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BION ET MOSCHUS,

TRADUITS PAR J. F. GRÉGOIRE ET F.-Z. COLLOMBET.

introduction Idylles de Bion Idylles de Moschus

I.


 

CHANT FUNÈBRE SUR ADONIS.

(1) Je pleure Adonis. "Le bel Adonis n'est plus ! il n'est plus le bel Adonis !" s'écrient les Amours éplorés. Ne repose plus, ô Cypris ! sur une couche de pampre ; lève-toi, déesse infortunée! revêts des habits de deuil, frappe ton sein et dis à toute la nature : "II n'est plus le bel Adonis !"
Je pleure Adonis ; les Amours répondent à mes pleurs. Il est gisant sur ces montagnes le bel Adonis : une dent cruelle a blessé sa cuisse d'albâtre, il ne lui reste plus qu'un léger souffle de vie, et Cypris en est désolée ; un sang noir coule sur la peau d'Adonis, blanche comme la neige, ses yeux s'éteignent sous ses paupières et les roses de ses lèvres s'effacent et avec elles meurt un baiser que Vénus s'efforce de recueillir. Cypris trouve encore de la douceur dans les embrassements d'un époux qui n'est plus ; mais Adonis expirant ne sait pas qu'elle le couvre de baisers.
(2) Je pleure Adonis ; les Amours répondent à mes pleurs. Une blessure, une cruelle blessure a déchiré la cuisse d'Adonis ; mais Cythérée en porte une bien plus profonde en dedans de son cœur. Autour de ce jeune chasseur, ses chiens fidèles ont poussé des hurlements ; les Nymphes des montagnes sont éplorées. Vénus en désordre erre dans les forêts, triste, échevelée, les pieds nus ; les ronces la blessent en sa marche et se teignent d'un sang divin : elle éclate en plaintes lamentables, s'élance à travers les longues vallées, redemande à grands cris son aimable Assyrien et appelle son jeune époux. Cependant un sang noirâtre jaillit de la blessure d'Adonis et rougit sa poitrine d'ivoire, et la neige de son sein se colore de pourpre.
(3) "Hélas ! malheureuse Cythérée," s'écrient les Amours en pleurs. Elle a perdu son bel époux et avec lui ses charmes divins. Elle était belle, Vénus, lorsque vivait Adonis : avec Adonis ont disparu les attraits de la déesse. "Hélas ! hélas !" Toutes les montagnes et les forêts redisent : "Hélas ! Adonis."  Les fleuves sont sensibles aux douleurs de Vénus ; les sources, sur les montagnes, pleurent Adonis, et les fleuves, dans leur tristesse, se colorent de sang (4). Cythérée fait retentir de sa douleur les monts et les vallées : "Hélas ! hélas ! Cythérée, il n'est plus le bel Adonis !" L'écho a répondu : "Il n'est plus le bel Adonis !"  Qui refuserait des larmes au malheureux amour de Cypris ? Hélas ! hélas !
Dès qu'elle vit, qu'elle aperçut l'affreuse blessure d'Adonis ; dés qu'elle vit le sang épanché sur sa cuisse flétrie, elle étendit les bras en disant d'une voix plaintive : "Arrête, Adonis ! arrête, malheureux Adonis ! que je te voie pour la dernière fois, que je t'embrasse encore, que je colle mes lèvres sur tes lèvres ! Réveille-toi un moment, cher Adonis ; embrasse-moi pour la dernière fois ; embrasse-moi tant que ton baiser vit encore plein de flamme (5) : que ton dernier soupir passe au fond de mon cœur et pénètre dans mon, âme ; que je savoure ce doux philtre (6), que je m'enivre d'amour. Je conserverai ce baiser comme toi-même, puis que tu me fuis, infortuné ! Tu fuis loin de moi, cher Adonis ; tu vas aux bords de l'Achéron, vers le roi sombre et farouche.  Et moi, malheureuse, je vis, je suis déesse, et je ne puis t'accompagner. Proserpine, reçois mon époux ; tu l'emporte de beaucoup sur moi (7) : tout ce qu'il y a de beau descend vers toi. Je suis au comble de l'infortune, ma douleur est inconsolable : je pleure Adonis, qui est perdu pour moi, et je te crains, déesse. Tu meurs, aimable Adonis ; mon bonheur s'est envolé comme un songe ; Cythérée est veuve ; les Amours errent inutiles dans mon palais ; ma ceinture a péri avec toi. Et pourquoi donc, téméraire, allais-tu chasser ? Avec tant de beauté, quelle fureur d'attaquer les bêtes féroces ?"
Ainsi gémissait Vénus. Les Amours disaient ensemble: "Hélas ! hélas ! Cythérée, il n'est plus le bel Adonis !"  Vénus répand autant de larmes qu'Adonis perd de sang. Ces pleurs et ce sang, en touchant la terre, deviennent des leurs : le sang enfante la rose et les pleurs l'anémone.
Je pleure Adonis ; le bel Adonis n'est plus ! Cesse, ô Vénus ! de pleurer dans les forêts la mort de ton époux ; il est pour Adonis, il est une belle couche de feuillage. Ton époux sans vie, ô Cythérée ! est gisant sur ton lit. Quoique mort, il est beau toujours, il est beau dans son trépas : on dirait qu'il sommeille. Place-le sur ces tapis délicats où il dormait, où prés de toi, pendant la nuit, il goûtait son divin sommeil sur une couche dorée. Malgré sa pâleur, aime toujours Adonis ! étends-le sur des guirlandes et sur des fleurs. Tout est mort avec lui comme il est mort lui-même, et toutes les fleurs se sont flétries. Inonde-le d'essences odorantes, inonde-le de parfums. Périssent tous les parfums : le parfum de ton âme, Adonis, n'est plus ! Le bel Adonis est étendu sur des vêtements de pourpre ; autour de lui gémissent les Amours éplorés ; ils ont déposé leurs cheveux sur le lit d'Adonis : l'un foule aux pieds ses flèches, l'autre son arc, un autre brise son carquois redoutable ; celui-ci délie la chaussure d'Adonis, celui-là dans des vases d'or apporte une onde pure : un autre lave la cuisse, un autre, placé derrière Adonis, lui rafraîchit le visage en agitant ses ailes. "Hélas ! Hélas ! Cythérée !" disent les amours en pleurs (8). Hyménée vient d'éteindre son flambeau sur le seuil du temple, il a brisé la couronne nuptiale ; on n'entend plus ces agréables chants : "Hyménée ! Hyménée !" On n'entend que ces cris : "Hélas ! hélas !"  O Adonis ! et plus encore, ô Hyménée ! les Grâces pleurent le fils de Cinyre : "Il n'est plus le bel Adonis," se disent-elles les unes aux autres, et leurs cris sont plus perçants que les tiens, ô Dionée (9). Les Muses mêmes pleurent Adonis : par des chants magiques, elles veulent rappeler Adonis à la vie, mais il ne les entend pas (10), non qu'il ne veuille pas les entendre, mais Proserpine ne les rend pas.
Cesse tes gémissements, Cythérée (11); fais trêve à tes plaintes : il te faudra de nouveau gémir, de nouveau pleurer une autre année.  

