Plotin, Ennéades, traduit par Bouillet

PLOTIN

QUATRIÈME ENNÉADE.

LIVRE PREMIER.  DE L'ESSENCE DE L'ÂME

Tome deuxième

Traduction française : M.-N. BOUILLET.

ENNÉADE III, LIVRE IX - ENNÉADE IV, LIVRE II

 

 

 

 

251 QUATRIÈME ENNÉADE

LIVRE PREMIER.

DE L'ESSENCE DE L'ÂME (01).

 

 

Ἐν τῷ κόσμῳ τῷ νοητῷ ἡ ἀληθινὴ οὐσία· νοῦς τὸ ἄριστον αὐτοῦ· ψυχαὶ δὲ κἀκεῖ· ἐκεῖθεν γὰρ καὶ ἐνταῦθα. Κἀκεῖνος ὁ κόσμος ψυχὰς ἄνευ σωμάτων ἔχει, οὗτος δὲ τὰς ἐν σώμασι γινομένας καὶ μερισθείσας τοῖς σώμασιν. Ἐκεῖ δὲ ὁμοῦ μὲν νοῦς πᾶς καὶ οὐ διακεκριμένον οὐδὲ μεμερισμένον, ὁμοῦ δὲ πᾶσαι ψυχαὶ ἐν αἰῶνι τῷ κόσμῳ, οὐκ ἐν διαστάσει τοπικῇ. Νοῦς μὲν οὖν ἀεὶ ἀδιάκριτος καὶ οὐ μεριστός, ψυχὴ δὲ ἐκεῖ ἀδιάκριτος καὶ ἀμέριστος· ἔχει δὲ φύσιν μερίζεσθαι. Καὶ γὰρ ὁ μερισμὸς αὐτῆς τὸ ἀποστῆναι καὶ ἐν σώματι γενέσθαι. Μεριστὴ οὖν εἰκότως περὶ τὰ σώματα λέγεται εἶναι, ὅτι οὕτως ἀφίσταται καὶ μεμέρισται. Πῶς οὖν καὶ <ἀμέριστος>; Οὐ γὰρ ὅλη ἀπέστη, ἀλλ´ ἔστι τι αὐτῆς οὐκ ἐληλυθός, ὃ οὐ πέφυκε μερίζεσθαι. Τὸ οὖν ἐκ τῆς ἀμερίστου καὶ τῆς περὶ τὰ σώματα μεριστῆς ταὐτὸν τῷ ἐκ τῆς ἄνω καὶ κάτω ἰούσης καὶ τῆς ἐκεῖθεν ἐξημμένης, ῥυείσης δὲ μέχρι τῶνδε, οἷον γραμμῆς ἐκ κέντρου. Ἐλθοῦσα δὲ ἐνθάδε τούτῳ τῷ μέρει ὁρᾷ, ᾧ καὶ αὐτῷ τῷ μέρει σῴζει τὴν φύσιν τοῦ ὅλου. Οὐδὲ γὰρ ἐνταῦθα μόνον μεριστή, ἀλλὰ καὶ ἀμέριστος· τὸ γὰρ μεριζόμενον αὐτῆς ἀμερίστως μερίζεται. Εἰς ὅλον γὰρ τὸ σῶμα δοῦσα αὑτὴν καὶ μὴ μερισθεῖσα τῷ ὅλη εἰς ὅλον τῷ ἐν παντὶ εἶναι μεμέρισται.

 

C'est dans le monde intelligible que réside l'essence véritable. L'intelligence est ce qu'il y a de meilleur là-haut; mais il s'y trouve aussi des âmes : car c'est de là qu'elles sont descendues ici-bas. Seulement, là-haut les âmes n'ont point de corps, tandis qu'ici-bas elles habitent dans des corps et y sont divisées. Là-haut, toutes les intelligences existent ensemble, sans séparation ni division ; toutes les âmes existent également ensemble dans ce monde qui est un, et il n'y a pas entre elles de distance locale. L'intelligence reste donc toujours inséparable et indivisible; mais l'âme, inséparable tant qu'elle demeure là-haut, a cependant une nature divisible. Se diviser pour elle consiste à s'éloigner du monde intelligible et à s'unir aux corps ; on pourra donc dire avec raison qu'elle devient divisible en passant dans les corps, puisqu'elle se sépare ainsi du 252 monde intelligible et se divise en quelque manière (02). Comment donc est-elle aussi indivisible? C'est qu'elle ne se sépare pas tout entière du monde intelligible, et qu'elle y demeure toujours par sa partie supérieure, dont la nature est d'être indivisible (03). Ainsi, dire que l'âme est composée de l'essence indivisible et de l'essence divisible dans les corps (04) revient à dire que l'âme a une essence qui demeure en partie dans le monde intelligible et descend en partie dans le monde sensible, qui est suspendue au premier et s'étend jusqu'au second, comme le rayon va du centre à la circonférence (05). Quand l'âme est descendue ici-bas, c'est par sa partie supérieure qu'elle contemple le monde intelligible, comme c'est par elle qu'elle conserve la nature du tout [c'est-à-dire de l'Âme universelle]. Car ici-bas, elle est non seulement divisible, mais encore indivisible : sa partie divisible est divisée d'une manière en quelque sorte indivisible; elle est en effet présente tout entière dans tout le corps d'une manière indivisible, et cependant l'on dit qu'elle se divise parce qu'elle se répand tout entière dans le corps tout entier (06).

565 ÉCLAIRCISSEMENTS

QUATRIÈME ENNÉADE.

LIVRE PREMIER.

DE L'ESSENCE DE L'ÂME.

Ce livre est le quatrième dans l'ordre chronologique. Ce n'est guère qu'un énoncé sommaire des idées que Plotin développe dans les livres II, III et IV.

(01) Ce livre est le sommaire des idées développées ci-après dans le livre II. Pour les autres Remarques générales, Voy. les Éclaircissements sur ce livre à la fin du volume.

(02Voy. ci-après, liv. VIII, § 4.

(03) Ibid., § 8.

(04) Voy. ci-après, liv. II, § 2, p. 260.

(05) Ibid., § 1, p. 254-5. Ce passage est cité et commenté par le P. Thomassin dans ses Dogmata theologica, t. I, p. 19: « Observat Plotinus animum hominis ab intelligibili mundo non totum descendisse, sed quasi tantus pateat ut vertice cœlum tangat, terram pedibus terat ; ita ipsum mente sempiternis ideis contemplandis affixum adhuc vacare, infimo vero suî corpus vegetare. Hinc enim animum Plato ex dividuo et individuo coagmentat, ut individuo suîque quasi fastigio superis intersit, dividuo inferiora regat corpusque administret. Ex quo fit ut pars inferior, quasi totius aenmla, in corpore administrando dividuam et individuam se prœstet, in illius partes omnes se spargendo, nec in ullas partes tamen se dispergendo. »

(06) Voy. le passage de Macrobe cité dans les Éclaircissements du tome I, p. 368, note 2. Voy. encore dans ce même volume (p. XCII, note 1) le jugement que M. Steinbart porte sur cette théorie de Plotin.