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Homère

ILIADE

LIVRE III

 

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LIVRE I

 

chant 2      chant 4

 

texte grec

 

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SERMENT, - COMBAT SINGULIER

ORSQUE, [1] sous les ordres de leurs chefs, ils se sont rangés en bataille, les Troyens s'avancent bruyamment, comme une nuée d'oiseaux faisant entendre de vives clameurs : ainsi s'élève au ciel la voix éclatante des grues, quand elles fuient les hivers et les pluies continuelles ; elles poussent des cris aigus, elles s'envolent au-dessus des flots de l'océan, elles portent aux hommes appelés Pygmées (01) le carnage et la mort, et du haut des airs elles leur livrent de terribles combats. Mais les Achéens, respirant la colère, marchent en silence, et brûlent dans leur coeur de se donner un mutuel appui.

[10] Comme sur le sommet d'une montagne le lotus répand un brouillard épais, redouté des bergers, et plus favorable encore aux voleurs que la nuit même; car alors la vue ne s'étend pas au-dela du jet d'une pierre : de même sous les pieds des guerriers s'élèvent des tourbillons de poussière tandis qu'ils s'avancent et traversent rapidement la plaine.

[15] Dès que les deux armées sont en présence, Pâris (02) aux formes divines se place à la tête des Troyens; il porte à ses épaules une peau de léopard, son arc recourbé et son épée : brandissant deux javelots à la pointe d'airain, il provoque les plus illustres d'entre les Argiens à se mesurer avec lui dans une lutte terrible.

[21] Le belliqueux Ménélas, le voyant s'avancer en avant de l'armée et marcher à grands pas, se réjouit comme un lion affamé qui trouve une magnifique proie, ou un cerf aux cornes élevées, ou une chèvre sauvage, et qui les dévore avec avidité, quoique poursuivi par une meute légère et par une ardente jeunesse : ainsi Mélénas est joyeux lorsque le beau Pâris s'offre à sa vue; car il espère bientôt se venger du coupable. Revêtu de ses armes, il s'élance aussitôt de son char.

[30] Mais, dès que Pâris l'aperçoit dans les premiers rangs, il est frappé d'épouvante au fond du coeur, et il se réfugie parmi ses compagnons pour éviter la mort. Tel, un vovageur apercevant un serpent dans les halliers d'une montagne, recule, saisi de crainte : un tremblement s'empare de ses membres, et il fuit, la pâleur au front. Ainsi se perd dans la foule des fiers Troyens le beau Pâris, redoutant le fils d'Atrée.

[38] Hector, à cette vue, l'accable par ces humiliantes paroles :

« Malheureux Pâris! sois donc fier de ta beauté, maintenant, guerrier efféminé, lâche séducteur! Plût au ciel que tu ne fusses jamais né, ou que tu fusses mort sans hymen ! Certes, je l'aurais préféré : cela valait mieux que d'être aux yeux de tous un objet de honte et de mépris. Ils rient aux éclats les Achéens à la longue chevelure, eux qui te croyaient un vaillant champion, parce que tu possèdes un beau visage; mais tu n'as dans le cœur ni courage ni force! Pourquoi, puisque tu es ainsi, avoir réuni des compagnons fidèles pour traverser les mers sur des vaisseaux rapides; et te mêlant aux nations étrangères, pourquoi avoir enlevé d'une terre lointaine cette femme d'une si grande beauté, l'épouse d'un valeureux héros? Est-ce pour faire le malheur de ton père, de ta cité, de tout un peuple, ou la joie de nos ennemis et ton propre déshonneur ? [52] Que n'attendais-tu le brave Ménélas? Tu saurais maintenant quel est le guerrier dont tu retiens la jeune épouse. Ta lyre, et ces dons de Vénus, et ta chevelure, et ta beauté ne t'eussent point servi lorsque tu aurais été traîné dans la poussière! Mais les Troyens sont trop timides; sans cela tu devrais être déjà revêtu par eux d'un manteau de pierre (03), en punition des maux que tu leur as fait souffrir! »

[58] Pâris aux formes divines lui dit à son tour :

« Hector, tes reproches ne sont point injustes, je les ai mérités; mais ton cœur est toujours indomptable comme la hache qui pénètre le chêne, lorsque, secondant le bras d'un ouvrier habile, elle sépare de sa racine le bois d'un navire : telle est dans ta poitrine ton âme intrépide. Ne me reproche pas les dons aimables de la blonde Vénus : ils ne sont point à rejeter ces nobles présents des dieux, que nous accorde le ciel et que personne n'est le maître de choisir (04). [67] Maintenant, si tu veux que j'affronte la guerre et ses périls, fais ranger à l'instant les Troyens et tous les Grecs, afin qu'au milieu des camps, le vaillant Ménélas et moi nous combattions pour Hélène et pour ses trésors. Le vainqueur, celui qui aura conquis honorablement cette femme et ses richesses, les emmènera dans ses foyers; et les peuples immoleront des victimes pour cimenter une alliance et conclure des traités fidèles. Nous habiterez alors Troie et ses champs fertiles; et les Grecs retourneront à Argos, ville féconde en coursiers, et dans I'Achaïe, renommée pour la beauté de ses femmes. »

