Aristote : Opuscules

ARISTOTE

OPUSCULES.

TRAITE DES RÊVES

Περὶ Ἐνυπνίων

Traduction française : BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE.

 

 

 

PSYCHOLOGIE D'ARISTOTE

OPUSCULES

TRAITE DES RÊVES

 

 

 

 

 

TRAITE DES RÊVES

PLAN DU TRAITÉ DES RÊVES.

Un phénomène non moins singulier que le sommeil, c'est le rêve. A quelle partie de l'âme s'adressent les apparences que les songes nous donnent ? Est-ce à l'entendement, est-ce à la sensibilité, les deux seules parties de notre être qui nous fassent connaître les choses ? Nous avons établi plus haut que le sommeil était une impuissance de sentir; ce n'est donc pas la sensibilité qui nous fait percevoir les rêves. Nous ne les percevons pas non plus par une simple opinion; c'est-à-dire que nous ne savons pas seulement que l'objet de notre songe existe ; nous savons, en outre, qu'il existe dans certaines conditions, avec certaines qualités. Nous pensons dans le rêve quelque chose au delà même des images qui nous ont apparu ; et c'est là ce dont on peut se convaincre en essayant le matin de se rappeler les songes de la nuit. On découvre par là qu'il y a dans le rêve autre chose encore que le rêve lui-même, et que la pensée agit indépendamment et au delà de ce qui lui est alors présenté. On voit, on entend quelque chose durant le songe; mais ce n'est pas tout à fait comme dans la veille. L'affection qu'on éprouve ne s'adresse ni tout à fait à l'intelligence, ni tout à fait à la simple opinion, ni tout à fait à la sensibilité. C'est cependant la sensibilité qui est le plus atteinte, puisque le sommeil lui-même est une certaine modification de la sensibilité. Le rêve n'appartient qu'à l'animal qui dort, et l'animal ne dort qu'autant qu'il est sensible; le rêve est une sorte d'image, et relève par conséquent aussi de l'imagination, faculté si voisine de la sensibilité.

C'est du reste un sujet très difficile; et, pour le mieux comprendre, il sera bon d'étudier les circonstances diverses qui accompagnent le sommeil. Les choses sensibles produisent en nous des sensations selon chacun des organes particuliers; mais l'impression n'a pas lieu seulement quand la sensation agit; elle subsiste même encore après. Le mouvement se propage de proche en proche, et peu à peu comme celui des projectiles qui se déplacent, ou même comme les mouvements de simple altération: la chaleur, par exemple. Ainsi l'impression n'est pas dans les organes uniquement au moment même où ils sentent ; elle y est encore après qu'ils ont cessé de sentir ; et elle est au fond aussi bien qu'à la surface. Certains phénomènes nous prouvent très nettement cette persistance de la sensation. Quand on passe du soleil à l'ombre, on est quelques instants sans voir, parce que tout le mouvement que la lumière a causé dans les yeux y continue encore. Si l'on arrête trop longtemps ses yeux sur une seule couleur, on la revoit ensuite partout. Si l'on regarde fixement le soleil, les objets que l'on regarde ensuite prennent successivement diverses couleurs. Souvent c'est le mouvement seul des objets qui suffit pour nous causer ces hallucinations de la vue : si l'on regarde longtemps couler une eau rapide, tous les autres objets semblent ensuite se mouvoir. On devient sourd par suite de bruits trop violents ; l'odorat s'émousse par l'action d'odeurs trop fortes. D'autres faits pourraient prouver que nos sensations ont des mouvements extrêmement petits, que souvent nous ne percevons pas, et qui n'en existent pas moins. On pourrait citer particulièrement ce fait des miroirs où se marque une tache couleur de sang, quand une femme qui a ses mois les approche de ses yeux. Il est inutile de multiplier ces détails ; mais on peut en conclure que, même après que l'action de l'objet sensible a cessé, les impressions n'en demeurent pas moins dans les organes, et n'en continuent pas moins à y être sensibles. Ajoutons que, sous le coup d'une sensation violente, nous sommes très sujets à tomber dans l'erreur. Dans la passion, la moindre ressemblance avec l'objet qui la cause suffit pour nous donner le change; dans la fièvre, les choses les plus incohérentes nous présentent des apparences qui deviennent très vite régulières. Le malade s'élance sur les objets qu'il croit voir aux murailles de sa chambre. Même sans maladie, il suffit d'une simple superposition des doigts pour que la réalité nous échappe. La chose nous semblerait double, toute simple qu'elle est, si le témoignage de la vue n'était là pour rectifier le témoignage trompeur du toucher. On pourrait citer encore bien d'autres illusions des sens.

Il se passe donc en nous bien des mouvements que nous ne pouvons distinguer à la suite de la sensation ; et ces mouvements se produisent dans le sommeil plus encore que dans la veille. Dans le jour, ces mouvements, qui sont fort délicats, disparaissent devant les sensations, qui sont elles-mêmes beaucoup plus fortes, ou devant nos propres pensées qui absorbent toute notre attention. Au contraire, durant le sommeil, quand le trouble de la veille s'est apaisé, toutes ces impressions, qui se dirigent vers le centre de la sensibilité, deviennent pour nous beaucoup plus claires et plus faciles à percevoir. Ces impressions nombreuses et très diverses s'agitent, se détruisent et se reforment, à peu près comme ces petits tourbillons qu'on remarque sur les eaux courantes. Ils se brisent entre eux , ou sur les moindres obstacles qu'ils rencontrent, et ils se reforment un peu plus loin. Quand le mouvement est encore trop confus, le rêve n'a pas lieu; et voilà pourquoi on ne rêve pas d'ordinaire aussitôt après le repas, parce que la chaleur qui vient de la nourriture cause une agitation trop violente. On dirait d'un liquide ou l'image des objets ne peut se former régulièrement, quand. il est trop agité, et où elle devient parfaitement nette, quand il est en repos. De même, quand le mouvement du sang s'est apaisé, et que toute l'organisation est rentrée dans le calme, les impressions reçues durant la veille, et qui restent encore dans les sens, deviennent perceptibles. Alors les impressions venues de la vue font qu'on voit des images en songe ; celles qui sont venues de l'ouïe font qu'on entend; et de même pour tous les autres organes. Le mouvement se communique ainsi des organes au principe même de la sensibilité ; et le rêve produit en nous des apparences toutes pareilles à celles que l'on a quelquefois dans les hallucinations de la veille elle-même. Mais comme le principe supérieur qui juge et compare toutes nos perceptions, est alors en partie réduit à l'impuissance, il suffit aussi de la ressemblance la plus légère pour nous faire illusion. Avec le sang qui se précipite en masse vers le principe sensible, se précipitent aussi au même lieu les divers mouvements restés dans les organes. De ces mouvements, les uns surnagent, les autres s'enfoncent, pareils à ces grenouilles de sel, qui descendent au fond de l'eau, et qui remontent ensuite à la surface, les unes après les autres, quand le sel qui les enveloppe est fondu; ou pareils encore à ces nuages qui, dans leurs changements rapides, forment les apparences les plus bizarres et les plus diverses. Tous ces mouvements ne sont que des débris des sensations réelles; et ces débris suffisent pour nous rappeler les objets eux-mêmes, avec toutes les imperfections que d'ailleurs les songes présentent. Parfois nous sommes tout à fait dupes du rêve ; parfois aussi nous nous disons, même durant le sommeil, que ce n'est qu'une vaine illusion. On peut donc conclure que le rêve est une sorte d'image qui se produit durant le sommeil , et qui provient des débris de sensations laissés dans les organes. On ne doit pas, du reste, confondre avec le rêve ces demi-sensations que l'on éprouve, même durant le sommeil, par l'action de certains faits extérieurs. Par exemple, on croit entendre, pendant qu'on dort, un faible cri ; au réveil, on s'assure qu'en effet c'était le cri du coq qui s'était fait entendre. On croit entrevoir en dormant une faible lumière; on croit que c'est un rêve ordinaire ; mais, au réveil, on s'aperçoit qu'en effet c'était la lueur d'une lampe qui agissait sur les yeux. La faculté du rêve varie du reste beaucoup avec les divers tempéraments, et, par suite, avec l'âge lui-même. Il y a des gens qui n'ont rêvé de leur vie ; d'autres qui ne rêvent qu'en avançant en âge : c'est que chez eux le mouvement de l'évaporation était beaucoup trop considérable; l'image ne peut se montrer, et ce n'est que quand l'agitation cesse, que l'image paraît avec la netteté suffisante.

CHAPITRE PREMIER.

A quelle faculté de l'âme se rapporte le rêve ? Est-ce à l'entendement ou à la sensibilité ? Il y a dans le rêve quelque chose de plus que la sensation : rôle de l'opinion. Le rêve n'appartient exclusivement ni à le sensibilité, ni à l'intelligence, ni à l'opinion : il se rapporte à l'imagination, laquelle n'est elle-même qu'une modification de la sensibilité.

[458a33] § 1. Μετὰ δὲ ταῦτα περὶ ἐνυπνίου ἐπιζητητέον͵ καὶ πρῶτον [458b] τίνι τῶν τῆς ψυχῆς φαίνεται͵ καὶ πότερον τοῦ νοητικοῦ τὸ πάθος ἐστὶ τοῦτο ἢ τοῦ αἰσθητικοῦ· τούτοις γὰρ μόνοις τῶν ἐν ἡμῖν γνωρίζομέν τι.

