de damascius
DAMASCIUS LE DIADOQUE
PROBLÈMES ET SOLUTIONS TOUCHANT LES PREMIERS PRINCIPES § 11 - § 20 introduction - § 1 - § 10 - § 21 - § 30 Oeuvre numérisée et mise en page par Marc Szwajcer et PhIlippe Remacle
§ 11 (01) Par le même raisonnement nous réfuterons ceux qui poseraient comme principe l'âme irrationnelle, soit l'âme sensible, soit l'âme concupiscible (02); car si elle paraît avoir quelque chose de plus séparable, par ses fonctions de désirer et de connaître, elle aussi est cependant enchaînée au corps et a quelque chose d'inséparable de lui, puisqu'elle ne peut pas se replier sur elle-même, mais son acte est intimement mêlé au substrat. Et, en effet, telle est évidemment son essence ; car si elle était libre par elle-même et affranchie de tout lien, elle manifesterait aussi une activité de cette sorte en ne se retournant pas toujours vers le corps et en se repliant parfois sur elle-même; et même en se retournant toujours vers le corps, elle se jugerait et s'examinerait elle-même. Car si les hommes du peuple ne travaillent (03) et ne s'inquiètent que pour des choses extérieures, cependant ils manifestent, quand ils s'occupent d'elles, qu'ils en possèdent la meilleure partie (de l'âme) (04) puisqu'ils délibèrent comment (05) les acquérir et observent qu'il faut une délibération pour faire ou supporter quelqu'une des choses qui leur paraissent bonnes, et pour écarter d'eux quelqu'une des choses opposées. Les instincts des animaux sans raison sont uniformes et spontanés, mus par et avec les organes, et ne réclament des choses sensibles que des sensations agréables et se détournent des sensations nuisibles. Si donc le corps participe au plaisir et à la douleur, s'il subit une certaine disposition de l'influence de ces passions, il est évident que ces actes psychiques se produisent mêlés avec le corps et ne sont pas purement psychiques, mais sont en quelque mesure corporels ; de même la faculté de distinguer et de composer ne porte pas exclusivement sur la couleur, mais sur le corps coloré ; de même l'incision, dit Aristote, n'est pas le fait du fer seul, ni de sa figure, mais du composé, de la hache, du couteau, de l'épée. C'est de la même manière que l'acte de sentir et l'acte de désirer sont les actes du corps animé, ou de l'âme incorporée, quoique dans ces opérations le psychique se montre plus que le corporel, tandis que, dans les autres, le corporel domine par suite de la substance étendue (06). Et ainsi en tant qu'une chose a, de quelque façon que ce soit, son être dans une autre, elle a, par là, besoin d'une chose imparfaite et une telle chose ne saurait être Principe. § 12. Mais avant cette substance et au-dessus d'elle, nous voyons une certaine espèce séparable, subsistant par elle-même et se repliant sur elle-même : c'est celle de l'hypostase rationnelle. Car notre âme préside à ses propres actes et se corrige elle-même, ce qu'elle ne pourrait faire si elle ne se repliait pas sur elle-même, et elle ne se replierait pas sur elle-même, si elle n'avait pas une essence séparable, comme le pense même Aristote (07). Elle n'a donc pas besoin d'une chose plus imparfaite. Est-elle donc le Principe le plus parfait? Non ; car elle ne met pas en jeu à la fois toutes ses activités, et toujours la plupart d'entre elles lui font défaut. Or, le Principe ne veut avoir rien qui lui fasse défaut, et l'âme est une substance à qui font défaut ses propres activités. Mais la substance en est éternelle, dira-t-on, et à cette substance rien ne manque ; l'Âme possède toutes ses activités substantielles complètes, toujours unies et confondues avec la substance, par suite de sa propriété de se mouvoir elle-même et d'être éternelle. Elle doit donc être Principe. Mais l'Âme, quoique étant en son tout une espèce une, une nature une, est tantôt sans besoin, tantôt a des besoins : or, le Principe est absolument sans besoin. L'Âme donc, qui met en jeu des activités changeantes, ne saurait être Principe, du moins au sens le plus propre du mot. Il faut donc qu'au-dessus d'elle il y ait un autre principe absolument immuable, et selon la substance, et selon la vie, et selon la connaissance, et selon toutes les facultés et tous les actes, telle que nous disons être l'Âme immobile et éternelle, cette Raison tant glorifiée à laquelle s'est élevé Aristote et où il a cru avoir découvert le Premier Principe. Car qu'est-ce qui manque encore au principe qui contient et rassemble en lui-même toutes les propriétés qui le constituent au complet, et auquel aucune addition ni aucune soustraction ne saurait rien changer de ce qui lui appartient, absolument rien? Mais cette Âme est un et plusieurs, tout et parties : il y a en elle des éléments premiers, moyens, derniers (08). Les pléromes (09) inférieurs ont besoin des plus parfaits, et les plus parfaits des plus imparfaits ; le tout a besoin des parties ; les parties ont besoin les unes des autres et les premières même des dernières, par la même raison. Car, aucune n'est première en soi. L'un a besoin des plusieurs, parce qu'il a l'être dans les plusieurs, et que cet un est la force qui rassemble les plusieurs ; il n'est donc pas par soi, mais avec les plusieurs. Il y a donc, même dans ce principe, beaucoup de choses qui lui font défaut, puisque la Raison même, en tant qu'engendrant en elle-même ses propres pléromes qui tous à la fois constituent la plénitude de son essence, la Raison a besoin d'elle-même ; et ce n'est pas seulement la Raison engendrée qui a besoin de la Raison engendrante, mais même la Raison engendrante a besoin de la Raison engendrée, pour constituer dans son tout la Raison qui dans son tout s'engendre elle-même. Enfin, la Raison est pensante et pensée ; elle est l'intelligible et l'intellectuel (10) d'elle-même et pour elle-même, et c'est l'union des deux qui est la Raison. Or l'intellectuel a besoin de l'intelligible, qui est son désirable propre, l'intelligible a aussi besoin de l'intellectuel parce qu'il veut être lui-même intellectuel (11) et que le tout a besoin de l'un comme de l'autre. Sans doute, la satisfaction du besoin coïncide ici toujours avec le besoin lui-même, comme l'ordre coexiste à la matière ; mais cependant il y a dans la substance de la raison, par essence et par nature, un besoin, un défaut, qui l'empêche d'être le Principe souverain. § 13 (12). Il faut donc sans doute ramener la Raison au plus simple des êtres, à ce que nous appelons l'Un-être. Car puisqu'il n'y a en lui absolument rien de distingué, puisqu'il n'y a coexistant en lui ni pluralité, ni ordre, ni dualité, ni retour sur soi-même, quel besoin y aurait-il dans cet absolument unifié, surtout quel besoin d'un plus imparfait, principe d'où part notre argumentation actuelle ? C'est pourquoi c'est à ce principe que le Grand Parménide s'est élevé comme le plus ferme et le plus assuré, parce qu'il est le plus sans besoin. Mais il est nécessaire de dire avec Platon (13) que l'Unifié n'est pas l'Un même, mais ce qui a subi l'influence de l'Un (14), et il est évident alors qu'il sera placé, dans l'ordre des principes, après l'Un. Mais selon le cours de notre argumentation actuelle, il est démontré que l'Unifié n'a pas en soi-même et la chose réunie (15) (car même si la chose unie était pour ainsi dire bue par la chose unifiante, cependant le substrat demeure unifié) et l'Un même, soit que l'être étant composé d'éléments, comme semble le dire Platon en l'appelant le mélangé, il ait besoin de ses propres éléments, soit qu'ayant laissé perdre et se relâcher (16) la simplicité parfaite de l'Un, il subsiste selon la mesure de l'Un (17), projetant en même temps que lui-même et avec lui-même, une sorte d'ombre épaisse et pour ainsi dire palpable. Et par éléments je n'entends pas ceux qui sont distingués, mais ceux qui sont liés à l'Un de cet unifié, et mieux encore qui sont, pour ainsi dire, fondus avec lui, mais néanmoins assez projetés pour qu'il ne soit plus Un, mais unifié et, par suite, substance au lieu d'hénade (18). Car c'est ainsi qu'on pourrait, avec une vérité rigoureuse, soutenir qu'il est un mélangé, éviter de ne pas faire le plus parfait d'éléments plus parfaits, mais composer l'imparfait avec le parfait et avec ce qui vient de lui et est en lui. Mais même ainsi l'Un qui est dans l'unifié a besoin de l'Un en soi, αὐτοέν, qui s'y trouve également, et l'ensemble des deux a absolument besoin de l'un et de l'autre. Et si autre est la notion de l'être, autre la notion d'être unifié, et si le Tout est unifié et être, ceux-ci ont besoin les uns des autres, et le tout qui s'appelle Un-être a besoin des deux. Et si l'Un est supérieur, il n'en aura pas moins besoin de l'être pour constituer l'hypostase de l'Un être, et si l'être est supérieur à l'Un, parce qu'il s'ajouterait, comme une sorte de forme (19), au mélangé et à l'unifié — comme le caractère distinctif propre de l'homme (20) s'ajoute à ce qui est à la fois animal, raisonnable et mortel, — même ainsi, l'Un aura besoin de l'être ; et si, enfin, comme il serait plus juste de dire, l'Un est double, celui-ci, causant du mélange, qui préexistera à l'être, celui-là, achevant et perfectionnant l'être (21), — car sur ces deux Un nous en dirons davantage une autre fois, s'il est nécessaire, — cependant cette nature (22) ne sera pas complètement sans