PROCLUS
COMMENTAIRE DE PROCLUS SUR LE PARMÉNIDE
COMMENTAIRE DE PROCLUS SUR LE PARMÉNIDE Sept Livres sur le Parménide PREMIER LIVRE § 1. Je prie tous les Dieux et toutes les Déesses de guider ma raison vers la recherche que je me propose, d'allumer en moi la vive lumière de la vérité pour permettre à ma pensée d atteindre la science même des êtres, d'ouvrir les portes de mon âme pour qu'elle puisse recevoir la divine doctrine de Platon; de m'élever à la connaissance de la splendeur de l'Être, en faisant tomber toutes les opinions incertaines et erronées qui ont pour objet les non êtres, par une étude très intellectuelle des êtres, qui seuls nourrissent et arrosent l'aile de l'âme, comme le dit Socrate dans le Phèdre, je prie les Dieux Intelligibles de me donner une raison parfaite, les Dieux intellectuels, une puissance capable de m'élever à cette hauteur, les Dieux qui siègent au-dessus du ciel et gouvernent l'univers des choses, une activité que rien ne lasse et qui s'éloigne des connaissances matérielles ; les Dieux qui ont reçu dans leur lot le monde, une vie pour ainsi dire ailée ; les Chœurs angéliques, l'art d'exposer dans leur vérité les choses divines ; les bons Démons, de remplir mon esprit d'une inspiration divine; les Héros, de me donner un état d'âme magnanime, grave, et haut ; enfin je prie tous les genres des Dieux, sans exception, de mettre en moi une disposition parfaite à participer a la théorie profondément religieuse et mystique de Platon, qu'il nous expose lui-même dans le Parménide avec une profondeur en harmonie avec les choses, et qu'a développée, par ses propres idées si pures, celui qui s'est pour ainsi dire véritablement laissé emporter avec Platon, par l'ivresse bachique, qui est rempli de la vérité divine, qui est devenu pour nous le chef de cette doctrine, et l'hiérophante de ces pensées divines, que j'appellerais volontiers le Type de la philosophie, venu parmi les hommes, comme un bienfaiteur des âmes d'ici-bas pour tenir lieu des statues, des temples, et de toutes les cérémonies religieuses, et pour guider dans la voie du salut les hommes qui vivent aujourd'hui et ceux qui naîtront après eux. Enfin je prie les meilleurs d'entre nous de m'être propices, de me servir de chorèges, et de me prêter avec bonne grâce la lumière qui est en eux, la lumière qui nous élève en haut. Et toi, qui possèdes une raison vraiment digne de la philosophie, toi le plus cher de mes chers amis, Asclépiodote, reçois d'un cœur parfait le présent que je te fais d'un cœur parfait, et admets-le dans le repli le plus intime de ton âme. Avant de commencer à examiner les autres parties de la théorie, je veux expliquer la disposition dramatique du dialogue, pour ceux qui ont le goût de ces sortes de détails. § 2. C'était la fête des Grandes Panathénées que les Athéniens de ce temps célébraient avec un appareil plus grand que les petites, qu'ils nommaient ainsi parce que les honneurs y étaient rendus à la Déesse avec moins de pompe, et parce que ces deux fêtes avaient lieu à des intervalles plus grands et plus petits. Dans le temps qu'on célébrait cette fête, comme je viens de le dire, arrivèrent à Athènes, Parménide et Zénon, l'un le maître, l'autre le disciple, tous deux d'Elèe et de plus appartenant tous deux à l'École Pythagoricienne, comme Callimaque l'a raconté quelque part Étant donc venus d'Élée en Italie pour adorer la Déesse et pour rendre service à ceux des Athéniens qui étaient propres à la science des choses divines, ils logèrent en dehors du Céramique où ils les invitèrent tous et les attirèrent auprès d'eux. Beaucoup se rendirent à leur appel et entre autres Socrate, alors jeune, mais dont le génie se montrait supérieur aux autres. Un jour qu'ils étaient réunis, Zénon leur lut un livre dans lequel il s'efforçait de montrer combien de difficultés et quelles graves difficultés résultent du système qui soutient la pluralité des êtres. Car Parménide posant, dit-on, la théorie de l'être un, et exposant cette thèse comme lui appartenant en propre et à lui seul, tous les gens ineptes qui prirent connaissance de cette doctrine, en faisaient des gorges chaudes, et entre autres ridicules raisons, objectaient que si l'être est un, il n'y a pas à la fois un Parménide et un Zénon, que si Parménide est, Zénon n'est pas, et que si Zénon est, Parménide n'est pas. C'est par de tels arguments qu'ils essayaient de ternir la doctrine dont ils étaient incapables de comprendre la vérité. Zénon ne voulant pas prendre ouvertement la défense de la doctrine de son maître, parce qu'elle n'avait pas besoin d'être prouvée par un autre, mais désireux cependant de lui apporter à la dérobée quelque appui, écrit un livre dans lequel il démontre merveilleusement qu'il résulte des conséquences non moins difficiles à admettre, du système qui pose la pluralité des êtres, que celles qui paraissent s'opposer à ceux qui admettent que l'être est un : car il prouvait que la même chose sera semblable et dissemblable, égale et inégale, et qu'il en résultera une suppression absolue et complète de l'ordre des êtres et une confusion pleine de désordre de toutes choses ; et s'il faut dire d'avance mon opinion, je pense qu'il a raison, car il faut que l'être soit un et plusieurs, toute monade en effet a quelque pluralité qui lui est accouplée : et toute pluralité est enveloppée par quelque monade qui lui est propre, et puisqu'on toute chose la monade relie à elle même la cause de la pluralité, et que la pluralité ne peut être sans elle, ces grands hommes, considérant la cause incompréhensible et uniée de la monade ont soutenu l'être un, parce qu'ils voyaient toute la pluralité dans l'un et ont enseigné que l'un être est antérieur aux plusieurs. Car l'être, au sens éminent, est un. et c'est de celui-là que procède la pluralité des êtres, Parménide n'a donc pas jugé bon de descendre jusque dans la pluralité ; il a pour ainsi dire jeté l'ancre dans la théorie de l'un être et a laissé de côté tout ce qui pouvait le tourner vers les pensées divisées. Mais Zénon, d'un génie d'un ordre inférieur, a voulu, lui aussi, faire de l'un être, la un de la science philosophique, mais désirant á le séparer de la pluralité et prouver que cet un est, pour ainsi dire, le centre de tous les êtres, il a réfuté ceux qui posent la pluralité des êtres, et comme purgé leur entendement du mouvement qui le porte à la pluralité ; car la réfutation est une purgation, une suppression de l'ignorance, un chemin vers la vérité. Ainsi donc on retirant l'un de la pluralité des êtres, il a montré qu'il n'y avait plus en eux que confusion et désordre; car ci; qui ne participe pas à l'un ne peut être ni un tout de qualité ni un tout de quantité ni être spécifié : car toutes ces choses ne subsistent que par participation de l'un. Si on supprime l'espèce et la totalité, s'évanouit tout ordre, tout monde; il ne reste plus qu'une matière mue par des forces brutales et désordonnées. Celui qui supprime l'un, fait, sans en avoir conscience, la même chose que celui qui ôte Dieu du monde : les êtres seront alors ce qu'il est naturel qu'ils soient., lorsque Dieu se retire d'eux comme, le dit Timée quelque part, c'est donc par un Dieu que l'union est donnée aux choses séparées, l'ordre aux choses désordonnées, aux parties la totalité, aux choses matérielles la forme, aux choses imparfaites la perfection et à chacune de ces choses est nécessairement apporté l'un. C'est donc ainsi que Zénon réfutait ceux qui posent la pluralité des êtres et se rattachait lui-même à l'un être. Il est ainsi nécessaire, si les plusieurs ne sont pas, ou qu'il n'y ait absolument rien, ou que l'être soit un. De sorte qu'il unissait par embrasser le principe de son père, Parménide, puisqu'il voyait la pluralité dans l'un selon la cause, et ne pouvait pas maintenir l'un dans la pluralité seule, car celui ci est par soi-même avant la pluralité, et celle-là est nécessairement ce qu'elle est par l'un.
