Aristote : Opuscules

ARISTOTE

OPUSCULES.

TRAITÉ DE LA DIVINATION DANS LE SOMMEIL.

Περὶ τῆς καθ΄ ὕπνον μαντικῆς
 

Traduction française : BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE.

 

 

 

PSYCHOLOGIE D'ARISTOTE

OPUSCULES

TRAITÉ DE LA DIVINATION DANS LE SOMMEIL.

 

 

 

 

 

PSYCHOLOGIE D'ARISTOTE

OPUSCULES

PLAN DU TRAITÉ DE LA DIVINATION DANS LE SOMMEIL.

Quant à la divination qu'on prétend tirer des rêves, il est presque aussi difficile de la dédaigner que d'y croire. Généralement on l'admet; et cette opinion semble, précisément parce qu'elle est si commune, mériter quelque attention ; car on ne peut supposer qu'elle ne se fonde point sur l'expérience. Mais pourtant la raison la repousse. Comment admettre, en effet, que les songes nous soient envoyés par la divinité, quand on voit les hommes les plus vulgaires recevoir cette faveur, dont sont privés les plus sages et les meilleurs? Une fois qu'on a écarté cette cause divine, il n'en. reste plus une seule qui puisse paraître de quelque poids. Les rêves ne peuvent donc être considérés que comme les causes de certains phénomènes, ou comme des signes, ou comme de simples coïncidences. En tant que causes, ils peuvent produire dans le corps certaines modifications; ou bien, comme signes, ils peuvent être les symptômes de quelques dispositions physiques auxquelles le médecin fera bien de s'attacher sérieusement. Il n'est pas même besoin d'être médecin, pour tirer de là des indications hygiéniques qui peuvent avoir de l'importance. Dans le sommeil, et par suite dans le rêve, les moindres sensations semblent considérables; et l'on y peut découvrir souvent, si on sait les interroger, le germe de maladies qui commencent , et qu'il est bon d'observer dès le début. D'autre part, on peut aussi supposer que certaines impressions reçues dans le rêve ont été causes de certaines actions qu'on accomplit ensuite dans la veille; à l'inverse , nous reproduisons souvent dans nos rêves ce qui nous a frappés durant le jour. Voilà comment les songes peuvent être pris pour des causes ou pour des signes de certains phénomènes; mais le plus ordinairement , les rêves ne sont que de pures coïncidences; vouloir y trouver autre chose, c'est s'abuser; et c'est là ce qui fait que la plupart des songes ne se réalisent pas.

Une autre preuve que les dieux n'ont rien à faire dans les songes, c'est qu'il y a des animaux qui rêvent; on ne peut certes pas dire que les dieux veulent révéler l'avenir à des brutes. Mais si l'on repousse l'intervention de la divinité, on peut admettre celle des génies, qui sont les guides de la nature entière.

D'autre part, des gens tout à fait inférieurs ont eu souvent des rêves qui se sont réalisés. Le tempérament peut jouer ici un grand rôle. Les gens qui ont beaucoup de rêves finissent par en avoir quelques-uns qui se réalisent; or, il n'y a là, je le répète encore, qu'une simple coïncidence, d'où l'on ne peut tirer aucune conséquence positive. Les signes mêmes des grands phénomènes naturels ne sont pas infaillibles : le vent, la pluie, n'ont pas toujours lieu, bien qu'ils aient été manifestement annoncés ; il n'y a donc rien d'étonnant que les signes des songes soient également irréguliers. Si les natures vulgaires ont pu voir quelquefois l'avenir en songe, c'est que ces âmes-là sont vides de toute idée; elles réfléchissent fort peu. Comme leur propre pensée ne les occupe pas, elles ressentent plus vivement dans la nuit, qui est toujours plus calme, les impressions qu'elles ont reçues pendant le jour; les mouvements qu'elles éprouvent produisent des images que ces gens-là appliquent ensuite à des cas analogues; et , parfois, il leur arrive de rencontrer juste. C'est ce que l'on peut remarquer aussi dans quelques tempéraments extatiques, où les mouvements propres sont très faibles, et qui sont très sensibles, par conséquent, aux mouvements étrangers. Si l'on prévoit quelquefois ce qui doit arriver à des personnes qu'on aime , c'est que, durant la veille, on est fort occupé d'elles; et, d'après les notions nombreuses et exactes qu'on en a, il est assez simple qu'on devine parfois ce qui les concerne. On comprend du reste sans peine quelle est l'habileté des gens qui expliquent les songes. Elle consiste uniquement à saisir les ressemblances. Ainsi quand les objets sont réfléchis dans un liquide agité, l'homme le plus habile à discerner les ressemblances sera celui qui, de ces traits épars et vacillants, reconstituera les objets entiers, ici un homme, là un cheval, ou tel autre objet. Voilà le rôle de l'interprète des songes; il reconstitue les idées entières sur les fragments incomplets que les songes nous présentent.

Telle est la nature du sommeil et du rêve; telle est l'explication de la divination tirée des songes. Occupons-nous maintenant du principe général de la locomotion dans les animaux, théorie qui a été exposée aussi dans le Traité de l'Âme.

CHAPITRE PREMIER.

Préjugés répandus généralement en faveur des rêves. – Il est absurde de croire qu'ils viennent de Dieu. – Les rêves peuvent être les signes des dispositions intérieures de notre corps ; et les médecins feraient très-bien d'y donner une sérieuse attention. – Les rêves peuvent, en outre, être la conséquence de certaines actions faites durant la veille, et, à leur tour aussi, déterminer quelques autres actions. – Pour tout le reste, ils ne sont que des coïncidences purement accidentelles.

