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table des matières de l'œuvre dE JULIEN

 

SUR LE ROI SOLEIL.

ÉLOGE DE L'IMPÉRATRICE EUSÉBIE.

SUR LA MÈRE DES DIEUX

 

 

 

SUR LE ROI SOLEIL.

A SALLUSTE.

SOMMAIRE.

Motifs qui ont engagé Julien à écrire ce discours. - Plan de l'auteur, et division de l'ouvrage nature du dieu, sa puissance, ses vertu manifestes ou cachées, ses bienfaits. - Le Soleil est l'image visible de Dieu, créateur du monde. - Identité du Soleil avec plusieurs divinités. - Il sert de médiateur aux dieux intelligents, et opère l'unité du monde. - Les anges solaires. - Substance du Soleil. - Ses vertus efficaces résultent de la perfection de sa substance. - Détails à et sujet, Bienfaits produits par le Soleil. - Diffusion de sa lumière sur tous les êtres. - Son influence astronomique. — Dons qu'il répand sur les hommes. - Division du temps chez les différents peuples. - Prière an Soleil. - Conseils à Salluste. - Nouvelle prière au Soleil.

1. Je conviens que le présent discours peut être placé dans la bouche de tous les êtres

Que l'on voit respirer ou ramper sur la terre (01),

et qui ont reçu l'existence, une âme raisonnable et un esprit, mais ce droit m'appartient plus qu'à personne ; car je suis le serviteur du Roi Soleil. J'en trouve ici dans moi-même les preuves les plus péremptoires, et qu'on ne m'en veuille point de dire ce qu'il m'est permis de révéler (02), Dès mon enfance, je fus pris d'un amour passionné pour les rayons de l'astre divin. Tout jeune, j'élevais mon esprit vers la lumière éthérée, et non seulement je désirais y fixer mes regards durant le jour, mais, la nuit même, par un ciel serein et pur de nuages, je quittais tout pour aller contempler les beautés célestes, ne sachant plus ce qu'on me disait ni ce que je faisais moi-même. Mon attention était si forte, ma curiosité si soutenue que l'on m'eût pris pour un astrologue profond, bien que j'eusse à peine de barbe (03). Et cependant, j'en atteste les dieux, aucun livre sur cette science ne m'était tombé entre les mains et je n'avais rien appris qui pût y avoir rapport.

3. A quoi bon ces détails, dira-t-on, quand j'ai des choses plus importantes à faire connaître, par exemple ce que je pensais alors des dieux? Mais vouons ces ténèbres à l'oubli. Disons seulement que la lumière céleste, qui brillait autour de moi, me ravissait et m'absorbait dans sa contemplation unique, de sorte que je découvris par moi-même le mouvement de la lune, opposé à celui du reste du monde, avant d'avoir lu les philosophes qui ont écrit sur ce sujet. Que cette assertion me serve de preuve. Je trouve digne d'envie le sort d'un homme, que la Divinité, en formant son corps, a doué d'une étincelle sacrée et prophétique, qui lui découvre les trésors de la sagesse. Je ne dédaigne point non plus l'avantage que le ciel m'a tait d'être issu dans ce siècle et d'une famille régnante qui domine sur l'univers. Mais je crois pourtant, sur la foi des sages, que le père commun des hommes c'est le Soleil. On l'a dit avec raison : « I'homme engendre l'homme, et aussi le Soleil (04). » Quant aux âmes, il ne les produit point seul, mais il les recueille des autres dieux et les sème sur la terre, où elles montrent elles-mêmes, dans la vie, la fin qu'elles ont résolu d'atteindre. Il est donc fort beau pour un homme de tenir, par trois générations ou par une plus longue suite d'ancêtres, au culte de ce dieu ; mais ce n'est pas non plus une situation à dédaigner, quand on s'avoue né pour le servir, de s'être, seul ou avec un petit nombre d'autres, consacré spécialement au culte d'un tel maître.

3. Voyons donc à célébrer aujourd'hui de notre mieux la fête de ce dieu, que la ville souveraine solennise par des sacrifices annuels. Il est difficile, je le sais bien, de se faire une idée du Soleil invisible par la grandeur de celui qui se voit; peut-être même est-il impossible de le faire, à moins de demeurer au-dessous du sujet. Car je suis convaincu qu'il n'est au pouvoir de personne d'y atteindre; et si l'on ne s'écarte pas trop de la médiocrité, c'est tout ce qu'on peut exiger des forces de la nature humaine en matière d'éloges. Mais j'appelle à mon secours Mercure, dieu de la parole, avec les Muses et Apollon Musagète (05) : car lui aussi préside à l'éloquence. Puissent-ils m'accorder de dire des dieux immortels ce qu'il leur plaît que l'on dise et que l'on croie d'eux. Maintenant quel sera le plan de cet éloge? Et, si je traite de la nature du dieu, de son origine, de sa puissance, de ses vertus manifestes ou cachées, et des bienfaits qu'il prodigue, m'écarterai-je beaucoup des louanges qui lui conviennent? Je vais donc commencer.

4. Ce monde magnifique et divin, qui s'étend de la voûte élevée du ciel jusqu'aux extrémités de la terre, et que maintient l'immuable providence de Dieu, existe de toute éternité et existera éternellement, sans être soutenu par une autre loi que par la force incessante du cinquième corps (06), dont le principe élémentaire est un rayon de soleil, puis, à un second degré, pour ainsi dire, par le monde intellectuel et au-dessus encore par le roi de l'univers, autour duquel tout gravite. Ce principe, qu'il me soit permis de l'appeler l'être au-dessus de notre intelligence, ou bien l'idée de tous les êtres, le tout intellectuel, ou bien encore l'un (car l'un doit précéder tous les autres comme étant le plus ancien), ou enfin le bon, suivant l'expression ordinaire de Platon, ce principe, dis-je, étant la cause simple et unique de tout ce que les autres êtres peuvent avoir de beauté, de perfection, d'unité et de puissance inaltérable, a produit de la substance primordiale, innée en lui, et pour tenir le milieu entre les causes intellectuelles et les principes actifs, le grand dieu Soleil, qui lui ressemble en tout, ainsi que le pense le divin Platon quand il dit (07) : « Sache que, quand je parle de l'être produit par le bon (08), j'entends que l'être produit a une parfaite analogie avec l'être producteur : ce que l'un est dans la sphère idéale, par rapport à l'intelligence et aux êtres intellectuels, l'autre l'est dans la sphère visible, par rapport â la vue et aux objets visibles. » Ainsi, selon moi, la lumière du Soleil doit avoir avec tout ce qui est visible la même analogie que la vérité avec tout ce qui est intellectuel. Le grand tout, que je dis émané de l'idée du premier et souverain bien, parce qu'il était de toute éternité dans la substance de celui-ci, en a reçu la domination sur tous les dieux intelligents, et il distribue à ces dieux intelligents les dons qu'il tient du souverain bien, et que comporte la nature des êtres intellectuels. Ainsi le bien propre aux êtres intellectuels, la beauté, l'essence, la perfection, l'harmonie de l'ensemble, le souverain bien le leur communique et le fait rayonner sur eux par sa puissance, représentative de tout bien. Or, c'est le Soleil qui distribue ces biens aux êtres intellectuels, préposé qu'il est par le souverain bien pour leur commander et pour régner sur eux, quoiqu'ils soient nés avec lui et qu'ils émanent de la même substance, mais dans la vue sans doute qu'un seul principe, représentatif du bon et disposant de tous les biens, gouvernât tout suivant la raison. Mais un troisième Soleil (09) est apparent; je parle de ce disque lumineux, qui est pour tous les êtres sensibles un principe évidemment générateur et conservateur, et qui, visible lui-même, communique aux êtres visibles tout ce que nous avons dit que le Grand Soleil communique aux dieux intelligents. Les preuves en sont manifestes pour qui étudie dans les objets apparents ceux qui ne le sont pas. Et d'abord, la lumière elle-même n'est-elle pas la forme incorporelle et divine de ce qui est virtuellement, diaphane? Or, la diaphanéité, quoique avant en soi, pour ainsi dire, tous les éléments, dont elle est la forme immédiate, n'est cependant ni corporelle, ni composée de parties, et n'a aucune des propriétés affectées au corps; eu sorte que l'on ne peut lui attribuer ni la chaleur, ni le froid son contraire, ni la dureté, ni la mollesse, ni aucune des différences appréciables au toucher, au goût et à l'odorat (10). Sa nature ne frappe que l'organe de la vue, mis en action par la lumière. La lumière, à son tour, n'est que la propre forme de cette nature, répandue de manière à pénétrer les corps; et la lumière étant incorporelle, les rayons en sont comme la perfection et la fleur.