§ 2. Εἰ δ΄ ἡ χρῆσις ὄψεως ὅρασις͵ καὶ ἀκοῆς τὸ ἀκούειν͵ καὶ ὅλως αἰσθήσεως τὸ αἰσθάνεσθαι͵ κοινὰ δ΄ ἐστὶ τῶν αἰσθήσεων οἷον σχῆμα καὶ μέγεθος καὶ κίνησις καὶ τἆλλα τὰ τοιαῦτα͵ ἴδια δ΄ οἷον χρῶμα ψόφος χυμός͵ ἀδυνατεῖ δὲ πάντα μύοντα καὶ καθεύδοντα ὁρᾶν͵ ὁμοίως δὲ καὶ ἐπὶ τῶν λοιπῶν͵ δῆλον ὅτι οὐκ αἰσθανόμεθα οὐδὲν ἐν τοῖς ὕπνοις· οὐκ ἄρα γε τῇ αἰσθήσει τὸ ἐνύπνιον αἰσθανόμεθα. § 3. Ἀλλὰ μὴν οὐδὲ τῇ δόξῃ· οὐ γὰρ μόνον τὸ προσιόν φαμεν ἄνθρωπον ἢ ἵππον εἶναι͵ ἀλλὰ καὶ λευκὸν ἢ καλόν· ὧν ἡ δόξα ἄνευ αἰσθήσεως οὐδὲν ἂν φήσειεν͵ οὔτ΄ ἀληθῶς οὔτε ψευδῶς. Ἐν δὲ τοῖς ὕπνοις συμβαίνει τὴν ψυχὴν τοῦτο ποιεῖν· ὁμοίως γὰρ ὅτι ἄνθρωπος καὶ ὅτι λευκὸς ὁ προσιὼν δοκοῦ μεν ὁρᾶν. Ἔτι παρὰ τὸ ἐνύπνιον ἐννοοῦμεν ἄλλο τι͵ καθάπερ ἐν τῷ ἐγρηγορέναι αἰσθανόμενοί τι. Περὶ οὗ γὰρ αἰσθανόμεθα͵ πολλάκις καὶ διανοούμεθά τι· οὕτω καὶ ἐν τοῖς ὕπνοις παρὰ τὰ φαντάσματα ἐνίοτε ἄλλα ἐννοοῦμεν.  § 4. Φανείη δ΄ ἄν τῳ τοῦτο͵ εἴ τις προσέχοι τὸν νοῦν καὶ πειρῷτο μνημονεύειν ἀναστάς. Ἤδη δέ τινες καὶ ἑωράκασιν ἐνύπνια τοιαῦτα͵ οἷον οἱ δοκοῦντες κατὰ τὸ μνημονικὸν παράγγελμα τίθεσθαι τὰ προβαλλόμενα· συμβαίνει γὰρ αὐτοῖς πολλάκις ἄλλο τι παρὰ τὸ ἐνύπνιον τίθεσθαι πρὸ ὀμμάτων εἰς τὸν τόπον φάντασμα· § 5. ὥστε δῆλον ὅτι οὐκ ἐνύπνιον πᾶν τὸ ἐν ὕπνῳ φάντασμα͵ καὶ ὅτι ὃ ἐννοοῦμεν τῇ δόξῃ δοξάζομεν. § 6. Δῆλον δὲ περὶ τούτων ἁπάντων τό γε τοσοῦτον͵ ὅτι τὸ αὐτὸ ᾧ καὶ ἐγρηγορότες ἐν ταῖς νόσοις ἀπατώμεθα͵ τοῦτ΄ αὐτὸ καὶ ἐν τῷ ὕπνῳ ποιεῖ τὸ πάθος. Καὶ ὑγιαίνουσι δὲ καὶ εἰδόσιν ὅμως ὁ ἥλιος ποδιαῖος εἶναι δοκεῖ. Ἀλλ΄ εἴτε δὴ ταὐτὸν εἴθ΄ ἕτερον τὸ φανταστικὸν τῆς ψυχῆς καὶ τὸ αἰσθητικόν͵ οὐδὲν ἧττον οὐ γίνεται ἄνευ τοῦ ὁρᾶν καὶ αἰσθάνεσθαί τι· τὸ γὰρ παρορᾶν καὶ παρακούειν ὁρῶντος ἀληθές τι καὶ ἀκούοντος͵ οὐ μέντοι τοῦτο ὃ οἴεται. Ἐν δὲ τῷ ὕπνῳ ὑπόκειται μηδὲν ὁρᾶν μηδὲν ἀληθές͵ τὸ δὲ μηδὲν πάσχειν τὴν αἴσθησιν οὐκ ἀληθές͵ ἀλλ΄ ἐνδέχεται καὶ τὴν ὄψιν πάσχειν τι καὶ τὰς ἄλλας αἰσθήσεις͵ ἕκαστον δὲ τούτων ὥσπερ ἐγρηγορότος προσβάλλει μέν πως τῇ αἰσθήσει͵ οὐχ οὕτω δὲ ὥσπερ ἐγρηγορότος· καὶ ὁτὲ μὲν ἡ δόξα λέγει ὅτι ψεῦδος͵ ὥσπερ ἐγρηγορόσιν͵ ὁτὲ δὲ κατέχεται καὶ ἀκολουθεῖ τῷ φαντάσματι;

§ 7. ὅτι μὲν οὖν οὐκ ἔστι τοῦ δοξάζοντος οὐδὲ τοῦ διανοουμένου τὸ πάθος τοῦτο ὃ καλοῦμεν ἐνυπνιάζειν͵ φανερόν. Ἀλλ΄ οὐδὲ τοῦ αἰσθανομένου ἁπλῶς· ὁρᾶν γὰρ ἂν ἦν καὶ ἀκούειν ἁπλῶς.

§ 8. Ἀλλὰ πῶς δὴ καὶ τίνα τρόπον͵ ἐπισκεπτέον. Ὑποκείσθω μὲν οὖν͵ ὅπερ ἐστὶ καὶ φανερόν͵ ὅτι τοῦ αἰσθητικοῦ τὸ πάθος͵ εἴπερ καὶ ὁ ὕπνος· οὐ γὰρ ἄλλῳ μέν τινι τῶν ζῴων ὑπάρχει ὁ ὕπνος͵ ἄλλῳ δὲ τὸ ἐνυπνιάζειν͵ ἀλλὰ τῷ αὐτῷ.  § 9. Ἐπεὶ δὲ περὶ φαντασίας ἐν τοῖς Περὶ ψυχῆς εἴρηται͵ καὶ ἔστι μὲν τὸ αὐτὸ τῷ αἰσθητικῷ τὸ φανταστικόν͵ τὸ δ΄ εἶναι φανταστικῷ καὶ αἰσθητικῷ ἕτερον͵ ἔστι δὲ φαντασία ἡ ὑπὸ τῆς κατ΄ ἐνέργειαν αἰσθήσεως γινομένη κίνησις͵ τὸ δ΄ ἐνύπνιον φάντασμά τι φαίνεται εἶναι (τὸ γὰρ ἐν ὕπνῳ φάντασμα ἐνύπνιον λέγομεν͵ εἴθ΄ ἁπλῶς εἴτε τρόπον τινὰ γινόμενον)͵

§ 10. φανερὸν ὅτι τοῦ αἰσθητικοῦ μέν ἐστι τὸ ἐνυπνιάζειν͵ τούτου δ΄ ᾗ φανταστικόν.




 

§ 1. [458a33] Après avoir étudié le sommeil, il faut passer aux rêves, [458b] et rechercher d'abord à quelle partie de l'âme se montre le rêve. Est-ce une affection de l'entendement ou de la sensibilité, les deux seules parties de notre être qui nous fassent connaître les choses ?

§ 2. La fonction de la vue, c'est de voir ; celle de l'ouïe, c'est d'entendre ; et, en général, la fonction de la sensibilité, c'est de sentir. De plus, il y a certaines choses communes à tous les sens, telles que la forme, le mouvement, la grandeur, et autres qualités de même genre ; et il y en a d'autres qui sont spéciales, comme la couleur, le son, la saveur. Or, quand on ferme les yeux, et quand on dort, on n'est point en état d'avoir la sensation de la vue, on n'a pas davantage les autres ; ainsi, il est clair que nous ne sentons rien durant le sommeil. Ce n'est donc pas par la sensation que nous sentons le rêve. § 3. Nous ne le sentons pas non plus par la simple opinion ; car nous ne disons pas seulement que l'objet qui se présente alors est homme ou cheval ; nous disons encore que cet objet est blanc ou qu'il est beau ; et sans le secours de la sensation, la simple opinion ne pourrait rien nous dire de tout cela, ni de vrai ni de faux. Mais c'est là précisément ce que fait l'âme dans les rêves, puisque nous croyons voir alors, tout aussi réellement que dans la veille, que celui qui se présente est homme, et de plus qu'il est blanc. Dans le rêve, nous sentons donc encore quelque chose de plus que l'objet, de même que dans la veille, quand nous sentons un objet. En effet, souvent nous ne sentons pas seulement l'objet, mais nous en pensons encore quelque chose ; de même aussi dans les rêves, nous pensons quelque fois autre chose encore au-delà des images qui nous apparaissent. § 4. Cela sera parfaitement évident pour quiconque, après le réveil, appliquera son esprit à se rappeler les rêves qu'il a eus. Quelques personnes ont ainsi revu leurs rêves, comme en observant les règles de la mnémonique on apprend à se représenter les choses proposées. En effet, il arrive souvent à ceux qui prennent cette habitude, qu'outre le rêve ils se remettent encore sous les yeux quelqu'autre image, dans le lieu qui reçoit les images. § 5. Ceci prouve bien que la représentation aperçue dans le sommeil n'est pas toujours un rêve, et que ce que pense alors notre intelligence, elle en a connaissance par l'opinion. § 6. Il est évident encore que pour tous les phénomènes de ce genre, la cause qui fait que dans certaines maladies nous nous trompons même tout éveillés, est celle aussi qui, dans le sommeil, produit sur nous l'impression du rêve. Et même, on a beau être en pleine santé, on a beau savoir fort bien ce qu'il en est, le soleil paraît toujours n'avoir qu'un seul pied de large. Mais, soit que l'imagination et la sensibilité soient dans l'âme deux facultés identiques, ou qu'elles soient différentes, le rêve ne se produit pas néanmoins sans que l'on voie et que l'on sente quelque chose. En effet, mal voir, mal entendre ne peut appartenir qu'à un être qui voit et qui entend quelque chose de vrai, bien que ce quelque chose ne soit pas ce qu'il croit. Mais on suppose que dans le sommeil on ne voit rien, qu'on n'entend rien, en un mot qu'on ne sent rien. Faut-il donc admettre que, s'il est vrai qu'on ne voie rien dans le rêve, il n'est pas vrai que la sensibilité n'éprouve rien ? Mais il se peut que la vue et les autres sens éprouvent alors quelque affection ; chacune des impressions agit à peu près comme si l'on était éveillé, et elles frappent la sensibilité d'une certaine manière ; mais ce n'est pas tout à fait cependant comme durant la véritable veille. Ainsi, tantôt l'opinion nous dit que ce que nous voyons alors est faux, comme elle nous le dit dans la veille ; et tantôt, elle est saisie par l'image et se laisse entraîner à sa suite.

§7. Il est donc certain que cette affection que nous appelons le rêve n'appartient, ni à la faculté de l'opinion, ni à celle de l'intelligence. Elle ne relève absolument non plus de la sensibilité ; car alors on verrait, on entendrait tout à fait.

§ 8. Mais recherchons comment ce phénomène est possible et comment il se passe. Supposons donc, ce qui du reste est évident, que c'est là une affection de la sensibilité, puisque le sommeil en est une aussi ; et en effet, la faculté du sommeil n'appartient pas à tel animal et la faculté du rêve à tel animal différent : elles sont réunies toutes deux dans le même être. § 9. Nous avons déjà parlé de l'imagination dans le Traité de l'âme, et nous y avons dit que l'imagination est la même chose que la sensibilité ; mais que la manière d'être de la sensibilité et celle de l'imagination sont différentes ; nous avons défini l'imagination : le mouvement produit par la sensation en acte. Or, le rêve paraît bien être une sorte d'image ; car nous appelons rêve l'image qui se montre durant le sommeil, qu'elle se produise, soit d'une manière absolue, soit d'une manière quelconque.

§ 10. Il est donc évident que rêver appartient à la sensibilité, et lui appartient en tant qu'elle est douée d'imagination.

§ 1. Se montre le rêve. J'ai tâché de conserver l'image du texte.

- De l'entendement ou de la sensibilité. Voir le Traité de L'Âme pour les théories spéciales sur ces deux facultés, qu'Aristote n'a nulle part plus complètement opposées qu'il ne le fait ici.

- De notre être. Le texte dit mot à mot : « qui sont en nous ». Voir aussi le Traité de l'Âme, III, IV, 5 et III, VIII, 3.

§ 2. Certaines choses communes. Voir le Traité de l'Âme. II, VI, 3.

- Nous ne sentons rien durant le sommeil. Voir la théorie spéciale sur l'impuissance de la sensibilité durant le sommeil, plus haut, Traité du Sommeil, Ch. I, §.5 et suiv.

