Aristote : Morale à Eudème

ARISTOTE

 

MORALE A EUDEME

LIVRE SEPT : THEORIE DE L'AMITIE

CHAPITRE XIII

chapitre XII - chapitre XIV

 

 

 

Morale à Eudème

 

 

 

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CHAPITRE XIII.

Digression sur l'usage essentiel et sur l'usage indirect des choses; on peut, jusqu'à certain point, abuser également des facultés de l'âme. — Lacunes et désordre dans le texte.

 

 

** 1 πορήσειε δ´ ἄν τις, εἰ ἔστιν ἑκάστῳ [φίλῳ] χρήσασθαι καὶ ἐφ´ ᾧ πέφυκε καὶ ἄλλως, καὶ τοῦτο ἢ 〈καθ´〉 αὑτὸ ἢ κατὰ συμβεβηκός, οἷον εἰ ὀφθαλμὸς ἰδεῖν ἢ καὶ ἄλλως παριδεῖν διαστρέψαντα, ὥστε δύο τὸ ἓν φανῆναι. Αὗται μὲν δὴ ἄμφω ὅτι μὲν ὀφθαλμός· ὅτι ἦν δ´ ὀφθαλμῷ **, ἄλλη δὲ κατὰ συμβεβηκός, οἷον εἰ ἦν ἀποδόσθαι ἢ φαγεῖν. 2 μοίως δὴ καὶ ἐπιστήμη· καὶ γὰρ ἀληθῶς καὶ ἁμαρτεῖν, οἷον ὅταν ἑκὼν μὴ ὀρθῶς γράψῃ, ὡς ἀγνοίᾳ δὴ νῦν χρῆσθαι, ὥσπερ μεταστρέψας τὴν χεῖρα· καὶ τῷ ποδί ποτε ὡς χειρὶ καὶ ταύτῃ ὡς ποδὶ χρῶνται 〈αἱ〉 ὀρχηστρίδες. 3 Εἰ δὴ πᾶσαι αἱ ἀρεταὶ ἐπιστῆμαι, εἴη ἂν καὶ τῇ δικαιοσύνῃ ὡς ἀδικίᾳ χρῆσθαι, ἀδικήσει ἄρα ἀπὸ δικαιοσύνης τὰ ἄδικα πράττων, ὥσπερ καὶ τὰ ἀγνοητικὰ ἀπὸ ἐπιστήμης· εἰ δὲ τοῦτ´ ἀδύνατον, φανερὸν [1247] ὅτι οὐκ ἂν εἶεν ἐπιστῆμαι αἱ ἀρεταί. Οὐδ´ εἰ μὴ ἔστιν ἀγνοεῖν ἀπὸ ἐπιστήμης, ἀλλ´ ἁμαρτάνειν μόνον, καὶ τὰ αὐτὰ 〈ἃ〉 καὶ ἀπὸ ἀγνοίας ποιεῖν, οὔ τι ἀπὸ δικαιοσύνης γε ὡς ἀπὸ ἀδικίας πράξει· ἀλλ´ ἐπεὶ φρόνησις ἐπιστήμη καὶ ἀληθές τι, τὸ αὐτὸ ποιήσει κἀκείνῃ· ἐνδέχοιτο γὰρ ἂν ἀφρόνως ἀπὸ φρονήσεως, καὶ ἁμαρτάνειν ταὐτὰ ἅπερ ὁ ἄφρων. Εἰ δὲ ἁπλῆ ἦν ἑκάστου χρεία ᾗ ἕκαστον, κἂν φρονίμως ἔπραττον οὕτω πράττοντες.

4 πὶ μὲν οὖν ταῖς ἄλλαις ἐπιστήμαις ἄλλη κυρία ποιεῖ τὴν στροφήν· αὐτῆς δὲ τῆς πασῶν κυρίας τίς; οὐ γὰρ ἔτι ἐπιστήμη γε [ἢ νοῦς]. λλὰ μὴν οὐδ´ ἀρετή. Χρῆται γὰρ αὐτῇ. γὰρ τοῦ ἄρχοντος ἀρετὴ τῇ τοῦ ἀρχομένου χρῆται. 5 Τίς οὖν ἐστίν; ἢ ὥσπερ λέγεται ἀκρασία κακία τοῦ ἀλόγου τῆς ψυχῆς, καὶ ὡς ἀκόλαστος ὁ ἀκρατὴς ἔχων νοῦν; ἀλλ´ εἰ δή, ἂν ἰσχυρὰ ᾖ ἡ ἐπιθυμία, στρέψει καὶ λογιεῖται τἀναντία ἡ ** σφι **, δῆλον ὅτι, κἂν ἐν μὲν τούτῳ ἀρετή, ἐν δὲ τῷ λόγῳ ἄγνοια ᾖ, ἕτεραι μεταποιοῦνται. στε ἔσται δικαιοσύνῃ τὸ δικαίως χρῆσθαι καὶ κακῶς καὶ φρονήσει ἀφρόνως· ὥστε καὶ τἀναντία. τοπον γὰρ εἰ τὴν μὲν ἐν τῷ λογιστικῷ ἀρετὴν μοχθηρία ποτὲ ἐγγενομένη ἐν τῷ ἀλόγῳ στρέψει καὶ ποιήσει ἀγνοεῖν, ** ἡ δ´ ἀρετὴ ἐν τῷ ἀλόγῳ ** ἀγνοίας ἐνούσης οὐ στρέψει ταύτην, καὶ ποιήσει φρονίμως κρίνειν καὶ τὰ δέοντα, καὶ πάλιν ἡ φρόνησις ἡ ἐν τῷ λογιστικῷ τὴν ἐν τῷ ἀλόγῳ ἀκολασίαν σωφρόνως πράττειν· ὅπερ δοκεῖ ἡ ἐγκράτεια. στ´ ἔσται καὶ [ἡ] ἀπὸ ἀγνοίας φρονίμως.