§ 3. C'est, sur ce sujet
qu'il avait écrit le livre dont il donnait lecture à tout le monde. Socrate
ayant entendu cette lecture et toutes les difficultés que Zénon disait elle les
conséquences nécessaires du système qui pose la pluralité des êtres, détournant
la question de la recherche sur l'un et la § 4. Sur ces paroles de Socrate, Parménide reprenant la conversation, lui demande s'il est réellement convaincu qu'il y ait de ces espèces intelligibles, et quelles raisons Tout amené à le croire, Socrate lui ayant répondu qu'il était très fermement partisan de celte hypothèse. Parménide soulève à cet égard les difficultés suivantes, a savoir, s'il y a ou non des espèces de tous les êtres, comment elles sont participées par les choses sensibles, et comment elles se comportent par rapport à nous : et c'est ainsi qu'une discussion approfondie est soulevée par Parménide. portant sur les difficultés relatives à la théorie des idées. Comme Socrate se montre hésitant sur ce point. Parménide lui conseille, avant d'aborder la théorie générale, de s'exercer dans la dialectique, puisqu'il est amoureux de la connaissance vraie des êtres: car c'est là la science qu'il appelle la Dialectique, dont Socrate lui même nous entretient ailleurs encore, mais surtout dans la République, dans le Sophiste, dans le Philèbe. § 5. Comme celui-ci lui demande quelle est donc cette science, et se déclare, prêt à accepter la doctrine de ces philosophes. Parménide lui expose cette discipline que Socrate en maints ouvrages a lui aussi célébrée. Car dans le Phédon, où il en distingue le rôle de celui de l'art de contredire, il dit qu'il faut toujours, après avoir posé une hypothèse, qu'on pousse la discussion jusqu'il ce qu'on suit arrivé, de plusieurs hypothèses, à une vérité qui se suffise à elle-même : j'entends par la, inconditionnée; qu'après avoir posé quelque proposition, qui doit faire l'objet de la discussion, on divise cette hypothèse par la proposition contraire, c'est à dire, comme le prescrit Parménide. qu'on dise que la chose est ou n'est pas: puis, ayant admis qu'elle est, qu'on recherche quelles en sont les conséquences positives et quelles négatives, et les conséquences à la fois positives et négatives: car les unes sont absolument étrangères à chacune des choses posées ; les autres en sont la conséquence nécessaire ; les autres, pour ainsi dire, peuvent se trouver ou ne se trouver pas en elle ; ensuite que chacune de ces trois alternatives doit être divisée en quatre: car il faut examiner, l'une d'elles étant posée être, quelle chose résulte pour elle, par rapport. a elle même et par rapport aux autres, et quelle chose résulte pour les autres par rapport les uns aux autres et par rapporta la chose posée; et inversement, quelle chose ne résulte pas pour elle par rapport à elle-même et par rapport aux autres et quelle chose ne résulte pas pour les autres par rapport les uns aux autres et par rapport à la chose posée: troisièmement, quelle chose résulte pour elle et quelle chose ne résulte pas pour elle par rapport à elle même et par rapport aux autres, et quelle chose résulte pour les autres et quelle chose ne résulte pas pour les autres par rapport à eux-mêmes et par rapport à la chose posée. Voilà donc douze modes selon lesquels il faut pratiquer la recherche, et il y en a autant d'autres, quand la chose est posée ne pas être: de sorte que d'une seule hypothèse, naissent d'abord deux, d'où l'on tire trois autres hypothèses de chacune des deux ; puis dans chacune des trois, quatre, de sorte que dans chacune des deux hypothèses, on en pose en tout douze : et si tu veux encore morceler chacune d'elles, tu en verras naître un si grand nombre qu'on ne pourra pas les compter. C'est à travers ces hypothèses qu'il faut se frayer un chemin, en suivant les nombres que nous venons de dire, à savoir les dyades, les triades, les tétrades, les duodécades, jusqu'à ce que nous soyons arrivés au haut de notre course, à l'inconditionné en soi, qui est avant toute hypothèse. § 6. Après l'exposition de cette méthode, Socrate en admire la rigueur scientifique, se montre émerveillé du procédé d'enseignement tout intellectuel de ces philosophes, qui est la marque distinctive de l'École Éléatique, comme on dit qu'une autre caractérise l'École Pythagoricienne, qui veut élever l'esprit par les mathématiques, qu'une autre caractérise l'École d'Héraclite, qui veut mener à la connaissance des êtres par l'étude des mots. Dans son admiration, il veut que par un exemple on lui prouve plus solidement cette méthode, et que Zénon, choisissant une certaine hypothèse, démontre en elle l'exactitude de la méthode exposée en la mettant en œuvre, ce qui est arrivé dans le Sophiste, où l'Étranger éclaircit la méthode de division par l'examen du pêcheur et du sophiste. Zénon déclare que cette entreprise est au dessus de ses forces et réclame la personne de Parménide lui-même. Il invite donc le chef de l'École à se charger d'un tel exposé, Parménide prend ensuite la parole et cherchant sur quelle hypothèse il fera l'épreuve pratique de sa méthode : Voulez-vous, dit-il, que nous posions mon hypothèse de l'un, s'il est ou s'il n'est pas, et que nous recherchions ce qui en résulte pour lui et ce qui n'en résulte pas, et ce qui à la fois en résulte et n'en résulte pas pour lui, par rapport à lui-même et par rapport aux autres, et pour les autres par rapport les uns aux autres et par rapport à lui. Les auditeurs acceptant cette proposition, celui-ci examine chacune des deux hypothèses selon les douze modes: c'est en considération de ces modes que quelques-uns ont cru que le nombre total des hypothèses s'élevait à vingt quatre : nous nous réservons de contester cette opinion, quand nous traiterons des hypothèses, et nous distinguerons les modes dialectiques et ce qu'on appelle les hypothèses. Venons maintenant au sujet traité. § 7. Cette conférence, comme nous l'avons dit. a lieu entre P'arménide et Zénon d'une part, et de l'autre Socrate encore jeune, mais esprit doué d'un beau génie, et quelques autres : Pythodore, fils d'Isolochus auditeur de Zénon, comme nous l'avons appris dans l'Alcibiade, est lui aussi un des assistants à l'entretien, quoiqu'il y assiste absolument silencieux et ne prenne aucune part aux discours, comme Socrate qui ne cesse ou d'Interroger ou de répondre. Mais, après avoir entendu les discours prononcés, comme Aristodème dans le Banquet où il rapporte (à Apollodore) les discours tenus sur l'Amour, il fait à Antiphon le récit de l'entretien. Cet Antiphon était un Athénien très fier de la noblesse de sa race, et, à cause de cela même, s'occupant beaucoup de l'art hippique, ce qui était un goût héréditaire dans la noblesse a Athènes : il était frère de Platon par sa mère, comme il le dit lui-même. Antiphon de son côté raconta lui-même les discours qu'il avait entendus (de Pythodore) à d'autres personnages de Clazomènes qui se mêlaient de philosophie, et qui, appartenant à l'École d'Anaxagore, étaient venus à Athènes. Ce récit est donc l'exposition de la troisième conférence. A ce récit est présent un certain Céphale, qui était également de Clazomènes et qui avait entendu les discours de la bouche d'Antiphon ; il les reproduit sous forme narrative, et sans d'ailleurs les adresser à des personnages déterminés, fait connaître la conférence par un simple récit. Car il n'est plus dit à qui adresse la parole ce Céphale, qui se borne à reproduire les discours qu'il avait entendus d'Antiphon qui, de son côté les tenait de Pythodore, lequel à son tour avait entendu Parménide. Ainsi donc la première conférence contient les principaux et les vrais personnages et la première scène de l'entretien . La seconde est celle de Pythodore qui reproduit la première, et se borne pour ainsi dire à raconter toute«; qui s'y était passé. La troisième est celle d'Antiphon qui rapporte à Céphale et comme nous l'avons dit, aux philosophes de Clazomènes, ce que lui avait raconté Pythodore ; la quatrième et dernière enfin est le récit fait par Céphale des discours qui lui avaient été transmis par Antiphon et qui a lieu devant des spectateurs qui ne sont pas déterminés. § 8. De ces quatre conférences — car il nous faut, maintenant traiter de leur rapport de ressemblance avec les choses, en commençant par l'examen contenu, dans le dialogue, de la théorie des Idées, qui frappe tellement tous les yeux que quelques-uns ont donné pour titre au dialogue : Des idées. - De ces quatre conférences, il faut dire que la dernière limite la spécification qui procède dans les sensibles : car Céphale n'adresse la parole à aucune personne déterminée parce que ce qui admet l'élément sensible est indéterminé, inconnaissable et sans forme. La conférence qui précède celle-ci, est l'image, dans les substances physiques, de l'hypostase des espèces: car c'est avant les choses physiques que les natures, soit universelles, soit particulières, ont reçu des intelligibles les raisons selon lesquelles elles dirigent les choses sensibles, les engendrent éternellement, en font des animaux, les conservent en les maintenant dans leur essence, et a ces natures sont analogues ces philosophes qui sont héritiers de la philosophie d'Anaxagore. La conférence antérieure à cette dernière, imite la diversité des espèces qui procède d'en haut, par la démiurgie, dans les âmes : car en ces âmes sont psychiquement les raisons dont le démiurge a rempli leur essence, comme le Timée nous l'enseigne, et auxquelles on peut très naturellement comparer les discours adressés à Antiphon. Car les âmes sont figurées par les attelages ailés des Chevaux et des cochers. Enfin la première de toutes les conférences est analogue au diacosme des espèces dans les êtres véritablement êtres. Car c'est là qu'est la première tétractys et tout le nombre des espèces divines soit intelligibles soit intellectuelles; et c'est par elles que les âmes ont été remplies des raisons qui leur sont propres et avantageuses, que les natures ont été remplies des raisons capables d'activité, que les masses des corps ont été remplies de la spécificité sensible; et de même que les mêmes idées, λόγοι, se sont suivies dans les quatre conférences, mais d'une manière propre et en rapport intime à chacune : éminemment dans la première; car c'est là que sont les raisons premières; secondairement, dans la seconde, où la procession des raisons est accompagnée de la mémoire et de l'imagination ; au troisième degré, dans la troisième; car il y a là le souvenir d'un souvenir ; au dernier rang enfin, dans la quatrième; car c'est ici qu'est le dernier souvenir.
§ 9. De même aussi toutes
les espèces sont en tout, mais d'une façon propre à chaque ordre; car les unes
sont êtres éminemment êtres et, comme ledit Socrate, sont en soi et par
elles-mêmes dans les intelligibles : il n'y a rien là qui soit image, comme non
plus, dans la première conférence, les raisonnements n'ont pas procédé par
l'imagination et la mémoire: car la mémoire est une image des choses remémorées.
Les espèces dans les âmes sont au deuxième rang, et ont l'être selon la
perfection, et c'est par là qu'elles sont images des intelligibles : ainsi par
conséquent la deuxième conférence est accompagnée de mémoire et d'imagination.