- Que nous sentons le rêve. Peut-être eût-il mieux valu dire : « Que nous connaissons le rêve ». Mais j'ai dû conserver l'expression du texte, tout en la trouvant peu exacte.

- § 3. Par la simple opinion. Ce qui suit expliquera clairement ce qu'Aristote entend par l'opinion : c'est le mouvement de l'esprit, qui, de la substance de l'objet, se porte aux qualités qui le distinguent. Du reste, cette idée de l'opinion est, en général, assez vague dans Aristote ; voir le Traité de l'Ame, III, III, 4 ; Derniers Analytiques, I, XXXIII, 1 et II, XIX, 8 ; et Topiques, VIII, XIII, 1. On peut voir dans Platon, République, V, p. 315, trad. de Mr. Cousin, des théories beaucoup plus satisfaisantes et plus arrêtées.

- Qui se présente alors. J'ai ajouté ce dernier mot.

- Qu'il est blanc, qu'il est beau. Qualités diverses de cet objet que nous avons d'abord perçues dans son existence substantielle, indépendamment de tout accident.

- Sans le secours de la sensation, chargée de nous apprendre d'abord l'existence même de l'objet.

- La simple opinion. Le texte dit simplement, comme plus haut : « l'opinion ».

- Tout aussi réellement que dans la veille. Le texte, plus concis, dit : « également ».

- Nous en pensons encore quelque chose, c'est à dire, nous portons un jugement ; nous nous formons une opinion de cet objet. L'opinion, ainsi entendue, se confond alors avec la perception, comme l'entend la philosophie Ecossaise.

- Au-delà des images, ou bien « outre les images ».

§ 4. En observant les règles de la mnémonique. Aristote se sert aussi de cette comparaison pour expliquer le rôle de l'imagination ; Traité de l'Ame, III, III, 4. On retrouve encore une indication de l'art de la mnémonique dans les Topiques, VIII, XIV, §.4.

- Ils se remettent encore sous les yeux. C'est l'expression dont se sert à peu près Aristote dans le passage du Traité de l'Ame qui vient d'être cité.

- Dans le lieu qui reçoit les images. Le texte dit seulement : « Dans le lieu ». J'ai rajouté le reste pour être plus clair ; mais cette fin du paragraphe est difficile à comprendre ; et la pensée, malgré les explications des commentateurs reste obscure. Aristote veut dire que dans le rêve, il y a autre chose encore que de simples images ; qu'il y a des actes de l'intelligence indépendamment des sensations reçues, et qu'on peut s'en convaincre en essayant, après le réveil, de refaire son rêve. Il paraît que quelques éditions ont eu une autre variante : « Quelque autre chose dans le lieu des images ». C'est la variante qu'adopte Leonicus : je l'ai repoussée parce qu'elle n'a pour elle l'autorité d'aucun manuscrit.

§ 5. La représentation, ou l'image.

- N'est pas toujours un rêve, ou peut-être, « n'est pas toute entière un rêve ».

- Et que ce que pense par l'entendement.

- Par l'opinion. On sait la différence qu'Aristote met entre l'opinion et l'entendement ; voir plus haut, §3.

- § 6. La cause qui fait. Aristote ne dit pas ici quelle est cette cause. Il revient encore sur ces hallucinations des malades dans l'état de veille, plus loin, ch. II, § 12.

- On a beau savoir. Je préfère comprendre le mot grec dans le sens de « savoir » plutôt que dans le sens de « voir ». Voir le Traité de l'Ame, III, III, 10.

- Deux facultés identiques. Voir au Traité de l'Ame, la théorie de l'imagination, III, III, §1.

- Quelque chose de vrai. Ce serait peut-être plutôt « quelque chose de réel ». J'ai conservé l'expression grecque.

- Mais on suppose. Opinion que combat Aristote : peut-être eût-il pu l'indiquer plus nettement.

- On ne voit rien ... on ne sent rien. Voir plus haut la théorie du sommeil, dans le Traité du Sommeil, ch.I, §4 et suiv.

- Mais il se peut. Ceci est une suite de réponse à la question qui précède.

- Alors. J'ai rajouté ce mot.

- Ainsi, tantôt l'opinion. Ceci ne semble pas une conséquence très rigoureuse de ce qui précède.

§ 7. N'appartient. Sous-entendu : « exclusivement » ; car elle leur appartient en partie, d'après tout ce qui précède.

- Absolument. Peut-être ce mot s'applique-t-il aussi, dans la pensée d'Aristote, à ce qui précède, aussi bien qu'à cette phrase même. Il paraît indispensable dans les deux cas.

§ 8. C'est là une affection de la sensibilité. Une affection d'un certain genre.

§ 9. Dans le Traité de l'Ame, III, III.

- Est la même chose que la sensibilité. Ce n'est pas tout à fait ce qui a été dit dans le Traité de l'Ame. L'imagination n'y est pas complètement confondue avec la sensibilité, §4. L'imagination ne peut exister sans la sensibilité ; mais elle en est profondément distinguée au §7.

- Le mouvement produit... Ce sont, en effet, les expressions du Traité de l'Ame, III, III, 13.

- D'une manière absolue. Comme image que nous reconnaissons bien pour un rêve.

- Soit d'une manière quelconque, c'est à dire de vrai et de faux, de sommeil et de veille.

§ 10. Il est donc évident. Il semble en effet que cette conséquence s'est fait longtemps attendre, et qu'elle aurait pu être donnée un peu plus tôt. Voir une observation pareille au chapitre suivant, §4.

CHAPITRE II.

Pour bien comprendre les rêves, il faut étudier les circonstances qui accompagnent le sommeil. L'impression sensible demeure dans les organes après que l'objet sensible a disparu : loi générale de la transmission du mouvement, soit de translation, soit d'altération. Effets consécutifs de certaines sensations trop prolongées. Dans l'acte de la vision, si la vue est passive, elle est certainement active aussi : singulier effet que produisent les miroirs, les yeux des femmes qui sont dans leurs mois : les vins et les huiles sont affectés à distance par les odeurs. – Hallucinations et erreurs des sens dans diverses circonstances ; effets des passions violentes ; la boulette de pain sous les doigts.

§1. . Τί δ΄ ἐστὶ τὸ ἐνύπνιον͵ καὶ πῶς γίνεται͵ ἐκ τῶν περὶ τὸν ὕπνον συμβαινόντων μάλιστ΄ ἂν θεωρήσαιμεν. § 2. Τὰ γὰρ αἰσθητὰ καθ΄ ἕκαστον αἰσθητήριον ἡμῖν ἐμποιοῦσιν αἴσθησιν͵ καὶ τὸ γινόμενον ὑπ΄ αὐτῶν πάθος οὐ μόνον ἐνυπάρχει ἐν τοῖς αἰσθητηρίοις ἐνεργουσῶν τῶν αἰσθήσεων͵ ἀλλὰ καὶ ἀπελθουσῶν. § 3. Παραπλήσιον γὰρ τὸ πάθος ἐπί τε τούτων καὶ ἐπὶ τῶν φερομένων ἔοικεν εἶναι. Καὶ γὰρ ἐπὶ τῶν φερομένων τοῦ κινήσαντος οὐκέτι θιγγάνοντος κινεῖται· τὸ γὰρ κινῆσαν ἐκίνησεν ἀέρα τινά͵ καὶ πάλιν οὗτος κινούμενος ἕτερον· καὶ τοῦ τον δὴ τὸν τρόπον͵ ἕως ἂν στῇ͵ ποιεῖται τὴν κίνησιν καὶ ἐν [459b] ἀέρι καὶ ἐν τοῖς ὑγροῖς. Ὁμοίως δὲ ὑπολαβεῖν τοῦτο δεῖ καὶ ἐπ΄ ἀλλοιώσεως· τὸ γὰρ θερμανθὲν ὑπὸ τοῦ θερμοῦ τὸ πλησίον θερμαίνει͵ καὶ τοῦτο διαδίδωσιν ἕως τῆς ἀρχῆς. Ὥστε καὶ ἐν τῷ αἰσθάνεσθαι͵ ἐπειδή ἐστιν ἀλλοίωσίς τις ἡ κατ΄ ἐνέργειαν αἴσθησις͵ ἀνάγκη τοῦτο συμβαίνειν. Διὸ τὸ πάθος ἐστὶν οὐ μόνον ἐν αἰσθανομένοις τοῖς αἰσθητηρίοις͵ ἀλλὰ καὶ ἐν πεπαυμένοις͵ καὶ ἐν βάθει καὶ ἐπιπολῆς.