[463a] § 1. Περὶ δὲ τῆς μαντικῆς τῆς ἐν τοῖς ὕπνοις γινομένης καὶ λεγομένης συμβαίνειν ἀπὸ τῶν ἐνυπνίων͵ οὔτε καταφρονῆσαι ῥᾴδιον οὔτε πεισθῆναι. § 2. Τὸ μὲν γὰρ πάντας ἢ πολλοὺς ὑπολαμβάνειν ἔχειν τι σημειῶδες τὰ ἐνύπνια παρέχεται πίστιν ὡς ἐξ ἐμπειρίας λεγόμενον͵ καὶ τὸ περὶ ἐνίων εἶναι τὴν μαντικὴν ἐν τοῖς ἐνυπνίοις οὐκ ἄπιστον· ἔχει γάρ τινα λόγον· διὸ καὶ περὶ τῶν ἄλλων ἐνυπνίων ὁμοίως ἄν τις οἰηθείη. § 3. Τὸ δὲ μηδεμίαν αἰτίαν εὔλογον ὁρᾶν καθ΄ ἣν ἂν γίνοιτο͵ τοῦτο δὴ ἀπιστεῖν ποιεῖ· τό τε γὰρ θεὸν εἶναι τὸν πέμποντα͵ πρὸς τῇ ἄλλῃ ἀλογίᾳ͵ καὶ τὸ μὴ τοῖς βελτίστοις καὶ φρονιμωτάτοις ἀλλὰ τοῖς τυχοῦσι πέμπειν ἄτοπον. § 4. Ἀφαιρεθείσης δὲ τῆς ἀπὸ τοῦ θεοῦ αἰτίας οὐδεμία τῶν ἄλλων εὔλογος εἶναι φαίνεται αἰτία· τοῦ γὰρ περὶ τῶν ἐφ΄ Ἡρακλείαις στήλαις ἢ τῶν ἐν Βορυσθένει προορᾶν τινας ὑπὲρ τὴν ἡμετέραν εἶναι δόξειεν ἂν σύνεσιν εὑρεῖν τὴν ἀρχήν.

§ 5. Ἀνάγκη δ΄ οὖν τὰ ἐνύπνια ἢ αἴτια εἶναι ἢ σημεῖα τῶν γινομένων ἢ συμπτώματα͵ ἢ πάντα ἢ ἔνια τούτων ἢ ἓν μόνον. Λέγω δ΄ αἴτιον μὲν οἷον τὴν σελήνην τοῦ ἐκλείπειν τὸν ἥλιον͵ καὶ τὸν κόπον τοῦ πυρετοῦ͵ σημεῖον δὲ τῆς ἐκλείψεως τὸ τὸν ἀστέρα εἰσελθεῖν͵ τὴν δὲ τραχύτητα τῆς γλώττης τοῦ πυρέττειν͵ σύμπτωμα δὲ τὸ βαδίζοντος ἐκλείπειν τὸν ἥλιον· οὔτε γὰρ [463a] σημεῖον τοῦ ἐκλείπειν τοῦτ΄ ἐστὶν οὔτ΄ αἴτιον͵ οὔθ΄ ἡ ἔκλειψις τοῦ βαδίζειν· διὸ τῶν συμπτωμάτων οὐδὲν οὔτε ἀεὶ γίνεται͵ οὔθ΄ ὡς ἐπὶ τὸ πολύ.

§ 6. Ἆρ΄ οὖν ἐστι τῶν ἐνυπνίων τὰ μὲν αἴτια͵ τὰ δὲ σημεῖα͵ οἷον τῶν περὶ τὸ σῶμα συμβαινόντων; λέγουσι γοῦν καὶ τῶν ἰατρῶν οἱ χαρίεντες ὅτι δεῖ σφόδρα προσέχειν τοῖς ἐνυπνίοις· εὔλογον δὲ οὕτως ὑπολαβεῖν καὶ τοῖς μὴ τεχνίταις μέν͵ σκοπουμένοις δέ τι καὶ φιλοσοφοῦσιν. § 7. Αἱ γὰρ μεθ΄ ἡμέραν γινόμεναι κινήσεις͵ ἂν μὴ σφόδρα μεγάλαι ὦσι καὶ ἰσχυραί͵ λανθάνουσι παρὰ μείζους τὰς ἐγρηγορικὰς κινήσεις͵ ἐν δὲ τῷ καθεύδειν τοὐναντίον· καὶ γὰρ αἱ μικραὶ μεγάλαι δοκοῦσιν εἶναι. Δῆλον δ΄ ἐπὶ τῶν συμβαινόντων κατὰ τοὺς ὕπνους πολλάκις· οἴονται γὰρ κεραυνοῦσθαι καὶ βροντᾶσθαι μικρῶν ἤχων ἐν τοῖς ὠσὶ γινομένων͵ καὶ μέλιτος καὶ γλυκέων χυμῶν ἀπολαύειν ἀκαριαίου φλέγματος καταρρέοντος͵ καὶ βαδίζειν διὰ πυρὸς καὶ θερμαίνεσθαι σφόδρα μικρᾶς θερμασίας περί τινα μέρη γινομένης͵ ἐπεγειρομένοις δὲ ταῦτα φανερὰ τοῦτον ἔχοντα τὸν τρόπον· § 8. ὥστ΄ ἐπεὶ μικραὶ πάντων αἱ ἀρχαί͵ δῆλον ὅτι καὶ τῶν νόσων καὶ τῶν ἄλλων παθημάτων τῶν ἐν τοῖς σώμασι μελλόντων γίνεσθαι. Φανερὸν οὖν ὅτι ταῦτα ἀναγκαῖον ἐν τοῖς ὕπνοις εἶναι καταφανῆ μᾶλλον ἢ ἐν τῷ ἐγρηγορέναι.

