PROCLUS

 

COMMENTAIRE DE PROCLUS SUR LE PARMÉNIDE

 

LIVRE TROISIÈME

 

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COMMENTAIRE DE PROCLUS SUR LE PARMÉNIDE

Sept Livres sur le Parménide

LIVRE TROISIÈME

§ 50. — « Et dis-moi, tu as, toi, dis-tu, divisé les choses comme il suit : tu as mis à part ce que tu appelles les Idées mêmes, et à part, les choses qui en participent. Et il te paraît que la ressemblance en soi est quelque chose par soi-même, séparément de la ressemblance que nous avons, nous, et qu'elle est un et plusieurs et tout le reste que tu as entendu dire à Zénon. — C'est bien ce que je pense, dit Socrate ».

Il l'interroge d'abord sur l'hypostase des Idées, s'il pense qu'il y a certaines choses séparables des plusieurs et qui en soient les causes, et si lui-même est partisan de l'hypostase de ces sortes de choses, ou s'il l'a entendu dire à quelque autre : interrogation qui n'est pas sans objet, mais par laquelle il veut savoir si, sur ce sujet, Socrate a une opinion purement conjecturale, et sil s'est rempli à une fontaine étrangère, ou bien s'il s'est élevé par lui-même, par son entendement, à la vue de cette hypothèse, s'il a mis en acte sa propre raison, et s'il a conçu, avant les monades coordonnées aux choses, les monades élevées au-dessus d'elles, et avant les monades participées les monades imparticipables. Car il est rationnel que ce soit à lui d'exprimer l'opinion que professent les partisans de Parménide, et de s'exprimer comme persuadé par l'opinion des autres, et non d'après sa propre conviction. Parménide ne fait donc rien, par l'interrogation à laquelle il le soumet, que d'éveiller la raison même de Socrate, de la préparer a la contemplation des intelligibles, en faisant appel à lui-même et non à l'opinion qui est en lui. Car c'est à la raison qu'il appartient de voir ces vérités que Parménide doit exposer dans les discours qui vont suivre. Et de ces paroles, dignes de toute confiance, il faut conclure que Socrate a conçu non seulement les choses définissables, mais les espèces séparables elles-mêmes, et qu'il a été amené à poser ces espèces séparables, non pas, comme le dit Aristode, parce qu'il s'était beaucoup occupé de la définition, mais parce que, par suite d'un instinct réellement divin, il avait eu, lui aussi, la conception des Idées, puisque, même dans sa jeunesse, on voit son esprit s'éveiller de lui-même a la contemplation des Idées, ce qui est précisément le premier objet des questions de Parménide.

Mais en voilà assez sur le texte; il nous faut passer à la considération des choses mêmes. Dans les recherches sur les Idées, il y a quatre grands problèmes : le premier, s'il y a des espèces (car qui se livrerait à cet examen, si l'on ne tombait pas d'accord d'avance sur ce point,) le deuxième : de quelles choses y a t-il, de quelles n'y a-t-il pas des espèces : (car ce point est l'objet de nombreuses contestations) ; le troisième, que sont les espèces et quelle est leur propriété particulière? Le quatrième : comment sont-elles participées par les choses d'ici-bas, et quel est le mode de cette participation. Toutes les autres questions rencontrent ici une mention et une étude très attentive ; mais la première n'a reçu aucun développement, sans doute parce que Platon a voulu nous laisser le soin de l'examiner nous-même. Et puisqu'il faut qu'avant les autres nous tombions d'accord sur celle là, voyons, étudions la par nous mêmes, et considérons sur quels arguments on pourrait fonder et établir l'hypothèse des Idées, et comment on pourrait démontrer qu'elles sont, à ceux qui aspirent à le savoir. Il faut commencer en posant cette question : le monde phénoménal, — et j'entends par monde tout le corporel en soi, — est-il quelque chose qui existe par soi-même ? Car c'est la première distinction qu'il faut faire. Si ce monde ne doit son hypostase qu'à lui-même, il en résultera de nombreuses et absurdes conséquences. Car tout ce qui subsiste par soi même, doit nécessairement être indivisible, puisque tout ce qui crée, tout ce qui engendre est nécessairement incorporel ; les corps créent par des puissances incorporelles, le feu par la chaleur, la neige, par le froid. Si ce qui crée doit être incorporel, et si la même chose doit être dans les choses subsistant par elles-mêmes et créant et créée et engendrant et engendrée, ce qui subsiste par soi-même sera indivisible : or tel n'est pas le monde ; car tout corps est absolument divisible. Donc le monde ne subsiste pas par lui-même. Et en considérant encore la chose d'un autre point de vue, tout ce qui est subsistant par soi-même est aussi agissant par soi-même. Car ce qui s'engendre soi même est , par nature, et de beaucoup antérieurement, capable d'agir sur soi-même, parce que cela même, créer et engendrer, c'est agir. Or ce monde ne se meut pas par lui-même, en tant qu'il est corporel. Aucun des corps n'est par nature capable à la lois d'être mû et de mouvoir tout entier; car il n'est pas capable par nature à la fois de s'échauffer lui-même tout entier et d'être échauffé par lui-même; mais puisqu'il est échauffé, c'est qu'il n'était pas encore chaud, et puisqu'il échauffé, il possède de la chaleur, et ainsi le même sera à la fois chaud et non chaud. De même donc qu'il est impossible qu'un corps se meuve lui-même, d'un mouvement d'altération, ἀλλοίωσις, il en est de même aussi, par suite, de tous les autres mouvements. En général tout mouvement corporel ressemble plutôt à un état passif, et l'activité qui se meut elle-même est immatérielle et indivisible, de sorte que si le monde est corporel, il ne saurait se mouvoir de lui même, et s'il ne se meut pas de lui-même, il ne subsiste pas de lui-même, et s'il ne subsiste pas de lui-même, il est clair qu'il reçoit son hypostase d'une autre cause. Car ce qui ne subsiste pas de soi-même est à son tour de deux sortes : ou il est plus puissant que sa cause, ou il est plus pauvre qu'elle. Ce qui est plus puissant, a quelque chose après lui-même qui est tel qu'est ce qui subsiste par soi-même : ce qui est plus faible est suspendu à une cause différente, qui est nécessairement une cause qui subsiste de soi même. Il faut donc que le monde subsiste par une autre cause plus puissante. Posons donc comme démontré que le monde est suspendu à une cause plus noble et plus haute. Cette cause donc, agit elle d'après un choix délibéré et selon un raisonnement, ou produit elle le Tout par son être même. Si elle crée par une volonté délibérée, sa création est instable, incertaine ; elle est tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, et le monde sera périssable. Car ce qui devient par une cause mue tantôt d'une façon tantôt d'une autre est changeant et périssable ; mais si le monde est éternel (mais ce n'est pas là la question que nous nous proposons de discuter maintenant) ce qui le crée crée par son être même. En général tout ce qui crée selon un choix délibéré, a nécessairement quelque création qu'il crée par son être même. En effet, notre âme. qui agit en beaucoup de cas avec délibération, cependant donne au corps la vie par son être même, et nécessairement c'est selon que son substrat est bien disposé, que l'âme vit sa propre vie, et non selon un choix délibéré. Car si une telle vie était suspendue à notre libre choix, l'animal facilement et à toute occasion serait dissous, l'âme, dans de telles circonstances, condamnant elle même sa communauté avec le corps. Mais il ne faut pas dire que tout ce qui crée par son être même a quelque création autre, résultat d'une délibération : par exemple le feu échauffe par sa présence seule, mais il ne fait rien par délibération; la neige, non plus, ni en général aucun des corps en tant que corps, ne crée rien. Si donc créer par son être même a une plus grande extension que créer avec délibération, il est clair que cela vient d'une cause plus noble et plus haute.

Et cela est conforme à la raison : car la création de ceux qui créent ce qu'ils créent par leur être même, ne leur cause aucune peine ; et c'est surtout dans les êtres divins qu'il faut accorder l'absence de toute peine, puisque nous mêmes nous vivons facilement et sans souci, lorsque notre vie est divine et conforme à la vertu. Si donc il y a une cause du tout, qui crée par son être même, et si ce qui crée par son être même, crée de sa propre substance, celui-ci, est premièrement et éminemment ce que te créé est secondairement, et ce qu'il est premièrement, il le donne au créé secondairement ; par exemple : le feu donne de la chaleur à un autre et est chaud : l'âme donne la vie et à la vie. Et en toutes choses tu pourras voir la notion vraie de tout ce qu'elles créent par leur être même. La cause donc du tout qui crée par son être même est éminemment et premièrement ce qu'est le monde secondairement Si donc le monde est un plérome d'espèces diverses, ces espèces seront éminemment aussi dans la cause du monde. Car la cause en soi crée le soleil, la lune, l'homme, le cheval et en général toutes les espèces qui sont dans le tout. Donc ces espèces sont éminemment dans la cause du Tout : soleil autre que le soleil qui nous apparaît, homme autre, et de même chacune des espèces. Donc les espèces sont avant les sensibles, et en sont les causes démiurgiques, présubsistantes, d'après la raison que nous avons donnée, dans la cause une de tout le Cosmos. Et si quelqu'un disait que le monde a une cause, non efficiente, il est vrai, mais finale et que tout est ainsi ordonné par rapport à elle, il a raison en ce sens qu'il pose que le Bien, comme cause, préexiste au tout ; mais qu'il nous dise si le monde reçoit quelque chose de lui, ou rien, selon son désir. Car s'il n'en reçoit rien, le désir est vide et vain pour celui qui ne jouit absolument pas de l'objet désiré : et s'il en reçoit quelque chose, nécessairement cette cause est éminemment ce qu'elle donne au monde, le Bien, même si elle ne lui donne pas seulement le bien : mais elle donne aussi selon sa substance, et s'il en est ainsi, elle créera le Tout, puisque d'abord elle est cause pour lui d'être , afin de lui donner selon la substance le bien, et nous arriverons à la même solution, et cette cause sera non seulement cause finale, mais aussi cause efficiente du Tout.

Deuxièmement il faut admettre l'argument qui dit que les choses phénoménales en soi, égales et inégales, semblables et dissemblables et toutes les choses en un mot qui sont sensibles, n'ont jamais et en rien la dénomination qui leur convient véritablement. Car quelle égalité y a-t-il dans les choses qui sont mêlées d'inégalité ? Quelle ressemblance vraie, dans les choses remplies de dissemblance? où trouver la beauté en soi, dans les choses où le substrat est laid ? Où le bien, dans les choses où se trouvent le en puissance et l'imparfait? Donc chacune de ces choses sensibles n'est pas vraiment ce qu'elle est dite, et par conséquent si on considère les corps - lestes, ils sont sans doute ce qu'ils sont plus exactement que les corps matériels, mais en eux-mêmes cependant on ne trouve pas la parfaite et exacte vérité : car ni le cercle, ni les centres, ni le pôle ne peuvent être exactement dans les choses étendues. En effet comment les choses qui, par essence, consistent dans l'inétendu et l'indivisible, pourraient-elles être absolument et parfaitement dans l'étendu et le divisible. Notre âme peut concevoir et engendrer des choses beaucoup plus exactes et plus pures que les choses phénoménales ; elle rectifie le cercle visible et elle dit de combien il est différent du cercle exact, et il est évident que c'est par ce qu'elle voit quelque autre espèce plus belle et plus parfaite que lui : car ce n'est pas sans prendre contact avec aucune idée, sans regarder à quelque chose de plus parfait, qu'elle nie que ceci soit réellement beau, que cela soit parfaitement égal : par le fait même de prononcer ces jugements, elle montre qu'elle voit le parfaitement beau et l'absolument égal. L'âme particulière de son côté peut engendrer quelque chose de plus exact et de plus parfait que les choses phénoménales, voir en elle-même la sphère exacte, le cercle, le beau, l'égal en projetant chacune des espèces, et l'âme du tout ne pourrait pas voir ni engendrer quelque chose de plus beau que le monde et ses phénomènes? Et comment l'une est-elle démiurge du tout et l'autre d'une partie du tout ? Car une plus grande puissance est productrice d'effets plus parfaits: et un mouvement plus immatériel est capable de contempler par la pensée, des objets d'un ordre supérieur. Donc le créateur du Cosmos peut et engendrer et concevoir des espèces plus grandes, plus exactes, plus parfaites que les espèces phénoménales. Où donc les engendre-t-il ? Où donc les voit-il? Évidemment en lui- même : car il se contemple lui-même, de sorte que lui-même se contemplant lui-même et s'engendrant lui-même, engendre en même temps et crée en lui-même des espèces plus immatérielles et plus exactes que les phénoménales.

