MAXIME DE TYR

 

DISSERTATIONS

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

MAXIME DE TYR

 

 

DISSERTATION XXXVI.

Si la vie cynique mérite d'être préférée (01).

Εἰ προηγούμενος ὁ τοῦ κυνικοῦ βίος.

 

[1] Βούλομαί σοι κατὰ τὴν τοῦ Λυδοῦ σοφίαν ποιῆσαι μῦθον· διαλέξονται δέ μοι ἐν τῷ μύθῳ οὐχ ὁ λέων, οὐδὲ ὁ ἀετός, οὐδὲ τὰ τούτων ἔτι ἀφωνότερα, αἱ δρύες, ἀλλ´ ὡδί μοι λελέξεται· Ζεὺς ἦν καὶ οὐρανὸς  καὶ γῆ· οὐρανῷ μὲν πολῖται θεοί· τὰ δὲ γῆς θρέμματα, οἱ ἄνθρωποι, οὔπω ποτὲ ἐν φωτὶ ἦσαν. Καλεῖ δὴ Ζεὺς Προμηθέα, καὶ αὐτῷ προστάττει κατανεῖμαι τῇ γῇ ἀποικίαν, ζῷον ἁπλοῦν, ’κατὰ μὲν τὴν γνώμην ἐγγύτατα ἡμῖν τοῖς θεοῖς, τὸ δὲ σῶμα αὐτῶν ἔστω λεπτόν, καὶ ὄρθιον, καὶ σύμμετρον, καὶ ἰδεῖν ἥμερον, καὶ χειρουργεῖν εὔκολον, καὶ βαδίζειν ἀσφαλές.‘ Πείθεται  ὁ Προμηθεὺς Διί, καὶ ποιεῖ ἀνθρώπους, καὶ οἰκίζει τὴν γῆν. Οἱ δὲ ἐπεὶ γενέσεως ἐπελάβοντο, οὐ χαλεπῶς διέζων· καὶ γὰρ τροφὴν αὐτοῖς ἀποχρῶσαν γῆ παρείχετο, λειμῶνας δασεῖς, καὶ ὄρη κομῶντα, καὶ καρπῶν χορηγίαν, ὅσα γῆ φέρειν φιλεῖ μηδὲν ὑπὸ γεωργῶν ἐνοχλουμένη· παρείχοντο δὲ καὶ αἱ νύμφαι κρήνας καθαρὰς καὶ ποταμοὺς διειδεῖς, καὶ ἄλλων ναμάτων εὐπόρους τὲ καὶ δαψιλεῖς πηγάς· πρὸς δὲ καὶ θάλπος μὲν ἐξ ἡλίου τοῖς σώμασιν περιχεόμενον συμμέτρως αὐτὰ παρεμυθεῖτο, αὖραι δὲ ἐκ ποταμῶν ὥρᾳ θέρους ἐπιπνέουσαι ἀνέψυχον αὐτοῖς τὰ σώματα· περιμάχητον δ´ ἦν τούτων οὐδὲν ἐν ἀφθόνῳ τῇ τῶν αὐτομάτων χορηγίᾳ διαιτωμένοις. Δοκοῦσιν δέ μοι καὶ οἱ ποιηταὶ ἐγγύτατα εἶναι τῷ ἡμετέρῳ τούτῳ μύθῳ, ὑπὸ Κρόνῳ θεῶν βασιλεῖ τοιοῦτόν τινα αἰνιττόμενοι βίον, ἀπόλεμον, ἀσίδηρον, ἀφύλακτον, εἰρηνικόν, ἀπεριμάχητον, ὑγιεινόν, ἀνενδεᾶ· καὶ τὸ χρυσοῦν γένος τοῦτο, ὡς ἔοικεν, ὁ Ἡσίοδος καλεῖ, νεανιευόμενος πρὸς ἡμᾶς.

Je veux conter une fable, à l'instar du Sage de Lydie (02). Mes interlocuteurs ne seront ni le lion, ni l'aigle, encore moins les chênes, bien plus éloignés d'avoir le don de la parole. Voici mon récit. Jupiter existait, ainsi que le Ciel et la Terre. Les Dieux habitaient le ciel. Mais les enfants de la terre, les hommes, n'avaient point encore reçu le jour. Jupiter appelé Prométhée, et lui ordonne d'envoyer sur la terre, pour la peupler, un être simple, doué d'une intelligence très voisine de celle des Dieux, ayant un corps leste, droit, symétrique, d'un doux aspect, capable de faire avec facilité plusieurs genres d'ouvrages, et ayant une allure ferme et solide. Prométhée exécute l'ordre de Jupiter. Il fait l'homme, et donne un habitant à la terre. Celui-ci, dès les premiers temps de son origine, ne vécut pas dans le malaise. Car la terre lui fournissait une nourriture suffisante. Elle lui offrit de riches prairies, des montagnes couvertes de forêts, des fruits en abondance, enfin tout ce qu'elle se plaît à produire sans être fatiguée par l'agriculture. Les Nymphes lui présentèrent dans les fontaines un cristal pur, dans les fleuves une eau limpide ; ailleurs des sources fécondes où chacun pouvait aller puiser. D'un autre côté, la douce chaleur du soleil, qui se répandait autour de lui, le restaurait régulièrement, en hiver, de même que la fraîcheur, qui émanait des rivières, le rafraîchissait, en été. Au milieu de cette abondance de toutes choses que la Nature lui prodiguait d'elle-même, il devait vivre sans sujet de querelle avec ses voisins. Les poètes me paraissent s'être beaucoup rapprochés de ce que je raconte, ici, lorsqu'ils nous ont allégoriquement représenté les hommes qui vécurent sous le règne de Saturne, le Roi des Dieux, sans guerre, sans armes, sans défiance les uns des autres, sans contestation, sans débats, dans un état de santé parfaite, et n'ayant besoin de rien. Tel fut apparemment l'âge qu'Hésiode appelé l'âge d'or, par allusion à celui dont je viens de tracer le tableau (03).