§ 9. Ἀλλὰ μὴν καὶ ἔνιά γε τῶν καθ΄ ὕπνον φαντασμάτων αἴτια εἶναι τῶν οἰκείων ἑκάστῳ πράξεων οὐκ ἄλογον· ὥσπερ γὰρ μέλλοντες πράττειν ἢ ἐν ταῖς πράξεσιν ὄντες ἢ πεπραχότες πολλάκις εὐθυονειρίᾳ ταύταις σύνεσμεν καὶ πράττομεν (αἴτιον δ΄ ὅτι προωδοποιημένη τυγχάνει ἡ κίνησις ἀπὸ τῶν μεθ΄ ἡμέραν ἀρχῶν)͵ οὕτω πάλιν ἀναγκαῖον καὶ τὰς καθ΄ ὕπνον κινήσεις πολλάκις ἀρχὰς εἶναι τῶν μεθ΄ ἡμέραν πράξεων διὰ τὸ προωδοποιῆσθαι πάλιν καὶ τούτων τὴν διάνοιαν ἐν τοῖς φαντάσμασι τοῖς νυκτερινοῖς.

§ 10. Οὕτω μὲν οὖν ἐνδέχεται τῶν ἐνυπνίων ἔνια καὶ σημεῖα καὶ αἴτια εἶναι.

§ 11. Τὰ δὲ πολλὰ [463b] συμπτώμασιν ἔοικε͵ μάλιστα δὲ τά τε ὑπερβατὰ πάντα καὶ ὧν μὴ ἐν αὑτοῖς ἡ ἀρχή͵ ἀλλὰ περὶ ναυμαχίας καὶ τῶν πόρρω συμβαινόντων ἐστίν· περὶ γὰρ τούτων τὸν αὐτὸν τρόπον ἔχειν εἰκὸς ὃν ὅταν μεμνημένῳ τινὶ περί τινος τυχῇ τοῦτο γιγνόμενον· τί γὰρ κωλύει καὶ ἐν τοῖς ὕπνοις οὕτως; μᾶλλον δ΄ εἰκὸς πολλὰ τοιαῦτα συμβαίνειν. Ὥσπερ οὖν οὐδὲ τὸ μνησθῆναι περὶ τοῦδε σημεῖον οὐδὲ αἴτιον τοῦ παραγενέσθαι αὐτόν͵ οὕτως οὐδ΄ ἐκεῖ τοῦ ἀποβῆναι τὸ ἐνύπνιον τῷ ἰδόντι οὔτε σημεῖον οὔτ΄ αἴτιον͵ ἀλλὰ σύμπτωμα. Διὸ καὶ πολλὰ τῶν ἐνυπνίων οὐκ ἀποβαίνει· τὰ γὰρ συμπτώματα οὔτε ἀεὶ οὔθ΄ ὡς ἐπὶ τὸ πολὺ γίγνεται.

[463a] § 1. Quant à la divination qui nous vient dans le sommeil, et qui peut, dit-on, se tirer des rêves, il est également embarassant et de la dédaigner et d'y croire. §2. D'un côté, l'opinion générale, ou du moins l'opinion fort commune, c'est que les songes ont un sens ; et cette croyance semble ainsi mériter quelque attention, parce qu'elle paraît fondée sur l'expérience. Par là on peut se laisser aller à croire que la divination au moyen des songes a lieu dans certains cas ; et une fois qu'on admet qu'il y a en ceci quelque apparence de raison, on n'est pas loin de supposer qu'il en peut être de même de tous les autres songes. §3. D'autre part, comme on ne voit aucune cause qui, raisonnablement, puisse justifier cette opinion, on est poussé à n'y pas ajouter foi ; car, en supposant que ce soit Dieu qui les envoie, voici une première absurdité, sans parler de bien d'autres encore : ces révélations sont accordées, non pas aux hommes les plus sages et les meilleurs, mais aux premiers venus. §4. Une fois qu'on a écarté cette cause, toute divine, des songes, il n'en reste pas une seule parmi toutes les autres, qui doive paraître admissible ; car, que l'on puisse croire qu'il y a des gens qui voient ce qui se passe aux Colonnes d'Hercule ou sur les rives du Borysthène, c'est là ce qui dépasse notre intelligence, et nous renonçons à expliquer d'où viennent de telles croyances.

§5. Il faut donc ou que les rêves soient la cause de certains phénomènes, ou qu'ils en soient les signes, ou enfin qu'ils soient de simples coïncidences ; ils peuvent être tout cela, ou seulement quelques-unes de ces choses, ou même n'en être qu'une seule. Quand je dis cause, j'entends, par exemple, que la lune est cause des éclipses du soleil, et que la courbature est cause de la fièvre. Le signe de l'éclipse, c'est que l'astre entre dans le disque du soleil ; le signe de la fièvre, c'est que la langue est rude et amère. Enfin, la simple coïncidence, c'est que le soleil s'éclipse au moment où je marche. En effet, cette dernière circonstance n'est ni le signe ni la cause de l'éclipse, pas plus que l'éclipse n'est la cause qui fait que je marche. Voilà pourquoi la coïncidence n'est jamais ni perpétuelle, ni même ordinaire.

§6. Mais, parmi les songes, quelques-uns ne peuvent-ils pas être les causes, et d'autres, les signes, par exemple, de ce qui se passe dans le corps ? Aussi, même les médecins habiles prétendent-ils qu'il faut donner la plus sérieuse attention aux rêves. C'est là encore un genre d'observation que peuvent très raisonnablement faire ceux qui, sans être versés dans l'art médical, savent observer les choses d'une manière vraiment philosophique. §7. Les mouvements de cette nature, en effet, qui se produisent en nous durant le jour, à moins qu'ils ne soient très-considérables et très-violents, disparaissent et nous échappent à côté des mouvements bien autrement forts que la veille produit. Dans le sommeil, c'est tout le contraire ; alors les plus petits mouvements paraissent énormes ; et ce qui le prouve, c'est ce qui arrive souvent dans cet état. On s'imagine entendre la foudre et les éclats du tonnerre, parce qu'un tout petit bruit s'est produit dans les oreilles ; on s'imagine sentir du miel et les saveurs les plus douces, parce qu'une gouttelette imperceptible d'humeur vient à couler sur la langue. On croit traverser des brasiers et être brûlé, parce qu'on a quelque petite cuisson dans une partie quelconque du corps. On reconnaît sans peine toutes ces illusions quand on se réveille. §8. Or, comme les débuts de toutes choses sont toujours très-faibles, les commencements des maladies et de toutes les affections que le corps doit subir, le sont également ; et il est évident que tous ces légers symptômes doivent être nécessairement plus clairs dans le sommeil que dans la veille.