Les espèces dans les natures sont encore plus images, comme images d'images; car
c'est par les espèces psychiques que la génération et l'être subsistent dans les
raisons physiques. Les espèces sensibles, les dernières de toutes, et qui sont
uniquement cela, images. aboutissent à la fin dans l'inconnaissable, dans
l'indéterminé et n'ont plus rien après elles-mêmes, car c'est par elles que se
terminent toutes les raisons. Et ce qu'il y a ici d'admirable, c est que celui
qui tient la seconde conférence ne se borne pas à rapporter les raisonnements
tout nus, mais il introduit, au milieu, et les personnages et les événements;
celui qui tient la troisième conférence rappelle ce qui s'est dit et passé dans
la première de toutes et dans la deuxième; celui qui fait la quatrième rappelle
tous les personnages qui ont figuré, et les idées qui ont été émises dans la
première, la deuxième et la troisième, afin que les choses premières soient
partout présentes jusque dans les dernières, que les deuxièmes soient dans les
premières selon la cause : —car c'est là, dans la deuxième conférence, que
Pythodore remplit le rôle d'orateur,— et qu'elles descendent et pénètrent dans
tout le reste ; que les choses du troisième rang à leur tour, soient également
dans les deuxièmes : — car c'est là qu'Antiphon est le protagoniste de la
troisième, — et prolongent l'influence et l'action § 10. Voilà tout ce que nous avions à dire tout d'abord en abordant la doctrine du dialogue : et s'il faut expliquer rationnellement les personnages, il me semble que Parménide lui-même joue un rôle analogue à la raison imparticipable et divine, à la raison qui, selon sa propre pensée, est unifiée à l'être même, le véritablement être, ou même analogue à l'être même sur lequel il apporte surtout l'effort de son esprit et qu'il appelle un. Le rôle de Zénon est analogue à la raison participée par l'âme divine, remplie des espèces intellectuelles, qu'elle a reçues selon la substance de la raison immatérielle et imparticipable : c'est pourquoi il tend ardemment à s'arracher à la pluralité pour se porter à l'un être, imitant celui qui l'a précédé, et auquel il rapporte son propre perfectionnement, ou si tu veux te représenter par une image ce perfectionnement, dis que ce personnage qui se plait à synthétiser les contraires et à voir les raisons pour et contre en chaque thèse, imite la vie qui vient après l'être a, de même que la vie qui vient immédiatement après l'Être, présente pour la première fois la manifestation des contraires, c'est-à-dire à la fois du repos et du mouvement. Socrate à son tour ressemblerait à la raison particulière, ou à la raison purement raison : à ces personnages a été coordonnée l'une de ces raisons, celle qui est selon l'analogie de l'être, et l'autre, qui est selon l'analogie de la vie. C'est pourquoi elles ont une si grande affinité avec Parménide et Zénon, et remplissent avec eux la première conférence que nous avons dite être l'image des êtres véritablement êtres comme elle même est le plérôme de la substance indivisible, et elle nous est présentée comme absolument opposée a admettre l'hypothèse des Idées. Car quelle autre chose convient à la raison particulière, que de voir et démontrer aux autres les espèces divines ? Mais ces trois personnages nous apparaissent gardant l'analogie que voici: l'un à l'être, l'autre à la vie, l'autre à la raison, ou encore : l'un, à la raison universelle et imparticipable; l'autre à la raison participable; l'autre à la raison qui est à la fois participable et imparticipable. Jusqu'ici leur nature reste indivisible, car toute raison est universelle el. imparticipable ou universelle et participable, ou particulière et participable: car la particulière n'est pas imparticipable. § 11. Des trois personnages qui exposent, la conférence, Pythodore est analogue à l'âme divine, et il assiste à la première conférence ; il est rempli de raisons bienheureuses : comme l'âme divine, des espèces intellectuelles, car c'est elle, comme le dit Socrate dans le Phèdre qui monte au repas et au banquet, à la suite du grand Zeus ; mais il y assiste silencieux, parce que toute cette partie de la conférence convient à la nature indivisible des êtres, et a certainement de l'analogie avec l'ordre angélique, parce qu'elle expose principalement toute la connaissance de ces êtres divins. Antiphon est comparable à l'âme démonique. qui prend contact avec la nature, qui réveille la nature : c'est pourquoi il doit être un homme ayant la passion des chevaux, comme cette espèce d'âme veut mener l'élément irrationnel, et le conduire selon sa propre volonté : il est rempli des discours reçus de Pythodore dans la deuxième conférence et en remplit les philosophes venus de Clazomènes, parce que l'âme de cette espèce, qui a un rang intermédiaire, est remplie des espèces de l'ordre supérieur et remplit elle-même la nature des espèces qui lui appartiennent en propre. Céphale et les philosophes de Clazomènes sont analogues aux âmes particulières et font, pour ainsi dire partie de la même cité et ont un droit égal à se présenter ici. en tant qu'ils sont des espèces de physiciens. § 12. Car toute l'École Ionique a ce même caractère et ne ressemble pas à l'École Italique. Celle-ci se hausse fréquemment à la substance des intelligibles. . .(Ici une lacune)... qui voit toutes les autres choses selon la cause. L'École Ionique a tourné ses regards sur la nature, sur les activités et les passivités physiques, et a mis là la philosophie entière. L'École Attique tient le milieu entre les deux autres : elle corrige la philosophie Ionienne et développe la théorie Italique. C'est ainsi que Socrate dans le Phédon, reproche à Anaxagore de ne pas se servir du tout de la raison, et de ne donner pour causes de la nature des choses que l'air, ou des états, διάθεσεις constitutifs ou des agents de cette espèce. Dans le Sophiste, il invite le savant Éléate à lui faire connaître la philosophie de son pays. Mais là il traite la chose diviseraient, comme nous disons; ici le sujet amène à Athènes les gens d'Italie afin qu'ils communiquent aux gens d'Athènes les doctrines mêmes de leurs compatriotes; il y amène les gens d'Ionie, afin qu'ils prennent connaissance des théories Ioniennes; car Clazomènes est une ville d'Ionie et Élée, une ville d'Italie, et de même que toutes les espèces physiques participent des intelligibles par l'intermédiaire des psychiques, de même celte scène fait connaître aux philosophes Ioniens l'Italie, car elle les amène à Athènes, où, par l'intermédiaire des Attiques, elle leur fait participer aux idées époptiques. Mais sur la disposition des faits et l'arrangement des quatre conférences, sur le rang des personnages et de leur rapport avec les choses du Tout, pour ceux qui veulent et qui peuvent en partant de la discussion sur les idées, voir et contempler les êtres, chacun suivant leur ordre, ce que nous avons dit suffit. § 13. Après ces préliminaires, il nous reste nécessairement à examiner le but et à voir comment tout cela est rattaché au but unique du dialogue, but qu'exposé l'entretien; car tout ce qui nous avons dit jusqu'ici, n'était dit qu'en vue de l'exorde du dialogue, c'est à dire de la discussion sur les Idées, dont quelques-uns de nos prédécesseurs ;t, ont voulu, comme nous l'avons déjà dit, tirer le titre de l'ouvrage. Car il faut, de même que des phénomènes on monte aux intelligibles, de même il nous faut, en partant des données purement circonstancielles qui servent de fondement au dialogue, nous élever à l'exposition des doctrines principales, au but unique de tout ce traité, y coordonner, autant qu'il se peut, tout le reste. Personnages, occasions de temps, lieux, enfin tous les détails que nous avons considérés jusqu'ici pour eux-mêmes. Il y a eu, parmi nos prédécesseurs, quelques-uns qui ont ramené le but de ce dialogue à un pur exercice de logique, sans tenir compte du titre très ancien qui porte : sur les Idées, parce que ce titre ne répond qu'il une petite partie du dialogue, la partie de discussion, et non à la partie d'exposition. Il y a donc eu des commentateurs qui ont soutenu que le but de ce dialogue est logique, comme celui qu'il a écrit dans le Théétète, pour réfuter Protagoras, qui soutenait que l'homme est la mesure de toutes choses, en montrant que celui-ci n'est pas plus mesure de toutes choses que le cochon el le cynocéphale, parce que, négligeant le fond des choses, ils n'ont voulu voir que les arguments apportés dans l'une comme dans l'autre hypothèse, qui font voir les conséquences qui résultent de ce qu'on pose tantôt que l'être est, tantôt qu'il n'est pas. De ceux-ci, je veux dire, de ceux qui prétendent que le but en est purement logique, les uns croient que Platon l'a écrit pour contredire Zénon, en essayant, sur l'hypothèse la plus difficile, celle des intelligibles, de mettre à l'épreuve la diversité des conséquences qu'on peut en déduire. C'est pourquoi il amène la présence de Zénon, qui expose tous ces raisonnements sur les choses sensibles et. montre qu'en eux se rencontrent et se choquent les contraires. Car ils disent que Platon a l'habitude de présenter la réfutation des autres doctrines de trois manières : d'abord en imitant les théories des écrits de ses adversaires, en poussant jusqu'aux extrêmes conséquences cette imitation, et ajoutant ce qui manque à leurs raisonnements : c'est ainsi manifestement que, pour rivaliser avec Thucydide, il a écrit le Ménexène; et tout en se proposant le même but que lui, dans le discours qu'il a écrit là en l'honneur de ceux qui recevaient l'hommage d'une sépulture aux frais de l'État, par l'ordre des preuves principales, par l'invention de nouveaux arguments, par la clarté du style il a fait une œuvre de beaucoup plus parfaite que le discours écrit par l'historien ; ensuite en mettant en contradiction ceux contre lesquels il discute en quoi ils l'ont ce qu'il fait ici contre Zénon ; car comme celui-ci, ayant entrepris d'attaquer sous maintes formes les parti sans de la pluralité des êtres, puisque la réfutation