[2] Ἐμοὶ δὲ ὁ μῦθος ἀπελθὼν ἐκποδών, καὶ γενόμενος ἐκ μύθου αὐτὸ τοῦτο λόγος, προϊὼν παραβαλλέτω βίον βίῳ, τῷ προτέρῳ τὸν δεύτερον, εἴτε σιδηροῦν τις αὐτόν, εἴτε καὶ ἄλλῃ πη ὀνομάζων χαίρει, ἡνίκα ἤδη κληρουχήσαντες οἱ ἄνθρωποι τὴν γῆν, ἐπετέμοντο αὐτῆς ἄλλος ἄλλην μοῖραν, περιβάλλοντες αὐτοῖς ἕρκη καὶ τειχία, καὶ τὰ σώματα σπαργάνοις μαλθακοῖς καθειλίξαντες, καὶ τὼ πόδε σκύτεσιν χαρακώσαντες, καὶ χρυσὸν οἱ μὲν τοῖς αὐχέσιν, οἱ δὲ ταῖς κεφαλαῖς, οἱ δὲ τοῖς δακτύλοις περιαρτήσαντες, εὔφημόν τινα καὶ εὐπρόσωπον δεσμόν, καὶ στέγας οἰκοδομησάμενοι, καὶ κλεῖδας καὶ αὐλίους καὶ προπύλαια ἄττα ἐπιστήσαντες· καὶ παρέχοντες τῇ γῇ πράγματα, μεταλλεύοντες αὐτὴν καὶ σκάπτοντες καὶ ὀρύττοντες· καὶ μηδὲ τὴν θάλατταν κατὰ χώραν ἐῶντες, ἀλλὰ ἐπιτειχίσαντες καὶ ταύτῃ σκάφη πολεμιστήρια καὶ πορευτικὰ καὶ ἐμπορευτικά· καὶ μηδὲ τοῦ ἀέρος ἀπεχόμενοι, ἀλλὰ καὶ τοῦτον ληϊζόμενοι, τὰς ὀρνίθων ἀγέλας ἰξῷ καὶ ἕρκεσιν καὶ παντοδαπαῖς μηχαναῖς σαγηνεύοντες· ἀποσχόμενοι δὲ μήτε τῶν ἡμέρων ζῴων δι´ ἀσθένειαν, μήτε τῶν ἀγρίων διὰ δέος, ἀλλὰ αἵματι καὶ φόνῳ καὶ λύθρῳ παντοδαπῷ γαστριζόμενοι· καὶ ἀεί τι ταῖς ἡδοναῖς εὑρίσκοντες νέον, καὶ τῶν ἐώλων ὑπερορῶντες· καὶ διώκοντες μὲν τὰ τερπνά, περιπίπτοντες δὲ τοῖς λυπηροῖς· πλούτου μὲν ὀρεγόμενοι, ἀεὶ δὲ τὸ παρὸν ἐνδεέστερον ἡγούμενοι τοῦ ἀπόντος, καὶ τό τε κτηθὲν ἔλαττον τοῦ προσδοκωμένου· δεδιότες μὲν ἔνδειαν, πληρωθῆναι δὲ μὴ δυνάμενοι· φοβούμενοι μὲν θάνατον, μὴ φροντίζοντες δὲ τοῦ ζῆν· εὐλαβούμενοι νόσους, τῶν δὲ νοσερῶν οὐκ ἀπεχόμενοι· ὑποπτεύοντες μὲν ἄλλους, ἐπιβουλεύοντες δὲ τοῖς πλείστοις· δεινοὶ μὲν πρὸς τοὺς ἀνόπλους, δειλοὶ δὲ πρὸς τοὺς ὡπλισμένους· μισοῦντες μὲν τυραννίδα, τυραννεῖν δὲ αὐτοὶ ἐπιθυμοῦντες· ψέγοντες μὲν τὰ αἰσχρά, τῶν δὲ αἰσχρῶν οὐκ ἀπεχόμενοι· τὰς εὐτυχίας θαυμάζοντες, τὰς ἀρετὰς μὴ θαυμάζοντες· τὰς δυστυχίας ἐλεοῦντες, οὐκ ἀπεχόμενοι τῶν μοχθηρῶν· ἐν μὲν ταῖς εὐπραγίαις τολμηταί, ἐν δὲ ταῖς δυσπραγίαις ἀνάκλητοι· μακαρίζοντες μὲν τοὺς τεθνηκότας, γλιχόμενοι δὲ τοῦ ζῆν, μισοῦντες μὲν τὸ ζῆν, φοβούμενοι δὲ ἀποθανεῖν· προβεβλημένοι μὲν τοὺς πολέμους, εἰρήνην δὲ ἄγειν μὴ δυνάμενοι· ἐν μὲν δουλείᾳ ταπεινοί, ἐν δὲ ἐλευθερίᾳ θρασεῖς· ἐν μὲν δημοκρατίᾳ ἀκατάσχετοι, ἐν δὲ τυραννίδι ἐπτηχότες· παίδων μὲν ἐπιθυμοῦντες, γενομένων δὲ ὀλιγωροῦντες· εὐχόμενοι μὲν τοῖς θεοῖς, ὡς δυναμένοις ἐπαρκεῖν, καταφρονοῦντες δὲ ὡς οὐ δυναμένων τιμωρεῖν· καὶ δεδιότες μὲν ὡς κολάζοντας, ἐπιορκοῦντες δὲ ὡς οὐδὲν ὄντας.

II. Mais voilà ma fable qui s'évanouit, et qui se transforme en une sérieuse réalité. Commençons donc par comparer genre de vie à genre de vie, celui du premier âge à celui du second, soit qu'on lui donne le nom d'âge de fer, ou tout autre quelconque. Les hommes, une fois en possession de la terre, n'en eurent pas plutôt pris, l'un une portion, l'autre une autre, qu'ils s'entourèrent de clôtures et de murs. Ils s'enveloppèrent: le corps de vêtements souples, ils mirent des chaussures de peaux autour de leurs pieds, ils firent des bijoux d'or, les uns pour leur col, les autres pour leur tête, les autres pour leurs doigts, et s'imposèrent ainsi de spécieuses et brillantes chaînes. Ils bâtirent des maisons, ils forgèrent des clefs, ils construisirent des portes et des vestibules, ils tourmentèrent le sein de la terre, en le creusant, en le fouillant, pour en extraire les métaux. Ils ne respectèrent pas même les flots de la mer. Ils firent, pour naviguer, des vaisseaux de guerre, des vaisseaux de transport, des vaisseaux marchands (04). Les campagnes de l'air ne furent pas davantage à l'abri de leurs incursions. La glu, les rets, tous les genres de piège furent mis à contribution, pour faire la guerre aux oiseaux de toutes les espèces (05). Parmi les animaux, la faiblesse et la mansuétude des uns, la terrible férocité des autres, furent un vain rempart contre la gloutonnerie des mortels. Ils ne gorgèrent leur ventre que de tuerie, de carnage et de sang. Ils s'efforcèrent de raffiner, chaque jour, sur leurs jouissances ; et ils dédaignèrent celles du jour précédent. Ils coururent sans cesse après ce qui devait leur faire plaisir; et ils ne rencontrèrent jamais que ce qui devait leur déplaire. Avides des biens de la fortune, ils furent moins riches de ce qu'ils possédaient, que pauvres de ce qu'ils n'avaient pas. Ils redoutèrent la misère; et rien ne fut capable de les assouvir. Ils craignirent la mort; et ils négligèrent les soins nécessaires à la conservation de la vie. Ils eurent peur des maladies ; et ils ne prirent point de précautions pour en écarter les causes. Ils eurent de la défiance à l'égard d'autrui; et ils ne laissèrent pas de tendre des embûches à la plupart de leurs semblables. Ils furent intrépides avec ceux qui étaient sans armes ; et lâches avec ceux qui étaient armés. Ils détestèrent la tyrannie ; et ils désirèrent de devenir eux-mêmes des tyrans. Ils blâmèrent les choses honteuses ; et ils se couvrirent de turpitudes. Ils admirèrent la prospérité ; et ils n'admirèrent point la vertu. Ils eurent de la commisération pour le malheur; et ils ne s'abstinrent pas du vice qui amène l'infortune. Ils furent confiants et audacieux, dans les succès; abattus et consternés, dans les revers. Ils regardèrent comme un bonheur d'être mort; et la vie ne leur parut jamais assez longue. Ils n'aimèrent point à vivre ; et ils redoutèrent de mourir (06). Ils eurent de l'aversion pour la guerre ; et ils furent incapables de rester en paix. Ils rampèrent, dans la servitude ; ils furent insolents, dans la liberté. Sous la démocratie, ils s'abandonnèrent à une licence sans frein; ils ne montrèrent qu'un stupide abattement, sous le despotisme. Ils furent avides d'avoir des enfants, et ils n'en prirent aucun soin, lorsqu'ils furent devenus pères. Ils invoquèrent les Dieux, comme ayant la puissance de leur donner les choses dont ils avaient besoin ; et ils les outragèrent comme incapables de se venger et de punir. Ils tremblèrent devant la verge de leur justice; et ils les bravèrent dans leurs parjures, comme s'ils n'existaient pas (07).