§9. Il n'est pas plus absurde de supposer que quelquefois des visions qui se montrent dans le sommeil, aient été cause de certaines actions personnelles à chacun de nous. Ainsi, soit avant un acte que nous devons accomplir, soit pendant que nous l'accomplissons, ou après que nous l'avons accompli, nous y pensons souvent, et le faisons dans des rêves qui s'y rapportent exactement. Ce qui est tout simple, puisque le mouvement a été préparé par les éléments mêmes recueillis durant le jour. En prenant l'inverse de ceci, il est encore également nécessaire que les mouvements qui se passent dans le sommeil, soient souvent le principe de certaines actions que nous faisons pendant le jour, parce que déjà la première idée de ces choses s'est présentée à nous durant les rêves de la nuit.

§10. Voilà comment les rêves peuvent être parfois les causes ou les signes de certaines choses.

§11. Mais la plupart [463b] ne sont que des coïncidences toutes fortuites ; et surtout ceux qui sortent du cercle ordinaire des choses, et dont le principe n'est pas en nous ; par exemple, ceux qui nous retracent des combats de mer et des évènements arrivés dans des lieux éloignés. Il en doit être dans tous ces cas probablement comme quand on ses souvient d'une chose, et que cette chose arrive précisément à ce moment même. Pourquoi, en effet, n'en serait-il pas de même dans les rêves ? Loin de là, il est très vraisemblable que bien souvent les choses se passent ainsi. De même donc que se souvenir de quelqu'un, ce n'est ni le signe ni la cause que cette personne approche, de même non plus le rêve ne saurait être pour celui qui le voit, ni un signe ni une cause de la réalité qui vient à la suite ; ce n'est qu'une coïncidence. Aussi, bien des rêves ne se réalisent-ils pas, parce que, je le répète, les coïncidences accidentelles ne sont jamais ni perpétuelles, ni même ordinaires.

§ 1. Egalement embarassant. Dans le cours du traité, Aristote se prononce contre la divination plus nettement qu'il ne le fait ici. Mais on ne doit pas s'étonner qu'un philosophe se soit préoccupé de ce sujet. Du temps d'Aristote, c'était une croyance fort répandue, comme il le remarque lui-même, et l'on peut ajouter qu'elle l'était parmi les gens les plus éclairés. Il suffit de lire Xénophon et l'Anabase, liv. I, chap. VII ; III, 1 ; IV, 3 ; V, 6 et VI, 1. Dans l'Odyssée, on peut voir l'importance donnée au songe de Pénélope, chant XIX, v. 540 et suiv. Dans l'Iliade, chant II, v. 6, le songe vient de la part de Jupiter visiter Agamemnon.

 – Platon, en rapportant ce passage dans la République, liv. II, p. 120 de la trad. de M. Cousin, semble blâmer cette superstition. Elle n'en était pas moins très-autorisée et très-répandue. Dans la Bible, on sait quel rôle jouaient également les songes, témoin celui de Pharaon et tant d'autres. Dans le Deutéronome, XIII, 1, il est ordonné de tuer les faux prophètes et les interprètes des songes qui s'élèvent contre la doctrine de Dieu. Au Moyen Age, Saint Thomas, dans sa Somme, secunda secundae, questio 95, autorise la divination, pourvu qu'elle soit faite à bonne intention, et qu'on ne s'entende pas avec le démon. De nos jours, cette superstition n'est pas détruite. Aristote a donc bien fait de la combattre de son temps. Une chose assez singulière, c'est que Cicéron, qui, dans son Traité de la Divination, est du même avis qu'Aristote, ne semble pas avoir connu son traité. On ne saurait cependant douter que cet ouvrage ne soit authentique. – Platon paraît avoir cru à la possibilité de la divination ; voir le Timée, p. 201, trad. de M. Cousin.

§ 2. L'opinion générale. Il y a donc quelque courage à s'élever contre un préjugé si répandu.

§ 3. Car en supposant. La raison que donne ici Aristote est aussi simple que puissante ; voir plus bas, ch. II, §1, une autre objection non moins forte.

§4. De telles croyances, ou "de tels faits" : le texte est complètement indéterminé. J'ai préféré le sens de "croyances" pour que la réprobation d'Aristote fût encore plus directe.

§5. De certains phénomènes. J'ai pris ce terme un peu vague, afin qu'il pût s'adapter aux pensées qu'Aristote doit développer plus bas, §6 et suiv.

-- La lune est cause des éclipses de soleil. Dans les Derniers Analytiques, II, XVI, 1, Aristote attribue les éclipses de soleil à l'interposition de la terre entre le soleil et la lune.

-- Entre dans le disque du soleil. Le texte est moins explicite. – Pour la définition du Signe, voir les Premiers Analytiques, II, XXVII, 2 et suiv.

§6. Par exemple. Voir aussi plus bas, §9.

-- Les médecins habiles. Aujourd'hui la médecine néglige à peu près complètement les signes de maladie qu'on pourrait tirer de la nature des rêves : évidemment c'est un tort, et le conseil que donne Aristote est excellent. L'état général du corps et de la santé influe beaucoup sur les rêves.

-- Sans être versés. Quelques éditions retranchent à tort la négation.

