Aristote : Génération des animaux

ARISTOTE

 

TRAITE DE LA GÉNÉRATION DES ANIMAUX

ΑΡΙΣΤΟΤΕΛΟΥΣ ΠΕΡΙ ΖΩΙΩΝ ΓΕΝΕΣΕΩΣ Ε

LIVRE V. CHAPITRE VIΙ

livre V chapitre VI table des matières
 

 

 

TRAITE DE LA GÉNÉRATION DES ANIMAUX

LIVRE CINQUIÈME

 

 

 

 

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TRAITÉ DE LA GÉNÉRATION DES ANIMAUX

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CHAPITRE VII

Des dents et des fonctions multiples qu'elles ont à remplir; les incisives poussent plus tût que les molaires ; erreur de Démocrite; ce n'est pas le lait, comme il le croit, qui fait tomber les dents; cause de l'erreur de Démocrite, qui n'a pas assez observé les faits, avant d'émettre une théorie générale; sagesse prévoyante de la Nature; cause de la chute des dents; les molaires ne poussent que très tard, et, parfois, dans l'extrême vieillesse; Démocrite n'a vu que la nécessité des choses; il a omis la fin où elles tendent; habileté merveilleuse de la Nature dans l'emploi de ses procédés. Résumé.

1 Περὶ δὲ ὀδόντων, ὅτι μὲν οὐχ ἑνὸς χάριν οὐδὲ πάντα τοῦ αὐτοῦ ἕνεκα τὰ ζῷα ἔχουσιν ἀλλὰ τὰ μὲν διὰ τὴν [5] τροφὴν τὰ δὲ καὶ πρὸς ἀλκὴν καὶ πρὸς τὸν ἐν τῇ φωνῇ λόγον, εἴρηται πρότερον· διότι δ' οἱ μὲν πρόσθιοι γίγνονται πρότερον οἱ δὲ γόμφιοι ὕστερον, καὶ οὗτοι μὲν οὐκ ἐκπίπτουσιν ἐκεῖνοι δ' ἐκπίπτουσι καὶ φύονται πάλιν, τοῖς περὶ γενέσεως λόγοις τὴν αἰτίαν συγγενῆ δεῖ νομίζειν. 2 Εἴρηκε [10] μὲν οὖν περὶ αὐτῶν καὶ Δημόκριτος, οὐ καλῶς δ' εἴρηκεν· οὐ γὰρ ἐπὶ πάντων σκεψάμενος καθόλου λέγει τὴν αἰτίαν. Φησὶ γὰρ ἐκπίπτειν μὲν διὰ τὸ πρὸ ὥρας γίγνεσθαι τοῖς ζῴοις· ἀκμαζόντων γὰρ ὡς εἰπεῖν φύεσθαι κατά γε φύσιν, τοῦ δὲ πρὸ ὥρας γίγνεσθαι τὸ θηλάζειν αἰτιᾶται. Καίτοι [15] θηλάζει γε καὶ ὗς, οὐκ ἐκβάλλει δὲ τοὺς ὀδόντας· ἔτι δὲ τὰ καρχαρόδοντα θηλάζει μὲν πάντα, οὐκ ἐκβάλλει δ' ἔνια αὐτῶν πλὴν τοὺς κυνόδοντας, οἷον οἱ λέοντες. Τοῦτο μὲν οὖν ἥμαρτε καθόλου λέγων οὐ σκεψάμενος τὸ συμβαῖνον ἐπὶ πάντων. 3 Δεῖ δὲ τοῦτο ποιεῖν· ἀνάγκη γὰρ τὸν λέγοντα καθόλου [20] τι λέγειν περὶ πάντων. Ἐπεὶ δὲ τὴν φύσιν ὑποτιθέμεθα, ἐξ ὧν ὁρῶμεν ὑποτιθέμενοι, οὔτ' ἐλλείπουσαν οὔτε μάταιον οὐθὲν ποιοῦσαν τῶν ἐνδεχομένων περὶ ἕκαστον, ἀνάγκη δὲ τοῖς μέλλουσι λαμβάνειν τροφὴν μετὰ τὴν [τοῦ γάλακτος] ἀπογαλάκτισιν ἔχειν ὄργανα πρὸς τὴν ἐργασίαν τῆς τροφῆς - 4 εἰ οὖν [25] συνέβαινεν, ὡς ἐκεῖνος λέγει, πρὸς ἥβην, ἐνέλειπεν ἂν ἡ φύσις τῶν ἐνδεχομένων αὐτῇ τι ποιεῖν, καὶ τὸ τῆς φύσεως ἔργον ἐγίγνετ' ἂν παρὰ φύσιν. Τὸ γὰρ βίᾳ παρὰ φύσιν, βίᾳ δέ φησι συμβαίνειν τὴν γένεσιν τῶν ὀδόντων. Ὅτι μὲν οὖν τοῦτ' οὐκ ἀληθὲς φανερὸν ἐκ τούτων καὶ τοιούτων ἄλλων. 5 Γίγνονται [30] δὲ πρότερον οὗτοι τῶν πλατέων, πρῶτον μὲν ὅτι καὶ τὸ ἔργον τὸ τούτων πρότερον (πρότερον γάρ ἐστι τοῦ λεᾶναι τὸ διελεῖν, εἰσὶ δ' ἐκεῖνοι μὲν ἐπὶ τῷ λεαίνειν οὗτοι δ' ἐπὶ τῷ διαιρεῖν), ἔπειθ' ὅτι τὸ ἔλαττον, κἂν ἅμα ὁρμηθῇ, θᾶττον γίγνεσθαι πέφυκε τοῦ μείζονος. Εἰσὶ δ' ἐλάττους οὗτοι τῷ μεγέθει [789a] τῶν γομφίων [καὶ] τῷ τὸ ὀστοῦν τῆς σιαγόνος ἐκεῖ μὲν πλατὺ εἶναι, πρὸς δὲ τῷ στόματι στενόν. Ἐκ μὲν οὖν τοῦ μείζονος πλείω ἀναγκαῖον ἐπιρρεῖν τροφήν, ἐκ δὲ τοῦ στενωτέρου ἐλάττω.