[3] Τοιαύτης τοίνυν στάσεως καὶ διαφωνίας τὸν δεύτερον τοῦτον κατεχούσης βίον, τίνι δῶμεν τὰ νικητήρια φέροντες; τίνα, ποῖον αὐτῶν φῶμεν ἁπλοῦν εἶναι βίον, καὶ ἀπερίστατον, καὶ ἐλευθερίας ἐπήβολον; καὶ ποῖον οὐχ ἁπλοῦν, ἀλλὰ ἀναγκαῖον, καὶ ἐλεεινόν, καὶ περιστάσεων γέμοντα; Φέρε ἐξ ἑκατέρων ἡκέτω τὶς ἡμῖν ἀνὴρ ἐπὶ διαιτητὴν τὸν λόγον· ὁ δὲ αὐτῶν ἐρέσθω ἑκάτερον, καὶ πρῶτον γε τὸν πρῶτον, τὸν γυμνὸν ἐκεῖνον καὶ ἄοικον καὶ ἄτεχνον, τὸν πάσης τῆς γῆς πολίτην καὶ ἐφέστιον· ἐρέσθω δὲ ἀντιτιθεὶς αὐτῷ τὸν τοῦ δευτέρου βίον καὶ τρόπον, πότερα αἱρεῖται μένειν ἐν τῇ πρόσθεν τροφῇ καὶ ἐλευθερίᾳ, ἢ τὰς τοῦ δευτέρου ἡδονὰς λαβὼν σὺν ταύταις καὶ τὰ λυπηρὰ ἔχειν; Ἴτω δὴ μετὰ τοῦτον ὁ ἕτερος· ἀντιτιθέτω δὲ αὐτῷ ὁ δικαστὴς τὴν τοῦ προτέρου δίαιταν καὶ ἐλευθερίαν· καὶ ἐρέσθω, πότερα αἱρεῖται τὰ αὑτοῦ ἔχειν, ἢ μετατίθεται καὶ μετοικίζεται ἐπὶ τὸν εἰρηναῖον ἐκεῖνον βίον καὶ ἄφετον καὶ ἀδεῆ καὶ ἄλυπον; Τίς τῶν ἀνδρῶν αὐτομολεῖ; τίς μετοικεῖ; τίς ἑκὼν ἀλλάττεται βίον βίου; Τίς οὕτως ἀνόητος καὶ δύσερως καὶ κακοδαίμων ἀνήρ, ὥστε διὰ φιλίαν μικρῶν καὶ ἐφημέρων ἡδονῶν, καὶ ἀγαθῶν ἀμφισβητησίμων, καὶ ἀδήλων ἐλπίδων, καὶ ἀμφιβόλων εὐτυχημάτων, μὴ ἀνασκευάσασθαι, μηδὲ ἀνοικίσαι αὑτὸν εἰς ὡμολογημένην εὐδαιμονίαν;

III. Si tels sont le contraste et la discordance de ce second genre de vie, que nous venons de comparer au premier, auquel des deux donnerons nous la palme? Lequel des deux regarderons-nous comme simple, stable, et en possession de la liberté? Et lequel regarderons-nous comme dénué de simplicité, comme subordonné à la contrainte, comme susceptible de commisération, et sujet à toutes sortes de vicissitudes? Voyons ; que chacun des deux nous envoie, de son côté, quelqu'un des siens, pour comparaître devant la Raison prise pour arbitre dans cette querelle (08). Que la Raison interroge donc l'un des deux adversaires, et d'abord le premier, celui qui est sans vêtement, sans maison, sans industrie, celui qui est citoyen de tous les lieux de la terre, et commensal de tous ses semblables (09). Qu'elle lui demande, en lui mettant sous les yeux le tableau du genre de vie et des mœurs de son adversaire, s'il aime mieux demeurer dans son actuelle manière d'être, et dans sou indépendance, que de les échanger contre les jouissances de ce dernier, avec tous les désagréments qui les accompagnent. Qu'après le premier, l'autre se présente ; que le juge lui montre le genre de vie et l'indépendance de son antagoniste ; qu'il lui demande s'il aime mieux conserver ce qu'il a, ou bien s'il aime mieux faire un échange et passer du côté de ce genre de vie tranquille, indépendant, exempt de besoin, et de privation (10). Où est l'homme déserteur, où est l'homme transfuge (11) qui change spontanément son train de vie contre un autre ?