§7. Disparaissent et nous échappent. Voir plus haut, Traité des Rêves, ch. III, §2 et 14, une observation analogue.

-- Un tout petit bruit. Observation très-exacte : on sait assez quels sont les effets du cauchemar, quand il est causé par quelque objet matériel qui presse l'une des parties de notre corps.

§8. Sont toujours très-faibles. Voir la même idéeautrement appliquée, Réfutation des Sophistes, ch. XXIV, §6.

§9. Il n'est pas plus absurde. Les rapports de nos actions pendant la veille à nos rêves pendant la nuit, et des rêves aux actions, sont très-exacts ; et l'on peut les observer très-fréquemment.

§10. Les causes ou les signes. Voir plus haut, §5.

§11. Du cercle ordinaire des choses. Le texte n'est pas tout à fait aussi précis dans ce passage entier.

-- Quand on se souvient d'une chose, ou "d'une personne", comme semble l'indiquer la suite du contexte.

-- Dans les rêves. Mot à mot : "Dans les sommeils".

-- De la réalité qui vient à la suite. Le texte est un peu moins développé.

-- Je le répète. Voir plus haut, §5 à la fin.
 

 

CHAPITRE II.

Les rêves dans les animaux et dans les hommes inférieurs prouvent bien que les rêves en général ne viennent pas de la divinité : rêves fréquents des mélancoliques. – Intervention du hasard, même dans les phénomènes célestes. – Réfutation d'une opinion de Démocrite : autre hypothèse proposée pour certains rêves. – Rêves et prévisions de quelques extatiques. – Règles de l'interprétation des rêves : qualité d'esprit que cette explication exige.

§ 1. Ὅλως δὲ ἐπεὶ καὶ τῶν ἄλλων ζῴων ὀνειρώττει τινά͵ θεόπεμπτα μὲν οὐκ ἂν εἴη τὰ ἐνύπνια͵ οὐδὲ γέγονε τούτου χάριν (δαιμόνια μέντοι· ἡ γὰρ φύσις δαιμονία͵ ἀλλ΄ οὐ θεία). § 2. Σημεῖον δέ· πάνυ γὰρ εὐτελεῖς ἄνθρωποι προορατικοί εἰσι καὶ εὐθυόνειροι͵ ὡς οὐ θεοῦ πέμποντος͵ ἀλλ΄ ὅσων ὥσπερ ἂν εἰ λάλος ἡ φύσις ἐστὶ καὶ μελαγχολική͵ παντοδαπὰς ὄψεις ὁρῶσιν· διὰ γὰρ τὸ πολλὰ καὶ παντοδαπὰ κινεῖσθαι ἐπιτυγχάνουσιν ὁμοίοις θεωρήμασιν͵ ἐπιτυχεῖς ὄντες ἐν τούτοις ὥσπερ ἔνιοι ἀρτιάζοντες· ὥσπερ γὰρ καὶ λέγεται ἂν πολλὰ βάλλῃς͵ ἄλλοτ΄ ἀλλοῖον βαλεῖς͵ καὶ ἐπὶ τούτων τοῦτο συμβαίνει.

§ 3. Ὄτι δ΄ οὐκ ἀποβαίνει πολλὰ τῶν ἐνυπνίων͵ οὐδὲν ἄτοπον· οὐδὲ γὰρ τῶν ἐν τοῖς σώμασι σημείων καὶ τῶν οὐρανίων͵ οἷον τὰ τῶν ὑδάτων καὶ τὰ τῶν πνευμάτων (ἂν γὰρ ἄλλη κυριωτέρα ταύτης συμβῇ κίνησις͵ ἀφ΄ ἧς μελλούσης ἐγένετο τὸ σημεῖον͵ οὐ γίνεται)͵ καὶ πολλὰ βουλευθέντα καλῶς τῶν πραχθῆναι δεόντων διελύθη δι΄ ἄλλας κυριωτέρας ἀρχάς. § 4. Ὅλως γὰρ οὐ πᾶν γίνεται τὸ μελλῆσαν͵ οὐδὲ τὸ αὐτὸ τὸ ἐσόμενον καὶ τὸ μέλλον· ἀλλ΄ ὅμως ἀρχάς γέ τινας λεκτέον εἶναι ἀφ΄ ὧν οὐκ ἐπετελέσθη͵ καὶ σημεῖα πέφυκε ταῦτά τινων οὐ γενομένων. § 5. Περὶ δὲ τῶν μὴ τοιαύτας [464a] ἐχόντων ἀρχὰς ἐνυπνίων οἵας εἴπομεν͵ ἀλλ΄ ὑπερορίας ἢ τοῖς χρόνοις ἢ τοῖς τόποις ἢ τοῖς μεγέθεσιν͵ ἢ τούτων μὲν μηδέν͵ μὴ μέντοι γε ἐν αὑτοῖς ἐχόντων τὰς ἄρχας τῶν ἰδόντων τὸ ἐνύπνιον͵ εἰ μὴ γίνεται τὸ προορᾶν ἀπὸ συμπτώματος͵ τοιόνδ΄ ἂν εἴη μᾶλλον ἢ ὥσπερ λέγει Δημόκριτος εἴδωλα καὶ ἀπορροίας αἰτιώμενος. § 6. Ὥσπερ γὰρ ὅταν κινήσῃ τι τὸ ὕδωρ ἢ τὸν ἀέρα͵ τοῦθ΄ ἕτερον ἐκίνησε͵ καὶ παυσαμένου ἐκείνου συμβαίνει τὴν τοιαύτην κίνησιν προϊέναι μέχρι τινός͵ τοῦ κινήσαντος οὐ πάροντος͵ οὕτως οὐδὲν κωλύει κίνησίν τινα καὶ αἴσθησιν ἀφικνεῖσθαι πρὸς τὰς ψυχὰς τὰς ἐνυπνιαζούσας (ἀφ΄ ὧν ἐκεῖνος τὰ εἴδωλα ποιεῖ καὶ τὰς ἀπορροίας)͵ καὶ ὅποι δὴ ἔτυχεν ἀφικνουμένας μᾶλλον αἰσθητὰς εἶναι νύκτωρ διὰ τὸ μεθ΄ ἡμέραν φερομένας διαλύεσθαι μᾶλλον (ἀταραχωδέστερος γὰρ ὁ ἀὴρ τῆς νυκτὸς διὰ τὸ νηνεμωτέρας εἶναι τὰς νύκτας)͵ καὶ ἐν τῷ σώματι ποιεῖν αἴσθησιν διὰ τὸν ὕπνον͵ διὰ τὸ καὶ τῶν μικρῶν κινήσεων τῶν ἐντὸς αἰσθάνεσθαι καθεύδοντας μᾶλλον ἢ ἐγρηγορότας. § 7. Αὗται δ΄ αἱ κινήσεις φαντάσματα ποιοῦσιν͵ ἐξ ὧν προορῶσι τὰ μέλλοντα καὶ περὶ τῶν τοιούτων͵ καὶ διὰ ταῦτα συμβαίνει τὸ πάθος τοῦτο τοῖς τυχοῦσι καὶ οὐ τοῖς φρονιμωτάτοις. Μεθ΄ ἡμέραν τε γὰρ ἐγίνετ΄ ἂν καὶ τοῖς σοφοῖς͵ εἰ θεὸς ἦν ὁ πέμπων· § 8. οὕτω δ΄ εἰκὸς τοὺς τυχόντας προορᾶν· ἡ γὰρ διάνοια τῶν τοιούτων οὐ φροντιστική͵ ἀλλ΄ ὥσπερ ἔρημος καὶ κενὴ πάντων͵ καὶ κινηθεῖσα κατὰ τὸ κινοῦν ἄγεται.

