Tryphiodore appartient à l'époque de la décadence
des lettres : comme tous les auteurs de cette époque, il était à lu fois grammairien et poète, et plus grammairien que poète. Nous savons peu de détails : Suidas nous apprend qu'il était Égyptien et qu'il avait composé plusieurs poèmes ; il
ne nous reste que leurs noms, qui nous ont été conservés par cet infatigable lexicopgraphe. Ce sont les
Marathonigues, Hippodamie, la Destruction de Troie, et une
Odyssée lipogrammatique, c'est-à-dire que dans chacun des vingt-quatre chants qui la composent, une lettre
de l'alphabet est omise ; l'alpha dans le premier, bêta dans le second, jusques et y compris
l'oméga dans le dernier. Cette disposition bizarre de la langue, cet artifice de formes, cet abus des mots et de leur combinaison caractérisent une époque sans idée et sans talent.
La poésie avait été remplacée par un mécanisme inerte, et par des combinaisons de syllabes. Comme grammairien, Tryphiodore aimait ces jeux pitoyables de l'esprit
; il s'épuisait à les reproduire, et condamnait à cette occupation une intelligence qui avait cependant
quelque valeur. Nous pouvons d'ailleurs, tout en faisant la part du cinquième ou sixième siècle auquel il vivait, juger ce poète par la
Destruction de Troie qui nous reste de lui.
Ce petit poème de six cent quatre-vingt-un vers n'est qu'une esquisse rapide,
un résumé incomplet qui a été utilisé, élargi et fécondé par Virgile au second livre de l'Énéide. Quelque étroit que soit ce cadre, nous devons cependant remarquer quelques traits pleins de vigueur et hardiment colorés.
Ainsi nous pouvons citer un passage dramatique et d'une belle intention. Vénus sous les traits d'une
vieille Troyenne vient révéler à Hélène le complot formé par les Grecs. Elle lui apprend que son mari Ménélas est
au nombre des guerriers enfermés dans le ventre de l'immense cheval. Hélène se précipite aussitôt, elle arrive au temple ou le fatal colosse avait été placé, elle s'approche avec. précaution, elle appelle les guerriers à voix basse, elle essaie
de les charmer en leur parlant de leurs femmes. Ces souvenirs frappent leurs cœurs, ils sont émus, ils fléchissent ; l'un d'eux va parler et se trahir ; tout sera
perdu. Ulysse le prévient et l'étrangle à l'instant. Cette idée est certainement d'une invention fort heureuse,
elle anime l'épisode, elle rattache son action aux passions du cœur humain, elle est dans la nature et par cela même pleine de poésie et
de réalité.
Mais hormis ce passage, Tryphiodore n'offre rien de remarquable : son poème se traîne
avec une froide analyse : il est
sec, mal lié, il manque de vie. L'intérêt n'est nulle part. Le style aurait pu racheter ce défaut, mais le style est à la hauteur de l'idée, il a toutes les imperfections
de ce siècle. Une recherche maladroite est un goût faux. Aussi pendant longtemps Tryphiodore est-il resté inaperçu et ignoré.
Son poème a eu cependant plusieurs éditions, mais leur publicité a été restreinte dans le cercle des érudits. Il
parut d'abord dans les deux premières éditions de Quintus de Smyrne, et dans les diverses collections d'Henri Estienne, de Lectius et
de Néander ; une traduction en a été faite et publiée par Aluth dans ses Nouveaux Mélanges. Elle est bonne, et nous l'avons adoptée avec de très
légères corrections.
ERNEST FALCONNET.
LA PRISE DE TROIE.
Divine Calliope, dis-moi qu'elle fut la fin si longtemps désirée d'une guerre féconde en pénibles
travaux : dis-moi les ruses et les perfidies qu'employa Minerve pour défendre les Grecs qu'elle protégeait. Satisfais mon impatiente curiosité
; ne me cache aucune circonstance ; hâte-toi de chanter cet antique sujet de
discorde ; dis-moi, dis-moi, quelle fut l'issue de tant de combats.
On comptait déjà la dixième année depuis que Bellone exerçait sa fureur contre les Grecs et les Troyens, sans pouvoir se rassasier de carnage. Les lances n'avaient plus de force dans la main des guerriers, fatiguée de
meurtres ; leurs épées ne répandaient plus la terreur ; on n'entendait plus retentir les armures
d'airain ; les baudriers auxquels elles étaient suspendues, étaient près de se
rompre ; à peine les boucliers offraient-ils encore quelque résistance aux traits qui venaient les
frapper ; les arcs avaient perdu leur ressort, les flèches leur rapidité. Les coursiers,
à l'écart, la tête courbée sur la crèche, semblaient déplorer dans l'oisiveté la perte des compagnons de leurs anciens
travaux ; ils regrettaient en vain la triste destinée de leurs guides fidèles. Le fils de Pélée, privé de vie, avait rejoint son cher Patrocle,
le vieux Nestor répandait des larmes sur son fils Antiloque, Ajax, devenu furieux et tournant ses forces contre lui-même, avait rougi le fer homicide
des flots de son propre sang ; les Troyens, désolés en voyant Hector indignement
traîné autour de leurs murailles, n'avaient pas seulement à gémir de leurs
maux ; sensibles aux douleurs des nations étrangères, dont ils avaient emprunté le secours, ils versaient aussi des larmes avec elles. Les Lyciens pleuraient Sarpédon, que sa mère elle-même, enorgueillie des faveurs du maître des dieux, avait jadis envoyé
à Troie, où le fils de Ménétius l'avait frappé du coup mortel ; les Thraces s'attendrissaient sur l'infortune de Rhésus leur chef, surpris au milieu de la nuit dans le temps qu'il était plongé dans un sommeil
funeste ; l'Aurore, accablée de douleur en perdant son fils Memnon, s'était cachée dans un nuage, voulant obscurcir par
là l'éclat du jour qui lui était devenu odieux ; des filles guerrières, venues des bords du Thermodon, où elles ont coutume de se couper l'extrémité de la mamelle, s'affligeaient du trépas de la vaillante Penthésilée leur reine, qui, en arrivant au
camp où tant de peuples divers se trouvaient réunis, s'était signalée en dissipant les bataillons ennemis, forcés de se retirer sous leurs vaisseaux. Achille seul avait pu réprimer ses efforts ; il l'avait frappée de sa lance, et, après lui avoir ôté la vie, il s'était emparé de ses dépouilles, et lui avait rendu les honneurs de la sépulture. Les sacrés remparts d'Ilion n'avaient point encore reçu de brèche
; ses murs, élevés par des mains divines, avaient été posés sur des fondements inébranlables. Les Grecs se plaignaient d'une si longue résistance.