3. Les sages de la Phénicie, versés dans la connaissance des choses divines, nous enseignent que la splendeur réelle du pur esprit, disséminée dans tout l'univers, naît d'une forme sans mélange. Or, la raison n'y contredit point, puisque la lumière est incorporelle, et que, si elle ne peur avoir sa source dans un corps, il s'ensuit que cette forme sans mélange a son siège lumineux dans l'être qui occupe le centre du ciel. De là, elle rayonne, remplit de sa vive clarté tous les globes célestes et inonde l'univers d'une lumière divine et pure. Quant aux bienfaits qu'elle dispense aux dieux avec mesure, nous en avons déjà parlé et nous y reviendrons un peu. Tous les objets que nous voyons à l'aide de la vue n'ont de perceptible en réalité que le nom, s'ils n'ont pour auxiliaire I'interposition de la lumière. Quel objet, en effet, serait visible, s'il ne recevait tout d'abord sa forme de la lumière, ainsi que la matière reçoit sa perfection de l'artiste? L'or, par exemple, quoique fondu au creuset, est toujours de l'or. Il ne devient une image, une statue, que quand il a reçu de l'artiste une forme donnée. De même les corps visibles de leur nature ne deviennent tels que lorsque la lumière s'interpose entre eux et ceux qui peuvent les voir. Puis donc qu'elle donne à ceux qui voient la faculté de voir et aux êtres visibles celle d'être vus, elle unit dans un seul acte deux propriétés parfaites, la vision et la visibilité, et ses perfections sont les formes et l'existence. Peut-être ces distinctions sont-elles trop subtiles. Joignons-y le témoignage de tout ce que nous sommes d'ignorants et d'illettrés, de philosophes et de savants, à savoir qu'il y a dans l'univers un dieu dont le pouvoir est de produire, en se levant et en se couchant, le jour et la nuit, ainsi que de changer et de métamorphoser tout. Car à quel autre parmi les astres appartient ce pouvoir? Cela étant, pourquoi ne croirions-nous pas que son influence s'étend à des êtres plus divins et qu'il comble de ses biens cette famille invisible et sainte de dieux intelligents, qui plane au-dessus du ciel, puisque c'est à lui qu'obéit tout le choeur des astres et cette géniture gouvernée par sa providence? En effet, les planètes forment des choeurs autour de lui, comme autour de leur roi : placées à des distance; fixes de son orbite, elles parcourent un cercle régulier, gardent certaines stations, avancent et rétrogradent, suivant les termes dont se servent pour exprimer ces divers phénomènes les savants versés dans la connaissance de la sphère. De même la lumière de la lune augmente on diminue en raison de sa distance an Soleil : c'est un fait évident pour tous. En conséquence, comment ne supposerions-nous pas que l'organisation des dieux intelligents, plus ancienne que celle des corps, est analogue à l'ordre dont nous avons parlé? Reconnaissons donc, d'après tout ce qui précède, sa vertu perfectible, parce qu'il nous fait voir parfaitement tous les objets visibles; sa puissance fécondante et organisatrice, par les métamorphoses qu'il opère dans l'univers; sa tendance à l'unité. par l'accord harmonieux des mouvements qu'il produit; sa force intermédiaire, par le milieu qu'il occupe, enfin sa souveraineté sur les êtres intelligents, par sa situation au centre des astres errants qui l'entourent. Car si quelque autre dieu visible réunissait à nos yeux les mêmes qualités que lui, on tout au moins des qualités semblables, nous ne lui attribuerions pas la supériorité sur les dieux. Mais comme il n'a de commun avec les autres dieux que la bienfaisance qu'il exerce sur tous, nous réglerons notre opinion tant sur la foi des prêtres cypriens, qui consacrent des autels communs au Soleil et à Jupiter, que sur le témoignage d'Apollon , dieu qui a son trône à côté du maître des dieux (11). En effet ce dieu dit :

Il n'est qu'un Jupiter, un Pluton, un Soleil,
C'est le dieu Sarapis.

Nous pensons doue que la souveraineté sur les dieux intelligents est commune au Soleil et à Jupiter, ou plutôt qu'elle n'en tait qu'une.

6. Platon (12) me paraît avoir fait avec beaucoup de justesse de Pluton une divinité sage : c'est celle que nous connaissons sous le nom de Sarapis, en grec Hadès, comme qui dirait Acidès (13) c'est-à-dire dépourvu de formes sensibles, et par suite essentiellement intellectuel. Il ajoute que c'est vers lui que s'envolent les âmes de ceux qui ont vécu selon la raison et la justice. En effet, il ne s'agit point ici du dieu devant lequel la mythologie nous fait frissonner, mais d'un être clément et doux, qui délivre les âmes des liens de la vie, et qui, au lien de les attacher à d'autres corps pour les punir et les châtier, les élève à lui et les emmène dans le monde des intelligences. Cette opinion est loin d'être nouvelle. Les plus anciens des poètes, Homère et Hésiode, s'en sont emparés, soit qu'ils l'aient trouvée d'eux-mêmes, soit qu'une pensée divine et prophétique ait conduit leur enthousiasme jusqu'à la vérité. En voici la preuve. L'un d'eux, en effet, dans sa généalogie, fait maître le Soleil d'Hypérion et de Théia (14). C'en est assez pour faire entendre que c'est le fils légitime de l'être supérieur à tous les êtres. Car que signifie autre chose le nom d'Hypérion ? Et que veut dire Théia, si ce n'est le plus divin des êtres? Ne voyons là ni mariage ni commerce charnel, paradoxes et jeux imaginaires de la muse poétique, et ne considérons le père et le créateur du Soleil que compte le plus divin et le plus élevé des êtres. Homère (15), à son tour, l'appelle Hypérion, du nom de son père, comme pour nous montrer qu'il le croit indépendant et libre de tonte contrainte. En effet, suivant Homère, Jupiter, maître de tous les dieux, peut user de cette contrainte à leur égard; mais dans le récit légendaire où le dieu Soleil annonce qu'il vent quitter l'Olympe, à cause de l'impiété des compagnons d'Ulysse (16), Jupiter ne dit pas au Soleil :

Je pourrais t'entraîner, toi, ta terre et les mers (17).

Il ne le menace ni de chaîne ni de violence, mais il lui permet de punir les auteurs du forfait et le prie de briller pour les dieux. Homère n'insinue-t-il point par là que non seulement le Soleil est indépendant, mais qu'il est doué d'une force spontanée? Car comment les dieux auraient-ils besoin de lui, si ce n'est que, en pénétrant leur substance et tout leur être d'une flamme secrète, il leur communique les bienfaits dont j'ai déjà parlé? Quant à ces paroles du même poète (18)

L'infatigable dieu qui brille sur le monde,
Par l'auguste Junon, la déesse aux grands yeux,
Dans la mer à regret voit éteindre ses feux;

elles signifient simplement que la nuit vint avant l'heure, au moyen d'une brume épaisse. C'est ainsi que le poète dit ailleurs de la même déesse (19) :

Junon devant leurs pas étend une ombre obscure.

Mais laissons les poètes et leurs factions, où ils mêlent au divin beaucoup d'humain, et voyons maintenant ce que le dieu lui-même nous apprend et de lui et des autres divinités.