II

Un oiseleur jeune encore, qui, dans un bois épais, dressait des embûches aux oiseaux, aperçut le volage Amour posé sur une branche de buis. Ravi de joie à la vue de cet oiseau qui semblait fort grand, il unit tous ses gluaux et suit des yeux l'Amour qui voltige çà et là. Le jeune oiseleur, dépité de son peu de succès, jette ses gluaux, va trouver un vieux laboureur dont il avait appris les secrets de cet art, lui dit la chose et lui montre l'Amour posé sur une branche. Mais le vieillard sourit en secouant la tête et répond à l'enfant : "Garde-toi d'une telle pipée, ne poursuit pas cet oiseau ; fuis au loin, c'est une bête méchante. Tu seras heureux tant que tu ne le prendras pas ; mais quand tu auras atteint l'âge viril (12), cet oiseau qui, maintenant fuit et voltige, viendra tout à coup de lui-même et se reposera sur ta tête." 

Autre traduction

Texte numérisé par Marc Szwajcer

L’Amour et le jeune oiseleur.

Un oiseleur encore tout jeune, qui chassait dans un bois touffu, aperçut le volage Amour, perché sur la branche d’un buis. Ravi à la vue de cet oiseau, parce qu’il lui paraissait grand, il réunit ensemble tous ses gluaux, et guetta l’Amour qui voltigeait çà et là. Rebuté de voir ses efforts inutiles, l’enfant jeta ses gluaux, et alla trouver un vieux laboureur qui l’avait instruit dans l’art de chasser les oiseaux. Il lui conta sa peine, et lui montra l’Amour perché sur la branche. Mais le vieillard hocha la tête en souriant, et lui dit: « Renonce à ta chasse, et garde-toi de poursuivre cet oiseau. Fuis loin de lui : c’est une méchante bête. Tu seras heureux tant que tu ne l’auras pas pris; mais, quand tu auras atteint l’âge d’homme celui que tu vois aujourd’hui fuir et voltiger, s’approchera de lui-même et se posera soudain sur ta tête.
 

III.

Je dormais encore ; la grande Cypris m'apparut conduisant de sa belle main le jeune Amour, qui baissait les yeux vers la terre ; elle m'adressa ces mots : "Berger que je chéris, reçois l'Amour et apprends-lui à chanter.
Elle dit et s'éloigne. Et moi, qu'elle folie ! j'enseignais à l'Amour mes chansons rustiques, comme s'il eût voulu les retenir, de quelle manière Pan inventa la flûte oblique (13), Minerve la flûte droite, Mercure la lyre, Apollon la tendre cithare : voilà ce que je lui enseignais. Il écoutait peu mes leçons ; il me chantait des vers érotiques, il m'apprenait les amours des hommes et des dieux, les aventures de sa mère. Alors j'oubliai tout ce que j'avais enseigné à l'Amour, et je ne me souvins que des leçons amoureuses de Cupidon. 

IV.

(14) Les Muses, loin de redouter le cruel Amour, le chérissent et s'attachent à ses pas. Si quelque esprit insensible les suit, elles s'éloignent et refusent de l'instruire. Mais un homme, le cœur agité par l'amour, fait-il entendre des chants harmonieux, alors toutes vers lui s'empressent de se rendre. Je puis dire, moi, que tout ceci est la vérité ; car si je célèbre un autre mortel ou quelqu'un des dieux, ma langue balbutie et ne chante plus comme auparavant; mais si je reviens à l'amour et à Lycidas, les vers les plus heureux coulent de ma bouche avec abondance. 

V.

(15) Si mes vers sont bons, n'y a-t-il pas assez pour ma gloire dans ceux que jusqu'à présent la Muse m'a départis ? N'ont-ils aucun agrément ; pourquoi travailler davantage ? Si Jupiter ou la Parque aveugle nous eût donné une double carrière à fournir, l'une au milieu de la joie et des plaisirs, l'autre dans les travaux accablants, alors peut-être on pourrait, après les fatigues, jouir enfin de quelques repos. Mais puisque les dieux n'accorde aux humains qu'une vie si courte et si éphémère encore, pourquoi donc, insensés, nous épuiser en peines et en travaux ? Jusqu'à quand donnerons-nous aux arts et au gain toutes les heures de notre vie, ambitieux de richesses toujours plus grandes ? Avons-nous donc oublié que nous sommes tous nés mortels et que, par l'arrêt du Sort, notre vie n'est qu'un moment rapide ? .....  

VI.

CLÉODAMUS ET MYRSON.

CLÉODANUS. - Du Printemps, ô Myrson ! de l'Hiver, de l'Automne, ou de l'Été, lequel t'est le plus agréable ? lequel aimes-tu mieux voir arriver? Est-ce l'Été, lui qui mûrit tous nos travaux ? est-ce le doux Automne, lui qui soulage la faim des hommes ? est-ce l'Hiver paresseux, lui qui nous voit auprès de nos foyers, réunis en grand nombre, jouir du repos et de l'oisiveté ? est-ce le beau Printemps qui te plaît davantage ?  Dis-moi ce que ton cœur préfère, car le temps nous permet de causer ensemble.
MYRSON. - Il n'appartient pas aux mortels de juger les oeuvres des dieux : tout ce qu'ils font est sacré et doit nous plaire.  Cependant, pour t'obéir, je te dirai, Cléodamus, quelle saison j'aime le mieux. Ce n'est pas l'Été, car alors les chaleurs du soleil son brûlantes ; ce n'est pas l'Automne, car ses fruits engendrent des maladies ; l'Hiver est pernicieux, je redoute la neige et les frimas. Que le Printemps, unique objet de mes désirs, règne l'année entière : ni le froid ni la chaleur ne nous incommodent alors. Au printemps, toute la nature enfante ; au printemps, les plus belles productions se développent et les nuits sont égales aux jours.

VII.

SUR HYACINTHE,

Phébus, au milieu de si poignantes douleurs, ne savait à quel parti s'arrêter. Il cherchait tous les remèdes et appelait tous les secrets de son art. Il versait de l'ambroisie et du nectar sur la blessure ; mais contre les Parques tous les remèdes sont vains.  

