Aristote : Physique

ARISTOTE

PHYSIQUE.

TOME UN : LIVRE II : DE  LA NATURE : CHAPITRE IV

Traduction française : BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE.

chapitre III - chapitre V

paraphrase du livre II

 

 

LIVRE II

DE LA NATURE.

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE IV.

Du hasard et de la spontanéité. - Théories diverses sur le hasard ; les unes le nient positivement, et les anciens sages ne l'ont pas admis dans leurs systèmes ; les autres, et parmi eux Empédocle, admettent le hasard comme cause du ciel et des phénomènes du monde, tout en ne le reconnaissant point pour cause des animaux et des plantes. D'autres théories font du hasard quelque chose de divin, qui est au-dessus de l'homme.
 

1 Λέγεται δὲ καὶ ἡ τύχη καὶ τὸ αὐτόματον τῶν αἰτίων, καὶ πολλὰ καὶ εἶναι καὶ γίγνεσθαι διὰ τύχην καὶ διὰ τὸ αὐτόματον· τίνα οὖν τρόπον ἐν τούτοις ἐστὶ τοῖς αἰτίοις ἡ τύχη καὶ τὸ αὐτόματον, καὶ πότερον τὸ αὐτὸ ἡ τύχη καὶ τὸ αὐτόματον ἢ ἕτερον, καὶ ὅλως τί ἐστιν ἡ τύχη καὶ τὸ αὐτόματον, ἐπισκεπτέον.

2 Ἔνιοι γὰρ καὶ εἰ ἔστιν ἢ μὴ ἀποροῦσιν· [196a] οὐδὲν γὰρ δὴ γίγνεσθαι ἀπὸ τύχης φασίν, ἀλλὰ πάντων εἶναί τι αἴτιον ὡρισμένον ὅσα λέγομεν ἀπὸ ταὐτομάτου γίγνεσθαι ἢ τύχης, οἷον τοῦ ἐλθεῖν ἀπὸ τύχης εἰς τὴν ἀγοράν, καὶ καταλαβεῖν ὃν ἐβούλετο μὲν οὐκ ᾤετο δέ, αἴτιον τὸ βούλεσθαι ἀγοράσαι ἐλθόντα. 3 Ὁμοίως δὲ καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων τῶν ἀπὸ τύχης λεγομένων ἀεί τι εἶναι λαβεῖν τὸ αἴτιον, ἀλλ' οὐ τύχην, ἐπεὶ εἴ γέ τι ἦν ἡ τύχη, ἄτοπον ἂν φανείη ὡς ἀληθῶς, καὶ ἀπορήσειεν ἄν τις διὰ τί ποτ' οὐδεὶς τῶν ἀρχαίων σοφῶν τὰ αἴτια περὶ γενέσεως καὶ φθορᾶς λέγων περὶ τύχης οὐδὲν διώρισεν, ἀλλ' ὡς ἔοικεν, οὐδὲν ᾤοντο οὐδ' ἐκεῖνοι εἶναι ἀπὸ τύχης.

4 Ἀλλὰ καὶ τοῦτο θαυμαστόν· πολλὰ γὰρ καὶ γίγνεται καὶ ἔστιν ἀπὸ τύχης καὶ ἀπὸ ταὐτομάτου, ἃ οὐκ ἀγνοοῦντες ὅτι ἔστιν ἐπανενεγκεῖν ἕκαστον ἐπί τι αἴτιον τῶν γιγνομένων, καθάπερ ὁ παλαιὸς λόγος εἶπεν ὁ ἀναιρῶν τὴν τύχην, ὅμως τούτων τὰ μὲν εἶναί φασι πάντες ἀπὸ τύχης τὰ δ' οὐκ ἀπὸ τύχης. 5 Διὸ καὶ ἁμῶς γέ πως ἦν ποιητέον αὐτοῖς μνείαν. Ἀλλὰ μὴν οὐδ' ἐκείνων γέ τι ᾤοντο εἶναι τὴν τύχην, οἷον φιλίαν ἢ νεῖκος ἢ νοῦν ἢ πῦρ ἢ ἄλλο γέ τι τῶν τοιούτων. Ἄτοπον οὖν εἴτε μὴ ὑπελάμβανον εἶναι εἴτε οἰόμενοι παρέλειπον. 6 Καὶ ταῦτ' ἐνίοτε χρώμενοι, ὥσπερ Ἐμπεδοκλῆς οὐκ ἀεὶ τὸν ἀέρα ἀνωτάτω ἀποκρίνεσθαί φησιν, ἀλλ' ὅπως ἂν τύχῃ. Λέγει γοῦν ἐν τῇ κοσμοποιίᾳ ὡς “οὕτω συνέκυρσε θέων τοτέ, πολλάκι δ' ἄλλως”· καὶ τὰ μόρια τῶν ζῴων ἀπὸ τύχης γενέσθαι τὰ πλεῖστά φησιν.