7. La région qui environne la terre doit son existence à un principe générateur. Or, de qui reçoit-elle le don de l'immortalité, si ce n'est, de celui qui embrasse l'ensemble dans des mesures déterminées? Car la nature d'un corps ne peut être infinie, puisqu'elle n'est ni sans origine, ni capable de subsister par elle-même. Si donc elle tirait de son propre fonds quelque produit qui ne fût jamais remplacé, sa substance, comme celle de tous les êtres créés, serait bientôt consumée. Mais le dieu, en s'approchant de cette nature avec régularité, la redresse et la recrée, tandis que, en s'en éloignant, il l'affaiblit et la corrompt. Disons mieux : son approche l'anime et lui verse la vie, son éloignement ou sa translation ailleurs entraîne la dissolution des éléments corruptibles. Cependant la répartition incessante de ses bienfaits est égale pour toute la terre. Chaque contrée en reçoit une portion, de manière que le principe générateur ne fasse jamais défaut, et que l'action constante du dieu maintienne l'équilibre nécessaire à la conservation de ce inonde passible. Car l'identité de la substance entraîne nécessairement l'identité de l'action exercée par les dieux et à plus forte raison par le Soleil, qui est le roi de tous les autres, vu que son mouvement, par son extrême simplicité, est incomparablement supérieur à celui des autres astres qui se meuvent dans le sens opposé de l'ensemble. Et ceci même parait à l'illustre Aristote un indice de la prééminence de ce dieu sur les autres. Il est vrai que les autres dieux intelligents excitent sur ce monde une influence manifeste. Mais quoi? est-ce que c'est exclure les autres dieux, que d'accorder la prééminence au Roi Soleil? Nous ne faisons que juger des choses cachées par les phénomènes apparents. Or, comme nous voyons le Soleil recueillir de tous les autres globes les forces qui en découlent sur la terre, les perfectionner et s'en approprier une portion qu'il reverse sur l'univers, il est naturel de croire que dans ces communications secrètes et réciproques, le Soleil exerce une influence avec laquelle les autres se combinent pour en former un tout.

8. Nous avons dit que le Soleil, être mitoyen, servait de médiateur aux dieux intelligents; mais quel est ce milieu, par où s'opère sa médiation? Que le Soleil Roi nous accorde la faveur de l'expliquer! Nous entendons par milieu, non pas celui que l'on distingue entre deux choses opposées et qui s'éloignent également des deux extrêmes, connue parmi les couleurs le châtain ou le cendré, comme le tiède entre le chaud et le froid, et ainsi du reste, mais l'agent qui rapproche, qui unit las éléments séparés, telle qu'est l'harmonie d'Empédocle, qui exclut toute discordance. Or, quelles sont les essences que réunit le Soleil et dont il est le médiateur? Celles des dieux visibles qui planent sur notre monde, des dieux immatériels et intelligibles qui entourent le bon par excellence. Il multiplie autour d'eux sa substance divine et intelligente, sans en recevoir aucune altération, aucun mélange. Si donc la médiation ne résulte pas de l'influence des extrêmes pour être parfaite et sans mélange, ainsi l'essence intelligente et souverainement belle du Soleil ne résulte pas de son mélange avec les dieux visibles ou invisibles, sensibles ou intelligents, et, c'est en cela, selon nous, que consiste sa médiation. Maintenant, s'il faut spécifier en détail quelles sont les formes suivant lesquelles s'opère cette médiation, afin de voir, par la pensée, sur quels premiers et sur quels derniers objets il agit, quoique l'explication soit, difficile, nous essayerons de l'exposer de notre mieux.

9. L'être intelligible qui préexiste à tous les êtres et qui comprend tout en lui seul, est nécessairement un. Pourquoi s'en étonner? Est-ce que le monde entier n'est pas un être un , formé tout entier d'âme et d'intelligence, et parfait de la perfection de ses parties? Mais de cette double perfection dans l'unité, je veux dire de cette union qui confond le tout dans un être intelligent, et qui assemble le monde en une seule et même nature parfaite, naît la perfection du Roi Soleil, agissant comme médiateur, laquelle opère l'unité et influe sur les dieux intelligents. Outre cela, il existe dans le monde même des dieux intelligents une tendance collective à produire l'unité dans l'univers. Et comment? Est-ce que la substance du cinquième corps ne se répand pas évidemment autour du ciel, pour en contenir toutes les parties, et pour empêcher, en se les attachant, celles qui sont d'une nature moins adhérente de se disséminer et de se séparer des autres? Or, ces deux causes de cohésion, l'une qui réside dans les êtres intelligents et l'autre qui se manifeste dans les êtres visibles, le Roi Soleil les réunit seul; de sorte que, d'une part, il exerce la force coercitive des êtres intelligents, d'où il tire lui-même son origine, et que, de l'autre, il préside à la seconde force que nous voyons se déployer dans le monde apparent. Pourquoi donc alors la substance, qui apparaît comme la première, dans le monde intelligible et comme la dernière dans le monde apparent du ciel, n'admettrait-elle pas, pour médiatrice, la substance du Roi Soleil, qui est cohérente de sa nature, et de laquelle découle sur le monde visible la clarté resplendissante qui rayonne sur l'univers ? Plaçons-nous à un autre point de vue : il n'y a qu'une seule cause efficiente de l'univers et une infinité de divinités agissantes, qui planent dans le ciel ; n'est-il point naturel de penser que l'action du Soleil sert de milieu entre elles et le monde? En outre, non seulement la force féconde de la vie réside, en toute sa plénitude, dans l'être intelligible, mais le monde visible est également rempli de ce principe vital, Il s'ensuit donc de toute évidence que la puissance vitale du Roi Soleil tient le milieu entre ces deux principes. C'est ce que nous prouvent les phénomènes placés sous nos regards. En effet, le Soleil rend certaines formes parfaites, en produit d'autres, ajoute à d'autres de nouveaux ornements ou en rehausse l'éclat; il n'en est pas une qui se montre au jour ou qui naisse sans la force, opératrice du Soleil. Maintenant, si nous considérons, d'un côté, dans les êtres intelligents, cette substance pure, sans mélange, immatérielle, avec laquelle rien d'accessoire ou d'étranger ne se combine, mais qui est complète de sa propre perfection, et de l'autre, cette nature également simple et pure du corps divin et sans mélange, laquelle, bien qu'inhérente à tout corps mû circulairement, est elle-même dégagée de tout élément hétérogène, nous trouverons encore que la substance lumineuse et incorruptible du Roi Soleil sert d'intermédiaire entre la pureté immatérielle des êtres intelligents et la pureté sans mélange, libre de toute génération et de toute corruption, qui se manifeste dans les êtres visibles. La preuve la plus évidente de cette pureté du Soleil est que sa lumière, en se répandant sur la terre, ne s'y mêle à aucune substance et n'y contracte ni tache ni souillure; en tout et partout, elle demeure intacte, pure et inaltérée. Il faut encore faire attention aux formes immatérielles et intelligentes et même aux formes sensibles, qui ont besoin de matière ou de sujet, et nous reconnaîtrons aussi ce milieu intellectuel des formes qui environnent le Roi Soleil et qui prêtent leur secours aux formes environnées de matière, de sorte que ces dernières ne peuvent exister ni se conserver autrement qu'à l'aide des premières, et par conséquent à l'aide de la force que celles-ci tirent du Soleil. En effet, n'est-ce pas lui qui est le principe de la séparation des formes et de la concrétion de la matière? N'est-ce pas lui qui nous donne la faculté de connaître et celle de voir avec nos yeux? La diffusion de ses rayons par tout l'univers et leur union en un tout lumineux attestent sa force créatrice et distincte dans ses produits. Cependant, comme beaucoup d'astres bien apparents sont dus à la substance du Soleil servant d'intermédiaire entre les dieux intelligents et ceux qui peuplent le monde, laissons de côté ce denier degré de son influence visible. Sa première création, dans le dernier des mondes, est celle des anges solaires, dont l'essence est tout idéale, toute concevable. La seconde est la force génératrice des êtres sensibles. La partie la plus noble de cette force contient le germe du ciel et des astres; la moins élevée préside à la génération, et elle renferme en elle-même la substance génératrice qu'elle tient du principe éternel. Expliquer toutes les autres qualités inhérentes à la substance du Roi Soleil serait impossible, lors même que ce dieu nous en donnerait l'intelligence, car il me paraît impossible de tout embrasser dans son esprit.

