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PLATON

OEUVRES COMPLÈTES

LA RÉPUBLIQUE

LIVRE VIII

(543a - 568c)

texte grec

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LIVRE VIII
 p. 543
543 Soit; nous sommes donc tombés d'accord, Glaucon, que la cité qui aspire à une organisation parfaite doit admettre la communauté des femmes, la communauté des enfants et de l'éducation tout entière, de même que celle des occupations en temps de guerre et en temps de paix, et reconnaître pour rois ceux qui se seront montrés les meilleurs comme philosophes et comme guerriers.
Nous en sommes tombés d'accord, dit-il.
543b Nous sommes convenus aussi (01), qu'après leur institution les chefs conduiront et installeront les soldats dans des maisons telles que nous les avons décrites, où personne n'aura rien en propre, et qui seront communes à tous. Outre la question du logement, nous avons réglé, si tu t'en souviens, celle des biens qu'ils pourront posséder.
Oui, je m'en souviens; nous avons pensé qu'ils ne devaient rien posséder de ce que possèdent les guerriers d'aujourd'hui, mais que, comme des athlètes guerriers 543c et des gardiens, recevant chaque année des autres citoyens, pour salaire de leur garde, ce qui était nécessaire à leur subsistance, ils devaient veiller à leur propre sûreté et à celle du reste de la cité.
C'est exact, dis-je. Or çà ! puisque nous en avons fini avec cette question, rappelons-nous à partir de quel point nous avons dévié vers ici, afin de reprendre notre première route.
Ce n'est pas difficile, reprit-il; en effet, après avoir épuisé ce qui regarde l'État, tu tenais à peu près les mêmes propos que maintenant, disant que tu posais 543d comme bon l'État que tu venais de décrire (02), et l'homme qui lui ressemble, et cela, semble-t-il, bien que tu pusses nous parler d'un État et d'un homme encore plus beaux. Mais, ajoutais-tu, les autres formes de gouvernement sont 544 défectueuses, si celle-là est bonne. De ces autres formes, autant qu'il m'en souvient, tu distinguais quatre espèces, dignes de retenir l'attention et dont il importait de voir les défauts, en même temps que ceux des hommes qui leur ressemblent, afin qu'après les avoir examinés, et reconnu le meilleur et le pire, nous fussions en état de juger si le meilleur est le plus heureux et le pire le plus malheureux, ou s'il en est autrement. Et comme je te demandais quelles étaient ces quatre formes de gouvernement, Polémarque et Adimante nous interrompirent, 544b et tu t'engageas dans la discussion qui nous a conduits ici.
Tu te souviens de cela très exactement, observai-je.
Ainsi donc, fais comme les lutteurs (03) ; donne-moi de nouveau la même prise, et puisque je te pose la même question, essaie de dire ce que tu allais répondre alors.
Si je puis.
Je désire savoir quels sont ces quatre gouvernements dont tu parlais.
Il n'est pas difficile de te satisfaire, répondis-je, car les 544c gouvernements que je veux dire sont connus. Le premier, et le plus loué, est celui de Crète et de Lacédémone (04); le second, que l'on ne loue aussi qu'en second lieu, est appelé oligarchie : c'est un gouvernement plein de vices sans nombre; opposée à ce dernier vient ensuite la démocratie; enfin, la noble tyrannie, qui l'emporte sur tous les autres, et qui est la quatrième et dernière maladie de l'État. Connais-tu quelque autre gouvernement qui se puisse ranger dans une classe bien distincte? Les souverainetés 544d héréditaires, les principautés vénales (05) et certains autres gouvernements semblables ne sont, en quelque sorte, que des formes intermédiaires, et l'on n'en trouverait pas moins chez les barbares que chez les Grecs.
En effet, on en cite beaucoup, et d'étranges, dit-il.
Sais-tu donc, demandai-je, qu'il y a autant d'espèces de caractères que de formes de gouvernement? Ou bien crois-tu que ces formes viennent des chênes et des 544e rochers (06), et non des moeurs des citoyens, qui entraînent tout le reste du côté où elles penchent?
Non, répondit-il; elles ne peuvent venir d'autre part que de là.
Si donc il y a cinq espèces de cités, les caractères de l'âme, chez les individus, seront aussi au nombre de cinq. Sans doute.
Celui qui répond à l'aristocratie, nous l'avons déjà décrit, et nous avons dit avec raison qu'il est bon et juste.
545
Nous l'avons décrit.
Ne faut-il pas après cela passer en revue les caractères inférieurs : d'abord celui qui aime la victoire et l'honneur, formé sur le modèle du gouvernement de Lacédémone, ensuite l'oligarchique, le démocratique et le tyrannique? Quand nous aurons reconnu quel est le plus injuste, nous l'opposerons au plus juste, et nous pourrons alors parachever notre examen et voir comment la pure justice et la pure injustice agissent respectivement sur le bonheur ou le malheur de l'individu, afin de suivre la voie de 545b l'injustice, si nous nous laissons convaincre par Thrasymaque, ou celle de la justice si nous cédons aux raisons qui se manifestent déjà en sa faveur.
Parfaitement, dit-il, c'est ainsi qu'il faut faire.
Et puisque nous avons commencé (07) par examiner les moeurs des États avant d'examiner celles des particuliers, parce que cette méthode était plus claire, ne devons-nous pas maintenant considérer d'abord le gouvernement de l'honneur (comme je n'ai pas de nom usité à lui donner, je l'appellerai timocratie ou timarchie), passer ensuite à l'examen de l'homme qui lui ressemble, puis à celui de
545e l'oligarchie et de l'homme oligarchique; de là porter nos regards sur la démocratie et l'homme démocratique; enfin, en quatrième lieu, en venir à considérer la cité tyrannique, puis l'âme tyrannique, et tâcher de juger en connaissance de cause la question que nous nous sommes proposée?
Ce serait là procéder avec ordre à cet examen et à ce jugement.
Eh bien ! repris-je, essayons d'expliquer de quelle manière se fait le passage de l'aristocratie à la timocratie. N'est-ce pas une vérité élémentaire que tout changement 545d de constitution vient de la partie qui détient le pouvoir, lorsque la discorde s'élève entre ses membres, et que, tant qu'elle est d'accord avec elle-même, si petite soit-elle, il est impossible de l'ébranler?
Oui, il en est ainsi.
Comment donc, Glaucon, notre cité sera-t-elle ébranlée? par où s'introduira, entre les auxiliaires et les chefs, la discorde qui dressera chacun de ces corps contre l'autre et contre lui-même? Veux-tu qu'à l'exemple d'Homère nous conjurions les Muses de nous dire comment la discorde survint pour la première fois (08)? Nous supposerons 545e que, jouant et plaisantant avec nous ainsi qu'avec des enfants, elles parlent, comme si leurs propos étaient sérieux, sur le ton relevé de la tragédie.
Comment?
A peu près ainsi : Il est difficile qu'un État constitué 546 comme le vôtre s'altère; mais, comme tout ce qui naît est sujet à la corruption, ce système de gouvernement ne durera pas toujours, mais il se dissoudra, et voici comment. Il y a, non seulement pour les plantes enracinées dans la terre, mais encore pour les animaux qui vivent à sa surface, des retours de fécondité ou de stérilité qui affectent l'âme et le corps. Ces retours se produisent lorsque les révolutions périodiques ferment les circonférences des cercles de chaque espèce, circonférences courtes pour celles qui ont la vie courte, longues pour celles qui ont la vie longue (09). Or, quelque habiles que soient les 546b chefs de la cité que vous avez élevés, ils n'en obtiendront pas mieux, par le calcul joint à l'expérience, que les générations soient bonnes ou n'aient pas lieu; ces choses leur échapperont, et ils engendreront des enfants quand il ne le faudrait pas. Pour les générations divines il y a une période qu'embrasse un nombre parfait; pour celles des hommes, au contraire, c'est le premier nombre (10) dans lequel les produits des racines par les carrés - comprenant trois distances et quatre limites - des éléments qui font le semblable et le dissemblable, le croissant 546c et le décroissant, établissent entre toutes choses des rapports rationnels. Le fond épitrite de ces éléments, accouplé au nombre cinq, et multiplié trois fois donne deux harmonies : l'une exprimée par un carré dont le côté est multiple de cent, l'autre par un rectangle construit d'une part sur cent carrés des diagonales rationnelles de cinq, diminués chacun d'une unité, ou des diagonales irrationnelles, diminués de deux unités, et, d'autre part, sur cent cubes de trois. C'est ce nombre géométrique tout entier qui commande aux bonnes et aux mauvaises 546d naissances (11), et quand vos gardiens, ne le connaissant pas, uniront jeunes filles et jeunes gens à contretemps, les enfants qui naîtront de ces mariages ne seront favorisés ni de la nature, ni de la fortune. Leurs prédécesseurs mettront les meilleurs d'entre eux à la tête de l'État; mais comme ils en sont indignes, à peine parvenus aux charges de leurs pères, ils commenceront de nous négliger, quoique gardiens, n'estimant pas comme il conviendrait d'abord la musique, ensuite la gymnastique. Ainsi vous aurez une génération nouvelle moins cultivée. De là 546e sortiront des chefs peu propres à veiller sur l'État, et ne 547 sachant discerner ni les races d'Hésiode, ni vos races d'or, d'argent, d'airain et de fer. Le fer venant donc à se mêler avec l'argent, et l'airain avec l'or, il résultera de ces mélanges un défaut de convenance, de régularité et d'harmonie - défaut qui, partout où il se rencontre, engendre toujours la guerre et la haine. Telle est l'origine qu'il faut assigner à la discorde, en quelque lieu qu'elle se déclare.
Nous reconnaîtrons, dit-il, que les Muses ont bien répondu.
Nécessairement, observai-je, puisqu'elles sont des Muses.
547b Eh bien ! demanda-t-il, que disent-elles après cela? La division une fois formée, repris-je, les deux races de fer et d'airain aspirent à s'enrichir et à acquérir des terres, des maisons, de l'or et de l'argent, tandis que les races d'or et d'argent, n'étant pas dépourvues, mais riches par nature (12), tendent à la vertu et au maintien de l'ancienne constitution. Après bien des violences et des luttes, on convient de se partager et de s'approprier les terres et les maisons; et ceux qui gardaient auparavant 547c leurs concitoyens comme des hommes libres, des amis et des nourriciers, les asservissent, les traitent en périèques et en serviteurs (13), et continuent à s'occuper eux-mêmes de la guerre et de la garde des autres.
Oui, dit-il, il me semble que c'est de là que vient ce changement.
Eh bien ! demandai-je, un tel gouvernement ne tiendra-t-il pas le milieu entre l'aristocratie et l'oligarchie?
Si, certainement.
Voilà comment se fera le changement. Mais quelle sera la forme du nouveau gouvernement? N'est-il pas évident qu'il imitera d'un côté la constitution précédente d et de l'autre l'oligarchie, mais qu'il aura aussi quelque chose qui lui sera propre (14)?
Si, dit-il.
Par le respect des magistrats, par l'aversion des guerriers pour l'agriculture, les arts manuels et les autres professions lucratives, par l'établissement des repas en commun et la pratique des exercices gymnastiques et militaires, par tous ces traits, ne rappellera-t-il la constitution précédente?
Si.
Mais la crainte d'élever les sages aux magistratures, 547e parce que ceux qu'on aura ne seront plus simples et fermes, mais de naturel mêlé; le penchant pour les caractères irascibles et moins compliqués, faits pour la guerre plutôt que pour la paix; l'estime dans laquelle on tiendra 548 les ruses et les stratagèmes guerriers; l'habitude d'avoir toujours les armes à la main : la plupart des traits de ce genre ne lui seront-ils pas particuliers?
Si.
De tels hommes seront avides de richesses, comme les citoyens des États oligarchiques (15); ils adoreront farouchement, dans l'ombre, l'or et l'argent, car ils auront des magasins et des trésors particuliers, où ils tiendront leurs richesses cachées, et aussi des habitations entourées de murs (16), véritables nids privés, dans lesquelles ils 548b dépenseront largement pour des femmes (17) et pour qui bon leur semblera.
Cela est très vrai, dit-il.
Ils seront donc avares de leur argent, parce qu'ils le vénèrent et ne le possèdent pas au grand jour, et par ailleurs prodigues du bien d'autrui, pour satisfaire leurs passions. Ils cueilleront les plaisirs en secret, et, comme des enfants aux regards du père, ils se déroberont aux regards de la loi : conséquence d'une éducation fondée non sur la persuasion mais sur la contrainte, où l'on a négligé la véritable Muse, celle de la dialectique et de la 548c philosophie, et fait plus grand cas de la gymnastique que de la musique.
C'est tout à fait la description, dit-il, d'un gouvernement mêlé de bien et de mal.
Il est en effet mêlé, repris-je; il n'y a en lui qu'un seul trait qui soit parfaitement distinct, et il tient à ce que l'élément irascible y domine : c'est l'ambition et l'amour des honneurs.
Très certainement, dit-il.