7 Εἰσὶ δέ τινες οἳ καὶ τοὐρανοῦ τοῦδε καὶ τῶν κόσμων πάντων αἰτιῶνται τὸ αὐτόματον· ἀπὸ ταὐτομάτου γὰρ γενέσθαι τὴν δίνην καὶ τὴν κίνησιν τὴν διακρίνασαν καὶ καταστήσασαν εἰς ταύτην τὴν τάξιν τὸ πᾶν.

8 Καὶ μάλα τοῦτό γε αὐτὸ θαυμάσαι ἄξιον· λέγοντες γὰρ τὰ μὲν ζῷα καὶ τὰ φυτὰ ἀπὸ τύχης μήτε εἶναι μήτε γίγνεσθαι, ἀλλ' ἤτοι φύσιν ἢ νοῦν ἤ τι τοιοῦτον ἕτερον εἶναι τὸ αἴτιον (οὐ γὰρ ὅ τι ἔτυχεν ἐκ τοῦ σπέρματος ἑκάστου γίγνεται, ἀλλ' ἐκ μὲν τοῦ τοιουδὶ ἐλαία ἐκ δὲ τοῦ τοιουδὶ ἄνθρωπος), τὸν δ' οὐρανὸν καὶ τὰ θειότατα τῶν φανερῶν ἀπὸ τοῦ αὐτομάτου γενέσθαι, τοιαύτην δ' αἰτίαν μηδεμίαν εἶναι οἵαν τῶν ζῴων καὶ τῶν φυτῶν. 9 Καίτοι εἰ οὕτως ἔχει, τοῦτ' αὐτὸ ἄξιον ἐπιστάσεως, καὶ καλῶς ἔχει λεχθῆναί [196b] τι περὶ αὐτοῦ. Πρὸς γὰρ τῷ καὶ ἄλλως ἄτοπον εἶναι τὸ λεγόμενον, ἔτι ἀτοπώτερον τὸ λέγειν ταῦτα ὁρῶντας ἐν μὲν τῷ οὐρανῷ οὐδὲν ἀπὸ ταὐτομάτου γιγνόμενον, ἐν δὲ τοῖς οὐκ ἀπὸ τύχης πολλὰ συμβαίνοντα ἀπὸ τύχης· καίτοι εἰκός γε ἦν τοὐναντίον γίγνεσθαι.

10 Εἰσὶ δέ τινες οἷς δοκεῖ εἶναι μὲν αἰτία ἡ τύχη, ἄδηλος δὲ ἀνθρωπίνῃ διανοίᾳ ὡς θεῖόν τι οὖσα καὶ δαιμονιώτερον.

11 Ὥστε σκεπτέον καὶ τί ἑκάτερον, καὶ εἰ ταὐτὸν ἢ ἕτερον τό τε αὐτόματον καὶ ἡ τύχη, καὶ πῶς εἰς τὰ διωρισμένα αἴτια ἐμπίπτουσιν.

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 § 1. Parfois aussi on met le hasard et la spontanéité au rang des causes ; et l'on dit de bien des choses qu'elles sont produites, ou qu'elles existent, d'une manière spontanée et par hasard. Examinons donc de quelle façon il est possible de placer parmi les causes énumérées par nous le hasard et le spontané ; examinons de plus si fortune et spontanéité sont la même chose ou des choses différentes, en un mot, ce que c'est que spontanéité et hasard.

§ 2. Il y a des philosophes qui révoquent en doute l'existence du hasard, [196a] et qui soutiennent que rien ne se produit jamais par hasard, attendu que toutes les choses qu'on prend pour l'effet du hasard et qu'on croit spontanées, ont toujours une cause déterminée. Ainsi, disent-ils, quelqu'un va par hasard au marché, et il y rencontre une personne qu'il voulait joindre, mais qu'il ne pensait pas trouver là ; or, la cause de ce prétendu hasard, c'est la volonté qu'on avait d'aller au marché acheter quelque emplette. De même pour tous les autres cas qu'on attribue au hasard ; et en y regardant de près, on y découvre toujours une cause qui n'est pas du tout le hasard qu'on suppose. § 3. On ajoute que si en effet le hasard était quelque chose de si réel, il serait vraiment par trop étrange, et tout à fait incroyable, qu'aucun des anciens sages, en étudiant les causes de la production et de la destruction des choses, n'en eût pas dit un seul mot ; et l'on en conclut que ces sages étaient persuadés aussi que rien ne vient du hasard.