qu'il leur oppose ne s'élève pas à moins de quarante arguments destinés à écraser les arguments contraires, a institué, en faveur de l'Un, une exposition riche en preuves diverses et nombreuses: Platon vient, se conformant à la même méthode, engager la lutte contre celui qui a exercé sa dialectique contre la pluralité des êtres et lui montrer, sur ce même sujet, l'un, les arguments qui le contredisent; et de même que Zénon a réfuté la pluralité des êtres en montrant qu'ils seraient a la fois semblables et dissemblables, les mêmes et autres, égaux et inégaux, de même Platon montre que l'un sera semblable et dissemblable, non semblable et non dissemblable, le même et non le même, autre et non autre, et ainsi de même de tous les autres prédicats, posant et supprimant les arguments contradictoires, et ne se bornant pas, comme Zénon, à les poser: en quoi il déploie une richesse de preuves beaucoup plus variées que l'abondance d'arguments par lesquels Zénon avait tellement frappé le public, que le sillographe lui a donné l'épithète d'ἀμφοτερόγλωσσος, le parleur à double langue, et témoigne son admiration pour le talent de ce philosophe, dont il signale la très grande et invincible force : mais quel cri d'admiration aurait-il poussé en l'honneur de celui qui a multiplié encore les procédés de nouveaux arguments, lui qui appelle Zénon : ἀμφοτερόγλωσσον. Troisièmement (Platon), disent-ils, procède la réfutation de ses adversaires) à la fois par l'imitation et la contradiction : c'est le dernier point qu'ils signalent. De même, disent-ils, dans le discours contre Lysias le sophiste, en traitant le même sujet, au lieu des enthymèmes jetés par celui-ci comme au hasard, il a introduit un lien logique nécessaire entre les idées, un ordre qui fait ressembler le discours à un être vivant, au lieu de ces exordes sans méthode, il a suivi une route scientifique, commençant par des définitions, et ramenant la recherche de la qualité, τοῦ ποιοῦ, à celle de l'essence, du τί ἐστιν, et, au lieu de chercher à parer artificiellement son style par l'abondance des noms et des verbes qui ne font que répéter la même chose, il a ajouté une riche abondance de pensées très variées : toutes choses qui montrent combien il aurait été bon que le sophiste traitât le discours sur le non aimant. Passant ensuite à la question, opposée et discutant contre lui la question sur l'aimant, il n'a omis aucun des moyens de réfutation les plus puissants, par ses définitions, ses divisions, ses démonstrations, et usant de tous les moyens pour le contredire, il arrive parfois qu'il élève le caractère du style au-delà du ton habituel, afin de ruiner, par le genre de son discours, le genre des discours de son adversaire, par la force propre de ses arguments, la maigreur de l'autre, et en attribuant ce caractère tout nouveau à un enthousiasme divin, il en a dissimulé la cause vraie à la multitude des auditeurs. § 13. Voilà donc, comme je le disais, les raisons qu'ils présentent à l'appui de leur opinion. Il en est d'autres qui soutiennent que ce caractère réfutatif est en désaccord avec le fond des idées et avec les personnages : avec les idées, parce que Zénon, visant le même but que Parménide, a réfuté ceux qui proclament l'existence de la pluralité des êtres, en prouvant qu'ils ne comprennent rien à cet Un, par lequel les êtres plusieurs sont êtres et d'où ils tirent le même nom absolument comme si quelqu'un, disant que les hommes plusieurs sont cela même hommes, n'avait pas vu l'espèce une, τὸ ἓν εἶδος, de l'homme, par laquelle il se fait qu'ils sont et qu'ils sont dits : hommes ; car s'ils avaient eu la notion de cet un, ils auraient dit que les hommes en tant qu'hommes sont, non pas plusieurs, mais pour ainsi dire uns, ἐννοειδεῖς ; — avec les personnages, parce qu'il est fort peu clair, qu'après avoir appelé Parménide et Zénon, l'un l'amoureux, l'autre l'aimé, l'un le maître, l'autre le disciple, on fasse l'amoureux et le maître se répandre en un tel océan de discours contre l'aimé et le disciple : non seulement c'est peu clair, mais c'est encore une grosse faute ; car c'est dire véritablement que celui là prétende avoir écrit son ouvrage pour venir au secours du discours de Parménide, et que l'autre vienne réfuter et contredire cet écrit de secours que celui-là lui apporte, avec de si nombreux arguments et si étendus. Ils ont donc refusé de considérer cet écrit comme une réfutation, tout en disant que l'objet du dialogue est un exercice de logique ; car, pour ne prendre que de grandes divisions, puisqu'il y a dans le dialogue trois sections principales (car c'est ainsi qu'ils le divisent), dont l'une développe les difficultés que soulèvent les Idées, l'autre contient un traité sommaire de la méthode par laquelle il estime que doivent s'exercer les vrais amis de la vérité, l'autre enfin expose et fait connaître la méthode elle même par un exemple tiré de l'Un de Parménide ; tout ainsi vise à un seul but : un exercice pratique de logique et de discussion. Car d'abord á cette pratique est nécessaire: et ils démontrent que pour ceux qui, sans cette pratique, abordent la recherche des êtres, les hypothèses vraies changent d'aspect, puisque même Socrate, parce qu'il a négligé cette méthode, ne peut pas défendre l'hypothèse des Idées, et cela, comme le dit Parménide : quoique Socrate ait un génie naturel divin, et que l'hypothèse soit très vraie. Troisièmement, ce n'est ici autre chose qu'un exemple, comme cela est dit clairement, pour montrer de quelle nature est la forme de cet art, afin qu'en toutes choses nous nous exercions de la même manière au moyen de cette discipline, et pour présenter quelque chose de semblable à l'exemple de la méthode de division du Sophiste; car de même qu'il nous explique cet art par l'exemple du pécheur, de même il l'expose ici par l'Un de Parménide. C'est ainsi qu'en s'appuyant sur toutes les sections du dialogue, ils concluent que le but eu est cette gymnastique même. Cependant ils reconnaissent qu'elle diffère de la méthode Topique d'Aristote, en ce que celle-là distingue et sépare quatre espèces de problèmes, et sur chacun d'eux découvre une abondance de raisonnements, quoique Théophraste circonscrive la méthode, en réduisant la tétrade à deux problèmes seulement, desquels l'un, suivant lui, se rapporte à la définition (de l'essence), l'autre à l'accident, parce qu'il fait entrer dans les problèmes relatifs à l'essence, les questions générales, et range dans les questions relatives à l'accident, celles qui sont particulières, tandis que l'autre, sur chaque problème individuellement pris, s'efforce de trouver une riche variété d'hypothèses, dont l'examen critique rend manifeste la vérité: les conséquences possibles, par une série d'arguments nécessitants, étant le résultat d'hypothèses possibles; les impossibles, d'hypothèses impossibles. De sorte que cette espèce de méthode n'est pas étrangère à la philosophie, quoique particulièrement propre à ceux qui ne visent qu'au vraisemblable; car elle contribue à poursuivre la vérité elle-même, tout en ne nous laissant voir rien de plus élevé qu'elle môme; car des thèses posées dans le dialogue, les unes prouvent qu'elle est nécessaire; les autres ont pour résultat de donner l'évidence aux règles générales qu'elle contient; les autres enfin ont pour objet d'éclaircir pleinement pour nous la méthode elle-même. Voilà donc les raisons que présentent ceux qui soutiennent le but purement logique du dialogue, et qui n'ont que du mépris pour ceux qui, ne considérant que le personnage, tombent dans de parfaites invraisemblances. § 14. De ceux qui disent que le sujet est une science positive et porte sur les choses, et que l'exercice logique n'est institué qu'en vue des choses mêmes, mais ne font pas entrer la connaissance de la méthode dans les plus mystérieuses et les plus profondes doctrines philosophiques, les uns ont dit que l'objet de la recherche était l'être, et comme ces philosophes appelaient Un l'être, que Platon s'est proposé de les réfuter par eux-mêmes, à l'aide de la méthode qui leur était propre : c'est-à-dire celle par laquelle Zénon réfute vigoureusement la thèse des plusieurs, et Parménide développe celle de l'Un être. Car il faut que les raisonnements purificatifs précèdent les raisonnements qui amènent les conclusions finales. Ils ajoutent que c'est Platon lui même qui pousse des cris d'admiration pour Parménide, et qui porte témoignage quelle profondeur absolument admirable ont toutes les raisons qui sont contenues ici. Car dans le Théétète Socrate dit s'être rencontré alors qu'il était jeune, avec Parménide déjà très âgé, et l'avoir entendu philosopher sur l'être, exposant non pas une méthode de gymnastique intellectuelle, mais des conceptions pleines de profondeur et si profondes qu'il craignait qu'on ne comprit pas ce qu'il disait et que sa véritable pensée n'échappât complètement. Par là il affirmait donc clairement que le but du discours dont il s'agit ici, est positif, que la méthode y conduit et qu'il était nécessaire qu'elle précédât la théorie doctrinale, et que la discussion sur les Idées était faite pour préparer notre esprit et le rendant capable de comprendre l'Un être. Car la pluralité des Idées a son hypostase dans l'Un être, comme dans la monade son nombre propre. De sorte que si, voulant par l'analyse découvrir l'ordre des sections de l'ouvrage, on avançait que le vrai but, la vraie fin du dialogue, est l'être entendu comme l'entend Parménide, on dirait la vérité. Et puisqu'il fallait que la discussion sur la méthode de gymnastique démontrât rigoureusement la thèse de l'Un, selon la méthode qui est pratiquée par prédilection par eux, nécessairement il fallait commencer avant tout par dire quelle est cette méthode et par quelles règles elle procède, et puisqu'il n'y avait pas d'autre moyen d'amener cette méthode que de démontrer son utilité, et qu'il n'était pas possible de la démontrer autrement que d'envelopper ceux qui prétendent, sans elle, aborder la connaissance complète des choses, dans des difficultés