besoin ; elle ne sera pas, dis-je, délivrée du besoin, même du pire, d'où procède tout le système de la méthode ascendante. Mais, dira-t-on, voici des cas dans lesquels tous, l'Un sera absolument sans besoin; car l'Un, réellement un, n'a pas besoin de ce qui vient après lui pour être (car il est par soi et à part de tout) ; il n'a besoin ni du pire ni du meilleur qui est en lui-même (car il n'y a rien en lui, hormis lui-même) et il n'a pas même besoin de lui-même. Il est Un, l'Un qui ne se dédouble pas, même par rapport à lui-même ; car, dans le réellement Un, il ne faut pas parler d'un rapport à soi-même, car il est absolument simple. Il est donc de toutes les choses celle qui est le plus sans besoin. II est donc le principe de tout, il est causant de tout, il est l'absolument premier de tout. Mais si ces trois caractères existent dans lui, il ne sera plus Un (23) ; ou bien, il faudra dire que tout subsiste dans l'Un, selon l'Un et ces caractères et tous les autres que nous lui attribuerons, tels que d'être la plus simple des choses, la plus puissante, la meilleure, d'être le salut de tout, et le bien même et d'être Tout même, si on voulait le nommer ainsi, selon la simplicité de l'Un (24), puisque cette simplicité est génératrice de tout et encore quelque chose d'antérieur, c'est-à-dire substance universelle (25) et, à cause de cela, revêtant une infinité de modes. Mais si cela est vrai, si tous ces caractères appartiennent ainsi à l'Un, même alors il aura besoin des choses qui viennent après lui, du moins de celles que nous lui ajoutons de quelque façon qu'on les lui attribue. Car le Principe est et est dit le principe des choses qui viennent du Principe, le causant, le causant des choses causées, et le premier, le premier des choses qui lui sont subordonnées; même le simple est dit simple, par suite de ce qu'il est au-dessus des autres, le plus puissant, par suite de la puissance de son action sur les choses qui y sont soumises, et le bien et le désirable et le sauveur, par rapport aux choses qui sont conservées et désirées. Enfin, si on l'appelle Tout, ce sera par suite de l'anticipation de Tout en lui, anticipation exclusivement fondée sur l'Un et qui cependant est la cause une avant Tout de Tout (26), qui ne diffère pas de lui et n'est cette cause que selon l'Un. Donc, parce qu'il est seulement Un, il est la chose qui a le moins de besoins, et parce qu'il est la chose qui a le moins de besoins, il est le Principe premier et la racine la plus inébranlable de tous les Principes. Mais par là même qu'il est Principe, de quelque manière qu'on l'entende, et la cause première de tout, désirable à tout et fondée avant tout, par là même on doit se le représenter comme ayant besoin des choses pour lesquelles il est (désirable, cause, etc.). Il a donc, s'il est permis de le dire, comme une trace, la plus haute possible, du besoin, comme inversement la matière, en tant qu'elle est Un, a le dernier et le plus faible écho de l'absolument sans besoin. Mais le raisonnement paraît ici se détruire, car, en tant qu'Un, il est sans besoin, puisqu'on démontre qu'il est principe, parce qu'il est sans le moindre besoin et qu'il est Un ; mais maintenant en tant qu'il est Un, il est Principe, et en tant qu'il est Principe, il a des besoins. Par là donc il est sans besoin et il a des besoins (27). Mais ce n'est pas dans le même sens ; car, pour être ce qu'il est, il n'a pas de besoins; mais il a des besoins en tant que produisant les autres et les anticipant (28), et c'est même là le caractère propre de l'Un. De sorte que, selon l'Un, il est à la fois l'un et l'autre; mais non pas certes l'un et l'autre dans le sens où le langage divise l'un et l'autre par des mots séparés ; mais il reste exclusivement Un; mais, d'après ce dernier caractère, néanmoins il est aussi les autres, τὰ ἄλλα, et il est affecté de besoins. Et comment ne le serait-il pas selon l'Un, comme toutes les autres choses qui procèdent de lui? Car être affecté de besoins est une de ces choses. Il nous faudra donc chercher quelque autre principe qui n'aura de besoin à aucun degré et sous aucun rapport. Il sera tel qu'il ne sera pas vrai de dire qu'il est principe, ni de lui donner le nom le plus vénérable qui paraisse pouvoir lui être donné, la chose absolument sans besoin ; car ce nom exprime le fait d'être au-dessus de tout besoin, et être délivré du besoin (29). Mais nous ne devons pas même le dire au-dessus de Tout et séparé de Tout. C'est l'Absolument incompréhensible; ce qui nous réduit à un silence absolu. Car c'est là l'idée la plus juste que peut se faire de l'objet de nos recherches notre pensée, à condition que cette pensée ne soit pas exprimée, qu'elle se complaise à ne pas être exprimée et qu'elle adore respectueusement par là même cette insondable incognoscibilité. § 14. Voilà donc un mode de démonstration ascendante qui nous a fait arriver à ce qu'on appelle le Premier, et plutôt à ce qui est au-delà de Tout ce qu'on peut poser de quelque manière que ce soit. En voici un autre, qui consiste non pas à mettre ce qui n'a pas besoin d'un pire au-dessus de ce qui en a besoin, mais à mettre ce qui a besoin d'un meilleur, au second rang, après ce meilleur même, c'est-à-dire à mettre partout le en puissance immédiatement après le en acte. Car, pour arriver à être en acte et ne pas rester stérilement en puissance, il faut le en acte. Car jamais de l'imparfait le parfait ne peut germer et fleurir. Soit donc posé par nous ce principe a priori et inébranlable, et abordons la discussion en nous réglant sur les notions générales (30). Ainsi donc la matière a avant elle la forme immatériée, parce que toute matière n'est jamais forme qu'en puissance, soit la matière première en qui on ne peut jamais découvrir aucune forme, soit la matière seconde dont l'existence se montre dans le corps sans qualité. C'est à celle-ci vraisemblablement que se sont attachés, la considérant comme première, ceux qui font porter leurs recherches sur les choses sensibles, qui, seules, leur ont paru être la matière première ; car la communauté des éléments différents leur a fait croire qu'il y avait quelque corps sans qualité, perceptible à la raison (31) pure, et il est évident que les qualités, d'après lesquelles se constituent les différences, l'emportent sur le corps sans qualité lui-même (32), parce qu'elles lui préexistent comme formes, εἴδη (33), d'une sorte de matière. Quoi donc, dira-t-on ? Les accidents sont plus parfaits que la substance ? Non ; mais il ne faudrait pas s'étonner que les propriétés qui, ensemble, constituent complètement une chose quelconque, une chose Une formée de toutes, empiétassent les unes sur les autres et participassent les unes des autres. Ensuite, il y a deux espèces de qualités (34) : l'une substantielle, par exemple, le feu en soi (par où j'entends la forme même, αὐτό εἶδος), l'homme en soi et chacune des autres choses en tant que chacune est un corps qualifié ; et les éléments de chacune, la chaleur et la lumière du feu, la mortalité et la rationabilité de l'homme, la figure, en tant qu'il possède la propriété d'être droit ou articulé ; et dans chacune de ces choses, les propriétés qui en constituent la substance complète (35) par lesquelles réunies, la forme entière a qualifié le second substrat par une qualité spécifique, celle qu'on appelle purement qualité, par rapport au corps non qualifié. — L'autre espèce est la qualité pour ainsi dire épisodique et accidentelle, qui, étant par essence dans un autre, s'ajoute à un autre accidentellement, parce qu'elle s'ajoute au corps déjà qualifié essentiellement, de sorte que nécessairement cette seconde espèce est plus imparfaite que la substance qui la reçoit qui est déjà spécifiée et a une valeur prédominante (36). Que le corps sans qualité est qualifié d'abord par la qualité substantielle, cela est évident; car les accidents qui s'ajoutent à la substance n'empêchent pas les formes de demeurer chacune ce qu'elle est ; ces formes constituent le fondement et le substrat du corps, et c'est autour d'elles, qui demeurent, que s'accomplit le changement des accidents (37). Nous avons donc toute raison de poser avant le corps sans qualité le corps qualifié, et c'est par là qu'il est déjà sensible et qu'apparaît ce monde phénoménal. Mais puisque de ces sortes de corps les uns ont au-dedans d'eux-mêmes la force qui dirige leur développement, que les autres l'ont en dehors; tels que les objets fabriqués par l'industrie humaine, il faut concevoir la nature comme quelque chose de supérieur aux qualités, puisqu'elle a le rang de cause, comme l'art est la cause des objets produits par lui. Mais des corps, qui ont intérieurement le principe de leur développement, les uns paraissent seulement être; les autres semblent se nourrir, croître et engendrer des êtres semblables à eux-mêmes. Il y a donc, avant ce qu'on appelle la nature, quelque autre cause : c'est la puissance végétative. Il est manifeste que tout ce qui s'ajoute au corps, déjà posé comme substrat, sont des incorporels en soi, quoiqu'ils prennent une sorte de nature corporelle par suite de leur participation au sujet où ils se trouvent, ce qui fait qu'on les dit et qu'ils sont matériels, par suite de l'affection qu'ils souffrent de la matière. Ainsi les qualités, à