[76] A ces mots, Hector, rempli de joie, s'avance entre les deus armées; et, saisissant sa lance par le milieu, il retient les phalanges des Troyens : tous s'arrêtent à l'instant. Mais les Achéens à la longue chevelure dirigent aussitôt leurs flèches contre ce héros, et l'accablent de traits et de pierres. Alors Agamemnon chef des guerriers, s'écrie d'une voix forte :

[82] « Argiens, arrêtez; suspendez vos coups, fils des Achéens ; Hector au casque étincelant (05) semble vouloir nous parler. »

[84] II dit; les Achéens s'arrêtent tout à coup, et deviennent silencieux. Hector, prenant la parole, s'adresse ainsi aux dent armées :

[86] « Troyens, et vous, Grecs aux belles cnémides, écoutez ce que vous propose Pâris, l'auteur de cette guerre. II demande que tous vous déposiez sur la terre fertile vos armes brillantes, et qu'au milieu des camps, lui et l'intrépide Ménélas combattent pour Hélène et pour ses trésors. Le vainqueur, celui qui aura conquis honorablement cette femme et ses richesses, les emmènera dans ses foyers; nous immolerons, nous, des victimes pour cimenter une alliance et conclure des traités fidèles. »

[95] A ces mots, tous gardent un profond silence. Alors le brave Ménélas leur dit :

« Maintenant, écoutez-moi : une vive douleur pénètre mon âme. Je désire que les Grecs et les Troyens se séparent; ils ont souffert assez de maux à cause de ma querelle et de l'attentat de Pâris. Qu'il meure celui de nous deux à qui le destin réserve le trépas; mais que les autres se séparent aussitôt. Troyens, apportez, pour être offerts en sacrifice, un agneau blanc pour le soleil, une brebis noire pour la terre et une autre brebis pour Jupiter. Que Priam lui-même vienne en personne ratifier nos traités ; car ses fils sont infidèles et parjures : nul alors n'osera violer les serments prêtés au maître des dieux. L'esprit des jeunes gens est toujours prompt à changer; mais, quand survient un vieillard, il regarde à la fois dans le passé et dans l'avenir ce qui peut être également avantageux aux deux partis. »

[111] Ainsi parle Ménélas. Les Troyens et les Grecs se réjouissent, espérant terminer bientôt cette guerre funeste; ils retiennent les coursiers dans les rangs, descendent de leurs chars, se dépouillent de leurs armes, et les déposent à terre tout près les unes des autres : un étroit espace séparait les deux armées.

[116] Hector envoie aussitôt dans la ville deux hérauts pour conduire les agneaux et prévenir Priam. Le puissant Agamemnon ordonne à Talthybius d'aller vers les creux navires, et d'amener une victime : le héraut s'empresse d'obéir aux ordres de l'illustre Agamemnon.

[121] Iris se rend près d'Hélène aux bras d'albâtre, sous les traits de la belle-soeur de cette princesse, Laodicée, qui avait épousé le roi Hélicaon, fils d'Anténor, et la première en beauté des filles de Priam. La déesse trouve Hélène dans son palais: elle brodait un long voile de pourpre (06), doublement tissu, et traçait sur ce voile les combats que soutenaient pour elle les Troyens dompteurs de coursiers, et les Grecs revêtus d'airain. La légère Iris s'approche d'elle et lui dit :



 

[130] « Venez ici, nymphe chérie, contempler les faits admirables des Troyens et des Grecs. Naguère ils portaient dans les campagnes toutes les horreurs du carnage, et ils ne respiraient que les combats sanglants. Maintenant, silencieux et immobiles (car la guerre a cessé), ils se tiennent appuyés sur leurs boucliers; et leurs longues lances sont fixées dans la terre. Cependant Pâris et le vaillant Ménélas, armés de forts javelots, vont combattre pour vous, Hélène, et le vainqueur vous nommera la compagne bien aimée de sa couche. »

[139] Ces paroles de la déesse font naître dans le coeur d'Hélène le doux désir de revoir son premier époux, ses parents et sa patrie. Elle se couvre de voiles éclatants de blancheur, et sort du palais en versant des larmes de tendresse. Elle n'est point seule : deux femmes suivent ses pas, Éthra, fille de Pithée, et Clymène aux grands yeux (07) ; bientôt elles arrivent aux portes de Scées.