[4] καὶ ταῦτα, εἰδὼς ὅτι ἀπαλλάξεται πολλαπλασίων κακῶν, ἃ τῷ δευτέρῳ τρόπῳ καὶ βίῳ ἀναπεφυρμένα, πῶς οὐ περιστατικὴν ποιεῖ κακοδαίμονά τε τὴν διαγωγὴν τοῦ βίου καὶ σφόδρα ἀτυχῆ; Ὥστε εἰκάσαιμ´ ἂν ἔγωγε ἑκάτερον τῶν βίων, τὸν μὲν γενναῖον τοῦτον καὶ παντοδαπὸν δεσμωτηρίῳ χαλεπῷ κακοδαιμόνων ἀνδρῶν καθειργμένων ἐν ἀφεγγεῖ μυχῷ, πολὺν μὲν τοῖς ποσὶν σίδηρον περιβεβλημένων, βαρὺν δὲ κλοιὸν περὶ τῷ αὐχένι, κἀκ ταῖν χεροῖν ἐξηρτημένων δεσμὰ δυσχερῆ, ῥυπώντων, καὶ ἀγχομένων, καὶ ῥυττομένων, καὶ στενόντων· ὑπὸ δὲ χρόνου καὶ ἔθους εὐημερίας τινὰς ἑαυτοῖς ἔνδον καὶ εὐθυμίας μηχανωμένων, μεθυσκομένων ἐνίοτε ἐν τῷ δεσμωτηρίῳ, καὶ ᾀδόντων ἀναμίξ, καὶ γαστριζομένων, καὶ ἀφροδισιαζόντων, καὶ μηδὲ ἠρέμα ἑκάστου ἐμπιμπλαμένων διὰ δέος καὶ ἀπιστίαν καὶ μνήμην τῶν παρόντων κακῶν· ὥστε ἀκούσαι ἄν τις παρ´ ἑκάστῳ δεσμωτηρίῳ οἰμωγῆς ὁμοῦ καὶ ᾠδῆς καὶ στόνου καὶ παιᾶνος. Τὸν δὲ ἕτερον αὖ βίον εἰκάζω  ἀνδρὶ ἐν καθαρῷ φωτὶ διαιτωμένῳ, λελυμένῳ τὼ πόδε καὶ τὼ χεῖρε, καὶ τὸν αὐχένα πανταχοῦ περιστρέφοντι,  καὶ τὰς ὄψεις πρὸς τὸν ἥλιον ἀνατείλαντα ἀνατείνοντι, καὶ τοὺς ἀστέρας ὁρῶντι, καὶ διακρίνοντι νύκτα καὶ ἡμέραν, καὶ τὰς ὥρας τοῦ ἔτους ἀναμένοντι, καὶ τῶν ἀνέμων αἰσθανομένῳ, καὶ ἀέρα σπῶντι καθαρὸν καὶ ἐλεύθερον· ἀπεστερημένῳ δὲ τῶν ἔνδον ἐκείνων ἡδονῶν ὁμοῦ τοῖς δεσμοῖς, μὴ μεθυσκομένῳ, μηδὲ ἀφροδισιάζοντι, μὴ γαστριζομένῳ, μὴ στένοντι, μὴ παιωνίζοντι, μὴ ᾄδοντι, μὴ οἰμώζοντι, μὴ ἐμπιμπλαμένῳ, ἀλλ´ ὅσον ἀποζῆν λεπτῷ καὶ διερρινημένῳ τὴν γαστέρα. Τίνα τῶν εἰκόνων μακαρίσωμεν; τίνα οἰκτείρωμεν τῶν βίων; τίνα ἑλώμεθα; Τὸν ἐν τῷ δεσμωτηρίῳ, τὸν μικτὸν ἐκεῖνον, τὸν ἀσαφῆ, πικραῖς καὶ ἐλεειναῖς ἡδοναῖς δελεασθέντες, ἔνθα δ´ ἄρ´ οἰμωγή τε καὶ εὐχωλὴ πέλεν ἀνδρῶν, ἡδομένων ὁμοῦ καὶ στενόντων;  Μὴ σύ γε, ὦ δειλαία ψυχή·

IV. Quel est l'homme assez dépourvu de sens, assez aveugle dans ses passions, assez malheureusement né pour que des jouissances aussi futiles qu'éphémères, pour que des biens qui ne sont point universellement avoués pour tels, pour que des espérances incertaines, des avantages douteux, l'empêchent de s'accommoder, le détournent de prendre le parti, d'un bonheur sans controverse ? Et cela, lorsqu'il ne peut point se dissimuler qu'il éloigne de lui une infinité de maux, qui, mêlés à tous les éléments d'un autre genre de vie, l'exposent à toute sorte de vicissitudes, de désagréments, de malheurs, qui en empoisonnent le cours ? Je comparerais volontiers ces deux manières d'être; la première, celle que le vulgaire (12) regarde comme si agréable et si variée, à une cruelle prison, où des hommes ont le malheur d'être renfermés dans un cachot obscur, ayant leurs pieds, leurs mains, leur col, chargés de fer, étant couverts d'ordure, respirant à peine, totalement défigurés et abîmés dans la douleur (13) ; mais auxquels l'habitude et le temps ne laissent pas de ménager des moments de sérénité et de gaîté, durant lesquels ils s'enivrent dans leur prison, ils chantent ensemble, ils font des excès de table, ils voient des femmes, sans néanmoins s'abandonner tout entiers à ces jouissances, au milieu de l'abattement, de la contrainte, de la défiance que leur inspire le sentiment de leurs maux ; de manière qu'on entend, à la fois, autour d'une semblable prison (14), des lamentations et les accents de la volupté, des gémissements et des chants d'allégresse. La seconde manière d'être, je la compare à celle d'un homme qui vit dans le sein d'une lumière pure, n'ayant ni les pieds, ni les mains liés, tournant la tête, de tous côtés, à son gré, dirigeant ses yeux vers le soleil, contemplant les astres, distinguant le jour de la nuit, témoin de la succession des diverses saisons de l'année, éprouvant l'impression des vents, et respirant un air aussi libre que salubre. A la vérité, il ne partage pas plus les voluptés des malheureux, dont nous venons de parler, qu'il ne partage leurs chaînes ; il ne s'enivre point, il ne voit point de femmes, il ne fait point d'excès de table, il ne se lamente point, il n'entonne point des chants d'allégresse, il ne chante point d'autres chansons, il ne pousse point de gémissements, il ne se gorge point; mais, sobre et tempérant, il ne mange que ce qu'il lui faut pour vivre (15). Auquel de ces deux objets de comparaison attacherons-nous le bonheur? Pour lequel des deux aurons-nous de la commisération? Auquel des deux donnerons-nous la préférence? Séduits par les amorces de ces voluptés amères, qui ne méritent que la pitié, préférerons-nous cette vie prisonnière, mélangée, équivoque, « où sont, en même temps, la tristesse et l'hilarité (16) », les lamentations et l'allégresse ? Ame infortunée, éloigne un semblable choix !