Tels seraient donc l'origine et le caractère de ce gouvernement 548d. Je n'en ai tracé qu'une esquisse, et non une peinture détaillée, parce qu'il suffit à notre dessein de connaître par cette esquisse l'homme le plus juste et l'homme le plus injuste, et que, d'ailleurs, ce serait une tâche interminablement longue de décrire sans rien omettre toutes les constitutions et tous les caractères.
Tu as raison, reconnut-il.
Maintenant, quel est l'homme qui répond à ce gouvernement, comment se forme-t-il, et quel est son caractère?
J'imagine, dit Adimante, qu'il doit se rapprocher de Glaucon ici présent, du moins par l'ambition.
548e Peut-être par là, répondis-je; mais il me semble que par les traits que voici sa nature diffère de celle de Glaucon.
Lesquels?
Il doit être plus présomptueux et plus étranger aux Muses, quoiqu'il les aime, se plaisant à écouter, mais n'étant nullement orateur (18). A l'égard des esclaves un tel homme se montrera dur, au lieu de les mépriser (19), 549 comme fait celui qui a reçu une bonne éducation; il sera doux envers les hommes libres et fort soumis aux magistrats; jaloux de parvenir au commandement et aux honneurs, il y prétendra non par son éloquence, ni par aucune autre qualité du même genre, mais par ses tra¬vaux guerriers et ses talents militaires, et il sera passionné de gymnastique et de chasse.
C'est bien là le caractère qui répond à cette forme de gouvernement.
Un tel homme, ajoutai-je, pourra bien, pendant sa jeunesse, mépriser les richesses, mais plus il avancera en 549b âge, plus il les aimera, parce que sa nature le porte à l'avarice, et que sa vertu, privée de son meilleur gardien, n'est point pure.
Quel est ce gardien? demanda Adimante.
La raison, répondis-je, alliée à la musique; elle seule, une fois établie dans une âme, y demeure toute la vie conservatrice de la vertu (20).
Bien dit.
Tel est le jeune homme ambitieux, image de la cité timocratique.
Certainement. 549c
Il se forme, repris-je, à peu près de la manière que voici. Il est parfois le jeune fils d'un homme de bien, habitant une cité mal gouvernée, qui fuit les honneurs, les charges, les procès, et tous les embarras de ce genre, et qui consent à la médiocrité afin de ne pas avoir d'ennuis.
Et comment se forme-t-il?
D'abord, dis-je, il entend sa mère se plaindre que son mari ne soit pas du nombre des magistrats, ce qui la 549d diminue auprès des autres femmes; qu'elle le voit trop peu empressé de s'enrichir, ne sachant ni lutter ni manier l'invective, soit en privé devant les tribunaux, soit en public à l'Assemblée, indifférent à tout en pareille matière; qu'elle s'aperçoit qu'il est toujours occupé de lui-même, et n'a vraiment pour elle ni estime ni mépris. De tout cela elle s'indigne, lui disant que son père n'est pas un homme, qu'il manque trop de nerf, et cent autres 549e choses que les femmes ont coutume de débiter dans ces cas-là.
Certes, dit Adimante, c'est à n'en plus finir, et bien dans leur caractère.
Et tu sais, repris-je, que même les serviteurs de ces familles qui paraissent bien intentionnés, tiennent parfois en secret le même langage aux enfants; et s'ils voient que le père ne poursuit pas un débiteur ou une personne dont il a subi quelque tort, ils exhortent le
550 fils à faire punir de pareilles gens, quand il sera grand, et à se montrer plus viril que son père. Sort-il de la maison, il entend d'autres discours semblables et voit que ceux qui ne s'occupent que de leurs propres affaires dans la cité sont traités d'imbéciles et tenus en médiocre estime, tandis que ceux qui s'occupent des affaires d'autrui sont honorés et loués. Alors le jeune homme qui entend et voit tout cela, qui d'autre part entend les discours de son père, voit de près ses occupations et les compare à celles des autres, se sent tiré de deux côtés : par son 550b père qui arrose (21) et fait croître l'élément raisonnable de son âme, et par les autres qui fortifient ses désirs et ses passions; comme son naturel n'est point vicieux, qu'il a eu seulement de mauvaises fréquentations, il prend le milieu entre les deux partis qui le tirent, livre le gouvernement de son âme au principe intermédiaire d'ambition et de colère, et devient un homme altier et féru d'honneurs.
Tu as fort bien décrit, ce me semble, l'origine et le développement de ce caractère.
550c Nous avons donc, repris-je, la seconde constitution et le second type d'homme.
Oui.
Après cela parlerons-nous comme Eschyle « d'un autre homme rangé en face d'un autre État » (22), ou plutôt, suivant l'ordre que nous avons adopté, commence¬rons-nous par l'État?
Certainement, dit-il.
C'est, je crois, l'oligarchie qui vient après le précédent gouvernement.
Quelle sorte de constitution entends-tu par oligarchie? demanda-t-il.
Le gouvernement, répondis-je, qui est fondé sur le cens (23), où les riches commandent, et où le pauvre ne 550d participe point au pouvoir.
Je comprends.
Ne dirons-nous pas d'abord comment on passe de la timocratie à l'oligarchie?
Si.
En vérité, un aveugle même verrait comment se fait ce passage.
Comment?
Ce trésor, dis-je, que chacun emplit d'or, perd la timocratie (24); d'abord les citoyens se découvrent des sujets de dépense et, pour y pourvoir, ils tournent la loi et lui désobéissent, eux et leurs femmes. 550e
C'est vraisemblable.
Ensuite, j'imagine, l'un voyant l'autre et s'empressant de l'imiter, la masse finit par leur ressembler.
Cela doit être.
A partir de ce point, repris-je, leur passion du gain fait de rapides progrès, et plus ils ont d'estime pour la richesse, moins ils en ont pour la vertu. N'y a-t-il pas en effet entre la richesse et la vertu cette différence que, placées l'une et l'autre sur les plateaux d'une balance, elles prennent toujours une direction contraire (25)?
Si, certainement.
Donc, quand la richesse et les riches sont honorés 551 dans une cité, la vertu et les hommes vertueux y sont tenus en moindre estime.
C'est évident.
Or, on s'adonne à ce qui est honoré, et l'on néglige ce qui est dédaigné.
Oui.
Ainsi, d'amoureux qu'ils étaient de la victoire et des honneurs, les citoyens finissent par devenir avares et cupides; ils louent le riche, l'admirent, et le portent au pouvoir, et ils méprisent le pauvre.
C'est vrai.
Alors ils établissent une loi qui est le trait distinctif 551b de l'oligarchie : ils fixent un cens, d'autant plus élevé que l'oligarchie est plus forte, d'autant plus bas qu'elle est plus faible, et ils interdisent l'accès des charges publiques à ceux dont la fortune n'atteint pas le cens fixé. Ils font passer cette loi par la force des armes, ou bien, sans en arriver là, imposent par l'intimidation ce genre de gouvernement (26). N'est-ce pas ainsi que les choses ont lieu?
Si.
Voilà donc à peu près comment se fait cet établissement.
Oui, dit-il; mais quel est le caractère de cette constitution 551c, et quels sont les défauts que nous lui reprochons?
Le premier, répondis-je, est son principe même. Considère en effet ce qui arriverait si l'on choisissait les pilotes de cette façon, d'après le cens, et que l'on écartât le pauvre, bien qu'il fût plus capable de tenir le gouvernail...
La navigation en souffrirait, dit-il.
Et ne serait-ce pas le cas d'un commandement quelconque?
Je le crois.
A l'exception du commandement d'une cité, ou y compris aussi celui-là?
Celui-là surtout, répondit-il, d'autant plus qu'il est le plus difficile et le plus important.
551d L'oligarchie aura donc, d'abord, ce défaut capital.
Apparemment.
Mais quoi ! le défaut que voici est-il moindre?
Lequel?
Il y a nécessité qu'une pareille cité ne soit pas une mais double, celle des pauvres et celle des riches, qui habitent le même sol et conspirent sans cesse les uns contre les autres.
Non, par Zeus ! ce défaut n'est pas moindre que le premier.
Ce n'est pas non plus un avantage pour les oligarques que d'être dans la presque impossibilité de faire la guerre, parce qu'il leur faudrait ou bien armer la multitude, et la craindre plus que l'ennemi (27), ou bien, en se passant 551e d'elle, se montrer vraiment oligarchiques (28) dans le combat même; de plus, ils ne voudront point contribuer aux dépenses de la guerre, étant jaloux de leurs richesses.
Non, ce n'est pas un avantage.
Et ce que nous avons blâmé tout à l'heure, la multiplicité des occupations - agriculture, commerce, guerre 552 - auxquelles se livrent les mêmes personnes dans une telle cité, est-ce un bien à ton avis?
Pas le moins du monde.
Vois maintenant si de tous ces maux celui-ci n'est pas le plus grand dont, la première, l'oligarchie se trouve atteinte.
Lequel?
La liberté qu'on y laisse à chacun de vendre tout son bien, ou d'acquérir celui d'autrui (29), et, quand on a tout vendu, de demeurer dans la cité sans y remplir aucune fonction, ni de commerçant, ni d'artisan, ni de cavalier, ni d'hoplite, sans autre titre que celui de pauvre et d'indigent.
Cette constitution est en effet la première qui soit 552b atteinte de ce mal.
On ne prévient point ce désordre dans les gouvernements oligarchiques, autrement les uns n'y seraient pas riches à l'excès et les autres dans un complet dénuement (30).
C'est vrai.
Considère encore ceci. Lorsqu'il était riche et dépensait son bien, cet homme était-il plus utile à la cité, dans les fonctions dont nous venons de parler? Ou bien, tout en passant pour l'un des chefs, n'était-il en réalité ni chef ni serviteur de l'État, mais simplement dissipateur de son bien?
Oui, dit-il, tout en passant pour l'un des chefs, il n'était 552c rien d'autre qu'un dissipateur.
Veux-tu donc que nous disions d'un tel homme que, comme le frelon naît dans une cellule pour être le fléau de la ruche, il naît, frelon lui aussi, dans une famille pour être le fléau de la cité?
Certainement, Socrate.
Mais n'est-il pas vrai, Adimante, que Dieu a fait naître sans aiguillons tous les frelons ailés, au lieu que, parmi les frelons à deux pieds, si les uns n'ont pas d'aiguillon, les autres en ont de terribles? A la première classe appartiennent ceux qui meurent indigents dans leur vieil âge, 552d à la seconde tous ceux qu'on nomme malfaiteurs.
Rien de plus vrai.
Il est donc évident, repris-je, que toute cité où tu verras des pauvres recèle aussi des filous, des coupe-bourses, des hiérosules, et des artisans de tous les crimes de ce genre.
C'est évident, dit-il.
Or, dans les cités oligarchiques ne vois-tu pas des pauvres?
Presque tous les citoyens le sont, à l'exception des chefs.
552e Par conséquent ne devons-nous pas croire qu'il y a aussi dans ces cités beaucoup de malfaiteurs pourvus d'aiguillons, que les autorités contiennent délibérément par la force?
Nous devons le croire.
Et ne dirons-nous pas que c'est l'ignorance (31), la mauvaise éducation, et la forme du gouvernement qui les y ont fait naître?
Nous le dirons.
Tel est donc le caractère de la cité oligarchique, tels sont ses vices, et peut-être en a-t-elle davantage.
Peut-être.
Mais considérons comme terminé le tableau de cette 553 constitution qu'on appelle oligarchie, où le cens fait les magistrats, et examinons l'homme qui lui répond, comment il se forme, et ce qu'il est une fois formé.
J'y consens.
N'est-ce pas justement de cette manière qu'il passe de l'esprit timocratique à l'esprit oligarchique?
Comment?
Le fils de l'homme timocratique imite d'abord son père et marche sur ses traces; mais ensuite, quand il le voit se briser soudain contre la cité, comme contre un écueil, 553b et, après avoir prodigué sa fortune et s'être prodigué lui-même à la tête d'une armée ou dans l'exercice d'une haute fonction, échouer devant un tribunal, outragé par des sycophantes, condamné à la mort, à l'exil, ou à la perte de son honneur et de tous ses biens...
C'est chose ordinaire, dit-il.
Voyant, mon ami, ces malheurs et les partageant, dépouillé de son patrimoine et pris de crainte pour lui-même, il renverse vite, je pense, du trône qu'il leur avait élevé en son âme l'ambition et l'élément courageux; 553c puis, humilié par sa pauvreté, il se tourne vers le négoce, et petit à petit, à force de travail et d'épargnes sordides, il amasse de l'argent. Ne crois-tu pas qu'alors il placera sur ce trône intérieur l'esprit de convoitise et de lucre, qu'il en fera en lui un grand Roi (32), le ceignant de la tiare, du collier et du cimeterre (33)?
Je le crois.
Quant aux éléments raisonnable et courageux, il les place à terre, j'imagine, de part et d'autre de ce Roi, et, 553d les ayant réduits en esclavage, il ne permet point que le premier ait d'autres sujets de réflexion et de recherche que les moyens d'accroître sa fortune, que le second admire et honore autre chose que la richesse et les riches, et mette son point d'honneur ailleurs qu'en la possession de grands biens et de ce qui peut les lui procurer.
Il n'y a pas, dit-il, d'autre voie par laquelle un jeune homme puisse passer plus rapidement et plus sûrement de l'ambition à l'avarice.
553e Dès lors, demandai-je, cet homme n'est-il pas un oligarque?
Assurément, au moment où le changement est survenu il était semblable à la constitution d'où est sortie l'oligarchie.
Examinons donc s'il ressemble à celle-ci.
554 Examinons.
Et d'abord ne lui ressemble-t-il pas par le très grand cas qu'il fait des richesses?