Pallas elle-même, quoique infatigable, déjà prés de succomber sous le poids de ses travaux, n'aurait recueilli aucun fruit de ses sueurs, si le devin Hélénus ne s'était réfugié dans le camp des Grecs, pour n'être pas témoin
à Troie de la flamme adultère de Déiphobe. On eût dit qu'il y était venu pour
soulager la peine de Ménélas, en lui prédisant la ruine tant retardée d'Ilion. Cependant les Argiens, voulant accomplir cet oracle, s'empressèrent de faire leurs préparatifs pour quelque action décisive. Le fils d'Achille et de la belle Déidamie, ayant quitté Scyros sa patrie, si renommée pour la beauté de ses jeunes filles, s'était rendu sous les murs
de Troie. Ce héros, dont les belles joues n'étaient point encore ombragées de poil
follet, montrait déjà dans les combats la valeur de son père ; il apportait aux Grecs une statue de Minerve, qu'il regardait comme inviolable, c'était un don que la déesse
elle-même lui avait fait pour favoriser un peuple qu'elle chérissait. Épéus guidé par les conseils de cette immortelle, s'occupait alors
à construire un cheval d'une grosseur prodigieuse, qui devait faire l'admiration et la désolation des Troyens. Le bois destiné
à cet ouvrage, était descendu des sommets du mont Ida dans la plaine ; il avait été tiré des mêmes forêts qui avaient fourni les vaisseaux
que Phéréclus avait fait construire par les ordres de Pâris ; source infinie de malheurs. Cet habile architecte avait ménagé entre les
côtés de cette énorme machine une cavité pareille à celle que forme l'intérieur d'un vaisseau. II avait mis la plus grande précision dans ce travail. Au-dessus du poitrail s'élevait le cou de l'animal, sur lequel on voyait flotter une crinière, dont le haut était attaché par un
nœud qui formait un ornement au-dessus de sa tête. Deux pierres précieuses, un béril et une améthyste, placées dans chaque orbite, imitaient parfaitement l'éclat des yeux. Le violet et le pourpre se confondant, produisaient une nuance pareille à celle d'un oeil bleu. L'ouvrier n'avait pas négligé de placer dans chaque mâchoire des dents d'argent, qui serraient fortement un mors fait avec beaucoup de soin. Il avait pratiqué une ouverture secrète,
qui venait aboutir à la bouche, et à la faveur de laquelle l'air intérieur, se renouvelant, laissait respirer librement ceux qui devaient se cacher dans le corps de l'animal. Un autre conduit ouvert à travers ses naseaux, était encore destiné à rafraîchir l'air au-dedans. Un voyait s'élever au-dessus de la tête des oreilles qui se redressaient sans cesse, et semblaient attendre le signal du clairon. La tournure du dos était admirable : il allait parfaitement ensemble avec les
flancs, et les cuisses tombaient très naturellement sous la croupe. Une queue superbe descendait, en flottant, jusqu'au bas des jambes, et traînait à
terre ; semblable à une branche de cep qui serpente le long du terrain, où elle est entortillée par ses pampres. Ses pieds se mouvaient très
lentement et très difficilement, leurs articulations n'étant point flexibles, comme elles auraient dû l'être pour exécuter des mouvements rapides. La
manière dont ce cheval avait été construit l'aurait forcé à rester en place, si le génie de l'ouvrier ne lui eût suggéré des ressources. Ses jambes étaient soutenues sur des plaques d'airain, qui lui tenaient lieu de
cornes : leur extrémité était enchâssée dans une brillante écaille de tortue, au moyen de laquelle ses pieds ne touchaient jamais à terre. Une porte et un escalier, ménagés avec art sur le
côté de cette énorme machine, servaient à y introduire les bataillons grecs : au moyen de
cette échelle et de cette ouverture, il était aisé d'y monter, et de se porter au dehors dans le besoin. On
voyait descendre des guirlandes de fleurs le long de son cou, et jusque vers le bout de ses naseaux. Quant
à son mors, il était orné d'ivoire et d'airain incrusté d'argent. Dès qu'Epéus eut achevé de construire ce cheval, qui devait être si funeste aux Troyens, il lui posa les jambes sur des roues, afin qu'on prit le traîner dans la campagne, et qu'il n'opposât pas une trop grande résistance aux ennemis, lorsqu'ils voudraient le faire entrer dans leurs murs. Tel était cet animal de prodigieuse structure. Il répandait autour de lui l'admiration et l'effroi : s'il eût été possible de l'animer, le dieu Mars lui-même, qui se plaît à combattre
à cheval, n'aurait pas refusé de monter celui-là. L'architecte avait élevé une grande muraille, dont l'enceinte lui avait servi d'atelier, afin qu'aucun des Grecs ne se doutât de son stratagème, et n'en prévint l'effet, en livrant aux flammes un ouvrage aussi parfait.
Cependant les chefs de l'armée grecque, se dérobant au tumulte et aux cris de leurs soldats pressés du désir de combattre, s'étaient rendus au conseil convoqué auprès du vaisseau d'Agamemnon. La belliqueuse
Minerve ayant pris la forme d'un héraut, y était venue aussi pour assister Ulysse de ses conseils. En effet elle prêta un tel charme à ses discours qu'on eût dit que le plus doux nectar découlait de sa bouche. Ce héros, s'abandonnant aux inspirations de la déesse, parut d'abord immobile. Il tenait les yeux fixés contre terre, comme un homme privé de
sens ; mais bientôt, donnant un libre cours à ses paroles, il tonna dans l'assemblée. Ses auditeurs, entraînés par le doux torrent de son éloquence, croyaient voir tomber du haut des monts une source sacrée
:
"Amis, s'écria-t-il, c'en est fait et tout est peut pour l'exécution de notre stratagème.
Ce sont, à la vérité, des mains mortelles qui ont achevé l'entreprise, mais Minerve elle-même en a conçu l'idée. Sans doute vous n'hésiterez pas à me suivre, vous qu'on vit toujours remplis de confiance en vos propres forces, et qui de tout temps fûtes animés du courage le plus intrépide et que rien ne peut abattre.
Il serait honteux qu'on nous vît retenus plus longtemps sur ce rivage, faisant de vains efforts et vieillissant dans des travaux inutiles. Vivons pour terminer une glorieuse conquête, ou mourons, s'il le faut, pour nous soustraire à l'ignominie. Tous les présages ne
sont-ils pas pour nous contre nos ennemis ? Rappelez-vous cet oiseau que vous vites sur un platane, cherchant à défendre
sa couvée contre un vieux dragon qui dévora la mère et ses petits à peine éclos. Si Calcas vous a annoncé la volonté des dieux, enfin s'il faut
en croire le devin Hélénus qui vient de passer dans notre camp, tout nous promet une victoire prochaine. Croyez-en donc mes avis et ne perdons pas de temps à nous placer dans le
ventre du cheval. Que les Troyens, séduits par la ruse d'une vaillante déesse et courant eux-mêmes au-devant de leur perte, puissent bientôt introduire dans leur cité la cause de leur
ruine. Que ceux qui ne pourront nous suivre mettent le feu à nos tentes, et qu'après avoir réparé nos vaisseaux pour leur départ, ils s'éloignent des bords d'Ilion, en feignant de faire
route vers leur patrie, jusqu'à ce qu'ils aperçoivent de quelque rivage voisin des feux allumés sur les hauteurs pour les avertir de
revenir sur leurs pas. Surtout qu'à ce signal vos rameurs ne ralentissent point leurs efforts. Gardez-vous de ces terreurs que la nuit fait
naître quelquefois dans les cœurs timides. Conservez précieusement le sentiment respectable
de votre ancienne valeur, et que nul de vous, en souillant sa gloire, ne perde le prix de ses travaux lorsque vous toucherez au moment de
remporter les dépouilles de l'ennemi."