[5] Ἀπολείπουσά μοι ταυτασὶ τὰς εἰκόνας αὐτοῖς μύθοις, ἴθι ἐπ´ ἄνδρα, οὐ κατὰ τὴν Κρόνου καὶ ἀρχὴν βιοτεύσαντα, ἀλλ´ ἐν μέσῳ τῷ σιδηρῷ τούτῳ γένει, ἐλευθερωθέντα ὑπὸ τοῦ Διὸς καὶ τοῦ Ἀπόλλωνος· Ἦν δὲ οὗτος οὐκ Ἀττικός, οὐδὲ Δωριεύς, οὐδ´ ἐκ τῆς Σόλωνος τροφῆς, οὐδ´ ἐκ τῆς Λυκούργου παιδαγωγίας (οὐ γὰρ χειροτονοῦσιν τὰς ἀρετὰς οἱ τόποι οὐδὲ οἱ νόμοι), ἀλλὰ ἦν μὲν Σινωπεὺς ἐκ τοῦ Πόντου· συμβουλευσάμενος δὲ τῷ Ἀπόλλωνι τὰς περιστάσεις πάσας ἀπεδύσατο, καὶ τῶν δεσμῶν ἐξέλυσεν αὑτόν, καὶ περιῄει τὴν γῆν ἄφετος, ὄρνιθος δίκην νοῦν ἔχοντος, οὐ τύραννον δεδιώς, οὐχ ὑπὸ νόμου κατηναγκασμένος, οὐχ ὑπὸ πολιτείας ἀσχολούμενος, οὐχ ὑπὸ παιδοτροφίας ἀγχόμενος, οὐχ ὑπὸ γάμου καθειργμένος, οὐχ ὑπὸ γεωργίας κατεχόμενος, οὐχ ὑπὸ στρατείας ἐνοχλούμενος, οὐχ ὑπὸ ἐμπορίας περιφερόμενος· ἀλλὰ τούτων ἁπάντων τῶν ἀνδρῶν καὶ τῶν ἐπιτηδευμάτων κατεγέλα, ὥσπερ ἡμεῖς τῶν σμικρῶν παίδων, ἐπειδὰν ὁρῶμεν αὐτοὺς περὶ ἀστραγάλους σπουδάζοντας, τύπτοντας καὶ τυπτομένους, ἀφαιροῦντας καὶ ἀφαιρουμένους· αὐτὸς δὲ βασιλέως ἀφόβου καὶ ἐλευθέρου δίαιταν διαιτώμενος, οὐκ ἐπιτρίβων ἐν χειμῶνι Βαβυλωνίους, οὐδὲ Μήδοις ἐνοχλῶν ὥρᾳ θέρους, ἀλλ´ ἐκ τῆς Ἀττικῆς ἐπὶ τὸν Ἰσθμόν, καὶ ἀπὸ τοῦ Ἰσθμοῦ ἐπὶ τὴν Ἀττικὴν αὖθις ὁμοῦ ταῖς ὥραις μετανιστάμενος. Βασίλεια δ´ ἦν αὐτῷ τά τε ἱερὰ καὶ τὰ γυμνάσια καὶ τὰ ἄλση· πλοῦτος δὲ ἀφθονώτατος καὶ ἀσφαλέστατος καὶ ἀνεπιβούλευτος, γῆ τε πᾶσα, καὶ οἱ ἐν αὐτῇ καρποί, καὶ κρῆναι γῆς ἔγγονοι, παντὸς Λεσβίου καὶ Χίου πώματος δαψιλέστεραι· καὶ φίλος ἦν καὶ συνήθης τῷ ἀέρι, ὥσπερ οἱ λέοντες, καὶ οὐκ ἀπεδίδρασκεν τὰς ὥρας τοῦ Διός, οὐδὲ ἀντεμηχανᾶτο αὐτῷ, τοῦ μὲν χειμῶνος τεχνιτεύων θάλπος, τοῦ δὲ θέρους ἀναψύχεσθαι ποθῶν· ἀλλ´ οὕτως ἄρα ἐθὰς ἦν τῇ τοῦ παντὸς φύσει, ὥστε ἐκ τοιαύτης διαίτης ὑγιεινός τε ἦν καὶ ἰσχυρός, καὶ κατεγήρα εἰς τὸ ἀκρότατον· μηδὲν φαρμάκων δεηθείς, μὴ σιδήρου, μὴ πυρός, μὴ Χείρωνος, μὴ Ἀσκληπιοῦ, μὴ Ἀσκληπιαδῶν, μὴ μάντεων μαντευομένων, μὴ ἱερέων καθαιρόντων, μὴ γοήτων ἐπᾳδόντων. Πολεμουμένης δὲ τῆς Ἑλλάδος, καὶ πάντων πᾶσιν ἐπιτιθεμένων, οἳ πρὶν ἐπ´ ἀλλήλοισι φέρον πολύδακρυν Ἄρηα, ἐκεχειρίαν ἦγεν μόνος, ἐν ὡπλισμένοις ἄοπλος, ἐν μαχομένοις ἔνσπονδος πᾶσιν· ἀπείχοντο δὲ αὐτοῦ καὶ οἱ ἄδικοι, καὶ οἱ τύραννοι, καὶ οἱ συκοφάνται. Ἤλεγχε μὲν γὰρ τοὺς πονηρούς, ἀλλ´ οὐ λόγων σοφίσμασιν, ὅσπερ ἐλέγχων ἀνιαρότατος, ἀλλὰ ἔργοις, παρατιθεὶς ἑκάστοτε, ὅσπερ ἐλέγχων ἀνυσιμώτατος καὶ εἰρηνικώτατος·  καὶ διὰ τοῦτο οὔτε Μέλητός τις ἐπὶ Διογένην ἀνέστη, οὔτε Ἀριστοφάνης, οὐκ Ἄνυτος, οὐ Λύκων.

V. Mets au rang des fables tous ces emblèmes que je viens de te présenter ; et vas vers un homme qui n'a point vécu sous le règne de Saturne, mais au milieu même de ce siècle de fer, dans un état d'indépendance dont il était redevable à Jupiter et à Apollon. Cet homme n'était ni Athénien, ni Dorien. Il n'avait été élevé ni dans les principes de Solon, ni dans les principes de Lycurgue : car la vertu ne tient ni aux localités, ni aux formes de Gouvernement. Il était de Sinope, ville du Pont, fidèle au conseil d'Apollon, il rompit (17) les divers rapports par où il pouvait être attaché ; il se délivra de toute sorte de chaînes ; il se mit à voyager avec une pleine indépendance ; tel qu'un oiseau qui serait doué d'intelligence, ne craignant point les tyrans, n'étant obligé d'obéir à aucune loi, ne devant son oisiveté à aucune forme de politie, n'étant point tenu d'employée son temps à élever des enfants, étranger aux devoir» qu'imposent les liens du mariage, n'ayant ni champs à cultiver, ni service militaire à remplir, ni commerce qui lui demandât des déplacements. Il riait de tout, des hommes et des choses, comme nous rions des enfants, lorsque nous les voyons jouer avec des osselets, battre, être battus, spolier, être spoliés. C’était un Roi exempt de crainte, et maître absolu de lui-même. Il n’avait pas besoin de passer l'hiver à Babylone, ni de venir, l'été, en imposer à la Médie (18). De l'Attique à l'Isthme de Corinthe, de l'Isthme de Corinthe à l'Attique, c'était là toutes ses promenades, selon les saisons. Il avait son palais, son temple, ses gymnases, ses bois sacrés. Il possédait les richesses les plus immenses, les plus solides, les moins exposées aux événements. Toute la terre, tous les fruits qu'elle produit, toutes les fontaines qui sortent de son sein, et qui sont plus abondantes que les vignobles de Chio ou de Lesbos, étaient à lui. Il était l'ami et le camarade de l'air comme le sont les lions. Il ne cherchait point à se dérober aux intempéries ; il ne s'armait point contre elles. Il ne se ménageait point du chaud, en hiver, ni de la fraîcheur, en été. Il s’était tellement accoutumé à toutes les températures, sa manière de vivre lui avait donné tant de santé, et tant de vigueur, qu'il poussa sa carrière jusqu'au terme le plus reculé, sans avoir nul besoin, ni de médicaments, ni de fer, ni de feu, ni de Chiron, ni d'Esculape, ni de ses disciples (19), ni de la préscience des devins, ni des cérémonies des prêtres, ni du grimoire des magiciens. Le feu de la guerre embrasa la Grèce. « Ses peuples, jusqu'alors en possession de se combattre réciproquement », (20) se déclarèrent et s'armèrent tous contre tous. Il n'y eut de trêve que pour lui seul. Il resta sans armes, tandis que tout le monde était armé. Il conserva ses relations avec tous, tandis que tous se faisaient la guerre. Les méchants, les tyrans, les sycophantes (21) s'abstinrent de lui faire aucun mal. Ce n'est pas qu'il ne fît la censure de leur conduite, mais ce ne fut point par des arguments et des discours. Il n'eut garde de se compromettre. Ce fut en offrant à tous les regards le tableau de sa vie, genre de répréhension le plus efficace et le moins dangereux. Aussi Diogène ne se mit-il à dos, ni Mélitus, ni Aristophane, ni Anytus, ni Lycon.