plus forte raison les êtres naturels, à plus forte raison encore la vie végétative, gardent par eux-mêmes le caractère d'incorporels. § 15 (38). Mais puisque la sensation nous révèle une autre vie encore plus riche et plus évidente que celle des êtres qui déjà se meuvent dans le lieu et obéissent à l'instinct, il faut placer celle-là avant celle-ci, comme plus vraiment principe, comme fournissant à l'être une certaine forme supérieure par essence à l'animal automoteur, et s'élevant au-dessus du végétal, dont les racines s'enfoncent dans la terre. Et même l'animal n'est pas réellement automoteur; car ce n'est pas lui tout entier qui meut son Tout; mais en lui une partie meut, une partie est mue. La faculté automotrice n'est donc en lui qu'apparente. Il faut donc qu'il y ait avant lui le principe véritablement automoteur, qui selon son tout est mû et se meut lui-même, principe dont la faculté automotrice phénoménale n'est que l'image. L'Âme qui meut le corps doit donc être posée comme la substance proprement automotrice. Il y a deux âmes : l'une pensante, l'autre non pensante, car la sensation annonce déjà l'âme pensante, cela est évident. En effet, est-ce que chacun de nous n'a pas, plus claire ou plus effacée, la conscience de soi (39), quand il se replie sur lui-même, quand il réfléchit, quand il s'examine lui-même, quand il tend les ressorts de la vie morale ou de la connaissance? La substance capable de ces actes, capable de raisonner, capable de former par synthèse des idées générales, on a bien le droit de la considérer comme pensante Mais la puissance même non pensante, quoiqu'elle ne paraisse pas capable de ces pensées discursives, quoiqu'elle ne réfléchisse pas en se repliant sur elle-même, cependant elle meut le corps d'un lieu à un autre : il a donc fallu qu'auparavant elle soit mue par elle-même (40) ; car on la voit, suivant les circonstances diverses, manifester des instincts impulsifs divers (41). Mais se meut-elle donc elle-même d'un désir à un autre? ou plutôt n'est-elle pas mue par un autre, par exemple, comme on le dit, par l'âme universelle pensante du Monde? Non ! C'est une absurdité de penser que les actes de chaque âme non pensante ne lui appartiennent .pas en propre, mais sont les actes d'une âme plus divine, quand nous voyons ces âmes infinies en nombre, indéterminées dans leur essence et mêlées de tant de vices et d'imperfections. Car, dire que des actes sans raison sont les actes d'une âme raisonnable, c'est la même chose que lui donner une substance non pensante, puisqu'elle émet des actes sans raison, sans compter qu'il s'agit ici de l'âme universelle. Il n'est pas moins absurde de poser une âme qui ne soit pas génératrice de ses propres actes. Car s'il y a quelque substance irrationnelle, elle aura ses actes propres, qui ne lui sont pas transmis d'autre part, mais qui procèdent d'elle. Donc même l'âme irrationnelle se meut elle-même et se porte vers les désirs et les mobiles les plus divers. Si elle se meut elle-même, elle se replie sur elle-même, et, s'il en est ainsi, l'âme irrationnelle est séparable et n'est pas dans un sujet. Elle est donc rationnelle, puisqu'elle se regarde elle-même, et elle se verra elle-même se repliant et se retournant sur elle-même; — mais d'un autre côté, elle se porte sur les choses externes ; elle les voit, ou plutôt elle voit le corps coloré, et ne se voit pas elle-même, puisque la vue elle-même n'est pas corps ni coloré. Donc, elle ne se replie pas sur elle-même ; donc elle n'est rien autre qu'âme irrationnelle (42). Car même l'imagination ne projette pas un type (43) d'elle-même, mais du sensible, par exemple, du corps coloré. De même le désir irrationnel ne se désire pas lui-même, mais quelque objet désirable, comme la gloire, la vengeance, ou le plaisir ou la richesse. Donc, elle ne se meut pas elle-même. Mais peut-être elle meut ainsi : non comme se mouvant elle-même, mais comme d'elle-même, ἀφ' ἑαυτῆς, mue vers les choses extérieures et pour ainsi dire se mettant d'elle-même en contact avec elles ; ainsi par là et sous ce rapport elle est automotrice, en ce qu'elle se meut d'elle-même, mais n'est pas mue par elle-même, ὑφ' ἑαυτῆς (44). C'est ainsi que le Grand Syrianus (45) estime qu'il faut entendre, c'est-à-dire dans un sens plus général, le mot automoteur, employé dans Les Lois (46) et dans le Timée (47). Les végétaux, dit Timée, ne se meuvent pas parce qu'ils ne participent pas à l'âme automotrice, comme en participent les bêtes qui se meuvent dans le lieu. Mais il n'en est pas moins nécessaire que tout ce qui est mû soit mû ou par lui-même ou par un autre (48), et cela de deux manières : ou par une force supérieure, comme nous le disons des actes indivisibles et réellement irrationnels, ou par une puissance quelconque, car, certes, ce n'est pas par le sujet dans lequel il est, qui est corps, et qui au contraire est mû par elle. § 16 (49). Ainsi donc les actes sont mus par la substance et l'âme irrationnelle est automotrice, en tant qu'elle est génératrice de ses actes propres. — Mais, d'abord, cela sera un caractère commun à toute substance, même à celle qui est dite hétéromobile, puisque même le feu sera ainsi automoteur, comme substance génératrice de ses propres actes indivisibles : il en sera de même de la motte de terre, de la barbe et de tout ce qui a la puissance de produire un acte : car toujours l'acte propre procède de la substance. Donc cette doctrine ainsi entendue ne saurait être admise par la raison. Mais sans doute puisqu'une telle espèce est posée être dans un substrat, il ne faut pas la concevoir par elle-même comme agissant ; elle agit avec le substrat dans lequel elle est : car telle elle est, tel est son acte. De même donc que ce qui distingue la vue (50) n'est pas la blancheur, ni le corps sans qualité, mais les deux ensemble, de même l'acte sensitif n'est ni l'acte de la sensation incorporelle, ni celui de l'appareil sensoriel qui est corps, mais celui des deux réunis, comme substance une et composée, par exemple, composée de matière et de forme. Car l'appareil sensoriel n'est pas l'organe de la sensation, mais son substrat, dans lequel elle est, mais dont elle ne se sert pas. Si, en effet, elle s'en servait, elle se mouvrait elle-même avant l'organe, afin de mouvoir aussi l'organe. Mais maintenant elle coexiste au substrat et n'a pas d'acte séparable. Admettons donc que c'est le composé des deux qui agisse, mais que cependant l'acte procède selon la forme, comme l'acte du ciseau suivant sa figure, comme l'acte discriminatif de la vue (51) selon la forme du corps blanc, c'est-à-dire suivant la blancheur : quoi donc alors sera dans le composé, le moteur, et quoi le mû? Sans doute l'âme meut, et c'est le corps qui est mû ; mais ainsi encore l'âme mouvra d'un mouvement propre et particulier, et le corps sera mû d'un mouvement propre et particulier, et l'âme motrice sera avant le mû, parce qu'elle a un acte séparable, l'acte moteur qui est avant l'activité mue. Il ne faut donc pas poser d'un côté le moteur, de l'autre le mû, mais une seule chose, l'animal devenu corps sensitif, ou dire que la sensation incorporée agit d'un acte qui paraît automobile (52). Car si l'animal composé est une certaine substance, il est nécessaire qu'il ait un acte composé, en harmonie avec l'animal tout entier, que cet acte soit lui-même un certain acte tout entier dans lequel on perçoive quelque chose de mélangé qui soit incorporel et en même temps corporel (53), comme les deux réunis se rencontrent dans l'acte discriminatif de la vue. C'est pourquoi l'impression que nous recevons du corps blanc est double : corporelle, parce que nous discernons l'appareil sensoriel; incorporelle, parce que nous avons conscience de l'impression produite, c'est-à-dire que nous en prenons connaissance. De même donc que l'agent est composé, de même aussi le patient, la vue, est quelque chose de composé de la faculté de vision, qui est incorporelle et du substrat qui est corps. Voilà donc l'espèce d'automotion qu'il faut concevoir comme existant dans la faculté de vision et, en général, dans la sensation, c'est-à-dire qu'elle n'agit pas par elle-même, puisqu'elle ne subsiste pas par elle-même, mais introduite dans le corps et l'ayant qualifié par une espèce de qualité plus parfaite et une sorte d'illumination, elle constitue le tout en automobile apparent. Mais pourquoi apparent? Parce que ce qui se meut et ce qui est mû n'est pas une seule et même chose indivisible, mais les substances séparées les unes des autres, sous un autre rapport, se réunissent ensemble, comme l'âme pensante et l'animal, ou le corps qui nous sert de coquille (54), et le corps pneumatique, ou celui-ci et le corps de lumière. Car, dans ces liaisons, l'une des parties meut, l'autre est mue, parce qu'on n'a pas d'un côté un substrat, de l'autre ce qui est dans le substrat, et lorsque l'espèce est ainsi composée, ni Tune ni l'autre n'agit à part ; car elles ne subsistent même pas séparément : de sorte que dans le composé, il n'y a pas d'un côté un moteur, de l'autre un mobile : car alors ils seraient distincts par leurs actes, et par conséquent aussi par les hypostases. § 17 (55). Mais il y a un autre mode d'automotion dans lequel le mixte des deux est mû selon l'un des deux, par exemple, selon