VIII.

Heureux ceux qui aiment quand on les paie de retour ! Pirithoüs présent, Thésée était heureux alors même qu'il descendait chez l'impitoyable Pluton. Oreste était heureux chez les cruels Axènes, parce que Pylade le suivait dans ses courses lointaines. Achille était heureux, lorsque Patrocle vivait encore ; il l'était en mourant parce qu'il avait vengé le fatal trépas de son ami. 

IX.

Il ne convient pas, mon ami, de recourir à un artiste pour toute sorte d'ouvrages et d'employer une main étrangère. Façonne toi-même ta flûte ; tu le peux aisément.  

X.

Que l'Amour appelle les Muses, que les Muses accompagnent l'Amour ; que les Muses me donnent au gré de mes désirs un chant mélodieux le plus agréable de tous les remèdes.  

XI.

Une goutte d'eau qui tombe incessamment, creuse, dit le proverbe, jusqu'à la pierre elle-même.  

XII.

Je dirigerai ma route vers le penchant da cette colline en soupirant sur ce sable aride, sur ce rivage désert et en tachant de fléchir l'insensible Galatée. La douce espérance me suivra jusque dans la vieillesse la plus avancée.  

XIII.

Ne me laisse pas sans récompense ; Apollon a souvent accordé pour prix le don de chanter.  L'honneur porte tes ouvrages à leur plus haute perfection.  

XIV.

La beauté sied bien aux femmes et la force aux hommes.

XV.

Épithalame d'Achille et de Déidamie.

MYRSON, LYCIDAS.

MYRSON.

Voudrais-tu bien me chanter, ô Lycidas ! un air sicilien (16), doux, harmonieux, tendre, érotique, semblable à celui que le cyclope Polyphème (17) chanta jadis à Galatée sur le rivage de la mer?

LYCIDAS.

Il me serait agréable, ô Mysrson ! de chanter, mais que chanterais-je ?

MYRSON.

J'aime, ô Lycidas ! la chanson de Scyros. Redis-moi le doux amour du fils de Pélée, ses baisers secrets, ses furtives caresses. Raconte-moi comment jeune encore il prit un vêtement de femme, comment il déguisa son sexe, comment, parmi les filles de Lycomède, Déidamie le pressait dans ses bras et lui faisait goûter les douceurs de l'amour ?

LYCIDAS.

Un berger ravit autrefois Hélène et la conduisit sur le mont Ida, sujet d'une amère douleur pour Pénone. Lacédémone en fut irritée et rassembla tous les peuples de l'Achaïe. Aucun Grec, aucun habitant de Mycène, d'Élide ou de Laconie ne resta dans ses foyers, jaloux de porter la guerre meurtrière. Seul, caché parmi les filles de Lycomède, Achille apprenait à filer la laine au lieu de manier les armes, et ses blanches mains s'occupaient à des ouvrages de femme ; il semblait être une jeune vierge. II en avait toute la mollesse affectée ; les roses brillaient sur ses joues de lis ; sa démarche était celle d'une jeune fille, et il cachait ses cheveux sous un voile. Il avait le courage de Mars et l'amour d'un héros. De l'aurore à la nuit, il était assis auprès de Déidamie ; quelquefois il imprimait un baiser sur sa mains ; souvent il enlevait son beau corps entre ses bras et s'abreuvait de ses larmes chéries. Il ne mangeait point avec une autre compagne et employait tous les artifices pour dormir avec Déidamie ; il lui dit même ces mots : "Nos sœurs dorment ensemble ; mais moi, je repose seule ; tu dors seule aussi, jeune fille. Jeunes filles toutes deux, du même âge, belles l'une et l'autre, seules nous dormons chacune dans notre lit, car, hélas ! une barrière méchante et perfide me sépare de toi...."  

XVI.

(18) Hesper, brillante lumière de l'aimable Vénus, Hesper chéri, ornement sacré d'une nuit azurée ; toi qui l'emportes autant sur les autres astres, que la Lune l'emporte sur toi, salut, étoile bien-aimée. Le cœur joyeux, je cours chez un berger. Prête-moi ta lumière au défaut de la Lune, puisque celle-ci, recommençant aujourd'hui sa carrière, a disparu plus tôt. Je ne vais point voler, je ne vais point attaquer ceux qui voyagent pendant la nuit : j'aime, tout ne doit-il pas s'intéresser à un amant ?  

XVII.

(19) Aimable Cypris, fille de la Mer et du souverain de l'Olympe, pourquoi traiter avec tant de rigueur les hommes et les dieux ?  Je dis peu : quel ressentiment t'anime contre nous ? Pourquoi donc as-tu donné naissance à ce fléau commun, l'Amour, ce dieu farouche, impitoyable, dont l'esprit répond si peu aux charmes qui l'embellissent ? Pourquoi lui avoir donné des ailes et la puissance de lancer au loin ses traits, afin que nous ne pussions éviter ses coups terribles ? 

FIN DES IDYLLES DE BION  

NOTES SUR LES IDYLLES DE BION

PAR GRÉGOIRE ET COLLOMBET.


IDYLLE I.

