » Dugas-Montbel est, de tous les traducteurs français, celui qui s'est éloigné le plus du texte grec, en disant ; « Il fait ressortir aussi les crochets serrés. » Nous pensons avec Tobias Damm, Dübner et MM. T'heil et Hallez d'Arros, qu'il faut lire ce vers comme il est traduit dans la Collection des auteurs grecs, et comme nous l'avons rendu plus haut. Les auteurs du Dictionnaire des Homérides, en citant ce passage, disent, au mot ἄγνυμι « Le sens de se replier n'est point applicable ici ; d'ailleurs le Scholiaste explique ἄγεν par ἐάγησαν, ἐκλάσθησαν; aussi bien l'enchaînement des idées exige qu'on l'entende ainsi : « Machaon s'approche de Ménélas blessé, retire la flèche du baudrier; les deux crochets se brisent et y restent engagés , c'est pour les en retirer qu'il délie ensuite ce baudrier. » - (Dict. des Homer., p. 6.)
(09)
Ἀργεῖοι ἰόμωροι, dit Homère. Clarke et Dübner traduisent ce passage par « Argici sagittis-addicti; » madame Dacier dit : « Malheureux, qui ne méritez que d'être les victimes de vos ennemis; » Bitaubé : « Grecs destinés au javelot ennemi ; » et Dugas-Montbel : « Indignes Argiens. » Ce passage n'a pas été parfaitement compris par les traducteurs. Selon nous, Clarke, Dübner, madame Dacier et Bitaubé se sont trompés en adoptant l'opinion de Tobias Damm, lequel auteur ajoute que cette épithète est un opprobre (quasi ad sagittas hostiles damnati ut iis interficiantur). Samuel Patrick donne deux explications de cette épithète, en disant : lanceur, destiné aux flèches (jaculator, jaculis destinatus). Voss semble adopter la première de ces deux explications, en traduisant Ἀργεῖοι ἰόμωροι par: peuple d'Argos, hardi avec les flèches (Argos Volk, pfeilkürhne), et en sous-entendant cette phrase : mais qui n'ose attaquer de près l'ennemi avec l'épée et la lance. Ainsi, d'après l'excellente version allemande, les mots Ἀργεῖοι ἰόμωροι signifient donc lâches argiens, comme nous l'avons traduit plus haut. Nous savons d'ailleurs qu'Homère dit en plusieurs endroits qu'il était beaucoup plus glorieux de combattre avec l'arc qu'avec les autres armes.
(10)
Le texte grec porte :  ἠύτε πίσσα (comme de la poix).
(11) L'épithète de διοτρεφής (nourri ou élevé pa Jupiter) qu'Homère donne à ces jeunes guerriers, est une qualification commune aux princes et aux aux rois.
(12) Il y a dans le texte grec :
Ὅς δέ κ’ ἀνὴρ ἀπὸ ὧν ὀχέων ἕτερ’ ἅρμαθ’ ἵκηται,
Ἔγχει ὀρεξάσθω
Ce passage fort obscur a été rendu d'une manière plus obscure encore par les traducteurs latins, allemands, anglais et français. Eustache donne quatre explications différentes de cette phrase ; Ernesti en ajoute une cinquième, et Heyne une sixième. - Cela dépend sans doute de ce que nous ne possédons aucun traité sur l'art de la guerre des anciens Grecs.
(13) Homère dit νεῖκος ὁμοίϊον (fureur égale). Dübner traduit ce passage par: litem utrinque aequam injecit. Voss dit : Zank zu gemeinsamem Weh (querelle au détriment commun). Certains traducteurs, tels que Dugas-Montbel et Bitaubé), se sont mépris sur le sens du mot ὁμοῖος en le traduisant, le premier par homicide, et le second par fatal. Il est présumable que ces traducteurs ont sous-entendu funeste, et ont expliqué à tort ce passage par également funeste.
(14) Il faut entendre par cône la partie relevée qui occupait extérieurement (la suite qui se trouve page 91 manque)
(15)
Homère dit : Τοῦ δ’ Ἄντιφος αἰολοθώρηξ . Nous traduisons encore cette fois le mot αἴολος par étincelant, comme nous l'avons fait plus haut en expliquant le mot κορυθαιόλος (Iliade. Iiv II, notes). Cependant nous devons dire que nous sommes fâché de nous mettre en opposition avec Voss, qui traduit αἰολοθώρηξ par rasch in dem Panzer (alerte dans la cuirasse), et avec Buttmann (Lexil, t 1, p. 76), qui explique le même mot par : der sich im Panzer leicht bewegt (qui se meut facilement dans la cuirasse). Toutefois nous devons ajouter que le même auteur ne repousse pas entièrement le sens que nous donnons au mot αἴολος; car il fait remarquer très judicieusement qu'en attachant à l'épithète αἰολοθώρηξ„ le sens de mobile, on n'en saurait exclure celui d'étincelant, attendu que tout mouvement rapide paraît en effet étincelant.
(16)
Le texte grec porte Θρήϊκες ἀκρόκομοι (Thraces qui ont les cheveux relevés sur le haut de la tête, ou qui n'en portent que sur le sommet ). Nous avons adopté la première de ces deux explications, et en cela nous sommes d'accord avec Vose, qui traduit ce passage par Thraker mit hochstraubendem Haar (Thraces aux cheveux hautement relevés). Clarke et Dübner adoptent la seconde explication et disent  : Thraces vertice summo-comantes. Nous ne savons vraiment pas comment Bitaubé et Dugas-Montbel ont osé traduire ces deux mots, l'un par : Thraces à la COURTE chevelure, et l'autre par : Thraces au FRONT chevelu, quand madame Dacier avait déjà rendu ce passage par : Thraces qui ne portent des cheveux que sur le sommet de la tête.