10. Afin toutefois de mettre le sceau à ce discours, quelle qu'en soit déjà l'étendue, passons à d'autres développements qui méritent notre attention. Or, quel est ce sceau, ou plutôt quelle notion sommaire donnerai je sur la substance de ce dieu?
C'est à lui de la suggérer à notre désir de faire comprendre en peu de mots le principe dont il émane, ce qu'il est lui-même, et de quelles richesses il remplit le monde visible. Je dirai donc que d'un seul dieu, qui est le monde intelligent, provient le Roi Soleil, destiné à être le médiateur des êtres intellectuels, médiateurs eux-mêmes, et à les présider, en vertu de sa force mitoyenne, conciliante, amie, et propre à réunir, dans un seul ensemble, les êtres extrêmes, les derniers et les premiers, parce qu'il offre, dans sa substance, un moyen de perfection, de liaison et de principe vital, et que lui-même est l'auteur, non seulement des biens de toute espèce dont jouit le monde visible, qu'il orne et qu'il éclaire de sa splendeur rayonnante, mais parce qu'il engendre de lui-même la substance des anges solaires, et qu'il renferme la cause incréée des êtres ainsi que la cause éternelle des êtres immortels et le principe inaltérable de la vie. Tout ce qu'il fallait dire à propos de la substance de ce dieu, bien que nous avons omis plusieurs détails, a été exposé par nous d'une manière assez explicite. Mais la quantité de ses vertus efficaces et la beauté de ses mouvements actifs étant telles qu'elles surpassent toutes les considérations relatives à sa substance, vu qu'il est de l'essence des choses divines que, en se manifestant au dehors, elles multiplient partout les sources fécondes de la vie, comment, je le demande, ne hasarder sur une mer sans rivages, quand j'ai peine à respirer à mon aise après le long discours que je viens de tenir? Osons-le, toutefois, en comptant sur l'appui du dieu, et essayons de reprendre notre discours.

11. Et d'abord, tout ce que nous avons dit précédemment de sa substance s'applique aussi à ses vertus efficaces. Car sa substance n'est pas une chose, sa force une autre et son efficacité une troisième. Tout ce qu'il veut il l'est, il le peut, il l'effectue; ne pouvant vouloir ce qui n'est pas, ni manquer de force pour effectuer ce qu'il veut, ni vouloir ce qui lui est impossible. Il n'en est pas ainsi de l'homme, en qui lutte le mélange d'une double nature, unie en un seul être, l'âme et le corps, l'une divine, l'autre obscure et ténébreuse, d'où naît une discordance et un combat. C'est ce qui fait dire à Aristote (20) qu'en nous ni les plaisirs ni les douleurs ne sont en harmonie, parce que les unes on les autres, dit-il, contrarient nécessairement chez nous l'une des deux natures. Rien de semblable chez les dieux. Les biens sont sans lutte inhérents à leur substance; jamais ils n'inclinent d'aucun côté. Aussi tout ce que nous avons commencé par reconnaître volontiers dans la substance du Roi Soleil, il faut prendre que nous l'avons dit également pour sa force et son efficacité. Il suit de là que notre raisonnement est réciproque, et que ce que nous avons à examiner touchant sa force et son efficacité, n'a pas seulement trait à ses oeuvres, mais à sa substance.

12. Il y a des dieux de même origine et de même nature que le Soleil, dont ils couronnent la substance, et qui, répandus en foule dans l'univers, se confondent dans son unité. Écoutez ce qu'en disent les hommes éclairés, qui ne regardent pas le ciel avec les yeux du cheval, du boeuf ou des autres animaux dépourvus de science et de raison, mais qui, par les phénomènes visibles, sont parvenus à reconnaître la nature invisible. Et d'abord, si vous voulez bien, dans l'infinité des forces et des vertus procosmiques (21) du Soleil, considérez-en un petit nombre. La première de ces forces est celle par laquelle, pénétrant intimement la substance intelligente, il en unit les extrémités pour n'en plus former qu'un tout; et si nous remarquons que, dans le monde sensible, l'air et l'eau servent de moyen entre le feu et la terre, et de lien entre les extrêmes, pourquoi, dans une substance préexistante au corps, séparée d'eux et n'ayant pas eu de commencement, puisqu'elle contient en elle-même le principe de la génération, ne supposerions-nous pas le même ordre, de manière que les principes extrêmes de cette substance, principes distincts et séparés de tous les corps, soient rassemblés à l'aide d'agents intermédiaires par le Roi Soleil et unifiés en lui? En effet, il est doué de la même force active que Jupiter, et nous eu avons donné pour preuve les temples élevés à tous deus en commun dans l'île de Chypre, ainsi que le témoignage d'Apollon, mieux instruit, ce semble, que qui que ce soit sur la nature de son propre être (22). Car Apollon ne fait qu'un avec le Soleil, et partage avec lui la mérite simplicité d'intelligence, la même immuabilité de substance et la même énergie. Ainsi, lorsque le dieu ne parait point séparer du Soleil la force productrice et disséminée de Bacchus, mais que, au contraire, il la place sous l'empire du Soleil et sur le même trône, il nous initie aux plus belles idées que l'on puisse avoir de cette divinité. C'est encore pour cela que cette divinité, considérée comme renfermant en soi les principes du plus bel ensemble intellectuel, s'appelle Soleil, Apollon Musagète (23); et parce qu'il met en harmonie toutes les lois de la vitalité, on dit qu'il mit au monde Esculape, qu'il avait en soi avant le monde (24). Mais quiconque voudrait considérer, dans leurs variétés, les autres puissances du Roi Soleil, il ne pourrait les énumérer toutes. Il suffit donc, je pense, d'avoir examiné avec soin qu'il partage la domination avec Jupiter, tant sur la cause séparatrice qui préexiste aux corps eux-mêmes que sur les causes séparées et antérieures à la manifestation des effets visibles; d'avoir établi qu'il jouit avec Apollon de la simplicité de l'intelligence et d'une éternelle immuabilité; avec Bacchus, de la force productrice et disséminée à laquelle ce dieu préside; d'avoir contemplé dans la puissance du dieu Musagète la grandeur de la plus belle des harmonies et du plus bel ensemble intellectuel ; enfin d'avoir signalé dans Esculape la force qui complète les principes réguliers de la vie. Voilà ce que nous avons pu dire des vertus procosmiques du Soleil, et auxquelles correspondent, dans le même rang, des effets qui se passent hors du monde visible, et qui sont le complément de ses bienfaits.

13. En effet, ce dieu étant une production immédiate et légitime du bon par excellence, et recevant de lui une portion parfaite de la bonté, la communique d'une manière effective à tous les dieux intelligents et perfectionne ainsi leur substance. Tel est son premier bienfait. Le second est la distribution parfaite de la beauté intelligente dans les formes immatérielles et incorporelles. Et de fait, dès que la substance apparente et procréatrice tend à produire et à manifester quelque chose dans l'ordre de la beauté, il est nécessaire qu'elle soit devancée et mise eu oeuvre par celle qui remplit la même fonction toujours et de toute éternité dans l'ordre de la beauté intelligible, et cela non pas pour un instant et jamais dans la suite, non pas en engendrant maintenant et en devenant plus tard stérile; car tout ce qu'il y a de beau dans les êtres intelligents continue sans cesse d'être beau. Il faut dont: convenir qu'à la cause productrice manifestée par les phénomènes préexiste un produit incréé dans l'ordre de la beauté idéale et éternelle, produit qui réside dans le Roi Soleil, dont il émane, et auquel celui-ci répartit l'intelligence parfaite de la même manière qu'il communique, par la lumière, la faculté de voir, dont jouissent les yeux. Ainsi c'est par ce modèle intelligent, plus encore que par l'éclat de la lumière éthérée, qu'il procure aux êtres intelligents le don de percevoir et d'être perçus. A ces vertus du Soleil, roi de l'univers, vient s'ajouter la plus admirable de toutes, je veux dire celle de communiquer une existence supérieure aux anges, aux génies, aux héros et aux âmes isolées, qui résident dans la substance rationnelle des prototypes et des idées et qui ne se mêlent jamais à des corps. Par cette énumération nous avons loué rapidement, mais suivant la mesure de nos forces, l'existence procosmique du Roi Soleil, sa puissance et ses oeuvres. Mais, comme les yeux, dit-on, sont plus fidèles que les oreilles, bien qu'ils soient plus infidèles et plus faibles que l'intelligence, essayons, si ce dieu nous le permet, de parler, même faiblement, de sa force apparente.