Troisièmement, si rien n'est cause du tout. mais que tout naisse du hasard, comment toutes les choses sont elles coordonnées les unes avec les autres. Comment y a-t il toujours des êtres, et ruminent toutes les choses conformes à la nature deviennent-elles ainsi le plus souvent, tandis que toutes les choses issues du hasard arrivent le plus rarement ? S'il y a quelque cause une qui coordonne tout mais en s'ignorant elle-même, comment n'y aura-t-il pas quelque autre chose avant celle, qui se connaîtra elle-même et sera cause que celle la sera cause; car ce qui s'ignore soi-même est pire que les choses du tout qui se connaissent elles-mêmes ; mais il sera aussi meilleur : ce qui est impossible. Si ce principe se connaît lui-même, il est évident que se sachant lui-même être cause, il sait aussi les choses dont il est cause, de sorte qu'il contiendra aussi ces choses qu'il connaît. Si donc c'est la raison qui est cause, elle coordonnera toutes choses les unes avec les autres : car il n'y a qu'un seul démiurge du tout : or le tout est divers et les parties ne participent pas toutes de la même dignité et du même rang. Qui donc mesure leur dignité, si ce n'est celui qui les a créées?  Qui donc place chacune au rang qui lui convient, dans son siège propre, ici le Soleil, là la Lune, là la Terre, là l'immensité du Ciel, si ce n est celui qui les a produits ? Qui donc a composé tout cet ordre, a constitué de ces corps une seule et unique harmonie, si ce n'est celui qui a donné à chacun sa substance et sa nature. Si donc il a lui-même ordonné tout, il a déterminé à chaque chose sa dignité et sa valeur, il n'a certes pas ignoré ni l'ordre ni le désordre des choses : car créer ainsi serait le fait d'une nature sans raison, et non d'une cause divine, le propre de la nécessité, et non d'une providence intelligente. Si en se pensant lui-même, il s'est connu lui-même: et si, se connaissant lui-même et la substance qu'il a reçue en partage, il a su qu'il est immobile et objet du désir de toutes choses, il a connu les choses auxquelles il est désirable; car ce n'est pas par accident qu'il est désirable, mais par essence. Ignorera-t-il donc ce qu'il est par essence, ou plutôt il le sait et le sachant, il saura qu'il est désirable, et avec cela, il saura que toutes choses le désirent, et ce que sont toutes ces choses ; car des relatifs, savoir l'un avec détermination, et savoir l'autre vaguement, n'est pas le caractère de la science, et à plus forte raison, de la Pensée. Donc sachant d'une manière précise et déterminée les choses qui le désirent, il en connaît les causes puisqu'il regarde en lui-même et ne regarde pas les choses qui viennent après lui. Et s'il ne possède pas en vain les causes de tout, il est nécessaire qu il détermine, conformément à ces causes, l'ordre de tout, et qu'il soit ainsi la cause immobile de tout, comme déterminant à toutes choses leur rang par son être même. Maintenant est-ce parce qu'il devait créer, qu'il les a toutes conçues, ou est-ce parce qu'il les avait  conçues qu'il les crée toutes ? Mais si c'est parce qu'il devait créer tout, qu'il a tout conçu, il aura un acte interne et un retour sur lui même plus pauvre que l'acte procédant extérieurement, et il aura. en vue d'autres choses, la connaissance des êtres, et il connaîtra les êtres à cause et en vue des choses inférieures. Or si cela est absurde, il sera le créateur de tout par le fait de se penser lui-même. S'il en est ainsi, il fera les choses externes semblables à celles qui sont en lui : car tel est l'ordre des choses conforme à la nature, que l'acte qui procède extérieurement soit suspendu à l'acte interne, que le Cosmos entier soit suspendu à la monade parfaite et complète des Idées, et que les parties du Tout qui sont ici bas, soient suspendues aux monades distinguées.

Quatrièmement, donc, voyons après cela, cette autre considération. Nous disons que l'homme devient de l'homme et que de chacun devient le semblable. Comment donc devient-il et de quelle manière? On ne saurait dire que la génération de ces êtres est l'effet du hasard, car la nature ni Dieu ne font rien en vain, et en général, toutes les choses de cette espèce deviennent le plus souvent, et le hasard arrive le plus raniment. Si la génération de l'homme ne vient pas du hasard, d'où vient-elle? Du sperme, évidemment, me diras-tu : en effet le grain de blé jeté en terre fait venir l'épi, et le pépin, le figuier. Ainsi donc l'homme vient d'une semence humaine. Mais moi, ce n'est pas cela que je demandais, à savoir d'où vient un tel homme individuel. puisque ce qui vient  du sperme n'est pas l'homme purement homme. mais un certain homme (car il y a toujours des hommes) et d'ailleurs ce sperme lui-même est venu de l'homme. Admettons que l'homme vient du sperme: du moins le sperme a en puissance les raisons (séminales), mais il ne les a pas en acte. Car étant corps, il n'est pas de sa nature d'avoir les raisons indivisément et en acte.  Qu'est-ce donc qui a ces raisons en acte-? Car en toutes choses le en acte est antérieur et supérieur a le en puissance : car étant imparfait, il a besoin de quelque chose qui l'amène à la perfection. Tu me diras que c'est la nature de la mère : c'est elle qui réalise les raisons et qui donne la forme à l'être qui devient ; mais ce n'est pas l'espèce phénoménale de la mère qui crée le fétus, mais la nature, qui est une puissance incorporelle. Si donc c'est la nature qui fait passer les raisons séminales du moment de l'en puissance à la formation en acte, c'est elle qui a les raisons en acte. C'est pourquoi, bien qu'elle n'ait ni raison ni imagination, cependant elle est la cause des raisons physiques. Est-ce donc que la nature des hommes possède les raisons humaines, et que la nature dans le lion ne possédera pas les raisons du lion, par exemple : de la tête, de la crinière, des pattes, et des autres parties du lion ? et d'où devient qu'une dent venant à tomber, une autre pousse, s'il n'y avait pas une puissance interne qui peut faire pousser les dents? et comment la nature décès parties crée t-elle à la fois l'os, a la fois la chair, à la fois chacune des autres parties? Car le même principe ne pourrait pas, en suivant la même voie, former une si grande diversité d'organismes , et cela quand il est, par sa propre substance, privé de raison. Dira-t-on que, chez les animaux, la nature possède les raisons, mais ne les possède pas dans les plantes, ou plutôt que même dans celles-ci l'ordre de la génération et les vies des plantes démontrent qu'elles sont réalisées selon des causes soumises à un ordre? Il est donc évident que les natures des plantes ont anticipé de la même manière (que les animaux) les raisons phénoménales. Mais remontons à l'autre nature, la nature unique et une, génératrice de la Terre, et semblablement de tout ce qui, sur la terre, respire et rampe. Et celle-ci, dirons-nous qu'elle n'a pas les raisons de toutes les choses qui poussent de la terre, beaucoup plus tôt que les choses d'où et dans lesquelles nous voyons la génération s'accomplir d'un non semblable, comme dans les choses en putréfaction? et d'où donc, dans celles-ci, vient la génération, et comment dans le même lieu, sans l'intervention du travail de l'homme, tant de genres différents naissent-ils? N'est-il pas évident que c'est parce que la nature universelle a en elle-même les raisons et les causes créatrices de toutes ces productions? Que faut il donc dire ? Car en remontant ainsi nous trouverons la nature dans chaque série de choses placées sur le même rang embrassant les animaux qui sont en elle, et la nature qui est dans la lune, embrassant les espèces qui sont en tous. Car c est par celle-ci qu'est gouvernée toute la génération, et c'est en elle qu'a été anticipée la monade séparée et supérieure des natures matérielles. C'est ainsi qu'accomplissant notre marche ascendante à travers les sphères, nous arriverons enfin à la nature du Tout, et que sur elle, nous nous poserons la question de savoir si elle a ou non les espèces, et nous contraindrons celui qui nous répond, d'avouer que, aussi en elle, il y a les raisons de toutes les choses phénoménales, les puissances créatrices et motrices : car toutes les choses qui se réalisent par des causes plus pauvres, reçoivent une hypostase meilleure et plus parfaite de causes plus universelles. Donc la nature du Tout étant la mère de tout, doit embrasser les raisons (le tout. Car autrement il serait absurde que l'art qui imite les raisons naturelles, crée selon des raisons, et qu'elle même crée sans raisons et sans mesures internes. Mais maintenant si la nature a les raisons, il faut qu'il y ait avant elle quelque autre cause qui contienne et embrasse les espèces. Car la nature, dont la puissance a pour objet les corps, crée en eux, de la même façon que si tu concevais un artisan exerçant sa puissance sur des pièces de bois, les creusant à l'intérieur, les mettant droites, les perforant, leur donnant une figure. Car telle est l'essence de la nature, plongée dans les corps, habitant dans l'intérieur de leurs masses, leur soufflant du dedans les raisons et le mouvement. Il fallait une telle cause pour les choses hétéromobiles, cause à qu'il appartient d'être sans raison, afin qu'elle ne se séparât pas des corps qui ont toujours besoin d'une cause qui leur soit immanente, et il fallait qu'elle possédât leurs raisons, afin qu'elle put maintenir toutes les choses dans leurs limites propres, et les mouvoir toutes selon l'ordre et la convenance. La nature appartient donc aux autres et ne s'appartient pas à elle-même, parce que, selon le rang qui lui appartient en propre, elle est privée de raison. Or il faut que la cause véritable soit séparée et élevée au-dessus des œuvres qu'elle crée. Plus le principe créant est au dessus de la chose créée, plus son action créatrice est pure et parfaite : par conséquent, si la nature est sans raison, elle a besoin de quelque chose qui la mène. Mais qu'est-ce donc ce qui, avant la nature, possède les raisons auxquelles il faut que tout ce qui est dans le monde ait son point d'attache ? Car, j'imagine, confier le tout à des raisons sans raison, si ce n'est pas réellement une absurdité, c'est du moins une opinion fausse. Il est donc nécessaire de placer des raisons dans quelque autre chose qui connaîtra ce qui est en elle-même, et dont l'acte sera à la fois et connaissant et créateur. Car il est absurde que nous connaissions, nous, le tout et les causes des choses qui deviennent, et que ce qui crée s'ignore lui-même et ignore les choses créées par lui. Sa connaissance sera donc supérieure à notre connaissance et sera placée dans la cause du monde, en tant que cette cause ne se borne pas à connaître, mais encore crée tout ce que nous, nous ne faisons que connaître. Si la cause démiurgique du tout connaît tout, eu tournant ses regards au dehors elle s'ignore encore elle même et sera plus pauvre que l'âme particulière ; mais si elle regarde en elle-même, toutes les espèces intellectuelles et capables de connaissance seront en elle et non pas seulement au dehors et (dans les choses phénoménales).

Cinquièmement, il nous faut examiner aussi cet argument: Toutes les choses qui deviennent d'une cause immobile sont, dit on, immobiles et immuables, et inversement les du qui deviennent d'une cause mue, sont mobiles, changeantes et se comportent tantôt d'une façon, tantôt d'une autre. S'il en est ainsi et si toutes les choses qui sont éternelles selon la substance sont aussi immuables, elles sont devenues d'une cause immobile ; car si elles étaient devenues d'une cause  mue, elle seraient changeantes, ce qui est impossible. Donc toutes les choses immobiles sont devenues d'une cause immobile, si toutefois elles sont devenues.

L'homme donc, l'homme purement homme, je veux dire l'espèce même, et le cheval, l'espèce en soi, dirons nous qu'ils ne deviennent pas d'une cause, quand le monde tout entier tient son hypostase d'une cause ? De quelle cause donc ? d'une certaine cause immobile, ou mue ? SI elle est mue. l'espèce humaine fera parfois défaut, car tout ce qui subsiste par une cause mue est de l'ordre des choses qui par essence sont sujettes à disparaître. Je ferai la même question au sujet du Soleil et de la Lune et de chacun des astres ; sont-ils devenus d'une cause immobile ou mue ? Car si leur cause est mue, il y aura, même en eux changement de la  substance : si c'est d'une cause immobile que ces astres et toutes les espèces qui sont éternellement dans le monde sont devenus, où sont les causes immobiles de ces phénomènes? Il est évident que ce n'est pas dans leurs corps ; car il est dans la nature de tout corps physique d'être mu: donc, logiquement, c'est dans la Nature. Mais la Nature est sans raison, et il faut que les véritables causes soient intellectuelles et divines. Donc  les causes immobiles de ces espèces sont premièrement, éminemment, dans la raison ; car elles ne sont dans l'âme que secondairement ; dans la nature, en troisième lieu, et en dernier lieu dans les corps ; car toutes les espèces sont ou phénoménalement ou invisiblement, inséparablement des corps ou séparablement. Si elles sont séparablement, ou elles sont immuablement selon la substance, mais muablement  selon l'acte. Donc sont proprement immobiles, les espèces qui sont aussi immuables selon la substance et selon l'acte, telles que les intellectuelles ; les deuxièmes seront les immobiles selon la substance, mais mobiles selon l'acte, telles que les psychiques ; les troisièmes sont les espèces, il est vrai, invisibles, mais inséparables des visibles, telles que les espèces physiques ; les dernières enfin sont les visibles, qui sont dans les sensibles et qui sont divisibles ; c'est jusque là que procède et là que s'arrête l'abaissement des espèces.