A ces mots, Ulysse sortit de l'assemblée. Le divin Néoptolème, cédant à ses sages avis, fut le premier à le suivre. Tel on voit un jeune courser précipiter ses pas dans la campagne encore humide de rosée
; fier des nouveaux ornements dont on vient de le parer, il s'élance sans attendre les coups de fouet ou les menaces de
son maître. Le fils de Tydée, Diomède, marche sur les traces de Néoptolème et s'étonne de retrouver sitôt en lui le généreux Achille. Cyanippe vient après lui, Cyanippe, issu d'un sang illustre par Cométho sa mère, qui jadis avait
été unie par l'hymen à Tydée, après la mort duquel elle se donna au brave Égiale dont la perte lui coûta bientôt de nouveaux regrets. La paissance de ce héros fut le fruit de ce second hyménée. Ménélas se leva aussitôt après. Il était transporté de
rage, et dans sa fureur il souhaitait ardemment de rencontrer Déiphobe, le dernier ravisseur d'Hélène, pour venger sur lui
son déshonneur. L'impétueux fils d'Oïlée, Ajax le Locrien, suivait ses pas : il était encore dans
son bon sens et Cassandre n'avait point encore essuyé l'outrage qu'il lui fit dans la suite.
Ce héros entraînait avec lui Idoménée, roi de Crète, prince d'un âge mûr et dont les cheveux étaient à demi blanchis par les années. Le vaillant Thrasymède, fils de Nestor, et Teucer,
fils de Télamon, dont les traits, quoique lancés de loin, atteignaient toujours le but, marchaient avec eux. On voyait accourir à leur suite Eumélus et Calcas l'interprète des dieux, qui prévoyait déjà que les Grecs, parvenus au terme de leurs fatigues, allaient se rendre
maîtres de Troie, à l'aide de la fatale machine qui devait les y porter. Démophon et Acamas, tous deux fils de Thésée, jaloux de se signaler dans cette expédition, voulurent aussi en être : cette faveur leur fut accordée de
même qu'à Anticlus, roi d'Ortigie. Ce dernier étant mort dans les flancs du cheval, les Grecs le pleurèrent et lui rendirent les derniers devoirs avant que d'en sortir. Pénélée, Mégés, le brave Antiphate et les deux fils de Pélias, Amphidamas et Eurydamas, dont le premier portait toujours son arc avec lui, accompagnèrent les autres héros. Épéus fut le dernier à monter dans celte machine qu'il avait construite avec tant d'habileté.
Tous ces guerriers ayant adressé leur prière à la déesse aux yeux bleus, dont Jupiter est le père, précipitaient leurs pas vers le cheval d'invention divine, destiné à les recevoir. Minerve propice à leurs
vœux, les pourvut de nectar et d'ambroisie dont les dieux se nourrissent, de crainte qu'étant sans cesse occupés du piège qu'ils tendaient à leurs ennemis, ils ne songeassent point à se prémunir contre la faim. Ainsi qu'on voit, après la saison des
frimas, les nues portées rapidement par des vents orageux, couvrir les champs de flocons de neige qui condensent l'air en
tombant ; lorsque ces neiges fondues descendent des montagnes en torrent, les
bêtes sauvages, effrayées à l'approche de ces bruyantes eaux, fuient au-devant d'elles, elles sautent légèrement d'une éminence à l'autre, jusqu'à ce qu'elles se soient tapies dans le creux de quelque rocher,
où, couchées sur leurs membres palpitants, elles attendent en silence que les flots impétueux se soient écoulés. Ainsi les Grecs se portant avec ardeur, chacun à son poste, dans le ventre du cheval, se montraient infatigables. Ulysse, à qui l'on avait confié la garde de la porte, eut grand soin de la fermer dès que les flancs du cheval eurent reçu tous ceux qui devaient y entrer. II se plaça sur une
hauteur pour être plus à portée de découvrir au loin. Les Atrides avaient déjà donné leurs ordres pour qu'on employât des ouvriers de l'armée à démolir la muraille derrière laquelle était caché le
chef-d'œuvre d'Epeus, Ulysse fut aussi d'avis de le mettre à découvert, afin qu'étant aperçu de plus loin, il attirât les regards de tous ceux qui seraient à portée de juger de la beauté de ses proportions. En conséquence la démolition ordonnée par le roi des rois fut exécutée. Dès que le soleil précipitant ses rayons dans l'Océan, eut fait place à la nuit, on entendit des hérauts publier dans le camp, qu'il fallait délier les cordages qui retenaient les vaisseaux à terre, et qu'après avoir porté la flamme dans les retranchements et détruit les tentes qui y étaient dressées, on devait s'éloigner du rivage troyen. Déjà les Grecs traversaient les flots où se précipita jadis la fille
d'Athamas ; ils ne laissaient derrière eux que le perfide Sinon qui, pour mieux tromper
l'ennemi et le perdre plus sûrement, s'était lui-même meurtri de coups. Tel on voit un rusé chasseur se tapir à l'écart entre des branches touffues, tandis que ses compagnons dressent leurs filets autour d'une enceinte plantée de
pieux ; il ne pense pas que sa proie puisse lui échapper ; il guette en silence, et
l'œil toujours fixé vers le piège, il observe attentivement tous les animaux qui viennent s'y rendre : tel le malheureux Sinon, s'étant impitoyablement déchiré le corps, méditait la ruine des Troyens. Le sang qui sortait de ses blessures ruisselait le long de son dos.
Cependant la flamme ravageant les tentes des Grecs, brillait au milieu des ténèbres de la nuit, on la voyait s'élancer avec impétuosité, et vomir des tourbillons de fumée. Le dieu dont les feux exercent au loin leur fracas, Vulcain
lui-même présidait à cet incendie, c'était lui qui portait dans tout le camp l'élément destructeur ; la déesse sa mère excitait
l'ardeur des flammes par son souffle divin. L'aurore n'était pas loin de paraître lorsque la renommée qui ne sait rien taire, vint répandre la terreur dans l'esprit des Troyens et de leurs épouses, en leur montrant les torrents de fumée qui s'élevaient dans l'air. A l'instant ils se rendirent en
hâte hors de leurs portes. Bientôt la campagne fut couverte de gens à pied et à cheval, cherchant à reconnaître si ce qu'ils voyaient n'était point une ruse de la part des Grecs. Les
uns, traînés dans leurs chariots par d'agiles mulets, accompagnaient hors des murs leur roi
Priam ; les vieillards ranimés à la vue de ceux de leurs enfants qui avaient échappé à la fureur de Mars, accouraient en diligence malgré la pesanteur de l'âge ; ils se promettaient enfin de voir couler le reste de leurs jours dans une heureuse liberté. Mais hélas
! leur joie ne devait pas durer longtemps, et les décrets de Jupiter étaient près de s'accomplir.