14. Le monde visible a été fixé de toute éternité autour du Soleil, dont le trône éternel est la lumière péricosmique; non pas pour un instant et jamais ensuite, ni tantôt suivant un mode et tantôt suivant un autre, niais sans aucun changement. Or, quand même on voudrait, par une abstraction de la pensée, borner au temps cette nature éternelle du Soleil, roi de tous les êtres, on reconnaîtrait aisément que, en rayonnant sur l'univers, il est l'auteur des biens éternellement répandus sur le monde. Je sais bien que le grand Platon, et, après lui, un penseur qui lui est inférieur dans l'ordre des temps et non du génie, je veux parler de Jamblique de Chalcis (25), qui nous a initiés aux diverses études de la philosophie et notamment à ces sortes de matières, je sais, dis-je, que tous deux se sont servis, par hypothèse, du mot engendré, et ont supposé une génération, pour ainsi dire, chronologique, afin de mieux faire comprendre l'étendue des biens émanés du Soleil. Pour moi, qui suis si loin d'avoir la force de leur génie, je n'ose risquer pareille assertion, vu qu'il ne me paraît pas sans danger d'admettre pour le monde, même par hypothèse, une génération chronologique, comme l'illustre Jamblique en a exprimé l'idée. J'estime, au contraire, que le dieu Soleil, provenant de la cause éternelle, a produit toutes choses de toute éternité, eu rendant visibles les êtres invisibles par un effet de sa volonté divine et de sa vitesse ineffable, et que, procréant simultanément tous les êtres dans le temps présent, par son infatigable vertu, il s'est réservé le milieu du ciel, comme sa demeure propre, afin de distribuer également tous les biens aux dieux nés de lui on en même temps que lui, et pour présider aux sept sphères, à la huitième orbite du ciel et à la neuvième dans laquelle roule le cercle éternel de la génération et de la dissolution (26). Quant aux planètes, on voit qu'elles forment un choeur autour de lui et qu'elles règlent leurs évolutions de manière à concorder avec sa marche; et le ciel entier, en harmonie avec lui dans toutes ses parties, est plein de dieux émanés du Soleil. Ce dieu, en effet, préside à cinq cercles du ciel (27): en parcourant trois d'entre eux il engendre les trois Grâces; les autres sont les plateaux de la grande Nécessité (28). Peut-être avancé-je des idées inintelligibles pour les Grecs, comme s'il ne fallait dire que des choses vulgaires et connues. Cependant le fait n'est pas si étrange qu'on le supposerait d'abord. Qu'est-ce, en effet, pour nous que les Dioscures (29), ô mes sages, qui croyez â tant de choses sans examen? Ne les appelle-t-on pas hétérémères (30), parce qu'il ne leur est pas permis d'être vus le même jour? Vous comprenez, dites-vous, le jour actuel et celui d'hier. Eh bien, ce qu'on entend de ces Dioscures, appliquons-le à un être, à un fait déterminé, afin de ne rien dire d'étrange et d'inintelligible; mais une exacte recherche ne nous le fait pas sur-le-champ trouver. En effet, la supposition admise par quelques théologiens qu'il s'agit ici des deux hémisphères du monde, est dénuée de raison, vu qu'il n'est pas facile de comprendre pourquoi chacun d'eux recevrait le nom d'hétérémère, puisque chaque jour les hémisphères qu'ils représentent reçoivent l'un et l'autre un accroissement progressif et insensible de clarté. Voyons donc à en essayer une explication nouvelle que voici. On peut dire avec raison que ceux-là seuls jouissent d'un même jour pour lesquels la marche du Soleil au-dessus de la terre dure le même temps et s'opère dans un seul et même mois. Qu'on examine donc si l'alternation des jours ne s'adapte pas mieux à la différence qu'offrent les cercles tropiques avec les autres cercles; car ceux-ci sont constamment visibles pour les peuples des pays où l'ombre se projette des deux côtés opposés, tandis que ceux qui voient l'un des deux autres cercles (31), ne peuvent apercevoir l'autre. Mais afin de ne pas insister trop longtemps sur ce point, disons que le Soleil, par ses conversions solsticiales, est le père des saisons, et que, n'abandonnant jamais les pôles; il s'identifie avec l'Océan et devient le principe d'une double substance. Tenons-nous ainsi un langage obscur? Homère n'a-t-il pas dit avant nous (32) :

L'Océan dont le monde a reçu la naissance,

c'est-à-dire les mortels et les dieux qu'il qualifie de bienheureux? Et c'est vrai. De tous Ies êtres, en effet, il n'en est pas qui ne soit un produit de l'Océan. En quoi ce fait intéresse-t-il les hommes, voulez-vous le savoir? Mieux vaut garder le silence je parlerai cependant et je le dirai, dussé-je ne pas être bienvenu de tous.

15. Le disque solaire, en parcourant la région sans astres, s'élève beaucoup au-dessus de celle des étoiles fixes, en sorte qu'il n'est plus au milieu des planètes, mais seulement au milieu des trois mondes d'après les hypothèses mystiques, si l'on peut appeler ces notions des hypothèses; mieux vaudrait dire des dogmes et donner le nom d'hypothèses à la théorie des corps sphériques : car les dogmes sont attestés par ceux qui ont entendu la voix même des dieux ou des grands démons, et les hypothèses ne sont que des probabilités en harmonie avec les phénomènes. On peut donc approuver les uns, mais quant à croire aux autres, si on le juge à propos, c'est une opinion que je respecte et que j'admire avec plus ou moins de sérieux. Mais c'en est assez, comme on dit, sur ce sujet. Outre les dieux, dont nous avons parlé, un grand nombre de dieux célestes ont été signalés par ceux qui ne regardent pas le ciel machinalement et comme les brutes. Or, le Soleil, après avoir partagé les trois mondes en quatre parties, proportionnellement aux rapports du cercle zodiacal avec chacun d'eux, divise ensuite ce cercle par puissances de douze dieux (33), auxquels il affecte trois puissances de ce genre, ce qui en porte le nombre à trente-six (34). De là, je pense, le triple don des Grâces nous est venu du ciel, c'est-à-dire des cercles que le dieu a divisés en quatre parties, d'où il nous envoie la ravissante alternative des saisons. Et voilà pourquoi, sur la terre, les Grâces imitent le cercle dans leurs statues (35). On dit aussi que Bacchus, dispensateur des grâces (36), partage la royauté avec le Soleil. Est-il besoin que je te (37) rappelle Horus (38) et les noms des autres dieux qui conviennent tous au Soleil? Car les hommes ont appris à connaître ce dieu par les effets qu'il produit en remplissant le ciel de biens intellectuels, en le faisant participer à la beauté de l'être intelligent, et en partant de ce point pour lui verser ses bienfaits, en tout ou en partie, par l'entremise des hommes vertueux.... (39) Car ils veillent sur tous les mouvements qui s'opèrent, jusqu'aux dernières limites du monde, sur la nature, sur l'âme. Réunissant en un seul corps et sous un seul chef cette phalange innombrable de dieux, il l'a placée sous les ordres de Minerve Pronoée (40), que la Fable nous dit issue du cerveau de Jupiter, mais que nous croyons née tout entière du Roi Soleil tout entier, qui la tenait enfermée : et en cela nous différons du mythe qui nous la donne comme issue de l'une des extrémités, tandis que c'est du tout qu'elle provient tout entière. Pour le reste nous admettons avec la vieille tradition que Jupiter ne diffère en rien du Roi Soleil. Quant à ce que nous disons de Minerve Pronoée, ce n'est point une nouveauté, s'il faut eu croire ces vers :

Il arrive à Pytho, vers l'enceinte sacrée
De Pallas aux yeux gris, Minerve Pronoée.

Ainsi les anciens faisaient asseoir Minerve Pronoée sur le même trône qu'Apollon, qu'ils confondaient avec le Soleil. A son tour, Homère, saisi d'un transport divin, car on sent bien qu'il est inspiré par les dieux et que souvent sa poésie est un oracle, Homère dit (41) :

Je veux le même honneur qu'Apollon et Minerve.

Et la déesse l'attend de Jupiter, qui est le même que le Soleil. De même donc que le roi Apollon, par la simplicité de la pensée, communique avec le Soleil, de même il faut croire que Minerve, qui tient de celui-ci sa propre substance, et qui est, par conséquent son intelligence parfaite, rapproche, sans confusion, et réunit tous les dieux autour du Soleil, roi de tous les astres ; et que, partant de la voûte extrême du ciel, dont elle parcourt les sept orbites jusqu'à la Lune, elle y répand le principe vital pur et sans mélange. La même déesse remplit encore de son intelligence la Lune, qui est le dernier des corps sphériques; et la Lune, à son tour, surveillant les intelligences supracélestes, et donnant des formes à la matière placée au-dessous d'elle, en élimine tout ce qu'elle a de sauvage, de turbulent et de désordonné. Minerve distribue aux hommes, entre autres biens, la sagesse, l'intelligence et le génie des arts mécaniques : elle habite les acropoles, et c'est sur la sagesse qu'elle fonde dans les cités la société politique.