Sixièmement, et sous un autre point de vue, nous traiterons de l'hypostase des espèces,en nous appuyant sur les démonstrations elles-mêmes ; car tous nous reconnaissons que toutes les démonstrations viennent de principes antérieurs et plus élevés, et c'est pour cela que la démonstration a paru à quelques-uns chose si grande et si grave, qu'ils la placent comme supérieure à la méthode de division. Admettons donc ce principe commun, que la démonstration vient de causes et de causes par nature plus élevées. Or les choses d'où proviennent les démonstrations, ce sont les universaux, τὰ καθόλου.  Car toute démonstration naît des universaux. Donc les universaux sont les causes des choses qui sont démontrées par eux. Lors donc que l'astronome dit que les cercles dans le ciel se coupent l'un l'autre en deux, parce que tout plus grand cercle coupe en deux son semblable, fait il une démonstration ou non ? Or il tire sa proposition du général. Où donc trouverons-nous ces causes de la section des cercles dans le ciel, qui soient plus universelles qu'eux mêmes? Car elles ne seront pas dans les corps, puisque tout ce qui est dans un corps est particulier : et il faut qu'elles soient nécessairement dans une substance incorporelle. Il est donc nécessaire que les espèces aient leur hyparxis antérieure aux phénomènes et qu'elles soient la cause de leur être, parce qu'elles sont plus universelles et plus puissantes qu'eux. Il est donc, et par soi-même évident, comme nous le disions, que la science exigeant qu'on pose les universaux et plus substantiels et possédant une causalité plus grande que les choses individuelles, il est évident que l'hyparxis des espèces est antérieure, et que c'est d'elles que les choses individuelles prennent leur hypostase, parce qu'elles sont séparables. Et si tu veux, examine par elle même la question de savoir d'où vient que Socrate, et tous ceux qui admettent la théorie des Idées, sont arrivés à la conception de leur substance réelle ? Ce transport de l'âme qui s'élève vers l'hypostase de ces monades divines, c'est vraiment le fait d'un homme qui s'est déjà replié et retourné vers la raison, qui s'est séparé lui-même du composé, qui a vu dans leur distinction et la vie psychique et la vie corporelle, et compris qu'il n'y a rien d'étonnant que le substrat soit une chose, que le participé qui est dans le Substrat en soit une autre, que l'espèce séparée et imparticipable en soit une autre. La foule, qui mêle sa propre vie à la vie du composé, est impuissante à discerner et a distinguer le participable de l'imparticipable ; c'est à celui qui a vu le séparable, qu'il appartient d'arriver à une puissance qui le rende capable de sortir pour ainsi dire du corps et de regarder le séparable qui est en lui-même. C'est l'homme d'une nature supérieure  qui, ayant vu par lui-même la distinction de ces moments, atteint aux universaux, et conçoit les monades séparées et immatérielles comme antérieures à toutes les espèces participées. Et par là il remonte non seulement à ces monades ; mais par le même processus, il remonte au mouvement lui-même, en voyant que tout ce corps, d'après sa nature propre, est mu par un autre, et a besoin d'un mouvement venu d'ailleurs, qui conduit à ces espèces, et que le mouvement premier, le mouvement véritable est dans le moteur du Tout. Car celui-là a le mouvement du mouvant, le corps le mouvement du mu, et le mouvement dans celui-ci est l'image de celui qui présubsiste dans celui là : car celui-là est mouvement parfait, puisqu'il est acte. Or l'acte est imparfait dans celui-ci, et l'imparfait tire son hypostase et sa perfection du parfait. En outre, dans la connaissance, on peut voir que le dernier degré est la connaissance des corps, qu'on l'appelle connaissance sensible, ou si l'on veut imaginative. Toutes les connaissances de cette sorte sont privées de la vérité ; elles n'atteignent pas la substance des choses, ne voient ni l'universel ni le général, voient tout revêtu de figures, de formes, divisé en parties, tandis que la connaissance plus parfaite est sans forme, sans figure, sans matière: elle existe par elle-même, s'appartient à elle-même  : la sensation qui est une connaissance imparfaite, qui est dans un autre et ne s'appartient pas à elle-même, n'en est que l'image. S'il en est ainsi dans les mouvements et dans les connaissances, dans la vie aussi, autre chose est le participant, autre le participé, autre l'imparticipable. Le même raisonnement s'appliquera aux autres espèces : autre est la matière, autre l'espèce qui est en elle, autre l'espèce séparable. Car on ne dira pas que les espèces imparfaites, qui sont dans un autre, qui ont un être faible et incertain, ont été créées par Dieu et la Nature, et que ce ne sont pas eux qui ont créé les espèces parfaites, dont l'être est parfait et qui s'appartiennent à elles-mêmes : celles-là ont une hypostase de beaucoup antérieure, et c'est d'elles que deviennent celles qui sont plus obscures, participées et qui existent dans la matière. Voilà par quelles pensées Socrate et tous les autres ont été amenés à poser les Idées, à dire que les unes sont participées par les choses individuelles, et gué les autres existent à part et par elles-mêmes : car cette propriété d'exister à part est la propriété la plus essentielle aux espèces.

S'il faut exprimer brièvement la cause de l'hypothèse des Idées et pour quelle raison ces philosophes l'ont adoptée, il faut dire que toutes les choses visibles et célestes et sublunaires naissent ou du hasard, spontanément, ou par une cause ; qu'elles naissent du hasard, cela est impossible ; car les meilleures, la raison, la pensée, la cause, et ce qui vient de la cause, seraient de l'ordre des choses inférieures, et ainsi, les effets seraient supérieurs aux principes, outre la raison que donne Aristote, à savoir, que nécessairement les causes par soi sont antérieures aux causes par accident; car ce qui arrive par accident est un effet, un rejeton des causes par soi, de sorte que ce qui est selon une cause, est plus élevé que ce qui arrive par hasard, même si les plus divines des choses visibles devenaient spontanément. Et si elles sont causes du tout, elles seront plusieurs et sans connexion entre elles, ou il n'y en aura qu'une. Si elles sont plusieurs, nous ne saurons pas dire ce qui fait le tout, un ; car l'un est meilleur que les plusieurs et le tout que les parties. S'il y a une seule et unique cause du tout et de l'un (de ce tout), par rapport à laquelle tous (et le tout et l'un du tout) sont coordonnés, dire qu'elle est sans pensées est absurde : car il y aura alors encore quelque chose de supérieur à la cause de toutes les choses postérieures, c'est ce qui crée selon une pensée et une connaissance, qui existe au-dedans du tout, est partie du tout et est tel par une cause sans pensée. Si c'est quelque chose ayant la pensée et se connaissant soi-même, il sait alors qu'il est la cause de tout, ou s'il ne le sait pas, c'est qu'il ignorera sa propre nature. Et s'il sait qu'il est cause de tout selon la substance, il sait ce dont il est cause ; car sachant d'une façon déterminée l'un des deux, il sait nécessairement aussi l'autre. Il sait donc d'une façon déterminée ce dont il est cause : il contenait donc le tout et toutes les choses dont est formé le tout, et dont il est la cause. Et s'il en est ainsi, en regardant en lui même et en se connaissant lui même, il connaît ce qui est après lui même. C'est donc par des raisons et des espèces immatérielles qu'il sait les raisons cosmiques et les espèces dont est formé le tout . Le tout est ainsi en lui comme dans sa cause, sauf la matière.

Voilà les raisons qui ont persuadé Zénon et ceux qui ont IM »se l'hypothèse des Idées. Et il ne faut pas croire que ces philosophes ont conçu ainsi l'existence des Idées, mais que les hommes versés dans la science des choses divines l'ont entendu autrement ; au contraire, les Théologiens sont aussi partisans de cette doctrine. Car Orphée dit qu'après l'absorption de Phanès dans Zeus, le tout est devenu, par ce que, en lui, sous le mode éminent et unifié, secondairement et divisément dans le démiurge, ont apparu les causes de toutes les choses encosmiques. Car en lui le Soleil, et la Lune et le Ciel lui-même, et les éléments, et l'Amour qui crée l'unité, et toutes les choses enfin sans réserve ni exception sont devenues un :

« Dans le ventre de Zeus tout est ensemble par nature. »

Et ce n'est pas seulement cela qu'il professe, mais il nous enseigne aussi l'ordre des espèces démiurgiques. par lequel les choses sensibles ont reçu la beauté et l'organisation qu'elles possèdent. s Les Dieux, ayant jugé bon de révéler aux hommes la vérité concernant ces questions, ont dit quelle était la source une et unique des Idées, où subsiste d'abord le plérome des Idées, et comment en procédant il assimile au père du monde toutes les choses qui sont en lui, et universelles et particulières. Et il n'y a pas de mal, à cause de ceux qui tiennent un si grand compte du principe de la sympathie ; il n'y a pas de mal à mentionner ces vers qui se trouvent dans les oracles Chaldaïques, Λόγια.

« La Raison du père, les ayant conçues, par un décret puissant a fait sortir les Idées avec toutes leurs formes et elles se sont envolées et se sont élancées d'une seule source. Car c'est du Père qu'est venue la volonté et la réalisation: mais divisées par le feu intellectuel, elles se sont partagées en d'autres idées intellectuelles : car le Roi a imposé tout d'abord au monde polymorphe un type intellectuel indestructible. Mais le monde s'étant empressé d'en suivre avec ordre les traces, a apparu revêtu l'une ligure et paré de mille belles formes. De ces inondes il n'y a qu'une source unique, d'où s'échappent les autres sources divisées à l'infini, se fractionnant dans les corps du monde et qui, semblables à des essaims d'abeilles, sont emportées dans des réceptacles infinis et se transforment en eux pour ainsi dire les unes d'une façon, les autres d'une autre ; ce sont là les Idées intellectuelles, issues de la source paternelle, et qui se sont  emparées de la puissance immense du feu. C'est cette source première et parfaite du Père, qui, au moment où le temps qui ne s'endort jamais, était dans la fleur de sa force, a fait jaillir ces Idées, les premières nées de Tout. »

C'est en ces termes que les Dieux nous ont révélé où est l'hypostase des Idées, quel est le Dieu qui en enveloppe la source unique et comment de cette source procède la pluralité, et comment le monde a été construit selon ces Idées, et qu'elles sont les principes moteurs de tous les systèmes cosmiques et que toutes sont intellectuelles selon la substance, et qu'elles sont diverses, suivant leurs caractères particuliers.

On pourrait, en approfondissant ces notions, voir encore beaucoup d'autres choses concernant l'interprétation de ces divines pensées. Mais pour le moment présent, nous ne dirons que ceci : c'est que les Dieux confirment par leur témoignage les conceptions de Platon, en appelant Idées ces causes intellectuelles, et en disant que le monde est empreint du type qu'elles lui donnent. Si donc les arguments nous persuadent d'admettre l'hypothèse des idées, et si les Sages se sont mis d'accord sur ce sujet, Platon, Pythagore, Orphée, et si les Dieux confirment cette opinion par leurs témoignages, nous ne devons guère nous inquiéter des arguments sophistiques qui se réfutent d'eux-mêmes et ne disent rien de solide et qui soit fondé sur un raisonnement scientifique. Car les Dieux nous ont dit que ce sont les conceptions du Père, puisqu'elles demeurent dans les pensées du Père ; qu'elles procèdent dans la démiurgie du monde ; car la procession n'est que l'acte impétueux qui les en fait sortir ; qu'elles prennent toutes les formes, parce qu'elles enveloppent les causes de toutes les choses divisibles ; que des Idées sources ont procédé d'autres qui ont reçu dans leur lot, par parties, la démiurgie du monde, — ce sont celles qui sont dites ressemblera des essaims d'abeilles, — et qui sont génératrices des choses inférieures. De même Timée a déposé dans les intelligibles la cause première créatrice de toutes les espèces ; car c'est là comme nous l'avons montré ailleurs, qu'est l'animal en soi, l'αὐτόζωον. Les Oracles ont dit que la source des Idées présubsiste dans le Démiurge; et qu'elles ne sont pas séparées les unes des autres, comme quelques uns semblent le croire. Car ce n'est pas la même chose de rechercher la cause une et universelle des espèces encosmiques, et d'examiner simplement la première manifestation externe de toute la série des Idées. Ils ramènent le système général qui les embrasse au démiurge, le système des espèces divines à l'ordre intelligible, par lequel le démiurge et tous les diacosmes sont remplis de substance spécifique. Et voilà pourquoi, j'imagine, les Oracles disent que, s'échappant avec violence de leur propre source intellectuelle et se partageant les unes d'un côté, les autres de l'autre, elles viennent se briser et se fractionner dans les corps du monde, parce que, dans cette source, est enveloppée la cause des choses encosmiques, par laquelle toutes les choses composées selon la volonté démiurgique, devenues dans le monde, ont reçu leur forme. Les espèces contenues dans l'αὐτόζωον, subsistant selon leur essence intelligible, sont dites par Platon ni se mouvoir ni se précipiter dans les corps, mais, par leur être seul, donner à toutes les choses leur substance. Si donc le fait de subsister par l'acte et le mouvement est inférieur à la création qui précède l'acte et le mouvement, il est sans doute évident que les choses qui ont dans I'αὐτόζωον leur fondement intelligible et immobile, ont un rang supérieur aux idées démiurgiques. Or le Démiurge est créateur d'espèces de deux manières, et selon la source qui est en lui, et selon les idées intellectuelles. Car c'est là que sont les causes universelles de tout et les quatre monades, et c'est en partant delà qu'elles pénètrent dans tous les diacosmes divins et vont jusqu'aux derniers, de sorte que les dernières d'entre elles, qui sont des images sensibles, possèdent une ressemblance plus manifeste des uns, plus obscure des autres. Et si quelqu'un de nous est capable de suivre les processions divines, il verra que toute espèce sensible, même s'il porte son examen sur l'espèce sensible des choses placées dans la matière, il verra que cette espèce a reçu les propriétés de toutes; car le caractère d'automobilité et d'éternel ne vient pas aux espèces sensibles d'autre part que des espèces premières. Car sont éminemment éternelles celles qui offrent toujours à celles qui les suivent au deuxième et au troisième rang, la communication d'elles-mêmes. Maintenant le fait que chaque espèce est, par hyparxis, pluralité, mais que son hypostase est selon un nombre particulier et est remplie des nombres qui sont en rapport intime avec elle, et par là même est ramenée d'une façon à nous inconnue et ineffable à un rang divin, différent selon leur différence, cela, elle le reçoit de la sommité des intelligibles et intellectuels, et des espèces qui subsistent là d'une façon mystérieuse et inexprimable ; de même aussi que le fait d'unir la substance dispersée, de définir par des limites communes l'infinité des choses engendrées, cela, elle le reçoit de l'ordre qui maintient le système des chose,  et des espèces qui ont cette même fonction. Quant à leur vertu télésiurgique, c'est-à-dire la vertu d'achever la nature imparfaite, quant à leur fonction d'amener à l'acte l'aptitude des substrats, de renfermer dans des formes l'informe et dans la perfection l'imparfait, elles ne les reçoivent d'aucune autre part que de la divinité télésiurgique et des espèces qui se manifestent tout d'abord en elle. Et en outre, en tant que chaque espèce a une tendance à s'incliner sur elle même et à envelopper en elle-même, sous le mode de l'unité, les espèces, dans cette mesure, elle porte l'image de la sommité des intellectuels et de l'hypostase indivisible de celles des espèces qui ont leur fondement dans cet ordre ; d'un autre côté, en tant qu'elle procède avec la vie et subsiste par le mouvement et est conçue par l'imagination comme l'immobile dans les choses mobiles, par là elle participe de la série zoogone et reçoit l'empreinte et le type des puissances des espèces zoogoniques ; et d'un autre côté, en tant qu'elle est ce qui imprime la forme en la matière et est remplie d'une industrie artiste qui pénètre à travers la matière et montre une merveilleuse subtilité d'artifice et une faculté de spécifier conforme à la raison, par là, et dans cette mesure, elle reçoit les manifestations des idées démiurgiques. Et si elle assimile les sensibles aux intelligibles, si elle distingue leurs substances par des modifications conformes à la raison, il est évident qu'elle a été assimilée aux diacosmes assimilateurs des espèces, d'où se manifestent les processions divisibles des choses encosmiques, qui enveloppent et recouvrent les sensibles des manifestations issues des intelligibles. En outre si chaque espèce pénètre dans des plusieurs, quoique elle soit matérielle, et si elle détermine leur pluralité selon une forme qui leur appartient en propre, comment en vertu de cette puissance, ne remonte-t-elle pas à cet ordre des Dieux, qui, d'une façon indépendante et libre, use familièrement des lots qui sont dans le monde, attire en lui même par attraction plusieurs parties de ces lots divins, qui sont dans le tout. Donc, en procédant d'en haut, à partir des Idées intelligibles jusques aux dernières, nous verrons apparaître la continuité une de la série universelle et nous distinguerons, par un acte intellectuel, quelles propriétés particulières les choses sensibles ont comme arrachées de chaque ordre. Car il faut que toutes les choses secondes participent de celles qui les précèdent, et ainsi chacune des unes individuellement et à part a la faculté de participer de l'ordre de chacune des autres, ce qui ne veut pas dire autre chose, sinon qu'elles en participent selon les processions mêmes des Dieux. Car c'est en même temps que celles-ci, que procède l'ordre de celles-là qui a son hypostase propre en toutes ou intelligiblement ou intellectuellement ou hypercosmiquement, ou encore de façon à maintenir le continu, ou zoogoniquement ou démiurgiquement ou enfin selon quelque autre hyparxis divine déterminée.

