Platon : Cratyle

PLATON

CRATYLE- Κρατύλος

NOTES

425c - 440e

Traduction française · Victor COUSIN.

VOLUME XI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PLATON

 

CRATYLE- Κρατύλος

 

 

 

 

 

 

précédent

 

489 NOTES SUR LE CRATYLE.

Nous avons eu sous les yeux l'édition critique de Heindorf, le texte de Bekker, avec la traduction latine de Ficin, celui de Ast et sa nouvelle traduction latine ; enfin, la traduction allemande de Schleiermacher, seconde édition, Berlin, 1824.

Le Cratyle n'avait pas encore été traduit en français. Outre la difficulté du texte et l'apparente aridité du sujet, on avait dû reculer devant la nécessité de reproduire en grec même la multitude de mots indispensables pour rendre raison des étymologies. Partout où il ne s'agit pas de noms propres, Schleiermacher a osé substituer des équivalens, pris dans la langue allemande, en imitant les dérivations imaginées par Platon. Quand même la langue française nous eût offert les mêmes facilités, nous n'aurions pas cru devoir nous livrer à ce travail fort inutile ; car, malgré toutes ces substitutions plus ou moins heureuses, le Cratyle ne peut être compris, dans le 490 détail de ses étymologies, que par un lecteur qui a une certaine connaissance du grec.

PAGΕ 4.  —  Les nouveaux qu'il nous plaît de leur donner ne valent pas moins que les anciens.

Bekker (partis secundœ volumen secundum, p. 5), enferme cette phrase entre crochets, comme suspecte. Cornarius l'avait déjà considérée comme une glose. Ast incline à la même opinion. Schleiermacher,n'y voit aussi qu'une répétition inutile de ce qui précède, et la néglige dans sa traduction. On n'en trouve pas trace non plus dans la traduction de Ficin. Cependant nous croyons devoir la conserver avec Heindorf. Tous les manuscrits la donnent, et d'ailleurs ce n'est pas une pure répétition. Dans la phrase précédente, la proposition est générale; ici il s'agit de l'appliquer au changement des noms et des choses ; il est donc assez naturel de la reproduire à peu près dans les mêmes termes. Ces sortes de redites sont fréquentes dans le style de la conversation, Seulement je retrancherais volontiers avec Cornarius le premier κειμένου. Heindorf va trop loin en retranchant aussi τοῦ προτέρου. Il n'y a plus rien alors qui corresponde à ὕστερον, et l'équilibre de la phrase est détruit.

PAGE 18.  —  C'est de l'œuvre du législateur qu'il fait usage, etc.

491 Je lis ici et partout, avec Bekker et Schleiermacher, ὁ νομοθέτης, et non pas ὁ ἀνομαθέτης.

PAGE 29.  —  « Or, tu sais ce que dit Homère, que les Troyens appelaient Astyanax le fils d'Hector ; il est donc clair que c'étaient les femmes qui l'appelaient Scamandrios, puisque les hommes lui donnaient le nom d'Astya-nax, etc. »

On peut voir ici un nouvel exemple de l'abus que Platon fait quelquefois du texte homérique, en le citant de mémoire. Le nom de Scamandrios est opposé à celui d'Astyanax au livre VIl, vers 403 sqq. (entrevue d'Hector et d'Andromaque) :

 Ἑκτορίδην ἀγαπητὸν ἀλίγκιον ἀστέρι καλῷ,
τόν ῥ᾽ Ἕκτωρ καλέεσκε Σκαμάνδριον, αὐτὰρ οἱ ἄλλοι
Ἀστυάνακτ᾽: οἶος γὰρ ἐρύετο Ἴλιον Ἕκτωρ.

L'unique fils d'Hector, semblable à un astre brillant:
Scamandrios était le nom qu'Hector donnait à son fils, mais les autres
L'appelaient Astyanax, car Hector seul protégeait Ilion.

Il n'est donc pas question d'un nom donné par le» hommes et d'un autre par des femmes, et le passage d'Homère a fourni de bien faibles élémens à la question discutée par Socrate.