Certes.
Il lui ressemble encore par l'esprit d'épargne et d'industrie; il satisfait uniquement ses désirs nécessaires, s'interdit toute autre dépense, et maîtrise les autres désirs qu'il regarde comme frivoles.
C'est l'exacte vérité.
Il est sordide, poursuivis-je, fait argent de tout et ne 554b songe qu'à thésauriser - c'est enfin un de ces hommes que loue la multitude. Mais tel, n'est-il pas semblable au gouvernement oligarchique?
Il me le semble, répondit-il. En tout cas, comme ce gouvernement, il honore surtout les richesses.
Sans doute, repris-je, cet homme n'a guère songé à s'instruire.
Il n'y a pas d'apparence; autrement il n'aurait pas pris un aveugle (34) pour conduire le choeur de ses désirs, et ne l'honorerait pas par-dessus tout (35).
Bien dis-je; mais considère ceci. Ne dirons-nous pas que le manque d'éducation a fait naître en lui des désirs
554c de la nature du frelon, les uns mendiants, les autres malfaisants, que contient de force sa sollicitude pour un autre objet?
Si, certainement.
Or sais-tu où tu dois porter les yeux pour apercevoir la malfaisance de ces désirs?
Où? demanda-t-il.
Regarde-le quand il est chargé de quelque tutelle, ou de quelque autre commission où il a toute licence de mal faire.
Tu as raison.
Et cela ne met-il pas en évidence que, dans les autres engagements, où il est estimé pour une apparence de justice, il contient ses mauvais désirs par une sorte de 554d sage violence, non pas en les persuadant qu'il vaut mieux ne pas leur céder, ni en les adoucissant au moyen de la raison, mais en pesant sur eux par contrainte et par peur, car il tremble pour ce qu'il a.
C'est chose certaine, dit-il.
Mais par Zeus ! mon ami, quand il s'agira de dépenser le bien d'autrui, tu trouveras chez la plupart de ces gens-là des désirs qui s'apparentent au naturel du frelon.
Cela ne fait aucun doute.
Un tel homme ne sera donc pas exempt de sédition au dedans de lui-même; il ne sera pas un, mais double. Néanmoins, le plus souvent ses meilleurs désirs maîtriseront 554e les pires (36).
C'est exact.
Aussi aura-t-il, je pelée, un extérieur plus digne que beaucoup d'autres; mais la vraie vertu de l'âme unie et harmonieuse fuira loin de lui.
Je le crois.
Et certes, cet homme parcimonieux est un piètre jouteur dans les concours de la cité où se dispute entre 555 particuliers une victoire ou quelque autre honneur; il ne veut point dépenser de l'argent pour la gloire qui s'acquiert dans ces sortes de combats; il redoute de réveiller en lui les désirs prodigues et de les appeler à son secours pour vaincre : en véritable oligarque, il ne lutte qu'avec une faible partie de ses forces, et la plupart du temps il a le dessous, mais il conserve ses richesses (37).
C'est vrai, dit-il.
Douterons-nous encore que ce parcimonieux, cet homme d'argent, se range auprès de la cité oligarchique en raison 555b de sa ressemblance avec elle?
Nullement, répondit-il.
C'est la démocratie, ce semble, qu'il faut maintenant étudier - de quelle manière elle se forme et ce qu'elle est - pour connaître le caractère de l'homme qui lui répond, et le faire comparaître en jugement.
Oui, nous suivrons ainsi notre marche ordinaire.
Eh bien ! n'est-ce pas de la façon que voici que l'on passe de l'oligarchie à la démocratie : à savoir par l'effet de l'insatiable désir du bien que l'en se propose, et qui consiste à devenir aussi riche que possible?
Comment cela?
555c Les chefs, dans ce régime, ne devant leur autorité qu'aux grands biens qu'ils possèdent, se refuseront, j'imagine, à faire une loi pour réprimer le libertinage des jeunes gens et les empêcher de dissiper et de perdre leur patrimoine, car ils ont dessein de l'acheter ou de se l'approprier par l'usure, pour devenir encore plus riches et plus considérés.
Sans doute.
Or n'est-il pas déjà évident que dans un État les citoyens ne peuvent honorer la richesse et en même temps acquérir 555d la tempérance convenable, mais qu'ils sont forcés de négliger ou l'une ou l'autre?
C'est assez évident, dit-il.
Ainsi, dans les oligarchies, les chefs, par leur négligence et les facilités qu'ils accordent au libertinage, réduisent parfois à l'indigence des hommes bien nés.
Certainement.
Et voilà, ce me semble, établis dans les cités des gens pourvus d'aiguillons et bien armés, les uns accablés de dettes, les autres d'infamie, les autres des deux à la fois : pleins de haine pour ceux qui ont acquis leurs biens, ils complotent contre eux et contre le reste des citoyens, et désirent vivement une révolution.
555e C'est exact.
Cependant les usuriers vont tête baissée, sans paraître voir leurs victimes; ils blessent de leur argent quiconque leur donne prise parmi les autres citoyens, et, tout en multipliant les intérêts de leur capital, ils font pulluler 556 dans la cité la race du frelon et du mendiant.
Comment, en effet, en serait-il autrement?
Et le sinistre une fois allumé, ils ne veulent l'éteindre ni de la manière que nous avons dite, en empêchant les particuliers de disposer de leurs biens à leur fantaisie, ni de cette autre manière : en faisant une loi qui supprime de tels abus.
Quelle loi?
Une loi qui viendrait après celle contre les dissipateurs et qui obligerait les citoyens à être honnêtes; car si le législateur ordonnait que les transactions volontaires se 556b fissent en général aux risques du prêteur, on s'enrichirait avec moins d'impudence dans la cité, et moins de ces maux y naîtraient, dont nous parlions tout à l'heure.
Beaucoup moins, dit-il.
Tandis que maintenant les gouvernants, par leur conduite, réduisent les gouvernés à cette triste situation. Et pour ce qui est d'eux-mêmes et de leurs fils, est-ce que ces jeunes gens ne sont pas dissolus, sans force dans les exercices physiques et intellectuels, mous et incapables de résister soit au plaisir, soit à la douleur? 556c
Sans contredit.
Et eux-mêmes, uniquement préoccupés de s'enrichir et négligeant tout le reste, se mettront-ils plus en peine que les pauvres de la vertu (38)?
Non pas.
Or, en de telles dispositions, lorsque les gouvernants et les gouvernés se trouvent ensemble, en voyage ou dans quelque autre rencontre, dans une théorie, à l'armée, sur mer ou sur terre, et qu'ils s'observent mutuellement dans les occasions périlleuses, ce ne sont pas les pauvres 556d qui sont méprisés par Ies riches; souvent au contraire quand un pauvre maigre et brûlé de soleil se trouve posté dans la mêlée à côté d'un riche nourri à l'ombre et surchargé de graisse, et le voit tout essoufflé et embarrassé, ne crois-tu pas qu'il se dit à lui-même que ces gens-là ne doivent leurs richesses qu'à la lâcheté des pauvres? Et quand ceux-ci se rencontrent entre eux, ne se disent-ils pas les uns aux autres : « Ces hommes 556e sont à notre merci, car ils ne sont bons à rien. »?
Je suis persuadé, dit-il, qu'ils pensent et parlent de la sorte.
Or donc, comme il suffit à un corps débile d'un petit choc (39) venu du dehors pour tomber malade, que parfois même le désordre s'y manifeste sans cause extérieure, pareillement n'est-il pas vrai qu'une cité, dans une situation analogue, est atteinte par le mal et se déchire elle-même pour un futile prétexte, l'un ou l'autre des partis ayant demandé secours à un État oligarchique ou démocratique (40)? et parfois même la discorde n'y éclate-t-elle pas sans intervention étrangère?
557 Si, certainement.
Eh bien ! à mon avis, la démocratie apparaît lorsque les pauvres, ayant remporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, bannissent les autres, et partagent également avec ceux qui restent le gouvernement et les charges publiques; et le plus souvent ces charges sont tirées au sort (41).
C'est bien ainsi, en effet, que s'établit la démocratie, soit par la voie des armes, soit par la crainte qui oblige les riches à se retirer.
Maintenant, repris-je, voyons de quelle manière ces 557b gens-là s'administrent, et ce que peut être une telle constitution. Aussi bien est-il évident que l'individu qui lui ressemble nous découvrira les traits de l'homme démocratique.
C'est évident.
En premier lieu, n'est-il pas vrai qu'ils sont libres, que la cité déborde de liberté (42) et de franc-parler, et qu'on y a licence de faire ce qu'on veut?
On le dit du moins, répondit-il.
Or il est clair que partout où règne cette licence chacun organise sa vie de la façon qui lui plaît.
C'est clair.
On trouvera donc, j'imagine, des hommes de toute sorte dans ce gouvernement plus que dans aucun autre. 557c
Comment non?
Ainsi, dis-je, il y a chance qu'il soit le plus beau de tous. Comme un vêtement bigarré qui offre toute la variété des couleurs, offrant toute la variété des caractères, il pourra paraître d'une beauté achevée. Et peut-être, ajoutai-je, beaucoup de gens, pareils aux enfants et aux femmes qui admirent les bigarrures, décideront-ils qu'il est le plus beau.
Assurément.
Et c'est là, bienheureux ami, qu'il est commode de 557d chercher une constitution.
Pourquoi?
Parce qu'on les y trouve toutes, grâce à la licence qui y règne; et il semble que celui qui veut fonder une cité, ce que nous faisions tout à l'heure, soit obligé de se rendre dans un État démocratique, comme dans un bazar de constitutions, pour choisir celle qu'il préfère, et, d'après ce modèle, réaliser ensuite son projet.
Il est probable, dit-il, que les modèles ne lui manqueront 557e pas.
Dans cet État, repris-je, on n'est pas contraint de commander si l'on en est capable, ni d'obéir si l'on ne veut pas, non plus que de faire la guerre quand les autres la font, ni de rester en paix quand les autres y restent, si l'on ne désire point la paix; d'autre part, la loi vous inter-dit-elle d'être magistrat ou juge, vous n'en pouvez pas moins exercer ces fonctions, si la fantaisie vous en prend (43). N'est-ce pas là une condition divine et délicieuse au 558 premier abord?
Oui, peut-être au premier abord, répondit-il.
Hé quoi ! la mansuétude des démocraties à l'égard de certains condamnés (44) n'est-elle pas élégante? N'as-tu pas déjà vu dans un gouvernement de ce genre des hommes frappés par une sentence de mort ou d'exil rester néanmoins dans leur patrie et y circuler en public? Le condamné, comme si personne ne se souciait de lui ni ne le voyait, s'y promène, tel un héros invisible.
J'en ai vu beaucoup, dit-il.
558b Et l'esprit indulgent et nullement vétilleux de ce gouvernement, mais au contraire plein de mépris pour les maximes que nous énoncions avec tant de respect en jetant les bases de notre cité, lorsque nous disions (45) qu'à moins d'être doué d'un naturel excellent on ne saurait devenir homme de bien si, dès l'enfance, on n'a joué au milieu des belles choses et cultivé tout ce qui est beau - avec quelle superbe un tel esprit, foulant aux pieds tous ces principes, néglige de s'inquiéter des travaux où s'est formé l'homme politique, mais l'honore si seulement 558c il affirme sa bienveillance pour le peuple 1
C'est un esprit tout à fait généreux, dit-il.
Tels sont, poursuivis-je, les avantages de la démocratie, avec d'autres semblables. C'est, comme tu vois, un gouvernement agréable, anarchique et bigarré, qui dispense une sorte d'égalité aussi bien à ce qui est inégal qu'à ce qui est égal (46).
Tu n'en dis rien qui ne soit connu de tout le monde.
Considère maintenant l'homme qui lui ressemble. Ou plutôt ne faut-il pas examiner, comme nous avons fait pour le gouvernement, de quelle manière il se forme?
Si.
558d N'est-ce pas ainsi? Il sera, je pense, le fils d'un homme parcimonieux et oligarchique, élevé par son père dans les sentiments de ce dernier.
Sans doute.
Par la force donc, comme son père, il maîtrisera les désirs qui le portent à la dépense et sont ennemis du gain, désirs qu'on appelle superflus.
Évidemment, dit-il.
Mais veux-tu, demandai-je, que, pour écarter toute obscurité de notre discussion, nous définissions d'abord les désirs nécessaires et les désirs superflus (47)?
Je le veux bien, répondit-il.
Or n'a-t-on pas raison d'appeler nécessaires ceux que nous ne pouvons pas rejeter, et tous ceux qu'il nous est 558e utile de satisfaire? car ces deux sortes de désirs sont des nécessités de nature, n'est-ce pas?
Sans doute.
C'est donc à bon droit que nous appellerons ces désirs 559 nécessaires.
A bon droit.
Mais ceux dont on peut se défaire en s'y appliquant de bonne heure, dont la présence, au surplus, ne produit aucun bien, et ceux qui font du mal - si nous appelons tous ces désirs superflus ne leur donnerons-nous pas la qualification qui convient?
Si.
Prendrons-nous un exemple des uns et des autres afin de les saisir sous une forme générale?
Oui, c'est ce qu'il faut faire.
Le désir de manger, autant que l'exigent la santé et l'entretien des forces, ce désir de la simple nourriture et des assaisonnements n'est-il pas nécessaire? 559b
Je le pense.
Le désir de la nourriture est nécessaire pour deux raisons : parce qu'il est utile et parce qu'on ne peut vivre sans le satisfaire.
Oui.
Et celui des assaisonnements aussi dans la mesure où il contribue à l'entretien des forces.
Parfaitement.