16. Disons quelque chose de Vénus, que les savants de la Phénicie prétendent associer aux fonctions de la déesse (42), ce que je pense pour ma part. Vénus est, en effet, un mélange des dieux célestes, un lien d'harmonie et d'unité qui les rassemble. Voisine du Soleil, qu'elle suit dans sa course et dont elle s'approche, elle remplit le ciel d'une heureuse température, communique à la terre sa fécondité et pourvoit à la génération des animaux, dont le Roi Soleil est la cause première. Vénus, qui lui sert d'auxiliaire, charme nos âmes par la volupté et envoie sur la terre à travers les airs ces feux délicieux et purs, dont l'éclat surpasse celui de l'or. Je veux encore user ici, mais sobrement. de la théologie phénicienne, et si c'est en vain, la suite de mon discours le prouvera. Les habitants d'Édesse (43), lieu de tout temps consacré au Soleil, donnent à ce dieu pour assesseurs Monime et Aziz (44), selon Jamblique, à qui nous aimons à emprunter beaucoup de détails entre mille autres. Or, Monime c'est Mercure, et Aziz c'est Mars, assesseurs du Soleil, et qui répandent de nombreux bienfaits dans la région qui entoure la terre.

17. Telles sont les influences actives du dieu dans le ciel, perfectionnées par les agents que nous avons dits et portées jusqu'aux extrémités de la terre. Quant aux effets qu'il produit dans la région sublunaire, il serait trop long d'en faire l'énumération; il convient pourtant d'en citer sommairement quelques-uns. Je sais bien que j'en ai déjà parlé, quand j'ai essayé d'apprécier les qualités occultes de la substance du dieu par ses phénomènes sensibles ; mais la suite de mon discours exige que je m'y reporte de nouveau. Comme nous avons montré que le Soleil commande à tous les êtres intelligents, qu'il réunit en un seul groupe autour de sa substance indivisible une infinité de dieux, qu'il agit en qualité de chef et de souverain sur les globes visibles, dont les révolutions, éternellement circulaires, observent une si heureuse régularité, qu'il remplit le ciel tout entier non seulement d'un éclat splendide, mais encore de mille autres biens que l'on ne voit pas, qu'il perfectionne les biens émanés de lui à l'aide de dieux visibles, qui lui servent d'agents et qui tiennent leur perfection de son énergie ineffable et divine, ainsi devons-nous penser qu'il y a près du lieu propre à la génération certains dieux commis à cet effet par le Roi Soleil, lesquels, gouvernant la quadruple nature des éléments et les âmes à qui ces éléments s'agrégent habitent parmi les trois genres d'êtres supérieurs (45). Et les âmes individuelles, que de biens il leur procure, leur faisant discerner les objets, les redressant par le sentiment de la justice, les purifiant de sa clarté! N'est-ce pas lui également qui meut et vivifie toute la nature, en lui versant d'en haut le principe qui féconde? C'est encore lui qui est pour chaque être individuel la véritable cause de sa tendance à une destination finale. Car, comme le dit Aristote, l'homme est engendré par l'homme et par le Soleil (46). D'où il suit que l'on peut attribuer au Roi Soleil tous les autres produits des natures individuelles. Quoi donc? ne voyons-nous pas que, pour produire les pluies, les vents et les autres phénomènes météorologiques, ce dieu met en œuvre une double exhalation? Car, en échauffant la terre, il attire les vapeurs et la fumée, et il n'agit pas seulement ainsi dans les hautes régions de l'air, mais il produit tous les changements, grands ou petits, qui ont lieu sous la terre.

18. Pourquoi donc m'étendre davantage sur ce sujet, quand je puis désormais arriver au but, en célébrant les bienfaits que le Soleil répand sur les hommes? Nés de lui, c'est de lui que nous recevons la nourriture. Et quant à ces qualités plus divines qu'il accorde aux âmes, soit en les dégageant du corps, pour les rapprocher des essences qui participent de la nature divine, soit en faisant de la partie la plus subtile et la plus active de sa divine clarté une sorte de char, qui les porte sans obstacle vers une génération nouvelle, que d'autres les célèbrent dignement : je tiens moins à les démontrer qu'à y croire. Mais ce qui est connu de tous, je n'hésite point à le décrire. Le ciel, dit Platon, est le maître de la science, parce qu'il nous a révélé la nature des nombres (47), car les différences qu'ils ont entre eux, ce sont les périodes du Soleil qui nous les ont fait découvrir. Platon fait la même réflexion sur le jour, sur la nuit et sur la lumière de la Lune, déesse qui emprunte son éclat au Soleil ; données qui nous ont conduits à des résultats plus étendus fondés sur la vue de toutes les parties concordant avec ce dieu. Ailleurs Platon dit encore que les dieux, prenant en pitié les maux inhérents à notre nature, nous ont donné Bacchus et le choeur des Muses. Or, le Soleil nous apparaît comme leur chef commun, puisqu'on célèbre en lui le père de Bacchus et le chef des Muses. Apollon qui partage avec lui la royauté, n'a-t-il pas établi ses orales par toute la terre? N'a-t-il pas inspiré aux hommes une sagesse divine et paré les cités de lois sacrées et civiles? C'est lui qui, par les colonies grecques, a civilisé la plus grande partie de l'univers et en a préparé la soumission plus facile aux Romains. Car non seulement les Romains sont de race hellénique, mais leurs rites sacrés, leur confiance dans les dieux, ils les ont empruntés aux Grecs dés l'origine et conservés jusqu'à la fin. Bien plus, ils ont établi, dans leur empire, une forme politique qui ne le cède en rien au gouvernement des autres villes et qui surpasse même toutes celles que jamais peuple se soit données. A ce titre je regarde notre capitale (48) comme essentiellement grecque et par son origine et par sa constitution. Que te dirai-je encore du Roi Soleil? N'a-t-il pas pourvu à la santé et à la conservation de tous les êtres en donnant le jour à Esculape le sauveur de tous les mortels? Il nous accorde toute espèce de vertu, en nous envoyant Vénus avec Minerve, et en mettant sous leur sauvegarde la loi qui veut que l'union des deux sexes n'ait d'autre but que la procréation d'un être semblable. Voilà pourquoi, suivant les périodes solaires, tous les végétaux et tous les animaux tendent à la reproduction d'un être qui leur ressemble. Exalterai-je ses rayons et sa lumière? A la terreur que cause une nuit sans lune et sans astres, nous pouvons juger quel bien nous avons dans la lumière du Soleil. Et, quoiqu'il la verse sans cesse, et sans que la nuit l'intercepte, dans les régions supérieures à la Lune, il nous ménage ici-bas, par la nuit, le repos de nos fatigues. Mon discours ne finirait point, si je voulais en épuiser le sujet. Car il n'est aucun bien dans la vie que nous ne tenions partait de ce dieu ou qu'il ne perfectionne, s'il nous vient des autres dieux.

19. Je vois encore dans le Soleil le fondateur de notre cité. Dans la citadelle de Rome, en effet, habitent, avec Minerve et Vénus, non seulement Jupiter, le glorieux père de tous les dieux, mais encore. Apollon sur la colline du Palatin (49). Or, le Soleil ne fait qu'un, on le sait, avec toutes ces divinités. Pour prouver, du reste, que nous nous rattachons au Soleil, nous tous descendants de Romulus et d'Énée, voici, entre mille autres, quelques faits sommaires bien connus. Énée, dit-on, naquit de Vénus, parente et auxiliaire du Soleil. Quant au fondateur même de la ville, la renommée le dit fils de Mars, et elle s'appuie, pour croire à ce fait extraordinaire, sur les prodiges qui suivirent. On raconte, en effet, qu'il fut allaité par une louve. Ici, je ne répéterai pas ce que je sais et que j'ai déjà dit plus haut, à savoir que Mars, appelé Aziz par les Syriens, habitants d'Édesse, ouvre le cortège du Soleil. Mais pourquoi le loup est-il consacré à Mars plutôt qu'au Soleil, puisqu'on donne à sa révolution annuelle le nom de Lycabas (50), employé non seulement par Homère et par les Grecs les plus célèbres, mais par le dieu lui-même? Il dit, en effet :

Comme un léger danseur qui bondit et s'élance,
Lycabas a franchi la route aux douze mois.