§ 4. Φανερὸν δὲ ὅταν συνεχῶς αἰσθανώμεθά τι· μεταφερόντων γὰρ τὴν αἴσθησιν ἀκολουθεῖ τὸ πάθος͵ οἷον ἐκ τοῦ ἡλίου εἰς τὸ σκότος· συμβαίνει γὰρ μηδὲν ὁρᾶν διὰ τὴν ἔτι ὑποῦσαν κίνησιν ἐν τοῖς ὄμμασιν ὑπὸ τοῦ φωτός. Κἂν πρὸς ἓν χρῶμα πολὺν χρόνον βλέψωμεν ἢ λευκὸν ἢ χλωρόν͵ τοιοῦτον φαίνεται ἐφ΄ ὅπερ ἂν τὴν ὄψιν μεταβάλωμεν. Κἂν πρὸς τὸν ἥλιον βλέψαντες ἢ ἄλλο τι λαμπρὸν μύσωμεν͵ παρατηρήσασι φαίνεται κατ΄ εὐθυωρίαν͵ ᾗ συμβαίνει τὴν ὄψιν ὁρᾶν͵ πρῶτον μὲν τοιοῦτον τὴν χρόαν͵ εἶτα μεταβάλλει εἰς φοινικοῦν κἄπειτα πορφυροῦν͵ ἕως ἂν εἰς τὴν μέλαιναν ἔλθῃ χρόαν καὶ ἀφανισθῇ. § 5. Καὶ ἀπὸ τῶν κινουμένων δὲ μεταβάλλου σιν͵ οἷον ἀπὸ τῶν ποταμῶν͵ μάλιστα δὲ ἀπὸ τῶν τάχιστα ῥεόντων͵ φαίνεται [γὰρ] τὰ ἠρεμοῦντα κινούμενα. Γίνονται δὲ καὶ ἀπὸ τῶν μεγάλων ψόφων δύσκωφοι καὶ ἀπὸ τῶν ἰσχυρῶν ὀσμῶν δύσοσμοι͵ καὶ ἐπὶ τῶν ὁμοίων ὁμοίως. § 6. Ταῦτά γε δὴ φανερῶς συμβαίνει τοῦτον τὸν τρόπον. § 7. Ὅτι δὲ ταχὺ τὰ αἰσθητήρια καὶ μικρᾶς διαφορᾶς αἰσθάνεται͵ σημεῖον τὸ ἐπὶ τῶν ἐνόπτρων γινόμενον· περὶ οὗ καὶ αὐτοῦ ἐπιστήσας σκέψαιτό τις ἂν καὶ ἀπορήσειεν. Ἅμα δ΄ ἐξ αὐτοῦ δῆλον ὅτι ὥσπερ καὶ ἡ ὄψις πάσχει͵ οὕτω καὶ ποιεῖ τι. Ἐν γὰρ τοῖς ἐνόπτροις τοῖς σφόδρα καθαροῖς͵ ὅταν τῶν καταμηνίων ταῖς γυναιξὶ γινομένων ἐμβλέψωσιν εἰς τὸ κάτοπτρον͵ γίνεται τὸ ἐπιπολῆς τοῦ ἐνόπτρου οἷον νεφέλη αἱματώδης· κἂν μὲν καινὸν ᾖ τὸ κάτοπτρον͵ οὐ ῥᾴδιον ἐκμάξαι τὴν τοιαύτην κηλίδα͵ ἐὰν δὲ παλαιόν͵ ῥᾷον.  § 8. Αἴτιον δέ͵ ὥσπερ [460a] εἴπομεν͵ ὅτι οὐ μόνον πάσχει ἡ ὄψις ὑπὸ τοῦ ἀέρος͵ ἀλλὰ καὶ ποιεῖ τι καὶ κινεῖ͵ ὥσπερ καὶ τὰ λαμπρά· καὶ γὰρ ἡ ὄψις τῶν λαμπρῶν καὶ ἐχόντων χρῶμα. Τὰ μὲν οὖν ὄμματα εὐλόγως͵ ὅταν ᾖ τὰ καταμήνια͵ διακεῖται ὥσπερ καὶ ἕτερον μέρος ὁτιοῦν· καὶ γὰρ φύσει τυγχάνουσι φλεβώδεις ὄντες. Διὸ γινομένων τῶν καταμηνίων διὰ ταραχὴν καὶ φλεγμασίαν αἱματικὴν ἡμῖν μὲν ἡ ἐν τοῖς ὄμμασι διαφορὰ ἄδηλος͵ ἔνεστι δέ (ἡ γὰρ αὐτὴ φύσις σπέρματος καὶ καταμηνίων)͵ ὁ δ΄ ἀὴρ κινεῖται ὑπ΄ αὐτῶν͵ καὶ τὸν ἐπὶ τῶν κατόπτρων ἀέρα συνεχῆ ὄντα ποιόν τινα ποιεῖ καὶ τοιοῦτον οἷον αὐτὸς πάσχει· ὁ δὲ τοῦ κατόπτρου τὴν ἐπιφάνειαν.  § 9. Ὥσπερ δὲ τῶν ἱματίων͵ τὰ μάλιστα καθαρὰ τάχιστα κηλιδοῦται· τὸ γὰρ καθαρὸν ἀκριβῶς δηλοῖ ὅ τι ἂν δέξηται͵ καὶ τὸ μάλιστα τὰς ἐλαχίστας κινήσεις. Ὁ δὲ χαλκὸς διὰ μὲν τὸ λεῖος εἶναι ὁποιασοῦν ἁφῆς αἰσθάνεται μάλιστα (δεῖ δὲ νοῆσαι οἷον τρίψιν οὖσαν τὴν τοῦ ἀέρος ἁφὴν καὶ ὥσπερ ἔκμαξιν καὶ ἀνάπλυσιν)͵ διὰ δὲ τὸ καθαρὸν ἔνδηλος γίνεται ὁπηλικηοῦν οὖσα. Τοῦ δὲ μὴ ἀπιέναι ταχέως ἐκ τῶν καινῶν κατόπτρων αἴτιον τὸ καθαρὸν εἶναι καὶ λεῖον· διαδεύται γὰρ διὰ τῶν τοιούτων καὶ εἰς βάθος καὶ πάντῃ͵ διὰ μὲν τὸ καθαρὸν εἰς βάθος͵ διὰ δὲ τὸ λεῖον πάντῃ. Ἐν δὲ τοῖς παλαιοῖς οὐκ ἐμμένει͵ ὅτι οὐχ ὁμοίως εἰσδύεται ἡ κηλὶς ἀλλ΄ ἐπιπολαιότερον.

§ 10. Ὅτι μὲν οὖν καὶ ὑπὸ τῶν μικρῶν διαφορῶν γίνεται κίνησις͵ καὶ ὅτι ταχεῖα ἡ αἴσθησις͵ καὶ ὅτι οὐ μόνον πάσχει͵ ἀλλὰ καὶ ἀντιποιεῖ τὸ τῶν χρωμάτων αἰσθητήριον͵ φανερὸν ἐκ τούτων. Μαρτυρεῖ δὲ τοῖς εἰρημένοις καὶ τὰ περὶ τοὺς οἴνους καὶ τὴν μυρεψίαν συμβαίνοντα. Τό τε γὰρ παρασκευασθὲν ἔλαιον ταχέως λαμβάνει τὰς τῶν πλησίον ὀσμάς͵ καὶ οἱ οἶνοι τὸ αὐτὸ τοῦτο πάσχουσιν· οὐ γὰρ μόνον τῶν ἐμβαλλομένων ἢ ὑποκιρναμένων ἀλλὰ καὶ τῶν πλησίον τοῖς ἀγγείοις τιθεμένων ἢ πεφυκότων ἀναλαμβάνουσι τὰς ὀσμάς.

§ 11. Πρὸς δὲ τὴν ἐξ ἀρχῆς [460b] σκέψιν ὑποκείσθω ἓν μέν͵ ὅπερ ἐκ τῶν εἰρημένων φανερόν͵ ὅτι καὶ ἀπελθόντος τοῦ θύραθεν αἰσθητοῦ ἐμμένει τὰ αἰσθήματα αἰσθητὰ ὄντα͵  § 12. πρὸς δὲ τούτοις ὅτι ῥᾳδίως ἀπατώμεθα περὶ τὰς αἰσθήσεις ἐν τοῖς πάθεσιν ὄντες͵ ἄλλοι δὲ ἐν ἄλλοις͵ οἷον ὁ δειλὸς ἐν φόβῳ͵ ὁ δ΄ ἐρωτικὸς ἐν ἔρωτι͵ ὥστε δοκεῖν ἀπὸ μικρᾶς ὁμοιότητος τὸν μὲν τοὺς πολεμίους ὁρᾶν͵ τὸν δὲ τὸν ἐρώμενον· καὶ ταῦτα ὅσῳ ἂν ἐμπαθέστερος ᾖ͵ τοσούτῳ ἀπ΄ ἐλάσσονος ὁμοιότητος φαίνεται. Τὸν αὐτὸν δὲ τρόπον καὶ ἐν ὀργαῖς καὶ ἐν πάσαις ἐπιθυμίαις εὐαπάτητοι γίνονται πάντες͵ καὶ μᾶλλον ὅσῳ ἂν μᾶλλον ἐν τοῖς πάθεσιν ὦσιν. Διὸ καὶ τοῖς πυρέττουσιν ἐνίοτε φαίνεται ζῷα ἐν τοῖς τοίχοις ἀπὸ μικρᾶς ὁμοιότητος τῶν γραμμῶν συντιθεμένων. Καὶ ταῦτ΄ ἐνίοτε συνεπιτείνει τοῖς πάθεσιν οὕτως͵ ὥστε͵ ἂν μὲν μὴ σφόδρα κάμνωσι͵ μὴ λανθάνειν ὅτι ψεῦδος͵ ἐὰν δὲ μεῖζον ᾖ τὸ πάθος͵ καὶ κινεῖσθαι πρὸς αὐτά.  § 13 Αἴτιον δὲ τοῦ συμβαίνειν ταῦτα τὸ μὴ κατὰ τὴν αὐτὴν δύναμιν κρίνειν τό τε κύριον καὶ ᾧ τὰ φαντάσματα γίνεται. Τούτου δὲ σημεῖον ὅτι φαίνεται μὲν ὁ ἥλιος ποδιαῖος͵ ἀντίφησι δὲ πολλάκις ἕτερόν τι πρὸς τὴν φαντασίαν. Καὶ τῇ ἐπαλλάξει τῶν δακτύλων τὸ ἓν δύο φαίνεται͵ ἀλλ΄ ὅμως οὔ φαμεν δύο· κυριωτέρα γὰρ τῆς ἁφῆς ἡ ὅψις. Εἰ δ΄ ἦν ἡ ἁφὴ μόνη͵ κἂν ἐκρίνομεν τὸ ἓν δύο. Τοῦ δὲ διεψεῦσθαι αἴτιον ὅτι οὐ μόνον τοῦ αἰσθητοῦ κινοῦντος φαίνεται ἁδήποτε͵ ἀλλὰ καὶ τῆς αἰσθήσεως κινουμένης αὐτῆς͵ ἐὰν ὡσαύτως κινῆται ὥσπερ καὶ ὑπὸ τοῦ αἰσθητοῦ· λέγω δ΄ οἷον ἡ γῆ δοκεῖ τοῖς πλέουσι κινεῖσθαι κινουμένης τῆς ὄψεως ὑπ΄ ἄλλου.


 

§ §1. Ce qui nous fera le mieux comprendre ce que c'est que le rêve, et comment il a lieu, ce sont les circonstances qui accompagnent le sommeil. §2. Les choses sensibles produisent en nous la sensation selon chacun de nos organes ; et l'impression qu'elles causent n'existe pas seulement dans les organes, quand les sensations sont actuelles ; cette impression y demeure, même quand la sensation a disparu. §3. Le phénomène qu'on éprouve alors paraît être à peu près le même que celui qui se passe dans le mouvement des projectiles. Ainsi, les corps qui ont été lancés continuent à se mouvoir, même après que le moteur a cessé de les toucher, parce que ce moteur a d'abord agi sur une certaine portion de l'air, et qu'ensuite cet air a communiqué à une autre partie le mouvement qu'il avait lui-même reçu ; et c'est ainsi que jusqu'à ce que le projectile s'arrête, il produit son mouvement, [459b] soit dans l'air soit dans les liquides. Il faut supposer encore la même loi dans les mouvements de simple altération. Ainsi, ce qui est échauffé par une chaleur quelconque échauffe la partie voisine ; et la chaleur se transmet jusqu'au bout. Il y a donc nécessité que ceci se passe également dans l'organe siège de la sensibilité, puisque la sensation en acte n'est qu'une sorte d'altération. C'est là ce qui fait que l'impression n'est pas seulement dans les organes au moment où ils sentent, mais qu'elle y reste encore quand ils ont cessé de sentir, et qu'elle est au fond tout comme elle est à la surface.