Les Troyens n'eurent pas plutôt aperçu le cheval de merveilleuse structure, qu'ils se rassemblèrent autour de lui pour le considérer. Ils ne pouvaient se lasser de se récrier sur la beauté de ce
chef-d'œuvre : telle on voit une troupe de geais faire retentir l'air de leurs cris, à l'aspect d'un aigle qui plane au-dessus d'eux, et dont la force les étonne. Dans l'admiration dont les Troyens sont saisis, ils forment mille projets aussi légers qu'absurdes, sans savoir auquel s'arrêter. Ceux-ci rebutés d'une guerre qui les a épuisés, et détestant une machine qui est
l'ouvrage de leurs ennemis, veulent qu'on la précipite du haut des rochers les plus élevés, ou qu'elle soit détruite par le tranchant de la hache : ceux-là espérant tirer quelque parti d'un
chef-d'œuvre aussi parfait, et désirant de le conserver, veulent en faire une offrande aux immortels, et le suspendre aux voûtes de leurs temples, où il deviendra peut-être dans la suite le sujet de nouvelles hostilités, si les Grecs sont tentés de le reprendre.
Tandis qu'on délibérait sur ces divers expédients, on vit paraître dans la campagne un misérable couvert de plaies, et dont aucun vêtement ne cachait l'affreuse nudité : les meurtrissures qui paraissaient à la surface de son corps étaient les marques d'autant de coups de fouet donnés avec force. Il s'approcha, et se
voyant à portée de Priam, il se jeta à ses pieds, lui tendit des mains suppliantes, et après avoir embrassé les genoux du vieillard, il implora sa clémence en lui adressant ce discours artificieux :
"Illustre héritier du trône de Dardanus, si tu daignes prendre en pitié un malheureux qui a passé les mers avec les Grecs, pour aborder en ces lieux, tu sauveras la vie à un homme destiné à être le libérateur des Troyens et de leur ville, en un mot, à l'ennemi mortel des Grecs. Vois en quel horrible état ils m'ont mis
: sans doute ils craignent peu la vengeance céleste. Hélas ! que leur avais-je fait pour me traiter si
indignement ? Mais ce n'est pas la première injustice dont ils se sont rendus coupables. N'ont-ils pas commis la plus noire ingratitude en enlevant à Achille le prix de son courage
? Philoctète, abandonné par eux dans une île déserte, n'a-t-il pas éprouvé toute leur perfidie
? Palamède enfin n'est-il pas tombé sous leurs coups, victime d'une basse
jalousie ? Que de tourments, ô ciel ! ces barbares m'ont fait souffrir, et cela, parce que j'ai refusé de m'en retourner avec eux, et que j'ai taché de persuader à mes compagnons de ne point quitter ce rivage. Les cruels ont suivi les conseils des plus jeunes d'entre
eux ; ils m'ont battu sans pitié ; après m'avoir dépouillé ils m'ont horriblement écorché à coups de
lanières, et ils m'ont laissé sur une terre étrangère. Prince fortuné,
sois toujours l'imitateur fidèle du maître des dieux, de cet auguste protecteur des malheureux réduits à
l'état de suppliants. Quel triomphe pour les Grecs si tu permettais aux Troyens de violer en ma personne les droits de l'infortune et
de l'hospitalité ! Daigne m'accueillir et je le promets que lu n'auras point à craindre de la part
des Grecs de nouvelles hostilités."
Il dit, et le vieillard cherchait à le rassurer, en lui parlant du ton le plus affable :
"Ami, lui dit-il, pourrais-tu encore éprouver des alarmes au milieu de nous, et lorsque tu n'as plus aucune injure à redouter de la part des
Grecs ? Tu seras désormais notre ami, et ce titre seul te tiendra lieu de patrie et de biens. Mais de grâce, dis-moi
à quoi bon cette admirable machine ? Dans quelle vue a-t-on construit cet énorme cheval, dont le seul aspect inspire une surprise mêlée
d'effroi ? Apprends-moi ton nom, ta naissance, que je sache enfin d'où sont partis les vaisseaux qui t'ont conduit sur ces bords."
L'étranger, toujours fécond en ruses et feignant de prendre courage, repartit
ainsi : "Je répondrai à toutes tes questions, puisque tu me l'ordonnes. J'ai reçu le jour dans Argos, et je me nomme Sinon. Aésimus, un mortel blanchi par les années, est mon père. C'est au génie d'Epéus que les Grecs doivent l'invention de ce cheval,
que d'anciens oracles leur avaient promis. Sache que les dieux ont arrêté que si vous le laissez dans la campagne, Troie doit tomber
au pouvoir des Grecs : si Pallas au contraire le reçoit dans son temple comme un hommage rendu
à sa divinité, vos ennemis s'enfuiront, honteux d'avoir fait jusqu'ici d'inutiles efforts. Ne perdez donc point de
temps ; entortillez des chaînes autour de cette fatale machine, et conduisez-la ainsi dans votre citadelle, dont l'enceinte est si chère à la déesse des combats."
Dès qu'il eut achevé ces mots, le roi lui fil apporter des vêtements, et lui ordonna de s'en couvrir. Cependant les Troyens, ayant passé des bandes de cuir et de fortes chaînes autour du corps du cheval le traînaient dans la campagne,
à l'aide des roues sur lesquelles il était monté. Ils ignoraient qu'il portait dans ses flancs l'élite des héros grecs. Des joueurs de
flûte et de luth, rassemblés au-devant de lui, faisaient retentir l'air de leurs concerts. Hélas
! misérables humains, que nos vues sont bornées ! Un nuage épais nous dérobe
l'avenir : séduits par de vains transports, nous courons souvent sans le savoir
à notre ruine. Ainsi le plus terrible fléau menaçait les Troyens, et eux-mêmes
allaient l'introduire clans leurs portes. Ils avaient cueilli toutes les fleurs des bords du Simoïs, et ils couronnaient déjà de guirlandes le cheval auquel le destin avait attaché leur perte. La terre gémissait sous le poids de l'airain dont les roues étaient entourées
; l'essieu, surchargé d'un poids énorme, criait horriblement ; l'on entendait craquer le bois assemblé avec un art infini ; la chaîne qui traînait
à terre, et qui y formait plusieurs circonvolutions, élevait des tourbillons de poussière dont l'air était
obscurci ; les cris de la multitude employée à traîner cette machine, faisaient un bruit épouvantable.
Les Hamadryades du mont Ida firent en cet instant retentir les bois de leurs gémissements
; le Xanthe désespéré roula ses eaux avec plus de fracas ; l'on entendit le Simoïs
à son embouchure pousser des cris affreux ; enfin Jupiter, embouchant la trompette céleste, annonçait l'approche de la guerre.
Cependant les Troyens avançaient toujours, traînant après eux l'auteur de leur ruine. Les inégalités du terrain et les rivières qu'il fallait traverser, leur rendaient le chemin très
pénible : malgré ces obstacles, le cheval les suivait aux autels de Pallas. II semblait s'enorgueillir de ce qu'il devait en
être l'ornement. La déesse, frappant de sa main divine la croupe de l'animal, augmentait la rapidité de sa marche
:
aussi franchissait-il l'espace plus promptement qu'une flèche. II atteignit aisément ses conducteurs, quelque précipitée que fût leur marche. On ne le vit pas prendre un instant de relâche, jusqu'à ce qu'il fût rendu sous les murs de Troie.