inextricables touchant les opinions qu'ils soutiennent; parcelle raison il fallait discuter d'abord la théorie des Idées et les difficultés qu'elle soulève : ce qui a permis, par le fonctionnement de la méthode, d'amener el d'introduire le discours sur la science que nous cherchons, la science de la fin véritable selon Parménide. Car on ne peut trouver nulle part, Platon établissant une doctrine générale et supérieure des méthodes: il emploie, selon l'exigence de chaque sujet, tantôt les unes, tantôt les autres, partout les mettant en oeuvre d'après les choses sur lesquelles il se propose d'instituer une recherche: c'est ainsi que dans le Sophiste, il emploie la méthode de division, non pas pour enseigner à son auditeur l'art de diviser, quoique ce résultat, soit atteint par surcroît et en passant, mais à fin de prendre dans les filets du raisonnement le sophiste à mille têtes. Et en agissant ainsi, il se conforme à la nature des choses, qui a cela de propre de prendre les moyens nécessaires en vue des fins, et non les fins en vue des choses nécessaires. Or toute méthode est nécessaire à ceux qui veulent s'exercer à la science des choses, mais elle n'est pas par elle-même digne de grande considération, et si l'on remarque tout l'appareil des hypothèses, il deviendra évident qu'il n'a pas pris l'étude de l'être en vue de la gymnastique dont il s'agit : car celle-là veut, l'objet de la recherche étant posé être et étant posé ne pas être, examiner ce qui en résulte et ce qui n'en résulte pas pour ce qui est supposé être et n'être pas, par rapport à lui-même, et pour lui-même, par rapport aux autres, et de même pour les autres par rapport à eux-mêmes et par rapport à l'objet supposé. Mais l'examen successif des hypothèses ne se conforme pas partout aux modes de la méthode : elle en omet quelques-uns, et modifie l'ordre de quelques autres. Or si c'était comme exemple qu'il avait amené la discussion sur l'Un être, ne serait-il pas plaisant qu'il ne se conformât pas à cette méthode et qu'il ne traitât pas l'exemple selon les règles qu'elle prescrit ; or, que, au contraire, dans le cours de la discussion sur ce qu'on appelle les hypothèses, il soit loin de se conformer partout à la méthode, mais qu'ici il supprime, là il ajoute, ailleurs il change l'ordre, c'est ce que nous verrons en suivant notre chemin au milieu de ces hypothèses. Qu'il soit donc reconnu ici par ce qui a été dit qu'il ne faut pas dire que c'est une méthode d'exercice qui est présentée aux auditeurs comme but du dialogue, mais qu'on leur propose d'examiner dans ce dialogue un objet qui touche aux choses mêmes, objet que les uns, comme nous l'avons dit, prétendent être : De L'être, prenant à témoin Parménide, qui a, pour ainsi dire, crié au commencement qu'il va parler de l'Un, entendu à sa manière, c'est à dire qui est l'être, qu'il est publiquement avéré que tel est bien le sens qu'y attache Parménide, comme le prouve l'Étranger dans le Sophiste, critiquant Parménide de n'avoir pas encore parlé du véritablement Un, en parlant de l'être; d'autres, tout en reconnaissant avec ceux-ci que le but posé est une question relative aux choses, estiment qu'il s'agit non seulement de l'Un être, comme ils le disent, mais de tout ce qui tient son hypostase de l'Un. Et en effet les hypothèses commencent bien par l'Un selon Parménide, qui est l'Un être, mais en partant de là, tantôt, mettant de côté le : est et s'appuyant sur l'idée de l'Un, elles développent le véritablement Un, purifié de toute pluralité, et par là même séparé de l'être, supérieur à lui, et refusant l'attribution du : est; tantôt abordant également les deux principes et l'Un et l'être, mettant en lumière tout le diacosme intelligible, dans lequel sont le véritablement être et l'un, participant, sans perdre sa nature indépendante, de l'être, tantôt se servant de l'être, unissant l'Un substantiel à l'être seulement être, les hypothèses démontrent d'abord d'une certaine nature qu'elle est par l'Un, mais au troisième rang du véritablement Un ; ensuite passant à l'examen de l'Un, elles démontrent que ces choses-ci, par la participation de l'un ramassent et rassemblent tout en elles-mêmes, et par la non participation de l'un sont privées de tout - et comme ce tout ne peut pas être en harmonie avec l'Un être, elles concluent avec raison que ce n'est pas de lui qu'il est question, mais de toutes les choses qui procèdent, depuis la cause première jusqu'à celles du dernier rang, où se trouve la privation de tout, mais qui encore possèdent avec elle une ressemblance qui implique une dissemblance ; car ce qui est privé de tout par la non participation de l'un est en quelque manière semblable à ce qui est au dessus et au delà de tout, par la non participation de l'être. Comment dune les choses qui sont ainsi contraires les unes aux autres seraient elles en harmonie avec l'un être? Car si l'hypothèse est vraie, et surtout comme l'entend Parménide, je veux dire : si l'Un être est, et s'il démontre que ce qui résulte de l'hypothèse vraie est une conséquence nécessaire, d'après lui seraient vraies toutes les propositions qu'il démontre résulter de ce que l'on pose que l'Un est, de sorte que tout ce qu'il affirme et tout ce qu'il nie sera affirmé du même Un être véritable, ce qui est la plus grande de toutes les impossibilités, et si même toutes les conséquences qui résultent, si l'on pose que l'Un être n'est pas, sont vraies, quoique relativement, même celles là conviendront à l'Un être. Et que dire de toutes les affirmations qu'il donne exclusivement à l'Un? La discussion prouve qu'il n'est pas possible qu'elles appartiennent au même sujet, je veux dire à l'Un être Car comment l'un être sera-t-il pluralité infinie, si, d'après lui. je veux dire Parménide, l'un même repousse l'infinité selon la pluralité, et comment le nombre sera-t-il infini, puisque Parménide veut le faire absolument un, ἐνίζειν, de sorte que toute pluralité des êtres paraîtra empêcher de le créer; et comment l'éternel sera-t-il participant du temps ? Car la nature de l'Un être est selon Parménide de demeurer le même dans le même, comme il s'exprime. Si ce que nous disons ici est vrai, il ne faut donc pas dire que le but du dialogue est, sans exception ni addition, l'être selon Parménide, auquel ne conviennent pas toutes les attributions positives, encore moins toutes les attributions négatives qu'il lui donne, ni les attributions a la fois positives et négatives: mais que l'objet en est tous les êtres, desquels les uns sont susceptibles dételles attributions, les autres de telles autres, les autres des attributions à la fois positives et négatives, de sorte que Parménide a toute raison de dire qu'il commencera par l'Un, comme il l'entend, et il est très exact de dire que c'est bien par là qu'il a commencé : car il a commencé par l'Un; puis, par les conséquences qui en dérivent, il développe et exhibe toute la nature des êtres. C'est comme si quelqu'un voulant appliquer à l'âme cette même méthode, disait qu'il commence par l'âme une, et ayant posé celle-ci, démontrait la pluralité des âmes et toutes les choses qui participent de l'âme ; car parce qu'il aurait commencé par l'âme une, nous ne devrions pas dire qu'il ne traite et ne discourt que d'elle seule, mais qu'il traite de l'âme posée comme fondement de la discussion, et de tout ce qui résulte pour celui qui pose cette hypothèse : car, en général lorsqu'on admet hypothétiquement certaines données, l'hypothèse fait fonction de principe ou de commencement. La recherche ne porte pas sur elle, mais sur toutes les conséquences qui en résultent, si l'hypothèse demeure et si elle est renversée. Voilà donc les opinions diverses qu'ont eues les anciens touchant le sujet du Parménide. § 15. Il faut dire maintenant ce que notre Maître a ajouté à leurs considérations : il est d'accord avec ceux de ses prédécesseurs qui ont émis cette opinion que le but du dialogue est pragmatique, et néglige le titre contraire comme dépourvu de toute vraisemblance ; car que Zénon prie Parménide de mettre, pour les assistants, en pratique sa méthode, et que Parménide, dans cet exercice gymnastique, prenne la défense des théories de Zénon, outre les raisons ci-dessus exposées, est chose absolument incroyable, comme aussi que le but, outre l'ineptie du titre opposé, est la pratique de cette méthode : car s'il avait besoin de quelque exemple pour exposer clairement sa méthode, il aurait pris quelque autre thèse des plus simples, qui aurait suivi pour faire l'onction d'exemple, et il n'aurait pas pris la plus haute de ses conceptions, pour remplir la fonction accessoire d'une leçon sur la logique formelle appliquée, tout en considérant que celle-ci convient à la jeunesse; mais l'examen de ce noble sujet est le fait d'une raison mûrie par l'âge et qui n'est plus humaine, comme il le dit dans son poème, mais l'œuvre d'une certaine nymphe Hypsipile. Voici donc ce qu'il croit être le but du dialogue : il soutient qu'il n'est ni sur l'être, ni sur les êtres seulement ; il accorde qu'il a pour but: le Tout, mais il veut ajouter, en tant que tout est le fruit, ἔκγονα, de l'un, que la cause de Tout est suspendue à l'Un, et pour exprimer notre opinion, en tant que tout est fait divin (τεθέωται); car par le fait de participer de l'Un, un peut dire que chaque chose, selon son rang, a été faite divine, et on peut le dire même des derniers des êtres. Car si Dieu et Un c'est la même chose, (car s'il n'y a rien de plus puissant ni que Dieu ni que Un, être unifié est la même chose que être fait divin) ; si Soleil et Dieu, c'est la même chose, le fait d'être illuminé est identique à être fait divin : car l'Un donne l'union, le Soleil l'illumination. De même donc que Timée ne se borne pas, comme la plupart des physiologues, à traiter de la nature, mais enseigne comment toutes choses ont été produites avec ordre par l'Un démiurge, de même Parménide, selon nous, quoiqu'il traite des êtres, les considère entant qu'ils tiennent leur être de l'Un Seulement l'Un est autrement dans les Dieux et autrement