la forme, d'où il résulte que celle-ci parait être le moteur, non parce que l'autre soit mû par elle, mais parce que le mixte des deux est mû selon celle-ci ou par l'autre (56), Si ce dernier cas arrive, le mixte est mû par le meilleur ou par le pire, et nous verrons alors revenir les mêmes arguments. Si le mixte est mû par lui-même, le même sera mouvant et mû, ce qui ne convient qu'à une chose indivisible et non composée. Mais de même que nous admettons une automotion qui n'est pas réellement telle, de même ce n'est pas réellement le même qui est mû par lui-même et se meut lui-même : ce n'est qu'une apparence, parce qu'il y a quelque chose d'un et de simple, selon quoi le composé meut, et qui est un en tant que mouvant. Il y a donc dans le composé des choses selon lesquelles il est mû, et une chose selon laquelle il meut, et les deux réunis (57), c'est la forme entière dans laquelle est la chose selon laquelle il est mû, et le mixte est mû selon l'un et l'autre (des éléments composants), par suite de la communication mutuelle des éléments de la forme entière, de sorte que le tout meut et est mû ; mais ce n'est pas selon son tout qu'il se meut lui-même et est mû, mais il meut selon l'âme, et est mû selon le corps; mais il n'est mû ni par l'âme ni par le corps. Quelle différence il y a entre le ὑφ' οὗ et le καθ' ὅ, c'est ce qu'il est facile de voir. Car il y a deux sortes de mouvements ; le mouvement qui est devenu, ἐγγενομένη, dans le mobile, et en est devenu un état passif, et le mouvement extérieur qui a communiqué le premier. Le mobile est donc mû par celui-ci, et selon celui-là. Car s'il était mû aussi par ce dernier, il communiquera lui aussi un mouvement parti de lui-même, à l'objet mû par lui-même (58). Donc celui-là ne sera qu'un état passif, c'est-à-dire le mouvement selon lequel le mobile est mû et nous irons à l'infini (59). § 18 (60). Cet argument que nous venons de mettre à l'épreuve est vrai aussi appliqué à la vie; car une des vies crée le vivant et communique la vie à ce qui est vivifié par elle-même ; l'autre est la vie selon laquelle vit l'être vivifié par celle-là (61). Car si celle-ci créait aussi le vivant, c'est elle aussi qui donnerait l'autre vie : et cela irait à l'infini. Telle est aussi l'automotion dont une des espèces est ce par quoi, ὑφ' οὗ, l'automoteur apparent se meut lui-même, dont l'autre est ce selon quoi il apparaît être tel, mais n'est qu'un état de l'automotion, inséparable de l'objet qui participe à cette automotion. Car telle est la vie et la nature qui se meut elle-même, car elle est âme. Or l'âme est double : l'une est génératrice; l'autre est celle selon laquelle est substantialisé l'être animé, qui parait se mouvoir de lui-même (62) par un principe interne, quoiqu'il n'ait pas au-dedans de lui le principe par lequel il est mû, mais seulement celui selon lequel il est mû et que nous appelons l'animation (63), ἐμψυχία. Peut-être sera-t-on disposé à accorder par condescendance que ces propriétés sont communes aux êtres animés, aux végétaux et aux choses inanimées. En effet, l'humus végétal, sur la terre, est mû intérieurement comme le végétal; car ils possèdent l'âme végétative, selon laquelle ils se nourrissent, croissent et engendrent des êtres semblables à eux-mêmes (64). Les êtres sans raison et les animaux pensants sont dans le même cas, de sorte qu'il n'y aurait rien qui ne soit automoteur. Mais nous répondrons à cela qu'à la vérité toute espèce physique et végétative se meut du dedans, comme tout animal, mais ne possède pas tous les mouvements : ce qui a lieu seulement lorsque l'être possède le mouvement local, car ce mouvement est manifestement automoteur. Tous les êtres qui n'ont pas au-dedans d'eux-mêmes ce mouvement, nous disons qu'ils sont mus selon (65) ce mouvement mais par un autre; car si nous distinguons l'automotion par le mouvement selon lequel l'âme pensante est automotrice, même les animaux sans raison ne paraîtront pas se mouvoir eux-mêmes, parce qu'ils n'ont pas la faculté de se replier sur eux-mêmes, comme la vue qui ne se voit pas elle-même. L'imagination, également, ne s'imagine qu'elle imagine; la colère, la concupiscence ont tous leurs actes et leur activité totale tournés vers un désirable externe. C'est pourquoi nous disons que cet automoteur apparent agit du dedans au dehors, et n'agit pas circulairement sur lui-même : son mouvement est absolument en ligne droite, car c'est là la forme de cette espèce de vie, en tant qu'elle est inséparable de son substrat corporel qui est mû en ligne droite. Car, de même que, par sa nature interne, le feu se meut vers le haut, la terre vers le bas; de même, selon l'âme végétative immanente en eux, les végétaux se nourrissent, croissent et engendrent des êtres semblables à eux-mêmes (66), de même les bêtes se meuvent selon la vie du désir, inhérente à leur corps naturel et végétatif, et consubstantialisée à la forme de l'animal; c'est donc selon cette vie qu'ils accomplissent l'automotion absolument irrationnelle. Et si quelqu'un considérant que les bêtes ont une espèce de raison, qu'ils manifestent des activités pour ainsi dire rationnelles qui font supposer qu'elles participent à l'automotion première, et par là même possèdent une âme capable de se replier sur elle-même, peut-être le lui concéderions-nous, quoiqu'il en fasse par là des êtres raisonnables, mais sous la réserve qu'ils sont tels, non selon l'hyparxis même, mais selon la participation, et encore selon une participation très affaiblie ; c'est ainsi qu'on pourrait appeler intellectuelle par participation l'âme douée de raison (67) parce qu'elle peut toujours former des idées générales non soumises au changement. Nous poserons le séparable dans l'extension et nous dirons qu'il y a des cas où celui-ci domine et d'autres où domine celui-là (68). Car il y a deux extrêmes (69) : l'absolument séparable, comme la forme pensante, et l'absolument inséparable comme la qualité; entre les deux et au milieu se trouvent la nature qui, outre l'inséparable, a une certaine manifestation du séparable et l'âme non pensante qui, outre le séparable (a quelque chose de l'inséparable (70)) ; car elle semble en quelque manière subsister par elle-même, séparément de son substrat, et c'est pour cela qu'on hésite si elle est automotrice ou hétéromotrice ; car elle a beaucoup des caractères de l'automotion ; mais elle n'a pas le véritable, la faculté de se replier sur elle-même et le privilège, qui en est la conséquence, d'être complètement séparée du sujet. L'âme végétative a une position intermédiaire (entre la nature et l'âme non pensante) ; c'est pourquoi aux uns elle semble être une sorte d'âme, et, pour les autres, elle est nature. Mais nous examinerons ce sujet plus amplement ailleurs ; pour le moment, ce que nous venons de dire suffit (71). § 19 (72). Revenons à notre objet : l'automoteur qui est lié par sa nature à l'hétéromobile, comment serait-il premier, puisqu'il ne subsiste pas lui-même, ni ne se complète lui-même véritablement, et qu'il a besoin pour l'un et pour l'autre de quelque autre chose que lui-même : il y a, avant lui, l'automoteur réel, tel que nos sens et l'évidence même des choses phénoménales nous montrent l'automoteur humain; et il est évident que c'est maintenant par l'homme que nous comprendrons toute l'espèce des êtres doués de raison ; car c'est en lui que nous saisirons plus complètement les particularités propres des faits (73). Le vrai automoteur est-il donc Principe et n'a-t-il besoin d'aucune autre chose qui soit plus parfaite (74)? Le moteur est par essence antérieur au mobile, et, en général, toute forme pure de son contraire subsiste par elle-même avant celle qui est mêlée à son contraire, et la forme pure est le causant de la forme mélangée ; car ce qui est consubstantialisé dans un autre a aussi son activité confondue avec celle de cet autre : de sorte que ce qui a cette propriété d'être à la fois moteur et mû se fera lui-même automoteur ; ce que ne fera pas ce qui est seulement moteur. Car l'automoteur n'est pas seul et toute forme est nécessairement seule, de sorte que la forme meut et cependant n'est pas mue. Car il est absurde que ce qui est seulement mû, comme le corps, soit en même temps que le composé des deux (75)et que ce qui est seulement moteur n'existe pas avant ce composé (76). Car il est évident qu'il est plus parfait, puisque même l'automoteur, en tant qu'il se meut lui-même, est plus parfait qu'en tant qu'il est mû. Donc nécessairement le moteur immobile est premier, comme le mobile qui ne meut pas est troisième, et entre les deux est l'automoteur, qui, suivant nous, a besoin d'un moteur pour se faire lui-même mobile. Ce qui se meut soi-même, peut posséder cette propriété de soi-même (77), si l'on veut ; mais cependant (78), puisqu'il est mû, il ne demeure pas en repos, en tant du moins qu'il est mû, et s'il meut, il faut qu'il demeure (79) mouvant, en tant qu'il meut d'où tiendra-t-il donc cette propriété de demeurer? Car de lui-même il ne possède que celle d'être mû, ou celles réunies de demeurer et d'être mû selon son tout. Mais le fait de demeurer simplement, d'où lui vient-il? de ce qui demeure exclusivement; or, celui-ci est le causant immobile ; donc il nous faut poser l'immobile avant l'automobile (80).
