Aristote : Morale à Eudème

ARISTOTE

 

MORALE A EUDEME

LIVRE SEPT : THEORIE DE L'AMITIE

CHAPITRE III

chapitre II - chapitre IV

 

 

 

MORALE A EUDEME

 

 

 

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CHAPITRE III.

De l'égalité dans l'amitié : il peut y avoir amitié du supérieur à l'inférieur ; mais cette amitié est de part et d'autre fort différente. — Des discordes et des divisions en amitié et en amour.

1 Τρία μὲν οὖν εἴδη ταῦτα φιλίας· ἐν πᾶσι δὲ τούτοις κατ´ ἰσότητά πως λέγεται ἡ φιλία. Καὶ γὰρ οἱ κατ´ ἀρετὴν φίλοι ἐν ἰσότητί πώς εἰσιν ἀρετῆς φίλοι ἀλλήλοις. 2 λλη δὲ διαφορὰ τούτων ἡ καθ´ ὑπερβολήν, ὥσπερ θεοῦ ἀρετὴ πρὸς ἄνθρωπον. Τοῦτο γὰρ ἕτερον εἶδος φιλίας, καὶ ὅλως ἄρχοντος καὶ ἀρχομένου, καθάπερ καὶ τὸ δίκαιον ἕτερον· κατ´ ἀναλογίαν γὰρ ἴσον, κατ´ ἀριθμὸν δ´ οὐκ ἴσον. ν τούτῳ τῷ γένει πατὴρ πρὸς υἱὸν καὶ ὁ εὐεργέτης πρὸς τὸν εὐεργετηθέντα. 3 Αὐτῶν δὲ τούτων διαφοραὶ εἰσίν· ἄλλη πατρὸς πρὸς υἱὸν καὶ ἀνδρὸς πρὸς γυναῖκα, αὕτη μὲν ὡς ἄρχοντος καὶ ἀρχομένου, ἣ δὲ εὐεργέτου πρὸς εὐεργετηθέντα. ν ταύταις δὲ ἢ οὐκ ἔνεστιν ἢ οὐχ ὁμοίως τὸ ἀντιφιλεῖσθαι. 4 Γελοῖον γάρ, εἴ τις ἐγκαλοίη τῷ θεῷ, ὅτι οὐχ ὁμοίως τὸ ἀντιφιλεῖσθαι ὡς φιλεῖται, ἢ τῷ ἄρχοντι καὶ ἀρχομένῳ. Φιλεῖσθαι γάρ, οὐ φιλεῖν, τοῦ ἄρχοντος, ἢ φιλεῖν ἄλλον τρόπον. 5 Καὶ ἡδονὴ διαφέρει οὐδὲν ἥ τε τοῦ αὐτάρκους ἐπὶ τῷ αὑτοῦ κτήματι ἢ παιδί, καὶ τοῦ ἐνδεοῦς ἐπὶ τῷ γινομένῳ.

6 ς δ´ αὕτως καὶ ἐπὶ τῶν διὰ τὴν χρῆσιν φίλων καὶ ἐπὶ τῶν δι´ ἡδονὴν οἳ μὲν κατ´ ἰσότητα εἰσίν, οἳ δὲ καθ´ ὑπεροχήν. Διὸ καὶ οἱ ἐκείνως οἰόμενοι ἐγκαλοῦσιν, ἐὰν μὴ ὁμοίως χρήσιμοι καὶ εὖ ποιῶσιν, καὶ ἐπὶ τῆς ἡδονῆς.  7 Δῆλον δ´ ἐν τοῖς ἐρωτικοῖς· τοῦτο γὰρ αἴτιον τοῦ μάχεσθαι ἀλλήλοις πολλάκις. γνοεῖ γὰρ ὁ ἐρῶν ὅτι οὐχ ὁ αὐτὸς λόγος αὐτοῖς ἐπὶ τὴν προθυμίαν. Διὸ εὑρηκέναι νεῖκος ὁ ἐρώμενος· τοιαῦτ´ ἂν οὐκ ἐρῶν λέγοι. Οἳ δὲ νομίζουσι τὸν αὐτὸν εἶναι λόγον.  