6 Τὸ δὲ θηλάζειν αὐτὸ μὲν οὐθὲν συμβάλλεται, ἡ [5] δὲ τοῦ γάλακτος θερμότης ποιεῖ θᾶττον βλαστάνειν τοὺς ὀδόντας. Σημεῖον δ' ὅτι καὶ αὐτῶν τῶν θηλαζόντων τὰ θερμοτέρῳ γάλακτι χρώμενα τῶν παιδίων ὀδοντοφυεῖ θᾶττον· αὐξητικὸν γὰρ τὸ θερμόν. Ἐκπίπτουσι δὲ γενόμενοι τοῦ μὲν βελτίονος χάριν, ὅτι ταχὺ ἀμβλύνεται τὸ ὀξύ· δεῖ οὖν ἑτέρους [10] διαδέχεσθαι πρὸς τὸ ἔργον. Τῶν δὲ πλατέων οὐκ ἔστιν ἀμβλύτης ἀλλὰ τῷ χρόνῳ τριβόμενοι λεαίνονται μόνον. 7 Ἐξ ἀνάγκης δ' ἐκπίπτουσιν ὅτι τῶν μὲν ἐν πλατείᾳ τῇ σιαγόνι καὶ ἰσχυρῷ ὀστῷ αἱ ῥίζαι εἰσί, τῶν δὲ προσθίων ἐν λεπτῷ, διὸ ἀσθενεῖς καὶ εὐκίνητοι. Φύονται δὲ πάλιν ὅτι [15] ἐν φυομένῳ ἔτι τῷ ὀστῷ ἡ ἐκβολὴ γίγνεται καὶ ἔτι ὥρας οὔσης γίγνεσθαι ὀδόντας. Τούτου δὲ σημεῖον ὅτι καὶ οἱ πλατεῖς φύονται πολὺν χρόνον· οἱ γὰρ τελευταῖοι ἀνατέλλουσι περὶ τὰ εἴκοσιν ἔτη, ἐνίοις δ' ἤδη καὶ γηράσκουσι γεγένηται οἱ ἔσχατοι παντελῶς διὰ τὸ πολλὴν εἶναι τροφὴν ἐν τῇ εὐρυχωρίᾳ [20] τοῦ ὀστοῦ. 8 Τὸ δὲ πρόσθιον διὰ τὴν λεπτότητα ταχὺ [790] λαμβάνει τέλος, καὶ οὐ γίγνεται περίττωμα ἐν αὐτῷ ἀλλ' εἰς τὴν αὔξησιν ἀναλίσκεται ἡ τροφὴ τὴν οἰκείαν.