492 PAGE 31.  —  De même pour la race animale, le nom d'homme ne convient à la progéniture d'un homme qu'autant qu'elle est conforme à son espèce. BEKKER, p. 24 : οὐδ᾽ ἂν ἐξ ἀνθρώπου οἶμαι μὴ τὸ ἀνθρώπου ἔκγονον γένηται, ἀλλ᾽ἐὰν τὸ ἔκγονον ἄνθρωπος κλητέος

Heindorf et Schleiermacher préfèrent à cette leçon celle de H. Etienne : ἄλλο δὲ τὸ ἔκγ. ἄ. κ. Mais d'abord cette dernière leçon n'est dans aucun manuscrit. Ensuite l'ellipse que suppose la leçon authentique, et que Schleiermacher trouve presque intolérable, nous parait, au contraire, fort naturelle et élégante; ἄλλο δέ serait une redondance qui n'ajouterait rien à μὴ τὸ ἄνθρωπον ἔκγονου.

PAGE 36,  —  La preuve de cette inébranlable énergie est dans le long séjour qu'il fit devant Troie. BEKKER, p. 28.

Tous les manuscrits donnent : σημεῖον αὐτοῦ ἑ ἐν Τροίᾳ μόνη τοῦ πλήθους τε καὶ καρτερίας. La phrase ainsi écrite, il n'y a pas de construction possible, et πλήθους n'a pas de sens. H. Etienne lit, sans doute sur la seule autorité de la traduction de Ficin : σημεῖον αὐτοῦ τῆς καρτερίας ἡ ἐν Τροίᾳ μονὴ μετὰ τοσούτου πλήθους, et Heindorf adopte cette leçon. Schleiermacher l'a suivie, tout en reconnaissant qu'il serait facile d'en trouver une meilleure sans s'écarter, autant des 493 manuscrits. Je n'ai pas cru devoir les imiter ; μετὰ τοσούτου πλήθους me semble une addition insignifiante, qui allourdit inutilement la phrase; il suffirait, je crois, dans la leçon donnée par les manuscrits et conservée par Bekker, de changer πλήθους, et d'y substituer un mot qui répondit au διαπονεῖσθαι de la phrase précédente, comme καρτερία répond à καρτερεῖν. J'ai traduit dans cet esprit.

PAGE 71.  —  C'est aussi à ce mot εἴρειν qu'Iris doit sans doute son nom, en sa qualité de messagère. BEKKER, p. 54,

Heindorf, Bekker et Ast considèrent cette phrase cpmme une interpolation; Schleiermacher incline aussi à la rejeter. Cependant elle se trouve dans tous les manuscrits, et j'ai cru devoir la conserver. Il est vrai, comme Schleiermacher le remarque, qu'il.ne s'agit dans ce qui suit comme dans ce qui précède, que de l'étymologie du nom d'Hermès. Mais il est naturel qu'après avoir rapporté ce nom à ἑρμηνεύς, et, en dernière analyse, à.εἴρειν (parler), Spcrate ajoute en passant et par fprme de. parenthèse que le nom d'une autre divinité a été également tiré, pour une raison analogue, de la même racine. Il est naturel aussi qu'Hermogène, dans sa réponse, ne rappelle point cette courte.parenthèse; car ce qui l'intéresse et appelle toute son attention, c'est 494 le nom d'Hermès, d'où dérive celui d'Hermogène y qui est le sien. Il est assez dans l'habitude de Platon de jeter au passage une idée qui se présente à lui, sans avertir, comme le ferait un écrivain moderne, par cette formule, pour le dire en passant, ou toute autre semblable. C'est ainsi qu'à l'occasion du nom de Dionysos (Bacchus), il a donné l'étymologie du mot οἶνος (vin), et qu'ici même il explique ἐμήσατο par μηχανήσασθαι.

PAGE 81. —  En conséquence, il faut retrancher la lettre ε, et dire πιστήμη, fidèle. BEKKER, p. 62 : διὸ δὴ ἐμβάλλοντας δεῖ τὸ εἶ ἐπιστήμην αὐτὴν ὀνομάζειν.