§4. Ceci est bien frappant quand nous avons senti quelque objet d'une manière prolongée. Alors, on a beau faire cesser la sensation, l'impression persiste ; et ainsi, par exemple, quand on passe du soleil à l'ombre, durant quelques instants on ne peut voir rien, parce que tout le mouvement, sourdement causé dans les yeux par la lumière, y continue encore. De même, si nous arrêtons trop longtemps notre vue sur une seule couleur, soit blanche, soit jaune, nous la revoyons ensuite sur tous les objets où, pour changer, nous reportons nos regards ; et si nous avons dû cligner les yeux en regardant le soleil ou telle autre chose trop brillante, il nous paraît aussitôt, que quel que soit l'objet que nous regardions après, que nous le voyons d'abord de cette même couleur, puis ensuite qu'il devient rouge, puis violet, jusqu'à ce qu'il arrive à la couleur noire et disparaisse à nos yeux. §5. Même le mouvement seul des objets suffit pour causer en nous ces changements. Ainsi, il suffit de regarder quelque temps les eaux des fleuves, et surtout de ceux qui coulent très rapidement, pour que les autres choses qui sont en repos paraissent se mouvoir. C'est encore ainsi qu'on devient sourd par suite de bruits trop violents, et que l'odorat s'émousse par l'action de trop fortes odeurs ; et de même pour tout le reste. §6. Tous ces phénomènes ont lieu de cette façon, évidemment. §7. Une preuve de la rapidité avec laquelle les organes perçoivent même une très petite différence, c'est ce qui se passe dans les miroirs, sujet sur lequel on peut s'arrêter soi-même, si l'on désire l'étudier et lever les doutes qu'il peut faire naître. Ce fait des miroirs prouvera également bien que, si la vue souffre quelque chose, elle agit aussi. Quand les miroirs sont parfaitement nets, il est certain que si des femmes qui sont dans leurs mois s'y regardent, il s'étend sur la surface du miroir comme un nuage de vapeur sanguine. Si le miroir est neuf, il n'est pas facile de faire disparaître cette tache ; au contraire, il est facile de l'enlever si le miroir est vieux. §8. La cause de ce fait, [460a] c'est comme nous l'avons déjà dit, que non seulement la vue éprouve quelque chose de l'air, mais aussi qu'elle agit elle-même sur lui et y cause un mouvement, tout comme en causent les objets brillants. La vue, en effet, peut être classée parmi les choses qui brillent et qui ont une couleur. Il est donc tout simple que les yeux des femmes qui sont dans leurs mois, soient dans une même disposition que toute autre partie de leur corps, puisque les yeux sont aussi remplis de veines. A l'époque des règles, le changement qui survient dans les yeux, par suite du trouble général de l'organisation, et de l'inflammation sanguine, peut très bien échapper à notre observation, mais il n'en existe pas moins. Or, la nature du sperme et celle des règles sont les mêmes. Ces deux liquides agissent sur l'air qui les touche ; et cet air communique à celui qui est sur les miroirs et qui ne fait qu'un avec lui, la même modification qu'il ressent lui-même ; puis enfin, cet air agit sur la surface du miroir. §9. C'est absolument comme pour les étoffes ; les plus blanches et les plus propres sont celles qui se tachent le plus vite, parce que ce qui est propre montre vivement tout ce qui l'atteint, et surtout les mouvements les plus faibles. L'airain, par cela même qu'il est parfaitement uni, sent les contacts les plus légers. Or, il faut regarder ce contact de l'air comme une pression, comme un essuiement, et le frôlement d'un liquide ; et quelque léger que soit cet attouchement, il se marque parce que le miroir est très-pur. Si la tache ne s'en va pas aisément des miroirs neufs, c'est précisément qu'ils sont purs et unis ; car elle entre dans ces miroirs en profondeur et en tous sens : en profondeur parce qu'ils sont purs ; et elle se répand dans tous les sens, parce qu'ils sont unis. La marque ne reste pas sur les vieux miroirs, parce que la tache n'y entre pas autant, et qu'elle demeure davantage à la surface.

§10. Ceci prouve donc que le mouvement peut être produit par de minimes différences, que la sensation est très rapide, et que non seulement l'organe des couleurs souffre quelque modification, mais qu'il réagit lui-même. On peut citer, à l'appui de cette opinion, les phénomènes qui se passent dans la fabrication des vins et dans celle des parfums. L'huile qu'on a toute préparée prend très vite l'odeur des parfums qu'on a mis près d'elle ; et les vins éprouvent la même influence. Ils contractent les odeurs non seulement des corps que l'on place près des vases qui les renferment, ou celles des fleurs qui poussent dans le voisinage.

§11. Pour en revenir à la question que nous nous étions proposée au début, il faut admettre ce principe, qui ressort évidemment de tout ce que nous avons dit, à savoir : que même si l'objet sensible a disparu au dehors, les impressions senties n'en demeurent pas moins dans les organes, et y demeurent sensibles. §12. Ajoutons que nous nous trompons très facilement sur nos sensations au moment même où nous les éprouvons, ceux-ci dominés par telle affection, ceux-là par telle autre tache : le lâche, par sa frayeur ; l'amoureux, par son amour ; l'un croyant voir partout ses ennemis ; et l'autre, celui qu'il aime. Et plus la passion nous domine, plus la ressemblance apparente, qui suffit pour nous faire illusion, peut être légère. On observe aussi que tous les hommes se trompent très aisément quand ils sont sous le coup d'une colère violente ou d'une passion quelconque ; l'erreur leur est alors d'autant plus facile qu'ils sont plus passionnés. De là vient aussi que dans les accès de la fièvre, il suffit de la moindre ressemblance formée par des lignes qui se rencontrent au hasard, pour faire croire au malade qu'il y a des animaux sur la muraille de sa chambre ; et quelques fois ces hallucinations suivent en intensité les progrès du mal. Si l'on est pas très malade, on reconnaît bien vite que c'est une illusion ; mais si la souffrance devient plus forte, le malade va jusqu'à faire des mouvements vers les objets qu'il croit voir. §13. La cause de tous ces phénomènes tient à ce que ce n'est pas la même faculté de l'esprit, qui est chargée de juger les choses, et qui reçoit en elle les images. Une preuve de ceci, c'est que le soleil paraît n'avoir qu'un pied de largeur. Un autre fait que l'on cite souvent pour démontrer les erreurs de l'imagination, c'est qu'une simple superposition des doigts suffit pour nous faire croire qu'une seule chose devient deux, sans que cependant nous allions jusqu'à dire qu'il y ait réellement deux choses ; car ici le témoignage de la vue l'emporte sur celui du toucher. Mais si le toucher était tout seul, nous jugerions que cette chose qui est une en est deux. Ce qui cause notre erreur, c'est que non seulement ces apparences se produisent par nous, quand la chose sensible vient à se mouvoir d'une façon quelconque, mais encore quand le sens est en lui-même mis en mouvement, et qu'il reçoit un mouvement analogue à celui qu'il aurait reçu de la chose sensible. Je veux dire, par exemple, que quand on est dans un vaisseau en marche, le rivage semble être en mouvement, bien que la vue soit certainement mise en mouvement par une autre chose que le rivage.

§1. Les circonstances qui accompagnent le sommeil. Aristote ne traitera pas ce sujet spécial dans ce qui va suivre. Il semblerait, au contraire, traiter plutôt des circonstances de l'état de veille, et des conséquences qu'entraîne l'exercice de la sensibilité. Je ne vois pas que les commentateurs aient fait cette remarque, qui est pourtant fort exacte. Les manuscrits, d'ailleurs, n'offrent pas de variante. Aristote ne reviendra au sommeil qu'au chapitre suivant.

§2. Les sensations sont actuelles, c'est à dire, tout le temps qu'elles durent et qu'elles agissent réellement sur nous.

§3. A cessé de les toucher, au moment même où ils ont été lancés, soit dans l'air, soit dans un liquide.

- De simple altération. Voir dans les Catégories, ch. XIV, §§ 3 et 4, ce qui concerne le mouvement d'altération, ou la modification. Ce mouvement, en opposition à ceux qui précèdent, se fait sans aucun déplacement dans l'espace.

- Échauffé par une chaleur quelconque. La répétition est dans le texte.

- Dans l'organe siège de la sensibilité. Le texte n'est pas tout à fait aussi précis.

- N'est qu'une sorte d'altération, qui complète l'animal loin de le diminuer ou de le faire souffrir ; voir le Traité de l'Ame, II, V, 5.

§4. Ceci est bien frappant. Observation frappante, en effet, et parfaitement juste.

- Faire cesser la sensation. Le texte dit, par une métaphore, « transporter la sensation », la déplacer.

- Sourdement causé. J'ai ajouté le mot « sourdement » pour rendre toute la force de l'expression grecque.

- Soit blanche, soit jaune. Je crois que ceci peut s'entendre à toutes les couleurs, surtout au rouge, et en général à toutes les nuances éclatantes.

– Leonicus a remarqué que tout ce paragraphe est un peu prolixe : « Consuetae sibi brevitatis oblitus esse plane videtur ». La remarque est vraie ; mais on pourrait presque l'étendre à tout le traité, qui est fort clair, d'ailleurs, précisément parce qu'il n'a pas la concision habituelle d'Aristote. Voir aussi au chapitre précédent, §10.

§5. Les autres choses. J'ai ajouté « autres » pour que la pensée fût plus complète et plus claire.

- Et de même pour tout le reste. Cette observation a été plusieurs fois répétée dans le Traité de l'Ame, II, XII, 3 ; III, IV, 5 ; III, XIII, 2.

§7. Une preuve de la rapidité. Voici une digression qui justifie la remarque faite plus haut par Leonicus.

- Quand les miroirs sont parfaitement nets. Je ne sais si la physiologie moderne peut confirmer ou nier cette observation d'Aristote ; mais si l'on voulait faire cette expérience, il faudrait se rappeler que les miroirs des anciens étaient de métal et non de glace, comme les nôtres.

§8. Elle agit de même. Peut-être cette conséquence n'est-elle pas très juste, même en admettant les faits que rapporte ici Aristote. La vue n'agit pas dans ce cas en tant que vue : c'est une émanation qui sont des yeux et se répand sur le miroir, tout comme elle pourrait sortir et sort peut-être de toute autre partie du corps ; et c'est ce qu'Aristote semble lui-même indiquer un peu plus bas.

- Or, la nature du sperme. La remarque est physiologiquement très vraie ; mais elle ne semble pas ici bien placée.

§9. C'est absolument comme pour les étoffes. On peut trouver encore que ceci est une digression assez peu utile. Voir plus bas, §11.

- Les plus blanches et les plus propres. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

- Les mouvements les plus faibles. Il faut comprendre ici le mot de « mouvements » dans le sens de « changements, modifications » plutôt que dans le sens de déplacement.

- Un essuiement et le frôlement d'un liquide. Les mots dont se sert ici Aristote n'ont pas d'équivalents exacts dans notre langue. Il aurait fallu, pour les rendre, une longue paraphrase qui aurait changé toute la forme des expressions.

- Les vieux miroirs. Voir plus haut, §7, à la fin.

§10. Ceci prouve donc. Voir plus haut, §7, au début ; il ne semble pas, d'ailleurs, qu'Aristote ait bien directement prouvé la question qu'il s'était posée.

- Qu'il réagit lui-même, mais non pas en tant qu'organe des couleurs.

§11. Pour revenir à la question. Cette expression semblerait indiquer qu'Aristote lui-même a senti qu'il s'était laissé aller à une bien longue digression.

- Qui ressort de tout ce que nous avons dit. Je ne sais si cette conséquence est bien réellement démontrée de tout ce qui précède, et si le raisonnement est très conséquent.

§12. Se trompent très aisément, ou « sont très aisés à tromper ».

- Dans les accès de fièvre. Rapprochement très ingénieux et fondé sur des observations très exactes.

§13. De juger les choses. C'est l'entendement, l'intelligence.

- Et qui reçoit en elle les images. La sensibilité ou l'imagination.

- Le soleil paraît. Voir plus haut, ch. I, §6, la même idée a déjà été exprimée.

- Superposition des doigts. C'est l'expérience qu'on fait faire si souvent aux enfants, pour sentir une boulette de pain entre l'index et le second doigt placé au-dessus.