[6] Πῶς οὖν οὐ προηγούμενος τῷ Διογένει ὁ βίος οὗτος, ὃν ἑκὼν εἵλετο, ὃν Ἀπόλλων ἔδωκεν, ὃν ὁ Ζεὺς ἐπῄνεσεν, ὃν οἱ νοῦν ἔχοντες θαυμάζουσιν; ἢ ἄλλό τι ἡγούμεθα εἶναι τὴν περίστασιν, ἢ χρῆσιν πράξεως,  οὐκ αὐθαίρετον τῷ ἔχοντι; Ἔρου δὴ τὸν γεγαμηκότα· ’Τίνος εἵνεκεν γαμεῖς;‘ Παίδων, φησίν· τὸν παιδοτροφοῦντα, τίνος εἵνεκα ἐτεκνώσατο; διαδοχῆς ἐρᾷ· τὸν στρατευόμενον, πλεονεξίας ἐρᾷ· τὸν γεωργοῦντα, καρπῶν ἐρᾷ· τὸν χρηματιζόμενον, εὐπορίας ἐρᾷ· τὸν πολιτευόμενον,  τιμῆς ἐρᾷ. Τῶν δὲ ἐρώτων τούτων οἱ πολλοὶ ἀμβλισκάνουσιν, καὶ εἰς τοὐναντίον περϊίστανται, καὶ εὐχῆς ἔργον ἡ ἐπιτυχία, οὐ γνώμης οὐδὲ τέχνης. Ἕκαστος δὴ τῶν ταῦτα αἱρουμένων περίστασίν τινα διαπεραίνεται τοῦ βίου, καὶ ταλαιπωρίας ἀνέχεται οὐχ ἑκουσίου, οὐδὲ δι´ ἄγνοιαν τῶν αὐθαιρέτων ἀγαθῶν.  Τίνα γὰρ ἄν τις καὶ φαίη τούτων ἐλεύθερον; τὸν δημαγωγόν; δοῦλον λέγεις πολλῶν δεσποτῶν· τὸν ῥήτορα; δοῦλον λέγεις πικρῶν δικαστῶν· τὸν τύραννον;  δοῦλον λέγεις ἀκολάστων ἡδονῶν· τὸν στρατηγόν; δοῦλον λέγεις ἀδήλου τύχης· τὸν πλέοντα; δοῦλον ἀσταθμήτου τέχνης· τὸν φιλόσοφον; ποῖον λέγεις;  ἐπαινῶ μὲν γὰρ καὶ Σωκράτην· ἀλλ´ ἀκούω λέγοντος·  ’Πείθομαι τῷ νόμῳ, καὶ ἑκὼν ἐπὶ τὸ δεσμωτήριον  ἄπειμι, καὶ λαμβάνω τὸ φάρμακον ἑκών.‘ Ὦ Σώκρατες, ὁρᾷς τί φῆς; ἑκών, ἢ πρὸς ἀκουσίους τύχας  εὐπρεπῶς ἵστασαι; ’Πειθόμενος νόμῳ.‘ Τίνι; εἰ μὲν γὰρ τῷ τοῦ Διός, ἐπαινῶ τὸν νομοθέτην· εἰ δὲ τῷ Σόλωνος, τί βελτίων ἦν Σόλων Σωκράτους; Ἀποκρινάσθω  μοι καὶ Πλάτων ὑπὲρ φιλοσοφίας, εἰ μηδεὶς αὐτὴν  ἐπετάραξεν, μὴ Δίων φεύγων, μὴ Διονύσιος ἀπειλῶν,  μὴ τὰ Σικελικὰ καὶ τὰ Ἰώνια πελάγη, ἄνω καὶ κάτω πρὸς ἀνάγκην διαπλεόμενα. Κἂν ἐπὶ Ξενοφῶντα ἔλθω, βίον καὶ τοῦτον ὁρῶ μεστὸν πλάνης, καὶ τύχης ἀμφιβόλου, καὶ στρατιᾶς κατηναγκασμένης, καὶ στρατηγίας ἀκουσίου, καὶ φυγῆς εὐπρεποῦς. Ταῦτα τοίνυν φημὶ τὰς περιστάσεις διαφεύγειν ἐκεῖνον τὸν βίον, δι´ ὃν καὶ Διογένης ὑψηλότερος ἦν καὶ Λυκούργου καὶ Σόλωνος καὶ Ἀρταξέρξου καὶ Ἀλεξάνδρου, καὶ ἐλευθερώτερος αὐτοῦ τοῦ Σωκράτους, οὐ δικαστηρίῳ ὑπαχθείς, οὐδὲ ἐν δεσμωτηρίῳ κείμενος, οὐδὲ ἐκ τῶν συμφορῶν ἐπαινούμενος.