§ 20 (81). Examinons
donc si l'immobile est principe au sens propre et comment il pourrait l'être ?
Car l'immobile embrasse dans l'immobilité autant de choses que l'automoteur en
embrasse dans l'automotion, puisque aucune des choses qui se meuvent elles-mêmes
ne peut être première, par les raisons que nous avons dites : chacune des choses
embrassées dans l'automoteur est une chose particulière automotrice ; il en
résulte que pour chaque chose particulière automotrice, il y a une chose
particulière immobile qui lui préexiste. Et, pour exprimer clairement ce que je
veux dire, laissant tous les autres de côté, j'insisterai sur trois points. Dans
l'âme qui se meut elle-même, on distingue pour le moins trois choses : une
espèce substantielle, une espèce vitale et une espèce capable de connaître, et
chacune d'elles est manifestement automotrice. Car (82),
de même que le genre entier de l'automoteur a avant lui le genre entier de
l'immobile (83), de même aussi avant chaque chose
automotrice particulière, il y a, par les mêmes raisons, une chose individuelle
immobile. Il y a donc un système complet immobile de ces trois espèces, soit
qu'on les considère à l'état séparé, mais unifiées les unes aux autres dans
l'âme automotrice; soit qu'on les considère comme absolument unifiées, et
tellement qu'il n'y ait rien d'elles qui soit distinct et divisé. Ainsi chacune
d'elles doit être immobile, demeurer en elle-même, parce que l'individuel
automoteur n'est pas premier (84). Et d'ailleurs la
distinction immobile existera nécessairement avant la distinction automotrice.
Donc l'immobile est à la fois un et plusieurs, à la fois unifié et distingué.
C'est là ce qu'on appelle la Raison, ὁ Νοῦς. Il est évident qu'en elle
l'Unifié est par essence, φύσει, antérieur et supérieur en dignité au distingué.
Car la disdinction a toujours besoin de l'union, tandis que l'inverse n'est pas
vrai : l'union n'a pas toujours besoin de la distinction. La Raison n'a pas
l'unifié pur de son contraire (85) ; car l'espèce
intellectuelle est consubstantielle avec le distingué selon le même tout. Ce qui
est unifié dans une certaine mesure a donc besoin de ce qui est purement unifié
; ce qui existe avec un autre, a besoin de ce qui existe par soi ; ce qui existe
par participation, a besoin de ce qui existe par hyparxis. Car la Raison qui
existe par elle-même (86), se produit elle-même, comme unifiée et à la fois
distinguée ; donc elle se crée selon les deux ; donc, selon le purement unifié,
elle sera produite parle purement unifié et qui n'est qu'unifié. Donc avant la
raison spécifiée, εἰδητικός, il y a ce qui est incirconscrit, non divisé en
espèces : c'est ce que nous appelons l'Unifié, que les philosophes ont appelé
l'être, qui possède les plusieurs dans un coagrégat un, existant antérieurement à
ces plusieurs. |
(01) L'âme irrationnelle n'est pas principe. (02) Ὀρεκτικήν. (03) Τευτάζωσιν. Glose marginale : πραγματεύονται, σχευωροῦνται, στρατεύονται, ἐπὶ πολὺ διατρίβουσιν ἐν τῷ αὐτῷ, ἐνίοτε δὲ καΐ φροντίζουσι. Conf. la note savante de Ruelle sur ce mot. (04) 4. Περὶ αὐτὰ τὸ χείριστον ἐπιδείκυνται. Je lis τό βέλτιστον, c'est-à-dire la partie qui agit κριτιχῶς καὶ ἑαυτῆς ἐξεταστικῶς. Je ne sais pas comment Kopp arrive à traduire τὸ χείριστον par aliquod leve vestigium. La délibération, l'observation, l'attention qu'ils apportent sur les conséquences qu'aura pour eux le choix de celles-ci ou de celles-là, prouvent que leur âme est capable de retourner sur elle-même. Peut-être faudrait-il encore mieux lire τὸ χωριστόν, la partie séparable de cette Âme, dont Damascius vient de dire δοκεῖ τι χωρίστερον ἔχειν αὐτῇ. (05) Ὅπως. (06) Διάστασίν τε καὶ ὑπόστασιν. C'est la figure grammaticale de l'Hendiadyn. (07) Note marginale : « Aristote τὸν νοῦν τίθεται πρώτην ἀρχήν. » Ce n'est pas de l'âme même, mais de la raison, ὁ νοῦς, qu'Aristote (de Anim. III, 4, 429 b. 5) dit : ὁ δὲ χωρίστος, en ajoutant (id., III, 5) que ce n'est que lorsqu'elle est réellement séparée qu'elle réalise sa véritable essence : χωρισθεὶς δ'ἐστι μόνον τοῦτ' ὅπερ ἐστί. Conf. Ar., Eth. Nic, VII, 6 : ὁ νοῦς, ἀρχή ; Met., IV, 1, 1, ἀρχὴ καὶ τέλος, νοῦς; — (id., VI, il) : νοῦς, ἡ ἀρχὴ τῆς ἀρχῆς. » (08) Un véritable organisme est un ensemble dont toutes les parties sont également primitives et qu'il n'est pas possible de dériver l'une de l'autre. (09) Πληρώματα : la variété des attributs qui font le plein du sujet. (10) Le pensant, l'intelligence. (11) 2. Ruelle écrit par erreur νοηρόν; Κοpp signale qu'un de ses manuscrits donne dans la marge : νοητὸν νοερόν, et il ajoute que cette leçon pourrait être admise : « de eo gradu ulteriorum sive intelligentiarum, quas inferius νοητὰ νοερά vocat Damascius, quales Angeli, Potestates, Throni, etc., demones et dii minorum gentium etc. perhibentur. » (12) La Raison, même ramenée à la notion de l'être le plus simple, c'est-à-dire à l'Un être, ne saurait être le Principe souverain, parce que l'Unifié n'est pas l'Un, mais ce qui est affecté par l'Un, c'est-à-dire qui en participe. — De la nature de l'Un. Conf. Parm., 137. — Kopp : « Hoc capite Dam. neque Unum-Ens, sive Unitum, neque ipsum Unum in Principio Summo ponendum esse deinonstrat... ἕν-ὄν et ἡνωμένον et ὄν atque mixtum eamdem ferme rem et notionem significant: qua ubertate vocabulorum idem fere significantium pas-sim Damascius cum ceteris hujus aetatis speculativis philosophie laborat, nec raro eis evenit ut sola lingua ipsa a priscis sapientibus exculta et ad disserendi subtilitatem de rebus gravissimis et quam maxime abstrusis subacta philosophetur, et doctos, quamvis ratione sagaci et subtili vacuos et satis probabilia commenta et speciosa sententias impingat. » (13) Ἢ πάντως μὲν δεῖ τὸ τοῦ Πλάτωνος ἐννοεῖν. Kopp. « Hic locus mihi non liquet, ni si legitur Πλάτωνος ἓν ὂν ἐννοεῖν ὡς... oὐκ ἔστιν ἄρα. Levius ex Herennio corrigas ἐνδεῖ... ὡς (pro ὅτι) τὸ ἡνωμένον. Si nihil mutas, intellige : Omnino cum Platone censendum est : Unitum non esse ipsum puerum Unum. » (14) Τὸ πεπονθὸς ἐκεῖνο. (15) Ἐνιζόμενον. (16) Kopp : χάλασαν. « Locus hic vix sanus hanc sententiam mihi fundere videtur: Hic ipse tenor argumentationis, Unitum (non) in se ipse habere tum id quod adunatur (et si quod adunatur ab adunante quam penitissime absorbtum sive constrictum est, utique tamen Unitum est), tum purum putum Unum ostendit si quidem ex elementis conflatum quod mixti nomine Plato insignire videtur, suorum elementorum indiget; scilicet (ἅτε χαλάσσης) remissa relaxataque sinceritate ad modum unius aliquid constat, velut crassum et patulum (seu anceps, duplex, ἀμριλαφές) quod secum simul profert elementa (Kopp supprime ici le point après ἅμ' ἑαυτῷ), minime quidem discreta, sed suo uni devincta et adhuc dum quasi confusa, inque tan tum prolata, ut ne illud (relaxatione Unius quasi defluens) ampliusdum Unum clueat, sed Unitum et pro Unitate jam substantia evaserit. In verbis