Mais le désir qui va au delà et se porte sur des mets plus recherchés, désir qui, réprimé dès l'enfance par l'éducation, peut disparaître chez la plupart des hommes, désir nuisible au corps, non moins nuisible à l'âme sous le rapport de la sagesse et de la tempérance, ne l'appellerons-nous 559c pas avec raison superflu?
Avec beaucoup de raison, certes !
Nous dirons donc que ceux-ci sont des désirs prodigues, et ceux-là des désirs profitables, parce qu'ils nous rendent capables d'agir.
Sans doute.
Et n'en dirons-nous pas autant des désirs amoureux et des autres?
Si fait.
Or celui que nous appelions tout à l'heure frelon, c'est l'homme plein de passions et d'appétits, gouverné par les désirs superflus, et celui que gouvernent les désirs 559d nécessaires, c'est l'homme parcimonieux et oligarchique.
Certainement.
Revenons-en maintenant, dis-je, à l'explication du changement qui d'un oligarque fait un démocrate (48). Il me semble que la plupart du temps il se produit de la manière que voici.
Comment?
Lorsqu'un jeune homme élevé, comme nous l'avons dit tout à l'heure, dans l'ignorance et la parcimonie, a goûté du miel des frelons, et s'est trouvé dans la compagnie de ces insectes ardents et terribles qui peuvent lui procurer des plaisirs de toute sorte, nuancés et variés à l'infini, c'est alors, crois-le, que son gouvernement 559e intérieur commence à passer de l'oligarchie à la démocratie.
Il y a grande nécessité, dit-il.
Et comme l'État a changé de forme lorsqu'un des partis a été secouru du dehors par des alliés d'un parti semblable, de même le jeune homme ne change-t-il pas de moeurs lorsque certains de ses désirs sont secourus du dehors par des désirs de même famille et de même nature?
Sans doute.
Et si, comme je le suppose, ses sentiments oligarchiques reçoivent de quelque alliance un secours contraire, 560 sous la forme des avertissements et des réprimandes du père ou des proches, alors naîtront en lui la sédition, l'opposition et la guerre intestine.
Certainement.
Et il a pu arriver parfois, j'imagine, que la faction démocratique cédât à l'oligarchique; alors, une espèce de pudeur s'étant fait jour dans l'âme du jeune homme, certains désirs ont été détruits, d'autres chassés, et l'ordre s'est trouvé rétabli.
Cela arrive en effet quelquefois, dit-il.
Mais par la suite, des désirs apparentés à ceux qu'on a chassés, nourris secrètement, se sont multipliés et fortifiés 560b, parce que le père n'a pas su élever son fils.
Oui, cela arrive d'ordinaire.
Ils l'ont entraîné alors dans les mêmes compagnies, et de ce commerce clandestin est née une foule d'autres désirs.
En effet.
A la fin, j'imagine, ils ont occupé l'acropole de l'âme du jeune homme, l'ayant sentie vide de sciences, de nobles habitudes et de principes vrais, qui sont certes les meilleurs gardiens et protecteurs de la raison chez les humains aimés des dieux. 560c
Les meilleurs et de beaucoup, dit-il.
Des maximes, des opinions fausses et présomptueuses sont alors accourues, et ont pris possession de la place. C'est tout à fait exact.
Dès lors le jeune homme, revenu chez les Lotophages (49), s'installe ouvertement parmi eux; et si, de la part de ses proches, quelque secours vient au parti économe de son âme, ces présomptueuses maximes ferment en lui les portes de l'enceinte royale, et ne laissent entrer ni ce renfort, ni l'ambassade des sages conseils que lui adressent 560d de sages vieillards. Et ce sont ces maximes qui l'emportent dans le combat; traitant la pudeur d'imbécillité, elles la repoussent et l'exilent honteusement; nommant la tempérance lâcheté, elles la bafouent et l'expulsent; et faisant passer la modération et la mesure dans les dépenses pour rusticité et bassesse, elles les boutent dehors, secondées en tout cela par une foule d'inutiles désirs (50).
C'est très vrai.
Après avoir vidé et purifié de ces vertus l'âme du jeune homme qu'elles possèdent, comme pour l'initier à de 560e grands mystères (51), elles y introduisent, brillantes, suivies d'un choeur nombreux et couronnées, l'insolence, l'anarchie, la licence, l'effronterie, qu'elles louent et décorent de beaux noms, appelant l'insolence noble éducation, l'anarchie liberté, la débauche magnificence, l'effronterie
561 courage. N'est-ce pas ainsi, demandai-je, qu'un jeune homme habitué à ne satisfaire que les désirs nécessaires en vient à émanciper les désirs superflus et pernicieux, et à leur donner libre carrière?
Si, dit-il, la chose est tout à fait claire.
Et ensuite comment vit-il? Je suppose qu'il ne dépense pas moins d'argent, d'efforts et de temps pour les plaisirs superflus que pour les nécessaires. Et s'il est assez heureux pour ne pas pousser sa folie dionysiaque trop loin, 561b plus avancé en âge, le gros du tumulte étant passé, il accueille une partie des sentiments bannis et ne se donne plus tout entier à ceux qui les avaient supplantés; il établit une espèce d'égalité entre les plaisirs, livrant le commandement de son âme à celui qui se présente, comme offert par le sort, jusqu'à ce qu'il en soit rassasié, et ensuite à un autre; il n'en méprise aucun, mais les traite sur un pied d'égalité (52).
C'est exact.
Mais il n'accueille ni ne laisse entrer dans la citadelle le juste discours de celui qui vient lui dire que certains 561c plaisirs procèdent de désirs beaux et honnêtes, et d'autres de désirs pervers, qu'il faut rechercher et honorer les premiers, réprimer et dompter les seconds (53); à tout cela il répond par des signes d'incrédulité, et il soutient que tous les plaisirs sont de même nature et qu'on doit les estimer également.
Dans la disposition d'esprit où il se trouve, dit-il, il ne peut faire autrement.
Il vit donc, repris-je, au jour le jour et s'abandonne au désir qui se présente. Aujourd'hui il s'enivre au son de 561d la flûte, demain il boira de l'eau claire et jeûnera; tantôt il s'exerce au gymnase, tantôt il est oisif et n'a souci de rien, tantôt il semble plongé dans la philosophie. Souvent, il s'occupe de politique et, bondissant à la tribune, il dit et il fait ce qui lui passe par l'esprit; lui arrive-t-il d'envier les gens de guerre? le voilà devenu guerrier; les hommes d'affaires? le voilà qui se lance dans le négoce. Sa vie ne connaît ni ordre ni nécessité, mais il l'appelle agréable, libre, heureuse, et lui reste fidèle (54).
Tu as parfaitement décrit, dit-il, la vie d'un ami de 561e l'égalité.
Je crois, poursuivis-je, qu'il réunit toutes sortes de traits et de caractères, et qu'il est bien le bel homme bigarré qui correspond à la cité démocratique. Aussi beaucoup de personnes des deux sexes envient-elles son genre d'existence, où l'on trouve la plupart des modèles de gouvernements et de moeurs.
Je le conçois.
Eh bien! rangeons cet homme en face de la démocratie 562, puisque c'est à bon droit que nous l'avons appelé démocratique.
Rangeons-l'y, dit-il
Il nous reste maintenant à étudier la plus belle forme de gouvernement et le plus beau caractère, je veux dire la tyrannie et le tyran.
Parfaitement.
Or çà! mon cher camarade, voyons sous quels traits se présente la tyrannie, car, quant à son origine, il est presque évident qu'elle vient de la démocratie.
C'est évident.
Maintenant, le passage de la démocratie à la tyrannie ne se fait-il de la même manière que celui de l'oligarchie 562b à la démocratie (55).
Comment?
Le bien que l'on se proposait, répondis-je, et qui a donné naissance à l'oligarchie, c'était la richesse (56), n'est-ce pas?
Oui
Or c'est la passion insatiable de la richesse et l'indifférence qu'elle inspire pour tout le reste qui ont perdu ce gouvernement.
C'est vrai, dit-il.
Mais n'est-ce pas le désir insatiable de ce que la démocratie regarde comme son bien suprême qui perd cette dernière?
Quel bien veux-tu dire?
La liberté, répondis-je. En effet, dans une cité démocratique 562c tu entendras dire que c'est le plus beau de tous les biens, ce pourquoi un homme né libre ne saurait habiter ailleurs que dans cette cité.
Oui, c'est un langage qu'on entend souvent.
Or donc - et voilà ce que j'allais dire tout à l'heure - n'est-ce pas le désir insatiable de ce bien, et l'indifférence pour tout le reste, qui change ce gouvernement et le met dans l'obligation de recourir à la tyrannie?
Comment? demanda-t-il.
Lorsqu'une cité démocratique, altérée de liberté, trouve 562d dans ses chefs de mauvais échansons, elle s'enivre de ce vin pur au delà de toute décence; alors, si ceux qui la gouvernent ne se montrent pas tout à fait dociles et ne lui font pas large mesure de liberté, elle les châtie, les accusant d'être des criminels et des oligarques (57).
C'est assurément ce qu'elle fait, dit-il.
Et ceux qui obéissent aux magistrats, elle les bafoue et les traite d'hommes serviles et sans caractère; par contre, elle loue et honore, dans le privé comme en public, les gouvernants qui ont l'air de gouvernés et les gouvernés qui prennent l'air de gouvernants. N'est-il pas 562e inévitable que dans une pareille cité l'esprit de liberté s'étende à tout?
Comment non, en effet?
Qu'il pénètre, mon cher, dans l'intérieur des familles, et qu'à la fin l'anarchie gagne jusqu'aux animaux?
Qu'entendons-nous par là? demanda-t-il.
Que le père s'accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s'égale à son père et n'a ni respect ni crainte pour ses parents, parce 563 qu'il veut être libre, que le métèque devient l'égal du citoyen, le citoyen du métèque et l'étranger pareillement (58).
Oui, il en est ainsi, dit-il.
Voilà ce qui se produit, repris-je, et aussi d'autres petits abus tels que ceux-ci. Le maître craint ses disciples et les flatte, les disciples font peu de cas des maîtres et des pédagogues. En général les jeunes gens copient leurs aînés et luttent avec eux en paroles et en actions; les vieillards, de leur côté, s'abaissent aux façons des jeunes gens et se montrent pleins d'enjouement et de bel esprit, 563b imitant la jeunesse de peur de passer pour ennuyeux et despotiques.
C'est tout à fait cela.
Mais, mon ami, le terme extrême de l'abondance de liberté qu'offre un pareil État est atteint lorsque les personnes des deux sexes qu'on achète comme esclaves ne sont pas moins libres que ceux qui les ont achetées (59). Et nous allions presque oublier de dire jusqu'où vont l'égalité et la liberté dans les rapports mutuels des hommes et des femmes (60).
Mais pourquoi ne dirions-nous pas, observa-t-il, selon 563c l'expression d'Eschyle, « ce qui tantôt nous venait à la bouche (61)? „
Fort bien, répondis-je, et c'est aussi ce que je fais. A quel point les animaux domestiqués par l'homme sont ici plus libres qu'ailleurs est chose qu'on ne saurait croire quand on ne l'a point vue. En vérité, selon le proverbe (62), les chiennes y sont bien telles que leurs maîtresses; les chevaux et les ânes, accoutumés à marcher d'une allure libre et fière, y heurtent tous ceux qu'ils rencontrent en chemin, si ces derniers ne leur cèdent point le pas. Et il en est ainsi du reste : tout déborde de liberté. 563d
Tu me racontes mon propre songe, dit-il, car je ne vais presque jamais à la campagne que cela ne m'arrive.
Or, vois-tu le résultat de tous ces abus accumulés? Conçois-tu bien qu'ils rendent l'âme des citoyens tellement ombrageuse qu'à la moindre apparence de contrainte ceux-ci s'indignent et se révoltent? Et ils en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s'inquiéter des lois écrites ou non écrites, afin de n'avoir absolument aucun maître. 563e
Je ne le sais que trop, répondit-il.
Eh bien ! mon ami, repris-je, c'est ce gouvernement si beau et si juvénile qui donne naissance à la tyrannie, du moins à ce que je pense.
Juvénile, en vérité ! dit-il; mais qu'arrive-t-il ensuite?
Le même mal, répondis-je, qui, s'étant développé dans l'oligarchie, a causé sa ruine, se développe ici avec plus d'ampleur et de force, du fait de la licence générale, et réduit la démocratie à l'esclavage; car il est certain que tout excès provoque ordinairement une vive réaction, 564 dans les saisons, dans les plantes, dans nos corps, et dans les gouvernements bien plus qu'ailleurs.
C'est naturel.
Ainsi, l'excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude, et dans l'individu et dans l'État.
Il le semble, dit-il.
Vraisemblablement, la tyrannie n'est donc issue d'aucun autre gouvernement que la démocratie, une liberté extrême étant suivie, je pense, d'une extrême et cruelle servitude.
C'est logique.
Mais ce n'est pas cela, je crois, que tu me demandais.
564b Tu veux savoir quel est ce mal, commun à l'oligarchie et à la démocratie, qui réduit cette dernière à l'esclavage.
C'est vrai
Eh bien ! j'entendais par là cette race d'hommes oisifs et prodigues, les uns plus courageux qui vont à la tête, les autres, plus lâches qui suivent. Nous les avons comparés à des frelons, les premiers munis, les seconds dépourvus d'aiguillon.
Et avec justesse, dit-il.