9 Δημόκριτος δὲ τὸ οὗ ἕνεκεν ἀφεὶς λέγειν πάντα ἀνάγει εἰς ἀνάγκην οἷς χρῆται ἡ φύσις - οὖσι μὲν τοιούτοις, οὐ μὴν ἀλλ' ἕνεκά [5] τινος οὖσι καὶ τοῦ περὶ ἕκαστον βελτίονος χάριν. Ὥστε γί γνεσθαι μὲν οὐθὲν κωλύει οὕτω καὶ ἐκπίπτειν, ἀλλ' οὐ διὰ ταῦτα ἀλλὰ διὰ τὸ τέλος· ταῦτα δ' ὡς κινοῦντα καὶ ὡς ὄργανα καὶ ὡς ὕλη αἴτια, 10 ἐπεὶ καὶ τὸ τῷ πνεύματι ἐργάζεσθαι τὰ πολλὰ εἰκὸς ὡς ὀργάνῳ - οἷον γὰρ ἔνια πολύχρηστά [10] ἐστι τῶν περὶ τὰς τέχνας, ὥσπερ ἐν τῇ χαλκευτικῇ ἡ σφύρα καὶ ὁ ἄκμων, οὕτω καὶ τὸ πνεῦμα ἐν τοῖς φύσει συνεστῶσιν. Ὅμοιον δ' ἔοικε τὸ λέγειν τὰ αἴτια ἐξ ἀνάγκης κἂν εἴ τις διὰ τὸ μαχαίριον οἴοιτο τὸ ὕδωρ ἐξεληλυθέναι μόνον τοῖς ὑδρωπιῶσιν, ἀλλ' οὐ διὰ τὸ ὑγιαίνειν [15] οὗ ἕνεκα τὸ μαχαίριον ἔτεμεν.

11 Περὶ μὲν οὖν ὀδόντων, διότι οἱ μὲν ἐκπίπτουσι καὶ γίγνονται πάλιν οἱ δ' οὔ, καὶ ὅλως διὰ τίν' αἰτίαν γίγνονται εἴρηται. Εἴρηται δὲ καὶ περὶ τῶν ἄλλων τῶν κατὰ τὰ μόρια παθημάτων ὅσα γίγνεσθαι συμβαίνει μὴ ἕνεκά του ἀλλ' [20] ἐξ ἀνάγκης καὶ διὰ τὴν αἰτίαν τὴν κινητικήν.