(1) Cette idylle a été longtemps attribuée à Théocrite, mais Camérarius, dans son édition du poète syracusain publiée en 1530, ne balança pas à dire que la pièce est de Bion.
Adonis fut de tous les dieux de la Syrie le plus célèbre en Grèce. Le mot adon ou adonaï en hébreu et généralement dans les langues sémitiques signifie seigneur, monseigneur, et l'on en retrouve effectivement les éléments principaux dans une foule de noms propres orientaux ou d'origine orientale que les rois et les princes portent de préférence : tels qu'Adonisebech, Assaraddon, Sardanapale (Assar-Adanbaal). Adonis est donc une dénomination générique affectée plus particulièrement par l'usage au soleil.
Suivant Hérodote, cité par Apollodore (3, 14), Adonis était fils de Phénix et d' Alphésibée : selon l'ancien mythologue Panyasis, Adonis devait sa naissance à l'inceste de Théias ou Thias, roi des Assyriens, et de Smyrne, sa fille, qui fut changée en un arbre du même nom (l'arbre à myrrhe). Dix mois après l'aventure du roi Thias avec sa fille et la métamorphose de cette dernière, Adonis s'élance hors de l'écorce de l'arbre maternel. Astarté ou, comme le dit l'antiquité gréco-romaine, Aphrodite ou Vénus est frappée de sa beauté et dès lors, décidée à le réserver pour ses plaisirs, elle le cache, encore jeune enfant, dans un coffre dont elle confie la garde à l'épouse du sombre Aïs, à Perséphone (Proserpine) ; mais Perséphone a entrevu le contenu du coffre : l'amant futur d'Aphrodite est nécessaire à son bonheur et bientôt, dépositaire infidèle, elle refuse de s'en dessaisir. Enfin il est décidé que les deux rivales s'en réfèreront au tribunal de Jupiter : alors le maître des dieux décrète que des douze mois qui composent l'année, quatre seulement appartiendront à l'adolescent, qui devra tour à tour en passer quatre avec Perséphone et quatre avec Aphrodite.  Cet arrêt est exécuté à ceci près que le bel Adonis, préférant Aphrodite à Perséphone et le ciel aux sombres demeures, consacre à la première ses quatre mois de liberté : "Longtemps après, ajoute Apollodore, Adonis est tué à la chasse par un sanglier que Diane irritée excite contre lui."
Adonis, venu au monde dans les brûlantes solitudes de l'Arabie, nouveau domicile de sa mère métamorphosée en arbuste à parfum, acquiert avec l'âge la plus ravissante beauté. Vénus, qui a persécuté sa mère devient éperdument amoureuse du fils, l'enlève, le transporte dans ses jardins de Cypre ou de Syrie et l'enivre de ses faveurs. Mais l'amant de Vénus est par là même le rival de Mars. Cependant Adonis, qu'ennuie un long et monotone repos, parcourt les forêts du Liban et, malgré les serments qu'il a prodigués à l'inquiète Vénus, poursuit les bêtes farouches avec toute l'impétuosité de son âge. Le dieu jaloux se change en sanglier ou, suivant quelques mythologues, engage Diane à envoyer un sanglier contre son rival. Adonis le blesse, et presque aussitôt il est renversé et mis en pièces : son sang coule et colore en rouge les roses blanches que naguère foulaient ses pas. Vénus qui, pour le suivre, a tout quitté, Cythère, Paphos, Amathonte, arrive sur ces entrefaites et cache le corps de son ami sous des mauves et des laitues (les unes et les autres passaient chez les anciens pour anti-aphrodisiaques). Plus tard elle le métamorphosa en anémone.
C'est après cette chasse funeste qu'Adonis, privé de la vie, apparaît aux enfers et inspire à Proserpine les sentiments qu'il a inspirés à Vénus. En vain la déesse de la beauté a obtenu de Jupiter la résurrection et le retour de son amant : la reine du Styx n'acquiesce point à ce décret. Alors le père des dieux renvoie les deux déesses amoureuses au jugement de la muse Calliope, qui tranche le différend en ordonnant qu'Adonis appartiendra alternativement à Perséphone et à sa rivale et passera six mois par an auprès de chacune d'elles ; mais cet arrangement n'est point ratifié par les contestantes, et quand Adonis ramené des enfers par les Heures est remis aux bras de sa céleste amante, celle-ci, après six mois de possession, refuse de le rendre à Perséphone. Nouveaux débats. Jupiter intervient de nouveau, et cette fois, jugeant le procès par lui-même, il modifie la sentence de Calliope et décrète, comme dans la tradition ancienne, qu'Adonis sera un tiers de l'année à Vénus, un tiers à la reine des enfers et un tiers à qui il voudra.
La mort cruelle ou l'espèce de résurrection d'Adonis donna lieu à une des fêtes les plus remarquables de l'antiquité. On devine qu'il s'agit ici des Adonies, qui, dans Alexandrie, dans Athènes, à Byblos et ailleurs, étaient célébrées avec la plus grande pompe. II paraît que dans certaines contrées la fête durait huit jours ; vulgairement elle n'en excédait pas deux ou trois. Nous allons voir la raison de ces différences. Les Adonies se composaient essentiellement de deux parties : l'une, consacrée au deuil et aux larmes, se nommait Aphanisme, c'est-à-dire disparition ; l'autre, destinée aux réjouissances qu'excitait le retour du héros, portait en conséquence le non d'Hévrèse ou découverte. Pour l'ordinaire les deux solennités se suivaient à peu de distance, et l'intervalle, au plus de huit jours, se réduisait souvent en un seul. Dans ce cas la durée des Adonies était de trois jours. De plus les deux fêtes ne se succédaient pas dans le même ordre: à Biblos la fête des larmes précédait ; Athènes, Argos, Alexandrie célébraient l'Hévrèse avant l'Aphanisme. Cette différence dans les deux rites se rapporte probablement à celle des deux légendes, puisque si, d'après la plus remarquable et la plus moderne des deux, Vénus ne se livre à la joie d'avoir retrouvé son amant qu'après avoir pleuré sur sa perte, le caractère de la plus ancienne est de nous faire voir d'abord la conversation des deux amantes d'Adonis, puis Adonis dans tout l'éclat de sa beauté, enfin Adonis blessé à mort, en d'autres termes, l'Aphanisme après l'Hévrèse.
Toutefois il paraît que des deux parties intéressantes de la fête, l'Aphanisme était la plus célèbre et la plus magnifique : c'est de celle-là que nous entretiennent les descriptions des poètes anciens ; c'est pour celle-là qu'ils semblent avoir composé des hymnes ; c'est à celle-là que vaquaient les femmes israélites, auxquelles Ézéchiel reprochait de verser des pleurs sur Themmouz. Une procession magnifique, mais où tout respire et inspire la tristesse, ouvrait d'ordinaire la cérémonie que quelquefois elle terminait ; parmi les prêtres, des canéphores marchaient chargés de corbeilles de gâteaux, de parfums, de fleurs, de branches d'arbres. On se rendait ainsi auprès d'un catafalque colossal sur lequel des femmes laïques, mais des femmes de la plus haute distinction, étendaient solennellement de riches tapis de pourpre ; l'on y recouchait ensuite une statue d'Adonis, à la plaie, sanguinolente, livide et pâle comme l'être que la la vie abandonne, mais beau encore. Sur un lit voisin et quelquefois sur le catafalque même, une Vénus Épitymbie, c'est-à-dire à la tombe, que représenta plus d'une fois une actrice vivante, se livrait à toutes les démonstrations d'une muette douleur. La flûte gingrine faisait entendre des sons lamentables ; des hymnes de deuil, proprement Adonidées (Adônidia) retentissaient. (Voyez Théocrite, idylle 15, v. 131 et suiv.) Les femmes qui venaient en foule à la cérémonie paraissaient sans ceinture, les cheveux épars ou la tête rasée et en robe de deuil. Une mélancolie vague, un mol et presque voluptueux abandon respiraient dans leurs pores, dans leurs gestes, dans leur démarche chancelante. A Biblos même celles qui refusaient de prendre part au deuil étayent obligées de s'abandonner un jour durant aux pieux visiteurs de la tombe d'Adonis et de consacrer à son autel le prix de la prostitution sacrée. Enfin vers le déclin du jour, on procédait à l'ensevelissement solennel du dieu. Ce dernier acte de la cérémonie funèbre étant diversifié par des épisodes nombreux, probablement fidèles images de ce qui se pratiquait en Syrie dans les inhumations : de suaves parfums, des eaux limpides inondaient ce corps d'albâtre dont
Le Cocyte aux flots purs peut seul laver les plaies  (Vers d'Euphorion, Hyacinthe.)
Nous devons surtout remarquer le sacrifice funéraire dit cathèdre (siège), probablement parce que la plupart des spectateurs étaient assis ; on sait que les anciens représentent fréquemment dans cette attitude les personnages qui versent des larmes. Dans les magnifiques Adonies alexandrines on portait processionnellement l'effigie du dieu jusqu'à la mer, divinité ennemie suivant l'antique croyance égyptienne, et on la précipitait dans les flots. L'honneur de porter la statue sainte était l'objet de la rivalité des femmes les plus qualifiées d'Alexandrie et même des reines. Suivant Lucien (Déesse Syr., chap. 7, tome 9, page 90, édit. Deux-Ponts), les célébrants abandonnaient alors à la mer un panier d'osier qui, poussé par les vents, allait aborder sur les côtes de la Phénicie, où il était attendu avec impatience. A peine arrivé sur la plage il était en grande pompe transporté au temple, puis examiné. Une tête mystérieuse s'offrait aux regards, et les lamentations de la veille disparaissaient devant les joies et les pompes du lendemain. Saint Cyrille ajoute que dans cette espèce d'esquif, à côté de la tête divine, se trouvaient des lettres par lesquelles l'Égypte invitait la Syrie à se réjouir, vu que le dieu pleuré par elle était retrouvé. Il est clair que cette dernière circonstance des cérémonies adoniques reflète les aventures posthumes d'Osiris, tantôt perdu pour Isis ou l'Égypte son épouse, tantôt trouvé par elle dans une des colonnes du palais de Biblos, et en effet il y a tant de traits communs à Osiris et à Adonis que nous ne répudierons pas entièrement le système des savants Depuis, etc., qui appellent le premier Adonis égyptien et désignent le deuxième par la périphrase d'Osiris égyptien. (Origine des cuites, liv. 3, chap. 9.)
La fête de la résurrection ou du retour commençait vraisemblablement par quelque chose d'analogue à ce que nous venons de dire sur la réception du coffret théophore à Biblos : "Adonis est retrouvé ! Adonis est de retour ! " tel devait être le cri des prêtres qui annonçaient l'ouverture d'une cérémonie nouvelle. L'effigie du dieu qui allait échapper à l'empire des ténèbres figurait encore, du moins presque partout, sur le catafalque ou le lit de la veille ; mais à la pâleur de la mort avait succédé celle de la convalescence ; les pleurs, les hymnes lamentables avaient cessé et fait place à une joie tendre, en quelque sorte craintive et incertaine ; autour de l'estrade funéraire  et le long des murailles saintes, des paniers de jonc, des vases d'argile, des corbeilles de bronze, d'or ou d'argent, suivant l'opulence des temples, étaient rangés et couverts de jeunes tiges, de pousses tendres et verdoyantes que développait dans un terreau choisi et meublé l'action d'une chaleur concentrée, étalaient autour du bel et faible Adonis renaissant une image de la végétation printanière : du blé, du fenouil, des mauves, de la laitue, tels étaient les principaux éléments de ces jardins improvisés que quelques jours avaient suffi pour faire naître, que quelques jours devaient flétrir. De là l'expression proverbiale du jardin d'Adonis chêtoi Adônidos, si célèbre chez les Grecs depuis Euripide et Platon jusqu'aux temps de la décadence des lettres, pour désigner des jouissances frivoles ou peu solides. (Biogr. univ., partie mythologique au mot ADONIS. Ces pages ne sont qu'un extrait d'un article assez long.)