Or, ces deux espèces d'hommes, quand elles apparaissent dans un corps politique, le troublent tout entier, 564c comme font le phlegme et la bile dans le corps humain. Il faut donc que le bon médecin et législateur de la cité prenne d'avance ses précautions, tout comme le sage apiculteur, d'abord pour empêcher qu'elles y naissent, ou, s'il n'y parvient point, pour les retrancher le plus vite possible avec les alvéoles mêmes.
Oui, par Zeus ! s'écria-t-il, c'est bien là ce qu'il faut faire.
Maintenant, repris-je, suivons ce procédé pour voir plus nettement ce que nous cherchons.
Lequel?
Partageons par la pensée une cité démocratique en trois classes, qu'elle comprend d'ailleurs en réalité. La première est cette engeance, qui par suite de la licence 564d publique ne s'y développe pas moins que dans l'oligarchie.
C'est vrai.
Seulement elle y est beaucoup plus ardente.
Pour quelle raison?
Dans l'oligarchie, dépourvue de crédit et tenue à l'écart du pouvoir, elle reste inexercée et ne prend point de force; dans une démocratie, au contraire, c'est elle qui gouverne presque exclusivement; les plus ardents de la bande discourent et agissent; les autres, assis auprès de la tri¬bune, bourdonnent et ferment la bouche au  464e contradicteur (63); de sorte que, dans un tel gouvernements toutes les affaires sont réglées par eux, à l'exception d'un petit nombre.
C'est exact, dit-il.
Il y a aussi une autre classe qui se distingue toujours de la multitude.
Laquelle?
Comme tout le monde travaille à s'enrichir, ceux qui sont naturellement les plus ordonnés deviennent, en général, les plus riches.
Apparemment.
C'est là, j'imagine, que le miel abonde pour les frelons et qu'il est le plus facile à exprimer (64).
Comment, en effet, en tirerait-on de ceux qui n'ont que peu de chose?
Aussi est-ce à ces riches qu'on donne le nom d'herbe à frelons?
Oui, un nom de ce genre, répondit-il.
565 La troisième classe c'est le peuple : tous ceux qui travaillent de leurs mains, sont étrangers aux affaires, et ne possèdent presque rien. Dans une démocratie cette classe est la plus nombreuse et la plus puissante lorsqu'elle est assemblée.
En effet, dit-il; mais elle ne s'assemble guère, à moins qu'il ne lui revienne quelque part de miel.
Aussi bien lui en revient-il toujours quelqu'une, dans la mesure où les chefs peuvent s'emparer de la fortune des possédants et la distribuer au peuple, tout en gardant pour eux la plus grosse part.
565b Certes, c'est ainsi qu'elle reçoit quelque chose.
Cependant, les riches qu'on dépouille sont, je pense, obligés de se défendre : ils prennent la parole devant le peuple et emploient tous les moyens qui sont en leur pouvoir.
Sans doute.
Les autres, de leur côté, les accusent, bien qu'ils ne désirent point de révolution, de conspirer contre le peuple et d'être des oligarques.
Assurément.
Or donc, à la fin, lorsqu'ils voient que le peuple, non par mauvaise volonté mais par ignorance, et parce qu'il 565c est trompé par leurs calomniateurs, essaie de leur nuire, alors, qu'ils le veuillent ou non, ils deviennent de véritables oligarques (65); et cela ne se fait point de leur propre gré : ce mal, c'est encore le frelon qui l'engendre en les piquant.
Certes !
Dès lors ce sont poursuites, procès et luttes entre les uns et les autres.
Sans doute.
Maintenant, le peuple n'a-t-il pas l'invariable habitude de mettre à sa tête un homme dont il nourrit et accroît la puissance?
C'est son habitude, dit-il.
565d Il est donc évident que si le tyran pousse quelque part, c'est sur la racine de ce protecteur et non ailleurs qu'il prend tige (66).
Tout à fait évident.
Mais où commence la transformation du protecteur en tyran? N'est-ce pas évidemment lorsqu'il se met à faire ce qui est rapporté dans la fable du temple de Zeus Lycéen en Arcadie (67)?
Que dit la fable? demanda-t-il.
Que celui qui a goûté des entrailles humaines, coupées en morceaux avec celles d'autres victimes, est inévitablement changé en loup. Ne l'as-tu pas entendu 565e raconter?
Si.
De même, quand le chef du peuple, assuré de l'obéissance absolue de la multitude, ne sait point s'abstenir du sang des hommes de sa tribu, mais, les accusant injustement, selon le procédé favori de ses pareils, et les traînant devant les tribunaux, se souille de crimes en leur faisant ôter la vie, quand, d'une langue et d'une bouche impies, il goûte le sang de sa race, exile et tue, tout en laissant entrevoir la suppression des dettes et un nouveau 566 partage des terres, alors, est-ce qu'un tel homme ne doit pas nécessairement, et comme par une loi du destin, périr de la main de ses ennemis, ou se faire tyran, et d'homme devenir loup?
Il y a grande nécessité, répondit-il.
Voilà donc, repris-je, l'homme qui fomente la sédition contre les riches.
Oui.
Or, si après avoir été chassé, il revient malgré ses enne¬mis, ne revient-il pas tyran achevé?
Evidemment.
Mais si les riches ne peuvent le chasser, ni provoquer 566b sa perte en le brouillant avec le peuple, ils complotent de le faire périr en secret, de mort violente (68).
Oui, dit-il, cela ne manque guère d'arriver.
C'est en pareille conjoncture que tous les ambitieux qui en sont venus là inventent la fameuse requête du tyran, qui consiste à demander au peuple des gardes de corps pour lui conserver son défenseur (69).
Oui vraiment.
Et le peuple en accorde, car s'il craint pour son défenseur, il est plein d'assurance pour lui-même.
566c Sans doute.
Mais quand un homme riche et par là-même suspect d'être l'ennemi du peuple voit cela, alors, ô mon camarade, il prend le parti que l'oracle conseillait à Crésus, et
« le long de l'Hermos au lit caillouteux
fl fuit, n'ayant souci d'être traité de lâche (70). »
Et aussi bien n'aurait-il pas à craindre ce reproche deux fois !
Et s'il est pris dans sa fuite, j'imagine qu'il est mis à mort.
Inévitablement.
 Quant à ce protecteur du peuple, il est évident qu'il 566d ne gît point à terre
« de son grand corps couvrant un grand espace soi (71). »
au contraire, après avoir abattu de nombreux rivaux, il s'est dressé sur le char de la cité, et de protecteur il est devenu tyran accompli.
Ne fallait-il pas s'y attendre?
Examinons maintenant, repris-je, le bonheur de cet homme et de la cité on s'est formé un semblable mortel.
Parfaitement, dit-il, examinons.
Dans les premiers jours, il sourit et fait bon accueil 566c à tous ceuç qu'il rencontre, déclare qu'il n'est pas un tyran, promet beaucoup en particulier et en public, remet des dettes, partage des terres au peuple et à ses favoris, et affecte d'être doux et affable envers tous, n'est-ce pas?
II le faut bien, répondit-il.
Mais quand il s'est débarrassé de ses ennemis du dehors, en traitant avec les uns, en ruinant les autres, et qu'il est tranquille de ce côté, il commence toujours par susciter des guerres, pour que le peuple ait besoin d'un chef.
C'est naturel.
Et aussi pour que les citoyens, appauvris par les impôts, 567 soient obligés de songer à leurs besoins quotidiens, et conspirent moins contre lui (72).
Evidernment.
Et si certains ont l'esprit trop libre pour lui permettre de commander, il trouve dans la guerre, je pense, un prétexte de les perdre, en les livrant aux coups de l'en¬nemi. Pour toutes ces raisons, il est inévitable qu'un tyran fomente toujours la guerre.
Inévitable.
Mais ce faisant, il se rend de plus en plus odieux aux 567b citoyens.
Comment non?
Et n'arrive-t-il pas que, parmi ceux qui ont contribué à son élévation, et qui ont de l'influence, plusieurs parlent librement soit devant lui, soit entre eux, et critiquent ce qui se passe- du moins les plus courageux?
C'est vraisemblable.
Il faut donc que le tyran s'en défasse, s'il veut rester le maître, et qu'il en vienne à ne laisser, parmi ses amis comme parmi ses ennemis, aucun homme de quelque valeur (73).
C'est évident.
D'un oeil pénétrant il doit discerner ceux qui ont du courage, de la grandeur d'âme, de la prudence, des 567c richesses; et tel est son bonheur qu'il est réduit, bon gré mal gré, à leur faire la guerre à tons, et à leur tendre des pièges jusqu'à ce qu'il en ait purgé l'État !
Belle manière de le purger !
Oui, dis-je, elle est à l'opposé de celle qu'emploient les médecins pour purger le corps; ceux-ci en effet font disparaître ce qu'il y a de mauvais et laissent ce qu'il y a de bon : lui fait le contraire.
Il y est contraint, s'il veut conserver le pouvoir.
Le voilà donc lié par une bienheureuse nécessité, qui 567d l'oblige à vivre avec des gens méprisables ou à renoncer à la vie !
Telle est bien sa situation, dit-il.
Or, n'est-il pas vrai que plus il se rendra odieux aux citoyens par sa conduite, plus il aura besoin d'une garde nombreuse et fidèle?
Sans doute.
Mais quels seront ces gardiens fidèles? D'où les fera-t-il venir?
D'eux-mêmes, répondit-il, beaucoup voleront vers lui, s'il leur donne salaire.
Par le chien ! il me semble que tu désignes là des 567e frelons étrangers, et de toutes sortes.
Tu as vu juste.
Mais de sa propre cité qui aura-t-il? Est-ce qu'il ne voudra pas (74)...
Quoi?
Enlever les esclaves aux citoyens et, après les avoir affranchis, les faire entrer dans sa garde.
Certainement. Et aussi bien ce seront là ses gardiens les plus fidèles.
En vérité, d'après ce que tu dis, elle est bienheureuse 568 la condition du tyran, s'il prend de tels hommes pour amis et confidents, après avoir fait mourir les premiers !
Et pourtant il ne saurait en prendre d'autres.
Donc, ces camarades l'admirent, et les nouveaux citoyens vivent en sa compagnie. Mais les honnêtes gens le haïssent et le fuient, n'est-ce pas?
Hé! peuvent-ils faire autrement?
Ce n'est donc pas sans raison que la tragédie passe, en général, pour un art de sagesse, et Euripide pour un maître extraordinaire en cet art.
Pourquoi donc?
Parce qu'il a énoncé cette maxime de sens profond, à savoir 568b « que les tyrans deviennent habiles par le commerce des habiles (75) »;
et il entendait évidemment par habiles ceux qui vivent dans la compagnie du tyran.
Il loue aussi, ajouta-t-il, la tyrannie comme divine et lui décerne bien d'autres éloges, lui et les autres poètes.
Ainsi donc, en tant que gens habiles, les poètes tragiques nous pardonneront, à nous et à ceux dont le gouvernement se rapproche du nôtre, de ne point les admettre dans notre État, puisqu'ils sont les chantres de la tyrannie.
Je crois, dit-il, qu'ils nous pardonneront, du moins ceux d'entre eux qui ont de l'esprit. 568c
Ils peuvent, je pense, parcourir les autres cités, y rassembler les foules, et, prenant à gages des voix belles, puissantes et insinuantes, entraîner les gouvernements vers la démocratie et la tyrannie (76).
Sûrement.
D'autant plus qu'ils sont payés et comblés d'honneurs pour cela, en premier lieu par les tyrans, en second lieu par les démocraties; mais à mesure qu'ils remontent la pente des constitutions, leur renommée faiblit, comme 568d si le manque de souffle l'empêchait d'avancer.
C'est exact.
Mais, repris-je, nous nous sommes écartés du sujet. Revenons-en à l'armée du tyran, cette troupe belle, nombreuse, diverse, et toujours renouvelée, et voyons comment elle est entretenue.
Il est évident, dit-il, que si la cité possède des trésors sacrés, le tyran y puisera (77), et tant que le produit de leur vente pourra suffire, il n'imposera pas au peuple de trop lourdes contributions.
Mais quand ces ressources lui manqueront? 568e
Alors, il est évident qu'il vivra du bien de son père, lui, ses commensaux, ses favoris et ses maîtresses.
Je comprends, dis-je : le peuple qui a donné naissance au tyran le nourrira, lui et sa suite.
Il y sera bien obligé.
Mais que dis-tu? Si le peuple se fâche et prétend qu'il n'est pointiuste qu'un fils dans la fleur de l'âge soit à la charge de son père, qu'au contraire, le père doit être 569 nourri par son fils; qu'il ne l'a point mis au monde et établi pour devenir lui-même, quand son fils serait grand, l'esclave de ses esclaves, et pour le nourrir avec ces esclaves-là et le ramassis de créatures qui l'entourent, mais bien pour être délivré, sous son gouvernement, des riches et de ceux qu'on appelle les honnêtes gens dans la cité; que maintenant il lui ordonne de sortir de l'État avec ses amis, comme un père chasse son fils de la maison, avec ses indésirables convives...
568b Alors, par Zeus! il connaîtra ce qu'il a fait quand il a engendré, caressé, élevé un pareil nourrisson, et que ceux qu'il prétend chasser sont plus forts que lui.
Que dis-tu? m'écriai-je, le tyran oserait violenter son père, et même, s'il ne cédait pas, le frapper?
Oui, répondit-il, après l'avoir désarmé.
D'après ce que tu dis le tyran est un parricide et un triste soutien des vieillards; et nous voilà arrivés, ce semble, à ce que tout le monde appelle la tyrannie ; le peuple, selon Le dicton (78), fuyant la fumée de la soumission 568c à des hommes libres, est tombé dans le feu du despotisme des esclaves, et en échange d'une liberté excessive et inopportune, a revêtu la livrée de la plus dure et la plus amère des servitudes,
C'est, en effet, ce qui arrive,
Eh bien ! demandai-je, aurions-nous mauvaise grâce à dire que nous avons expliqué de façon convenable le passage de la démocratie à la tyrannie, et ce qu'est celle-ci une fois formée?
L'explication convient parfaitement, répondit-il,