Les portes n'étaient pas assez larges pour le recevoir ; mais Junon accourut, et lui en rendit l'accès facile. Neptune, assis au haut des tours d'Ilion, enfonça les portes d'un coup de son trident, et lui en ouvrit l'entrée. Aussitôt les femmes troyennes, accourant des divers quartiers de
la ville, se rassemblèrent autour de cette merveille. Les vierges, les jeunes filles dont la main était déjà promise, celles enfin qui joignaient au
titre d'épouse celui de mère, toutes exprimaient leur joie par leurs chants et par leurs danses. Les
unes apportaient des tapis brodés, pour en parer ce superbe cheval et le mettre à
couvert ; d'autres, déliant leurs riches ceintures, afin de pouvoir agir plus librement, l'entouraient de guirlandes qu'elles avaient
tressées elles-mêmes ; l'une d'entre elles, faisant servir à des libations la liqueur renfermée dans un très
grand tonneau, en laissa couler un vin exquis, mêlé d'une infusion de safran doré. La terre ainsi abreuvée exhalait une odeur délicieuse. Les cris des femmes répondaient
à ceux des hommes ; les enfants mêlaient leurs voix aiguës aux sons débiles que poussaient les vieillards. Comme on voit des grues arriver en troupes des rivages situés par delà le vaste Océan, ces filles de l'hiver annoncent leur venue par les cris qu'elles font entendre au haut des
airs ; elles planent, et, disposées en rond, elles gardent toujours un ordre
admirable : le laboureur affligé du retour des frimas se désole en les voyant. Ainsi les Troyens, assemblés en tumulte
au-devant de leurs portes, amenaient un cheval qui portait dans ses flancs des
bataillons ; ils allaient le déposer dans leur citadelle.
Dans ces entrefaites, Cassandre, agitée par l'esprit prophétique, et ne pouvant plus demeurer renfermée dans son appartement, en avait brisé la porte, et courait au dehors. Telle on voit une génisse piquée par un insecte, vrai fléau de son espèce, s'élancer avec légèreté
: c'est en vain que le berger attend son retour ; elle n'entend plus sa voix qui l'appelle, elle a oublié ses pâturages qu'elle aimait
tant ; depuis qu'elle a senti l'aiguillon de son ennemi, elle a fui loin de ses parcs. Telle la fille de Priam, en proie au trait dont elle était déchirée en découvrant un avenir fâcheux, agitait le laurier sacré
; elle remplissait la ville de ses hurlements. Ni ce qu'elle doit au rang illustre dont elle est issue, ni ce qu'elle doit
à ses amis, rien ne peut la retenir ; elle a perdu jusqu'au sentiment de la pudeur, si cher
à son sexe. L'excès de fureur auquel elle est livrée est pire que l'état de ces femmes thraces qui, troublées par le son des
flûtes de Bacchus, lorsqu'il court sur les montagnes, et ressentant toute la rage que ce dieu sait inspirer, restent immobiles, sans que rien puisse détourner leurs regards de l'objet sur lequel ils se sont fixés
: on les voit secouer leur tête dépouillée de tout ornement, et ceinte uniquement d'une bandelette de lierre attachée par un
cordon ; ainsi Cassandre, conduite par son délire, errait çà et là. Souvent dans les accès de son désespoir elle s'arrachait les cheveux, et déchirant sa poitrine elle jetait des cris
effroyables : "Insensés que vous êtes, dit-elle en s'adressant aux Troyens, quelle fureur aveugle vous a fait conduire dans vos portes ce cheval, ouvrage de la perfidie ? pourquoi vous précipiter ainsi dans la nuit éternelle
? c'est a la mort que vous aurez ; un sommeil funeste va fermer vos yeux pour jamais. Ne voyez-vous pas que vos ennemis sont campés dans celle prodigieuse
machine ? C'est à cette heure que vont s'accomplir les tristes visions qui ont troublé le
repos d'Hécube. Rien ne s'opposera désormais aux efforts de nos ennemis ; ils touchent
l'exécution de leur entreprise, et leurs succès vont terminer la guerre. Un bataillon de héros grecs est prêt â fondre sur nous, ils n'attendent qu'une nuit obscure pour sortir des flancs où ils sont renfermés, ils
brûlent de descendre à terre pour nous livrer combat. Malgré les ténèbres, nous versons briller le fer homicide levé contre nous. Avec quelle ardeur ces braves guerriers vont s'élancer dans la mêlée
! Vos femmes, alarmées à l'aspect de tant de soldats issus du ventre du cheval, s'enfuiront et ne pourront tenir contre une semblable multitude. La déesse qui a conçu le plan de cette machine la délivrera du poids dont elle est surchargée
; Pallas elle-même, qui se plait à désoler les cités, favorisera cette espèce d'enfantement
qui doit nous coûter tant de larmes. Je vois déjà les flots de notre sang rejaillir sur nos meurtriers ; ils se repaissent de carnage. Les femmes enveloppées dans le malheur commun
sont chargées de fers. Un feu dévorant s'est glissé dans nos murs, c'est du sein du cheval qu'il est sorti. Hélas, malheureuse
Cassandre ! hélas, chère patrie ! tu vas être réduite en poussière. L'ouvrage des dieux va périr
: des murs qu'ils ont bâtis eux-mêmes, et que Laomédon fonda jadis, sont près d'être renversés. O mon
père ! je gémis d'avance sur tes malheurs et sur ceux d'une reine infortunée
; une chute affreuse t'attend. Couché désormais aux pieds des autels que tu as élevés dans ton palais au grand Jupiter, tu n'auras plus d'autre ressource
(que de l'implorer. Et toi, mère trop féconde, d'autres humiliations te sont réservées. Après
avoir vu massacrer tes enfants, les dieux t'ôteront la figure humaine, pour te changer en une
bête furieuse. Polixène ma sœur, mes larmes te suivront dans le tombeau qu'on t'aura élevé aux environs de Troie. Fassent les dieux qu'un de nos vainqueurs, sensible
à la peine que m'aura causée la perte, daigne m'immoler à sa fureur, et joindre ainsi mes cendres aux tiennes. Hélas
! ma mort ne sera pour Agamemnon qu'un faible dédommagement de tant de fatigues essuyées pour nous perdre. Ouvrez enfin les yeux et dissipez un nuage que le destin ennemi répand autour de vous pour vous égarer. Que ce cheval qui porte tant de héros
dans ses flancs, tombe sous l'effort de la hache, où qu'il périsse dans les flammes, et que les Grecs
qui s'y sont cachés y trouvent un bûcher digne prix de leur perfidie. Lorsque vous vous serez ainsi vengés, les festins, les danses, tous les plaisirs vous seront permis, après avoir fait
des libations aux dieux qui nous auront rendu la liberté, l'objet de vos vœux les plus doux,"
Elle parla ainsi, sans qu'on ajoutât foi à ses discours. Apollon qui lui avait accordé le don de prévoir l'avenir, avait fait en sorte que personne ne croyait
à ses oracles. Priam qui l'entendit, ne lui répondit que par les reproches les plus
amers : "Quelle audace, quelle impudence est la tienne, lui dit-il, et quel mauvais génie te porte encore aujourd'hui
à nous annoncer des malheurs ? c'est en vain que tu nous révèles tes oracles. La fureur qui s'est emparée de ton esprit, ne s'est donc point calmée, et ta langue ne se contiendra jamais
? Tu t'affliges de notre bonheur, et tu nous prédis notre ruine, au moment même où Jupiter fait briller
à nos yeux l'espoir de la liberté, lorsqu'il vient de dissiper les vaisseaux
ennemis ! On ne voit plus les lances agitées dans la main des guerriers, les arcs restent détendus, on n'entend plus le cliquetis des épées ni le sifflement des flèches ; des exercices plus doux, la danse et le
chant, sont le signal de notre victoire. Les mères n'ont point à pleurer leurs enfants, les épouses qui armèrent
elles-mêmes leurs jeunes époux avant le combat, ne se reprochent point d'avoir
hâté leur départ, puisque leur retour les comble de joie ; enfin Pallas, notre déesse tutélaire, reçoit l'offrande que nous lui faisons du cheval attiré dans son temple, et
tu ne rougis pas de venir débiter à la porte de mon palais d'indignes
mensonges ! Quel fruit pouvons-nous retirer de tes prophéties ? elles sont vaines, et les murs sacrés d'Ilion en sont profanés. Abandonne-toi si
tu le veux au désespoir, mais laisse-nous les danses, les festins et les chansons. Nous n'avons plus de sujets
d'alarmes, et nous nous passerons bien de tes folles prédictions." En achevant ces mots, il ordonna qu'on ramenât sa fille dans l'intérieur du
palais : la princesse obéit avec peine aux ordres de son père. Cependant, étant rentrée dans son appartement, et s'étant jetée sur son lit, elle fondit
en larmes en pensant à sa triste destinée. Elle se représentait déjà la flamme faisant des progrès rapides autour des murailles de sa patrie.