La traduction s'écarte du texte de Bekker et des manuscrits, pour adopter avec Schleiermacher la conjecture de Cornarius, par la nécessité de concilier ce passage avec un autre, qui se trouve vers la fin de ce dialogue, où Platon revient sur le mot ἐπιστήμη. On a donc traduit comme s'il y avait : διὸ`δεῖ ἐκβάλλοντας δὴ τὸ ε πιστήμην αὐτὴν ὀνομάζειν La leçon d'H. Etienne, ἐπιστημένην, est un double barbarisme, qui ne peut être admis, et cela d'autant «oins, que si on fait porter l'explication étymologique sur le verbe ἕπεσβαι (ἑπομένης), qui précède, cette explication ne rend compte que de la première partie du mot ἐπιστήμη. Même objection pour ἐπιστήμη conjecture de 494 Heindorf. Pour rendre raison de la seconde partie de ce mot, il.ne suffisait pas de laisser conjecturer au lecteur, comme le fait Heindorf, qu'elle est supposée par Socrate dériver de ἴσημι, savoir. Quant à ἐκβάλλοντας, au lieu de ἐμβάλλοντας,, on ne le trouve dans aucun manuscrit, non plus que πιστήίμη : mais en revanche ces deux leçons se trouvent dans le second passage, d'où elles doivent nécessairement être reportées dans celui-ci, sous peine de laisser subsister une incohérence choquante entre deux passages qui doivent se rattacher l'un à l'autre et se correspondre. « Reprenons d'abord le mot ἐπιστήμη, science, en sorte qu'il vaudrait mieux prononcer le commencement, comme on le fait aujourd'hui, et au lieu de retrancher l'ε ajouter un ι, ἐπιιστήή.» Bekker, p. 114: καὶ ὀρθότερόν ἐστιν ὥς περ νῦν αὐτοῦ τὴν ἀρχὴν λέγειν μᾶλλον ἢ ἐκβάλλοντας τὸ εἶ πιστήμην, ἀλλὰ τὴν ἐμβολήν ποηίσασθαι ἀντὶ τῆς ἐν τῷ εἷ ἐν τῷ ἰῶτα. Ce passage ainsi donné par tous les manuscrits, et accepté de tous les éditeurs, éckircit et constitue le précédent, et renverse toutes les conjectures de Heindorf, qui, si elles étaient admises sur le premier passage, devraient faire considérer le second comme entièrement défiguré. La vraie critique impose le procédé contraire, et veut que le passage certain serve à expliquer le passage douteux, au lieu d'embrouiller celui-là par celui-ci.

PAGE 86.  —  Le mot θάλλω lui-même, végéter, me 496 paraît représenter ce qu'il y a de rapide et presque de soudain dans la croissance des jeunes gens. BEKKER, p. 66.

Heindorf imagine que Platon fait consister l'imitation des mots θεῖν et ἅλλεσθαι par le mot  θάλλεσθαι, en ce que dans ce mot on saute de la première lettre de θεῖν à ἅλλεσθαι. Il n'est pas besoin de recourir à cette explication un peu forcée ; il suffit que le mot composé représente, dans sa signification, le sens des deux racines qni lui sont assignées, comme dans la plupart des exemples qui précèdent et qui suivent.

PAGE 103.  —  Tu me parais maintenant, Socrate, hâter et presser tes explications, SOCR. C'est que les oracles du dieu vont bientôt finir. Je veux pourtant faire encore un essai sur les mots nécessité, ἀνάγκη, et volontaire, ἑκούσιον, qui viennent naturellement à la suite des précédents. HERM. Soit. SOCR. D'abord, etc. BEKKER, p. 79 : ΕPM.  Ταῦτα ἤδη μοι δοκεῖς, ὦ Σώκρατες, πυκνότερα ἐπάγειν· τέλος γὰρ ἤδη θέω· ἀνάγκην δ᾽ οὖν ἔτι βούλομαι διαπερᾶναι, ὅτι τούτοις ἑξῆς ἐστι, καὶ τὸ ἑκούσιον. ΣΩΚΡ. Τὸ μὲν οὖν  « ἑκούσιον, etc.