dans les choses qui sont après les Dieux: là il est en soi absolu et parfait, et non tel que celui qui est dans un substrat. Car tout Dieu est Dieu selon l'Un, puisque celui-là est uniquement un, sans aucune multitude, tandis que chacun des autres dieux est multiplié parles choses qui lui sont suspendues, celui-ci par celle-ci, celui là parcelle-là. Moins nombreux sont ceux qui sont plus près de celui qui n'est pas multiplié: plus nombreux ceux qui en sont plus loin, parce que les choses qui en sont plus rapprochées ont une nature plus proche parente de lui, et celles qui en sont plus loin, une nature moins apparentée à lui; et la multiplication procède par abaissement. Il y a donc des choses où est essentiellement l'être, d'autres où il est comme un état habituel, ἕξις; car toute espèce, toute âme, tout corps participe de quelque un ; mais cet un n'est pas encore Dieu, quoiqu'il en soit l'image, si l'on peut s'exprimer ainsi : il est, un germe divin, comme l'espèce est une image de l'être, comme la connaissance est une image de la raison, et comme dans les choses du dernier degré, l'automobilité est une image de l'être. Donc de même que tout l'automobile ou est âme ou a été animé, et de même que tout ce qui est capable de connaître est ou raison ou a été l'ail raison, et de même que toute espèce est ou substance ou a été substantifiée, de même tout un est dieu ou a été fait divin. Timée donc rapporte tout au démiurge, et Parménide tout à l'Un; et l'Un par rapport au tout est comme le Démiurge aux choses encosmiques... Car quel est ce Dieu? Car le Dieu selon l'un n'est pas quelque Dieu, mais purement Dieu, elle démiurge est un certain Dieu, parce que la propriété démiurgique est une certaine propriété de Dieu, et qu'il y a d'autres propriétés, divines sans doute, mais cependant non demiurgiques. § 16. Voici maintenant l'analogie qu'ont entre eux les sujets des dialogues, et les dates des faits qu'ils traitent. : on est d'accord sur ce point. Car l'un est posé avoir lieu dans les petites Panathénées, l'autre pendant les grandes comme nous l'avons dit plus haut, dans lesquelles on exhibait le voile représentant la victoire de la Déesse sur les Géants et il est certain que cette peinture des Géants est on ne peut plus appropriée aux spectacle que nous offre l'unité pénétrant à travers toutes choses : car cette unité dans les choses gouvernées divisément et matériellement,ajoutant à elle-même la raison et l'union, nous disons qu'elle les maîtrise parce qu'elle rend les choses plus intellectuelles maîtresses de celles qui sont plus dépourvues de raison, les plus immatérielles maîtresses de celles qui sont plus matérielles et les unifiées maîtresses des plurifiées. C'est là le symbole de la puissance Athénaïque qui s'élève au dessus des choses encosmiques, et selon laquelle Athènes assiste son père et avec lui triomphe les Géants. Ce qu'on appelle les petites Panathénées rendent plus particulièrement un culte à la fonction encosmique de la déesse, qui est coordonnée à la fin de la période Séléniaque. C'est pourquoi il a paru convenir à un dialogue qui nous révèle toute la génération cosmique, que l'époque concordât par là avec le but du Parménide, que cette conférence fur la quatrième à partir de la première, que ce soit Céphale qui la fasse, que tels soient les personnages auxquels il fasse cette conférence, qui s'accorde parfaitement à la procession qui fait procéder de l'Un toutes choses jusques aux dernières. Car tout ce qui a procédé de lui ou sont des hénades c'est-à-dire des choses qui tiennent par leur nature même leur hypostase de l'Un, ou des substances procédant de ces hénades, qui ont elles-mêmes procédé de l'Un, ou des substances procédant de ces hénades qui ont elles-mêmes procédé de l'Un, ou des médianités placées entre les substances et les générations que produisent les substances et avant les substances les hénades et l'Un, ou des générations et processions de toutes ces dernières. Si donc tout ce qui a quelque degré de perfection et qui a reçu quelque ressemblance à ce qui est la fin de toutes choses, a précédé dans le quatrième abaissement, comment n'en serait-il pas de même de la quatrième conférence, qui, ayant pour objet tout l'abaissement de tout au-dessous de l'Un, est très harmonieusement coordonnée à la théorie qui est le sujet du dialogue, et, si, pour être le réceptacle des générations, elle est par elle-même sans forme, par là même ceux qui prennent tour à tour la parole dans la quatrième conférence en portent l'image, et n'ont pas été nommés, précisément pour figurer par analogie l'indétermination, car le nom est une marque de l'espèce. De tout cela, il faut conclure que toute pyparxis est ou substance ou génération, ou ni substance ni génération, et que l'hyparxis elle-même est ou antérieure aux substances et aux générations, ou est avec substance et génération : car tout ce qui est matériel n'est ni l'un ni l'autre, et porte, comme on dit, dissemblablement une ressemblance avec, les êtres antérieurs à la génération et à la substance. § 17. Il faut en outre que le caractère du dialogue soit dans le plus parfait rapport de convenance avec les matières qui en sont l'objet, et avec la méthode de l'argumentation : car les choses traitées sont divines et ont leur fondement dans la simplicité de l'Un; elles aiment par dessus tout cette beauté de forme sans ornement et sans fard, comme s'exprime quelqu'un des sages, au sujet de ces choses saintes, et la proposent aux choses qui ont la puissance de la voir. Celle-ci (la méthode) procède par les moyens les plus rigoureux du raisonnement, néglige toutes les grâces apprêtées qui éloignent des choses mêmes, ne se soucie d'aucune parure, est tendue uniquement à la poursuite la plus exacte des sujets mis en question, et enchaîne chacune des solutions par les liens nécessaires d'une argumentation géométrique. La forme de l'exposition est donc en parfaite et belle harmonie avec les deux; car la maigreur du style convient à la méthode dialectique, et une sorte de négligence naturelle, l'absence de toute recherche et d'art, aux entretiens qui roulent sur des choses divines Si donc il y a quelque part, dans les discours de Socrate, de l'élégance et de la grâce, ou si l'on voit apparaître une certaine forme moyenne de style qui convient aux formes moyennes de la vie, ou si l'on surprend quelque part les personnages comme saisis par l'enthousiasme s'élever à un ton sublime et à une magnificence de style qui sent l'art, et s'il se hausse ainsi emporté par l'imagination en délire, tout cela est naturellement étranger au genre actuel, et il ne faut absolument rien chercher de semblable dans notre dialogue et dans ce genre d'entretien ; et pour moi j'admire parmi mes prédécesseurs ceux qui, versés dans l'art de la critique, ont fait l'éloge du style de ce dialogue, qui, suivant eux, garde merveilleusement toutes les qualités du genre simple, mêle habilement l'absence de défaut au naturel, et fond dans un harmonieux mélange la force avec la correction. J'admire encore davantage ceux qui donnant des préceptes sur les propriétés du genre théologique nous disent qu il y a dans le Sophiste beaucoup de passages où l'on retrouve ce genre, et que le Parménide tout entier y rentre; il convient cependant d'ajouter à ces jugements qu'à notre sens, le choix des termes est en parfait rapport de convenance avec cette théologie, mais que ce ne sont pas les seuls qui lui conviennent, que cette forme de composition, ἰδεὰν est en harmonie avec le sujet, mais non qu'elle est exclusivement propre à ceux qui désirent exposer les choses divines, que ce choix d'expression convient très bien aussi à ceux qui veulent enseigner les choses divines sous une forme dialectique, et que cette sorte de composition est en harmonie avec des discours de ce genre. Car il est possible d'exposer les choses divines de plusieurs manières différentes, aux poètes inspirés par Phoebus, au moyen d'expressions mythiques et avec un style riche et noble, aux poètes qui, dans les sujets mythiques, adoptent la pompe tragique, et surtout quand ils font parler des bouches divines, au moyen d'expressions religieuses et saintes, et d'une forme de composition qui s'élève au sublime; aux autres, qui se proposent de les exprimer par des images, au moyen de termes mathématiques. comme ceux qu'on emploie dansla science des nombres ou dans la géométrie. De ces divers procédés diffère l'exposition par des expressions dialectiques, particulièrement propres aux philosophes de l'École Éléatique. telle que ce noble style des Pythagoriciens comme nous le montre Philolaüs, qui représente par des nombres les hyparxis et les processions des Dieux Les Hiératiques donnent aux Dieux des noms particuliers à leur propre langue mystique, comme ces noms usités par les Assyriens de zones, d'azonés, de sources, d'implacables, de τονοχεῖς, par lesquels ils signifient les ordres des Dieux. La langue des Orphiques qui est particulière à la Théologie hellénique, donne aux principes les plus hauts de toutes les choses les noms de Kronos, Zeus, Ouranos. La Nuit, les Cyclones, les Hécatonchires. Mais, comme je l'ai dit, au lieu de tous ces termes, l'exposition dialectique des choses divines use des formules dialectiques : Un, Être, Tout, parties, le même, l'autre, le semblable, le dissemblable : formules dont se sert tout spécialement la dialectique, et qu'elle adopte pour l'expression des choses divines. C'est pourquoi son caractère, tiré du langage habituel, est en rapport de convenance avec ce genre de termes. C'est celui que prend ici Parménide, qui n'enfle pas la voix, mais dont le style simple et nu n'est pas arrangé et artificiel, mais parfaitement naturel.
§ 18. Voilà ce que nous
avions à dire sur le genre d'exposition du dialogue. Mais comme j'entends
plusieurs des commentateurs du dialogue de Platon s'efforcer d'établir une
différence entre la méthode qu'exposé ici Parménide et celle qu'ils appellent la
dialectique de Platon, je crois bon d'exposer les opinions émises sur ce point.