6 στι δὲ ταῦτα ἄτοπα, ἄλλως τε καὶ ἀπὸ ἀγνοίας χρῆσθαι φρονίμως, τοῦτο γὰρ ἐπὶ τῶν ἄλλων οὐδεμιᾶς ὁρῶμεν, ὥσπερ τὴν ἰατρικὴν ἢ γραμματικὴν 〈οὐ〉 στρέφει ἀκολασία. λλ´ οὖν ὁ τὴν ἄγνοιαν, ἐὰν ᾖ ἐναντία, διὸ τὸ μὴ ἐνεῖναι τὴν ὑπεροχὴν ἀλλὰ τὴν ἀρετήν, ὅλως μᾶλλον εἶναι πρὸς τὴν κακίαν οὕτως ἔχουσαν. Καὶ γὰρ ὁ ἄδικος πάντα 〈ἃ〉 ὁ δίκαιος δύναται, καὶ ὅλως ἔνεστιν ἐν τῇ δυνάμει ἡ ἀδυναμία. 7 στε δῆλον ὅτι ἅμα φρόνιμοι καὶ ἀγαθαὶ ἐκεῖναι αἱ ἄλλου ἕξεις, καὶ ὀρθῶς τὸ Σωκρατικόν, ὅτι οὐδὲν ἰσχυρότερον φρονήσεως. λλ´ ὅτι ἐπιστήμην ἔφη, οὐκ ὀρθόν· ἀρετὴ γάρ ἐστι καὶ οὐκ ἐπιστήμη, ἀλλὰ γένος ἄλλο γνώς〈εως〉 **.

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1 Une question d'un autre ordre qu'on peut élever, c'est de savoir s'il est possible tout à la fois, et d'employer une chose à l'usage qui lui est naturellement propre, et de l'employer aussi à un autre usage; en d'autres termes, s'il est possible de s'en servir en soi, et de s'en servir indirectement. Je prends l'exemple de l'œil. Il est d'abord possible de l'employer pour voir, et, même en l'employant ainsi, de le contourner de façon à fausser la vision et avoir deux objets au lieu d'un. Ce sont déjà là deux usages de l'œil, l'un en tant qu'il est œil, et l'autre en tant que cet usage peut être encore celui de l'œil. Ainsi, il y a un autre emploi des choses, qui est tout indirect ; et ce serait, par exemple, pour l'estomac, tantôt de vomir et tantôt de manger.  2 Je pourrais faire une remarque semblable pour la science. Ainsi, il est possible de s'en servir tout à la fois, et d'une façon exacte, et d'une façon erronée ; tout en sachant bien écrire, on peut vouloir de son plein gré écrire mal ; et la science alors ne sert pas plus que l'ignorance. On dirait de ces danseuses qui, changeant l'emploi habituel de la. main, font de leurs pieds des mains, et de leurs mains des pieds. 3 A ce compte, si toutes les vertus ne sont que des sciences, comme on l'a dit, il serait possible d'employer la justice en guise de l'injustice. Par justice, on ferait des iniquités, comme tout à l'heure par la science, on ne faisait que des choses d'ignorance. Mais si c'est là une impossibilité manifeste, il n'est pas moins évident [1247] que les vertus ne sont pas des sciences, ainsi qu'on le prétend. Si, quand on dévoyé ainsi la science, on ne fait pas réellement œuvre d'ignorance, et si l'on commet seulement une faute volontaire, que l'ignorance pourrait bien commettre aussi sans le vouloir, il ne se peut pas davantage qu'on agisse par justice comme on agirait par iniquité. Mais, si la prudence est réellement une science, elle produira quelque chose de vrai, comme la science ; et elle commettra tout aussi bien qu'elle des erreurs volontaires ; car il se pourrait que, par prudence, on agit imprudemment, et qu'on commît précisément toutes les fautes que l'imprudent commettrait. Mais si l'usage de chaque chose était absolument simple, et qu'on ne pût employer une chose qu'en tant qu'elle est ce qu'elle est, on ne pourrait agir que prudemment en faisant usage de la prudence.