Mais je me suis très étendu sur ce sujet par suite de mon penchant particulier : maintenant il faut revenir au texte de Platon, et nous rappeler les considérations sur la ressemblance, puisque même maintenant, il en fait mention en disant qu'elle est la puissance assimilatrice de toutes les choses secondes aux causes intelligibles, et qu'elle a la fonction de réunir les deux extrêmes. Car il faut que la procession de toutes choses se retourne vers leurs causes propres, et, dans les Dieux eux-mêmes, c'est ce que fait l'ordre assimilateur, qui fait retourner la pluralité des hénades divines à leurs causes uniées, et dans les espèces, cette puissance est exercée par le semblable. Et il ne faut pas s'étonner si les mêmes noms désignent et les espèces et certains ordres des Dieux. Car ces noms sont entendus universellement et particulièrement, hénadiquement et spécifiquement. Et puisque c'est le caractère particulier de la ressemblance, d'assimiler les créations démiurgiques du père au père même, il est conforme à la raison que la dissemblance soit jointe à la ressemblance par une communauté dénature, afin que celles-ci soient aussi distinguées comme étant images des paradigmes. Car ni les seulement semblables ne sont images, puisque, sans dissemblance, la ressemblance est paradigme et non image ; ni les seulement dissemblables ne sont images , car le nom même de l'image signifie la forme qui ressemble à une autre chose. Il faut donc qu'il y ait les deux, le dissemblable et le semblable, pour que l'image devienne une chose différente d'une autre. C'est pour cela que celles-ci occupent l'ordre moyen dans les espèces, comme l'ordre assimilateur des Dieux est moyen entre les unifiés et ceux qui procèdent dans une pluralité de sections. Car ce qui assimile est moyen entre la chose avec laquelle il y a ressemblance et celle qui est assimilée à celle-là. Si donc on nomme ressemblance une identité relâchée, et inversement dissemblance une différence relâchée, nous repousserons la définition, non pas en disant que les espèces n'ont pas leur hypostase dans le plus ou le moins (car ce plus et ce moins est la marque particulière de l'indétermination des espèces dans la matière), mais parce que chacune d'elles est mesure et a une substance propre et une puissance définie : outre que les unes appartiennent aux substances en tant que substances, les autres appartiennent aux qualités et aux puissances des substances, comme d'autres appartiennent aux qualités, par exemple l'égal et l'inégal. Et si l'on disait que le semblable vient de Dieu, le dissemblable de la matière, nous n'admettrons pas davantage cette idée. Car s'il y a une mer de la dissemblance, Platon a qualifié l'espèce dissemblable qui est là, de paradigme des dissemblables d'ici-bas, de sorte que nos adversaires traiteraient d'une autre espèce de dissemblance et non de la dissemblance comme on l'entend ici-bas. Si on veut faire entrer le semblable et le dissemblable dans la catégorie de la relation, nous ne l'admettons pas davantage ;  car ce n'est pas seulement selon la relation pure que les espèces démiurgiques ont leur hypostase, à moins qu'ils ne disent que le principe assimilateur témoigne en leur faveur, parce qu'il donne aux choses secondes leur relation aux premières et aux images leur relation aux paradigmes. Car c'est là surtout le caractère particulier de ce couple, de lier ensemble et de distinguer les pluralités des monades qui leur sont propres et les images de leurs paradigmes particuliers.

Quoique nous ayons dit déjà plus haut ce que c'est que l'un et la pluralité, disons encore maintenant plus clairement  qu'il y a après l'un, deux principes des êtres selon Platon, qui sont la limite et l'illimité. Toute raison, est formée de ces deux principes, la raison intelligible et l'intellectuelle, la raison assimilatrice, indépendante et l'encosmique, la raison universelle et la particulière. Puis donc que la raison démiurgique est un mélange, ayant en elle- même la limite et l'infini, on pourrait par suite l'appeler un et pluralité. Car l'un substantiel est limite , et la pluralité substantielle est l'infini en lui, et puis que l'espèce des corps est divisible, l'un substantiel est la limite qui est en eux, l'un divisible est l'infini : donc la raison est un et plusieurs, parce qu'elle est composée de la limite et de l'infini. Et de même que. ceux ci, j'entends la limite et l'infini, sont dans les intelligibles et y sont primairement, de même l'un et les plusieurs dans les intelligibles et les intellectuels, sont dans le nombre qui est là, primairement, comme la deuxième hypothèse nous l'apprendra complètement. Celui-ci, l'un, est limite du nombre, et celui-là (les plusieurs) est le nombre de la limite et de l'infini, perçu dans la pluralité et dans le continu, et d'une extension plus grande que l'un et les plusieurs ; car ceux-ci sont dans le nombre seulement. Donc, puisque le nombre n'est rien autre chose que l'un qui est à la fois aussi plusieurs, et que les plusieurs sans l'un sont pluralité infinie, et que l'un sans les plusieurs est le principe du nombre, celui-ci n'est pas encore nombre, et celui-là n'est plus nombre. Donc, de même que dans les intelligibles il y a d'abord limite et infini, de même dans les espèces qui viennent après eux et qui sont à la fois intelligibles et intellectuelles, sont l'un et les plusieurs, de même dans les troisièmes ', qui sont les intellectuels, se trouvent le même et l'autre ; car antérieurs et supérieurs à ceux-ci sont l'un et les plusieurs, parce que ces derniers sont absolument  (ἀπολύτως) ce qu'ils sont, et ceux-là ne le sont que relativement. Car l'autre est l'autre de quelque chose, elle même est le même que quelque autre chose, tandis que chaque un ne dépend que de lui-même et les plusieurs ne sont comptés qu'en tant qu'ils sont chacun un. Tout ce qui est compté est par lui-même de telle qualité, τοιοῦτον, ou plutôt, de telle quantité, τοσοῦτον, et il n'est pas dénommé dans le langage par une relation à quelque autre être qui est compté. Puis donc que ce sujet a été analysé dans une mesure suffisante, nous allons passer à la suite de l'ouvrage de Platon :

§ 57. « Ainsi donc, dit Parménide, tu admets ces sortes de choses, c'est-à-dire une certaine espèce existant par soi du Juste, du Beau, du Bien et en outre de toutes les autres choses de cette nature ? — Oui, dit-il.  »

La raison divine et démiurgique enveloppe, sous le mode unifié, les plurifiés, sous le mode indivisible, les choses divisées, et sous le mode indistinct les choses distinguées. Le premier principe qui divise les choses présubsistant dans la raison dans une union parfaite, c'est l'âme : non pas seulement notre âme, mais même l'âme divine. Car puisqu'elle n'a pas dans son partage seulement les pensées fondées dans l'éternité et qu'elle désire embrasser l'activité totale de la raison, en aspirant à la perfection qui est en elle et à cette forme parfaitement une et simple de la pensée, elle tourne autour d'elle, se meut en cercle autour d'elle comme un chœur dansant, et, par les transitions de ses notions, divise l'indivisible des espèces, voyant séparément le Beau en soi, voyant le Juste en soi, voyant chacune des autres espèces, les voyant toutes, mais une par une, et ne les pensant pas toutes à la fois. Car ayant le troisième rang à partir de l'un, pour nous exprimer d'une façon générale Il est logique qu'elle ait cette sorte d'acte. Car cet un est seulement un et antérieur à la pensée; la raison pense toutes choses comme un, et l'âme les voit toutes une par une. C'est donc à elle qu'il appartient primairement de diviser, parce que, privée de la pensée qui pense tout dans l'un et en bloc, elle a reçu en partage la pensée qui pense tout un par un, ä tout, parce qu'elle imite la raison, mais un par un, parce que c'est là l'attribut particulier qui lui appartient. Car la division et la définition sont en elle primairement. C'est pourquoi même les théologiens disent que la raison, par la providence d'Athéna, est conservée indivisible dans les déchirements Dionysiaques, que l'âme est divisée primairernent et que la division en sept est la division de la première âme. Elle a en effet pour caractère propre la fonction de division et le raisonnement discursif. Il ne faut donc plus s'étonner, tandis que les espèces divines présubsistent dans la raison démiurgique à la fois et sous le mode unié, que notre âme les saisisse sous le mode divisé, qu'elle considère tantôt les espèces tout à fait premières et les plus communes. tantôt celles qui occupent le rang intermédiaire, et enfin les plus particulières et pour ainsi dire les plus indivisibles des espèces. Car puisque nous avons dit que l'âme divine même divise l'indivisible par des touchers, des contacts successifs et discursifs, que dire de l'âme particulière? C'est qu'elle, beaucoup plus que la divine conçoit divisément et par parties les espèces qui sont ensemble et les unes dans les autres. Il n'y a donc rien d'étonnant, comme nous le disions, que les questions et les réponses s'attaquent tantôt à certaines espèces, tantôt à d'autres, et que chaque question soit pour ainsi dire le toucher d'un certain ordre d'espèces. Car de même que la parole projetée extérieurement divise la pensée une et simple, et parcourt dans une série successive de temps les pensées unifiées de la raison, de même les espèces que nous avons considérées tout d'abord sont les plus universelles et les plus communes, l'un, la pluralité, la ressemblance, la dissemblance, le repos, le mouvement; -- celles qui maintenant se présentent à nous, sont, sous un rapport, secondes relativement à celles-là, sous un autre rapport, non ; de même que nous disons que la vertu d'ici-bas, sous un rapport a une hypostase plus pauvre que l'âme, sous un autre, une meilleure, meilleure en ce qu'elle en fait la perfection, plus pauvre en ce qu'elle est quelque chose d'elle et subsiste en elle, de même le bon, le beau. le juste, sont, sous un certain rapport, meilleurs que les espèces substantifiantes, οὐσιοποιοί, sous un autre; plus pauvres. Car en tant que celles-là sont les plus générales, celles-ci participent de celles-là ; mais celles-là créent les choses par leur être, et sont par là causes premières créatrices de l'être pour les choses d'ici-bas ; celles ci sont causes de leur perfection, le juste, jusqu'aux âmes auxquelles il donne l'ordre et la perfection, le beau, qui agit. aussi sur les corps. Car la beauté, dit Socrate dans le Phèdre , a ce rôle d'être l'espèce la plus visible et la plus aimable ; la justice n'a pas de lumière dans les imitations qui en sont faites ici-bas, et le bien donne à toutes choses leur perfection, selon leur substance particulière individuelle. Car, selon le rapport de juste proportion de l'espèce â la matière, (il y a proportion lorsque le meilleur l'emporte, par essence, sur le pire) selon donc cette proportion le beau jette ses éclairs de lumière dans les corps, et le bien, selon la perfection, qui est présente en toutes les choses spécifiées, lorsqu'elles ont, par nature, la perfectibilité. Donc, dans cette triade, l'absolument premier est le bien, le deuxième le beau, le troisième le juste. Et s'il n'a plus posé, selon l'opposition contraire, les espèces bien et mal, beau et laid. juste et injuste, évidemment, j'imagine, c'est pour montrer qu'il n'admettait pas qu'il y eût des Idées, ἰδέας, de ces espèces. Car pourquoi a-t-il présenté les espèces précédentes avec leurs opposés contraires, semblable et dissemblable, un et pluralité, repos et mouvement, et pourquoi pose-t il celles-ci séparément de leurs contraires, en soi et par soi, si ce n'est parce qu'il n'a pas méconnu qu'il y a (les idées des choses bonnes. quoi qu'elles paraissent des contraires, tandis qu'il supprime et nie les causes spécifiantes des choses mauvaises.