- Le témoignage de la vue. Leonicus rappelle à ce sujet un beau vers de Plaute, où un seul témoin oculaire est mis au-dessus de dix témoins auriculaires. La proportion que le poète établit n'est peut-être pas très exacte ; mais il est certain qu'en général nous nous en rapportons plus à la vue qu'à tout autre sens.

- Est lui-même, soit par un mouvement interne qui a modifié l'organe indépendamment de l'objet extérieur, soit par un déplacement total de l'être qui sent.

- Je veux dire, par exemple. Plus haut, §5, Aristote a cité aussi l'effet consécutif que produit la vue longtemps prolongée des eaux courantes d'une fleuve.

- Que par le rivage. Qui ne bouge pas et ne peut causer réellement notre sensation.

CHAPITRE III.

Un certain repos est nécessaire dans le corps pour que le rêve se produise : l'agitation, qui est continuelle pendant la veille, empêche que le centre sensible ne sente le mouvement qui suit les impressions. – Diverses natures des rêves, suivant les organisations et les dispositons. – Rapport des rêves aux hallucinations qu'on a durant la veille. – Les rêves ne sont que des débris des sensations éprouvées, et la conséquence des mouvements donnés aux organes par les impressions sensibles ; moyen de s'en assurer : perceptions réelles durant le sommeil. – Influence de l'âge sur les rêves.

§ 1. Ἐκ δὴ τούτων φανερὸν ὅτι οὐ μόνον ἐγρηγορότων αἱ κινήσεις αἱ ἀπὸ τῶν αἰσθημάτων γινόμεναι τῶν τε θύραθεν καὶ τῶν ἐκ τοῦ σώματος ἐνυπάρχουσιν͵ ἀλλὰ καὶ ὅταν γένηται τὸ πάθος τοῦτο ὃ καλεῖται ὕπνος͵ καὶ μᾶλλον τότε φαίνονται.  § 2. Μεθ΄ ἡμέραν μὲν γὰρ ἐκκρούονται ἐνεργουσῶν τῶν [461a] αἰσθήσεων καὶ τῆς διανοίας͵ καὶ ἀφανίζονται ὥσπερ παρὰ πολὺ πῦρ ἔλαττον καὶ λῦπαι καὶ ἡδοναὶ μικραὶ παρὰ μεγάλας͵ παυσαμένων δὲ ἐπιπολάζει καὶ τὰ μικρά· νύκτωρ δὲ δι΄ ἀργίαν τῶν κατὰ μόριον αἰσθήσεων καὶ ἀδυναμίαν τοῦ ἐνεργεῖν͵ διὰ τὸ ἐκ τῶν ἔξω εἰς τὸ ἐντὸς γίνεσθαι τὴν τοῦ θερμοῦ παλίρροιαν͵ ἐπὶ τὴν ἀρχὴν τῆς αἰσθήσεως καταφέρονται καὶ γίνονται φανεραὶ καθισταμένης τῆς ταραχῆς. § 3. Δεῖ δὲ ὑπολαβεῖν ὥσπερ τὰς μικρὰς δίνας τὰς ἐν τοῖς ποταμοῖς γινομένας͵ οὕτω τὴν κίνησιν ἑκάστην γίνεσθαι συνεχῶς͵ πολλάκις μὲν ὁμοίως͵ πολλάκις δὲ διαλυομένας εἰς ἄλλα σχήματα διὰ τὴν ἀντίκρουσιν. § 4. Διὸ καὶ μετὰ τὴν τροφὴν καὶ πάμπαν νέοις οὖσιν͵ οἷον τοῖς παιδίοις͵ οὐ γίνεται ἐνύπνια· πολλὴ γὰρ ἡ κίνησις διὰ τὴν ἀπὸ τῆς τροφῆς θερμότητα. Ὥστε καθάπερ ἐν ὑγρῷ͵ ἐὰν σφόδρα κινῇ τις͵ ὁτὲ μὲν οὐθὲν φαίνεται εἴδωλον͵ ὁτὲ δὲ φαίνεται μέν͵ διεστραμμένον δὲ πάμπαν͵ ὥστε φαίνεσθαι ἀλλοῖον ἢ οἷόν ἐστιν͵ ἠρεμήσαντος δὲ καθαρὰ καὶ φανερά͵ οὕτω καὶ ἐν τῷ καθεύδειν τὰ φαντάσματα καὶ αἱ ὑπόλοιποι κινήσεις αἱ συμβαίνουσαι ἀπὸ τῶν αἰσθημάτων ὁτὲ μὲν ὑπὸ μείζονος οὔσης τῆς εἰρημένης κινήσεως ἀφανίζονται πάμπαν͵ ὁτὲ δὲ τεταραγμέναι φαίνονται αἱ ὄψεις καὶ τερατώδεις͵ καὶ οὐκ εἰρόμενα τὰ ἐνύπνια͵ οἷον τοῖς μελαγχολικοῖς καὶ πυρέττουσι καὶ οἰνωμένοις· πάντα γὰρ τὰ τοιαῦτα πάθη πνευματώδη ὄντα πολλὴν ποιεῖ κίνησιν καὶ ταραχήν. § 5. Καθισταμένου δὲ καὶ διακρινομένου τοῦ αἵματος ἐν τοῖς ἐναίμοις͵ σῳζομένη τῶν αἰσθημάτων ἡ κίνησις ἀφ΄ ἑκάστου τῶν αἰσθητηρίων εἰρόμενά τε ποιεῖ τὰ ἐνύπνια͵ καὶ φαίνεσθαί τι καὶ δοκεῖν διὰ μὲν τὰ ἀπὸ τῆς ὄψεως καταφερόμενα ὁρᾶν͵ διὰ δὲ τὰ ἀπὸ τῆς ἀκοῆς ἀκούειν͵ ὁμοιοτρόπως δὲ καὶ ἀπὸ τῶν ἄλλων αἰσθητηρίων·  § 6. τῷ μὲν γὰρ ἐκεῖθεν ἀφικνεῖσθαι τὴν κίνησιν πρὸς τὴν ἀρχὴν καὶ ἐγρηγορὼς [461b] δοκεῖ ὁρᾶν καὶ ἀκούειν καὶ αἰσθάνεσθαι͵ καὶ διὰ τὸ τὴν ὄψιν ἐνίοτε κινεῖσθαι δοκεῖν͵ οὐ κινουμένην͵ ὁρᾶν φαμεν͵ καὶ τῷ τὴν ἁφὴν δύο κινήσεις εἰσαγγέλλειν τὸ ἓν δύο δοκεῖ. Ὅλως γὰρ τὸ ἀφ΄ ἑκάστης αἰσθήσεώς φησιν ἡ ἀρχή͵ ἐὰν μὴ ἑτέρα κυριωτέρα ἀντιφῇ. Φαίνεται μὲν οὖν πάντως͵ δοκεῖ δὲ οὐ πάντως τὸ φαινόμενον͵ ἀλλ΄ ἂν τὸ ἐπικρῖνον κατέχηται ἢ μὴ κινῆται τὴν οἰκείαν κίνησιν. § 7. Ὥσπερ δ΄ εἴπομεν ὅτι ἄλλοι δι΄ ἄλλο πάθος εὐαπάτητοι͵ οὕτως ὁ καθεύδων διὰ τὸν ὕπνον καὶ τὸ κινεῖσθαι τὰ αἰσθητήρια καὶ τἆλλα τὰ συμβαίνοντα περὶ τὴν αἴσθησιν͵ ὥστε τὸ μικρὰν ἔχον ὁμοιότητα φαίνεται ἐκεῖνο. § 8. Ὅταν γὰρ καθεύδῃ͵ κατιόντος τοῦ πλείστου αἵματος ἐπὶ τὴν ἀρχὴν συγκατέρχονται αἱ ἐνοῦσαι κινήσεις͵ αἱ μὲν δυνάμει αἱ δὲ ἐνεργείᾳ. Οὕτω δ΄ ἔχουσιν ὥστε ἐν τῇ κινήσει τῃδὶ ἥδε ἐπιπολάσει ἐξ αὐτοῦ ἡ κίνησις͵ ἂν δ΄ αὕτη φθαρῇ͵ ἥδε. Καὶ πρὸς ἀλλήλας δὴ ἔχουσιν ὥσπερ οἱ πεπλασμένοι βάτραχοι οἱ ἀνιόντες ἐν τῷ ὕδατι τηκομένου τοῦ ἁλός οὕτως ἔνεισι δυνάμει͵ ἀνειμένου δὲ τοῦ κωλύοντος ἐνεργοῦσιν͵ καὶ λυόμεναι ἐν ὀλίγῳ τῷ λοιπῷ αἵματι τῷ ἐν τοῖς αἰσθητηρίοις κινοῦνται͵ ἔχουσαι ὁμοιότητα ὥσπερ τὰ ἐν τοῖς νέφεσιν͵ ἃ παρεικάζουσιν ἀνθρώποις καὶ κενταύροις ταχέως μεταβάλλοντα.

§ 9. Τούτων δὲ ἕκαστόν ἐστιν͵ ὥσπερ εἴρηται͵ ὑπόλειμμα τοῦ ἐν τῇ ἐνεργείᾳ αἰσθήματος· καὶ ἀπελθόντος τοῦ ἀληθοῦς ἔνεστι͵ καὶ ἀληθὲς εἰπεῖν ὅτι τοιοῦτον οἷον Κορίσκος͵ ἀλλ΄ οὐ Κορίσκος. Ὅτε δὲ ᾐσθάνετο͵ οὐκ ἔλεγε Κορίσκον τὸ κύριον καὶ τὸ ἐπικρῖνον͵ ἀλλὰ διὰ τοῦτο ἐκεῖνον Κορίσκον τὸν ἀληθινόν. Ὃ δὴ καὶ αἰσθανόμενον λέγει τοῦτο͵ ἐὰν μὴ παντελῶς κατέχηται ὑπὸ τοῦ αἵματος͵ ὥσπερ αἰσθανόμενον τοῦτο κινεῖται ὑπὸ τῶν κινήσεων τῶν ἐν τοῖς αἰσθητηρίοις͵ καὶ δοκεῖ τὸ ὅμοιον αὐτὸ εἶναι τὸ ἀληθές· καὶ τοσαύτη τοῦ ὕπνου ἡ δύναμις ὥστε ποιεῖν τοῦτο λανθάνειν. § 10. Ὥσπερ οὖν εἴ τινα λανθάνοι ὑποβαλλόμενος ὁ δάκτυλος τῷ [462a] ὀφθαλμῷ͵ οὐ μόνον φανεῖται ἀλλὰ καὶ δόξει εἶναι δύο τὸ ἕν͵ ἂν δὲ μὴ λανθάνῃ͵ φανεῖται μὲν οὐ δόξει δέ͵ § 11. οὕτω καὶ ἐν τοῖς ὕπνοις͵ ἐὰν μὲν αἰσθάνηται ὅτι καθεύδει͵ καὶ τοῦ πάθους ἐν ᾧ ἡ αἴσθησις τοῦ ὑπνωτικοῦ͵ φαίνεται μέν͵ λέγει δέ τι ἐν αὐτῷ ὅτι φαίνεται μὲν Κορίσκος͵ οὐκ ἔστι δὲ ὁ Κορίσκος (πολλάκις γὰρ καθεύδοντος λέγει τι ἐν τῇ ψυχῇ ὅτι ἐνύπνιον τὸ φαινόμενον)· ἐὰν δὲ λανθάνῃ ὅτι καθεύδει͵ οὐδὲν ἀντιφήσει τῇ φαντασίᾳ.