[146] Là, Priam, Panthoüs, Thymétès, Lampus, Clytius, Hicétaon, rejeton de Mars, et les sages Ucalégon et Anténor, tous anciens du peuple, sont assis au-dessus des portes de Scées ; leur grand âge les éloignait de la guerre ; mais, prudents orateurs, ils discouraient, comme des cigales qui, sur la cime d'un arbre, font entendre dans les forêts une voix mélodieuse (08) : tels sont les chefs troyens assis au sommet de la tour. Lorsqu'ils voient Hélène s'avancer vers eux, ils se disent à voix basse :

[156] « Ce n'est pas sans raison que les Grecs aux belles cnémides et les Troyens supportent, pour une telle femme, de si longues souffrances. Son visage est aussi beau que celui des déesses Immortelles ; malgré cela, cependant, il faut qu'elle s'en retourne sur les vaisseaux achéens, de peur qu'elle ne soit un sujet de ruine pour nous et pour nos enfants. »

[161] Ainsi parlent les vieillards ; mais Priam, élevant la voix, appelle Hélène auprès de lui :

« Puisque tu es venue ici, chère enfant, assieds-toi près de moi, afin que tu aperçoives ton premier époux, tes parents et tes amis (car tu n'es pas la cause de nos malheurs : ce sont les dieux qui ont suscité, de la part des Grecs, cette guerre, source de tant de larmes) ; dis-moi le nom de cet homme imposant, de ce héros achéen si grand et si fort. D'autres, il est vrai, le surpassent par la hauteur de leur taille ; mais jamais je n'ai vu de mes propres feux un guerrier si majestueux et si beau : il ressemble vraiment à un roi. »

[171] Hélène, la plus noble des femmes, lui répond en ces termes :

« Père chéri de Pâris, vous êtes pour moi un objet de respect et de crainte. Plût au ciel que j'eusse reçu la mort le jour où je suivis votre fils, abandonnant le lit nuptial, mes frères, ma fille bien-aimée et les aimables compagnes de ma jeunesse ! Mais il en fut autrement : voilà pourquoi je me consume dans les larmes. Toutefois je vais vous dire ce que vous me demandez. Cet homme est le fils d'Atrée, le puissant Agamemnon, à la fois excellent roi et vaillant guerrier. Avant ma honte je le nommai mon frère; hélas! que ne l'est-il encore! »

[181] Elle dit ; le vieillard, saisi d'admiration, s'écrie :

« Heureux Atride! tu naquis sous de favorables auspices, ô roi fortuné, puisque les nombreux enfants de la Grèce te sont soumis! Jadis je fus dans la Phrygie, contrée fertile en vignes, et la je vis la foule des guerriers phrygiens, habiles à diriger les coursiers, et les peuples d'Otrée et de Mygdon, de Mygdon semblable à un dieu; ils campaient alors sur les rives du Sangarius, et moi, je me trouvais parmi eux, comme allié, quand vinrent les Amazones au mille courage. Mais ces peuples n'étaient pas encore aussi nombreux que tous ces Achéens aux terribles regards. »

[191] Puis apercevant Ulysse, le vieillard interroge une seconde fois Hélène :

« Dis-moi donc aussi, chère enfant, le nom de cet autre guerrier, plus petit qu'Agamemnon, fils d'Atrée, mais dont les épaules et la poitrine ont une plus grande largeur. Ses armes reposent sur la terre fertile ; et lui, comme un bélier, parcourt les rangs des soldats : je le compare au bélier, à l'épaisse toison, qui marche au milieu d'un immense troupeau de brebis blanches. »

[199] Hélène, issue de Jupiter (09), lui répond :

« C'est le fils de Laërte, le sage Ulysse; il fut nourri dans l'île âpre d'Ithaque, et ses ruses sont inepuisables et ses conseils pleins de sagesse. »

[203] Le prudent Anténor l'interrompt tout à coup en ces termes :

« Ô femme, tout ce que tu dis est vrai; car déjà le divin Ulysse et le vaillant Ménélas sont venus ici comme ambassadeurs à cause de toi. Je leur donnai l'hospitalité; je les reçus en amis dans mon palais, et j'appris à connaître leur caractère et leurs sages conseils. Quand tous deux se mêlaient aux Troyens assemblés, Ménélas était d'une taille plus élevée; mais, s'ils s'asseyaient, Ulysse semblait être le plus majestueux. Lorsqu'au milieu de tous, ils se mettaient à haranguer, Ménélas était bref : il parlait peu, mais clairement, avec concision, et jamais il ne s'écartait de son sujet, quoiqu'il fût le plus jeune. Le prudent Ulysse, lui, se levait, et tout a coup il restait immobile, les yeux baissés, les regards attachés à la terre: il tenait son sceptre en repos, sans l'agiter d'aucun côté comrne un être inhabile : on aurait dit un homme saisi de colère ou privé de raison. Mais lorsqu'il laissait échapper de sa poitrine une voix sonore, et que ses paroles se précipitaient comme la neige qui tombe en flocons durant les hivers, alors personne n'eut osé se comparer à Ulysse; et nous, en le contemplant, ce n'était point Iextérieur de ce héros que nous admirions. »

[225] Priam apercevant Ajax, interroge Hélène pour la troisième fois.