Mais il nous faut examiner encore (le nouveau ceci : qu'il y a des espèces de ces choses, je veux du juste, du beau, du bien, et de toutes les choses qui sont, comme il l'a dit lui-même, de telle nature, par exemple de la tempérance, du courage, de la prudence, cela tu pourras t'en convaincre si tu considères que toute vertu et toutes les perfections conformes à la vertu nous rendent semblables au divin, et que plus profondément elles se trouvent fondées en nous et plus rapprochés nous devenons de la vie intellectuelle. Si donc le beau et le bien et chacune des vertus nous rend semblables à la raison, nécessairement la raison duit posséder les paradigmes intellectuels (le ces espèces. Car le semblable, lorsqu'il est dit semblable à un meilleur, possède alors primairement ce meilleur que le plus pauvre a reçu, et qui l'a fait devenir semblable pour l'avoir reçu. Car une chose autre participant à une espèce devient semblable à une autre, qui est aussi dite semblable à son semblable ; ou bien, étant secondairement que le meilleur est primairement, elle est qualifiée de semblable, comme image de ce meilleur. Il est donc nécessaire qu'avant l'âme, les espèces des vertus. est le beau en soi et le bien en soi soient dans la raison. Et il faut considérer de nouveau chacune de ces espèces sous deux points de d'abord, en tant qu'hénade divine , ayant un certain caractère, et en tant qu'espèce intellectuelle. en ayant un autre et différent : car ces caractères n'appartiennent pas au même ordre. En effet le juste subsiste autrement dans les espèces et autrement dans les Dieux ; car ici-bas cette espèce est une certaine espèce et n'est pas toutes les autres ; elle est partie d'une autre chose et la pensée qu'elle possède ne procède que jusqu'aux âmes ; la justice chez les Dieux n'appartient absolument et proprement qu'à elle même ; elle est un certain tout, et va, par ses fonctions providentielles, jusqu'aux choses du dernier degré : elle commence aux premiers dieux intellectuels ;car c'est là qu'elle s'est manifestée premièrement. Or le juste est aussi une espèce dans la raison démiurgique, comme nous l'avons dit. Le beau est une chose quand il est le beau comme espèce, et est une autre chose comme l'hénade de la beauté divine. Celle ci exerce son acte sur les dieux, en tant que dieux ; elle commence primairement. par le premier de tous les intelligibles, tandis que le beau est dans les espèces et est perçu autour des espèces. Mais le bien, est-il besoin de dire qu'autre est le bien substantiel, autre le bien hypersubstantiel ? Car cela a été dit clairement par les anciens. Il ne faut donc pas que les questions relatives aux espèces, jette le trouble dans les doctrines relatives aux Dieux, ni que le diacosme des espèces particulières se confonde et soit identifié avec les hénades divines ; il faut considérer en eux-mêmes les Dieux d'après leurs substances et leur pluralité et les considérer en soi et par soi.

§ 58. « Mais quoi ! établis-tu qu'il y a une espèce de l'homme, séparément de nous et de tous les êtres qui sont tels que nous sommes, ainsi une certaine espèce en soi de l'homme et du feu et de l'eau ? »

De toutes les espèces qui sont éternellement dans le Tout, il faut qu'il y ait des causes immobiles présubsistantes. Car l'immobile existe en elles parla puissance éternelle de leurs causes, de sorte que de l'homme, en tant qu'homme et de chacune des espèces individuelles dans les animaux et dans les végétaux, il y a des causes intellectuelles, et c'est de là que viennent les processions de toutes ; la procession ne se produit pas immédiatement dans les choses engendrées et matérielles ; car il n'est pas conforme à la loi immuable des choses que des espèces intellectuelles, éternelles et immatérielles engendrent la pluralité des espèces matérielles, changeantes, Individuelles, sans pensée, puisque toute procession s'accomplit par ressemblance, et qu'avant les choses complètement séparées de la cause, existent celles qui sont unies à elle et plus manifestement faites à son image. Il y aura donc procédant de l'homme en soi, un certain homme déterminé céleste, un empyrée, un aérien, un aquatique, et enfin au dernier rang, un terrestre. Et toute cette série de l'espèce. procédant constamment par abaissement dans le plus particulier, est suspendue à l'hénade intellectuelle que nous avons appelée l'homme en soi.  Il y en a une autre, procédant du cheval en soi, du lion en soi, et semblablement,  de tous les animaux et de tous les végétaux. Car les causes immobiles, avant les choses éternelles selon l'espèce, engendrent seulement les choses éternelles selon le nombre, et avant les choses matérielles et mêlées à la laideur, les choses où dominent le beau et la proportion. Ainsi donc le feu de là haut, et l'eau et la terre et l'air ne créent pas immédiatement ces choses matérielles, mais avant elles, les célestes et les éléments immatériels. C'est pourquoi nous avons dit ailleurs que le ciel est composé des quatre éléments. non des éléments tout à fait matériels, mais d'éléments plus immatériels et qui  se sont manifestés primairement procédant des espèces. Et en un mot, de même que chaque raison enveloppe tout, de même, dans chaque sphère. tout est selon un mode de convenance avec chacune, héliaquement ici, sénéliaquement dans celle-là, empyriquement dans cette autre, et chthoniquement dans la terre: c'est pourquoi Platon ayant dit ; « Mais quoi ! l'espèce de l'homme, séparément de nous, » a ajouté « et de toutes les choses telles que nous sommes. » Car il faut séparer et détacher l'espèce intellectuelle de toutes les encosmiques, que ce soit l'homme céleste, ou l'homme empyrée, ou l'homme chthonien qu'on veuille désigner. Car tout le nombre des hommes d'ici-bas, s'abaissant selon plusieurs processions et plusieurs ordres, est suspendu à cette hénade intellectuelle que nous avons qualifiée : l'homme en soi, parce qu'elle est la première cause et la source de la série des hommes. Et comme cette hénade est la source de la série des hommes, il y a une autre source et une autre hénade du feu, qui est en tous et une autre encore, de toute l'eau encosmique. Que ces mona-des soient plus particulières que celles dont il a été question précédemment, cela est évident, et il n'est pas moins clair que dans toutes les monades que nous avons citées, la plus particulière, et pour ainsi dire l'indivisible est celle de l'homme. C'est cette marche qu'a suivie l'entretien, procédant des choses plus générales aux plus particulières. Mais quant à savoir ce qu'est chacune de ces espèces, c'est une question qui est extrêmement périlleux de vouloir résoudre par ce passage. Car de tous ceux qui ont traité de ce sujet, les uns ont été réfutés par ceux qui les ont suivis; les autres n'ont ajouté aucune autre chose plus importante que ce qu'on avait déjà dit. Et il ne faut pas s'étonner que nous exprimions les propriétés des plus générales, et que nos notions ne puissent pas atteindre les plus particulières; car pénétrer jusque dans les différence individuelles et particulières de toutes est au dessus de la raison humaine. Mais il nous est possible de considérer le caractère de ce qui s'étend partout ou sur le plus grand nombre de choses.

§ 59. « J'ai souvent, dit-il, mon cher Parménide, été dans la plus grande incertitude sur ce point, à savoir, s'il faut être affirmatif au sujet de ces espèces, ou chercher une autre solution. ».

En nous plaçant à un point de vue plutôt logique comme  disent quelques-uns, admettons que Parménide, par considération pour Socrate, avant de l'amener à une négation, a imaginé une formule d'hésitation, qui est intermédiaire entre une négation absolue et un parfait assentiment. Car il serait absurde, immédiatement après les affirmations, d'amener les négations et ce serait d'un homme bien peu ferme et peu constant dans ses idées. Avant donc qu'il exprime une négation de certaines de ces espèces, il dit qu'il éprouve de l'hésitation au sujet de celles qui lui sont présentées, de sorte qu'ici encore il répond avec précision, soit par un assentiment, ou par une hésitation ou par une négation, selon la mesure de l'hypostase des choses : car de toutes celles qu'il a vues se manifester dans les Dieux incorporels, dans les corps et dans toutes les choses visibles, de toutes celles-là il pose avec assurance qu'il y a des espèces : telles sont le semblable et le dissemblable, le mouvement et le repos, l'un, la pluralité, le juste, le beau et le bien. De celles qu'il a vues dans les choses mortelles, matérielles, qui s'écoulent et changent en diverses manières, sur celles là, il hésite: car en regardant en elles ce qu'il y a de corruptible, il doute qu'elles soient devenues selon l'espèce ; car les espèces sont causes de choses éternelles; et en regardant ce qu'il y a en elles d'immuable selon l'espèce, il est incertain si les espèces ne seraient par la cause de cette immuabilité. Mais de tout ce qui est en elles de bas et de vil, comme le poil, la boue, l'ordure, de celles-là il supprime complètement la cause spécifiante. Tu vois donc bien encore que l'assentiment parfait, l'incertitude, la négation de Socrate sont fondés en raison. Mais pourquoi, diras-tu, y a-t-il une grande différence dans les espèces qui procèdent, puisque les espèces sont unifiées les unes aux autres, de sorte que naît  la difficulté de savoir, s'il faut ou non poser des espèces de certaines choses qui ont aussi toutes des causes intellectuelles. C'est qu'il y a même là une sorte de différence : car toutes ne sont pas au même rang. Les unes unifiées dans leurs causes propres sont plus pluriliées et plus distinguées selon la procession, et la différence de celles qui sont au-dedans (de leurs causes) n'est pas aussi grande que de celles qui sont en dehors : mais celles-ci ont un excès et un défaut plus puissant et plus grand. Et en effet dans la pensée du politique, tout est à l'état de notions intellectuelles : le général, l'orateur, le taxiarque, l'homme du peuple, et ces notions ont entre elles une différence petite : car toutes sont vitales et subsistent ensemble en même temps dans la pensée du politique ; mais au dehors, la différence est très grande entre le stratège et l'homme du peuple ; car intérieurement il n'y a que les espèces, et ce qui est pour ainsi dire leur substrat indivisible.C'est donc ainsi que, tandis que toutes les choses intelligibles dans l'esprit divin, sont de même teinte, (ou simultanées),  on aperçoit dans le monde une différence extrême des choses mortelles avec les immortelles, des choses sans âme avec les choses animées, des choses sans raison avec les choses qui raisonnent, quoique toutes là-haut soient éternelles, vivantes et pensantes. Or il arrive que noire sensation peut connaître les tout à fait premières des unes, les dernières des autres, et trouver par là qu'ici-bas il y a une grande différence entre les espèces. Car ce n'est pas ce qui participe primairement de l'homme que nous voyons, mais ce qui en participe au dernier degré. C'est donc en comparant celui-ci au tout premier de ces animaux divins contenus dans les sensibles, que nous voyons naturellement la très grande différence établie en eux. — Assez sur ce point.  Platon écrit ensuite ceci :

§ 60  « Et sur celles-ci, mon cher Socrate, dont il semblerait risible de dire qu'elles sont, telles que le poil, la boue, l'ordure et toutes les autres choses les plus viles et les plus mauvaises, es-tu incertain s'il faut dire que de chacune d'elles il existe une espèce à part, différente de celles dont nous nous occupons, ou s'il faut le nier ? »

De quelles choses y a-t-il, de quelles n'y a t-il pas des espèces ? C'est la première question à examiner afin de suivre ici, en partant de la conception générale du sujet, comme à la piste, la pensée de Platon ; car sur ce sujet, tombé comme on ledit déjà quelque part, dans le domaine public, il y a de grands débats, surtout si on l'examine sous ces points de vue : à savoir : s'il y a un paradigme démiurgique de la substance intellectuelle ; — s'il y a des idées de la substance psychique ; — si les idées sont un et plusieurs ; — s'il y a (les paradigmes de la vie irrationnelle , et comment ? — s il y a des paradigmes des natures, et de combien de sortes ? — s'il y en a des corps en tant que corps, et si elles sont un ou accompagnées de l'un et des plusieurs — s'il y en a ou non de la matière, et non seulement de la matière des choses engendrées, mais aussi de celle des choses célestes ; — s'il y en a des animaux, non seulement selon le genre, mais jusqu'aux espèces individuelles— et des plantes, semblablement : — s'il y en a des particularités individuelles qui les accompagnent ; — s'il y en a des parties, par exemple de l'oeil, du doigt et des autres choses de cette nature; — s'il y en a des accidents. et comment il y en a et comment il n'y en a pas; – s'il y en a des objets fabriqués par l'art : — s'il y en a des arts eux-mêmes -- et enfin s'il y en a des choses mauvaises ; car si nous épuisons toute la série de ces questions, nous aurons une doctrine complète sur les Idées mêmes, de laquelle nous pourrons découvrir l'opinion de Platon.

Il est nécessaire qu'il y ait des idées ou des choses selon la nature seules, ou aussi des choses contraires à celles-là : et s'il n'y a d'idées que de choses conformes à la nature, est-ce des éternelles seules, ou de chacune de celles qui ne sont pas telles ; et s'il n'y en a que des éternelles seules, est-ce des substantielles ou aussi des non substantielles ? et s'il n'y en a que des substantielles, est-ce des touts seuls ou aussi des parties ; — et s'il n'y en a que des touts, est-ce des touts simples seulement, ou aussi des composés de ceux-ci. Après avoir établi ces divisions, il nous faut les examiner chacune tour à tour.

Nous devons dire tout de suite que de la substance intellectuelle, s'il y a plusieurs raisons issues par abaissement d'une seule, il ne faut pas poser de paradigmes, comme nous l'avons dit quelque part précédemment. Car ce dont il va paradigme, cela est nécessairement une image ; or appeler image la substance intellectuelle serait la chose la plus absurde. Car toute image est un simulacre de ce dont elle est image, et le simulacre, l'hôte Éléate dans le Sophiste l'a ouvertement qualifié de non réellement non être. Si donc toute substance intellectuelle appartient a la classe des réellement êtres, il ne convient pas de l'appeler ni image ni simulacre. D'ailleurs, sous un autre point de vue, toute la nature intellectuelle est indivisible, et la procession de cette nature s'opère par l'identité. De là vient que les seconds ne sortent pas des premiers, et qu'ils sont particulièrement ce que le tout est totalement. Il faut donc nécessairement que l'image ait une dissemblance mêlée à la ressemblance, qu'on connaisse cette dissemblance, et que par la ressemblance, elle se retourne vers le paradigme. Il n'y a donc pas image et paradigme dans les substances intellectuelles, mais seulement cause et ce qui vient de la cause. C'est pour cela que les théologiens, ayant posé plusieurs sources dans la raison démiurgique, disent qu'il y a une source unique des sources plusieurs, qui est la source des Idées. Donc tout ce qui procède du démiurge n'en procède pas selon la cause spécifique, mais tout ce qui accomplit une procession plus plurifiée, tout ce qui a une substance divisible, cela subsiste selon la cause spécifique. Les autres sources sont génératrices d'hypostases intellectuelles et divines. Il ne faut donc pas poser, de toute la substance intellectuelle, un paradigme dans la raison, mais seulement une cause unifiée et divine. Nous nous bornons à ces observations sommaires sur ce point.