§ 12. Ὅτι δὲ ἀληθῆ λέγομεν καὶ εἰσὶ κινήσεις φανταστικαὶ ἐν τοῖς αἰσθητηρίοις͵ δῆλον͵ ἐάν τις προσέχων πειρᾶται μνημονεύειν ἃ πάσχομεν καταφερόμενοί τε καὶ ἐγειρόμενοι· ἐνίοτε γὰρ τὰ φαινόμενα εἴδωλα καθεύδοντι φωράσει ἐγειρόμενος κινήσεις οὔσας ἐν τοῖς αἰσθητηρίοις· καὶ ἐνίοις γε τῶν νεωτέρων καὶ πάμπαν διαβλέπουσιν͵ ἐὰν ᾖ σκότος͵ φαίνεται εἴδωλα πολλὰ κινούμενα͵ ὥστ΄ ἐγκαλύπτεσθαι πολλά κις φοβουμένους.

§ 13. Ἐκ δὴ τούτων ἁπάντων δεῖ συλλογίσασθαι ὅτι ἐστὶ τὸ ἐνύπνιον φάντασμα μέν τι καὶ ἐν ὕπνῳ· τὰ γὰρ ἄρτι λεχθέντα εἴδωλα οὐκ ἔστιν ἐνύπνια͵ οὐδ΄ εἴ τι ἄλλο λελυμένων τῶν αἰσθήσεων φαίνεται· § 14. οὐδὲ τὸ ἐν ὕπνῳ φάντασμα πᾶν. Πρῶτον μὲν γὰρ ἐνίοις συμβαίνει καὶ αἰσθάνεσθαί πῃ καὶ ψόφων καὶ φωτὸς καὶ χυμοῦ καὶ ἁφῆς͵ ἀσθενικῶς μέντοι καὶ οἷον πόρρωθεν· ἤδη γὰρ ἐν τῷ καθεύδειν ὑποβλέποντες͵ ὃ ἠρέμα ἑώρων φῶς τοῦ λύχνου καθεύδοντες͵ ὡς ᾤοντο͵ ἐπεγερθέντες εὐθὺς ἐγνώρισαν τὸ τοῦ λύχνου ὄν͵ καὶ ἀλεκτρυόνων καὶ κυνῶν φωνὴν ἠρέμα ἀκούοντες ἐγερθέντες σαφῶς ἐγνώρισαν. Ἔνιοι δὲ καὶ ἀποκρίνονται ἐρωτώμενοι· § 15. ἐνδέχεται γὰρ τοῦ ἐγρηγορέναι καὶ καθεύδειν ἁπλῶς θατέρου ὑπάρχοντος θάτερόν πῃ ὑπάρχειν. Ὧν οὐθὲν ἐνύπνιον φατέον͵ οὐδ΄ ὅσαι δὴ ἐν τῷ ὕπνῳ γίνονται ἀληθεῖς ἔννοιαι παρὰ τὰ φαντάσματα͵ ἀλλὰ τὸ φάντασμα τὸ ἀπὸ τῆς κινήσεως τῶν αἰσθημάτων͵ ὅταν ἐν τῷ καθεύδειν ᾖ͵ ᾗ καθεύδει͵ τοῦτ΄ ἐστὶν ἐνύπνιον.

§ 16.  Ἤδη δέ τισι συμβέβηκεν [462b] μηδὲν ἐνύπνιον ἑωρακέναι κατὰ τὸν βίον͵ τοῖς δὲ πόρρω που προελθούσης τῆς ἡλικίας ἰδεῖν πρότερον μὴ ἑωρακόσιν. Τὸ δ΄ αἴτιον τοῦ μὴ γίνεσθαι παραπλήσιον φαίνεται τῷ ἐπὶ τῶν παιδίων καὶ μετὰ τὴν τροφήν. Ὅσοις γὰρ συνέστηκεν ἡ φύσις ὥστε πολλὴν ἀναθυμίασιν πρὸς τὸν ἄνω τόπον ἀναφέρεσθαι͵ ἣ πάλιν καταφερομένη ποιεῖ πλῆθος κινήσεως͵ εὐλόγως τούτοις οὐδὲν φαίνεται φάντασμα. Προϊούσης δὲ τῆς ἡλικίας οὐδὲν ἄτοπον φανῆναι ἐνύπνιον· μεταβολῆς γάρ τινος γενομένης ἢ καθ΄ ἡλικίαν ἢ κατὰ πάθος ἀναγκαῖον συμβῆναι τὴν ἐναντίωσιν ταύτην.

 

§1. Bien des choses prouvent donc évidemment que ce n'est pas seulement pendant la veille que se produisent les mouvements causés par les sensations, soit que ces sensations viennent du dehors, soit qu'elles surgissent de l'intérieur du corps qui les éprouve ; mais aussi, que ces mouvements se produisent pendant qu'à lieu l'affection spéciale qu'on nomme le sommeil, et que c'est surtout alors qu'ils se manifestent. §2. Dans le jour, en effet, ils sont écartés, et par [461a] les sensations qui agissent sur nous, et par l'exercice de la pensée ; ils disparaissent comme un petit feu devant un feu immense ; comme des maux et des plaisirs légers disparaissent devant des maux et des plaisirs plus grands. Au contraire, quand nous sommes calmés, les choses les plus délicates surnagent [et se font sentir]. Ainsi, pendant la nuit l'inactivité de chacun des sens particuliers, et l'impuissance d'agir où ils sont, parce qu'il y a reflux de la chaleur du dehors au dedans, ramènent toutes ces impressions qui étaient insensibles durant la veille, au centre même de la sensibilité ; et elles deviennent parfaitement claires, quand le trouble est apaisé. §3. Il faut supposer que, pareil aux petits tourbillons qui se forment dans les fleuves, et que les eaux emportent, chaque mouvement de sensation se répète continuellement ; souvent ces petits tourbillons se reproduisent de la même manière, et souvent ils sont rompus en formes toutes différentes, par les obstacles qu'ils rencontrent et sur lesquels ils se brisent. §4. Voici pourquoi les rêves ne surviennent pas [immédiatement] après le repas, et pourquoi les enfants très jeunes n'en n'ont point ; c'est que le mouvement causé par la chaleur qui vient de la nourriture est très considérable. C'est tout à fait comme dans un liquide qu'on agite vivement ; l'image ne peut pas du tout y paraître ; ou s'il en paraît une, elle y est toute déformée et dispersée, reproduisant l'objet tout autre qu'il n'y est. Au contraire, quand le liquide est en repos, les images sont nettes et parfaitement visibles. De même aussi quand on dort, les images qui se forment alors, et les mouvements qui restent de la veille et proviennent des sensations, sont tantôt tout à fait annulés, quand le mouvement dont on vient de parler est par trop considérable ; tantôt les visions qui apparaissent sont toutes terribles et toutes monstrueuses ; et les rêves sont malsains et incomplets, comme il arrive aux mélancoliques, à ceux qui ont de la fièvre, et à ceux qui ont pris du vin. En effet, toutes ces affections venant des esprits, causent dans l'organisation un grand mouvement et un grand trouble. §5. Dans les animaux qui ont du sang, une fois que le sang s'est apaisé, et que la séparation s'y est faite, le mouvement qui reste encore des impressions reçues durant la veille par chacun des sens, rend les rêves complets et sains. Alors il se montre des apparences distinctes ; et il semble qu'on voit, grâce aux impressions qui ont été déposées par la vue ; qu'on entend, grâce à celles de l'ouïe ; et de même pour les impressions venues des autres organes des sens. §6. C'est en effet parce que le mouvement se communique de ces organes au principe de la sensibilité, que parfois même tout éveillé, [461b] on croit voir, entendre et sentir certaines choses. C'est aussi parce que la vue semble quelque fois être mue, sans l'être réellement, que nous affirmons que nous voyons ; c'est parce que le toucher nous atteste deux mouvements qu'il nous semble qu'une seule chose en est deux. [Dans ces divers cas] le principe sensible nous informe simplement de la perception qui naît de chaque sens, à moins que quelque autre sens supérieur ne vienne donner un témoignage contraire. L'apparence se montre donc bien complète ; mais l'esprit n'admet pas complètement ce qui se montre ainsi à lui, à moins que la faculté qui juge en dernier ressort, ne soit empêchée et n'ait plus de mouvement propre. §7. Or, de même que l'on peut être très aisément trompé, comme nous l'avons dit, tantôt par une passion, tantôt par une autre ; de même quand on dort, on est trompé par le sommeil, par l'ébranlement des organes et par toutes les autres circonstances qui accompagnent la sensation. Il suffit alors de la plus petite ressemblance pour que nous confondions les objets entre eux. §8. Durant le sommeil, en effet, le sang descendant en plus grande masse vers le principe sensible, tous les mouvements qui se trouvent à l'intérieur, les uns en puissance, les autres en acte, s'y rendent avec lui ; et ces mouvements sont disposés de telle sorte que, dans cette concentration, ce sera tel mouvement qui surnagera au-dessus des autres ; et si le premier disparaît, un second prendra sa place. On pourrait d'ailleurs les comparer, dans leurs rapports les uns aux autres, à ces grenouilles factices qui montent à la surface de l'eau, quand le sel qui les enveloppe est fondu. De même les mouvements ne sont d'abord qu'en puissance ; mais ils agissent dès que l'obstacle qui les empêche a cessé ; et perdus dans le peu de sang qui reste alors aux organes, ils prennent la ressemblance des objets qui émeuvent habituellement les sens. Comme ces apparences formées par les nuages qui, dans leurs changements rapides, semblent, tantôt des hommes, et tantôt des centaures.

§9. Tout cela n'est, ainsi qu'on l'a dit, qu'un débris de la sensation en acte ; et quand la véritable sensation a disparu, il en reste dans les organes quelque chose dont il est vrai de dire, par exemple, que cela ressemble à Coriscus, mais non pas que c'est Coriscus. Or, quand le sens qui juge en maître et prononce définitivement, sentait réellement, il ne disait pas que ce fût là Coriscus, bien que ce fût par là qu'il reconnût le Coriscus véritable. Ainsi, certainement pour cette chose dont on disait quand on la sentait, qu'elle était Coriscus, on éprouve [dans le sommeil], à moins que le sang n'y mette un si complet obstacle qu'on soit comme si l'on ne sentait pas, l'impression des mouvements qui sont encore dans les organes ; l'objet semblable paraît être l'objet réel lui-même ; et telle est la puissance du sommeil, qu'elle est assez grande pour nous dissimuler ce qui se passe alors. §10. Par exemple, quelqu'un qui ne s'apercevrait pas avoir mis le doigt sous son [462a] oeil qu'il presse, non seulement verrait la chose double toute simple qu'elle est, mais de plus il croirait qu'elle est double réellement ; si au contraire il n'ignore pas la position de son doigt, la chose lui paraîtra double, mais il ne pensera pas qu'elle le soit. §11. Il en est de même dans le sommeil : si l'on sent que l'on dort, si l'on a conscience de la perception qui révèle la sensation du sommeil, l'apparence se montre bien ; mais il y a en nous quelque chose qui dit qu'elle paraît Coriscus, mais que ce n'est pas là Coriscus ; car souvent quand on dort, il y a quelque chose dans l'âme qui nous dit que ce que nous voyons n'est qu'un rêve. Au contraire, si l'on ne sait pas qu'on dort, rien alors ne contredit l'imagination.