 LIVRE VIII

01. Voy. liv. III, 415 d sqq.

02.Au livre V, 449 a.

03. « Les lutteurs avaient coutume, dit le Scoliaste, quand ils tombaient ensemble, de reprendre, une fois relevés, l'attitude qu'ils avaient avant leur chute. » C'est ce que l'on appelait donner la même prise.

04.Au temps de Platon les meilleurs esprits admiraient la forte discipline qu'avaient maintenue, à Sparte, les institutions de Lycurgue. Voy. l'Hippias majeur, 283 e; les Lois, 692 c, et cf. Xénophon, Constitution de Lacédémone, Mémorables, III, 5, 15, IV, 4, 15; Isocrate, Panathénaïque, 108 sqq., 200 sqq., 216 sqq.

05. Comme Carthage, par exemple. Voy. Aristote, Polit. B. 11.1273 a.

06. Locution proverbiale empruntée à Homère et à Hésiode, Iliade XXII, v. 120, Odyssée XIX, v. 163, Théogonie, v. 35.

07.Au livre II, 368 e.

08.Allusion au début de l'Iliade.

09. Ces circonférences mesurent, pour chaque espèce, le temps de la gestation. Sur le rapport de ce temps avec la durée de la vie des individus de l'espèce, voy. Arist. Probl. X, 9. 891 b.

10. LE NOMBRE GÉOMÉTRIQUE. - Nous nous sommes inspiré pour l'interprétation de ce passage - qui a fait longtemps le désespoir des traducteurs - de la remarquable étude de J. Adam, The Number of Plato, insérée dans son édition de la Républiqua tome II, pp. 264-312.
I. ANALYSE DE LA PHRASE. SIGNIFICATION LITTÉRALE ET ARITHMÉTIQUE. - La phrase comprend deux parties principales.
Ire partie: ἔστι δὲ θείῳ μὲν γεννητῷ περίοδος ἣν ἀριθμὸς περιλαμβάνει τέλειος, ἀνθρωπείῳ δὲ ἐν ᾧ πρώτῳ αὐξήσεις δυνάμεναί τε καὶ δυναστευόμεναι, τρεῖς ἀποστάσεις, τέτταρας δὲ ὅρους λαβοῦσαι ὁμοιούντων τε καὶ ἀνομοιούντων καὶ αὐξόντων καὶ φθινόντων, πάντα προσήγορα καὶ ῥητὰ πρὸς ἄλληλα ἀπέφηναν·
Le début, jusqu'à ἐν ᾧ πρώτῳ, ne présente aucune difficulté si l'on construit : ἀνθρωπείῳ δὲ <γεννητῷ ἔστι περίοδος ἣν ἀριθμὸς περιλαμβάνει> ἐν ᾧ πρώτῳ ... «pour ce qui est engendré humain» il y a une période qu'embrasse un nombre, le premier dans lequel....
αὐξήσεις, «accroissements », peut signifier additions ou produits,
δυνάμεναί. Le verbe δύναμαι signifie, dans le langage mathématique des Grecs, élever à la seconde puissance. Le Théétète, 148 b, montre que le terme δυνάμενη employé seul, désignait la racine, c'est-à-dire l'élément qui, multiplié par lui-même, donne une seconde puissance.
δυναστευόμεναι,est pris, semble-t-il, comme passif du précédent, dans le sens de carrés, autrement dit : ce qui est commandé, formé par les racines (voy. Alexandre d'Aphrodise, In Arist. Met. A, 8. 990 a).
λαβοῦσαι τρεῖς ἀποστάσεις, τέτταρας δὲ ὅρους λαβοῦσαι : « comprenant trois distances et quatre limites... » - Il est évident qu'il s'agit des αὐξήσεις. Or, un passage de Nicomaque nous apprend que les Anciens définissaient le solide par trois distances (AB,BP, PO sur la figure 9): στερεὸν γάρ ἐστι τὸ τριχῇ διαστατόν... Εἴ τι γὰρ στερεὸν ἐστιν, τὰς τρεῖς διαστάσεις πάντων ἔχει, μῆκος, καὶ πλάτος καὶ βάθος· καὶ ἐμπμαλιν εἴ τι ἔχει τὰς τρεῖς διαστάσεις, ἐκεῖνο πάντως στερεόν ἐστιν, ἄλλο δ' οὐδέν (Introd. Arithm. éd. Ast, p. 116. Cf. Théon de Smyrne, éd. Hiller, p. 24). Il semble donc que les « accroissements » en question représentent des nombres solides, puisqu'ils comprennent trois distances et quatre limites - les points A, B, P, O, qui déterminent ces distances. Mais alors le mot αὐξήσεις doit être pris dans le sens de « produits », car les produits des racines par les carrés donnent des cubes, i. e. des solides. En d'autres termes, l'expression tout entière équivaut à αὐξήσεις κυβικαί.
ὁμοιούντων τε καὶ ἀνομοιούντων καὶ αὐξόντων καὶ φθινόντων. Ces génitifs sont sans doute les compléments de αὐξήσεις δυνάμεναί τε καὶ δυναστευόμεναι « les produits des racines par les carrés des éléments qui font le semblable et le dissemblable, le croissant et le décroissant... » Mais quels sont ces éléments? Les témoignages concordants de Plutarque (De Is. et Osir. 373 f.), de Proclus (In Eucl. prim. comm., éd. Friedlein, p. 428), et d'Aristide Quintilien (De Musica, éd. Jahn, p. 90) permettent de répondre à cette question. Platon, disent-ils en substance, paraît faire allusion aux côtés du triangle des Pythagoriciens, que l'on appelle quelquefois triangle cosmique (κοσμικὸν τρίγωνον), à cause des remarquables combinaisons auxquelles se prêtent les nombres qui le mesurent : combinaisons qui auraient présidé à la formation de l'univers. Les côtés de ce triangle rectangle sont respectivement égaux à 3, 4, 5.

πάντα προσήγορα καὶ ῥητὰ πρὸς ἄλληλα ἀπέφηναν : «font apparaître toutes choses (ou toutes les parties de l'ensemble) accordées et rationnelles entre elles. » On verra plus loin le sens symbolique de ces mots. Mais dès maintenant, en effectuant les opérations indiquées dans cette partie de la phrase, on obtient un premier nombre; 33+43+52=216.

