Porphyre

PORPHYRE

 

VIE DE PORPHYRE

 

 

 

 

VIE DE PORPHYRE

Porphyre nous apprend lui-même (a) qu'il était Tyrien. Longin, Libanius, Eunape supposent qu'il est né à Tyr capitale de la Phénicie. Néanmoins Saint Jerôme et Saint Chrysostome ont prétendu que Batanée bourg de Syrie était sa patrie. C'est pourquoi ils l'appellent Batanéote ; ce que quelques-uns ont cru avoir été dit plutôt par forme d'injure, que pour indiquer le lieu de sa naissance : on peut voir sur cela les conjectures d'Holstenius (b) trop éloignées de la vraisemblance, pour devoir être rapportées. Le vrai nom de ce philosophe était Malc, qui en langue syriaque signifie Roi. Longin le lui fit quitter et l'engagea à prendre celui de Porphyre, qui a quelque rapport au terme de Roi, parce que l'habillement de pourpre était réservé aux rois et aux empereurs.

Il naquit la douzième année de l'empire d'Alexandre Sévere, c'est-à-dire l'an 233. de l'ère chrétienne (c). Il était d'une famille distinguée. Il passa sa jeunesse à voyager, dans le dessein de faire connaissance avec les hommes de son siècle qui avaient le plus de réputation d'habileté, et de profiter de leur doctrine. Il avait été Chrétien, si on en croit l'historien Socrate, qui ajoute que Porphyre renonça au christianisme, de colère d'avoir été maltraité par quelques chrétiens à Césarée en Palestine : mais ce fait pour être cru, aurait besoin d'être attesté par un garant plus à portée de le savoir, que Socrate. Ce qui est constant, c'est qu'il a eu de grandes liaisons avec les chrétiens. Vincent de Lérins (d) prétend avoir lu dans les ouvrages même de Porphyre, que ce philosophe ayant ouï parler de la grande réputation d'Origène, alla le trouver à Alexandrie: Eusèbe (e) nous a conservé un passage fort curieux de Porphyre, dans lequel nous voyons ce qu'il pensait d'Origène.

« Il y en a eu, disait-il, qui ne voulant pas abandonner les écritures des Juifs, mais voulant seulement répondre aux raisons par lesquelles nous les combattons, y cherchent des explications forcées, qui ne conviennent point du tout à la lettre : mais par ce moyen ils ont plutôt fait admirer leur esprit, qu'ils n'ont soutenu l'autorité de ces écritures étrangères ; car ils nous font des énigmes des paroles de Moïse les plus claires et les plus simples : ils les relèvent comme des oracles divins qui couvrent de grands mystères, et après avoir comme enchanté les esprits par cette vaine ostentation de figures et de vérités cachées, ils les trompent par les fausses explications qu'ils leur en donnent. On peut voir cette conduite dans un homme que j’ai connu, lorsque j'étais encore fort jeune, et qui ayant acquis une grande estime durant sa vie, l'a conservée encore après sa mort par les livres qu'il a composés :j'entends Origène, dont le nom est fort célèbre parmi ceux qui font profession d'enseigner cette doctrine. Il a été disciple d'Ammone, le plus habile philosophe de notre temps ; et il a trouvé dans lui un grand avantage, pour s'avancer dans la science. Mais il a eu le malheur de s'engager dans cette secte barbare et arrogante. Ayant fait naufrage contre cet écueil, il corrompit tout ce qu'il y avait d'excellent, tant dans sa personne, que dans sa science, par le mélange qu'il voulait, faire de la philosophie avec le christianisme; car menant une vie chrétienne contraire à toutes les lois, il suivait sur la divinité et sur tout le reste le sentiment des Grecs, qu'il couvrait néanmoins par les fables de ces barbares. Il lisait sans cesse les écrits de Numénius, de Longin et des plus habiles pythagoriciens. Il faisait aussi usage des ouvrages de Chérémon le stoïcien et de Cornuté ; et ayant appris par cette étude la manière d'expliquer et d'entendre les mystères des Grecs, il les applique aux écritures judaïques. »