(2) Apparemment ces mots que Bion répète si souvent et auxquels il semble s'assujettir étaient consacrés aux plaintes qu'on faisait dans ces fêtes, et c'était, si j'ose le dire, une espèce de formule et de refrain appuyé sur un ancien usage. Aussi Aristophane, dans sa Lysistrate, après avoir dit qu'on célébrait ces fêtes d'Adonis dans les maisons, ajoute que la femme d'un certain Démostrate disait en dansant : 
"Hélas ! hélas ! Adonis ! "
È gunê d'orchoumenê 
Ai ai, Adônin phêsin.

Un refrain si lugubre et si plaintif convenait fort bien à la tristesse de ces fêtes, dans lesquelles on se servait aussi d'une espèce de petite flûte d'un son plus triste et plus lugubre que les autres. Ces flûtes, qui étaient nommées giggrainoi auloi, du mot giggrês qui, en langue phénicienne, veut dire Adonis, selon Athénée et Pollux, avaient été inventées apparemment pour ces fêtes ; le son des autres flûtes ne paraissant ni assez lugubre ni assez plaintif. Ce n'étaient pas même les Phéniciens seuls qui s'en servaient, les Cariens aussi les employaient dans leurs pompes funèbres, à moins que la Carie, dit Athénée, ne se doive prendre en cette occasion pour la Phénicie, ainsi que dans les poésies de Corinne et de Bacchilide. C'est de ce même mot qui, en langue phénicienne, signifie Adonis, qu'on avait nommé giggrauta une espèce de vers tristes et plaintifs. On peut consulter sur ces flûtes Athénée ( liv. 4), qui cite Xénophon; Pollus (liv. 4, chap. 10) et Eustathius (sur le 17e liv. de l'Iliade). Hesychius s'éloigne un peu des autres : 
"Giggriai auloi mikroi en ois prôton manthanousi, dit-il ;.- les flûtes gingriennes sont de petites flûtes sur lesquelles on commence d'apprendre."