2e partie :ὧν ἐπίτριτος πυθμὴν πεμπάδι συζυγεὶς δύο ἁρμονίας παρέχεται τρὶς αὐξηθείς, τὴν μὲν ἴσην ἰσάκις, ἑκατὸν τοσαυτάκις, τὴν δὲ ἰσομήκη μὲν τῇ, προμήκη δέ, ἑκατὸν μὲν ἀριθμῶν ἀπὸ διαμέτρων ῥητῶν πεμπάδος, δεομένων ἑνὸς ἑκάστων, ἀρρήτων δὲ δυοῖν, ἑκατὸν δὲ κύβων τριάδος.

ὧν ἐπίτριτος πυθμὴν : « Le fond épitrite de ces éléments...», c'est-à-dire 3 et 4.
πεμπάδι συζυγεὶς : « accouplé au quinaire... » i. e. multiplié par 5; ce qui donne le produit : 3 X 4 X 5.
τρὶς αὐξηθείς : «trois fois multiplié par lui-même... » - Nous dirions aujourd'hui plus simplement : élevé à la quatrième puissance.
δύο ἁρμονίας παρέχεται : « fournit deux harmonies...»
τὴν μὲν ἴσην ἰσάκις, ἑκατὸν τοσαυτάκις, : «l'une égale un nombre égal de fois, autant de fois cent... », c'est-à-dire formée par un carré dont le côté est multiple de cent. En effet : (3 X 4 X 5)4 = 12.960.000 = (36 X 100)2.
τὴν δὲ ἰσομήκη μὲν τῇ, προμήκη δέ : «l'autre équilatérale en un sens, mais rectangle... » - La figure est dite équilatérale parce que ses côtés sont égaux deux à deux.
ἑκατὸν μὲν ἀριθμῶν ἀπὸ διαμέτρων ῥητῶν πεμπάδος, : « construite d'une part sur cent carrés des diamètres rationnels de cinq... » - Le diamètre rationnel de cinq est le nombre rationnel le plus proche de racine de 50, diagonale d'un carré ayant 5 pour côté. Ce nombre est 7, et son carré 49.
δεομένων ἑνὸς ἑκάστων : «diminués chacun de l'unité... » Reste 48.
ἀρρήτων δὲ <διαμέτρων δεομένων > δυοῖν  : «ou des diamètres irrationnels diminués de deux... » - Le diamètre irrationnel de 5 est racine carrée de 50. Son carré diminué de deux unités est égal à 48. Les Muses indiquent deux moyens de trouver ce nombre, qui doit être multiplié par 100.
ἑκατὸν δὲ κύβων τριάδος : «et, d'autre part, sur cent cubes de trois. » - Soit 2.700. La seconde harmonie, exprimée par le rectangle : 4.800 x 2.700 = 12.960.000 = (3 X 4 X 5)4, est donc bien formée, elle aussi, par le produit, élevé à la quatrième puissance, des éléments 3, 4 et 5 du triangle cosmique.
II. SIGNIFICATION SYMBOLIQUE ET PHILOSOPHIQUE. - a) Les générations divines, disent les Muses, se font dans une période qu'embrasse un nombre parfait. Ce nombre ne nous est pas révélé; par contre, nous venons de voir que la période des générations humaines est exprimée par le nombre 216. Ici, Platon reprend sans nul doute une idée pythagoricienne, et l'on peut même penser que les expressions dont il se sert - pour indiquer l'élévation au cube par exemple - sont empruntées au vocabulaire de l'école italique. Les philosophes de cette école attribuaient au nombre 216 des vertus toutes spéciales, car c'est le premier dans lequel apparaissent les cubes de 3, 4, et 5 (côtés du triangle cosmique). Au témoignage d'Anatolius (in Theol. arithm., p. 40) ils voyaient en lui le ψυχογονικὸς κύβος, parce qu'il exprime en jours la période de gestation d'un enfant de sept mois, i. e. né viable. D'autre part, si on l'augmente du produit 3 X 4 X 5, il donne la période de gestation d'un enfant de neuf mois (voy. Aristide Quintilien, éd. cit. p. 89). Il est aussi le cube de 6, appelé nombre nuptial, parce que formé de l'union du premier nombre impair ou mâle - trois - avec le premier nombre pair ou femelle - deux. Le nombre 6 représente en outre l'aire du triangle pythagoricien.
Les produits indiqués, ajoutent les Muses, établissent entre toutes choses (entre toutes les parties de l'ensemble) des rapports rationnels. - Il serait vain de chercher à déterminer ces rapports, puisque le texte est muet sur ce point; toutefois, le passage suivant de Censorinus - dont la source est Varron - peut projeter quelque clarté sur la question : « Eos vero numeros, qui in uno quoque partu aliquid adferunt mutationis, dum aut semen in sanguinem aut sanguis in carnem aut taro in hominis figuram convertitur, inter se conlatos rationem habere eam quam voces habent quæ in musica σύμφωνοι vocantur (De die natali, 9 ad fin.).
b) Qu'entend maintenant Platon par les deux harmonies du nombre 12.960.000? Le mythe du Politique (268 e - 274 e) nous l'apprendra. L'univers tout entier se meut tantôt dans un sens, tantôt dans le sens contraire. Pendant le règne de Cronos il avance, dirigé par une puissance divine supérieure à sa nature, puis, quand ce règne cesse, abandonné à lui-même, il recule. A chaque changement, il y a destruction presque totale des animaux et des hommes.
Au cours du premier cycle l'homme naît de la terre avec des cheveux blancs, et sa vie s'achemine vers l'enfance jusqu'à ce qu'elle s'évanouisse. Au cours du second il est engendré par l'homme et sa vie s'achemine vers la vieillesse. Chacun de ces deux cycles comprend plusieurs dizaines de milliers d'années. La grande conversion qui clôt l'un et ouvre l'autre - τροπῶν πασῶν... μεγίστη καὶ τελεωτάτη τροπή - se produit à une époque déterminée par un nombre parfait.
Or, il semble que les deux harmonies mentionnées dans la République symbolisent ces deux phases - d'égale durée nous dit Platon - de la vie de l'univers. Elles sont, en effet, exprimées par le même nombre, 12.960.000, qui doit désigner des jours, comme le nombre nuptial 216. Si l'on compte 360 jours dans l'année parfaite - comme fait Platon qui n'ignore pourtant pas la durée de l'année réelle - chaque phase sera de 36.000 ans, ce qui s'accorde avec l'assertion du Politique (πολλὰς περιόδων μυριάδας; 270 a). En outre, les traits dominants du monde, lorsqu'il se meut en avant, sont l'ordre et la justice, la convenance (ὁμοιότης), et lorsqu'il se meut en arrière, le désordre et la lutte, la disconvenance (ἀνομοιότης). Mais nous savons que la première harmonie (3.6002) est ἴσην ἰσάκις, ἑκατὸν τοσαυτάκις, c'est-à-dire formée par le carré d'un nombre qui est lui-même cent fois un carré : 3.6002 = (62 x 100)2, tandis que la seconde est un nombre rectangulaire (προμήκης). Si l'on observe que les Pythagoriciens nommaient ôpococ les nombres carrés, et ὅμοιοι les nombres rectangulaires, on conviendra qu'il est assez naturel de considérer 3.6002 comme désignant le premier cycle, et 4.800 X 2.700 le second cycle de l'existence du monde.
On peut voir maintenant, à la lumière de ces remarques, le sens de l'expression ὁμοιούντων τε καὶ ἀνομοιούντων καὶ αὐξόντων καὶ φθινόντων . En effet, les éléments 3, 4, 5, principes (ἀρχαί) de l'univers, sont tantôt facteurs de convenance (ὁμοιότης) et de progrès (αὔξησις), tantôt de disconvenance (ἀνομοιότης) et de déclin (φθίσις).
c) De quelques autres propriétés des nombres 12.960.000 et 216. - Nous avons dit que 12.960.000 jours représentent 36.000 années idéales; or, dans la République (liv. X, 615 b), Platon déclare que la durée idéale de la vie humaine est de 100 ans, ou 100 X 360 = 36.000 jours. A un jour de la vie d'un homme correspond donc un an de la vie du monde.
Considérons maintenant les quatre notes suivantes de la gamme et leurs intervalles :
ut,              -- fa,       sol --      ut
unisson - - quarte, quinte - - octave.
1                 4/3         3/2       2

Additionnons ces intervalles, nous aurons : 6/6 + 8/6 + 9/ 6 + 12/6 = 35/6
La somme 35 correspond donc à une harmonie (voy. à ce sujet Plutarque, Περὶ ἐν Τιμαίῳ ψυχογονίας, 12, 1017 f); et 36 contient une harmonie plus l'unité, qui est le principe de toutes choses (ἡ πάντων ἀρχή). De la sorte, il y a dans 12.960.000 (ou 3.6002) 360.000 harmonies proprement dites + 360.000 unités, à chaque harmonie s'ajoutant une πάντων ἀρχή. On constatera de même que 216 contient 6 ἁρμονίαι + 6 πάντων ἀρχαί. C'est apparemment pour cette raison que les Muses donnent au premier de ces nombres le nom d'harmonie, et disent que le second accorde toutes choses (s. e. dans la formation du corps humain) selon des rapports rationnels. Elles semblent vouloir rappeler par là l'analogie que les Pythagoriciens établissaient entre le macrocosme - l'univers, regardé comme un magnus homo - et le microcosme - l'homme, regardé comme un brevis mundus.
Parvenu au terme de cette note, le lecteur se demandera probablement quelle valeur pouvaient avoir de semblables considérations aux yeux de l'auteur de la République. Avouons qu'il nous paraît téméraire de donner une réponse trop précise à cette question, et contentons-nous de remarquer, avec J. Adam, qu'assurément les Muses entendent ici « jouer et plaisanter » avec leurs auditeurs, mais que cependant leurs propos ne sont pas absolument dénués de sérieux, car ils traduisent sans doute l'intime conviction de Platon que tout, dans l'univers, est régi par des lois mathématiques.

11. Dans le premier cycle (divin) le nombre est plus spécialement κύριος ἀμεινόνων γενέσεων, et dans le second (humain) κ. χειρόνων γ.

12.  La véritable richesse est, en effet, celle de l'âme. Cf. Phèdre 279 c. πλούσιον δὲ νομίζοιμι τὸν σοφόν.

13. On trouvait des périèques non seulement à Sparte, mais en Crète et en Thessalie. Ils formaient une classe supérieure à celle des serviteurs proprement dits (οἰκέται), lesquels s'occupaient surtout des travaux grossiers de la maison.

14. De cette description générale du gouvernement timarchique, on peut rapprocher les descriptions historiques qu'Aristote, dans sa Politique (B, 9, 10), donne des constitutions de la Crète et de Sparte.

15. L'avarice des Spartiates était proverbiale. Voy. à ce sujet les témoignages cités par Susemihl et Hicks dans leur édition de la Politique d'Aristote, tome I, p. 299 n.

16. περιβόλους οἰκήσεων. - Platon se souvient ici de Lacédémone, où les maisons des citoyens, plus vastes que celles d'Athènes, se trouvaient dans les faubourgs, presque à la campagne, isolées les unes des autres et entourées de murs. Voy. Walter Pater, Plato and the Platonism, ch. VIII, Lacaedemon, p. 190; trad. française de Jankélévitch, p. 248.

17.  Aristote rapporte que les femmes spartiates vivaient dans une licence extrême et s'adonnaient à tous les plaisirs (Polit., B, 9. 1269 b).

18.Cf. Hippias majeur, 285 d.

19 Ce « mépris • de l'homme qui a reçu une bonne éducation à l'égard des esclaves n'est, en somme, que le juste sentiment de sa supériorité morale - sentiment que l'homme timocratique ne saurait éprouver.

20Cf. liv. VI, 497 c et liv. VII, 531 e.

21. Cette métaphore se retrouve au liv. X, 606 d, et dans l'Euthyphron, 2 d.

22. Adaptation plaisante d'un vers d'Eschyle (Les Sept contre Thèbes, 451); « Passe à un autre chef et à une autre porte.»

23. Platon désigne par le mot oligarchie le gouvernement que Socrate appelait ploutocratie (Xénophon, Mém. IV, 6, 12). Mais à l'origine ce mot avait un sens quelque peu différent (voy. Hérodote, III, 81). Ce n'est qu'à partir de 412 av. J.-C. (dictature des Quatre-Cents) que le système censitaire devint, à Athènes, l'élément essentiel du programme oligarchique.