A ce discours il n'est pas difficile de reconnaître un ennemi déclaré de la religion chrétienne, dont les décisions outrées et partiales ne doivent faire aucune impression. On ignore si la connaissance de Porphyre avec Origène a précédé le premier voyage de ce philosophe à Rome. Il alla dans cette capitale du Monde (f) à l'âge de vingt ans. Il y resta peu cette première fois. Après y avoir fait une courte résidence, il alla étudier à Athènes sous Longin, le rhéteur le plus estimé de son siècle. Ce que le temps nous a conservé de ses ouvrages justifie l'idée avantageuse que ses contemporains avaient de lui. Ils disaient (g) qu'il avait une science parfaite de tout ce qui regarde les belles-lettres et la rhétorique ; et ils l'appelaient un trésor de science, et une bibliothèque vivante. Porphyre fit de si grands progrès sous cet excellent maître qu'en peu de temps il devint l'honneur de cette École. Nous avons dans Eusèbe (h) le fragment d'un ouvrage de Porphyre, dans lequel il fait l'histoire d'une fête que donna Longin pour célébrer le jour de la naissance de Platon. Porphyre y était. Ils étaient sept en tout. La conversation roula pendant le repas sur des matières savantes. L'on y prouva qu'Ephore, Théopompe, Ménandre, Hypéride, Sophocle même avaient été des plagiaires. La grammaire et la rhétorique ne suffisaient pas pour occuper tout entier un homme aussi avide de savoir que Porphyre. Il fit son second voyage à Rome à l'âge de trente ans, la douzième année de l'empire de Gallien, c'est-à-dire, au commencement de l'an 263 de J. C. Le célèbre Plotin y tenait alors son école. Il passait pour être le premier philosophe de son temps ; la plus sublime métaphysique et la théurgie étaient les principaux objets de ses études. On appelait théurgie, la science qui apprenait les diverses espèces des êtres intelligents, la subordination qui était entre eux, le culte qui leur était dû et les cérémonies nécessaires pour s'unir intimement avec eux.

Porphyre n'eut pas plutôt vu Plotin qu'il se proposa d'acquérir l'amitié de cet homme illustre ; et bientôt le disciple eut l'estime et la confiance de son maître à tel point que Plotin chargea Porphyre de répondre aux questions qu'on lui faisait, et lui donna ses ouvrages (i) pour qu'il y mit la dernière main. Ils demeurèrent près de six ans ensemble. Porphyre qui était fort sujet à la mélancolie (j) s'en trouva tellement fatigué, que Plotin lui conseilla de voyager pour la dissiper. Dans les accès de ses vapeurs il lui prenait un si grand dégoût de la vie, que plusieurs fois il se serait donné la mort, si Plotin ne l'en eût détourné. La philosophie de ces platoniciens inspirait un grand mépris pour la vie. Leur système était, que quiconque aspirait à la sagesse, devait renoncer à tous les plaisirs des sens ; que nous étions dans un état d'épreuve, dont il fallait sortir, pour pouvoir être heureux. Quelques-uns étaient persuadés qu'il était permis à chaque mortel de hâter la réunion de son âme avec celle des esprits. Porphyre, suivant le conseil de Plotin, sortit de Rome la quinzième année de l'empire de Gallien, sur la fin de l'an268. de J. C. Il alla en Sicile au cap de Lilybée, pour y faire connaissance avec Probus, qui y avait une grande réputation. Eunape prétend que Porphyre fut longtemps en Sicile, ne faisant que soupirer ; qu'il ne prenait point de nourriture et qu'il ne voulait voir personne ; que Plotin en ayant été informé, et craignant qu'il ne voulût mourir alla en Sicile où il eut des conférences avec Porphyre, qu'il détermina à consentir de vivre. Eunape ajoute que Porphyre avait écrit la conversation qu'il avait eue avec Plotin à ce sujet. Mais assurément il y a de la confusion dans le récit d'Eunape. Car Porphyre lui-même (k) en dit assez pour donner lieu de croire qu'il n'a pas revu Plotin depuis qu'il était parti pour la Sicile. Ce fut pendant qu'il y était qu'il composa son fameux Ouvrage contre le Christianisme, qui a rendu son nom si odieux dans l'Eglise. Il nous a appris (l) qu'il avait été à Carthage et il y a apparence que ce fut pendant qu'il était en Sicile qu'il prit la résolution de voyager en Afrique. Il ne retourna a Rome qu'après la mort de Plotin. Il y parla souvent en public avec beaucoup d'applaudissement. Il avait un grand nombre de disciples, qu'il traitait avec douceur et bonté, et pour lesquels il était fort communicatif. Jamblique est celui qui lui a fait le plus d'honneur. Un intime ami de Porphyre étant mort, et ayant laissé une veuve appelée Marcelle chargée de cinq enfants, il l'épousa afin d'être à portée de donner facilement de l'éducation à ses enfants. On n'est pas fort instruit des dernières actions de sa vie.