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1 Nous avons antérieurement expliqué, en parlant des dents, qu'elles ne sont pas faites pour une seule et unique fonction, et nous avons dit que les animaux ne les ont pas tous pour le même usage ; mais que chez les uns, elles servent à [5] l'alimentation, que chez d'autres, elles servent à leur défense, et, chez d'autres encore, au langage que forme la voix. Que les dents de devant poussent les premières et que les molaires poussent en dernier lieu ; que les molaires ne tombent pas, tandis que les autres tombent et repoussent, ce sont là des questions qui nous semblent appartenir à des études sur la génération. 2 Démocrite [10] a traité aussi de ce sujet ; mais il ne l'a pas très bien exposé. Sans avoir examiné d'assez près l'ensemble des faits, il indique, d'une manière toute générale, la cause de la chute des dents. A l'entendre, les dents des animaux ne tombent que parce qu'elles poussent trop tôt. D'après lui, c'est seulement quand ils sont adultes que la pousse des dents serait naturelle ; et c'est parce que les animaux tètent que les dents leur poussent avant le temps. On peut répondre à Démocrite [15] que le porc, qui tète, ne perd pas cependant ses dents. Tous les animaux à dents aiguës tètent et ne perdent pas davantage leurs dents ; quelques-uns, comme le lion, perdent tout au plus leurs canines. Ainsi, Démocrite s'est trompé en se prononçant en général, sans avoir observé suffisamment tous les faits particuliers. 3 Cette observation des faits est néanmoins indispensable ; [20] et, quand on parle d'une manière générale, il faut nécessairement que la théorie puisse s'appliquer â tous les cas. Comme nous admettrons, en nous fondant sur ce que nous pouvons voir, que la Nature n'est jamais en faute, et que jamais elle ne fait rien en vain, dans tout ce qui est possible pour chaque espèce d'êtres, il y a une nécessité évidente, puisque les animaux doivent prendre de la nourriture après avoir sucé le lait, qu'ils aient des organes pour élaborer leurs aliments. 4 Si donc les dents [25] ne poussaient qu'au moment de la puberté, comme le veut Démocrite, la Nature aurait négligé quelque chose de ce qu'elle pouvait faire ; et alors, cette oeuvre prétendue de la Nature serait absolument contre nature. Tout ce qui est violent est contre nature; et, selon Démocrite, les dents poussent de force et violemment. Ceci suffit pour montrer que sa théorie n'est pas exacte ; et l'on pourrait y opposer encore bien d'autres objections. 5 Les incisives [30] poussent avant les molaires, pour deux raisons : d'abord, parce que leur fonction est antérieure, puisque diviser précède broyer, et que, si les molaires servent à broyer, les incisives sont chargées de diviser les aliments. En second lieu, ce qui est plus petit, tout en naissant en même temps que quelque chose de plus grand, doit naturellement pousser plus vite. [789a] Or, les incisives sont plus petites que les molaires ; et l'os de la mâchoire en leur endroit est large, tandis qu'il est étroit près de la bouche. Il y a donc nécessité que, d'un organe plus grand, s'écoule aussi plus de nourriture, et qu'il s'en écoule moins d'un organe plus petit.

6 Téter n'a ici aucune influence directe ; [5] mais il est vrai que la chaleur du lait doit faire pousser les dents plus vite; la preuve, c'est que les enfants qui tètent un lait plus chaud poussent leurs dents plus rapidement que les autres, parce que la chaleur hâte toujours la croissance. Quelques-unes des dents doivent tomber uniquement en vue du mieux, attendu que la pointe s'émousse ; et pour que la fonction puisse continuer à s'accomplir, il faut que d'autres dents [10] les remplacent. Les molaires, qui sont plates, ne peuvent pas s'émousser; mais, avec le temps, elles s'usent, et elles deviennent toutes lisses. 7 Les incisives doivent nécessairement tomber, parce que, si les racines des molaires sont placées à la partie la plus large de la mâchoire et dans un os très fort, les racines des dents de devant sont dans un os mince; ce qui explique leur faiblesse et leur mobilité. Les incisives repoussent, parce que [15] l'os pousse encore quand elles tombent, et qu'il est encore temps que les dents puissent repousser. Ce qui le prouve, c'est que les molaires sont aussi très longues à sortir; les dernières ne paraissent guère qu'à l'âge de vingt ans; et les plus retardées de toutes ne poussent, parfois, que dans la vieillesse extrême, parce que la nourriture est longue à s'accumuler dans un os très large. 8 Au contraire, la partie antérieure de l'os, qui est mince, arrive bien vite [790] à son développement complet ; et il n'y a pas de résidu dans cet os, parce que la nourriture est employée tout entière à la croissance qui lui est propre.

9 Démocrite oublie et néglige la cause finale pour rapporter à une simple nécessité tous les procédés de la Nature. Ces procédés sont nécessaires sans doute; mais ils n'en ont pas moins [5] un but; et, en toutes choses, ils cherchent sans cesse à réaliser le meilleur. Rien n'empêche, nous le voulons bien, que les dents ne poussent et ne tombent par suite d'une nécessité ; mais ce n'est point par les motifs indiqués; et c'est toujours en vue d'une fin qui doit être réalisée effectivement. Les causes alléguées par Démocrite ne sont causes que comme des moteurs, comme des instruments et comme matière. 10 Ainsi, il y a certainement une foule de cas où la Nature prend pour instrument de ses oeuvres l'air et le souffle vital; et de même que, dans les arts, [10] il y a des instruments qui servent à plusieurs fins, par exemple, dans l'art du forgeron, le marteau et l'enclume, de même aussi l'air peut servir à bien des usages dans les êtres que forme la Nature. Rapporter toutes les couses à une pure nécessité, cela reviendrait ii peu près au même que de croire que, dans le traitement de l'hydropisie, le liquide sort au profit du bistouri, [15] et non au profit de la santé, en vue de laquelle le bistouri a dû faire une incision.