§ 4. Cependant ce silence même est fait pour étonner ; car il y a une foule de choses qui se produisent et qui sont par l'effet du hasard et spontanément; et bien qu'on n'ignore pas qu'on peut les rapporter chacune à quelqu'une des causes ordinaires, comme le veut cette maxime de la sagesse antique qui nie le hasard, cependant tout le monde n'en dit pas moins que certaines choses viennent du hasard et que d'autres n'en viennent pas. § 5. Il fallait donc que d'une façon ou d'une autre les sages dont nous venons de parler, fissent mention de ces doutes ; et parmi eux pourtant, personne n'a cru que le hasard fût un de ces principes : par exemple, ou l'Amour, ou la Haine, ou le feu, ou l'Intelligence, ou quelqu'autre principe analogue. Il est donc bien étrange que les sages n'aient pas admis le hasard ; ou s'ils le reconnaissaient, qu'ils l'aient si complètement passé sous silence. § 6. Plus d'une fois cependant ils en ont fait usage; et c'est ainsi qu' Empédocle prétend que l'air ne se secrète pas toujours dans la partie la plus haute du ciel, mais qu'il se secrète au hasard selon que cela se trouve. Dans sa cosmogonie, il dit en propres termes : « L'air alors court ainsi, mais parfois autrement. » Il dit encore que les parties des animaux sont presque toutes le produit d'un simple hasard.

§ 7. Il y en a d'autres qui rapportent le ciel tel que nous le voyons, et tous les phénomènes cosmiques à une cause toute spontanée. Selon eux, c'est le hasard qui a produit la rotation, ainsi que le mouvement qui a divisé les éléments et combiné l'univers entier, selon l'ordre où il est aujourd'hui.

§ 8. Mais c'est ici qu'il y a vraiment de quoi s'étonner; car on soutient que les animaux et les plantes ne doivent point leur existence et leur reproduction au hasard, et que la cause qui les engendre est ou la nature ou l'Intelligence, ou tel autre principe non moins relevé, attendu que la première chose venue ne nuit pas fortuitement d'un germe quelconque, mais que de tel germe c'est un olivier qui sort, tandis que de tel autre c'est un homme ; et en même temps on ose prétendre que le ciel et les choses les plus divines, parmi les phénomènes visibles, sont le produit spontané du hasard, et que leur cause n'est pas du tout analogue à celle qui produit les animaux et les plantes. § 9. Mais même en admettant qu'il en soit ainsi, un tel sujet pris à un tel point de vue mérite assurément qu'on s'y arrête, et il est bon d'en parler quelque peu ; car outre que cette opinion est absurde à bien d'autres égards, ce qu'il y a de plus absurde encore, c'est de la soutenir quand d'ailleurs on voit soi-même que rien dans le ciel ne se produit fortuitement, et que dans des phénomènes d'où l'on prétend exclure le hasard, il y a cependant beaucoup de choses qui sont produites par lui. Or, on devrait à ce qu'il semble, se former une opinion précisément contraire.

 § 10. Enfin il y a des philosophes qui, tout en faisant du hasard une cause, le regardent comme impénétrable à l'intelligence de l'homme, en tant que c'est quelque chose de divin et de réservé aux esprits et aux démons.

§ 11. Ainsi donc, il nous faut étudier ce que c'est que le hasard et le spontané ; il nous faut voir si c'est une seule et même chose ou des choses distinctes, et enfin comment ils rentrent dans les causes que nous avons reconnues et déterminées.

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Ch. IV, § 1. Un mot, Aristote ne nomme pas les philosophes auxquels il veut faire allusion, et il ne désignera qu'Empédocle dans tout ce chapitre.

- Le hasard et la spontanéité, je prends ce dernier mol dans un sens plus général qu'on ne le prend d'ordinaire; et il répond parfaitement au mot du texte.

 - Au rang des causes naturelles.

- Parmi les causes énumérées par nous, dans le chapitre précédent.