La leçon de Bekker est celle de tous les manuscrits : mais elle ne donne pas un sens qui nous ait satisfait, et nous avons préféré suivre Schleiermacher. D'abord 497 il nous a paru évident qu'il faut attribuer à Socrate les mots τέλος γὰρ ἢ. θ., ainsi que ce qui suit ; comme le dit Schleiermacher, la seule répétition de ἤδη suffit à le prouver; et d'ailleurs l'édition d'Alde contient déjà cet ordre d'interlocution. Quant à τέλος γὰρ ἤδη θεῷ, Heindorf, après avoir réfuté les interprétations et les conjectures de Ficin, d'H. Etienne, d'Abresch, de Fischer, toutes très malheureuses, déclare que, grammaticalement, il est impossible de trouver aucun sens à ces mots; il lui paraiî étrange que Socrate parle ainsi de finir, presque au milieu de son discours et lorsqu'il va bientôt encourager Hermogène à faire de nouvelles questions : ἕως πάρεστιν ἡ ῥώμη... Voici comment cet ingénieux critique croit pouvoir remplir la lacune qu'il suppose exister dans ce passage : EPM. Ταῦτα ἤδη μοι δοκεῖς, ὦ Σώκρατες, πυκνότερον ἐπάγειν, τέλος γὰρ ἤδη ἐπιθεῖναι βόύλεσθαι. ΣΩΚΡ, Ἀλλ' οὔπω, πρὶν ἀποκαμεῖν. Ἀλλὰ τοῦτο μὲν μελήσει τῷ θεῷ. Ἀνάγκην οὖν, etc. Mais en vérité il ne faut considérer ceci, de la part d'Heindorf, que comme un essai et comme un jeu de la critique. Sans rien changer au texte de Platon, on peut très bien ajouter, avec Schleiermacher, la courte réponse d'Hermogène, que nous avons admise et rendue par soit. Si on refuse cette addition, il faut attribuer à Hermogène, avec les manuscrits, mais contre toute vraisemblance, les mots ἀνάγκην δ' οὖν ἔτι βούλομαι 498 διαπερᾶναι..., on bien il faut, en les attribuant à Socrate, supprimer le signe ΣΩΚΡ., qui vient ensuite dans tous les textes, devant τὸ μὲν οὖν ἐκούσων, et supposer que Socrate continue, sans attendre l'assentiment que ses interlocuteurs sont dans l'usage d'exprimer en pareil cas.

PAGE 114.  —  Ces divisions établies il faudrait passer à l'examen des noms. BEKKER, p. 88 : καὶ ἐπειδὰν ταῦτα διελώμεθα τὰ ὄντα εὖ πάντα, αὖθις δεῖ ὀνόματα ἐπιθεΐναι....

Cette expression τὰ ὄντα est bizarre, d'autant plus que, selon la remarque d'Heindorf, Platon oppose en général dans ce dialogue les noms aux êtres. Ονόματα έπιθεΐναι n'est pas moins étrange; il semble que cela ne puisse signifier qu'imposer des noms, comme ὀνόματα θέσθαι ou ἐπιφέρειν. Mais cette interprétation ne s'accorderait pas avec ce qui précède; après l'examen des élémens du nom, il doit s'agir de l'examen des noms eux-mêmes, et au lieu d'ἐπιθεῖναι la raison suggère un mot tel qu'ἐπιδεῖξαι ou ἐπισκέψασθαι. C'est ce que propose Schleiermacher, et j'ai adopté cette correction. Mais je ne me dissimule pas qu'elle est loin d'être satisfaisante; car il faudrait τὰ ὀνόματα, et non pas la forme indéfinie ὀνόματα. J'incline donc à croire avec Heindorf et Schleiermacher que ce passage est mutilé, qu'après la division 499 des lettres, il devait être question de là division des êtres, τὰ ὄντα, puis des noms qui doivent leur être appliqués, et de la correspondance des divisions des noms à celles des choses.

PAGE 118.  —  Mais il faudrait dire à la rigueur κίεσις. BEKKER, p. 92 : ἔδει δὲ κιείνησιν καλεῖσθαι ἢ εἶσιν.

Les manuscrits, au lieu de κίεσις, donnent κιείνησις, et εἷσις ou ἴεισις. Mais quel rapport κιείνησις, εἷσις ou ἴεισις ont-ils avec l'étymologie qui vient d'être assignée à κίνησις? Platon fait venir çe mot de ἴεσις et de la première lettre de κίειν, comme plus haut θάλλειν de ἅλλεσθαι, et de la première lettre de θεῖν. Il suppose que Γη de κίνησις est une corruption de Γε de ἴεσις, et le ν une addition. La forme primitive de κίνησις doit donc être, selon lui, κίεσις, correction proposée par Schleiermacher.

Nous terminerons ces notes sur le Cratyle par de courts extraits du commentaire de Proclus sur ce dialogue, d'après l'édition de M. Boissonade, Leipsick, 1820.