VI. Comment donc Diogène n'aurait-il point donné la première importance (22) à ce genre de vie qu'il choisit spontanément, qui lui fut indiqué par Apollon, qui reçut les éloges de Jupiter, et que tous les hommes de bon sens admirent? Ou bien regarderons-nous les choses qui sont pour nous l'œuvre des circonstances, comme étant autre chose que des détails de la vie pratique qui ne sont pas de notre choix (23). Demandez à celui qui se marie, pourquoi il prend une femme. Il vous répondra que c'est pour avoir des enfants. Demandez à celui qui a des enfants à élever, pourquoi il les a mis au monde. Il vous répondra qu'il aime à avoir des successeurs. Demandez au militaire pourquoi il porte les armes. Il vous répondra que c'est pour augmenter sa fortune. Demandez au cultivateur pourquoi il travaille la terre. Il vous répondra que c'est pour avoir de bonnes récoltes. Demandez à celui qui trafique, pourquoi il fait des affaires. Il vous répondra que c'est pour ajouter à son aisance. Demandez à celui qui court la carrière des fonctions publiques, quel est son but. Il vous répondra qu'il a l'amour des honneurs et de l'autorité. Mais le plus grand nombre de ces objets d'affection s'évanouissent. Les résultats ont lieu en sens contraire ; et le succès est moins l'œuvre de la prudence, ou de l'industrie, que celle de la fortune (24). Chacun de ceux qui prennent ces diverses conditions, traverse la carrière de la vie, au milieu de telles ou telles circonstances; et, s'il est malheureux, ce n'est pas sans le vouloir (25), ni par ignorance du vrai bien auquel il dépendait de lui de s'attacher. Auquel de ces individus donnera-t-on le nom d'homme-libre ? Sera-ce au démagogue (26) ? C'est nommer l'esclave d'une foule de despotes. Sera-ce au rhéteur ? C'est nommer l'esclave des Magistrats austères qui composent les tribunaux. Sera-ce le tyran? C'est nommer l'esclave des voluptés les plus effrénées. Sera-ce le Général d'armée? C'est nommer l'esclave d'un hasard aveugle. Sera-ce le navigateur? C'est nommer l'esclave d'un art qui n'a rien de fixe. Sera-ce le philosophe ? Duquel parlez-vous? Sans doute je loue Socrate, mais je lui entends dire: « Je me soumets à la loi; j'entre volontiers en prison ; je prends volontiers la ciguë ». O Socrate ! prenez-vous garde à ce que vous dites? Est-ce volontiers, ou bien pour faire bonne contenance dans un malheur involontaire, que vous vous soumettez à la loi ? Et à quelle loi ? Si c'est à la loi de Jupiter: à la bonne heure, de ce Législateur. Mais si c'est à la loi de Solon, en quoi Solon valait-il mieux que Socrate (27) ? Que Platon lui-même me réponde, touchant sa propre philosophie. N'a-t-elle jamais éprouvé d'atteinte, ni par le bannissement de Dion, ni par les menaces de Denis, ni au milieu des bourrasques de la mer de Sicile, et de la mer Ionienne, lorsque la nécessité l'obligeait de s'y embarquer ? Je m'adresse aussi à Xénophon, dont je vois la vie pleine d'alternatives, de succès, et de revers. Je le vois appelé, malgré lui, à commander une armée, chargé, malgré lui, d'une expédition, et condamné à un exil honorable (28). Combien toutes ces vicissitudes sont éloignées, à mon avis, de ce genre de vie qui plaça Diogène au-dessus de Lycurgue, de Solon, d'Artaxerxès, d'Alexandre (29) : bien mieux, qui le rendit plus vraiment libre que Socrate même ! Car il ne fut point traduit devant un tribunal; il ne fut point mis en prison ; et ce ne fut point à ses malheurs qu'il fut redevable de sa gloire.

 

 

 

 

 

 

 

NOTES.

 

(01) Plusieurs des Stoïciens disaient que le sage vivait cyniquement,´κυνέειν σοφὸν. Car, selon eux, le cynisme était le chemin le plus court pour arriver à la vertu. Voyez Diogène-Laërce, liv. VII ; Juste-Lipse, dans son Introduction à la philosophie stoïcienne. Liv. I, p. 13.

(02) Il s'agit d'Ésope, dont on ne connaît pas plus la véritable patrie, qu'on ne connaît celle d'Homère. Le Scholiaste d'Aphthonius dit qu'il était lydien. Suidas le lait naître ou à Samos, ou à Sardes, ville de Lydie. D'autres, et avec eux Maxime de Tyr, dans ses Dissertations III, sect. I, XXI, sect. 5, le font Phrygien. Pourquoi donc l'appelle-t-il, ici, le sage de Lydie ?

(03) Cette description de l'âge d'or par Hésiode est dans son poème-intitulé, Les Œuvres et les Jours, vers 119 et suivants.

(04) Heinsius traduit, ici, in ejus quasi pœnam ; et Formey, d'après Heinsius, dit, « Comme pour le fouler ». Je ne vois rien dans le texte qui réponde à cela.

(05) Qu'auriez-vous dit, Maxime de Tyr, si vous aviez vu, comme nous, s'élever et se promener dans les hautes régions de l'atmosphère nos majestueuses montgolfières, et nos ambitieux ballons !

(06) Heinsius et Formey ont omis cette phrase.

(07) Je défie que l'on me montre, dans les ouvrages de l'Antiquité, un morceau d'une éloquence plus mâle, plus pompeuse, plus magnifique que n'est celui-ci dans l'original. Voyez Manilius, au commencement du chant quatrième.

(08) Les manuscrits et les annotateurs ne sont pas d'accord sur la véritable leçon de ce passage. Davies a trouvé, dans le manuscrit anglais ἐπὶ διαιτητὴν τὸν λόγον; et j'ai d'autant plus volontiers donné la préférence à cette leçon sur toutes les autres, qu'elle fait un très bon sens. Elle rentre d'ailleurs dans le style et dans la marche ordinaire de notre Auteur, qui porte toutes ses questions à juger au tribunal de la Raison. L'Archevêque de Florence a traduit : Veluti judicio sistamus coram judice. Heinsius a traduit : Tanquam ad arbitrium veniat. Mais ni l'un ni l'autre ne se sont aperçus que cet arbitre était la Raison.

(09) Heinsius a rendu le mot ἐφέστιον par colonus. Pacci l'a rendu par contubernalis. Cette version m'a paru plus correcte que la première.

(10) J'ai mieux aimé traduire : Exempt de privation, qu'exempt de douleur. Dans la pensée de Maxime de Tyr, il s'agit bien plus de douleur morale que de douleur physique; or, les privations sont la cause primordiale des douleurs de cette nature.

(11) L'édition de Leipzig, de 1774, sur laquelle je travaille, omet, sans doute par l'inadvertance des imprimeurs, cette courte phrase τὶς μετοικέε, qui se trouve dans les autres.

(12) Le mot γενναῖον a paru à Markland mériter une correction, sous prétexte, dit-il, que dans la phrase de Maxime de Tyr il n'aperçoit aucun signe d'ironie. J'en demande pardon à ce docte annotateur. Il est le seul de tous ceux qui ont travaillé sur Maxime de Tyr qui ait attaqué cette épithète ; et, s'il lui faut des signes d'ironie pour la faire passer, je pense que la phrase entière de notre Auteur, et la description de la prison à laquelle il compare le genre de vie auquel il donne l’épithète dont il s'agit, ne laissent rien à désirer.

(13) L'expression du texte a donné de la tablature aux critiques. Davies et Heinsius s'en sont rapportés & leurs manuscrits, où ils ont lu ῥυττομένον : et j'ai suivi cette leçon.

(14) Le texte dit littéralement : Dans chacune de ces prisons, et Markland n'admet pas qu'il soit ici question de plusieurs ; tandis qu'au commencement de cette longue phrase, il ne s'agit que d'une seule. Ce critique propose, en conséquence, des corrections que je n'ai pas cru devoir suivre. J'ai trouvé plus simple, s'il faut soupçonner quelque altération dans ce passage, de lire παρὰ τοιούτῳ (δεσμοστηρίῳ) à la place de  παρ' ἑκάστῳ.

(15) Le grec porte littéralement : Il tient son ventre léger et libre, comme celui qui ne mange que pour vivre.

(16) Iliade, chant quatrième, vers 450.

(17) Diogène alla consulter l'oracle de Delphes. Il lui demanda le moyen d'arriver à un genre de gloire où il fût sûr d'occuper le premier rang:  πῶς ν πρωτεύσειε; l'oracle lui répondit que c’était en vivant dans le gens inverse des mœurs reçues :  εἰ τ νόμισμα παραχαράξειε. Voyez Ménage, sur Diogène-Laërce, lib. VI, n° 10.