οὐσία ἤδη fortasse unus alterve emendationem requiret : ego nihil muto. » Ni moi non plus. (17) Κατὰ τὸ μέτρον τοῦ ἑνός ; il se modèle sur l'Un, sans être l'Un même; toute la phrase est obscure : le mot ἀμφιλαφές est expliqué par la glose marginale : τὸ μέγα καὶ τὸ ὑπ' ἀμφοῖν οἷοντε ληφθῆναι ταῖν χεροῖν, ἀμφιλαβές τι ὄν. Kopp dit avec raison : « Locus hic vix sanus. » (18) L'hénade est antérieure et supérieure à l'être, parce qu'elle est simplicité parfaitement pure. (19) Οἷον εἶδος. Kopp : « In eo quod dicitur Unum Ens, indigentia quaedam alterius utrius vis cernitur. Si Unum (ente) fortius est, Uni ente opus est, quo Unum ens firmet et fundet. Sin Ens Uno prœstantius, utpote quod ad Mixtum et Unitum, tanquam forma, accedat, perinde ac rationis participi animali simul. que mortali hominis proprietas competit : sic ibidem Unum ente opus habet. Si denique, quod rectius dicitur, duplex est Unum, alterum mixtionis auctor, quod Enti antecedit; alterum, quod cum Ente existit (de qua re alio loco si res postulat disseremus) ne hanc quidem naturam indigentia relinquet. » (20) L'humanité. (21) Τῷ ὄντι ἐπανορθοῦν. (22) De l'Un. (23) Note marginale : ἀπορία.... λύσις. (24) Kopp : « Dans ce chapitre où Damascius démontre que l'Un lui-même ne peut pas être le Principe suprême... quum plurima plana sint, unum tamen locum καὶ πάντα εἰ λέγοιτο, quia intricatior est, vertam : salva meliore expositione : Si denique de Uno praedicaveris Omnia, hoc de eo prœdicatum enuntiatur, quia in eo, in quantum quidem ipsum solitarium est unum, omnia ita anticipantur, ut, quum omnium rerum unica causa sit omniaque antecedat, ideo non discrepet nec aliud fiât, sed propter hoc ipsum quod est unum etiam causa sit. Proinde Unum (fortasse post μὲν inserendum est τὸ ἕν) quatenus est solitarium eatenus minime indiget... unum ergo est indigum et secus, neque eadam vero ab parte : quantum namque ad ipsum Esse id quod est, attinet, non eget, quoniam vero ceteras res deducit easque anticipavit, eget : Quod quidem (agere et deducere) propriuin Unius est... Proinde, quantum est Unum, utrunique, — tum indigum, tum secus, — ei competet, neque jam ita utrumque est uti ratio istud Utrumque effata dispexit, sed ita ut Unum solum sit; propterque hoc ipsum cum cetera, tum indigum sit. — Aliud aliquid igitur rimandum est, cui nehilum quidem indigentiœ ullo quopiam modo adhœrescat; hujusmodi res nequaquam principium recte praedicatur, nec hoc ipsum quod augustissimum dictu videbatur, penitus omni indigentia vacare. » (25) Πανούσιον... πάντροπον. (26) Πάντων μίαν πρὸ πάντων αἰτίαν. (27) C'est là la contradiction inhérente au système, et qu'on cherche en vain à lever par de subtiles distinctions. (28) Προηληφός, les contenant primitivement en soi. (29) Ὑπεροχὴν σημαίνει καὶ ἐξαίρεσιν τοῦ ἐνδεοῦς. (30) Le texte est altéré ou incomplet. Kopp signale après ἀδιαστροφοῦν, dans deux manuscrits, un vide de dix lettres. Ruelle essaie une restitution qui n'éclaircit guère le passage ; au lieu d'ἀπζατῶντας ἀδιαστροφοῦν, il lit : ἁπάντων τὰς ἀδιαστρόφους... Je lis ἀδιάστροφον, que je rapporte a τοῦτο προωρισμένον, et je traduis ἁπαντῶντας par : allant au-devant des difficultés, abordant la discussion. (31) Kopp propose de lire : νῷ θεωρητόν. J'aimerais encore mieux supprimer νῷ. (32) Note marginale : τί τὸ πᾶ(σα)v ἐπινύησαι σώμα ἅποιον. Un manuscrit de Kopp au lieu d'ἀποίον σώματος, lit ποίου, qu'il construit avec διαφοραί et qu'il croit la meilleure leçon. (33) Un manuscrit lit ἤδη, qui s'explique aussi bien que εἴδη. (34) Notes marginales : Σῆ· ὅ τι διττὸν τὸ ποιόν. (35) Τὰ πληρώματα. (36) En marge on lit : « Σῆ· Remarquez qu'une chose peut être dans une autre selon la substance, qui est dans une autre par accident. » (37) Tout changement s'opère autour de quelque chose qui demeure, et l'implique. (38) La vie est supérieure et antérieure à la sensation. L'animal ne se meut pas en réalité par lui-même. L'Âme qui meut le corps est une substance supérieure à la vie, parce qu'elle se meut réellement elle-même. Sur ce chapitre et les suivants, jusqu'au § 22, Kopp reproduit la paraphrase d'Hérennius qu'il fait suivre des observations suivantes : « Eorum quœ Herennius omisit sensus est: Ipse sensus rationis particeps animam οstendit. Unus quilibet namque clarius obscuriusve sibi conscius versus se reflectere et in se reverti, ubi in curis et desideriis, in contentione aliqua vitœ vel cognitionis versatur. Quœ enim hanc rem exigit substantia et meditatione universalia colligit, jure rationis particeps prœdicatur. Quin adeo irrationalis anima, etsi eam ejusmodi actiones non exsequi liquet, neque secum consilio et deliberatione utitur, certe quidem corpora de loco in locum movet. Qui existimant rationis impotem animam ab integra mundi anima rationis compote cieri, absurdum decernunt, cujuslibet ratione privée animœ actiones, non ipsius, sed divinioris esse, siquidem immoderatae, incontinentes et multa fœditate vitiisque contaminatae sunt actiones. » (39) Συναισθάνεται, la Conscience. (40) Note marginale : 'Ἀπρορία. εἰ ἡ ἄλογος ψυχὴ ὑφ' ἑαυτῆς κινεῖται. Λυσις. (41) Des mouvements réflexes. (42) 4. Kopp : « Equidem non intelligere quid sibi velint, confiteor, nisi quis existirmat tueri posse, legens : οἶδεν au lieu de οὐκ ἆρα οὔδὲν ἀλλ' ἢ... » Ruelle ne change rien et avec raison. (43) Une notion générale. (44) Les formules ἀφ' ἑαυτῆς et ὑφ' ἑαυτῆς désignent l'une la cause initiale, d'où part le mouvement; l'autre la cause efficiente. (45) Notes marginales : Σῆ· ὁ μέγας Συριανός — Σή· —- ὅπως ἀξιοῦσιν oἱ περὶ τὸν μέγαν Συριανών. Thom. Gale (ad libr. de Mysteriis p. 489, b.) cite ce passage et ajoute : « Syrianus, teste Damascio, vocabulum sic intellexit : αὐτοκίνητος ἡ ψυχὴ ὅτι ἀφ' ἑαυτῆς, οὐ μέντοι ὑφ' ἑαυτῆς κινεῖται. Quœ quidem subtilius quam venus dicta videntur. Certe Proclus, Syriani discipulus, aliter scribit (lib. I. Theol. Plat., 13) : ψυχὴ αὐτοκίνητος πρώτως ἑαυτην κινεῖ καὶ ὑφ' ἑαυτῆς κινεῖται καὶ διὰ τὴν ὑφ' ἑαυτῆς δυνάμιν. Dicitur igitur anima αὐτοκίνητος respectu corporis et rerum sensibilium, quœ sunt plane ἑτεροκίνητα. Mens, ὁ πολυτίμητος νοῦς, omnis motus adeoque animalis princeps causa et fons est. » Note de Kopp. (46) De leg., X, 896. a. (47) Tim., 77, c. (48) Note marginale : « Autre solution : l'âme irrationnelle se meut d'elle-même, mais non par elle-même, ἀφ' ἑίαυτοῦ, οὐκ ὑφ' ἑαυτοῦ. » (49) Les actes sont-ils mus par la substance et peut-on dire que l'âme irrationnelle se meut par soi, autant qu'elle engendre ses actes propres ? Il y a, dans la sensation, une espèce de mouvement spontané. Résumé de Kopp : « Quaevis substantia suas quasdam actiones procudit, non extrinsecus insinuatas, sed ab ipsa illa substantia proficiscentes. lrrationalis anima suas actiones procreat, appetitiones et impetus : ergo se ipsa ciet et impellit : ergo ad se reflectit; ergo seorsum separabile nec in substrato exstat : ergo rationalis