 

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1 Voilà donc quelles sont les trois espèces d'amitiés. Dans toutes, on le voit, c'est par suite d'une certaine égalité entre les gens qu'on appelle ces liaisons diverses du nom commun d'amitié. Ainsi, les amis qui s'unissent par vertu, sont amis par une égalité de vertu entr'eux. 2 Mais il est une autre différence qu'on peut distinguer dans l'amitié ; et c'est celle qui résulte de la supériorité de l'un des deux amis, comme la vertu de Dieu l'emporte sur celle de l'homme. C'est là, on peut dire, une toute autre sorte d'amitié ; et, en général, c'est l'amitié du chef qui commande au sujet qui obéit, amitié aussi différente que le droit de l'un envers l'autre. Entr'eux, il y a bien encore égalité proportionnelle ; mais il n'y a plus d'égalité numérique. C'est dans ce genre d'amitié qu'on peut classer les rapports du père au fils, et du bienfaiteur à l'obligé. 3 Il y a même encore ici des différences considérables : par exemple, dans l'affection du père au fils et celle du mari à la femme ; car cette dernière relation est celle du chef au sujet ; l'autre est celle du bienfaiteur à son obligé. Dans ces amitiés-là, ou il n'y a pas de réciprocité d'affection, ou du moins, cette réciprocité est tonte différente. 4 Quel ridicule de reprocher à Dieu de ne pas aimer comme on l'aime ! ou d'adresser ce reproche au chef par rapport à son sujet ! Le chef doit être aimé ; il n'a pas à aimer ; ou du moins s'il aime, il doit aimer d'autre façon. 5 Il n'y a du reste aucune différence dans le plaisir que cause l'amour, soit qu'un homme indépendant et riche l'éprouve en jouissant de sa propriété, ou un père, de son enfant, soit qu'un pauvre le ressente pour la fortune qui vient satisfaire les besoins dont il souffre.

6 Les remarques qui précèdent peuvent s'appliquer aux amis qui se lient soit par intérêt, soit par plaisir ; je veux dire que tantôt il y a entr'eux égalité, et tantôt il y a supériorité de l'un des deux. Voilà pourquoi ceux qui se sont liée sur ce pied d'égalité, se croient en droit de se plaindre, quand ils ne retirent pas de leur liaison un égal profit ou des avantages égaux, ou autant de plaisir. 7 C'est ce qu'on peut voir aisément dans les liaisons d'amour, et il n'y a pas d'autres causes aux querelles qui divisent si souvent les amoureux. Celui qui aime ignore que ce ne sont pas les mêmes motifs qui, de part et d'autre, ont touché le cœur ; et celui qui est aimé croit avoir trouvé un juste sujet de reproche, quand il dit : « Il n'y a  qu'un homme qui n'aime point qui puisse parler ainsi. » C'est qu'ils croient, chacun de leur côté, qu'ils en étaient tous les deux au même point en s'unissant.

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Ch. III. Morale à Nicomaque, livre VIII, ch. 13 et 14, livre IX, ch. 8; Grande Morale, livre II, ch. 18 et 19.

§ 1. Les amis qui s'unissent par vertu. Il aurait fallu parler aussi des deux autres espèces d'amitié, et montrer quel rdle y joue l'égalité.

§ 2. Comme la vertu de Dieu. S'il y avait entre deux hommes cette immense disproportion, ils ne pour-raient jamais être amis. Mais c'est qu'ici le mot d'amitié a un sens beaucoup plus étendu que dans notre langue, comme la suite de la discussion le prouvera. En réalité, ce n'est plus là de l'amitié ; c'est une liaison plus ou moins étroite et bienveil-lante; mais elle ne mérite pas le nom spécial d'amitié.

L'amitié du chef... au sujet. J'ai conservé le mot d'amitié pour suivre de plus près le texte ; mais le terme propre serait ceint de liaison, ou tout au pins, d'affection, j'ai employé plus d'une fois cette dernière expression.

§ 3. Cette réciprocité est toute différente. Cette nuance est plus exacte que la précédente. Il y a réciprocité d'affection dans ces liaisons; mais de part et d'autre, l'affection diffère considérablement.

§ 4. Il n'a pas à aimer. Dès lors, ce n'est plus de l'amitié proprement dite; et la liaison doit prendre un tout autre nom.

§ 5. Il n'y a du reste aucune différence. Idées peu suivies, et d'ailleurs très incontestables.

§ 6. Les remarques qui précèdent. Ces considérations méritaient d'être plus développées qu'elles ne le sont ici

§ 7. Quand il dit. Pensée qui reste un peu obscure, parce que l'expression en est trop concise.

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