§ 9. Τοῦ δ΄ ἐνίους τῶν ἐκστατικῶν προορᾶν αἴτιον ὅτι αἱ οἰκεῖαι κινήσεις οὐκ ἐνοχλοῦσιν ἀλλ΄ ἀπορραπίζονται· τῶν ξενικῶν οὖν μάλιστα αἰσθάνονται. § 10. Τὸ δέ τινας εὐθυονείρους εἶναι καὶ τὸ τοὺς γνωρίμους περὶ τῶν γνωρίμων μάλιστα προορᾶν συμβαίνει διὰ τὸ μάλιστα τοὺς γνωρίμους ὑπὲρ ἀλλήλων φροντίζειν· ὥσπερ γὰρ πόρρω ὄντων τάχιστα γνωρίζουσι καὶ αἰσθάνον ται͵ οὕτω καὶ τῶν κινήσεων· αἱ γὰρ τῶν γνωρίμων γνωριμώτεραι. § 11. Οἱ δὲ μελαγχολικοὶ διὰ τὸ σφοδρόν͵ ὥσπερ βάλλοντες πόρρωθεν͵ εὔστοχοί εἰσιν͵ καὶ διὰ τὸ [464b] μεταβλητικὸν ταχὺ τὸ ἐχόμενον φαντάζεται αὐτοῖς· ὥσπερ γὰρ τὰ Φιλαινίδος ποιήματα καὶ οἱ ἐμμανεῖς ἐχόμενα τοῦ ὁμοίου λέγουσι καὶ διανοοῦνται͵ οἷον Ἀφροδίτην φροδίτην͵ καὶ οὕτω συνείρουσιν εἰς τὸ πρόσω. Ἔτι δὲ διὰ τὴν σφοδρότητα οὐκ ἐκκρούεται αὐτῶν ἡ κίνησις ὑφ΄ ἑτέρας κινήσεως.

§ 12. Τεχνικώτατος δ΄ ἐστὶ κριτὴς ἐνυπνίων ὅστις δύναται τὰς ὁμοιότητας θεωρεῖν· τὰς γὰρ εὐθυονειρίας κρίνειν παντός ἐστιν. Λέγω δὲ τὰς ὁμοιότητας͵ ὅτι παραπλήσια συμβαίνει τὰ φαντάσματα τοῖς ἐν τοῖς ὕδασιν εἰδώλοις͵ καθάπερ καὶ πρότερον εἴπομεν. Ἐκεῖ δέ͵ ἂν πολλὴ γίγνηται ἡ κίνησις͵ οὐδὲν ὁμοία γίνεται ἡ ἔμφασις καὶ τὰ εἴδωλα τοῖς ἀληθινοῖς. Δεινὸς δὴ τὰς ἐμφάσεις κρίνειν εἴη ἂν ὁ δυνάμενος ταχὺ διαισθάνεσθαι καὶ συνορᾶν τὰ διαπεφορημένα καὶ διεστραμμένα τῶν εἰδώλων͵ ὅτι ἐστὶν ἀνθρώπου ἢ ἵππου ἢ ὁτουδήποτε͵ κἀκεῖ δὴ ὁμοίως τί δύναται τὸ ἐνύπνιον τοῦτο. Ἡ γὰρ κίνησις ἐκκόπτει τὴν εὐθυονειρίαν.

§ 13. Τί μὲν οὖν ἐστιν ὕπνος καὶ τί ἐνύπνιον͵ καὶ διὰ τίν΄ αἰτίαν ἑκάτερον αὐτῶν γίνεται͵ ἔτι δὲ περὶ τῆς ἐκ τῶν ἐνυπνίων μαντείας εἴρηται περὶ πάσης· [περὶ δὲ κινήσεως τῆς κοινῆς τῶν ζῴων λεκτέον.]