« Quel est cet autre guerrier achéen si fort et si grand, qui se distingue parmi tous les autres Argiens et par sa taille élevée et par ses larges épaules? »

[228] Hélène au long voile, et la plus noble des femmes, lui répond :

« C'est le formidable Ajax, le rempart des Achéens. De l'autre côté, parmi les Crétois, se tient Idoménée, semblable à un dieu: autour de lui sont rassemblés les chefs de la Crête. Souvent, lorsqu'il quitta sa patrie, le brave Ménélas lui donna l'hospitalité dans notre palais. - Maintenant j'aperçois beaucoup d'autres Achéens aux regards étincelants, que je reconnais, et dont je pourrais dire les noms. Mais il est deux chefs des peuples que je ne puis découvrir : Castor, habile cavalier, et Pollux, plein de force au pugilat: ce sont mes propres frères, et la même mère nous donna le jour. Est-ce qu'ils n'ont pas suivi l'armée loin de la riante Lacédémone? Peut-être sont-ils venus en ces lieux sur leurs vaisseaux qui sillonnent les mers, et craignent-ils de se mêler aux combats des guerriers, tant ils redoutent et ma honte et mon opprobre »

[243] Elle parlait ainsi; mais déjà ses deux frères étaient ensevelis à Lacédémone, dans la terre fertile de leur douce patrie.


[245] Cependant les hérauts portaient à travers la ville les gages sacrés de l'alliance : deus agneaux, et dans une outre de peau de chèvre le vin délectable, doux fruit de la terre. Le héraut Idaus, chargé d'un brillant cratère et de coupes d'or, se présente devant le vieillard, et l'excite par ces paroles :

[250] « Lève-toi, fils de Laomédon ! Les plus illustres des Troyens dompteurs de coursiers, et des Grecs à la cuirasse d'airain, t'appellent dans la plaine, pour y conclure la paix. Pâris et le vaillant Ménélas, armés de longs javelots, combattront pour Hélène : cette femme et ses nombreux trésors suivront le vainqueur. Puis, après avoir immolé des victimes pour cimenter une alliance et des traités fidèles, nous habiterons Troie à la glèbe fertile: les Grecs retourneront dans Argos, féconde en coursiers, et dans I'Achaïe, renommée pour la beauté de ses femmes. »

[259] Le vieillard frémit à ces mots; cependant il ordonne à ceux de sa suite (10) d'atteler les coursiers : ils obéissent aussitôt. Priam monte dans son superbe char, tire les rênes, et Anténor se place a ses côtés. Tous deux alors, franchissant les portes de Scée, dirigent dans la plaine leurs chevaux agiles.

[264] Lorsqu'ils sont arrivés près des Troyens et des Achéens, ils desrendent de leur char sur la terre nourricière (11), et s'avancent au milieu des deux armées. Au même instant se lèvent Agamemnon, roi des hommes, et le prudent Ulysse. Bientôt les hérauts illustres rassemblent les gages sacrés de l'alliance, mêlent le vin dans le cratère, et répandent une eau pure sur les mains des rois. Le fils d'Atrée s'empare du coutelas, toujours suspendu auprès du fourreau de son glaive, et le tire ; il coupe de la laine sur la tête des agneaux; et les hérauts la distribuent aux chefs des Troyens et des Grecs. Puis Agamemnon prie à haute voix, en élevant ses mains au ciel :

[276] « Jupiter, notre père, toi qui règnes sur l'Ida, ô dieu glorieux et puissant; Soleil, toi qui entends toutes choses, et aux regards duquel rien ne se dérobe: Fleuves, Terre, et vous, DIivinité, qui, dans les enfers, punissez après leur mort les hommes parjures, soyez nos témoins et maintenez nos serments fidèles (12) ! Si Pâris immole Ménélas, il possédera désormais Hélène et ses trésors; et nous, Achéens, nous retournerons dans la Grèce sur nos navires qui sillonnent les mers. Mais, si le blond Ménélas extermine Pâris, les Troyens rendront Hélène et ses richesses; ils paieront aux Grecs un juste tribut, afin que les hommes des siècles à venir en gardent la mémoire. Après la mort de Pâris, si Priam et les fils de Priam refusent de payer cette rançon, je resterai sur ces bords et je combattrai moi-même pour l'obtenir jusqu'au jour où je verrai la fin de la guerre. »

[292] Il dit ; et, armé de son glaive impitoyable, il égorge les agneaux; puis il les dépose palpitants sur la terre, privés du mouvement et de la vie que le fer venait de leur arracher. Tous, ensuite, puisent le vin dans le cratère, le répandent dans les coupes en invoquant les dieux immortels ; et chacun des Troyens et des Achéens prie en ces termes :

« Grand et glorieux Jupiter, et vous, Divinités éternelles, quels que soient les premiers d'entre ces peuples qui violeront ce serment, faites que leurs cervelles et celles de leurs enfants se répandent sur la terre comme ce vin (13), et que leurs femmes soient forcées de s'unir à d'autres! »

[302] Tels étaient leurs voeux ; mais le fils de Saturne ne les exauça point. Alors Priam, fils de Dardanus, leur tient ce discours :