(3) Longepierre traduit ainsi la seconde partie de ces vers :
Ah ! Vénus, ah ! Vénus ! dans ces vives alarmes
Les Amours gémissants versent aussi des larmes.
Puis il ajoute : "Cet endroit peut avoir plus d'un sens parce qu'on peut rapporter la préposition epi du verbe epaiazousin à plus d'une chose. On peut la rapporter d'abord à Vénus même et dire que les Amours pleurent avec elle, ou à la personne qui prononçait cette plainte et qui, après avoir dit "Ah ! Vénus, ah ! Vénus !" ajoute "les Amours disent la même chose et gémissent avec moi! " Ainsi, j'ai voulu me servir d'une expression générale qui convînt à l'un et à l'autre de ces sens. On pourrait encore l'expliquer de cette manière : "Les Amours disent aussi en gémissant : Ah! Vénus !, ah ! Vénus !"  Mais à parler sincèrement, cette explication me paraît un peu forcée, et d'ailleurs il faudrait retrancher la virgule qui sépare le mot eutheurian de celui qui le suit."
Comme il n'y a pas de virgule dans l'édition de M. Boissonade, nous avons cru devoir suivre le dernier sens dont parle Longepierre.

(4) II y a mot à mot dans le grec : "Et Vénus chante tristement par toutes les collines et par toute la ville." Cet endroit peut recevoir deux sens : ou l'on peut entendre véritablement par le mot de Vénus cette déesse même, qui, troublée de douleur à cause de la mort d'Adonis, se plaignait de cette perte et courait dans la campagne et dans la ville la plus prochaine du lieu où Adonis venait d'être tué, ou bien l'on doit rapporter la chose à la fausse Vénus, c'est-à-dire à la personne qui dans ces fêtes représentait cette déesse et dont l'emploi était d'imiter ce qu'on supposait que l'amour et la douleur avaient fait faire autrefois à Vénus. Deux raisons me feraient croire ce dernier sens plus véritable que l'autre : l'une est fondée sur le mot aeidei (chante) dont Bion se sert en cet endroit, car il est peu convenable aux transports effectifs de la véritable Vénus et il se peut fort bien appliquer à la douleur feinte de la fausse, parce que ces plaintes se chantaient ou entières ou du moins en partie, ainsi qu'il parait par les Syracusiennes de Théocrite ; l'autre raison est tirée du mot ptolin. II me semble que si Bion avait voulu parler de la ville la plus voisine du lieu où Adonis fut tué, il l'aurait nommée et ne s'en serait pas tenu à une appellation si générale. On ne donne ces sortes d'appellations qu'à des choses si connues de tous ceux parmi lesquels on écrit qu'ils ne peuvent prendre le change et qu'il n'est pas besoin de rien ajouter de plus particulier. II y a plus : c'est que les Siciliens, parmi lesquels Bion a passé sa vie, appelaient Syracuse la ville par excellence et la Sicile l'île. Ainsi, il me paraît presque certain que c'est de Syracuse qu'on doit entendre cet ana ptolin et par conséquent attribuer tout ceci à la fausse Vénus. Au reste je crois qu'il est inutile de dire pourquoi j'ai traduit : 
Et Vénus en tous lieux dit d'une voix plaintive. 
au lieu de : 
Et d'une voix plaintive en tous lieux Vénus chante.
L'esprit se porte d'abord à entendre ici par Vénus cette déesse, parce que tout ce qui précède immédiatement s'y rapporte en effet, et il ne trouverait pas sa douleur aussi vive qu'elle le doit être si l'on disait d'elle qu'elle chante en se plaignant. Ainsi je me suis servi d'expressions générales afin qu'on pût encore rapporter ceci à la véritable Vénus.
II pouvait y avoir, du temps de Bion, de l'art et de la grâce à confondre ces deux Vénus et à passer ainsi font d'un coup de l'une à l'autre. Dans ces siècles où la crédulité dont étaient prévenus les spectateurs de ces têtes pour des représentations qui faisaient partie de leurs mystères et dans lesquelles tous les sens étaient agréablement émus par des objets touchants qui flattaient tout à la fois leur cupidité et leur religion ; dans ces siècles, dis-je, où la crédulité captivait la raison en partie là-dessus, l'esprit entrait bien mieux dans l'application de ce qu'avaient de commun et de différent la véritable et la fausse Vénus. Il se faisait même un plaisir de passer de lui-même et sans être arrêté de l'une à l'autre, et ces changements avaient pour lors le charme de la vérité sans avoir le dégoût de l'obscurité et de l'embarras. Mais un lecteur qui est de sang-froid et qui ne se trouve pas dans la prévention où étaient ceux qui envisageaient ces choses comme des mystères n'aime point qu'on le transporte ainsi d'un objet à un autre, au lieu de l'y conduire insensiblement.
Nec te praetereat Veneri ploratus Adonis,
a dit Ovide (Artis amatoriae, I, 75), et ce poète invite les amans à fréquenter le temple de Vénus où l'on célébrait les fêtes d'Adonis, selon le rite syriaque. Racine le fils, dans son poème de la Religion, rappelle ces fêtes funèbres en l'honneur d'Adonis : 
Que de gémissements et de lugubres cris! 
O filles de Sidon ! vous pleurez Adonis; 
Une dent sacrilège en a flétri les charmes, 
Et sa mort tous les ans renouvelle vos larmes.

(5) Outre le sens naturel de ce vers qui est d'autant plus beau qu'il est plus passionné, on peut dire encore que Bion fait parler ainsi Vénus par rapport à ce dernier baiser que donnait à un mourant la personne qui lui était la plus chère. Ce baiser était, comme l'on sait, l'un des devoirs les plus considérables qu'on rendait aux mourants, et les anciens se persuadaient qu'ils recueillaient ainsi l'âme avec les derniers soupirs, comme il parait par les vers suivants de Bion : 
"Ainsi ton esprit et ton âme passeront doucement de ma bouche en mon cœur."
Si quis super halitus errat,
Ore legam,

disait la sœur de Didon. Au reste, il y a dans le grec : "Passeront dans mon foie." Les anciens mettaient le siège de l'amour dans le foie peut-être parce qu'ils étaient faussement persuadés que c'était dans cette partie du corps que se faisait le sang. (On peut voir les remarques sur la 3e ode d'Anacréon.)

(6) Je boirai de l'amour, dit le grec. Cette même expression se trouve dans une belle épigramme de l'Anthologie (livre 7, épig. 209, édit de Grotius). Julien d'Égypte dit aussi dans une autre épigramme, quoique dans un sens un peu différent, qu'il but l'amour.

(7) Ce vers peut être entendu de deux manières : ou en rapportant ces mots : tout ce qu'il y a de beau à Adonis, c'est-à-dire Adonis, qui est tout ce qu'il y a de beau, descend auprès de toi ; ou en assurant que la pensée de Bion est la même qu'Ovide a exprimée plus généralement lorsqu'il a fait dire à Pluton et à Proserpine, par Orphée : 
Tendimus huc omnes ; haec est domus ultima, vosque
Humani generis longissima regna tenetis.