On sait qu'il a vécu plus de soixante et huit ans : mais on ne sait pas précisément quand il est mort. L'opinion commune (m) est qu'il a fini ses jours à Rome. Cependant S. Jérôme prétend qu'il a été enterré en Sicile.

 Porphyre savait presque tout ce que l'on pouvait savoir dans le siècle où il vivait. Il possédait les belles-Lettres, l'Histoire, la Géométrie, la Musique. Il excellait surtout dans la Philosophie de ce temps là, qu'il enseigna de vive voix aussi bien que par un grand nombre d'ouvrages. Il a fait une prodigieuse quantité de livres, dont on peut voir les titres dans Holstenius dans Fabricius et dans M. de Tillemont (n). On y désirerait souvent de l'ordre et de la clarté. Ces perfections se trouvent rarement dans les ouvrages philosophiques surtout dans ceux du siècle de Porphyre, On l'a accusé de s'être quelquefois contredit ; mais il est louable de changer de sentiments lorsque de nouvelles réflexions font apercevoir que l'on s'est trompé.

Ses plus célèbres ouvrages sont le Traité de l'abstinence des viandes dont on donne ici la traduction et le Livre contre les Chrétiens. Il était divisé en quinze livres. On n'a rien fait de plus subtil et de plus dangereux contre la religion. De tous les auteurs profanes, Porphyre est celui qui avait lu nos écrivains (o) sacrés avec le plus d'application dans le dessein d'y trouver des armes pour les combattre et pour les décrier. Il se vantait d'y avoir trouvé un grand nombre de contradictions. Plusieurs Pères entreprirent de le réfuter. Leurs ouvrages, de même que celui de Porphyre, ne subsistent plus. Il y a quelques années que l'on prétendait (p) qu'il était à Florence dans la Bibliothèque du grand Duc ; mais ce fait ne s'est pas vérifié. Ce Livre a rendu le nom de Porphyre si odieux que la plupart des Anciens ne parlent presque point de lui, sans ajouter quelque épithète flétrissante, qui désigne l'horreur qu'ils avaient de ses blasphèmes. Il paraît que Constantin fit quelque édit sévère contre sa mémoire et ses écrits, qu'il fit brûler ; et voulant donner aux Ariens le nom le plus injurieux, il ordonna qu'ils seraient appelés Porphyriens.

Mais quelque détesté qu'il ait été, il y a eu quelques Pères, et même des plus célèbres, qui ont rendu justice à sa science et à ses talents; Eusèbe ne craint point de l'appeller (q) un admirable Théologien. S. Augustin le qualifie d'homme de beaucoup d'esprit et du plus habile des Philosophes (r). S. Cyrille, le fameux Boèce parlent (s) de sa science avec beaucoup d'éloge ; et M. de Tillemont si réservé dans les louanges qu'il donne à ceux qui ne pensaient pas orthodoxement, dit (t) que Porphyre était le plus célèbre de tous les païens, qui ont écrit du temps de Dioclétien.

(a) Vie de Plotin c. 7.

(b) De vita et Scripti. Porph. c. 5.

(c) Eunape.

(d) Ait namque impius ille Porphyrius, excisum de fama ipsius (Origenis) Alexandriam, fere puerum, perrexisse, ibique eum vidisse senem, sed plane talem tantumque virum, qui arcem totius scientiae condidisset. Vincent. Lirinensis.

(e) Eusèbe Hist. Eccl. t. 6. c. 19. Tillem. Mem. Eccl. Vie d'Orig, c. X. t, II. p 307.

(f) Vie de Plotin c. 5.

(g) Eunapius vita Porph.

(h) Prep. Evang. l. X. p. 464.

(i) Vie de Plotin c. 7

(j) Ibid. c. 5.

(k) Vie de Plotin, c. 11.

(l) De Abstin. l. III, c. 4.)

(m) Eunape.

(n) Vie de Dioclétien Art. 30,

(o) Tillem. Art. 31. Vie de Dioclétien.

(p) Fabriciur, delect. Argum. p.163.

(q) Praep. Evang. l. IV. p. 147. yaum‹ston yeosñfon

(r) Augustin. de civit. Dei l. 7. c. 5. Philosophum nobilem. l. 19. c. 33. Doctissimum Philosophorum

et non mediocris ingenii hominem.

(s) Holstenius c.1.

(t) Vie de Dioclétien Art. 28.