« Écoutez-moi, Troyens, et vous Grecs aux belles cnémides : je retourne dans la haute ville d'Ilion ; car je ne pourrais voir, sons mes yeux, un fils si tendrement chéri combattre le vaillant Netnélas. Jupiter et les dieux immortels savent seuls lequel de ces deux guerriers doit périr. »

[310] Ce héros, semblable à un dieu, s'arrête; puis il place les agneaux sur le char; il y monte ensuite, saisit et retient les rênes; et Anténor se place à ses côtés sur le char magnifique. Tous deux alors s'en retournent vers Ilion.
Hector, fils de Priam, et le célèbre Ulysse mesurent d'abord le terrain; puis ils agitent les sorts (14) dans un casque de bronze, afin de savoir lequel des deux combattants lancerait le premier le javelot d'airain. Les peuples élèvent leurs mains au ciel, et chacun des Troyens et des Achéens adresse cette prière aux dieux :

[320] « Jupiter, notre père, toi qui règnes sur l'Ida, dieu glorieux et puissant, fais que l'auteur de cette guerre descende aujourd'hui dans les sombres demeures, et que la paix et la foi des serments se rétablissent parmi nous ! »

[324] Tandis qu'ils prient ainsi, le grand Hector agite le casque en détournant les yeux, et le sort désigne aussitôt Pâris. Tous les soldats se tiennent immobiles dans les rangs : près d'eux reposent leurs chevaux rapides et leurs armes aux diverses couleurs. Alors le noble Pâris, l'amant d'Hélène à la belle chevelure, se revêt d'une armure brillante. II entoure ses jambes de riches cnémides que fixent des agrafes d'argent; il place sur sa poitrine la cuirasse de son frère Lycaon, qui s'adapte à sa taille, jette sur ses épaules son glaive d'airain orné de clous d'argent, et s'arme d'un vaste et solide bouclier; puis il couvre sa tête robuste d'un casque soigneusement travaillé, ombragé de la crinière d'un coursier et surmonté d'une aigrette aux menaçantes ondulations; enfin, il saisit une forte lance que ses mains soulèvent sans effort. - De son côté le vaillant Ménélas se revêt aussi de ses armes.

[341] Lorsque Pâris et Ménélas se sont armés, ils s'avancent au milieu des deux peuples en se jetant des regards terribles. En les apercevant, les Troyens dompteurs de coursiers et les Achéens aux belles cnémides sont saisis d'effroi. Les combattants s'arrêtent l'un près de l'autre dans l'enceinte mesurée, en agitant leurs lances: et ils sont tous deus animés d'une égale colère. Pâris, le premier, lance son long javelot contre le bouclier circulaire (15) d'Atride sans en rompre l'airain : la pointe seule de la lance se recourbe sur le solide bouclier. Ménélas, le second, lance son javelot en adressant cette prière au père des dieux :

[351] « Jupiter souverain, accorde-moi de punir mon injuste agresseur, l'infâme Pâris (16). Qu'il succombe sous mes mains; et qu'à l'avenir tout homme tremble d'injurier l'hôte qui le recevra avec bienveillance! »

[355] En disant ces mots, il brandit sa longue javeline, la lance avec force et frappe le bouclier arrondi du fils de Priam. Le trait rapide perce le bouclier brillant, pénètre dans la magnifique cuirasse de ce héros et déchire sa tunique près du flanc. Paris s'incline et se dérobe au sombre trépas. Atride tire alors son épée ornée de clous d'argent, la lève et frappe le cimier du casque de son adversaire; mais le fer se brise en trois et quatre éclats, s'échappe de sa main et tombe a ses pieds. Le fils d'Atrée pousse alors un cri de douleur et élève ses regards vers l'immensité des cieux :

[365] « Jupiter, tu es bien de tous les dieux le plus impitoyable ! J'espérais venger bientôt sur Pâris sa lâche perfidie, et mon épée se prise dans mes mains, et ma lance maintenant inutile ne peut l'atteindre! »

[369] Aussitôt il s'élance, saisit le casque a l'épaisse crinière du fils de Priam, et, après s'être retourné, il entraîne son adversaire parmi les Achéens aux belles cnémides : la courroie, richement brodée, qui s'étend sous le menton pour fixer le casque, serre la gorge délicate de Pâris. Sans doute Ménélas, en l'entraînant, allait obtenir une gloire immense si la fille de Jupiter, Vénus, ne s'en fùt aperçue à l'instant et n'eût rompu la courroie, dépouille d'un taureau tué violemment (17): le casque vide suit la main robuste du héros. Celui-ci, en le faisant tourner, le jette au milieu des Achéens, et ses fidèles compagnons le ramassent avec empressement. Ménélas, armé de son javelot d'airain, se précipite de nouveau pour égorger Son ennemi. Mais Vénus, par sa divine puissance, enlève facilement Pâris, l'enveloppe d'un nuage épais et le transporte dans la chambre nuptiale d'où s'exhalent des parfums suaves et odorants. -

 