Ce commentaire n'est lui-même qu'un abrégé de l'ouvrage de Proclus. Il est intitulé : Extraits utiles des scholies du philosophe Proclus sur le Cratyle de Platon : τὰ τῶν τοῦ φιλοσόφου Πρόκλου σχολίων εἰς τὸν Κράτυλον Πλάτωνος ἔκλογαι χρήσιμοι. Quelquefois l'abré- 500 viateur prend la place de l'auteur et eu fait l'éloge. La forme habituelle est celle des scholies d'Oiympiodore sur le Phllèbe: ὅτι. Cet abrégé a 119 pages dans l'édition de M. Boissonade. Il n'embrasse pas la moitié du dialogue de Platon dans les deux manuscrits de Paris et dans celui du Vatican, dont s'est servi réditeur. Les manuscrits de Munich, que Werfer et Creuzer ont fait connaître, ne. vont pas plus loin, et je puis assurer que les manuscrits de Turin, de Milan et de Venise, que j'ai soigneusement comparés, s'arrêtent au même point.

Ces scholies sont très importantes pour la mythologie alexandrine. C'est de là que Werfer {Actae philologrum Monacensium) et Creuzer (Meletemata critica, etc.) ont tiré un assez grand nombre de fragment orphiques; et Taylor (Classical Journal, t. 17) y a puisé utilement pour sa collection des oracles chaldaïques. On conçoit combien doit être riche en documens mythologiques le commentaire, même le plus abrégé, d'un dialogue où les noms de tous les dieux et de toutes les déesses antiques sont expliqués, comme étant la représentation fidèle du caractère même et de l'essence des divinités qu'ils désignent.

La valeur philosophique et historique de ces scholies est beaucoup moindre. Il est surtout à. regretter que le préambule, où d'ordinaire Proclus fait 501 connaître les écrits de tes devanciers et expose leurs mérites et leurs défauts, ne nous fournisse aucuq renseignement sur les travaux antérieurs à celui-ci.

On y voit partout que Proclus prend fort au sérieux le dialogue de Platon, puisqu'il réfute quelque fois ses étymologies et les remplace par ses propres conjectures, qui ne sont pas toujours plus heureuses que celles de Platon. Si un seul critique, dans l'antiquité, se fût avisé de considérer le Cratyle comme une ironie perpétuelle, il est impossible que Proclus n'eàt pas indiqué quelque part dette opinion, et que Fabréviateur inconnu n'en eût pas conservé la trace.

Proclus établit très bien le but du Cratyle, p. 3, ch. VII.:« Le présent dialogue nous enseigne la valeur propre des mots, et c'est par cette étude que doit commencer quiconque veut devenir dialecticien. »

P. 1 ch. II : « Le Cratyle est un dialogue dialectique, non de la dialectique péripatéticienne, qui est toute abstraite, mais de celle du grand Platon, qui place la dialectique après les mathématiques et après l'éthique, comme l'introduction à la haute philosophie, à la connaissance de la cause unique de toutes choses, le bien (88

502 Ibid. « L'analytique (89) péripatéticienne, avec son procédé, la démonstration, est facile à comprendre, et accessible à quiconque n'est .pas tout-à-fait aveugle. »

P. 3, ch. VIII : « Comme dans le Parmènide, Platon fait connaître la dialectique, non la vaine (100), mais celle qui entre dans le fond des choses ; de même ici il traite de la grammaire dans son rapport avec la science des êtres. ».

Ibid., ch. IX : « Évidemment il veut enseigner les principes des êtres et de la dialectique, puisqu'il parle en même temps et des noms et de ce qu'ils désignent.»

P. 4-5, ch. XI : « Les personnages sont : Cratyle l'héraclitéen, dont Platon suivit les leçons, et qui prétend que les noms sont tous naturels; que ceux qui ne sont pas naturels ne sont pas des noms, de même que celui qui dit faux ne dit rien; Hermogène le socratique, qui prétendait, au contraire, qu'il n'y a pas de noms naturels, et qu'ils sont tous de convention; enfin, Socrate, qui divise la question, en faisant voir qu'il y a des noms naturels, et des noms conventionnels qui sont comme l'effet du hasard. »

603 Ibid. «Les noms des choses éternelle» viennent plutôt de la nature, et ceux des choses périssables du hasard.»

P. 6, ch. XVII : « L'opinion de Cratyle fut celle de Pythagore et d'Épicure (90); Démocrite (91) et Aristote (92) pensèrent comme Hermogène. Comme on demandait à Pythagore quel est de tous les êtres le plus sage : C'est le nombre, répondit-il. Et après le nombre? C'est, dit-il, celui qui a donné les noms aux choses. Il voulait désigner par le nombre le monde intelligible ; et par celui qui a donné les noms, l'âme, qui doit l'être à l'intelligence. Il n'attribuait donc pas l'institution des noms au hasard, mais au principe qui contemple l'intelligence et la nature des êtres ; il croyait donc que les noms étaient selon la nature.