Le second point qu'il nous faut examiner après celui-là, est de savoir s'il y a dans les idées des causes premières efficientes, πρωτουργά, des âmes, et s'il n'y en a qu'une ou plusieurs. Mais qu'il y a une certaine monade des âmes dans le démiurge, dans laquelle est anticipé tout le nombre des âmes, sous le mode unié, cela est évident et par la nature des choses et par la doctrine de Platon. Car si l'âme est la primairement engendré et le primairement divisible, il est nécessaire que l'espèce ou idée indivisible soit antérieure et supérieure aux divisibles, et l'éternel aux engendrés de quelque mode de génération que ce soit. Et si, comme nous l'avons dit, l'âme est à la raison comme le temps à l'éternité, et si le temps est l'image de l'éternité, il est nécessaire que l'âme soit une image de la raison. Et si dans l'être il y a non seulement vie, comme le dit Socrate dans le Philèbe, mais encore âme, il faut assurément poser l'âme comme cause paradigmatique de la pluralité des âmes, qui procède de la raison et comme cause anticipant, sous le mode unié, l'ordre et le nombre des âmes. Mais s'il n'y a pas seulement une espèce unique d'âmes démiurgiques, mais plusieurs, c'est ce qu'il faut examiner après cela. Car puisque toutes les âmes sont immortelles, il est nécessaire qu'il y ait un paradigme de chacune d'elles : mais il est impossible que la pluralité procédante soit aussi nombreuse que la pluralité demeurante. Si donc il faut dire ouvertement ce que j'en pense, il faut poser de toutes les âmes divines, après l'idée une et unique, encore d'autres causes déterminées, dire que celles-ci procèdent de celles-là selon une certaine procession, et un abaissement régulièrement ordonné, par l'intermédiaire des âmes démoniques, jusqu'aux âmes particulières de la nature qui est à la limite dernière. Voici ce que je dis : il y a dans la raison divine une monade paradigmatique de toutes les âmes, de laquelle a découlé leur pluralité, enveloppant sous le mode unie la mesure, par laquelle mesure est limité le nombre de celles ci. A cette monade est uni par affinité de nature un second nombre, séparé, paradigmatique des âmes divines. De chacune, il y a un paradigme propre et une espèce une de laquelle ont procédé les âmes divines d'abord, puis ensuite la pluralité coordonnée à chacune. Car du paradigme de l'âme Héliaque, a procédé primairement l'aine divine du Soleil à part, secondairement toutes les âmes héliaques angéliques, et tertiairement toutes les unies démoniques qui sont autour du soleil, enfin, au dernier degré toutes les âmes particulières. Car elles ont été toutes engendrées conformément à une seule espèce : c'est pourquoi elles sont des groupements de parties coordonnés à leurs touts, et de satellites coordonnés à leurs chefs, parce que leur cause intellectuelle une et unique fournit à leur procession l'union et la continuité. Et semblablement le paradigme de l'âme séléniaque engendre d'abord l'âme divine de la lune, ensuite l'âme angélique, ensuite l'âme démonique, puis l'âme partielle, et tout ce nombre est fourni parla monade intellectuelle. Semblablement encore, l'idée de l'âme chthonienne crée d'abord l'âme divine de la terre, ensuite toutes celles qui appartiennent à cette monade, de quelque nom que tu les désignes, soit angéliques, soit démoniques, soit particulières. Car toutes ont leur hypostase selon une seule espèce, la loi de l'abaissement étant conservée. Enfin en ce qui concerne les autres âmes divines, c'est le même mode d'hypostasiation : car chacune a une idée distincte, et les ordres des âmes angéliques ou démoniques ou particulières qui les accompagnent participent de la même et  unique idée ; et de même que la monade unique des paradigmes de là-haut, crée l'âme une et unique du monde, de même la pluralité des monades a engendré la pluralité des âmes. Celle-là embrasse, sous le mode unié, le nombre universel ; celles-ci les mesures de leurs séries propres ; l'une, la mesure de la série Héliaque, l'autre celle de la série Kronienne, l'autre de quelque autre série. Les âmes encosmiques, qui se sont les premières manifestées des mesures de là-haut, étendent cette espèce unique et une jusqu'aux dernières âmes de leur série.

Ainsi donc la raison démiurgique embrasse primairement les espèces des âmes divines, qu'elle a engendrées primairement ; chacune de ces espèces est à la fois un et plusieurs ; car elle contient, selon la cause, toute la pluralité des âmes contenues sous elle, et ainsi chacune des âmes a une hypostase conforme à quelque paradigme qui lui est propre ; et au premier rang sont les paradigmes des âmes divines, dans lesquels sont enveloppées les espèces des plus particulières. C'est pourquoi, je pense, Timée aussi, après avoir créé les âmes divines, et engendrant après elles les âmes particulières, a nommé les genres qui achèvent de les constituer, les restes des genres contenus dans les premières et après les avoir créées les répartit en nombre égal aux astres. Car la raison démiurgique a fait cette répartition selon les espèces et les nombres qui sont en elle : car pourquoi a-t-il attaché les unes au Soleil, les autres à la Lune, d'autres à d'autres astres, si ce n'est parce qu'il a engendré les unes selon l'espèce héliaque, les autres selon l'espèce séléniaque et toutes selon un et vers un, quoiqu'elles ne participent pas de la même manière de l'espèce. Il faut donc poser qu'il y a un ordre des espèces, que de toute âme purement âme, il y a une espèce, que toute âme est monadique et que son hypostase est selon une seule notion qui lui est particulière - car une matière ne diffère pas d'une autre matière ; — l'âme ne peut différer d'une autre âme, par rien, si ce n'est par l'espèce. Et il est nécessaire que ce qui produit chaque âme, produise aussi la raison, de sorte que l'espèce intelligible de chacune existe en hyparxis dans le produisant. C'est la pensée qu'ont eue les théologiens, quand ils disent qu'autres sont les causes universelles des urnes, qui engendrent leurs séries universelles, autres les causes particulières par lesquelles préexistent en elles (les âmes) la distinction selon l'espèce et la division en âmes pour ainsi dire indivisibles. Voilà ce qu'il y avait à dire sur ce sujet.

Quant aux âmes privées de raison, il est évident que même de ces âmes, il y a un paradigme intelligible ; car s'il y en a dans d'autres genres, d'immortelles, il y en a aussi parmi celles ci : j'appelle privées de raison, ἄλογοι, toutes les vies secondes et divisées dans les corps. D'où leur vient ce privilège d'éternité ? nécessairement de quelque cause immobile et intellectuelle : mais comment, c'est ce que maintenant il nous faut dire. Il faut encore ici poser d'abord une monade unique et une seule idée de ces âmes, que ce soit une nature source, ou douée de sensation, ou de quelque nom que vous vouliez la désigner. Car à cause de la propriété de la faculté de connaissance, on pourrait dire que les âmes privées de la raison tiennent leur hypostase de la sensation démiurgique seule ; et à cause de la faculté de désirer, la tiennent du degré le plus élevé de la nature, de la nature Source, qui préexiste à la pluralité des natures. Telles sont donc les causes d'où procède la pluralité des âmes qu'on voit en notre monde, éternelles sans doute, mais par essence privées de raison, qui sont divisément, dans leurs véhicules éternels selon un certain nombre fondé et préexistant en eux et selon cette mesure spécifique. Car toute pluralité éternelle est limitée ; à toute pluralité limitée préexiste en hyparxis ce qui la limite et lui donne le nombre. Et non seulement cela; mais elles procèdent des âmes pourvues de raison ou plutôt des paradigmes qui sont en elles. Car c'est par là qu'elles sont même ici-bas rattachées aux âmes rationnelles, je veux dire, parce que là-haut, la mesure une de ceux-ci (des paradigmes) en même temps que la pluralité des espèces de celles-là, en engendre aussi le nombre. Mais les âmes divines et toutes celles qui sont pures conservent même ici-bas leur raison pure ; les âmes particulières n'ont à leur usage que des âmes irrationnelles ; elles ont une vie complexe, où tantôt le meilleur domine, tantôt est asservi. De ces âmes éternelles irrationnelles, ont reçu leur origine toutes les autres qui sont mortelles, elles aussi conservées selon l'espèce par le paradigme intellectuel, mais périssables dans leur individualité, parce qu'elles doivent leur hypostase aux jeunes Dieux ; car les âmes irrationnelles antérieures à celles ci avaient été engendrées par les âmes d'en haut, et la création de ces âmes, toute complexe qu'elle soit, avait été faite sur l'analogie de la monade de toute leur série. Les âmes périssables ont ainsi une certaine analogie avec lésâmes divines d'ici-bas, d'où elles ont tiré leur hypostase, et les urnes immortelles avec les causes spécifiques intelligibles des autres.

Troisièmement, il faut examiner comment il faut poser un paradigme dans la nature ; car assurément, comme dit Platon, nous n'irons pas poser un paradigme du feu et de l'eau et du mouvement, et supprimer de la nature qui est la cause de ces faits, la cause intellectuelle. Les Théologiens  en ont posé la Source dans la déesse Zoogone.

« Sur le dos de la Déesse, plane, suspendue, l'infinie nature. »

Pour nous, conformément à Platon, nous dirons que son espèce est dans la raison démiurgique, que c'est cette espèce qui hypostasie tout le véhicule physique, que c'est elle que,  d'après Timée, le démiurge montre aux âmes, en leur révélant la nature du Tout, et en leur prononçant les lois, arrêts  du destin.  Car c'est là-haut qu'est la nature une et le système général qui embrasse les lois édictées par le destin, selon lesquelles il a ordonné et divisé le Tout ; car nécessairement, puisque c'est le démiurge qui parle, c'est vers lui-même qu'il fait retourner les âmes. S'il en est ainsi, c'est en lui-même qu'il montre la nature du Tout et les lois subsistantes fixées par le destin, car c'est là qu'est l'espèce une. Les âmes, obéissant à ces prescriptions, produisent les natures auxquelles elles donnent le souille de vie: celles-ci à leur tour, qui sont éternelles, produisent les natures particulières et temporaires, lu s'il faut dire mon sentiment personnel, j'estime que, dans la raison démiurgique même, le paradigme des natures unifiées embrasse le nombre de celles à qui le sort a destiné l'éternité, et que c'est dans le dieu générateur de l'espèce corporelle, seul, quel qu'il soit dans les expositions des théologiens, que sont les causes divisées des natures éternelles, car c'est de lui immédiatement que reçoivent l'hypostase et le feu de la vie, tout l'ordre physique et le nombre des natures.

Mais en passant aux corps, est-ce que nous ne placerons pas aussi dans le premier démiurge leur cause une et universelle, embrassant tout le nombre des corps universels, et dans le démiurge qui travaille ces corps, après la monade, les causes distinctes et séparées des parties? C'est
la seule conclusion et elle est nécessaire, car le Démiurge qui enveloppe l'espèce une du Cosmos, est le premier Père même du Tout. Le reste est les parties qui deviennent par une loi nécessaire, et ces parties ont besoin de la Providence qui agit sur les corps. Outre cela, il est évident, que, comme nous le disions à propos des âmes, il faut aussi à propos des corps, poser les causes intellectuelles et spécifiques des corps divins. Car les véhicules des démons et des âmes particulières participent secondairement et tertiairement des causes de ceux-ci. L'espèce du corps héliaque engendre les véhicules héliaquues des âmes démoniques et ceux des âmes particulières. C'est pourquoi, de même que l'âme est coordonnée à l'âme, le véhicule est coordonné à sa sphère propre. Et en un mot, puisqu'il y a pluralité de causes, il faut mettre les causes des mêmes choses, d'une façon dans un dieu, d'une autre façon, dans un autre: ainsi par exemple dans le Dieu qui travaille les corps, nous mettrons les causes distinctes et séparées des corps, en tant que corps ; dans les principes générateurs des âmes nous mettrons ces causes, mais comme ayant un mode de vie psychique, et nous les mettrons dans le démiurge de l'univers en tant qu'animaux, parce qu'ils reçoivent d'en haut l'hypostase et selon leur corps et selon leur âme.

Il ne nous reste donc à examiner que la matière et à rechercher s'il y a d'elle aussi une idée, et si toutes les matières ne rentrent pas toutes dans la même notion. Si quelqu'un dit que même la matière des corps divins est informe et sans figure, il ne saurait y avoir de la matière une espèce semblable à l'espèce. Si la matière est étant, ὄν, elle aura été spécifiée, ou elle est espèce : or il est impossible que ce qui est sans rythme et informe soit semblable à l'espèce ; et si nous disons que par sa notion même la matière céleste a été spécifiée - (Car sans doute de même que pour les âmes, pour les natures et pour les corps, la démiurgie ne commence pas par les imparfaits, de même il est nécessaire qu il en soit ainsi pour la matière, c'est-à-dire qu'avant la matière informe et possédant un être vide et débile, il est nécessaire qu'il y ait une matière qui soit en quelque sorte espèce et qu'on perçoive dans une notion unique et dans un seul et même état ), — il y aura aussi d'elle un paradigme. Elle aurait donc une double origine et du paradigme et de la cause divine à part. Car tout l'intellectuel crée avec le divin et le divin crée aussi par lui-même ; car il procède jusque dans ces choses qui ne tirent pas leur génération de l'intellectuel.