est, siquidem in se respicit. Etenim quum in se reflectitur, se ipsa cernet perœque ac, ubi ad externa tendit, externas res cernit. — Imo corpus coloratum cernit, se ipsam, quia neque corpus nec coloratum est, non cernit ipsa anima, videndi facultate prœdita. Ergo quum non reflectit, nihil nisi irrationalis est. » — L'argument qui conclut, de ce que l'âme irrationnelle agit sur elle-même, qu'elle a la conscience, a son analogue dans l'argument de Geulinx (Met., p. 26), que non seulement l'homme ne peut rien faire sans le penser, mais que toute activité étant conçue sur le type de la nôtre, tout ce qui agit, sait comment il agit : autrement, il n'agirait pas : « Impossibile est, ut is faciat, qui nescit quomodo fiat... persuasum habeo res aliquas quas brutas esse et omni cogitatione destitutas cognoscebam, aliquid operari et agere. » (50) Τὸ διακρῖνον τὴν ὄψιν, ce qui lui donne son essence spécifique et la distingue des autres sensations. Il semble que Kopp qui, d'ailleurs, change τὸ ἅποιον en τὸ ποιόν, change aussi, sans en avertir, la leçon τὸ διακρῖνον τῆς ὄψιν en τὸ διακρῖνον τῆς ὄψεως, comme on lit plus loin : ἡ διακριτικὴ τῆς ὄψεως. (51) Ἡ διακριτικὴ τῆς ὄψεως. (52) Κοpp : « Quaestio enascitur, utrum animal suapte natura sponte moveatur nec ne? Certe totum per totum sponte se movere non est putandum, neque vero anima irrationalis, quantum in se est, motiva motione gaudet. — At anima, etsi non seorsim, cum substrato suo tamen in unum conflata, spontaneam motionem exsequitur? — Ast, ut utrimque velut ex forma et materia conflatum agat, quid, denuo quœritur, in hoc conflato, movet, quid movetur? — Hoc ipsum in unum conflatum animal, quum peculiarem substantiam gerit compositam, etiam compositam exercet actionem integro animali consentaneam, quœ actio in sua integritate, uti animal ex forma incorporali et materia constat, ita pariter aliquid incorporeum cum corporali temperatum in se contineat. Velut in discretiva visus actione utrumque inest : quo fit ut albo corpore utroque modo, tum corporali ter tum in corporaliter afficiamur;— corporaliter, quum sensorium discernitur et solvitur, incorporaliter, quum affectionem percipimus, id est, noscitamus. Compar igitur in visu omnique sensu inesse dicendum est spontivae motionis genus, quœ per se quidem seorsim non agit, — utpote per se non substat, — at corporis insinuata prœcipua quadam qualitate et luminibus ornatum confiat totum hoc quod sponte moti visum gerit. Cur tandem visum gerit? Quia non perfecte idem nec individuum ipsum movens et motum in eo est, sed similitudine in separatarum in ter se referunt substantiarum, alia vero ratione coeuntium Ut ergo pars moveat, pars moveatur. Verbi gratia, anima rationis particeps movet, animal movetur, quia illa non in substrato, hoc non substratum est; quod ubi de composite genere vere dicitur, neque alterum utrumvis separatum agit, — per se enim non substat, — neque in compositione alterum movens, alterum motum est; nam uti actionibus, ita naturis discreparent. » (53) Nous sentons corporellement que c'est l'œil qui est frappé par la couleur, tandis que la connaissance de l'expression produite est incorporelle. (54) Ὀστρείνον. Allusion au passage du Phèdre (250, c.) où notre corps est comparé à la coquille dans laquelle est emprisonnée l'huître... Peut-être, pour établir une plus forte et plus claire opposition entre les deux espèces de corps, vaudrait-il mieux lire ὀστείνον, comme dans le Timée, 73, c, où Platon, décrivant la formation de notre corps, autour de la moelle, donne à celle-ci une couverture d'os : στέγασμα ...ξυμπηγνὺς περὶ ὅλον ὀστρείνον. Plotin ne distingue pas le corps pneumatique du corps de lumière. Enn., II, 2, 2. « Le Pneuma est un corps d'air ou de feu, que l'âme revêt avant de revêtir le corps solide, et qui obéissant au mouvement circulaire du ciel, agite la nacelle aérienne dans laquelle l'âme est comme portée. » Porphyre distingue trois espèces de corps pour l'âme : avant d'entrer dans la vie terrestre, l'âme demeure dans le ciel des Fixes ; — elle en descend en traversant la sphère des Planètes à la substance desquelles elle emprunte un corps d'air, πνεῦμα. Pour les âmes les plus pures, ce πνεῦμα est éthéré ; pour les moins pures, il est analogue à la substance solaire ; pour les âmes inférieures, il est composé des vapeurs humides de l'atmosphère de la terre. (55) Il s'agit d'une forme différente d'automotion. Note marginale. « Σῆ· ὅλον, c'est-à-dire, faites attention à tout le passage. » (56) Kopp, au lieu d' ὑφ' ἕτερον, lit καθ' ἕτερον, d'après un manuscrit, et il fait de τὸ συναμφότερον, le complément d'apposition de κατὰ τοῦτο. (57) A savoir ce selon quoi il est mû et ce selon quoi il meut. (58) Note marginale : Σῆ· ὅλον. Kopp : « Videtur auctor notae monitum voluisse ut lector totum locum animadvertat. » (59) Le mouvement καθ' ὅ, la cause exemplaire, est passif ; le mouvement ὑφ' οὗ, la cause efficiente, est actif : si les deux deviennent passifs, il faudra en trouver un autre, actif, et ainsi de suite, à l'infini. — Paraphrase de Kopp : « Αlius modus spontivœ motionis, e quo Junctum ex utrisque et combinatum secundum alteram, verbi gratta, formam, sive forma? convenienter, movetur (qua re haec moveos esse videtur) non quod ab hoc (tanquam primo motore) alterum, sed huic alteri (v. gr.) formae, convenienter seu secundum illud Junctum et Combinatum movetur. — At prima motio effectrix aut ab alia quadam re, aut ab ipso combinato proficiscitur. — Neutrum autem stare potest. Non a se movetur Combinatum, quia eadem res et movens erit, quod soli competit individuo a partibus vacuo. Quid quod uti animal sponte motum vere non dicitur, ita ejus quod dicitur ipsum a se moveri et se ipsum movere, non est verum; sed speciem sponte moti habet. Nam unum aliquid simplex est, secundum quod compositum (ex forma et materia, verb. causa, animal) movet, et quidem qua movet, unum est. Est vero in illo (composito) etiam secundum quod movetur. Hoc utramque, secundum quod et movetur et movet, hoc tota forma sive ipsum singulare animal cluet, in quo id cietur, secundum quod movetur. lllud Combinatum autem movetur utrimque, tum secundum formam, tum secundum materiam, quia totius formae vel ipsius animalis velut stamina mutuo communicantur et conspirant, ut adeo totum soiidumque et moveat et moveatur, minime vero quantum est totum se ipsum tum moveat tum moveatur, sed moveat propter animam, moveatur propter corpus, nequaquam vero ab anima neque a corpore. » (60) Quelle est la nature du mouvement vital, qui tantôt vivifie, tantôt est celui selon lequel vit ce qui est doué de la vie par le premier. De l'âme génératrice des animaux. (61) Paraphrase de Kopp : « Pari modo spontivae motionis genus duplex : alterum, a quo (primo efficiente) id quod sponte motum esse videtur, spontiva motione donatur, alternai, quo sponte moti speciem nanciscitur, quum modus et