Car il en est qui disent qu'elle se montre différente par ces trois caractères,
comme le dit Parménide lui-même : le premier, c'est qu'il ne convient pas
d'enseigner aux jeunes esprits la dialectique, comme le dit Socrate dans la
République, de crainte qu'on ne les pousse, sans s'en apercevoir, à violer
les lois, en usant de la puissance de la parole pour détruire et renverser en
nous les idées qui se prêtent si facilement au changement, tandis que Parménide
appelle à cette méthode Socrate, qui est encore jeune, et l'encourage à s'y
adonner, précisément parce qu'il est jeune, parce que l'étude ardente de cette
science convient à la jeunesse, à qui Socrate, dans ses règlements et sa
législation, interdit la dialectique. Elle s'en distingue encore par cet autre
côté : c'est que cette méthode est appelée par Parménide une gymnastique
logique, dans laquelle on emploie les arguments dans les deux sens contraires :
c'est dans ce sens qu'Aristote entend la dialectique qu'il expose et dont
l'utilité, dit-il, consiste précisément dans cet exercice même, tandis que celle
de Platon est appelée par lui le sommet, la fleur la plus pure de la
raison et de la pensée, parce qu'elle fonde elle même son contenu dans les
espèces intelligibles, et que, en procédant au moyen de ces espèces, elle arrive
au principe même qui domine tout l'intelligible, n'ayant aucun regard pour les
opinions humaines, mais visant en toutes choses à une science irréfutable. Enfin
il y a en outre une troisième différence: c'est que la méthode employée dans cet
entretien est appelée par Parménide lui-même un pur bavardage, et que l'autre
est qualifiée par Socrate : le parapet du rempart des sciences et qu'elle
est dite par l'Étranger d'Élée convenir exclusivement aux véritables philosophes
que nous n'aurons pas, sans doute l'impertinence de ranger parmi les vains
bavards, eux dont Voilà donc les raisons que présenteraient ceux qui estiment que la dialectique diffère de cette méthode, que Socrate, - quoique dans sa jeunesse, il l'ait pratiquée sur l'invitation de Parménide, — ne semble nulle part avoir admise dans sa propre philosophie, bien que toujours et partout, il se serve du mot dialectique, et qu'il dise que c'est elle qu'il désire et poursuit par-dessus tout, celle dont il suit les traces, comme celles d'un Dieu, celle qui peut faire l'Un plusieurs et ramasser les plusieurs en un. C'est là les fonctions de la véritable dialectique, comme il le dit lui- même dans le Phèdre, dont l'objet n'est pas une chose étant posée être, de rechercher ce qui en résulte, comme aussi, étant posée n'être pas, ni d'aller à la recherche d'hypothèses d'hypothèses, et de conséquences de conséquences, comme cette méthode-ci nous apprend à le faire. Mais pourquoi faut-il que ce soit Socrate qui prenne la parole et dise ce que Socrate prétend convenir à la dialecticien, puisque ces qualités sont absolument différentes des fonctions de la méthode que Parménide expose dans ce dialogue. Mais même le sage Éléate qui fait partie lui aussi des disciples de Parménide et de Zénon, enseignant, dans le Sophiste, quelle doit être la fonction de la dialectique, regardez ce qu'il dit : « Ainsi donc celui qui est capable de remplir cette fonction (c'est-à-dire de ne pas prendre la même idée pour une idée différente ni une idée différente pour la même - sépare et distingue parfaitement l'idée une partout répandue à travers les plusieurs, -- un chacun de ces plusieurs restant à part, — et il distingue les idées plusieurs différentes les unes des autres, enveloppées du dehors par une seule, et inversement, une seule idée liée par l'un à travers tous les plusieurs et les plusieurs idées à part et complètement distinguées. Sans doute il dit par là qu'il faut que le dialecticien procède (ὀδεύειν) par ces espèces d'hypothèses, telles que les expose la méthode de Parménide, et par ces questions destinées à faire voir ce qui résulte et ce qui ne résulte pas pour la chose elle même et pour les autres, et les questions correspondantes à celles-là, relativement aux autres. Or ces quatre questions s'accordent parfaitement avec les deux qui sont posées dans le Phèdre; car l'une d'elles, là, est de faire le un plusieurs : et c'est le propre de la méthode de division, de diviser les genres dans les espèces qui lui sont soumises : desquels genres, l'un est l'idée une répandue à travers plusieurs posés à part, et qui existe dans un chacun d'eux ; car un genre n'est pas un amas d'espèces, comme le tout de parties; mais à chaque espèce est présent cela même qui est avant les espèces, qui est participé par chacun des plusieurs posé à part et séparé et des autres espèces et du genre lui-même. Les espèces sont plusieurs idées, différentes les unes des autres, embrassées du dehors par une seule, qui est le genre, le genre étant au dehors, comme supérieur aux espèces et détaché d'elles, et enveloppant les causes des espèces; car pour tous ceux qui admettent les Idées, les vrais genres sont antérieurs dans le temps et plus substantiels que les espèces qui sont placées sous eux, et autres sont les choses qui présubsistent avant les espèces, et autres celles qui sont en elles par participation. Distinguer et séparer ces deux est le fait de la méthode de division du dialecticien. Les deux autres sont du ressort de la méthode de définition : car c'est elle qui voit l'idée une à travers plusieurs touts, idée liée par l'un, ramassant les plusieurs idées dans un un déterminé et distinct, formant chacune un tout, les tissant ensemble l'une dans l'autre, de toutes, prises comme des touts, constituant une seule idée, et rattachant les plusieurs dans l'un : enfin c'est elle qui examine les plusieurs idées qu'elle a réunies, à part du tout constitué par elles, et séparées les unes des autres : et cela est nécessaire; car comment ferait-elle un de plusieurs, si elle n'avait pas préalablement considéré ces plusieurs posés à part les uns des autres. Telles étant les opérations de la dialectique, Parménide, lorsqu'il nous esquisse la méthode qui procède par les hypothèses, n'en mentionne aucune, et Socrate qui pour ainsi dire, partout s'élance sur les premières ne fait aucune mention de l'autre : comment donc pourrait-on admettre qu'elles sont identiques l'une à l'autre? C'est que le premier des caractères exposés ne les distingue pas : ce caractère, c'était que Parménide recommande l'une aux jeunes gens, et que Socrate détourne les jeunes gens de l'autre : mais ce n'est pas la même chose de formuler des préceptes impératifs, de prescrire des lois, et de donner en particulier des conseils : car l'un prend en considération des esprits nombreux et de valeur inégale ; ce sont eux qu'il a en vue et pour lesquels il est obligé de placer les principes généraux avant les règles particulières; car le législateur n'est pas le directeur d'un seul, mais de plusieurs : il examine donc non pas tout ce qui convient aux natures les meilleures, mais ce qui convient aux premières, aux moyennes et aux dernières. C'est pourquoi, pensant à celles que lui offre le hasard, il se garde bien de donner des règles qui pourraient nuire à quelques-uns de ceux auxquels il donne ses enseignements; car s'il choisit les meilleures natures que possible, il sait cependant qu'il y a, même en elles, beaucoup d'inégalité, comme il est nécessaire dans les natures humaines. Mais celui qui donne des conseils privés, sur n 'importe quelle occupation, c'est en considérant la nature différente de celui à qui il les adresse, surtout s'il est lui-même homme à pouvoir comprendre l'aptitude de celui qui reçoit ses conseils, qu'il lui conseille de choisir ou de pratiquer telle ou telle fonction. C'est pourquoi l'une de ces manières convenait à Socrate dans ses prescriptions sur la dialectique; mais à Parménide, qui visait uniquement, comme il le dit lui-même, à exciter une ardeur enthousiaste pour la philosophie chez Socrate, convenait l'autre mode d'invitation, parce qu'il n'offrait aucun danger pour celui qui devait s'exercer lui-même, dès sa jeunesse, à une telle méthode, s'il possédait une nature semblable à Socrate; car lui aussi, s'il savait que tous ceux à qui il donne ses préceptes, fussent tous d'une nature supérieure, n'aurait pas hésité à leur enseigner, même des leur jeunesse, la dialectique, sachant bien qu'elle ne pourrait leur être nuisible, et que ces jeunes hommes n'auraient à souffrir aucun de ces maux, dans la prévision desquels il les éloignait de cette étude, lorsque le goût de ces jeunes gens et leur aptitude pour une telle gymnastique, lui étaient inconnus. Et en général nous voyons que toute législation vise ce qui arrive le plus souvent, et non les faits accidentels et très rares; qu'elle regarde à l'essence générale et commune de la nature, et non ace qu'elle a de particulier, soit dans les hommages à rendre aux Dieux, soit dans le choix d'une science ou d'une profession, soit dans l'élection de nos devoirs, que ne sont pas forcés de suivre tous ceux qui sont en dehors de cette législation, qui ont reçu du sort une nature d'une autre espèce, et qui s'élèvent au-dessus de la commune nature; de sorte que tous les deux, quoique donnant des préceptes sur une seule et même discipline, rien n'empêche qu'en disant des choses différentes concernant ceux qui doivent la pratiquer, ils ne disent tous les deux des choses vraies, l'un parce qu'il vise la nature ordinaire et commune, l'autre parce qu'il vise la nature particulière. § 19. Que Parménide en appelant cette méthode une gymnastique, ne se sert pas d'autres expressions que celles dont use Socrate, cela est évident pour tous ceux qui ont suivi les règles de Socrate touchant la dialectique; car lui aussi dit qu'il faut exercer au moyen de la dialectique ceux que l'on veut pousser dans les sciences, s'accordant ainsi, même dans le nom, et déterminant le temps qu'ils devront consacrer à cet exercice.. Ainsi donc celle-là aussi doit conduire au même résultat, à l'art de s'exercer au moyen d'arguments vraisemblables ; mais il ne faut pas, abusant par une sorte de violence de ce nom de gymnastique (ou exercice pratique), faire entrer l'une dans l'autre, et cela, quand Parménide nous crie très haut que par cette gymnastique on arriverait difficilement à voir la Vérité : ce qui est la lin de ce qu'on appelle les arguments topiques.
Pourquoi donc tous les
deux appellent-ils gymnastique, γυμανασίαν, les premières études
consacrées à cette méthode ? C'est ce que je vais dire. D'une façon
générale, il y a trois actes, ἐνέργειαι, de cette méthode vraiment scientifique
: le premier qui convient à la jeunesse, et sert à éveiller en eux la raison,
pour ainsi dire dormant encore, à les habituera la recherche de soi-même. Car
c'est véritablement une sorte de gymnastique de l'œil de l'âme, s'exerçant à la
vue des choses et à exprimer les raisons qu'elle possède par essence, qui la
mené et la conduit par des thèses opposées, et examine non seulement le chemin
qui conduit, pour ainsi dire en droite ligne, à la vraie vérité, mais examine
aussi les chemins de traverse, les roules latérales, les sonde et les met à
l'épreuve, afin de voir s'ils contiennent quelque chose de vraisemblable, et
explore les notions si diverses de l'âme; — un deuxième acte de cette méthode
fait déjà reposer la raison dans la vue directe et intime des êtres, et
contemple la vérité par elle-même, ayant mis le pied sur le seuil sacré : c'est
celui, comme dit Socrate, qui déroule tout l'intelligible, en cheminant
constamment a travers les idées jusqu'à ce qu'il ait rencontré le vrai Premier
même, procédant tantôt par l'analyse, tantôt par la définition, tantôt par la
démonstration, tantôt par la division, s'avançant tantôt en partant d'en haut,
tantôt d'en bas vers son but ardu, jusqu'il ce qu'ayant sondé et fouillé en tous
sens toute la nature des intelligibles, elle arrive en courant à ce qui est
au-delà de tous les êtres, où l'âme, ayant définitivement jeté l'ancre, ne
désire plus rien de plus parfait, puisqu'elle est arrivée à la fin désirée. »
Voilà ce qu'on peut dire : les opérations de la dialectique, indiquées les unes
dans le Phèdre, les autres dans le Sophiste, divisées dans l'un en
deux, dans l'autre en quatre : c'est pour cela qu'elles sont enseignées au
véritable philosophant, qui n'a plus besoin de gymnastique, mais qui nourrit la
raison de son âme de notions pures. Le troisième acte de la méthode est en
réalité une espèce qui fait fonction de παραστάτης, qui sert à purger l'âme de
sa double ignorance, lorsqu'elle s'adresse aux hommes tout remplis de vagues
opinions. Il en a été question dans le Sophiste; en effet, de même que le
philosophe est obligé d'appliquer à ceux qui sont comme possédés par l'apparence
de la science, la réfutation, qui est une sorte de purgation, de même le
Sophiste, qui possède l'art de réfuter, semble avoir pouillé le philosophe,
comme le loup, dit-il en ce livre, revêt la peau du chien. Car l'un réfute
véritablement et non en apparence : il purge véritablement et par là est un vrai
philosophe, et comment pourrait-il purger les autres, s'il avait lui-même une
âme non purifiée. Ainsi donc l'activité totale du genre dialectique étant
triple, et si produisant sous deux modes, soit exclusivement pour faire
comprendre le vrai, soit seulement pour réfuter l'erreur, on appelle aussi dans
les deux acceptions seulement cette première gymnastique de l'esprit,
selon laquelle Socrate lui-même exerce les jeunes gens, les examinant, comme un
Dieu, sur ces deux points, à savoir si ce qui semble à chacun être vrai, est
vrai ou non, et si la sensation est science ou non, examinant tour à tour, les
objections présentées contre les propositions vraies, puis attaquant à leur tour
les affirmations erronées et en démontrant l'erreur, et ce, qui est une autre
manière de résoudre les objections proposées, interrogeant le jeune homme sur le
point de savoir : qu'est-ce qu'on appelle l'objet cher ; et montrant tantôt que
c'est le semblable qui est cher au semblable, tantôt que c'est le
contraire qui est cher à son contraire, soutenant tantôt que c'est l'aimant qui
est cher à l'aimé, tantôt que c'est l'aimé qui est cher à l'aimant, enfin
poussant en tous sens les objections qui se cachent sous les solutions données.