§1. Ajoutons cette autre observation générale : comme il y a aussi des animaux qui rêvent, on ne saurait dire que les songes leur soient envoyés par la divinité ; ou du moins s'ils le sont, ce n'est certainement pas pour leur réveler l'avenir. Mais ces songes seront, si l'on veut, l'oeuvre des génies, et n'est point divine. §2. Ce qui prouve encore ceci, c'est qu'il y a des gens tout à fait inférieurs qui ont en songe des révélations de l'avenir, et dont les rêves se réalisent ; certes ce n'est pas la divinité qui les leur envoie. Mais tous les hommes dont la nature est à la fois bavarde et mélancolique, ont très souvent des visions de tout genre. Comme ils ont des émotions nombreuses et de diverses natures, ils finissent, dans leurs songes, par en rencontrer quelques-unes qui se rapportent à la réalité, pareils à ces joueurs qui doublant toujours finissent par gagner. C'est le cas du proverbe : "Si vous lancez beaucoup de flèches, vous finirez toujours par attraper quelque chose." Ici, il en est absolument de même.

§3. Il n'y a donc rien d'étonnant que beaucoup de rêves ne se réalisent point. C'est ce qui arrive même pour les signes célestes, qui ne se réalisent pas toujours dans les grands corps de la nature ; par exemple, les signes des pluies et des vents. En effet, s'ils survient quelque mouvement plus fort que le mouvement antérieur, qui produisait le signe quand il devait agir, ce mouvement ne se réalise pas. C'est ainsi que souvent les plus belles résolutions qui réglaient notre conduite, doivent céder devant des considérations plus fortes. §4. En général tout ce qui doit arriver n'arrive pas toujours ; et ce qui sera n'est pas du tout la même chose que ce qui doit être. Mais, tout ce que l'on peut dire, c'est que ce sont là des principes d'où il n'est rien sorti, et qu'ils sont les signes de choses qui ne sont pas arrivées. §5. Quant aux songes qui ne viennent pas [464a] des causes que nous avons indiquées, mais qui se rapportent à des temps, des distances, et des grandeurs qu'on ne peut mesurer, ou qui, même sans avoir aucun de ces caractères, ont apparu à des personnes qui n'en avaient pas en elles-mêmes les principes, il faut dire que, si les prévisions de ce genre ne sont pas de pures coïncidences, l'explication suivante est du moins plus admissible que celle de Démocrite, recourant à des copies et à des émanations des choses. §6. Ainsi, quand on agite l'eau ou l'air, l'air et l'eau peuvent communiquer le mouvement à quelque autre objet ; et quand le mouvement initial s'est arrêté, le second peut se propager jusqu'à un certain point, bien que le moteur ait cessé d'agir. De même, il se peut fort bien que certain mouvement, certaine sensation, parvienne jusqu'aux âmes durant les rêves ; et de là Démocrite tire ses copies et ses émanations des choses ; et ces mouvements, de quelque façon qu'ils arrivent à l'âme, sont plus sensibles durant la nuit. Dans la journée, au contraire, ils se dissipent aisément, tandis que l'air est de nuit moins agité que de jour ; les nuits étant plus calmes, ces mouvements font alors impression sur le corps à cause du sommeil, parce que les petites sensations intérieures se sentent mieux quand on dort que quand on est éveillé. §7. Ce sont précisément ces mouvements qui produisent des images, à l'aide desquelles on prévoit ce qui doit advenir dans les cas analogues ; et voilà comment les affections de ce genre se rencontrent chez les premiers venus indistinctement, et ne sont pas réservés aux plus sensés des hommes ; car elles viendraient pendant le jour, et elles viendraient aux sages, si c'était Dieu qui les envoyait. §8. Voilà, selon toute apparence, comment les gens les plus vulgaires peuvent prévoir l'avenir ; car la pensée de ces gens-là n'est guère portée à la reflexion ; mais elle est comme déserte, et vide de toute idée ; et quand elle vient à être mise en mouvement, elle subit aveuglément l'impulsion du moteur qui la pousse.

§9. Ce qui fait encore que quelques hommes, sujets aux transports extatiques, ont des prévisions de l'avenir, c'est que les mouvements qui leur sont personnels ne les troublent pas, mais sont en eux comme réduits en pièce ; et ces gens-là sont plus disposés à sentir les mouvements qui leur sont étrangers. §10. S'il y a quelques personnes dont les songes se réalisent, et si des amis prévoient surtout ce qui concerne leurs amis, cela vient de ce que les gens qui se connaissent pensent davantage les uns aux autres. Et de même que tout éloignés qu'ils sont, on les reconnaît mieux que d'autres personnes, de même l'on sent ainsi même leurs mouvements ; car les mouvements des personnes connues sont aussi plus reconnaissables. §11. Quant aux mélancoliques, on dirait, à cause même de la violence de leurs sensations, que tout en tirant plus loin, ils atteignent le but plus sûrement ; et que, [464b] par la mobilité extrême qui est en eux, leur imagination crée sur-le-champ tout ce qui doit suivre. C'est comme pour les poëmes de Philaegide : ceux qu'ils transportent prédisent et imaginent les conséquences d'un cas analogue ; et pour eux, c'est comme Vénus même. C'est ainsi que les mélancoliques aussi rattachent les choses qui suivent aux précédentes ; mais à cause de sa violence même, le mouvement ne peut être chez eux vaincu par un autre mouvement.

§12. Du reste, l'interprète le plus habile des songes, est celui qui sait le mieux en reconnaître les ressemblances ; car tout le monde pourrait expliquer des songes qui reproduisent exactement les choses. Je dis les ressemblances, parce que les images des rêves sont à peu près comme les représentations d'objets dans l'eau, ainsi que nous l'avons déjà dit : quand le mouvement du liquide est violent, la représentation exacte ne se produit pas, et la copie ne ressemble pas du tout à l'original. Dans ce cas, l'homme habile à juger les apparences serait celui qui pourrait le plus promptement démêler et reconnaître, dans ces représentations tout oscillantes et toutes disloquées, que telle image est celle d'un homme, telle autre celle d'un cheval, ou celle de tout autre objet. Le songe produit ici un effet à peu près semblable ; le mouvement brise le rêve et l'empêche d'être l'exacte copie des choses.