11 On doit donc voir, par ce qui précède, pourquoi il y a des dents qui tombent et qui repoussent, pourquoi d'autres dents ne repoussent ni ne tombent, et, d'une manière générale, pourquoi les dents sont ce qu'elles sont. Enfin, nous avons également étudié toutes les autres fonctions des organes qui ne sont pas faits en vue d'une fin, mais qui résultent [20] d'une simple nécessité et de l'action d'une cause qui les met en mouvement.

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§ 1. Antérieurement. Ceci peut se rapporter à la fois, soit au liv. II, ch. VIII, § 35, soit à l'Histoire des Animaux, où il a été traité tout au long des dents et de leurs usages, liv. II, ch. III, §§ 12 et suiv. et passim; soit enfin au Traité des Parties, liv. II, cli. III et IX, et liv. III, ch. I et passim, de ma traduction. — Nous avons dit... Ces questions diverses ont été discutées en effet plus haut, liv. II, ch. VIII, §§ 35 et suiv., et dans les ouvrages que nous venons de citer. — Pour le même usage. Le fait est évident, et la denture du lion ne doit pas avoir la même destination que celle des ruminants; les carnassiers ne peuvent pas avoir les mêmes dents que les herbivores. — Chez d'autres encore. Le langage n'appartient qu'à l'homme et est son privilège, Histoire des Animaux, liv. IV, ch. IX, § 15. — Appartenir à des études sur la génération. Il semble, au contraire, que la question des dents n'a aucun rapport avec la théorie de la génération. Je croirais donc que ce passage n'est qu'une interpolation, à l'aide de laquelle on essaie de rattacher le cinquième livre à ceux qui le précèdent. Mais ce lien est très insuffisant; il est clair que les sujets sont parfaitement différents.

§ 2. Démocrite. Avant Aristote, Démocrite était le philosophe qui s'était occupé le plus d'histoire naturelle; son témoignage est fréquemment invoqué et discuté dans l'Histoire des Animaux; voir ma Préface, pp. LXI et suiv. — La chute des dents. Voir l'Histoire des Animaux, liv. II, ch. III, § 16, de ma traduction. — A l'entendre... Le texte a cette nuance de critique, parce qu'Aristote reproche à Démocrite de n'avoir pas su observer les faits assez attentivement; voir la Préface à l'Histoire des Animaux, pp. CXIV et suiv., et aussi Traité des Parties des Animaux, liv. I, et ma Préface à ce traité, p. VIII. — Parce qu'elles poussent trop tôt. L'explication est tout à fait fausse. — Parce que les animaux tètent. Même remarque ; loin de blâmer la Nature de faire téter les animaux et de leur donner le lait pour première nourriture, il faudrait au contraire l'admirer, pour cette prévoyance tutélaire. - Que le porc qui tète ne perd pas cependant ses dents. Voir la même observation dans l'Histoire des Animaux, liv. II, ch. III, § 16 et 19. — A dents aiguës. Ceci sans doute se rapporte surtout aux incisives et aux canines. — Comme le lion. Voir l'Histoire des Animaux, liv. II, ch. III, § 13, et liv. VI, ch. XXVIII, §§ 1 et suiv. — Sans avoir observé suffisamment. Aristote n'a cessé de recommander avant tout l'observation des faits.