Bion, donnant des bornes un peu plus étroites à cette pensée, dit que tout ce qu'il y a de beau descend aux enfers, et Catulle, à son exemple : 
At vobis male sit, malae tenebrae 
Orci, quae ommia bella devoratis.
 
Et certainement les plus belles choses durent en effet ou semblent durer moins que les autres, soit parce qu'on les regrette davantage ou qu'on s'aperçoit plutôt et qu'on se souvient plus longtemps de leur perte.
Au reste, le premier de ces deux sens me paraît bien meilleur que l'autre ; il n'y a qu'à faire réflexion sur ce qui précède et sur ce qui suit. Vénus dit : "O Proserpine ! reçois mon époux ; que ton destin est heureux auprès du mien ! car tout ce qu'il y a de beau descend auprès de toi !"
Malgré l'observation de Longepierre, j'aimerais mieux suivre le premier sens avec Schwebel, à cause de la signification du verbe katarrein : il s'emploie spécialement pour exprimer le cours des fleuves et doit se prendre ici dans un sens métaphorique pour exprimer un grand nombre d'hommes : "Tendimus huc omnes."
Il y a mot à mot dans le grec : "Et ma ceinture ensemble a péri."  Cette ceinture était la source des charmes et des plaisirs ; ainsi Junon, Junon elle-même voulant plaire à son époux, crut ne le pouvoir faire sans cette ceinture qu'elle demanda à Vénus. (Voyez la belle description qu'en fait Homère dans le 14e livre de l'Iliade.)

(8) HYMEN ou HYMENEE était invoqué dans les chants du mariage par le refrain "hymen, ô hymenaee ! " II est devenu dans les poètes un fils d'Uranus, ou bien d'Apollon et de Calliope, ou mieux encore de Bacchus et de Vénus. Dans cette dernière généalogie, il se trouve le frère de l'Amour. Les romanciers mythologiques en ont fait depuis, les uns un jeune homme qui fut écrasé le jour de ses noces dans sa maison et en l'honneur duquel furent instituées les fêtes nuptiales dites Hyménées ; les autres un bel adolescent athénien qui, pris un jour par des corsaires avec beaucoup de thesmophoriazuses athéniennes parmi lesquelles il s'était glissé à la faveur d'un déguisement féminin pour voir celle qu'il aimait, se mit à leur tète pour tuer les pirates pendant la nuit et y parvint. Les Athéniens, ravis de revoir leurs filles, leurs sœurs et leurs épouses, lui permirent de prendre pour femme la riche jeune fille qu'il avait distinguée et qui jusque-là lui avait été refusée. 'Toutes ces aventures relatives à des mariages donnèrent lieu, disent les évhéméristes, à la création du dieu Hymen. Pour nous il est clair que ces événements vrais ou imaginés ne furent ajoutés qu'après coup à la conception primordiale du dieu. On sait au reste ce qu'en anatomie humaine veut dire hymen. Il n'est point impossible que la rupture de cette membrane ait eu son symbole dans la mort tragique du jeune marié qu'écrase le jour de ses noces la ruine de sa maison.
Hymen est décrit par les poètes comme environné de fleurs, surtout de marjolaine, ayant un flammeum (ou voile jaune de flamme) sur la tète et un flambeau à la main ; son brodequin aussi est jaune. Chez d'autres c'est un jeune homme blond, ceint de roses, enveloppé dans une robe brodée de fleurs et portant un flambeau et un arrosoir. (Biogr. univ., partie mythol., au mot HYMEN.)
Dans Bion, le dieu Hyménée est représenté avec un flambeau éteint et une couronne brisée, parce que l'on croyait qu'il n'assistait qu'aux mariages heureux et commencées sous de favorables augures.

(9) Moutonnet-Clairfons et Gail présentent ici dans leur traduction un contre-sens évident ; ils ont lu Moirai au lieu de Moisai ; ils ont supposé que les Parques pleuraient Adonis et le rappelaient par leurs chants. Ce dernier membre de phrase aurait dû avertir les deux traducteurs et leur faire reconnaître que c'étaient les Muses et non les Parques qui pleuraient Adonis et le rappelaient par leurs chants. M. Boissonade a rétabli ce passage dans son édition des poètes grecs.
Girodet s'est servi, à ce qu'il paraît, de la traduction de Moutonnet-Clairfons, et il a mis les Parques en scène, mais il ne les a pas fait chanter ; il les a représentées implorant Proserpine en faveur d'Adonis. Ce n'est pas la pensée du poète grec, mais elle est digne de lui.

(10) Non qu'il ne veuille entendre. Je crois que c'est ainsi qu'il faut expliquer cet endroit, quoique la plupart l'aient traduit : "at ille non exaudit, non sane, neque vult," sens qui ne me paraît s'accorder ni avec la raison, ni avec les mots. En effet, quand il serait vrai qu'Adonis, sensible à la nouvelle passion de Proserpine, ce qui est contraire à la fable et à la vraisemblance, quand il serait vrai, dis-je, qu'il n'aurait pas voulu revivre, il serait cependant ridicule de le dire sévèrement à Vénus dans un discours qui n'est fait que pour la consoler. Mais pour l'entendre de cette manière, il faut même faire quelque violence aux mots, car il faut mettre après ou man une virgule qui n'est point dans le grec ; et ainsi, il est bien plus naturel de traduire : « Non quidem non vult," d'autant plus que le de qui est après le chôra qui commence la phrase suivante est une particule qui marque ordinairement de l'opposition entre la phrase où elle se trouve et celle qui la précède, opposition qui ne peut subsister ici, en traduisant de la manière contraire à celle dont j'ai traduit. Cependant ceux qui ne voudront pas souscrire à mon sentiment, pourront lire :
En vain: il n'entend pas et ne veut pas entendre,
Et Proserpine enfin refuse de le rendre.
Malgré l'autorité de Boissonade, nous suivons le premier sens adopté par Longepierre.

(11) Moutonnet-Clairfons, GaiI, et Heskin avant eux, sont tombés dans une étrange méprise : ils ont supposé que le poète disait à Vénus: "Fuis dans ce jour les plaisirs," selon Gail ; les festins, d'après Moutonnet-Clairfons, conforme sous ce rapport à Heskin, qui a traduit la phrase grecque par ces mots : "Et hodie abstine a conviviis," sans s'apercevoir que ce conseil était tout à fait hors de vraisemblance et qu'il y avait évidemment altération dans le texte. En effet, M. Boissonade, en rétablissant Kommôn, au lieu de Komôn, donne à la phrase un sens plus raisonnable, et c'est cette leçon que j'ai suivie.