Dans le même temps les Troyens, rassemblés dans le temple de Minerve protectrice de leur ville, étaient occupés
à placer sur de riches piédestaux le cheval qu'ils venaient de lui offrir. Le feu consumait les victimes consacrées
à la déesse, et ses autels étaient tout fumants de la graisse des sacrifices. Les dieux rejetaient ces hécatombes. On ne voyait partout que festins, on s'abandonnait
à une joie effrénée, dont l'excès devenait encore pire par la stupidité que l'ivresse répandait sur tous les esprits. On ne pensait plus
à rien, personne n'était à son poste, et l'on ne cherchait qu'un prétexte pour y manquer. Entre ceux d qui l'on avait confié la garde des portes, il y en avait bien peu qui songeassent
à y veiller. Déjà le jour venant de s'éteindre, la nuit avait couvert Ilion de son voile funeste, lorsque la déesse des amours, toujours habile
à imaginer des ruses, ayant pris un ajustement favorable à ses charmes, se rendit auprès d'Hélène, elle l'appela et lui parla ainsi :
"Chère princesse, lui dit-elle avec douceur, le vaillant Ménélas ton époux, porté
dans les flancs du cheval de bois, vient te retirer des mains de tes ravisseurs. Les autres princes grecs, jaloux de l'honneur de partager les périls d'une entreprise dont tu es l'objet, sont renfermés avec lui dans cette fatale machine. Ne t'inquiète point sur la destinée du vieux Priam ; que le reste des Troyens et Déiphobe lui-même cessent d'occuper ta pensée. Je vais
te rendre à Ménélas." Hélène, séduite par le ton insinuant de Vénus, abandonna sa couche embaumée : Déiphobe guidé par son amour, suivit les traces de sa nouvelle épouse dont la beauté charmait les regards des femmes troyennes qui se trouvaient sur son passage. Elle se rendit au temple de
Minerve ; le superbe cheval qui venait d'être introduit sous ces voûtes sacrées, l'étonna par l'énormité de sa taille. Elle en fit trois fois le tour. L'esprit occupé des jeunes beautés de la Grèce, elle les nomma toutes à voix basse. Leurs époux placés dans le ventre du cheval, s'affligeaient au tendre souvenir que leur rappelaient dos noms si chéris. Ménélas s'attendrit au son de la voix de la fille de Tyndare qui vint frapper ses oreilles, Diomède versa des pleurs en entendant nommer Égialée sa tendre épouse
; le nom de Pénélope produisit la même émotion dans l'âme de son cher Ulysse. Anticlus seul ne put contenir ses
transports ; dès qu'il entendit prononcer le nom de Laodamie, il ouvrit la bouche pour répondre à la voix qui lui rappelait l'objet de son
amour ; mais Ulysse arrêta son indiscrétion ; il se jeta sur lui, et, lui pressant la gorge avec ses deux mains, il l'empêcha de proférer un seul mot. II lui serra les lèvres si fortement qu'il ne lui fut pas possible de les ouvrir. Ce malheureux ne voulut se
lever pour échapper à la violence de son adversaire et pour se soustraire à la rigueur d'un silence qui le
tuait ; en se débattant ainsi, il rendit le dernier souffle. Les Grecs, témoins de son malheur, le pleurèrent sans se laisser
aller à l'excès de la douleur de crainte qu'on ne les entendit. Ils le précipitèrent dans une cavité formée par une des cuisses du cheval et jetèrent un manteau sur son cadavre glacé. La perfide Hélène aurait attiré bien d'autres Grecs, si Pallas, avec cet air qui répand la terreur, ne l'eût écartée par ses menaces. La seule vue
de la déesse lui fit abandonner l'enceinte du temple. Comme elle se disposait à en sortir, Minerve lui parla
ainsi : "Malheureuse, lui dit-elle d'un ton qui la fit trembler jusqu'où doivent
t'emporter tes folles ardeurs ? Quand cesseras-tu de soupirer après de nouveaux
amants ? Les feux impudiques que Vénus allume en ton sein ne s'éteindront-ils donc jamais ? N'est-tu point touchée de la constance de ton premier époux, et l'éloignement de ta fille Hermione ne te cause-t-il aucun regret
? Tiendras-tu toujours le parti des Troyens ? Fuis loin de ces lieux, retourne au palais de Priam, et du haut de ses tours montre aux Grecs le chemin que leurs vaisseaux doivent tenir pour leur retour, en faisant briller à leurs yeux des flambeaux allumés." C'est ainsi que Pallas prévenait les suites de l'attendrissement qu'aurait pu exciter chez les héros grecs la séduisante voix d'Hélène.
Tandis que cette princesse s'acheminait vers le palais, les Troyens, accablés de lassitude, avaient cessé de danser pour se livrer au sommeil. Ils ne faisaient plus résonner leurs instruments de musique. Ceux-ci, fatigués des excès de la table, s'étaient endormis la tête penchée sur leurs verres, pendant que ceux-là, cherchant à saisir leurs coupes remplies de vin, les laissaient échapper de leurs mains débiles.
Le repos, compagnon de la nuit, versait sa douce influence sur les mortels ; les chiens mêmes, suspendant leurs aboiements, semblaient craindre de troubler ce silence. Le calme qui régirait dans la cité allait devenir le signal du carnage. Déjà le
maître des dieux, qui dispense la victoire à son gré, avait fait pencher sa balance en faveur des ennemis des
Troyens ; la perte de ces derniers était assurée. Apollon ne pouvait plus frapper les Grecs de ses traits. Affligé de la ruine prochaine des murs sacrés d'Ilion, il sortit de leur enceinte et se relira dans un superbe temple que les Lyciens lui avaient bâti.