[383] La déesse court appeler Hélène : elle la trouve sur le sommet de la tour, entourée d'un grand nombre de Troyennes. Alors, la tirant doucement par sa robe embaumée, elle lui parle en prenant les traits d'une femme d'un grand àge, qui la chérissait tendrement, et qui lui préparait avec habileté ses laines superbes lorsque cette princesse résidait encore à Lacédémone. La divine Vénus, s'étant rendue semblable à cette femme, lui dit :

[390] « Venez, suivez-moi; Pâris vous invite à retourner dans le palais. Ce héros, assis sur un lit magnifique (18) dans la chambre nuptiale, est éclatant de beauté et de parure. On ne dirait pas qu'il vient de combattre un guerrier, mais qu'il se rend à une fête, ou que, cessant les danses, il goûte le repos. »

[395] Ces paroles répandent le trouble dans l'àme d'Hélène. Mais dès qu'elle aperçoit le gracieux cou de la déesse, et ce sein charmant et ces veux qui étincellent, elle est frappée de surprise et s'écrie :

[399] « Cruelle Vénus, pourquoi me tromper encore ? Voudrais-tu n'entraîner dans une des populeuses villes, soit de la Phrygie, soit de la riante Méonie où se trouvent quelques humains à la voix articulée que tu chérisses? Est-ce parce qu'aujourd'hui Ménélas, ayant vaincu le noble Pâris, veut ramener dans ses foyers une odieuse épouse, que tu viens ici méditer de nouvelles perfidies? Reste auprès de lui, oublie les voies mystérieuses des dieux, et ne porte plus tes pas vers l'Olympe : toujours à ses côtés garde-le soigneusement jusqu'à ce qu'il consente à te faire son épouse, ou à le choisir pour son esclave ! Je n'irai pas vers lui (car ce serait indigne) pour partager sa couche; les Troyennes me poursuivraient de leur mépris; et déjà mon âme est accablée de chagrin ! »

[413] La divine Vénus, enflammée de colère, lui dit :

« Malheureuse, ne m'irrite pas, de peur que dans mon courroux je ne t'abandonne, et ne te haïsse autant que je t'ai chérie jusqu'à ce jour ! Crains qu'entre ces deux peuples, Troyens et Danaens, je ne suscite des haines funestes, et que tu ne périsses victime d'une affreuse destinée! »

[418] A ces mots, Hélène, issue de Jupiter, est saisie de crainte : elle se couvre en silence d'un voile éclatant de blancheur, se dérobe aux regards des Troyennes, et suit la déesse qui la précède.

[421] Lorsqu'ils sont arrivés dans l'élégante demeure de Pâris, les suivantes d'Hélène se hâtent de retourner à leurs travaux, et la plus noble des femmes monte à la chambre nuptiale. Vénus, aux doux sourire, prend un siège et le place en face de Pâris ; Hélène, la fille du dieu qui tient l'égide, s'y assied ; et, détournant les yeux, elle adresse à son amant ces reproches amers :

[428] « Vous voilà donc revenu du combat! Que n'avez-vous péri, vaincu par ce guerrier vaillant qui fut mon premier époux ! Vous vous vantiez jadis de l'emporter sur l'intrépide Ménélas et par votre courage, et par votre bras, et par votre lance : osez donc encore l'appeler à combattre contre vous ! Mais non, je vous conseille de cesser la guerre. N'affrontez plus témérairement le blond Ménélas dans une lutte obstinée ; car bientôt peut-être vous tomberiez expirant sous les coups de son javelot ! »

[437] Pâris répond à cette prière en disant :

« Chère amante, ne me déchire point le coeur par de cruels reproches! Aujourd'hui Ménélas m'a vaincu avec l'aide de Minene; je puis le vaincre à mon tour; car il y a aussi des dieux pour nous! Mais livrons-nous au plaisir sur cette couche. Jamais tant de passion n'agita mes sens, lors même que pour la première fois je t'enlevai de la riante Lacédémone portée sur mes rapides navires, et que dans l'île de Cranaé nous nous unîmes au sein de l'amour et du sommeil. Maintenant je t'aime encore davantage, et un agréable désir me captive. »

II dit, et se dirige vers la couche nuptiale; son épouse le suit. et tous deux reposent sur un lit magnifiquement sculpté.
Cependant Ménélas, semblable à une bête fauve, se précipite au milieu de la foule pour y découv rir le beau Pâris: mais ni les Troyens ni leurs illustres alliés ne peuvent l'offrir au belliqueux Atride. Aucun d'eux, par amitié, n'aurait osé cacher Pâris. s'il l'eût découvert ; car maintenant il leur était aussi odieux que la mort. - Alors, au milieu d'eux, Agamemnon, roi des hommes. prend la parole et dit :

[456] « Écoutez-moi, Troyens, Dardaniens et alliés : le vaillant Ménélas a remporté la victoire; livrez-nous donc I'argienne Hélène et ses trésors; payez un juste tribut aux Grecs, afin que les hommes des siècles à venir en gardent la mémoire. »

Ainsi parle le fils d'Atrée, et tous les Achéens applaudissent.