affectio spontivae motionis est, nec a participiante sive re cui id genus insinuatum est separari nequit. » (62) Ἐξ ἑαυτοῦ : On remarquera ces subtiles distinctions marquées par les prépositions ὑπό, ἀπό, ἐξ, κατά. Paraphrase de Kopp : « ψυχὴ γεννῶσα seu ψυχοῦσα ea est quœ animam indit, et animat, ut supra de motu simile et de vita demonstratum est. » (63) Saint Augustin se sert aussi de ce mot Animatio. La vie de l'âme a, selon lui) sept degrés : 1° L'animatio; 2° la sensation; 3e l'activité, ars; 4° l'activité vertueuse ; 5° la paix ; 6° la marche de l'âme qui s'élève à Dieu ; 7° la contemplation dans laquelle elle s'absorbe en entier. De Quantit. anim., ch. XXXIII, n. 70. C'est une des classifications des facultés de l'âme ; car la psychologie de saint Augustin en a beaucoup, fort différentes, et difficiles à concilier entre elles. (64) Plotin avait déjà dit que la terre et les minéraux qu'elle contient, vivent, c'est-à-dire croissent. Une superstition populaire veut même que des vases enterrés s'accroissent de volume. Conf. Revue archéologique, 1860-1861. (65) Le mot κατὰ semble exprimer la loi, la forme intelligible du mouvement, l'exemplaire selon lequel se réalise l'action : c'est la cause paradigmatique. (66) Notes marginales : αὐτοκινησία, ἡ εἰς ἑαυτὴν ἐπιστριπτική· καὶ αὐτοκινησία, ἡ, κατ' εὐθυωρίαν. (67) Λογικὴν ; distinction du λόγος et de la νόησις, c'est-à-dire de l'intelligence en général, comprenant la sensation et la raison pure. (68) L'opposition de l'ἐν βάθει et de l'ἐν πλάειι, divisions logiques de l'idée. (69) Note marginale : « Σῆ· Il expose que Γαὐτοκίνητον est partout et prend toutes les formes. » Un manuscrit au lieu de πανταχῶς, lit πενταχῶς. (70) Ces mots manquent au texte ; mais ils sont appelée nécessairement par le sens. (71) Paraphrase de Kopp : « Interea motio omni quidem rei contigit, non vero cujuscunque generis motio — si ea ex ratione, qua rationalis anima sponte mobilis cluet, rationem sponte moti concipiinus, animalia rationis expertia, spontiva motione vacabunt, quia in se non convertuntur. — Imaginatio, fervor animi, cupiditas aliaque hujus generis sponte niota intrinsecus in externa vires exserunt, ne utiquam retrorsum et orbiculatim in se redeunt, sed directa utique via agitant, quippe quae ab directo extensoque corpore separari ne-queunt. Omnino separabile latius ponemus atque modo hoc, modo illud pollere censebimus. Extrema, v.gr. distant, radicitus separabile et per se substans, (qualis rationalis est species), ab altera parte usquequaque, inseparabile cujus generis est qualitas. Inter haec mediae intersunt tum Natura, ad inseparabile acclinis, quae nonnisi exiguain separati speciem prœ se fere tum irrationalis anima ad separabile proclivis. » (72) Ce qui est mû par soi-même et est uni avec une autre chose mue d'ailleurs ne peut pas être premier. Ce qui est mû par soi-même n'est pas principe; avant lui il faut poser l'immobile. — Note marginale : τὸ ἑαυτὸ ὑφίφτῶν καὶ τελειοῦν ἑαυτὸ κυρίως αὐτοκίνητον καὶ πρῶτον. (73) C'est dans la connaissance de l'homme que l'on peut surprendre le mieux le secret des choses. (74) Note marginale : ὅτι οὐ ἔστιν ἡ μία τῶν πάντων ἀρχὴ, τὸ αὐτοκίνητον — ὡς οὐδὲ τὸ αὐτοκίνητον, ἀρχή. — Χωριστὸν (est) l'ἄλογος ψυχὴ, λογικὸν εἶδος (est) ἀχώριστον φύσις, φυσικὴ ψυχὴ, ἡ ποιότης. (75) Ἅμα. (76) Au § 393. Damascius se pose encore la question : qu'est-ce que l'automoteur? et il répond : en tant que moteur, il est immobile; en tant que mû, il est mû par un autre ; en tant qu'il est à la fois et le même, les deux, il est automoteur. (77) Ἀφ' ἑαυτοῦ. (78) Je lis ὅμως au lieu de ὅλως. (79) Δεῖ μένον κινεῖν. (80) 1. Paraphrase de Kopp : « Ejus modi sponte inotum quod cum extrinsecus moto conglutinatum est, ipsum Primum esse nequit, quia neque ipsum sua ipsius fundamenta munit, nec se ipsum ad perfectionem adigit, imo ad utrumque alterius alicujus rei ei opus est. Ulterius ergo vere sponte motum superat, quo genere, utsensus et rerum evidentia deliquat, homines utuntur... Neque vero ipsum reapse sponte motum Principii loco honorandum est, quia niixtum ex movente et moto constat. Jam quum omne mixtum suis elementis inferius et posterius est, quum omnis species procreata sit, necesse est illud vero sponte motum purum putum, movens non exhibet, sequitur ut principium non sit — Ulterius itaque erit purum solitariumque movens ipsum, quum immotum stat : inter quod et tertium genus rerum, quœ quum non movent, ipsœ moventur, media species moti intercedit. Hoc sponte motum, quatenus quidem movetur, non movet. At vero si movet, manere debet, quum movet. Jam undenam manere habet? A se ipso enim aut moveri solitarium (id est ut moveatur) hausit, aut una simul quantum et idem per se totum est, tum manere, tuum moveri habebit. Ac simplex manere unde nam habebit, nisi a sincere manente ? Hoc autem erat immobile, quod ergo praeponendum est. » (81) L'Immobile est-il donc le vrai principe ? Paraphrase de Kopp : « Immotum ne erit Principium ? Non, quia immobile in tot et tantas res immobiliter continet, quot et quantas sponte motum pro sua natura exserit. Jam quum unumquodvis eorum quœ in sponte moto coercentur, sponte motum est, cuivis autem sponte moto singula sua immobilia subsunt, plurima erunt immobilia. Ut exemplo utar, quum in spontanea anima tria hœc ad minimum cernuntur, substantia quœdam, itemque vita et cognitio, quumque horum unumquodlibet sponte movetur (nam et totum sponte motum mobile, quantum in se est) eorum cuilibet immotum prœest. Immotum ergo est quasi penus illarum triuin formarum sive devulsarum (at in sponte moto inter se conjunctœ sunt), sive penitus adunatarum, ut nihil quidquam in iis sit distinctum. At sic quidem unaquœque vis per se solitaria, sponte mota, minime immobilis cluebit, sponte motis singulis singula immobilia prœsint necesse est. Preterea immobilis discretio antecedit sponte motam ; immobile ergo levia prodit vestigia unius et multorum, uniti et discreti. Hujusmodi immobile est Mens, in qua Unitum discreto natura honore praestat. — Jam mens unitum oppositionis purum non tenet ; cum discreto namque in essentia et primordiis Mens per totum quantum est, intelligens seu intellectuale genus, condita ex stat : ergo quum duplicitatem quamdam prœ se fere (uniti et discreti), eam (mentem) pure unitum, unde deducitur, procedet necesse est : quod unitum Entis nomine sapientes usurpant, quod in unum quasi glomeramen multa constrictum tenet. » (82) Ruelle, au lieu de καὶ γὰρ, lit, et je lis comme lui : ὡς γάρ, qui a son pendant dans οὕτω καί. (83) J'ajoute ce membre pour compléter la proposition par trop elliptique. (84) Puisque l'individuel automoteur n'est pas premier, il faut qu'il y ait un individuel immobile. (85) Note marginale : « ὁ Νοῦς αὐθυπόστατος ὧν παράγει ἑαυτὸν καὶ παράγεται ἐπὶ τοῦ ἁπλῶς ἡνωμένου. » (86) Αὐθυπόστατος. |
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