Cependant Sinon, ayant allumé des feux auprès du tombeau d'Achille, donnait aux Grecs le signal convenu. Hélène à son tour, voulant les favoriser, leur montrait du haut do son palais une torche ardente. Telle Hécate brillant d'un éclat non pareil, dore la voûte céleste qui s'éclaire à son aspect, quand ayant passé les premiers jours du mois pendant lesquels cet astre cornu ne répand sur l'univers qu'une lueur ténébreuse, son disque s'arrondit enfin et devient plus lumineux en attirant à soi un plus grand nombre do rayons du
soleil ; telle l'épouse de Ménélas étincelait dans l'obscurité de la nuit, de l'éclat que lui prêtait la flamme qu'elle avait allumée en faveur des Grecs. Ceux-ci apercevant de loin les flambeaux que
leur tendait une si belle main, s'empressèrent d'aborder aux rivages phrygiens qu'ils avaient feint de vouloir quitter. Les rameurs faisaient diligence, pressés du désir de terminer une guerre
malheureuse ; il leur tardait de quitter la rame pour s'élancer dans la mêlée,
impatients d'arriver, ils s'animaient l'un l'autre. Les vents, secondant leur ardeur et soufflant avec violence sur leurs vaisseaux,
les eurent bientôt portés devant Troie où ils abordèrent heureusement sous les auspices de Neptune.
A l'instant les matelots devenus soldats, se mirent en marche, laissant derrière eux leurs cavaliers, de crainte que les chevaux des Troyens, hennissant à l'approche de leurs cavales, n'éveillassent leurs maîtres.
Déjà les héros enfermés dans le ventre du cheval s'élançaient hors de ses flancs. Telles des abeilles sortant du creux d'un chêne,
où elles ont bâti artistement leur ruche, se répandent dans la prairie, elles s'y repaissent du suc des fleurs et se jettent ensuite sur
les passants qu'elles percent de leur aiguillon : tels les Grecs sortant d'embuscade et sautant à
terre, fondaient impétueusement sur les Troyens. Le sommeil dans lequel ils les trouvèrent plongés devint le sommeil de la mort. Elle n'eut pour eux d'autres horreurs
que les songes funestes qui vinrent s'offrir à leur esprit. Le carnage fut tel qu'on vit la terre inondée de
sang ; l'air retentissait à chaque instant des cris des vaincus fuyant au-devant de leurs
meurtriers ; la cité était ébranlée par la chute des morts qui tombaient sans mouvement. Les vainqueurs, semblables à des lions furieux, portaient le tumulte dans tous les quartiers et jonchaient les rues des cadavres de leurs ennemis. Les femmes troyennes, entendant tout ce fracas du haut de leurs toits et soupirant sur la perte de leur liberté, présentaient la tête à leur époux en leur demandant le coup
mortel ; les mères désolées répandaient des larmes sur leurs enfants, comme on voit la tendre hirondelle, lorsqu'elle a perdu les fruits de ses amours, se désespérer en voltigeant autour de son nid. Plus d'une jeune fille versa des pleurs sur le corps de son amant palpitant encore et courut d'elle-même à la mort pour terminer sa peine ; elle aima mieux périr
que de se voir condamnée à passer le reste de ses jours dans les fers d'un insolent
vainqueur ; elle craignit peu de l'irriter par des refus, et demeurant toujours fidèle à ses premiers
vœux, elle voulut être unie à son amant, même après le trépas. Les femmes enceintes surprises avant le terme par les douleurs de l'enfantement, expirèrent avec leur fruit dans des souffrances horribles. Bellone, cette déesse qui se plaît tant à s'abreuver de sang, passa toute cette nuit dans l'ivresse et la joie : on la vit traverser la ville en dansant,
semblable à la tempête qui soulève jusqu'aux nues les flots de la mer bruyante. La Discorde, dont la tête atteint jusqu'aux cieux, travaillait de concert avec elle à exciter l'ardeur des Grecs. Le terrible
Mars se joignit aussi, quoique un peu tard, à ces divinités : il venait secourir les
enfants de Danaüs et il avait fixé en leur faveur la victoire inconstante. Cependant la déesse aux yeux bleus, secouant l'égide du maître des dieux,
fit retentir la citadelle d'Ilion de ses cris horribles ; Junon accourant à ce bruit, l'air en frémit, la terre ébranlée par le trident de Neptune répondit à ce
fracas ; le souverain des enfers fut troublé d'effroi ; il se précipita à l'entrée de ses royaumes sombres ;
le dieu craignait que Jupiter irrité n'eût enfin détruit l'espèce humaine et que Mercure n'amenât dans son empire tant d'âmes dégagées de leur enveloppe. Une confusion épouvantable régnait dans toute la ville. Les meurtriers s'abandonnaient à leur rage, sans considérer quelles étaient leurs victimes. Des soldats arrêtés auprès de la porte Scée massacraient tous ceux qu'ils voyaient fuir vers
eux ; quelques-uns surpris air saut du lit se sentirent percés par une main inconnue, dans le temps qu'ils cherchaient eux-mêmes leurs armes pour aller au
combat ; d'autres, à la faveur des ténèbres, s'étant réfugiés ailleurs que chez eux, y donnaient leurs ordres comme s'ils eussent été les amis du maître de la maison. Insensés
! ils ne voyaient pas que cet asile devait leur être funeste et qu'ils imploreraient en vain les droits de l'hospitalité. Plusieurs, perchés sur leurs toits, furent atteints de flèches au moment qu'ils s'y attendaient le
moins ; il y en eut qui, s'étant surchargés de vin, se réveillèrent en sursaut, et voulant accourir au bruit qu'ils entendaient ils se précipitèrent du haut du toit sans songer qu'un escalier pouvait les conduire dans la rue : tant ils étaient aveuglés par leur
ivresse ! leurs vertèbres fracassées dans cette chute ouvraient une issue au vin dont ils s'étaient gorgés. On en voyait d'attroupés pour combattre, qui périssaient ensemble sous les coups de
l'ennemi : la fuite ne pouvait les dérober au trépas, on les poursuivait avec un tel acharnement, qu'ils n'hésitaient pas à sauter du haut des tours en
bas ; ils descendaient ainsi dans le Tartare, et le funeste saut qui les y conduisait était le
dernier de leur vie. Quelques-uns plus heureux échappèrent en prenant des routes secrètes à la tempête qui soufflait avec tant de rage sur Ilion
: ils fuyaient dans les vallons de manière qu'on les eût pris pour des voleurs qui se sauvent furtivement. Enfin, un grand nombre de Troyens étaient immobiles au milieu des ténèbres et du carnage, on eût dit qu'ils étaient déjà sans vie et qu'ils n'avaient pas même la ressource de
fuir ; on les voyait tomber sans défense les uns sur les autres. La cité destituée de ses
habitants et peuplée uniquement de morts ne pouvait plus contenir les flots de
sang ; on n'épargnait personne ; les vainqueurs pressaient les vaincus avec furie, leur rage insolente étouffait en eux la crainte de la vengeance céleste
; le sang dont ils souillaient les autels allumaient la colère des dieux bien loin de les
apaiser. On immolait sans pitié les vieillards les plus vénérables ; ils avaient beau demander grâce à genoux, ni leur posture suppliante ni leurs têtes blanchies par les années, rien ne pouvait les défendre de la barbarie des meurtriers. Malgré
les droits de leur âge, les
enfants étaient arrachés du sein de leurs mères dont les jours s'éteignaient bientôt lorsqu'elles se voyaient enlever ce qu'elles avaient de plus cher au monde : on faisait expier à ces innocentes créatures les crimes de leurs pères. C'était en vain que les nourrices présentaient leurs mamelles à leurs nourrissons qui étaient hors d'état d'en sucer le
lait ; elles en répandaient les flots sur leurs corps glacés d'un froid mortel, et elles en faisaient des libations à leur mânes. Les oiseaux et les chiens s'attroupaient autour des cadavres dont la ville était couverte, et ces animaux que la nature a placés dans un élément différent se repaissaient de la même
chair ; ils se désaltéraient dans le même sang en se livrant à leur férocité naturelle. Les cris des oiseaux acharnés à leur proie semaient la terreur dans l'air, tandis que les chiens hurlaient impitoyablement en dévorant leurs maîtres.