§ 3. Est néanmoins indispensable. Il faut remarquer cette insistance.— Et, quand on parle d'une manière générale... II serait impossible à toute notre science de dire mieux, et de poser des règles plus rigoureuses et plus pratiques. — La Nature n'est jamais en faute. C'est un des principes les plus vrais et les plus nécessaires. Voir dans la Préface au Traité des Parties des Animaux, p. CXI, les théories d'Agassiz sur la pensée divine, qui éclate dans le monde ; voir aussi dans ce même Traité, liv. II, ch.. VII, § 2, n. et passim. Sur ce point fondamental, Aristote n'a jamais varié. — Après avoir sucé le lait. C'est cette succession nécessaire des phénomènes que Démocrite paraît n'avoir pas bien comprise. — Des organes pour élaborer leurs aliments. C'est l'évidence même.

§ 4. Comme le veut Démocrite. Ceci nous fait connaître un peu plus précisément quelles étaient les théories de Démocrite. — Aurait négligé quelque chose. C'est ce qu'Aristote ne peut admettre, à aucun prix. C'est l'homme qui est en défaut; ce n'est pas Dieu; mais l'orgueil humain ne se rend pas toujours ; et l'homme substitue trop souvent son infirmité à la puissance infinie, qu'il ne comprend pas. — Serait absolument contre nature. Cet argument est invincible. — Y opposer bien d'autres objections. Celles-ci suffisent; mais il eût été bon cependant de ne pas taire les autres.

§ 5. Pour deux raisons. Les deux raisons que donne Aristote ne sont peut-être pas aussi décisives qu'il le suppose. Les incisives poussent, il est vrai, plus tôt que les molaires; mais elles restent seules pendant quelque temps, quoique l'office des molaires ne soit guère moins nécessaire que le leur ; broyer les aliments n'est pas moins utile et hygiénique que les diviser. — Diviser précède broyer. Sans doute, mais c'est dans la position des unes et des autres; la pousse des incisives pourrait coïncider dans le temps avec celle des molaires, puisque plus tard la fonction de toutes les deux doit être connexe. — En second lieu, ce qui est plus petit. Cette explication est toute logique. — S'écoule aussi plus de nourriture. Ceci aurait demandé un peu plus de développement; ce n'est pas assez clair.

§ 6. Téter n'a ici aucune influence. Aristote a en ceci toute raison contre Démocrite, dont l'erreur est manifeste. — La chaleur du lait... Il ne semble pas que cette cause assignée par Aristote soit beaucoup plus exacte que celles qu'indique Démocrite. — Les enfants qui tètent un lait plus chaud. Je ne sais pas si la science moderne a justifié cette observation; mais le fait n'a rien d'impossible; et la chaleur, amollissant les gencives, peut faciliter l'éruption des dents. Il est probable que cette remarque physiologique venait des nourrices. — En vue du mieux. C'est le premier des principes qu'Aristote applique a l'étude de la Nature; c'est le fondement de l'optimisme. A l'idée du mieux, est opposée celle de la nécessité; mais dans les théories d'Aristote, la nécessité est purement hypothétique. — Attendu que la pointe s'émousse. Ce n'est pas là la vraie raison qui fait tomber les premières dents ; le fait réel, c'est qu'elles sont chassées par celles qui les remplacent. — S'émousser... s'usent. Ceci revient à peu près au même; mais il est certain que les molaires ne s'émoussent point, en ce sens qu'elles n'ont pas de pointe. — Toutes lisses... Les protubérances disparaissent peu a peu, et la surface devient plus unie.

§ 7. Doivent nécessairement tomber... L'explication n'est pas bonne; car les incisives qui repoussent ne tombent pas comme les premières, bien qu'elles soient placées de même sur la mâchoire. Il y a donc une autre raison; mais il est peut-être bien difficile de la trouver. -  Parce que l'os pousse encore. On peut objecter que l'os où sont insérées les molaires ne pousse pas moins. — Ce qui le prouve. La preuve n'est pas évidente. — Les dernières. Il s'agit sans doute de celles qu'on appelle dents de sagesse. — A l'âge de vingt ans. Le plus souvent, c'est même plus tard. — Parce que la nourriture... Cette explication aussi peut paraître contestable.