§13. Telle est donc la nature du sommeil et du rêve ; telles sont les causes qui produisent l'un et l'autre ; telle est enfin l'explication de la divination tirée des songes.

§1. Il y a des animaux qui rêvent. Voir plus haut, ch. I, §3.

-- Pour leur réveler l'avenir. Le texte dit seulement "Pour cela".

-- L'oeuvre des génies ... conduite par des génies. Aristote semblerait ici se rapprocher des opinions du Timée ; voir la traduction de M. Cousin, p. 137 et suiv. Voir aussi la Métaphysique, XII, VIII.

§2. Ce qui prouve encore ceci. C'est-à-dire que les songes ne sont pas envoyés par la divinité. – Léonicus, qui croit, avec l'orthodoxie, aux songes envoyés par Dieu, suppose qu'Aristote a connu en partie cette vérité, et il appuie cette conjecture sur le paragraphe précédent et sur l'intervention des génies : il accumule en outre des preuves nombreuses, pour démontrer que toute l'Académie et l'Ecole Néoplatonicienne surtout, ont admis l'origine divine des songes ; et il cite l'opinion de Psellus, qui soutient que les génies ne se communiquent qu'à ceux qui en sont dignes ; voir plus haut, ch. I, §1. n.

-- Tout à fait inférieurs. Voir, id., §3.

-- Ces joueurs qui doublant toujours. J'adopte la leçon de l'édition de Berlin. Quelques manuscrits portent une leçon différente : "Ceux qui finissent par l'emporter dans la lutte". Le sens reste au fond tout à fait le même, et il est assez clair.

-- Par attraper quelque chose. J'ai pris cette tournure familière pour conserver les allures vulgaires du proverbe.

-- Ici. c'est à dire dans le cas des mélancoliques.

§3. Dans les grands corps de la nature. Le texte dit seulement : "Dans les corps".

Les plus belles résolutions. Cette comparaison toute morale a ici quelque chose qui étonne.

§4. Tout ce qui doit arriver. L'expression n'a peut-être pas ici toute la netteté désirable, bien que la pensée se comprenne fort bien : il aurait fallu paraphraser le texte pour le rendre plus précis.

-- Ce sont là des faits qui ne portent pas leurs conséquences naturelles et présumées.

§5. Que nous avons indiquées, dans le chapitre précédent, §6.

-- Des temps, des distances. Voir plus haut, ch. I, §4.

-- Sans avoir aucun de ces caractères. Le texte dit : "Sans être aucune de ces choses".

-- Celle de Démocrite. Voir les fragments de Démocrite, édition de Mullach, p. 408. On a souvent rappelé cette opinion de Démocrite.

§6. Ainsi quand on agite l'eau ou l'air. Aristote a déjà employé une comparaison analogue, Traité des Rêves, ch. III, §4.

Certain mouvement, certaine sensation. Aristote donnerait ainsi une cause presque toute extérieure aux rêves ; voir plus haut, ch. III, §1 et suiv.

-- De quelque façon, ou "en quelque lieu". J'ai préféré le premier sens comme étant plus d'accord avec le contexte.

-- Soient plus sensibles durant la nuit.Voir plus haut, ch. I, §7, et le Traité des Rêves, ch. III, §2.

§7. Aux plus sensés des hommes. Voir plus haut, §2.

§8. La pensée de ces gens-là ... aveuglément. Voir un peu plus haut, §11, ce qui est dit des mélancoliques.

§9. Aux transports extatiques. On voit qu'Aristote prend ici le mot d'extase dans son sens étymologique et vrai : "Ceux dont l'état est déplacé, dont l'état est boulversé". Les commentateurs croient qu'il veut désigner les Pythonisses et les prêtres inspirés.

-- Qui leur sont personnels. Le texte dit : "Propres". Cette observation est profondément vraie.

-- Ne les troublent pas. Mot à mot : "Ne les enivrent pas".

-- Comme réduits en pièces. Le texte emploie une métaphore tout à fait pareille.

§10. Et de même que tout éloignés qu'ils sont. Le texte n'est pas tout à fait aussi précis, mais la pensée me semble incontestable.

§11. A cause de la violence de leurs sensations. Le texte est plus vague.

-- De plus loin ... plus sûrement. Le texte a des positifs au leu de comparatifs.

-- Philaegide. On ne connaît pas autrement ce poëte. Léonicus suppose ingénieusement une variante qui consiste à lire : Philénis, au lieu de Philaegide. Philénis était une courtisane qui avait fait des poëmes érotiques fort licencieux. Le texte, selon moi, s'accomoderait très-bien de cette conjecture, si toutefois je l'ai bien compris.

§12. Qui reproduiraient exactement les choses. Le texte n'est pas tout à fait aussi précis, j'ai dû le développer un peu.

-- Ainsi que nous l'avons déjà dit. Voir plus haut, §6, et Traité des Rêves, ch. III, §4.

-- Brise le rêve et l'empêche... J'ai dû ici paraphrase le texte.

§13. Telle est donc. Résumé de tout le traité.

Tirée des songes. Peut-être cette expression eût-elle été plus convenable pour le titre même du traité.

§14. Il faut étudier maintenant. Je ne sais pourquoi l'édition de Berlin a supprimé cette phrase que donnent la plupart des éditions et des manuscrits. C'est elle qui justifie la place qu'occupe le petit traité suivant : il se rattache d'ailleurs, comme tous ceux qui précèdent ou qui viennent après, aux questions déjà discutées dans le Traité de l'Ame.