C'est donc aux jeunes gens avides de savoir et courageux, que convient cette
sorte de gymnastique, afin qu'ils ne se laissent pas saisir parla fatigue dans
leurs recherches, qu'ils ne soient pas vaincus et réfutés pour n'avoir pas, dès
le principe, lorsqu'ils auront à lutter contre des sophistes, qui tous se
cachent sous les dehors de savants mais sont tous des histrions, à leur
disposition les procédés réfutatifs de la dialectique qui leur montrent ces gens
là soutenant des doctrines contradictoires jusqu'à ce qu'enfin, battus de tous
les côtés, ils arrivent à comprendre que leur propre science n'est qu'une
apparence : ces procédés sont donc en quelque sorte des moyens de purger les
esprits d'opinions creuses et vides. C'est de celte dialectique socratique que
sont remplis les dialogues du Gorgias Le sage Éléate de son côté qui d'un fait plusieurs, par sa méthode de division, et de plusieurs fait un, par sa méthode de définition, pratique lui aussi cet art souverain, le plus haut degré de toute la dialectique, et agit comme si, pour lui-même. il divisait ou définissait les êtres : mais il pratique la même méthode quand il s'adresse aux autres. Car ce n'est pas à des jeunes gens inexpérimentés qu'il s'adresse, mais à des personnages déjà exercés par les entretiens de Socrate, qui ont traversé toutes les sciences, et sont par leurs travaux préalables devenus propres à voir les êtres, et non des sophistes embarrassés et empêchés par leur double ignorance et incapables, par leurs fausses opinions, de recevoir les doctrines vraiment scientifiques. § 19. Pour quelle raison a-t-il appelé gymnastique cette méthode d'ascension par la dialectique, nous l'avons déjà dit. Mais c'est aussi parce que le vulgaire avait pris l'habitude de transporter à la dialectique le nom de pur bavardage, et d'appeler bavards les dialecticiens. -- Que dis-je, les auteurs comiques n'ont ils pas nommé Socrate lui-même, le mendiant bavard ? Ne nomment-ils pas de ce nom tous les autres en bloc, avec ceux qui n'ont de dialecticiens que la fausse apparence ?
« Je hais Socrate, le
mendiant bavard. » C'est pour cela que Parménide n'a pas dit simplement que cette espèce de méthode est un bavardage, mais avec cette addition : ce que le vulgaire appelle bavardage. Et cependant Socrate lui-même dans le Phédon, dit que ce mot de bavardage lui est venu autrefois de la comédie. Mais dans la circonstance actuelle personne, pas même s'il était un écrivain de comédies, ne dirait qu'il n'est qu'un pur bavard, qu'il ne parle que de choses qui n'en valent pas la peine, au moment où il va entreprendre le voyage, pour l'Adès, et où il s'entretient du voyage pour là-bas. Et dans le Théétète, souvent après avoir complètement détruit le raisonnement de Protagoras, et lorsqu'il parait avoir démontré la chose en question, ensuite se préparant à élever de nouveau des objections contre celte doctrine, il dit : « Quelle chose terrible est un homme bavard »: et comme Théétète, lui demande la raison de ce début, c'est, dit-il, que je dois élever des objections contre moi-même. Et c'est ce caractère de la dialectique qui aime la contradiction, qui tourne et retourne, en tous les sens les mêmes idées et qui ne lâche jamais son adversaire, c'est là qu'il appelle le caractère du bavard, car on a coutume de nommer en raillant en bloc, bavards ceux qui ressassent, sans qu'on puisse les en distraire, toujours les mêmes choses. C'est donc, comme je le disais, la foule qui a donné ce nom à la dialectique : c'est pourquoi Parménide a dit que c'est ainsi qu'a été appelée par le vulgaire la méthode qu'il enseigne lui même; et s'il nous fallait nous attacher aux divisions des arts dans le Sophiste, nous trouverions là l'Étranger Éléate rangeant la dialectique dans le genre du bavardage. Car il dit que parmi toutes les sciences, l'une apprend à créer, l'autre à acquérir ; que dans cette dernière une branche sert aux débats oratoires, l'autre à quelqu'autre chose; de la branche qui sert aux discussions, une partie a pour but la rivalité, l'autre le combat; de cette partie combative, une espèce a un caractère de contrainte par la force, c'est celle qui engage la bataille avec le corps; — l'autre a un caractère de contradiction, c'est celle évidemment sous laquelle nous placerons l'espèce dialectique ; car elle ne sert pas à créer, mais à acquérir, comme l'espèce qui sert à acquérir la science et elle ne peut être rangée sous aucune autre espèce du genre acquistif que le genre débatif. Le genre qui apprend à contredire se divise en deux espèces : l'une qui use de discours continus et prolongés; l'autre qui procède par interrogations et réponses particulières : c'est évidemment celle sous laquelle il faut placer le genre de la dialectique. Du genre qu'on appelle contradictif, ἀντιλογικὸν, si on le divise, il y a deux espèces : l'une qui s'occupe des intérêts individuels, l'autre qui admet l'enquête et la contradiction sur des questions générales, sur le juste même, dit-il, sur le beau et leurs contraires. C'est dans cette espèce évidemment qu'il fera entrer le genre dialectique, qu'il nomme aussi éristique, parce que ce mot ne désigne pas encore l'espèce décriée de la dispute et la contradiction pure; mais il appelle ainsi simplement l'opposition des raisons contraires et l'art d'opposer des instances : car il y a une manière de contredire et de disputer bien comme mal, puisque l'on dit qu'il y a deux sortes de dissentiments: « Car il n'y a pas qu'un seul genre de dissentiments. » a dit quelqu'un. Dans le genre éristique, donc, il y a d'une part l'espèce qui vise à acquérir de l'argent, c'est celle que pratique et nous professe ce grand et vaillant sophiste: - l'autre espèce ne sert qu'il perdre son argent : c'est celle qui, insoucieuse des intérêts personnels, passe tout son temps à discourir sans fin, sous laquelle assurément nous rangerons le dialecticien : car ce ne sera pas sous l'autre, qui est l'espère sophistique. Or c'est à cette espèce qui n'aboutit qu'à perdre son argent, qu'il dit ne pouvoir donner d'autre nom, et c'est celle qu'il faut ainsi appeler : l'espèce du bavardage. Si donc même à la dialectique, il a donné ce nom en apparence, comment la méthode pratiquée dans le Parménide, parce qu'on l'appelle bavardage, diffrerait-elle de la dialectique, quand celle-ci môme ne peut pas se délivrer de cette qualification. Mais sur ce point nous avons dit plus que le nécessaire : il faut revenir à notre sujet même, en ajoutant seulement, que les anciens ayant émis des opinions très différentes sur les Préludes de Platon, — les uns n'entrant pas du tout dans l'examen de cette question, — car il n'y a à s'intéresser à cela que les vrais amis de la doctrine et qui l'ont entendue d'abord, — les autres, ne les ayant même pas peut-être entendus, mais croyant qu'ils servent à donner une esquisse sommaire des sujets et à nous renseigner sur l'économie des matières proposées à la recherche suivie dans les dialogues, — d'autres estimant qu'ils guident les commentateurs et les amènent à la nature des choses discutées. - nous avons adopté cette dernière manière de voir, et nous mettrons en tête de nos commentaires une explication du prélude qui introduit le sujet qui doit être traité : ce qui ne veut pas dire que nous négligerons d'insister sur tout ce qui appartient essentiellement au sujet. Car il faut, dans les dialogues de Platon, regarder par-dessus tout au fond des idées contenues dans le dialogue, examiner ensuite comment les préludes en contiennent une sorte d'image, et montrer que chacun d'eux est un animal parfaitement un, que toutes les parties qui le composent sont en Harmonie avec lui-même, chacun parfait en soi, comme il le dit lui même dans le Phèdre, et en harmonie avec ses parties, et toutes les autres qualités qui appartiennent à ce genre.
Quant à dire que les
préludes de Platon sont complètement étrangers aux choses qui suivent, comme
ceux des dialogues d'Héraclide du Pont et de Théophraste, c'est une
assertion qui offense tout lecteur qui a quelque sens critique.
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