(01) Ἀνδράσι Πυγμαίοισι, dit Homère. Les Pygmées etaient des peuples de la Thrace qui n'avaient qu'une coudée de haut. Ils se retiraient dans des trous qu'ils faisaient sous terre, et étaient constamment en guerre avec les grues On dit qu'une armée de ces nains avant attaque Hercule pendant son sommeil, ce dieu, en se reveillant, se mit à rire, et, pour punir les Pygmées de leur audace, il les enferma tous dans la peau de lion qu'il avait sur lui, et les porta ainsi à Eurysthée, roi d'Argos.
(02) Homère donne plus frequemment, dans l'Iliade, le nom d'Alexandre (Ἀλέξανδρος) au fils de Priam que relui de Pâris.
(03)
Nous avons traduit littèralement ce beau passage de l'Iliade : λάϊνον ἔσσο χιτῶνα, c'est-à-dire être lapidé, ou enfermé dans un tombeau ; car le mot χιτῶν signifie tout à la fois vêtement, tunique et enveloppe. Les traducteurs latins ont rendu cette phrase, l'un (Clarke) par : lapideam indutus fuisses tunicam; et l'autre (Dübner) par : lapideam indutus esses tunicam (sepultus esses) Le sens que le second de ces traducteurs donne à la phrase d'Homère n'a pas été généralement adopté. Ainsi, selon Luciens, ce passage voudrait dire être lapidé; car, dans son dialogue des Ressuscités (Reviviscent. t' 1 p. 514), lorsque les philosophes sont près de leur infliger ce supplice, Platon lui dit, en citant les svers d'Homère : « Tu vas revêtir le manteau de pierre. » Cependant, suivant Koeppen (Erklar. anmerk. z. Hom., t. 1, p. 254) et le comte de Choiseuil Gouffler (Voyag. pitt. en Grèce, t. II, P. 245), le passage du poète grec signifierait un tombeau; car, en parlant des monuments funéraires, il dit : « Ceux qu'elevèrent les Grecs sur le rivage de l'Hellespont sont formés de terre; ceux des Troyens, de pierres accumulées. » - Pour mettre tous ces écrivains d'accord, nous pensons qu'il faut, comme nous l'avons fait plus haut, ne donner au mot χιτῶν que la signification d'enveloppe.
(04)
Les Grecs faisaient un très grand cas de la beauté On dit que les habitants d'Egeste décernèrent à Philippe de Crotone, qui était fort beau, les mêmes honneurs qu'à un héros; on éleva un temple sur sa tombe, et un lui offrit des sacrifices.
(05) Homère dit : κορυθαίολος Ἕκτωρ (Hector au casque étincelant ou à l'aigrette mouvante). Madame Dacier ne mentionne pas l'épithète. Bitaubé et Dugas-Monbel traduisent ce passage, l'un par l'INTRÉPIDE Hector, l'autre par le VAILLANT Hector.
(06)  Bitaubé dit : Une grande toile qui avait la blancheur de l'albâtre, en
suivant la signification du mot μαρμαρέην (blanc comme du marbre) des anciennes éditions de l'Iliade, de celles d'Athénée et de Clarke, lequel auteur l'a traduit par splendidam. Mais Wolf et Heyne ont substitué l'épithète πορφυρέην (de pourpre) d'après les bonnes éditions d'Aristarque, de Zénodote et d'Aristophane. Dübner a adopté cette dernière épithète, et l'a rendue par purpuream. - M. Bignan, dans sa belle traduction en vers de l'Iliade (édition de 1834), a traduit ce passage très corrretement par : un voile de pourpre.
(07) Κλυμένη βοῶπις ne veut pas dire au figuré Clymène aux yeux de boeuf; mais Clyméne aux grands yeux, comme l'ont traduit Clarke et Dübner par Clymene magnis-oculis Tobias Damm, dans son Novum Lexicum Graecum (in 4°, 1763), dit, au mot
βοῶπις, grandibus oculis praedita. - Dans l'Iliade, Homère se sert souvent de cette épithète pour désigner Junon et les femmes de haute naissance.
(08) Homère n'est pas le seul qui ait trouve aux cigales une voix mélodieuse ou plutôt une voix douce et délicate, comme le dit l'épithète
λειριόεις, dont se sert le poète. On trouve dans Hésiode :
 « Lorsque le chardon fleurit, et qu'au sommet d'un arbre la cigale harmonieuse fait entendre une douce voix. » Mais, du temps de Virgile, les goûts avaient bien changé: car on lit dans les Géorgiques que les cigales rompent le silence des bois par leurs cris importuns :
Et cantu querulae rumpent arbusta cicadae.
(09)
Homère parle souvent d'Hélène comme étant la fille de Jupiter, sans rien ajouter, ni sur sa généalogie, ni sur sa naissance.
(10)
Il est très probable que le mot ἑταῖρος est employé ici plutôt dans le sens de disciple ou de suivant que dans relui de camarade ou de compagnon.
(11) Nous donnons au mot