24. Les auditeurs de Socrate ne pouvaient manquer de se souvenir ici du vers prophétique de Tyrtée (3, 1): « ἁ φιλοχρηματία Σπάρταν ὀλεῖ ἄλλο δὲ οὐδέν : C'est l'amour des richesses qui perdra Sparte, et rien d'autre ».

25.  Image probablement empruntée au XXII« chant de l'Iliade, où le poète raconte comment furent pesés sur une balance d'or le sort d'Achille et celui d'Hector.

26.Les événements de 412 et de 404 à Athènes peuvent servir d'illustration à ce passage.

27. Thucydide (III, 27) nous apprend que le peuple de Mytilène ayant reçu des armes, ordonna aux riches de mettre en commun le blé qu'ils tenaient caché, en les menaçant de livrer la ville aux Athéniens.

28. Etymologiquement oligarchique signifie peu nombreux.

29A Sparte, « la constitution de Lycurgue interdisait formellement l'aliénation d'un certain minimum du lot originel, appelé ἀρχαία μοῖρα. » (Adam, éd. cit., II, p. 223 n.)

30. Cf. Isocrate, Aréopag., 83 : « Alors, il n'y avait (à Athènes) aucun citoyen qui manquât du nécessaire, et qui déshonorât la cité en demandant l'aumône au premier venu; mais aujourd'hui les gens dépourvus de ressources sont plus nombreux que les possédants; et il convient d'avoir pour eux beaucoup d'indulgence s'ils ne s'inquiètent nullement des affaires communes, mais se préoccupent de savoir comment ils subviendront, chaque jour, aux besoins de l'existence. »

31.  L'ignorance des chefs (ἀπαιδευσία) est le trait caractéristique de l'oligarchie.

32. Allusion au roi des Perses que les Grecs, comme on sait, appelaient le Grand Roi.

33. Voy. dans Xénophon (Cyrop. II, 4, 6) la description des insignes du Grand Roi.

34. Cet aveugle, dit le Scoliaste, est Plutus,le dieu des richesses.

35. Les mss. portent : καὶ ἔτι μάλιστα εὖ, ce qui ne présente aucun sens. La correction de Schneider : καὶ ἐτίμα μάλιστα. - Εὖ, est aujourd'hui adoptée par tous les éditeurs.

36.De même la cité oligarchique enferme deux partis en état de sourd antagonisme : celui des riches et celui des pauvres; mais les riches conservent le pouvoir.

37. Cette admirable description peut s'appliquer, à peine retouchée, aux « modérés . de tous les temps, qui font passer la conservation de leur fortune personnelle avant celle de l'ordre social qui la légitime et la défend.

38.  En somme les oligarques en viennent à n'avoir plus aucune supériorité réelle sur les pauvres. Dès lors leur ruine est inévitable: eux-mêmes en auront été les ouvriers.

39. L'image est probablement empruntée à Sophocle (Œdipe-Roi, 961) : σμικρὰ παλαιὰ σώματ' εὐνάζει ῥοπή.

40. Entre autres exemples d'interventions de ce genre, que nous offre l'histoire grecque, celui de Corcyre mérite d'être cité. En 427, la guerre civile mit aux prises, dans cette cité, démocrates et oligarques. Athènes et les Péloponnésiens envoyèrent du secours au parti démocratique qui put ainsi triompher. Au témoignage de Thucydide les représailles des vainqueurs durèrent plusieurs jours et furent affreuses. Elles eurent leur répercussion dans toute la Grèce, divisée en deux camps ennemis.

41. Cf. Aristote, Rhét. I, 8. 1265 b : « δημοκρατία μὲν πολιτεία ἐν ᾗ κλήρῳ διανέμονται τὰς ἀρχάς : la démocratie est le gouvernement dans lequel les magistratures sont réparties par la voie du sort »

42. « La liberté est l'ὑπόθεσις fondamentale de la démocratie antique : ὑπόθεσις μὲν οὖν τῆς δημοκρατικῆς πολιτείας ἐλευθερία, dit Aristote (Polit. Z, 2. 1317 a). Elle implique selon lui deux idées: 1° τὸ ἐν μέρει ἄρχεσθαι καὶ ἄρχειν; 2°  τὸ ζῆν ὡς βούλεταί τις (ibid., 1317 b). A travers tout ce passage, Platon illustre la seconde de ces caractéristiques. » (Adam, éd. cit., II, pp. 234-35 n.)

43.  Simple juxtaposition et non agrégat de constitutions diverses, la démocratie est le gouvernement le plus incohérent et le plus instable. La démocratie athénienne, que Platon semble viser ici, se distingua tout particulièrement par ces défauts. Voy. Thucydide, I, 44; II, 45; III, 56; IV, 28 et VIII, 1.

44. 574. ἡ πραότης ἐνίων διασθέντων. - Nous suivons ici Schneider, qui considère ἐνίων διασθέντων comme un génitif objectif : lenitas erga damnatos.

45. Voy. liv. IV, 424 e sqq. et VI, 492 e.

46. La véritable égalité politique, selon Platon, est d'ordre géométrique : elle accorde plus à celui qui est plus considérable, et moins à celui qui l'est à un degré moindre : τῷ μὲν μείζονι πλείω... τῷ δ' έλάττονι σμικρότερα νέμει. (Lois, 757 c). Elle se fonde donc sur la valeur personnelle de chacun, et non sur sa simple qualité de citoyen.

47.Dans la République, Platon divise les désirs en trois classes: 1° les désirs nécessaires; 2° les désirs superflus mais légitimes; 3° les désirs superflus et illégitimes (liv. IX, 571 b). Il semble bien qu'Epicure se soit inspiré de cette classification. On sait, en effet, qu'il distingue : 1° les désirs naturels et nécessaires; 2° les désirs naturels et non-nécessaires; 3° les désirs non-naturels et non-nécessaires. A une nuance de vocabulaire près, sa classification est identique à celle que propose ici Socrate.

48. Nous lisons avec Adam : μεταβολῆς ὀλιγαρχίας τῆς ἐν ἑαυτῷ εἰς δημοκρατία. - Burnet conserve le texte des mss. (ὀλιγαρχικῆς τῆς ἐν ἑαυτῷ εἰς δημοκρατικήν), mais suppose qu'il y a une lacune après μεταβολῆς.

49. On sait que les compagnons d'Ulysse, après avoir mangé des fruits de lotos, perdirent tout souvenir de leur patrie (Odyssée, IX, 94 sqq.). De même le jeune homme qui vit dans la compagnie de ces Lotophages que sont les frelons, et se plonge en de vulgaires délices, oublie sa divine origine, et qu'il a, lui aussi, une patrie céleste.

50. Cf. Thucydide, III, 82, et Isocrate, Aréop., 20, Panath., 131

51.Allusion aux rites éleusiniens. Voy. V. Magnien, Les Mystères d'Eleusis, ch. VI: Initiation aux Grands Mystères, p. 132 sqq. (Paris, Payot, 1929).

52. Il semble que Platon trace ici le portrait d'Alcibiade.

53Ainsi le jeune noble Athénien, qui devait un jour trahir sa patrie, entendit en vain les conseils de Socrate.

54. L'anarchie de l'homme démocratique, répond parfaitement, comme on voit, à celle de l'État populaire.

55. τίς τρόπος τυραννίδος... γίγνεται. Il faut entendre avec Schneider : « prodit, quaerentibus se offert ".

56. Nous lisons πλοῦτος et non ὑπέρπλουτος, que l'on ne trouve jamais employé comme substantif, et qui d'ailleurs n'est point ici nécessaire au sens.

57. Cicéron (De Rep., Iib. I, xLiii) a traduit ce passage de la façon suivante : « Cum enim, inquit, inexplebiles populi fauces exaruerunt libertatis siti, malisque usus Ille ministris non modice temperatam, sed nimis meracam libertatem sitiens hausit, tum magistratus et principes, nisi valde Ienes et remissi sint et large sibi libertatem ministrent, insequitur, insimulat, arguit; praepotentes, reges, tyrannos vocat. »

58. « Pour établir la démocratie, dit Aristote (Polit., Z, 2), et pour rendre le peuple puissant, ceux qui sont à la tête du gouvernement comprennent d'ordinaire parmi les citoyens le plus grand nombre d'individus qu'ils peuvent, et donnent le droit de cité non seulement aux enfants légitimes, mais encore aux bâtards et aux étrangers, car tous les éléments sont bons pour former un tel peuple. »

59. Cf. Xénophon, Const. d'Athènes, I, 10 sqq.: « τῶν δούλων δ' αὖ καὶ τῶν μετοίκων πλείστη ἐστὶν Ἀθήνῃσιν ἀκολασία, καὶ οὔτε παντάξαι ἔξεστιν αὐτόθι, οὔτε ὑπερστήσεταί σοι ὁ δοῦλος : Quant aux esclaves et aux métèques, nulle part leur licence n'est si grande qu'à Athènes; là il n'est point permis de les frapper, et l'esclave ne se rangera pas sur votre passage. »

60. « Certains critiques ont accusé Platon d'oublier ici le libéralisme du livre V (Krohn, Plat. St., p. 214); mais la cité idéale est une chose, et une démocratie déréglée en est une autre, et la corruptio pessimi dans les relations entre les deux sexes comme ailleurs peut bien être la pire. » (Adam, éd. cit. II, p. 248 n.)

61.  Le proverbe est le suivant d'après le Scoliaste : « οἵαπερ ἡ δέσποινα τοία χἀ κύων : telle maîtresse, telle chienne. »

62. Eschyle frgt 337 Dindorf - 334 Nanek.

63. Cf. Démosthène, Olynth. II, 29.

64. Nous adoptons la correction d'Adam et nous lisons : και εὐπορώτατον ἐντεῦθεν βλίττειv.

65. « Nos pères, dit Isocrate (Antidosis, 318), ne cessèrent d'accuser les plus illustres des citoyens, et les plus capables de faire du bien a l'État, d'être des oligarques et des laconisants, qu'ils ne les eussent contraints de le devenir et de mériter les accusations portées contre eux. »

66Cf. Aristote, Polit. E, 10. 1310 b ; « σχεδὸν γὰρ οἱ πλεῖστοι τῶν τυράννων γεγόνασιν ἐκ δημαγωγῶν ὡς εἰπεῖν, πιστευθέντες ἐκ τοῦ διαβάλλειν τοὺς γνωρίμους : La plupart des tyrans sont sortis de la classe des démagogues; ils avaient gagné la confiance (du peuple) en calomniant les notables. »

67 Voy. Hécatée de Milet, frgt 375, dans les Frag. Hist. Graec. de Müller, et Pausanias, VIII, 2, 6.

68. Cf. Thucydide, VIII, 65, 2.

69. Ainsi, entre bien d'autres, procédèrent Théagène de Mégare, Pisistrate et Denys Ier de Syracuse.

70. D'après Hérodote, I, 55.

71. Homère, Iliade, XVI, 776.

72. Cf. Aristote, Polit., E, 11. 1313 b.

73. Aristote (Polit., F, 13. 1284 a) rapporte que Périandre, consulté par Thrasybule sur le meilleur moyen de gouverner, coupa en silence quelques épis qui s'élevaient au-dessus des autres dans un champ de blé. Et Thrasybule comprit qu'il devait se débarrasser des citoyens les plus éminents. Selon Hérodote (V. 92) c'est Thrasybule qui aurait été consulté par Périandre, et lui aurait fait cette silencieuse réponse.

74. Nous lisons avec Burnet, qui conserve le texte des mss. AFDM : τίς δὲ αὐτόθεν; ἆρ' οὐκ ἀν ἐθελήσει -. La correction adoptée par la plupart des éditeurs : τί δὲ; αὐτόθεν ἆρ' οὐκ ἀν ἐθελήσει, ne nous paraît pas absolument indispensable.

75. Euripide, Troyennes v. 1177.

76. Cf. Lois, 817 c.

77. C'est ce que fit, par exemple, Denys l'Ancien, tyran de Syracuse, au grand scandale du monde hellénique (Voy. Diodore de Sicile, XIV, 65).

78.  « τον καπνον φεύγων εἰς το πῦρ ἐνέπεσον. » (Diogène Laérce, VIII, 45).