Ibid. « Démocrite, qui attribuait les noms à une institution humaine, cherchait à établir cette opinion par quatre argumens. Il tirait le premier de l'homonymie : on donne le même nom à des choses différentes; les noms ne sont donc pas conformes à la nature. II prenait le second de la synonymie : si des noms différens pouvaient convenir à une seule et même chose, ta réciproque serait vraie, ce qui est 604 impossible. Il alléguait, pour troisième preuve, le changement des noms. Pourquoi aurait-on changé le nom d'Aristoclès en celui de Platon, et le nom de Tyrtame en celui de Théophraste, si les noms venaient de la nature? Enfin, il arguait du défaut d'analogie ; pourquoi n'y a-t-il pas un verbe qui vienne de δικαιοσύνη, comme φρονείν de φρόνησις ? Il concluait que les noms viennent du hasard et non de la nature (93). »

P. 9, ch. XVIII : «Épicure disait que les premiers qui ont établi les noms ne l'ont pas fait avec science, mais par des mouvemens naturels, comme lorsque l'on tousse, qu'on éternue, qu'on se mouche, qu'on sanglote et gémit (94).»

P. 19. « Aristote dit que le langage est significatif, mais par pure convention. Bien de plus simple, dit-il: la nature nous a donné la voix comme le mouvement corporel; nous formons les noms avec la voix, comme la danse avec les mouvemens du corps (95). Mais Proclus lui répond : Le nom n'esj pas entièrement l'ouvrage des organes physiques; en tant que nom, il signifie quelque chose; car la voix n'est pas le nom. La voix est formée tout entière par les organes phy-  605 siques, tels que la langue, les artères et le poumon ; mais si ces organes concourent. à la production du nom en en donnant la matière, ee qui l'achève c'est la pensée de celui qui l'institue, laquelle accommode la matière à la forme et au type. »

P. 28. « A ce raisonnement d'Aristote : ce qui est par nature est le même partout ; or les noms ne sont pas partout les mêmes, donc ce qui est par nature n'est pas un nom, et les noms ne sont pas par nature ; Proclus oppose la réfutation suivante. A la majeure il répond : si le nom est une forme qui peut être en des matières différentes, il est le même partout en tant que forme; or l'hypothèse est vraie, donc la conséquence est vraie aussi. Il répond à la mineure : l'œil est formé par la nature, de même la voix, la couleur et les grandeurs ; or tout cela n*est pas le même partout. »

(88) Oὐ κατὰ τὰς τοῦ Περιπάτου φιλὰς τῶν πραγμάτων μεθόδους διαλεκτικὰς, ἀλλὰ κατὰ τὸν μέγαν Πλάτωνα, εἰδότα τὴν διαλεκτικὴν ἁρμόζειν μόνοις τοῖς κεκαθαρμένοις τὴν διάνοιαν τελέως καὶ διὰ τῶν μαθημάτων παιδευθεῖσι καὶ διὰ τῶν ἀρετών τὸ νεαροπρεπὲς τῶν ἠθῶν ἀποκαθαρθεῖσιν καὶ ἁπλῶς γνησίως φιλοσοφήσαοιν, καὶ θριγκὸν οὖσαν τῶν μαθημάτων καὶ ἀνάγουσαν ἡμᾶς ἐπὶ τὴν μίαν πάντων αἰτίαν, τἀγαθόν,....

(89)  Ἢ γὰρ τοῦ Περιπάτου ἀναλυτικὴ καὶ τὸ ταύτης κεφάλαιον, ἡ ἀποδειξις, πᾶσιν εὔληπτα καὶ ἀρίδηλα τοῖς μὴ παντάπασι ακοτοδνιῶσιν.

(100) Οὐ ψιλήν.

(90) Diogène, liv. X, p. 75; Gassendi, liv. I, p. 362.

(91) Probablement dans le livre dont parle Diogène, liv. IX, p. 48 : περὶ βημάτων ἢ τὸ Ὀvoμαστικόν.

(92) De l'interprétation, avec le commentaire d'Ammonius.

(93) Renseignements curieux et que nous n'avons trouvés nulle part ailleurs.

(94) Gassendi, t.1, p. 362.

(95) De Interp. III, 4, 4.