Ingrats ! ils ne respectaient pas même les corps de ceux qui, pendant leur vie, s'étaient occupés à pourvoir à leurs besoins.
Au milieu de ces scènes d'horreur, Ulysse et le blond Ménélas s'acheminaient vers le palais de Déiphobe,
où ce fils de Priam brillait d'amour pour Hélène. Tels on voit dans une nuit d'hiver les loups affamés profiter de l'absence du berger pour fondre sur les
brebis : après les avoir tuées ils les emportent et frustrent ainsi les pasteurs du prix de leurs soins. En arrivant, ces deux héros ont à faire tête à un nombre prodigieux d'ennemis. Le combat recommence, les uns s'approchent pour se mesurer avec les princes grecs, les autres montent sur le toit, et de là il les accablent de grosses pierres et de flèches. Ces braves aventuriers dérobent leurs têtes superbes à tant de traits : défendus par leurs casques et retranchés derrière leurs boucliers,
ils parcourent la vaste enceinte du palais. Ulysse renverse des portes qui, par leur solidité, auraient arrêté tout autre que
lui : il abat la multitude de ses adversaires. Atride, de son côté poursuit Déiphobe, il l'atteint dans l'instant qu'il cherchait à lui couper le chemin, il le frappe au milieu du corps et lui fait une ouverture par où le foie et les intestins s'échappent
; ce prince infortuné tombe et ne perd sa valeur qu'en perdant la vie. Hélène effrayée du danger de Déiphobe dont elle était la conquête l'avait suivi dans les appartements : dans la crise où elle se voyait, tantôt elle éprouvait un sentiment de joie en pensant que la guerre allait être terminée, tantôt rougissant, quoique un peu tard, de sa conduite passée et se rappelant le souvenir de sa chère patrie, elle rougissait intérieurement et sans articuler ses plaintes, comme si tout ce qu'elle sentait eût été l'illusion d'un songe. Néoptolème cherchant à venger son père s'était introduit dans le palais du vieux Priam : il l'aperçut aux pieds des autels de Jupiter, et du coup qui l'étendit sans vie il termina ses
malheurs : ni les instances de ce roi infortuné, ni la conformité de son âge avec celui de Pélée, aïeul de Néoptolème, ne purent garantir un vieillard dont Achille, malgré la pétulance de son caractère, avait épargné les jours. Hélas
! les dieux ne laissèrent pas ce cime impuni : le meurtrier périt à son tour de la même manière. Le dieu dont les oracles ne trompent jamais le
vit tomber au pied de ses autels, sous le fer d'Oreste qui le poursuivit dans le temple de Delphes, croyant qu'il y était
venu pour le piller. Quelle fut la douleur d'Andromaque en cette journée ! que de larmes ne répandit-elle point en voyant le jeune Astyanax, précipité du haut des tours d'Ilion par le perfide Ulysse, terminer sitôt sa carrière.
L'impétueux Ajax acheva le déshonneur de Cassandre. Cette princesse implora vainement le secours de
Pallas, déesse protectrice de la virginité. Minerve, courroucée d'une telle violence,
retira de ce moment sa faveur de dessus les Grecs ; et pour punir le crime d'un seul elle leur voua son inimitié. Énée et son père Anchise échappèrent à leurs ennemis par un bienfait de Vénus
qui les cacha dans un nuage : elle eut pitié d'un vieillard qu'elle avait aimé jadis, et elle voulut conserver son fils destiné par un décret des dieux à fonder un établissement en Ausonie, loin des rivages troyens ; Jupiter avait confirmé cet arrêt, voulant que les fils de Cythérée et leur postérité s'illustrassent à jamais par l'étendue de leur puissance. Atride sauva du carnage les enfants d'Anténor, en mémoire de l'hospitalité que ce bon vieillard et Théano son épouse, avaient ci-devant exercée envers lui. Pour toi, malheureuse Laodice, avant que
tu pusses t'éloigner des bords qui t'avaient vu naître, la terre le reçut dans son sein ; tu ne survécus point à la perte d'Ilion, ni le vaillant Acamas, ni aucun autre Grec, ne purent t'emmener dans leurs murs.
Sans doute il me serait aisé de chanter toutes les funestes circonstances de cette guerre, puisque ce sont les Muses qui m'inspirent. quoique
près d'avoir atteint le but, je pourrais soutenir encore longtemps ma voix.
Déjà l'Aurore, sortant du sein de l'Océan, paraissait à l'orient, conduite dans son char par ses superbes coursiers. Ses rayons blanchissant le ciel dissipaient peu à peu les ténèbres et chassaient devant eux une nuit féconde en désastres. Les vainqueurs enorgueillis de leur victoire cherchaient partout, dans l'espoir de rencontrer quelque Troyen échappé au carnage. Le reste était dans les lacs de la mort, tels on voit des poissons enveloppés de filets qu'on a jetés sur le rivage. Cependant les Grecs ne trouvant plus aucune résistance pillaient dans les maisons les meubles les plus précieux et tout ce qui pouvait satisfaire leur cupidité : ils ne respectaient pas même les temples dont ils enlevaient les offrandes ; ils emmenaient sur leurs
vaisseaux les captives avec leurs enfants. Enfin ils livrèrent aux flammes les murailles de Troie, et l'ouvrage de Neptune devint ainsi la proie de l'élément destructeur. La cité réduite en cendres servit elle-même de tombeau à ses anciens habitants. Le Xanthe témoin des funestes progrès de la flamme
mêla des larmes à ses ondes. Les Grecs voulant apaiser les mânes d'Achille
arrosèrent son tombeau du sang de Polyxène. Ils se partagèrent les captives et les trésors qu'avait produits le butin, ils en chargèrent leurs vaisseaux et traversant les flots, ils s'éloignèrent des bords phrygiens, après y avoir heureusement terminé leur entreprise.
FIN DES OEUVRES DE TRYPHIODORE.
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