πολυβότείρα (nourricière), fém. de πολυβότηρ, sa véritable signification. Madame Dacier et Dugas-Montbel passent tous deux sous silence ce mot et la moitié du vers 265 de ce livre.
(12) Ces paroles d'Agamemnon ne sont pas une fiction poétique, mais une prière qu'on avait coutume d'adresser aux dieux dans les occasions solennelles, et surtout quand on les prenait à témoin de la foi juree. Il faut observer ici l'ordre des idées ; elles embrassaient successivement la nature entière. D'abord on s'adressait à Jupiter, puis au Soleil, aux Fleuves, à la Terre et enfin aux Divinités infernales. Ces gradations n'étaient point un effet du hasard; elles tenaient à de véritables croyances. (Dugas-Montbel, Observ. sur le chant Ill.)
(13) Le texte grec porte : ὧδε σφ’ ἐγκέφαλος χαμάθις ῥέοι, ὡς ὅδε οἶνος, αὐτῶν καὶ τεκέων que Clarke et Dübner ont très exactement traduit par : sic ipsis cerebrum humi fluat, sicut hoc vinum, ipsorum et liberorum. - Ce passage, si énérgique et si simple, a eté rendu ainsi par madame Dacier : «Que tout le sang des premiers qui auront l'audace de violer ce traité soit versé à terre comme ce vin, et non seulement tout leur sang, mais tout celui de leurs enfants.
» Bitaubé, qui avait la prétention de corriger la traduction de madame Dacier, et qui rend, quelques vers plus bas, Achéens, aux belles cnémides par Grecs nés pour les combats, traduit de cette manière le passage glue nous venons de citer : « Si quelqu'un viole une paix si sacrée, que de son crâne brisé sa cenelle soit répandue sur la terre comme ce vin, et que sa race ait le même sort. »
(14) Ces sorts (κλήρους) étaient de petits morceaux de bois ou de pierre marqués d'une manière particulière. Selon Pausanias (IV, c. 3 ), ces sorts étaient les uns en terre cuite, les autres seulement séchés au soleil.
(15) Le texte grec porte :
ἀσπίδα πάντος ἐϊσην (bouclier qui s'étend également de tous les côtés, à partir du milieu, ou arrondi). Selon MM. Theil et Hallez-d'Arros (Dict. des Homérides), le bouclier (ἡ ἀσπίς) etait ordinairement en peau de veau, et il y en avait plusieurs superposées (βοείη, ταρνείη) : par exemple, le bouclier d'Ajax, fils de Telamon, en avait sept qui étaient encore recouvertes d'une lame d'airain Quelquefois le bouclier était tout entier composé de larnes de métal (Il., XII, 293) Il etait rond (εὔκυκλος, IL, V, 797; XIII, 715) et assez grand pour couvrir presque tout le corps (ἀμφιβροτή Il., II, 389; XI, 32); le milieu, nommé ὀμφαλός (d'où l'épithète d'ὀμφαλόεσσα, Il, IV, 448 ; VI, 118), était relevé en bosse et orné de divers symboles. Le bord, ou la garniture de métal ou de cuir qui l'entourait, s'appelait ἄντυξ, et la partie superieure, celle qui était près de l'epaule, était dite πρώτη, XX, 273). Intérieurement, il y avait deux anses ou poignées (κακόνες, Il., VIII, 192; XIII, 406), et une courroie en cuir (τελαμών, Il., V. 796) qui servait, quand on ne combattait pas, à le porter sur le dos.
(16) Homère dit :
δῖον  Ἀλεξάνδρον (divin Alexandre, ou Pâris). L'epithéte δῖος paraît singulière dans la bouche de Ménelas; mais le vers où se trouve ce passage est marqué d'un obel dans l'édition de Venise, et la scholie qui s'y rapporte affirme qu'il doit être retranché; Knigth prétend qu'il est une redondance inutile. Dugas-Montbel fait observer fort judicieusement qu'il ne faut pas attacher d'importance à cette épithète que l'on donnait à tous les rois comme issus de Jupiter. Madame Dacier a passé δῖος sous silence; Clarke l'a traduit par scelestum, Bitaubé par perfide, Degas-Montbel par sacrilège, Dübner par divinum, et M Bignan par infâme.
(17)
Ἡ οἱ ῥῆξεν ἱμάντα βοὸς ἶφι κταμένοιο, mot à mot : qui rompit à lui la courroie d'un boeuf vigoureusement tué, pacte qu'alors on prétendait que le cuir des boeufs tués avec force valait mieux et était plus fort que celui des boeufs morts de maladie. Madame Dacier, Bitaubé et Dugas-Montebel rendent ce vers, la première par : n'eust rompu cette courroie, qui estoit d'une force extraordinaire; le second par: elle rompt la forte courroie, et le troisième par : n'eût rompu la courroie dépouille d'un taureau vigoureux.
(18) Homère dit : δινωτοῖσι λέχεσσιν (lits faits au tour, ou artistement tournés). Les lits des anciens étaient garnis de traverses et de supports arrondis avec le plus grand soin.