(18) Maxime de Tyr fait allusion, ici, à ces Rois de Perse qui, pour se tenir en mesure contre les inquiétudes des peuples conquis, étaient forcés de se montrer à eux tour à tour. Voyez B. Brisson, dans «on ouvrage de Regno Pers. liv. I, chap. 69; Dion Chrysostôme, Oraison 6, p. 86 et 87.

(19) Dans ce passage, notre philosophe paraît avoir parodié Dion Chrysostôme qui, dans sa sixième Oraison, p. 91, dit, en parlant des méchants, des hommes adonnés aux vices : « La terre entière ne suffirait point aux remèdes dont ils ont besoin. Il leur faut du fer et du feu. Ni les Chirons, ni les Esculapes, ni leurs disciples qui entreprendraient de les guérir, ne seraient capables de les délivrer de leur méchanceté et de leurs vices, non plus que les magiciens avec 5i toutes les ressources de leur art, ni les prêtres avec tout l'attirail de leurs libations »

(20) Iliade, chant troisième, vers 132.

(21) Dracon, Législateur Athénien, mit tant de sévérité dans ses lois, que le vol d'une figue, entre autres, était puni de mort. On appela Sycophantes les dénonciateurs des voleurs de figue et, depuis, ce mot fut consacré pour être appliqué à ceux qui érigent en crime les moindres choses, et qui suscitent des procès criminels pour.des bagatelles. A la longue, on en fit un synonyme de calomniateur. Voyez. Pancirole : Rerum memorab. tit. 44, not. 12.

(22) Platon distinguait, dans certaines choses, quatre rapports différent, τὸ προηγούμενον, ce qui était capital, principal;τὸ ἀναγκαῖον, ce qui était de nécessité τὸ ἐπόμενον, ce qui était de conséquence ; et τὸ περιστατικόν, ce qui était de circonstance. Ainsi, par exemple, dans la vie pratique du philosophe (pour nous borner à deux points de vue), Faire des lois, instruire la jeunesse, constituaient le premier rapport,  τὸ προηγούμενον τὸ : Commander une armée, remplir une ambassade, juger dans les tribunaux, constituaient le quatrième rapport, τὸ περισταταίν. En général, les Platoniciens classaient sous ce dernier rapport de la vie pratique, tout ce qui exige l'action physique du corps, tout ce qui est susceptible d'obstacle, tout ce dont le philosophe doit s'abstenir, sauf le cas d'une nécessité urgente. Dans sa note sur cet endroit, dont celle-ci n'est que l'interprétation, Heinsius remarque que, faute d'avoir saisi cette distribution de rapports dans la doctrine de Platon, la plupart des traducteurs ont mal rendu le substantif περίστασις, et l'adjectif neutre περιστατικόν.

(23) Le vrai sens de cette phrase est assez difficile à saisir. Pacci, Heinsius, Formey même (qui suit assez fidèlement ce dernier), l'ont diversement rendue. Voyez la note précédente,

(24) Trompé par la leçon vulgaire du texte, j'avais traduit : « Le succès est moins l'œuvre de la prudence ou de l'industrie, que celle des vœux qu'on a faits pour lui ». En relisant ma version, ce sens m'a déplu. Je suis revenu à l'original. J'y ai lu καὶ εὐχῆς ἔργον. Cette leçon m'a paru suspecte, car je me suis rappelé que Maxime de Tyr, dans la Dissertation onzième, avait mis en question s'il fallait adresser des prières aux Dieux, et qu'il s’était décidé pour la négative. Je me suis donc décidé moi-même à lire τύχης de la fortune, au lieu de εὐχῆς de la prière, malgré le silence de tous les annotateurs; et ce qui m'a garanti le mérite de ma collection, c'est que l'Archevêque de Florence, a dû lire le même mot τύχης dans son manuscrit, puisqu'il a traduit : Idcirco optatorum adeptio fortunæ magis est quam vel mentis judicii vel artis ; version aussi lumineuse que celle d'Heinsius est obscure. Nec artis aut sapientiœ, sed voti est felicitas. Au reste, ce passage est une preuve de plus de ces-hardies et pieuses fraudes que se permettaient les moines, en transcrivant les ouvrages des Anciens. Nous en avons touché un mot ci-dessus, dans la note 21 de la Dissertation onzième. Un de ceux qui copièrent le manuscrit de Maxime de Tyr, aura jugé que notre Platonicien parlait ici comme un païen, et tout au moins comme un hérétique, en attribuant à la Fortune, ce qui lui semblait dans sa cagoterie, ne pouvoir appartenir qu'à la prière ; et, sans autre façon, il aura substitué un epsilon à un tau, au risque de prêter une absurdité à la plume du philosophe.

(25) Markland lit ἀκουσόυ au lieu de ἑκουσίου, et je suis de son avis. Il ne faut pour cela que se bien pénétrer de la pensée de l'Auteur. Il est étonnant que cette altération ait échappé au judicieux Heinsius.

(26) Voici encore une de ces bévues de Formey, dont on ne croirait point un Académicien capable, si l'on n'en avait la preuve matérielle sous les yeux. Heinsius a trouvé dans le texte le mot grec δημαγωγός, qui veut dire proprement, Meneur du peuple, chef du parti populaire, et il l'a rendu par un mot latin, publicolam, formé de deux racines latines analogues à celles qui composent le mot grec. Formey a pris ce mot pour le nom propre du troisième Consul de Rome ; et il a traduit en conséquence : « Sera-ce Publicola, à la tête de la République » ? Au lieu que, s'il eût consulté le trésor de la langue latine de Robert-Etienne, celui de Mathias Gessner, et celui de Faber, il eût vu que le mot publicola est expliqué par quasi cultor et observator populi, populo studens, popularis, et qu'on y cite, au sujet de cette acception, le passage suivant de Sidonius, (carm. 23, v. 80) :

Inter publicolas manu feroces

Truneo Mutius eminet lacerto.

(27) Formey est encore tombé, ici, dans un contre-sens. Il a dit: « En quoi Socrate est-il préférable à Solon? » Cependant il a lu dans Heinsius : Qua in re Socrati præferendus est Solon ?

(28) Les dix mille Grecs que Xénophon sauva des plus grands périls, dans cette fameuse retraite, la plus belle opération militaire de l'Antiquité, passèrent au service des Lacédémoniens, qui les employèrent à défendre les villes grecques de l'Asie, contre les entreprises des Perses. Agésilas, Roi de Lacédémone, se rendit en Asie à cette occasion, et Xénophon, qui vint l'y joindre, ayant apprécié le mérite de ce Spartiate, lui voua l'attachement le plus sincère, et la plus intime amitié. Les Athéniens, rivaux éternels des Spartiates, jaloux, par cette raison, de faire leur cour au Roi de Perse, contre lequel Agésilas et Xénophon agissaient en Asie, prirent prétexte des liaisons de ce dernier avec le Roi de Sparte, pour le condamner au bannissement.

(29) Tout le monde connaît ce mot célèbre du Roi de Macédoine : « Si je n'étais Alexandre, je voudrais être Diogène ».