4 Pour toutes les autres sciences, il y a toujours une science supérieure qui détermine la direction principale des sciences subordonnées. Mais quelle est la science qui dirige cette science souveraine elle-même ? Ce n'est certes plus la science ou l'entendement; ce n'est pas davantage la vertu ; car cette maîtresse-science emploie la vertu elle-même, puisque la vertu de l'être qui commande, c'est de faire usage de la vertu de l'être qui obéit au commandement. 5 Encore une fois, quelle est donc cette science régulatrice ? En est-il ici, comme quand ou dit que l'intempérance est un vice de la partie irrationnelle de l'âme, et que l'intempérant, dont la raison sait ce qu'il fait, descend au niveau du débauché, qui l'ignore? Quand le désir est par trop violent, il bouleverse la raison, qui pense alors tout le contraire de ce qu'elle devrait penser.... Il est donc clair, que, si la vertu est dans cette partie de l'âme, et que l'ignorance soit dans la partie déraisonnable, les autres fonctions sont également renversées. On pourra, dès-lors, employer la justice avec iniquité et pour faire le mal ; on emploiera la prudence pour agir imprudemment. Mais, par suite, le contraire ne sera pas moins possible. En effet, si l'on suppose que le vice, en pénétrant dans la raison, puisse changer la vertu qui réside dans la partie rationnelle de l'âme, et la pousser à l'ignorance, il serait bien étrange que la vertu, à son tour, ne changeât pas l'ignorance qui est dans la partie déraisonnable, et ne la forçât pas de penser prudemment et d'accomplir le devoir. Réciproquement, la prudence, qui est dans la partie raisonnable, forcera la débauche, qui est dans la partie irrationnelle, à se conduire prudemment et avec modération, et à devenir ce qu'on nomme la tempérance. Par conséquent, l'ignorance deviendrait prudente et sage.

6 Mais toutes ces théories sont insoutenables ; et il est surtout absurde de croire que jamais l'ignorance puisse être sage et prudente. Nous ne voyons rien de pareil ailleurs ; et la débauche fait oublier et bouleverse tous les conseils de la médecine, et, dans l'occasion, toutes les régies de la grammaire... Ainsi donc l'un... l'ignorance... si elle est contraire... comme il n'y a pas la supériorité, mais la vertu... se rapportera plus au vice ainsi constitué. C'est qu'au fond l'homme injuste peut tout ce que peut l'homme juste ; et d'une manière générale, la puissance de ne pas faire est comprise dans la puissance de faire. 7 Nous pouvons donc conclure que les seules facultés de la partie raisonnable de l'âme sont tout à la fois prudentes et bonnes, et que Socrate avait bien raison de dire qu'il n'y a rien de plus fort que la prudence. Maie il n'était plus dans le vrai quand il disait qu'elle est une science ; elle est une vertu et non une science ; et la vertu est une espèce de connaissance toute différente de la science proprement dite ...

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Ch. XIII. § 1. Une Question d'un autre ordre. J'ai ajouté ces derniers mots, pour faire une sorte de transition; mais ce chapitre ne tient en rien ni à ce qui précède ni à ce qui suit. C'est évidemment une interpolation. Le désordre même qui se trouve dans tout le texte, prouve assez que ce morceau ne peut pas faire partie d'un ouvrage régulier. Je l'aurais entièrement retranché s'il n'était compris dans toutes les éditions. Je ne me suis pas cru autorisé à le supprimer, tout déplacé et tout insuffisant qu'il est. Quelques manuscrits, et quelques éditeurs à leur exemple, font ici un Huitième livre qui se compose de ce chapitre et des deux suivants. C'est le parti qu'a pris le dernier éditeur de la Morale à Eudème. M. A. Th. Fritzsch.

Je prends l'exemple de l'œil. On verra par les détails qui suivent que cet exemple est très-singulièrement choisi.

Pour l'estomac. J'ai ajouté ceci pour éclaircir la pensée.

§ 2. Une remarque semblable pour la science. L'exemple de la science n'est guère mieux choisi que celui de l'œil.

On dirait de ces danseuses. Autre comparaison des plus bizarres. Il s'agît de saltimbanques, qui marchent sur les mains, la tête en bas.

§ 3. Comme on l'a dit. C'est une des opinions de Socrate, réfutées plus d'une fois par Aristote dans ses ouvrages de morale.

La justice en guise de l'injustice. Idées étranges.

Une impossibilité manifeste. Et comme ce n'est qu'une hypothèse, c'est l'hypothèse qui est absurde, bien plus encore que le fait même n'est impossible.

De même encore si la prudence.... Le texte est évidemment trop altéré pour qu'il soit possible d'en tirer un sens raisonnable. Je donne la fin du chapitre telle que je la trouve dans toutes les éditions ; mais pu n'y peut découvrir aucune pensée satisfaisante.

§ 6. Ainsi donc l'un,... l'ignorance.... J'ai traduit ces fragments inintelligibles, comme tout le reste ; mais leur présence même dans le texte démontre bien toutes les altérations qu'il a subies. C'est là on des motifs les plus puissants pour croire que les trois livres communs de la Morale à Nicomaque et de la Morale à Eudème, ont été transportés de la première, qui est beaucoup plus complète, à la seconde qui l'est bien moins, plutôt que de la seconde à la première, comme l'ont cru quelques éditeurs. Voir la Dissertation préliminaire.

 

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