IDYLLE II.

(12) Le grec dit : "Quand vous serez parvenu à la mesure d'homme," expression qui se trouve souvent dans Homère. (Voyez l'Iliade, ch. 11, v. 225 ; l'Odyssée, ch. 11, v. 317 ; ch. 18, v. 217.  - Théocrite, idylle 18, v. 15.)
Cette pièce de Bion se trouve imitée en vers français dans les OEuvres de Jean Godard (tome 1, p. 101). Elle a été traduite en beaux vers latins anacréontiques par le père Sanadon (Carminum, p. 87), et dans les Deliciae poet. gall., Monerii, Epig. t. 1, page 603.

IDYLLE III.

(13) II y a dans le grec : "Pan avait trouvé le plagiaulos," c'est-à-dire la flûte oblique, la flûte courbe, qu'on nommait ainsi par rapport à sa forme, et qui était opposée à la flûte droite. Suivant Pollux (4, 10), le plagiaulos fut inventé par les Lydiens ; il était en lotos. Athénée (4, 23) parle aussi du plagiaulos, qu'il appelle photin, et dit que les Égyptiens en attribuent l'invention à Osiris. Nous ne rapporterons pas un plus grand nombre d'autorités pour un sens ou pour l'autre ; on voit qu'il est difficile sur ce point de savoir à quoi s'en tenir.
La flûte appelée aulos était faite d'un seul roseau percé en plusieurs endroits ; c'était avec les doigts et non point avec la bouche, comme dans la fistula, que l'on dirigeait les sons et les modes. (Voyez Achilles Tatius, Erôtike, liv. 8, page 477, édit. Salmas.) Dans son hymne 5e, Callimaque attribue aussi à Minerve l'invention de l'aulos, quoique les monuments historiques donnent au Phrygien Hyagnis l'honneur de cette découverte. II y a mot à mot dans Callimaque (édit. de la Porte du Theil, page 138) : "On n'avait pas encore percé les os des faons, ouvrage de Minerve, funeste au cerf." Nous savons par là que les anciens, dans les premiers temps, faisaient leurs flûtes avec les os des jambes de faons ; c'est pourquoi ils les appelaient, ces flûtes, kebreioi auloi. Aristophan. Acharn. V. 62-3. (C.)
Mercure fit la Chelys d'une écaille de tortue qu'il rencontra. Homère, dans l'hymne à Mercure, raconte cette histoire fort au long. (Voyez l'édition-traduction de M. Dugas-Montbel, page 235 et suiv.)
Cette idylle a été traduite en vers latins anacréontiques par le père Sanadon (Carminum pag. 89), imitée en vers français par Marot et traduite par La Monnoye (t. 1er de ses OEuvres choisies, p. 179).

IDYLLE IV.

(14) Les deux premiers vers de cette idylle se trouvent diversement dans les divers exemplaires. Il y en a où on les lit ainsi : 
Tai moisai ton Erôta ton agrion ê phobeontai, 
Ek thumô phileonti.

"Les Muses, en secret, craignent le fier Amour ; ou l'aiment, et, suivant ses pas, lui font la cour." Henri Estienne même, et Grotius, dans son Stobée, ont lu et traduit ainsi ; et quoiqu'il semble d'abord que de cette façon il y ait quelque contrariété dans la flûte, cette difficulté s'évanouit en examinant la chose de plus prés. Bion dit que les Muses, ou craignent ou chérissent l'Amour, et que le suivant en tous lieux, soit par crainte, soit par tendresse pour lui elles ne veulent rien faire qui le puisse offenser. Ce sens est fort bon ; mais cependant celui que j'ai suivi me paraît plus naturel :
Les Muses, loin de craindre Amour, le traître Amour, 
L'aiment, et le suivant partout lui font la cour.
Dans son édition, Schwebel soutient le sens que Longepierre adopte de préférence, et ici encore nous nous rangeons volontiers de leur côté plutôt que de celui de M. Boissonade. (C.)
Il y a des exemplaires qui portent aêidê (canat), et d'autres opêdê (sequatur). Ces deux mots reviennent au même sens, et la traduction convient à l'un et à l'autre.

IDYLLE V.

(15) Ce n'est ici qu'un fragment, et le dernier vers n'est pas même achevé. Dans Stobée, qui le rapporte, il est précédé immédiatement d'un vers détaché qui pourrait bien être de la même pièce, au moins ne m'en paraît-il pas fort éloigné pour le sens. Le voici : 
Ouk oid', oud' epeoiken, a me mathomen poneisthai.
Je l'ignore, et l'on doit s'épargner l'embarras 
De suer en cherchant ce que l'on ne sait pas.
Nous nous contentons de placer ce vers ici plutôt que de le mettre, comme fait M. Boissonade, à la tête de ta pièce ; nous ne voyons guère ce qu'il y signifie.
Ill y a dans les différentes éditions et même dans celle de M. Boissonade ôpase Moira (que m'a donnés la Parque) ; nous aimerions mieux avec Longepierre lire Moisa (la Muse). Toutefois, comme le fait remarquer le même commentateur, la première leçon pourrait être défendue. Horace a dit (ode 2, 16) : 
Spiritum graiae tenuem camenae, 
Parca non mendax dedit.

IDYLLE XV.

(16) Un air sicilien, c'est-à-dire un air bucolique et champêtre. On appelait ces sortes de poésies siciliennes, parce qu'elles avaient commencé en Sicile "Sikelikai Moisai,", dans Moschus. Virgile a dit aussi : "Sicelides Musae, syracosio versu;" mais le docte Servius croit que ce poète n'a parlé ainsi que parce qu'il imitait Théocrite, qui était de Sicile et Syracusien.

(17) Voyez sur les amours de Polyphème et de Galatée les idylles de Théocrite, 6 et 11.

IDYLLE XVI.

(18) Dans Longepierre, Schwebel, etc., cette pièce est rangée parmi celles de Moschus.

IDYLLE XVII.

(I9) II y a eu plus d'une Vénus. Cicéron, dans te 3e livre de la Nature des dieux, en compte jusqu'à quatre ; mais ce que dit ici Bion est assez singulier. II appelle Vénus fille de la Mer et de Jupiter ; cela ne s'accorde pas avec l'opinion commune. La Vénus fille de Jupiter eut Dioné pour mère, et la Vénus fille de la Mer devait sa naissance à l'infortune du Ciel, que l'avare ambition de Saturne venait de mettre hors d'état de pouvoir jamais être père.