§12. Afin de se convaincre que nous sommes ici dans le vrai, et qu'il y a dans les organes des mouvements capables de produire des images, on n'a qu'à faire l'effort nécessaire pour se rappeler ce qu'on éprouve quand on est endormi [profondément], et qu'on est réveillé [en sursaut]. On pourra, en effet, si l'on s'y prend avec quelque adresse, s'assurer en s'éveillant que les apparences qu'on voyait durant le sommeil ne sont que des mouvements dans les organes. Souvent, les enfants voient très distinctement, quand ils sont dans les ténèbres, beaucoup d'images qui s'y meuvent ; et leur peur est parfois assez forte pour les forcer à se cacher.

§13. Nous pouvons donc, d'après tout ceci, conclure que le rêve est une sorte d'image, et ajouter qu'il se produit durant le sommeil ; car les apparences que je viens de citer ne sont pas des rêves, non plus que ces autres apparences analogues qui se montrent à nous, même quand nos sens sont libres. §14. Le rêve n'est pas non plus toute image quelconque qui se montre durant le sommeil ; car d'abord il se peut quelquefois que durant le sommeil on sente en partie le bruit, la lumière, la saveur, le contact ; mais faiblement il est vrai, et comme de très loin. Ainsi, bien des gens qui, en dormant entrevoyaient faiblement une lumière, que dans leur sommeil ils prenaient pour celle d'une lampe, ont reconnu aussitôt après leur réveil, que c'était bien réellement la lumière d'une lampe. Des gens qui entendaient faiblement le chant du coq ou le cri des chiens, les ont reconnus très clairement en se réveillant. D'autres répondent dans leur sommeil aux questions qu'on leur fait. §15. C'est qu'il se peut, pour le sommeil et pour la veille que, l'un des deux étant absolu, l'autre aussi soit partiel. L'on ne peut dire alors d'aucun de ces deux états, que ni l'un ni l'autre soit un rêve, pas plus qu'on ne peut le dire de toutes les vraies pensées qui nous viennent dans le sommeil, indépendamment des images. Mais l'image produite par le mouvement des impressions sensibles quand on est dans le sommeil, et en tant qu'on dort, voilà ce qui constitue vraiment le rêve.

§16. Il y a des gens [462b] qui n'ont jamais rêvé de toute leur vie ; mais ces exceptions sont forts rares, quoiqu'il y en ait pourtant quelques unes. Pour les uns, cette absence de rêves a été perpétuelle ; pour les autres, les rêves ne leur sont venus qu'avec les progrès de l'âge, sans qu'auparavant ils en eussent jamais eu. Il faut croire que la cause qui fait qu'on ne rêve pas, est à peu près la même que celle qui fait qu'on n'a pas de rêves quand on dort aussitôt après le repas ; et que les enfants non plus ne rêvent point. Dans tous les tempéraments où la nature agit de telle sorte qu'une évaporation considérable monte vers les parties supérieures, et produit ensuite, en redescendant, un mouvement non moins considérable, il est tout simple qu'aucun image ne se montre. Mais on conçoit très-bien qu'avec les progrès de l'âge, il arrive des rêves ; car, du moment qu'un changement survient, soit par l'âge, soit par une affection quelconque, il faut aussi qu'il arrive le contraire de ce qui avait lieu auparavant.
 

  §1. Bien des choses. Le texte dit : « ces choses » ; et cette indication, selon moi, se rapporte à ce qui suit et non à ce qui précède.

- Qu'on nomme le sommeil. Aristote revient à la théorie du sommeil, dont il s'était écarté durant tout le chapitre précédent ; voir plus haut, ch. II, §1.

§2. Qui agissent sur nous. Qui sont actuelles : on doit se rappeler le sens spécial qu'ont ces mots dans le système péripatéticien.

- Les plus délicates. Mot à mot : « les petites choses ».

- Et se font sentir. J'ai ajouté ceci pour compléter la pensée.

- Reflux de la chaleur du dehors au dedans. Voir plus haut au Traité du Sommeil, ch. III, §12.

§3. Pareil aux petits tourbillons. C'est un phénomène dont l'observation est très facile et se présente fréquemment.

- Se répète continuellement. Le texte dit simplement : « a lieu continuellement ».

- Et sur lesquels ils se brisent. J'ai ajouté cette dernière phrase pour rendre toute la force de l'expression grecque.

§4. Immédiatement. J'ai ajouté ce mot pour compléter la pensée.

- Est très considérable. Peut-être aurait-il été plus conséquent de dire : « trop considérable ».

- C'est tout à fait comme dans un liquide. Cette comparaison est exacte et frappante.

- Malsains et incomplets. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

- Venant des esprits. Il faut prendre ici le mot « d'esprits » dans le sens de « vent, souffle » comme l'indique l'expression grecque.

§5. La séparation s'y est faite. Voir plus haut des théories analogues dans le Traité du Sommeil, ch. III, §19.

- Complets et sains. Le texte n'a ici qu'un seul mot, comme au paragraphe précédent.

§6. Même tout éveillés. C'est ainsi que j'entends ce passage, et je fais également rapporter à la veille ce qui suit. Quelques commentateurs, qui ont peut-être eu un texte différent, font encore rapporter tout ceci au sommeil ; et ils supposent qu'Aristote a voulu dire que tout en dormant on pouvait sentir comme si l'on était éveillé. L'observation est sans doute très vraie ; mais le contexte ne se prête pas à ce sens.

Semble être mue, durant la veille, comme dans le cas cité plus haut par Aristote, où le mouvement du vaisseau nous fait croire au mouvement du rivage ; voir plus haut, ch. II, §13.

- C'est par le toucher. Voir plus haut, id. ibid.

- Dans ces divers cas. J'ai ajouté ce petit membre de phrase pour compléter le sens que je donne à tout ce passage.

- N'admet pas par l'opinion, pour rendre toute la force de l'expression grecque.

- En dernier ressort. Le texte dit : « ce qui surjuge » : c'est l'entendement.

- Et n'ait plus de mouvement propre. Je suis l'édition de Berlin, qui met ici une négation d'après l'autorité de trois manuscrits. Il en est plusieurs qui la suppriment ; mais le sens est alors moins satisfaisant.

§7. Comme nous l'avons dit. Voir plus haut, ch. III, §12.

- Pour que nous confondions les objets entre eux. Mot à mot : « ce qui a une faible ressemblance paraît cela ».

§8. Durant le sommeil, en effet. Voir plus haut le Traité du Sommeil, et particulièrement, ch. III.

- Dans cette concentration. Le texte dit encore : « dans ce mouvement », j'ai cru devoir éviter cette répétition.

- Au dessus des autres ... le premier ... un second. Le texte est un peu moins précis.

- A ces grenouilles factices. Michel d'Éphèse, et, après lui, les autres commentateurs, expliquent ceci : d'ordinaire on avait, dans cette petite expérience assez ingénieuse, cinq grenouilles de bois enduites de sel, qu'on déposait successivement dans l'eau : quand le sel était fondu, elles remontaient à la surface dans l'ordre inverse où on les avait fait descendre au fond.

- Perdus. Le texte dit mot à mot : « dissous ». L'image est un peu différente.

§9. Ainsi qu'on l'a dit. Plus haut, §1 et suiv.

- La véritable sensation, perçue durant la veille.

- Dans les organes. J'ai ajouté ceci pour rendre la force de l'expression grecque.

- Qu'elle était Coriscus. Le texte dit seulement : « dont on dit cela ».

- Dans le sommeil. J'ai ajouté ces mots pour être plus clair.

- A moins que... Cette phrase est un peu embarrassée dans ma traduction qui, en ceci, reproduit fidèlement le texte.

§10. Qu'il presse. J'ai ajouté ces mots pour rappeler plus clairement un petit phénomène que chacun connaît. On sait qu'en pressant le globe de l'oeil on voit les objets doubles, tout simples qu'ils sont.

- La chose double. Leonicus semble croire qu'Aristote veut rappeler ici la petite expérience de la superposition des doigts, dont il a été question plus haut, ch. II, §13.

- Il croirait, par l'opinion. Les Ecossais diraient ici : « mais de plus, il la percevrait double réellement ».

- Il ne pensera pas. Même remarque.

- Si l'on a conscience de la perception. Le texte n'est pas aussi précis. Ce membre de phrase, du reste, ne fait que répéter celui qui précède. Selon Michel d'Ephèse, quelques manuscrits donnaient ici une variante : « la sensation de la partie sensible ». Ce qui signifierait également le rêve. L'édition de Berlin ne donne pas de variante.

§12. Capables de produire des images. Le texte dit mot à mot : « fantastiques ».

- Endormi profondément. J'ai ajouté ce dernier mot pour rendre toute la portée du texte.

- En sursaut. J'ai ajouté ceci pour être plus clair.

- Si l'on s'y prend avec quelque adresse. L'expression dont se sert Aristote justifie ce membre de phrase : « il surprendra comme surprend un voleur ».

- Ne sont que des mouvements dans les organes. L'observation est fort ingénieuse ; mais elle n'est pas facile à faire.

§13. Que je viens de citer, dans les paragraphes précédents.

- Ces autres apparences, comme ces spectres que l'imagination des enfants tout éveillés voit dans les ténèbres.

- Sont libres. Voir plus haut la définition du sommeil, Traité du Sommeil, ch. I, §§ 8 et 9.

§14. Car d'abord il se peut. Observation très exacte.

- D'autres répondent aux questions, ce sont surtout les gens portés au somnambulisme. Ces phénomènes sont très fréquents dans l'enfance. Chacun a pu les observer.

§15. L'un des deux étant absolu. Ainsi, durant la veille, il se peut que l'on dorme en partie ; durant le sommeil, il se peut que l'on veille également.

- Les vraies pensées. Par le mouvement naturel de l'esprit qui se continuerait durant le sommeil, si l'on doit tirer une telle conséquence de ce que dit ici Aristote.

- Mais l'image produite... Voilà la dernière définition du rêve ; et tout ce qui précède a pour but de la justifier. Peut-être la physiologie moderne accorderait-elle en général, au jeu naturel des organes intérieurs, plus que ne le fait ici Aristote, et accorderait-elle un peu moins aux impressions du dehors.

§16. Il y a des gens. Chacun peut vérifier, par son expérience personnelle, combien ces observations d'Aristote sont exactes, quelles que soit d'ailleurs la valeur des explications qu'il en donne.

- Quand on dort aussitôt après le repas. Peut-être cette observation-ci serait-elle contestable. J'ai ajouté le mot « aussitôt ». On dort en général après le repas ; mais on ne rêve pas en général dans ce lourd sommeil.

- Dans tous les tempéraments. Voir plus haut les conditions physiologiques du sommeil, Traité du Sommeil, ch. III.

- Une affection quelconque. Peut-être Aristote veut-il désigner par là l'effet des maladies.