Après les hypostases simples des êtres, poursuivons notre étude sur les choses qui en sont composées : je veux dire sur les animaux et les végétaux. Car ceux-ci tirent aussi tous leur génération des paradigmes intellectuels, parce que ce n'est pas seulement le genre de ces êtres, mais leur espèce qui complète et achève le tout et le rend lui-même plus semblable aux paradigmes. Le monde intelligible enveloppa tous les animaux intelligibles, comme le monde phénoménal enveloppe tous les êtres vivants, dit Timée.  Donc chacun d'eux a été fait semblable à quelque espèce intellectuelle; mais l'animal en soi, l'αὐτοζῶον, enveloppe sous le mode unifié et intelligible, à la fois les causes des âmes, celles des corps et celles des animaux - ; car de même que dans la tétrade des idées il a rassemblé tout leur nombre, de même il a anticipé, dans les intellectuels, selon l'union, les causes séparées et distinctes et des corps pour ainsi dire simples et des corps pour ainsi dire composés. Car certainement l'universel et le substantiel tirent de là leur origine, et d'où leur viendrait l'indéfectibilité  de leur essence si leur cause n'était pas éternelle ? d'où vient le commun qui s'étend sur les plusieurs ? Car tout ce qui est l'effet de la révolution circulaire est particulier, puisque ce mouvement même du ciel est en quelque façon particulier; or il est parmi les choses impossibles que du particulier soit engendré l'universel. Donc chaque espèce et des animaux et des plantes tire de l'intellectuel son hypostase selon un certain paradigme ; car tout ce qui devient, tout ce qui subsiste n'importe de quelle manière, à moins d'être un n'impliquant aucune pluralité, tient son être d'une cause. D'où viennent donc ces espèces et de quelle cause ? Est-ce d'une cause mue ? Cela est impossible. C'est donc d'une cause immobile, puisqu'elles sont éternelles, et telle est, disons nous, la cause intellectuelle : car elle demeure dans l'éternité absolument. Faut-il donc, non pas des espèces seules, mais encore des choses individuelles poser des idées, je veux dire de Socrate par exemple, et de chaque individu, non pas entant qu'homme, mais en tant que chaque individu a été créé avec une qualité particulière.  Et comment n'est-il pas nécessaire que le mortel, d'après ce raisonnement, soit immortel ? Car si tout ce qui devient selon l'idée, devient immuable selon sa cause, Socrate et chacun des individus sera par la substance toujours le même et fondé éternellement a. Or cela est impossible. De plus il est absurde que l'Idée soit tantôt le paradigme d'une certaine chose, tantôt ne le soit pas. Car ce qui est éternellement possède éternellement tout ce qu il possède, et par conséquent ou n'aura pas l'espèce paradigmatique ou l'aura toujours : dire en effet que dans les intelligibles, il se produit quelque chose par accident, est absurde. Si donc il y a paradigme, il faut qu'il y ait image, car tout paradigme est le paradigme d'une image. Or si la chose en soi tantôt est, tantôt n'est pas; le paradigme tantôt sera paradigme, tantôt ne le sera pas ; il sera dans une
courte partie du temps, mais ne sera pas dans le temps infini. Or, le est et le n'est pas alternativement, est une chose étrangère à cette substance. Comment donc ne pas ajouter nécessairement foi à Socrate, quand il dit que nous sommes contraints de poser les idées, pour cette raison, à savoir, d'avoir l'un avant les plusieurs. Car s'il y a des espèces même des choses individuelles, il y aura un un avant l'un, ou plutôt les infinis seront avant les finis; car les choses qui sont dans le sensible étant finies, les espèces individuelles seront infinies. Or que peut-il y avoir de plus absurde que cela? Car tout ce qui est plus près de l'un est plus limité quant au nombre que ce qui en est plus éloigné, parce que le nombre est quelque chose qui a une plus grande alunite avec l'un. Mais qu'il soit absurde de poser des espèces des choses individuelles, on peut s'en convaincre par ceci : puisque tout ce qui devient, devient d'une certaine cause, il faut poser aussi les causes de ces choses qui deviennent : ce sera, si l'on n'en pose qu'une seule, l'ordre du Tout, et si l'on veut poser un plus grand nombre de causes, ce sera le mouvement du ciel, les natures particulières les caractères propres des saisons, les climats, et les Dieux qui veillent sur eux. Car c'est par tout cela réuni que les choses individuelles possèdent leur constitution stable. C'est aussi par cela que les changements des saisons ont une action sur elles ; car le causant mu, meut en quelque sorte avec lui-même ce qui est devenu de lui. C'est par cela aussi qu'agissent les propriétés particulières des Dieux surveillants : car ces surveillants différent ont des figures, des couleurs, des voix, des mouvements différents qui leur sont propres; — et aussi les différences des climats : car les lieux différents rendent différentes les générations et les natures particulières, qui ne procèdent pas seulement de la nature universelle, mais empruntent quelque chose à la particularité des semences, s'en emparent et reçoivent une empreinte de cette particularité, qui, pénétrant dans les corps, les font pour ainsi dire, appartenir à ces lieux et non pas à eux-mêmes3. Nous voyons donc comment ce n'est pas selon une cause paradigmatique qu'ils subsistent : car ce n'est pas la même chose d'être selon une cause, et d'être devenu selon un paradigme; car le paradigme est une cause : c'est donc en plusieurs sens différents que l'on a l'habitude d'employer le mot cause : mais il n'y a qu'une seule et unique cause paradigmatique des plusieurs.

Ces explications suffiront pour ce point. — Quant à ce qui concerne les parties, dirons nous qu'il y a aussi d'elles des espèces, et poserons-nous un paradigme non seulement de l'homme, mais encore du doigt, de l'œil, et des autres parties dé cette sorte ? Puisqu'en général  chacune de ces choses est nécessairement substance, il faut poser qu'elles existent selon une certaine cause, et puisque ce sont des parties et non des touts, elles sont plus pauvres que la substance indivisible et intellectuelle : car il n'y a rien d'absurde à poser que celles qui ne sont pas seulement parties, mais aussi des touts subsistent selon cette substance; mais pour celles qui ne sont que parties, cela est absurde. Car la génération des touts vient d'elle puisque l'uniforme, τὸ ἑνοειδές, qui est avant le plurifié, et le tout qui est avant la partie, vient d'elle. Il serait donc exact de nier qu'il y a des causes intellectuelles de toutes ces sortes de choses; car toute raison est indivisible. Il faut donc placer en elle les touts seuls, qui sont avant les parties, et les indivisibles psychiques et physiques qui sont avant les divisibles ; car ce qui est divisible est primairement dans les âmes, et secondairement dans les natures. Il y a donc ici bas du doigt, de la dent et de chacune de ces parties une notion, une espèce, et leur totalité présubsiste dans la raison, celle qui embrasse dans l'un aussi la pluralité, présubsiste dans les âmes; celle qui divise et sépare vitalement l'un de la pluralité, dans les natures; enfin, celle qui crée une division selon l'étendue, dans les corps. Et s'il faut donner mon sentiment personnel, il ne faut pas nier qu'il y ait de ces choses des causes démoniques et distinctes, comme le prouvent les surnoms des causes qui sont attribuées au doigt, à l'œil, au cœur et qui embrassent, dans des sens différents, et les causes divines des touts et ceux-ci également. Ces explications sommaires relativement aux parties seront suffisantes.

Maintenant il faut de plus examiner la question des accidents. Auront ils, eux aussi, des idées? — On doit les considérer à deux points de vue: les uns ont la propriété de rendre parfaites et complètes les substances : ce sont par exemple, la ressemblance, la beauté, la santé, la vertu: les autres subsistent, il est vrai, dans les substances, mais ils ne servent ni à les compléter ni à les parfaire : telles sont la blancheur, la noirceur, et toutes les autres propriétés de ce genre. Les uns donc, qui complètent et parfont les substances, ont, par excellence, προηγουμένως, des causes paradigmatiques : les autres qui s'ajoutent inutilement, ἄλλως, aux corps, y deviennent selon la notion,  et le mélange des corps ne suffit pas pour les y faire naître ; mais l'espèce leur vient du dedans, de la nature, mais non cependant selon une certaine cause intellectuelle déterminée. Car le substantiel, le télésiugique, le commun conviennent aux espèces : et ce qui n'a pas part à ces caractères tient son hypostase d'autre part, mais non des espèces premières ; la nature, ayant reçu la puissance organisatrice des espèces, qui procède dans les masses, divise et sépare des parties, les touts; des accidents, les substances, accidents qui auparavant étaient unifiés et étaient indivises, en les déployant par ses propres puissances divisantes. Il n'était pas possible que de choses unifiées. il naquit immédiatement des choses complètement divisées, ni des plus générales, les plus particulières ; mais il était nécessaire que la division se manifestât dans les natures intermédiaires selon le principe de l'abaissement. Il faut donc poser une cause de la figure, capable d'apporter toutes les figures, une monade une des nombres. capable d'engendrer tous les nombres. Car puisqu'on montre ici-bas la monade paire et impaire, possédant, selon l'union, toutes les espèces, que faut  il penser de la monade de là haut ? n'est-elle pas cause de tout sous le mode de l'unité, n'engendre-t-elle pas. en elle-même, sa puissante infinie, et en nous le nombre infini ? et comment cela ne serait-il pas nécessaire, puisque même la monade d'ici-bas qui a procédé est une image de celle d'en haut : voilà ce qu'il y avait à dire sur les accidents.

Maintenant des objets fabriqués par l'industrie humaine, faut-il dire que deux aussi, il y a des espèces ? Socrate, dans la République, dit on, n'a pas hésité de dire qu'il y a une idée, ἰδέα, du lit et de la table ; mais dans ce passage il a appelé idée, la notion, λόγος;, qui est dans l'esprit de l'artisan, et il a dit que cette notion est l'œuvre d'un dieu, parce que cette faculté technique a été donnée, pense-t-il, par un dieu aux âmes. Et la preuve, c'est qu'il a appelé poète, le troisième a partir de la vérité, le plaçant dans un rang analogue  au peintre, qui ne fait, pas un lit déterminé et particulier, mais un simulacre de ce lit. Cependant si autre chose est  l'espèce divine, autre chose la notion dans l'objet devenu (car il appelle le Dieu, démiurge de l'espèce de l'objet fabriqué, poète comme producteur de l'espèce particulière) il serait le quatrième et non le troisième. Mais je vois que l'argument ne regarde et ne vise que la chose elle-même. Car s'il y a dans la raison des espèces de ces choses, viendront elles sans termes moyens, ἀμέσως, dans le sensible, ou par l'intermédiaire de la nature ? Si l'on dit qu'elles y viennent sans intermédiaire, la chose est absurde; car nulle part, dans les autres choses ne se produit une telle procession; mais les choses les plus proches de la raison participent les premières des espèces. Si elles y viennent par l'intermédiaire de la nature, parce que les arts sont dits imiter la nature (car la nature possèdera les espèces des choses fabriquées par l'art beaucoup plutôt que celles des arts s puisque la raison aussi les possède la nature sera la cause des objets fabriqués par l'art. Or toutes les choses qui doivent leur origine à la nature vivent, admettent croissance et génération, si elles sont de l'ordre des choses qui deviennent dans une matière. Car la nature est une sorte de vie et une cause des vivants. Or il est impassible que le lit ou quoiqu'un des autres objets fabriqués par l'art vive et croisse. Donc les choses fabriquées par l'art n'ont pas d'idée présubsistante ni un paradigme intellectuel de leur hypostase. Et si l'on voulait appeler arts, τέχναι, les sciences, il faudra faire cette distinction : Des arts, tous ceux qui élèvent en haut l'âme et la rendent semblable à la raison, de ceux-là nous poserons des espèces avec lesquelles ils nous placent en affinité intime. Car la figure et la pensée de la ligure ont une manière d'être semblables, comme le nombre et la pensée du nombre. Nous poserons donc des espèces de l'arithmétique, de la musique et de la géométrie, à moins qu'on n'entende chacune de ces sciences dans le sens vulgaire et infini: mais je les prends comme intellectuelles et capables de produire des espèces divines. Car ces sciences là nous rattachent à la raison lorsque nous considérons les astres qui sont au-delà du ciel , et que nous contemplons l'harmonie intellectuelle, selon laquelle le père du Tout a engendré et. les âmes et ce monde-ci, et ce nombre là haut, qui est dans toutes les espèces secrètement et divisément, et la figure intellectuelle qui est génératrice de toutes les ligures; c'est selon tout cela que le Démiurge entraîne dans une révolution circulaire tout l'univers et donne l'hypostase à chacun des éléments selon une certaine figure qui lui est propre. Il faut donc de ces arts poser des espèces, ainsi que de tous les autres qui élèvent l'âme en haut, et dont nous avons besoin quand nous nous envolons vers l'intelligible. Mais de tous ceux qui appartiennent à l'âme qui se joue et s'occupe de choses mortelles, qui n'a soin que de pourvoir aux besoins humains, d'aucun de ceux là il n'y a d'espèce intellectuelle. L'âme a la puissance, qui réside dans l'opinion, de produire des pensées; il appartient à sa nature d'en engendrer et de les distinguer: mais il n'y a absolument pas d'espèces distinctes et séparées des arts ou des choses produites par l'art, et il n'y a rien d'étonnant qu'il y ait certaines causes dans les démons, qu'on dit être les protecteurs et patrons les uns de tels arts, les autres de tels autres, que ces causes soient données en dons aux hommes, qu'elles soient symboliquement dans les dieux. Par exemple on dira qu'il y a un certain démon, Héphaislos, qui préside à l'industrie du forgeron, et qu'il en possède l'espèce, tandis que le Grand Dieu Héphaistos lui-même est dit symboliquement forger le ciel; et de même, qu'il y a une certaine divinité démonique Athénaïque, patronne de l'art de tisser, tandis qu Athéna elle-même est dite tisser sous un autre point de vue  et démiurgiquement, le diacosme des espèces intellectuelles.

Voilà comment nous devons concevoir les espèces intellectuelles.