Veux-tu que je te donne un argument plus décisif, pour prouver que le fondateur de notre ville ne provient pas de Mars tout seul, et que, si peut-être un génie martial et vigoureux vint contribuer à la formation du corps de Romulus en ayant commerce, dit-on, avec Silvia qui portait l'eau lustrale à la déesse (51), l'âme, c'est-à-dire tout l'être du divin Quirinus est descendue du Soleil? Croyons-en, à cet égard, la tradition. Une conjonclion complète du Soleil et de la Lune, qui se partagent l'empire visible, fit descendit cette âme sur la terre, et une autre conjonction la fit remonter au ciel, après avoir anéanti par le feu de la foudre l'enveloppe mortelle du corps (52). Ainsi l'active déesse qui, sous les ordres du Soleil, gouverne les choses terrestres, reçut Quirinus envoyé sur la terre par Minerve Pronoée, et le reprit à son départ de la terre, pour le ramener au Soleil, roi de tous les êtres. Désires-tu que je te cite, comme une nouvelle preuve de ce que j'avance, l'institution du roi Numa? Par ses ordres des vierges sacrées sont préposées chez nous, pour chaque saison, à la garde de la flamme inextinguible du Soleil et remplissent la fonction que la Lune exerce autour de la terre, celle de conserver le feu sacré du dieu (53). Une preuve encore plus importante en faveur du dieu, c'est une autre institution de ce divin roi (54). Tandis que tous les autres peuples, à peu près, comptent les mois d'après la Lune, nous seuls, avec les Égyptiens, mesurons les jours de chaque année sur les mouvements du Soleil. J'ajouterai à ceci que nous rendons un culte particulier à Mithra (55) et que nous célébrons tous les quatre ans des jeux en l'honneur du Soleil; mais ce serait parler de faits trop récents (56), et mieux vaut peut-être s'appuyer sur des usages plus anciens.

20. En effet, lorsque les peuples fixent, chacun à sa manière, le commencement du cercle annuel des jours, les uns à partir de l'équinoxe du printemps, les autres au milieu de l'été, et la plupart des autres vers la fin de l'automne, ils célèbrent tous les bienfaits évidents du Soleil. L'un le remercie de la saison propice au labour, où la terre fleurit et s'épanouit, où tous les fruits se mettent à germer, où les mers s'ouvrent à la navigation, où la tristesse et la rigueur de l'hiver font place à la sérénité. Les autres honorent le temps de l'été, parce que l'on est rassuré désormais sur la venue des récoltes, que les grains sont déjà réunis, que la cueillette est mûre et que les fruits, venus à point, pendent aux arbres. D'autres, plus ingénieux, voient la fin de l'année dans la maturité pleine et mémo avancée de tous les fruits, et c'est quand l'automne expire qu'ils célèbrent le renouvellement de l'année. Mais nos ancêtres, depuis le divin roi Numa, ont avant tout honoré le Soleil, et ne se sont point préoccupés de l'utilité. Leur nature divine, je pense, et leur intelligence profonde leur ont fait voir eu lui la cause de tant de biens, et ils ont décidé de faire concorder le commencement de l'année avec la saison où le Roi Soleil quitte les extrémités méridionales pour revenir vers nous, et que. bornant sa course au Capricorne, comme à sa dernière limite, il s'avance de Notus vers Borée pour nous faire part de ses bienfaits annuels. Or, que telle ait été l'intention de nos aïeux, en fixant ainsi le renouvellement de l'année, c'est ce dont il est facile de se convaincre. En effet, ils n'ont point placé cette fête au jour précis où le Soleil revient, visiblement pour tous, du midi vers les Ourses. Ils ne connaissaient pas encore ces règles délicates, trouvées par les Chaldéens et les Égyptiens et perfectionnées par Hipparque et par Ptolémée; mais, jugeant d'après leurs sens, ils se sont attachés aux phénomènes. Seulement, comme je l'ai dit, des observations plus récentes ont confirmé la vérité des faits. Désormais, avant le renouvellement de l'année et immédiatement après le dernier mois consacré à Saturne, nous solennisons par des jeux magnifiques consacrés au Soleil, la tête du Soleil Invincible (57). Ces jeux achevés, il n'est plus permis de célébrer les spectacles tristes, mais nécessaires, qu'offre le dernier mois. Mais aussitôt après les Saturnales (58) viennent les fêtes anniversaires du Soleil.

21. Veuillent les immortels, rois du ciel, m'accorder de les célébrer plusieurs fois! Je le demande surtout au Soleil, roi de tous les êtres, qui, engendré de toute éternité autour de la substance féconde du bon et tenant le milieu entre les dieux intermédiaires intelligents, les unit à lui et les remplit tous également d'une beauté infinie, d'une surabondance génératrice, d'une intelligence parfaite, c'est-à-dire de tous les biens ensemble. De tout temps et maintenant encore, son trône rayonnant au milieu du ciel, en éclaire la région visible qu'il occupe éternellement ; et c'est de là qu'il répand sa beauté sur tout l'univers et qu'il peuple le ciel entier d'autant de dieux que sa substance, éminemment intelligente, lui permet d'en concevoir, pour les tenir étroitement et individuellement unis à lui. Toutefois il n'est pas moins libéral envers la région sublunaire, où il verse une éternelle fécondité, ainsi que tous les biens qui peuvent jaillir d'un corps sphérique. C'est encore lui qui prend soin de tout le genre humain et spécialement de notre ville, de même qu'il a créé notre âme de toute éternité et qu'il se l'est adjointe pour compagne. Puisse-t-il donc m'accorder les faveurs que je lui demandais tout à l'heure ! Puisse sa bienveillance assurer à notre cité commune l'éternité dont elle est susceptible! Puissions-nous, sous sa sauvegarde, prospérer dans les choses divines et humaines, tant qu'il nous sera donné de vivre! Puissions-nous enfin vivre et gouverner, aussi longtemps qu'il plaira au dieu et qu'il y aura plus d'avantage et pour nous-même et pour les intérêts communs des Romains!

22. Voilà, mon cher Salluste, ce que j'ai pu ébaucher en trois nuits sur la triple puissance du dieu, en faisant appel à ma mémoire, et je me suis risqué à te l'écrire, à toi qui n'as point trouvé par trop mauvais ce que je t'avais écrit naguère sur les Saturnales (59). Si tu veux consulter sur ces matières des écrits plus complets et plus mystiques, prends les écrits du divin Jamblique et tu y trouveras le comble de la sagesse humaine. Que le Grand Soleil m'accorde la faveur de pénétrer à fond toute sa valeur, de la faire connaître en général aux autres hommes et en particulier à ceux qui en sont dignes. En attendant qu'il exauce mes prières, honorons eu commun Jamblique, l'ami du dieu, chez qui j'ai puisé, entre mille richesses, le peu de détails qui se sont offerts à mon esprit dans ce traité. Je sais que personne ne peut rien dire de plus complet que lui, lors même qu'on se donnerait une grande peine pour inventer quelque chose de nouveau. On ne pourrait que s'écarter ainsi de la vraie notion qu'on doit avoir du dieu. Mon travail serait donc inutile sans doute, si je n'avais voulu qu'instruire les autres après Jamblique. Mais dans l'intention que j'avais d'écrire un hymne de reconnaissance en l'honneur du dieu, j'ai cru devoir traiter, selon mes forces, de sa divine substance, et mes efforts, je crois, ne seront point perdus. Le précepte :

Fais, selon ton pouvoir, ton sacrifice aux dieux (60),

ne s'applique pas seulement aux cérémonies sacrées mais aux louanges que l'on adresse aux immortels. Je supplie donc, pour la troisième fois, le Soleil, roi de tous les êtres, de répondre à mon dévouement par sa bienveillance, de m'accorder une vie heureuse, une prudence consommée, une intelligence divine, la fin la plus douce, quand l'heure fatale sera venue, puis, après cette vie, un essor facile auprès de lui, et, s'il se peut, un séjour éternel dans son sein, ou, si c'est trop pour les mérites de ma vie, de longues suites d'années enchaînées dans leur cours.