§ 8. Au contraire. Ceci répète en partie ce qui vient d'être dit, au paragraphe précédent, et n'y ajoute presque rien. — A la croissance qui lui est propre. Cette généralité est exacte ; mais pour voir quels progrès a faits la science depuis Aristote, il faut lire dans Cuvier, Anatomie comparée, tome III, XVIIe leçon, 1ère édition, toute l'étude sur les dents, leur structure, leur développement, les diverses sortes de dents chez les mammifères, chez les reptiles et chez les poissons, la substance qui remplace les dents chez les oiseaux et les tortues, et quelques autres parties qui font l'office de dents. Depuis Cuvier, la question n'a pas été, je crois, traitée d'une manière plus complète. D'ailleurs, il serait juste de joindre à ce qu'Aristote dit ici ce qu'il a déjà dit des dents dans toute la série animale, Histoire des Animaux, liv. II, ch. III, IX et XII ; liv. III, ch. VII et IX ; liv. IV, ch. II, IV et V ; liv. VI, cll. XXI, XII et XXVIII ; liv. VII, ch. IX; et liv. IX, ch. XXXVII. Au fond, la vue d'Aristote est aussi large que celle du naturaliste français ; mais Cuvier a l'avantage de venir deux mille ans après.

§ 9. Oublie et néglige. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — A une simple nécessité. Aristote a toute raison ici contre Démocrite. Il a autre chose que la nécessite dans la Nature; il y a une intelligence, que notre esprit fini et borné ne comprend pas toujours, mais qui doit avoir les attributs essentiels d'une intelligence, c'est-à-dire, le libre choix de ses buts et de ses moyens. — A réaliser le meilleur. C'est le fondement de l'optimisme. — Par les motifs indiqués. J'ai conservé en partie l'indécision du texte, qui est plus grande encore que celle de ma traduction. — Alléguées par Démocrite. J'ai ajouté ces mots pour plus de clarté; le sens ne peut être douteux, et c'est bien aux théories de Démocrite que se rapporte le pronom indéterminé dont le texte se sert dans ce passage.

§ 10. L'air et le souffle vital. Il n'y a dans le texte qu'un seul mot, qui peut avoir les deux sens. D'ailleurs, la pensée de l'auteur n'est pas très nette, et l'expression eu est trop vague. Il aurait fallu spécifier quelques-unes des oeuvres de la Nature où le souffle vital joue un rôle. — Qui servent à plusieurs fins. On ne voit pas que les exemples cités soient très justes; le marteau et l'enclume ont des usages déterminés, et ils n'en ont pas plusieurs; l'un sert à frapper, et l'autre à recevoir les coups. — L'air peut servir à bien des usages. Il aurait fallu indiquer précisément ces usages. — A une pure nécessité. J'ai ajouté l'épithète. — Au profit du bistouri. On peut trouver la comparaison un peu bizarre. Au fond, l'auteur veut dire que c'est commettre une grande erreur que de ne voir dans la Nature que la matérialité du fait, sans remonter jusqu'à la cause.

§ 11. Des dents qui tombent... C'est bien là en effet le sujet traité dans ce chapitre; mais ce n'est pas là le résumé d'un traité sur la génération. — Toutes !es autres fonctions. Ceci se rapporterait assez bien au Traité des Parties des Animaux. Il est d'ailleurs de toute évidence que ce cinquième livre ne tient en rien aux quatre livres qui le précèdent. Comment y a-t-il été joint? A quelle époque des éditeurs peu attentifs ont-ils risqué cette addition? A quel autre ouvrage d'Aristote ce cinquième livre pourrait-il appartenir? Ce sont des questions qui sont discutées dans la Dissertation sur la composition du Traité de la Génération. Je prie le lecteur de vouloir bien se reporter à cette dissertation spéciale, où j'ai essayé de dissiper quelques-unes de ces obscurités. Peut-être ce désordre tient-il uniquement à l'état incomplet où Aristote, surpris par l'exil et par une mort prématurée, a dû laisser ses manuscrits. Le fragment, qui forme ce cinquième livre du Traité de la Génération des animaux , se sera trouvé placé fortuitement à la suite des quatre premiers ; Andronicus et ses successeurs l'y auront conservé par négligence. Cette disposition, tout imparfaite qu'elle était, aura subsisté de siècle en siècle jusqu'à nous ; mais nous sommes étonnés d'être le premier à signaler ici cette irrégularité.

 

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