Il nous reste, au sujet des choses qui appartiennent à la classe des maux, de dire sommairement que leur hypostase n'a pas de paradigmes divins, qu'ils n'ont qu'une existence dépendante, qu'ils doivent à certaines autres causes, comme nous l'avons dit ailleurs. Faut-il donc dire  qu'il y a une idée des maux, qui serait le mal en soi, αὐτὸ κακόν, et que, de même qu'il y a une espèce monadique indivisible des choses étendues et des choses plurifiées. de même il y a un paradigme bon des choses mauvaises ? La première opinion, qui pose le mal parmi les paradigmes, ne peut absolument pas être admise, pour que nous ne soyons pas contraints, en disant qu'il y a en Dieu des paradigmes des maux, de le dire cause des maux dont il aurait créé : d'abord les paradigmes, et que cependant nous, en considérant ces paradigmes, nous devenons meilleurs. Et si quelqu'un dit que l'idée des maux est bonne, est-elle banne uniquement par la substance ou aussi par l'acte ? Car si elle est bonne uniquement par la substance, elle sera productrice du mal, ce qu'il n'est pas permis de dire; et si elle est bonne aussi par l'acte, il est évident que l'effet sera bon : car de la puissance et de l'acte producteurs du bien, l'effet est bon, non moins que l'effet du feu est chaud ; donc le mal en tant que mal ne devient pas selon un certain paradigme. Et comme le dit Parménide lui-même, chaque idée est Dieu, et si aucun Dieu ne peut être cause responsable des maux, comme nous l'avons appris dans la République, il ne faut pas dire que les causes des maux sont des dieux. Les paradigmes sont les causes des choses dont ils sont les paradigmes : donc aucune idée n'est paradigme de maux. Outre cela, le démiurge qui veut que tout devienne semblable à lui-même, et qui veut que tout ce qui est dans l'intelligible devienne aussi dans le sensible, ne veut en aucune façon que le mal soit, dans la mesure du possible, comme dit tout cela le Timée. Et s'il y avait en lui un paradigme des maux, lui, qui veut faire tout semblable à lui-même aurait aussi produit le mal comme semblable à lui-même. Or il ne veut pas que le mal soit : il voudrait donc que quelqu'un des paradigmes de lui-même ne soit pas cela même, un paradigme. Et ainsi la proposition ne cessera pas d'être une impiété envers le pore du Tout, jusqu'à ce que, repoussant une pareille hypothèse, on ne veuille concevoir que les causes et les paradigmes des maux sont ici-bas quelque part, puisque la règle du Timée est que tout ce qui devient selon un paradigme éternel soit beau. Si le mal est devenu selon quelque paradigme, il n'y aurait plus nécessairement rien de laid, mais tout serait beau, et puisque tout ce qui est beau est bon, il est clair que le mal serait bon. Qui donc créerait le mal
en fixant ses regards sur le paradigme ? car le paradigme est nécessairement le paradigme de quelqu'un qui crée conformément à ce paradigme ; si c'est la raison, la raison sera elle-même la cause des maux : et si c'est celui qui ici-bas crée les maux en les connaissant pour maux, il les créerait parce qu'il connaît le paradigme : et si ce n'est ni l'un ni l'autre, il n'y a pas de paradigme, puisqu'il n'y a personne qui crée les maux en regardant ce paradigme.

En voilà assez sur le mal.

Ces choses étant démontrées, résumons-nous en une seule proposition générale, et disons : il y a des espèces des substances universelles et des perfections qui sont en elles : car ce qu'il y a de plus apparenté aux espèces, c'est le bien, le substantiel, l'éternel, dont l'un de la cause première, l'autre de l'un être, l'autre de l'éternité, vient dans le premier ordre des espèces, qui est immédiatement au-dessous de l'éternité, et est le troisième à partir de l'un être, mais suspendu, comme tous les êtres, à la cause de tous les biens. De ces trois éléments, στοιχεῖα., il faut déterminer quels sont ceux qui sont devenus selon une cause intellectuelle paradigmatique, quels sont ceux qui tiennent leur hypostase d'autres principes, et ne subsistent pas selon un paradigme intellectuel. Car le cheveu, même s'il était une partie prééminente, ne viendrait pas de l'intelligible car il a été démontré que les touts en viennent, mais non les parties. La boue est une confusion indéterminée d'éléments, qui n'est pas devenue selon une raison physique, puisque nous avons coutume de confondre ensemble mille autres choses, dont nous ne rapportons aucune à une espèce: ce sont des produits soit de l'art, soit de la libre volonté. L'ordure qui n'a pas non plus une génération prééminente, est par essence une hypostase ajoutée et jointe à une autre, quoique parmi nos prédécesseurs il y en ait eu un qui a essayé très énergiquement de prouver qu'il y a un paradigme de la boue, par la raison que s'il y a un paradigme de la purification, il y en aussi un de l'ordure : car toute purification est une élimination de quelque chose. Mais nous, nous disons que la purification fait partie des espèces, mais que ce n'est pas une raison pour que nous posions une espèce intellectuelle de l'ordure, car il y a aussi une purification de la méchanceté, et il a été démontré qu'aucun des maux n'est engendré de l'intellectuel ; or toute ordure est nécessairement un état mauvais de la chose avec laquelle elle existe. Par cela même ces choses ne viennent pas d'un paradigme, parce qu'elles sont des issues et des privations des choses qui tiennent leur hypostase de là-haut. Car l'obscurité est une privation de la lumière; mais le soleil qui est cause de la lumière ne peut pas être la cause de la privation de la lumière. Ainsi donc la raison, qui est cause de la connaissance, ne fait pas par elle-même subsister l'ignorance, qui est privation delà connaissance. L'âme encore, qui est le chorège de la vie, ne communique pas elle-même la privation de la vie, ἀζωία. C'est dans les choses qui reçoivent les dons des premiers principes que les privations des choses données ont une hypostase pour ainsi dire latérale et ajoutée; mais elles n'ont pas une hypostase antérieure dans les choses qui donnent ces propriétés essentielles, de manière a avoir de là leur origine, comme ces propriétés dont celles-ci sont des privations. Maintenant si l'on dit que la raison qui connaît que quelque chose est bon, en connaît aussi le mal, et si par ce motif l'on pose en elle, le mal, - (on sait qu'il a été dit dans le Phédon qu'il n'y a qu'une seule connaissance du meilleur et du pire, et de même dans le Timée, on représente le démiurge disant : « vouloir détruire ce qui est fait avec de belles proportions et qui est dans un état excellent, est l'œuvre d'un méchant », qui est, par là. démontré avoir connu le mal)— il faut répondre qu'il n'y a en elle aucun paradigme des maux, que la connaissance des maux est elle-même le paradigme de toute connaissance du mal, connaissance qui rend bon tout ce qui la prend. Car l'ignorance est un mal, mais non la connaissance de l'ignorance, qui est une et est à la fois connaissance d'elle-même et de l'ignorance, de sorte que nous voyons encore qu'il n'y a pas de paradigme du mal, mais d'un bien, c'est-à-dire de la connaissance d'un mal. En nous exprimant ainsi, nous n 'introduirons pas les idées des maux, comme l'ont fait certains Platoniciens, nous ne dirons pas que la raison ne connaît que les choses bonnes, comme d'autres le conjecturent. Nous prenons une position intermédiaire entre ces deux opinions : nous accordons la connaissance des maux mêmes, nous refusons de leur reconnaître une cause paradigmatique qui serait mauvaise. Ainsi donc Parménide, accouchant, pour ainsi dire, Socrate, pour provoquer ses sentiments sur ce sujet, lui a posé ces questions : Socrate doit donc maintenant nier carrément qu'il y ait de telles espèces.

§ 61 « Pas du tout, dit Socrate, mais je pense que les choses que nous voyons, celles là sont aussi : mais qu'il faille concevoir qu'il y a d'elles quelque espece, je crains que ce ne soit une opinion par trop insensée. Et cependant, il m'arrive encore parfois, dans une sorte de tourment d'esprit, de me demander s'il n'en serait pas de même pour toutes les choses : puis ensuite lorsque je m'arrête à cette pensée, je me hâte de la fuir, craignant de me perdre en tombant dans un abîme de notions vides et vaines. C'est pourquoi, je me tiens aux choses dont nous avons dit tout à l'heure qu'elles ont des espèces, et c'est sur celles-là que je passe ma vie à méditer. »

Voilà ce que répond Socrate, ne considérant dans les objets sur lesquels il est questionné que le fait qu'ils ne vivent pas, sont imparfaits et matériels ; il ne veut pas en affirmer les causes; il place uniquement dans les choses visibles l'hypostase ; il détourne sa pensée de ce qui, dans les choses individuelles, est commun, et est engendré postérieurement, et cependant il se demande s'il n'y aurait pas aussi de cela une espèce. Car de même qu'au-dessus de la pluralité des boues, il y a une chose commune, engendrée postérieurement, la boue, de même qu'au dessus de la pluralité des cheveux, il y a une espèce une, le cheveu, que nous affirmons des plusieurs cheveux, de même, dira-t-on, il y a au-dessus des plusieurs un un semblable, qui donne l'hypostase aux plusieurs. C'est là ce qui trouble Socrate : dans les autres choses , passant des choses déterminées par une définition des sujets, aux choses postérieurement engendrées, aux notions générales qui les définissent, puis de celles-ci aux raisons internes, puis de ces dernières aux espèces intellectuelles mêmes, comme il a été dit dans le Phèdre, il se demande s'il n'en est pas ainsi de ces choses, c'est-à-dire, (autres que celles que nous voyons), si, de même que l'on peut, de ce qui est dans les choses individuelles, passer à l'un qui est en elles, ensuite à l'un qui leur est commun et est au-dessus d'elles, - de même il est possible de passer de celles-ci à quelque autre chose, à l'un qui est avant elles : mais il voit ensuite que, s'il pose une espèce de ces choses, en argumentant par le sorite, il sera contraint de poser des espèces de toutes choses et même de la matière, enfin, que c'est là cet abîme de notions vides, dans lequel tout ce qui tombe périt, devient sans vie et sans pensée. C'est pourquoi il se retourne encore vers les touts substantiels, qui ont par excellence l'hypostase, qui complètent le tout, et c'est de ces choses-là qu'il s'occupe, parce qu'elles sont devenues selon les causes spécifiques, tandis que les autres sont devenues ici-bas seulement, et ne sont pas en dehors des sujets sensibles.

§ 62. — « C'est que tu es encore jeune, mon cher Socrate, dit Parménide, et que la philosophie ne s'est pas encore emparée de toi, comme elle s'en emparera, d'après mon sentiment, lorsque tu ne mépriseras plus aucune de ces choses; mais maintenant, à cause de ton âge, tu as encore trop égard aux opinions humaines ».

Par ces reproches qui s'adressent aux hésitations de Socrate, Parménide pourrait paraître à quelques uns poser lui-même des idées de tout, même des choses petites, tout à fait matérielles et de celles qui sont contre nature ; car pourquoi lui ferait-il ces reproches, si, lui, ne rattachait pas l'hypostase de ces choses à une cause spécifique ? Mais moi, je crois qu'il n'adresse pas ces reproches à Socrate, mais à ceux qui considèrent que la génération de ces choses, en tant que petites et viles, n'ont pas de cause. Parménide rectifie cette opinion : car il n'admet en aucune façon qu'il y ait quelque chose sans cause ; en effet, même Timée dit que tout ce qui devient devient nécessairement par une cause quelconque: car il est
impossible qu'aucune chose naisse sans un causant. Il n'y a donc rien de si bas, de si vil qui ne participe pas du bien, qui n'en tire son origine, puisque, même s'il s'agit de la matière, tu trouveras qu'elle aussi est bonne, même s'il s'agit du mal, tu trouveras qu'il participe de quelque bien, et qu'il ne peut subsister autrement que parce qu'il est comme teint de bien, comme participant de quelque cause bonne. Mais les jugements humains ont honte de rattacher à la cause divine les choses petites et basses, parce qu'ils ne voient que leur nature et non la puissance de cette cause; ils ne voient pas que puisqu'elle engendre des choses plus grandes, à fortiori elle engendre les plus petites, comme le dit quelque part l'hôte Athénien. Mais les vrais philosophes suspendent à la Providence toutes les choses et grandes et petites qui sont dans le monde ; ils ne voient rien de vil, rien qui soit à dédaigner dans la maison de Zeus ; ils voient toutes choses bonnes en tant qu'elles tiennent leur hypostase de la Providence, et toutes choses belles, en tant qu'elles sont devenues selon une cause divine. Que Socrate, en supprimant de ces choses petites et très matérielles la cause spécifique, supprime en même temps toute cause, Parménide le conclut des mots que celui ci a prononcés plus haut : que ce sont seulement les choses que nous voyons : car s'il avait réfléchi que rien n'est sans cause, il n'aurait certes pas prononcé ces paroles. Que le cheveu n'ait pas de paradigme intellectuel, il a du moins une cause, la raison physique.  N'est il donc pas nécessaire que le cheveu ne soit pas seulement celui que nous voyons, mais cet autre, qui est dans la raison de la nature? et la preuve que c'est en vue du bien que la nature produit des poils chez les animaux et qu'elle ne les crée pas en vain, c'est que c'est contre nature qu'ils leur font défaut, et qu'elle les donne aux êtres qui ont besoin de trouver en eux un secours utile. Maintenant la boue, si elle est l'effet de l'art, a une espèce dans l'entendement de l'artisan ; si certains esprits se plaisent dans la boue et l'ordure, si les magiciens, γόητες, en regardant ces esprits, se servent de la boue et de l'ordure pour leurs opérations, puisque la magie n'existe que par les démons, comme nous l'avons appris dans le Banquet qu'y a-t-il d'étonnant que les démons qui s'y plaisent, possèdent les espèces de ces choses, comme nous disons que les démons qui président aux parties comprennent en eux les raisons de la circonscription particulière de ces parties ; et si vous mettez en doute ces causes immédiates, remontez à la cause une et unique de l'être de laquelle tous les êtres procèdent, et dites que c'est elle qui fournit à ces choses leur origine, puisque même d elles, l'hypostase ne peut être sans cause. Et sans doute il appartenait à Parménide, qui voit l'un être avant les espèces, de mettre l'être selon la cause avant l'être selon l'espèce, et c'est pour cela qu'il reproche à Socrate de supprimer avec les espèces toutes les autres causes, tandis qu'il devait en poser la génération, non selon l'espèce, mais selon une cause plus élevée que les espèces ; car lorsque, nous, nous faisons des objets d'art, c'est aussi la raison qui les fait ; tout ce qui devient par les causes secondes est, à plus forte raison, accompli par les causes premières, non pas, il est vrai spécifiquement, mais selon l'être même seulement. Et cependant nous les faisons selon certaines notions particulières ; mais alors c'est nous qui produisons en elles les espèces, tandis que a raison y crée la substance, et quant aux choses dont la raison crée les espèces, c'est la persistance, ἡ μονή, des êtres, qui en crée la substance: car cette cause est plus puissante que toutes les causes spécifiques  C'est donc ainsi que Socrate, l'esprit tendu vers la cause spécifique, a eu quelque raison vraisemblable d'admettre que la génération de ces choses était pour ainsi dire sans cause, et que Parménide, remontant à la cause antérieure et supérieure aux espèces, a vu que c'est elle qui communiquait à ces choses leur substance : car tous les êtres viennent d'elle.