(01) Odyssée, XVIII, 130.
(02) Voyez sur l'initiation de Julien, Émile Lamé, p. 43 et suivantes.
(03) Il avait une vingtaine d'années
(04)  Aristote, De la nature, II, 3. -
(05)  C'est-à-dire conducteur des Muses.
(06)  Sans entrer dans de longs détails sur cette cinquième substance de la nature, distincte des quatre éléments, c'est-à-dire de l'air, du feu, de la terre et de l'eau, rappelons que, d'après la doctrine d'Aristote, les anciens admettaient pour principe moteur et conservateur du monde, une sorte d'âme, de dieu, d'éther, auquel ils ont donné plusieurs noms. C'est l'Entéléchie d'Aristote, le Quinta natura de Cicéron, le Mens universi de Senèque, le Mundi anima de Macrobe.
(07) République, VI, 19.
(08)   C'est du soleil que Platon veut parler.
(09) « Puisque Julien parle ici du troisième soleil comme le seul apparent, il en suppose deux autres invisibles, dont il a parlé précédemment sans les bien distinguer l'un de l'autre. Le premier est incontestablement le premier principe, la cause ultérieure et préexistante à toutes les autres. Le second, engendré de toute éternité par le premier, est la raison, le monde intelligent, ou le verbe, le λόγος  de Platon, que Julien a déjà dit être semblable en tout au premier, et destiné à produire aussi de toute éternité le monde visible et intellectuel. Enfin le troisième est l'image du second; il en partage l'intelligence et en reçoit les bienfaits, qu'il communique à tons les êtres. Telle nous parait être la clef de toute la théologie de Julien dans ce discours.
» TOURLET.
(10) Ajoutons l'ouïe, pour être complet.
(11) Voyez. Macrobe, Saturnales. I, chap. XVII, XVIII, XIX, XX, XXI, XXII et XXIII. - Le vers cité est emprunté aux poésies orphiques.
(12) Cratyle, chap. XX, vers la fin.
(13)  C'est-à-dire sans forme : ἀ privatif, εἶδος, forme. J'ai étendu de quelques mots le texte grec.
(14) Voyez Hésiode, Théogonie, v. 370 et suivants. - Ὑπερίων veut dire supérieur, et Θεία signifie divine.
(15) Odyssée, l, 8; XlI, 170, 374; Hymne à Minerve. 13; Hymne au Soleil, 4.
(16) Voyez Odyssée, XII, 380.
(17) Iliade, VIII, 24.
(18) Iliade, XVIIl, 239.
(19) Iliade, XXl.
(20) Morale à Nicomaque, liv. VII, chap. 13.
(21) Antérieures au monde.
(22) Voyez plus haut, § 5.
(23) Qui conduit les Muses.
(24)  Dans le système de Julien, le monde est éternel. Il veut donc dire ici avant la manifestation du monde.
(25) Voyez la lettre XXXIV.
(26)  Voyez sur ce passage Cicéron, De la nature des dieux, II, 51 et suivante; Tuscul., I, 68; Songe de Scipion, avec le commentaire de Macrobe. - Pour les neuf sphères, voyez spécialement Macrobe, Comment., l, 14.
(27) Ceux probablement où, suivant les anciens, se mouvaient Saturne, Jupiter, Mars, Mercure et Vénus.
(28) Voici comment je comprends ce passage, éclairci par quelques explications données par Julien lui-même. En parcourant les cercles oit se meuvent Mars, Mercure et Vénus, le Soleil produit les trois Grâces, et il fait de Saturne et de Jupiter les plateaux de la balance du Destin. Il y a là un mélange d'astronomie, de théogonie et de philosophie qui plaisait beaucoup aux disciples de Pythagore et de Platon, et dont l'esprit aventureux de Dupuis a renouvelé, dans son Origine des cultes, les subtilités paradoxales.
(29) Fils de Jupiter, Castor et Pollux, et astronomiquement constellation des Gémeaux, Pollux, qui était immortel, voyant Castor près de mourir, pria Jupiter de lui accorder de mourir avec son frère chéri. Jupiter alors lui laissa le choix ou de venir habiter l'Olympe ou de partager le sort de son frère, et de passer alternativement avec lui un jour dans le ciel et l'autre sur la terre.
(30) C'est-à-dire alternant de jours, vivant de deux jours l'un.
(31) Les cercles polaires.
(32) Iliade, XIV, 246.
(33) Voyez Macrobe, Comment, I, 21.
(34) Voyez Apulée, Du monde, § 3; De la doctrine de Platon, liv. I, et Florides, X. - Cf. Contre les chiens ignorants, 11.
(35) Voyez la page charmante de Sénèque sur les Grâces, De benif., 1, 3; et Cf. le délicieux groupe de Raphaël
(36)  Χαριδότης, surnom de Bacchus, signifie également dispensateur de grâces ou de la joie. Cf. Virgile, Énéide, Ι, v. 636, et les notes des commentateurs
(37) L'auteur s'adresse à Salluste.
(38) Voyez Plutarque, Isis et Osiris, ΧΙΙ.
(39) Il y une lacune dans le texte de ce passage. Probablement que, après les hommes vertueux, il était question de ces démons ou génies répandus dans l'espace dont parlent Hésiode, Trav et jours, v, 231, et Plaute, prologue du Rudens.
(40) C'est-à-dire Providence. Voyez Pausanias, Phociques, ou liv. X, VIII, 6.
(41) Odyssée, XIII , 827. C'est Junon qui parle.
(42) De Minerve. - Cf. Lucien, De la déesse syrienne, t. II, p. 445 de notre traduction.
(43) Une variante porte Émèse : il vaut mieux lire Édesse, comme nous l'indiquons en note dans Lucien, à l'endroit cité note précédente.
(44) Monime signifie qui demeure fidèle, et Azis igné.
(45) Les dieux, les hommes, les animaux.
(46) Voyez plus haut, § 2
(47) Voir le Parménide, spécialement chap. VII.
(48) Rome.
(49) Voyez sur ce points de mythologie romaine Ch. Dezobry, Rome au siècle d'Auguste, lettres XXV, LIII et LVII.
(50) Homère emploie ce mot, pour signifier l'année, dans l'Odyssée, XIV, 181, et XIX, 360. La racine probable est  λύκη, lumière, et βαίνω, marcher, littéralement marche de la lumière, cours du soleil, et non pas λύκος, loup, βαίνω, marcher, littéralement marche des loups. Julien paraît avoir admis de préférence l'explication singulière d'Eustathe. Ce commentateur d'Homère, d'après cette dernière étymologie, prétend que les jours se succèdent comme des loups, qui, lorsqu'ils veulent passer une rivière, se tiennent à la file la queue avec les dents: Il se peut toutefois que les Grecs se soient plu à faire une confusion entre λύκη et λύκος : c'est ainsi que le mot grec λυκαυγές, crépuscule du soir, désigne l'instant de la journée que l'on nomme en français l'entre chien et loup.
(51) Voyez Denys d'Halicarnasse, Antiq. rom., I, 77. - Cette déesse était Vesta.
(52) Denys d'Halicarnasse Antiq. rom., I, 77, et II, 56, mentionne cette éclipse arrivée à l'a naissance et à la mort de Romulus; Plutarque, Romulus, 12, parle également d'une éclipse arrivée à la naissance de Romulus, mais il n'atteste point ce fait astronomique, dont les calculs modernes ont démontré la fausseté, et il n'affirme pas davantage (chap. 27) que les ténèbres survenues à la mort de Romulus fussent le résultat d'une éclipse de soleil.
(53) Cf. Plutarque, Numa, 9 et 11.
(54) Id., ibid., 18.
(55) Ce passage, où le nom de Mithra est employé comme synonyme du Soleil, indique la fusion de la mythologie orientale et de la mythologie grecque.
(56) Ces fêtes furent instituées par l'empereur Aurélien.
(57) Spanheim dit que cette inscription se retrouve sur des médailles romaine au temps de Constantin
(58) Sur les Saturnales, voyez, Desobry, Rome au siècle d'Auguste, lettre LXXI.
(59) Ouvrage perdu.
(60) Hésiode, Trav. et jours, 334.