§ 2. Il y a des philosophes, on peut ranger au premier rang parmi ces philosophes Platon, qui a prouvé mieux que personne, l'action de la providence.

 - Or la cause de ce prétendu hasard, la réponse n'est pas péremptoire ; et si la volonté d'acheter quelque chose a conduit au marché, ce n'est pas elle qui fait qu'on y a rencontré l'homme qu'on n'y cherchait pas, tout en désirant le découvrir. On pourrait donc trouver quelqu'exemple mieux choisi ; mais peu importe ; le point essentiel c'est qu'on nie l'action du hasard, et il paraît en effet inadmissible ; seulement il faut avouer aussi qu'il y a une foule de faits que nous ne pouvons pas rapporter à leur vraie cause.

- On découvre toujours une cause, c'est juste dans la plupart des cas ; mais il y en a aussi toujours quelques-uns qui échappent à cette explication. Aristote va le constater un peu plus loin, §4.

§ 3. On ajoute, le texte n'est pas tout à fait aussi précis ; mais évidemment cet appel à l'autorité des anciens sages est la suite du raisonnement précédent, qui nie l'existence du hasard.

- Et l'on en conclut, ma traduction est un peu plus précise que le texte.

§ 4. Cependant ce silence même, le texte dit simplement : Cela même.

- Car il y a une foule de choses, cette assertion paraît insuffisante, et il semble qu'il faudrait ajouter que c'est d'après le langage commun et les opinions reçues de tout le monde, qu'une foule de choses sont rapportées au hasard. Cette restriction est indiquée un peu plus bas.

- Tout le monde n'en dit pas moins, c'est le sentiment du vulgaire opposé à celui des sages ; mais ce sentiment mérite qu'on en tienne grand compte, parce qu'il est le mouvement instinctif et irrésistible de l'intelligence humaine.

§ 5. Fissent mention de ces doutes, la critique est juste ; et la question du hasard était trop grave pour qu'on fût excusable de la passer sous silence; il fallait discuter les opinions communes et se prononcer dans un sens ou dans l'autre.

- L'Amour ou la Haine, c'est Empédocle. - Ou le feu, c'est Héraclite.

- Ou l'Intelligence, c'est Anaxagore.

- N'aient pas admis le hasard, comme tout le monde l'admet dans une certaine mesure.

§ 6. C'est ainsi qu'Empédocle, voir Plutarque, De placitis philosoph. II, 6, et Achille Tatius, ad Aratum, ch. 4, p. 128, cités par Henri Ritter et L. Preller, Historia philosophiae Graeco-Romanae, page 124.

- Dans sa cosmogonie, ce n'est pas le titre, c'est le sujet de l'ouvrage d'Empédocle.

- Mais qu'il se sécrète au hasard, quelques historiens de la philosophie ont blâmé cette critique d'Aristote, qui semble cependant très juste, d'après ce qu'on sait du système d'Empédocle.

- Le produit d'un simple hasard, c'est ce qui est affirmé positivement par Empédocle, dans un assez grand nombre des vers qui nous restent de lui.

§ 7. Il y en a d'autres, c'est de Démocrite qu'il s'agit, faisant naître le ciel et tous les grands phénomènes de l'univers du concours fortuit des atomes.

- Qui a produit la rotation, des atomes ou leur déclinaison.

§ 8. Car on soutient, Démocrite, qui donnait le hasard pour cause du monde et des grands phénomènes cosmiques, ne trouvait plus de hasard dans les animaux et les plantes.

- Attendu que la première chose venue, l'argument est excellent ; mais il vaut pour l'ordre de l'univers, bien plus encore que pour l'organisation des animaux.

- On ose prétendre, l'expression du texte n'est peut-être pas tout à fait aussi vive.

§ 9. Cette opinion, qui soumet au hasard l'origine et l'organisation primitives des choses.

- Quand d'ailleurs on voit soi-même, le texte n'est pas tout à fait aussi formel,

- Dans des phénomènes d'où l'on prétend exclure le hasard, même remarque. Ces phénomènes sont ceux de l'organisation des animaux et des plantes. où l'on ne retrouve plus de hasard.

- Une opinion précisément contraire, il faudrait exclure le hasard des grands phénomènes de l'univers et le réserver pour les phénomènes secondaires, où il est quelquefois évident.

§ 10. Il y a des philosophes, il serait difficile de dire à qui Aristote entend faire allusion.

§ 11. Ainsi donc, c'est la pensée du § 1, plus haut.

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