Cicéron, Rabirius

 

CICÉRON

ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD PROFESSEUR D'ÉLOQUENCE LATINE AU COLLÈGE DE FRANCE.  - TOME DEUXÈME - PARIS, J. J. DUBOCHET, LE CHEVALIER ET COMP., ÉDITEURS, RUE RICHELIEU, N° . .

TOME II.

I. PLAIDOYER POUR P. QUINTIUS.

 

    LES PARADOXES    -  PLAIDOYER POUR SEXT. ROSCIUS D'AMERIE  

 

 

 

 

 

 

 

ŒUVRES

COMPLÈTES



DE CICÉRON,


AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS,

PUBLIÉES

SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD,

PROFESSEUR D'ÉLOQUENCE LATINE AU COLLÈGE DE FRANCE.
 

TOME DEUXIEME






PARIS,


J. J. DUBOCHET, LE CHEVALIER ET COMP., ÉDITEURS,
RUE RICHELIEU, N° .60

 

 

DISCOURS PLAIDOYER POUR P. QUINTIUS.

DISCOURS PREMIER.

INTRODUCTION.

Caïus Quintius avait formé une société avec Sextus Névius, ancien crieur public, pour l'exploitation d'un domaine situé dans la Gaule. La société existait depuis plusieurs années, lorsque Caïus mourut dans ce pays, et laissa, par testament, son frère Publius Quintius héritier de ses biens. Celui-ci se transporte sur les lieux, où il demeure près d'un an avec Névius, sans qu'il soit une seule fois question que la société ou la succession de Caïus doive aucune somme à cet associé. Névius offre même à Publius de l'aider de sa bourse pour quelques dettes qu'il avait à Rome. biais, an moment où celui-ci réclame l'effet d'une promesse qu'il avait crue sincère, Névius déclare qu'il ne lui donnera pas un denier qu'ils n'aient réglé tous les comptes de la société. Quintius, interdit de ce manque de foi, fait vendre à perte du bien qu'il avait dans la Gaule Narbonnaise, paye ses créanciers, et, libre de ce côté, invite de lui-même Névius à terminer à l'amiable toutes leurs discussions d'intérêt. Après plusieurs tentatives de conciliation, que fait échouer la cupidité de Névius, l'affaire est portée en justice.

Tout à coup Névius se désiste de toutes ses prétentions, en déclarant qu'il s'est remboursé sur le produit d'une vente qu'il a faite dans la Gaule, et que la société ne lui doit plus rien. Publius, qui croit l'affaire terminée, part pour la Gaule, afin de visiter ses propriétés particulières. Instruit de son absence, Névius convoque une foule de témoins, se présente devant le préteur Burrhiénus, prend défaut contre Publius, obtient l'envoi en possession de ses biens, et les fait afficher. Alors Sextus Alphénus, ami commun des deux parties, enlève les affiches, se déclare fondé de pouvoir de Publius, et offre de comparaître pour lui en justice. Pendant que cela se passait à Rome, Névius envoyait en Gaule des agents, qui expulsèrent P. Quintius des propriétés communes.

De retour à Rome, au bout d'environ six mois, celui-ci se présente à un ajournement convenu entre son procureur et son adversaire. Nouveaux délais au moyen desquels Névius l'amuse dix-huit mois entiers par des propositions d'accommodement, sans jamais fixer d'une manière précise la somme qu'il réclamait. Au bout de ce temps, Névius se présente devant le préteur Dolabella, et demande qu'il soit enjoint à Publius de fournir caution pour la somme à laquelle il sera condamné, attendu que ses biens sont restés sous la saisie pendant trente jours. C'était le terme après lequel un créancier avait le droit d'exiger cette garantie; et en donnant caution, Publius eût reconnu que Névius avait acquis ce droit contre lui. Or, il prétendait que la saisie n'avait été ni légale, ni réelle, puisque Alphénus y avait mis opposition. Que fait le préteur? Il ordonne que P. Quintius, s'il ne veut donner la caution, attaquera Névius en nullité de la saisie, ce qui changeait entièrement la position respective des deux parties. De défendeur qu'il était, Publius devenait demandeur. Au lieu de cette question: Publius est-il débiteur de Névius P le procès se réduisait à celle-ci : Les biens de Pubiius ont-ils été légalement saisis pendant trente jours? Si elle était résolue affirmativement, il demeurait prouvé que Publius avait fait défaut à un ajournement convenu avec son créancier, ce qui était infamant. C'était d'ailleurs un acheminement à la vente de ses biens, et à ce que nous appelons aujourd'hui expropriation forcée. Or, cette spoliation légale privait un débiteur de certains droits civils et politiques, et le mettait, quant à l'ignominie, dans un état semblable à celui du banqueroutier frauduleux judiciairement condamné. C'est ainsi qu'une simple discussion pécuniaire était devenue en quelque sorte une affaire capitale. Au reste, quoique la condamnation dût entraîner pour Publius une espèce de mort civile, ce n'était pourtant pas un procès criminel, ou, pour parler comme les Romains, une cause publique. Le jugement ne fut donc pas rendu par des jurés, mais par un juge que le préteur désigna, et qui, suivant l'usage, s'adjoignit trois assesseurs.

La cause avait déjà été plaidée par un premier avocat, lorsque Cicéron, alors âgé de vingt-six ans, en fut chargé. Outre les difficultés qu'elle présentait par elle-même, il avait encore à lutter contre le crédit de son adversaire. Névius était un crieur public enrichi par ses intrigues. Attaché d'abord au parti de Marius, quand il l'avait vu près de succomber, il l'avait quitté pour courir sous les drapeaux de Sylla vainqueur. Tous les grands, tous les partisans du dictateur le protégeaient ouvertement. Il avait même pour lui les préteurs et presque tous les gens en place. Hortensius, qui régnait encore sans partage au barreau, portait la parole en sa faveur. Le consulaire Philippe l'appuyait de sa présence et de ses conseils. Une foule de personnages distingués, qui tous s'intéressaient à sa cause, environnaient le tribunal. Le jeune orateur n'en fut point intimidé, 1l ne craignit pas de traiter comme le plus vil des hommes ce Névius, qui apparemment était au-dessus de la fonte. Il se plaignit même hautement de l'injustice des préteurs Burrhiénus et Dolabella; en sorte que son plaidoyer est non seulement un ouvrage de talent, mais encore un acte de courage.

Ce discours, ainsi qu'on le voit au commencement de l'exorde,n'est par le premier que Cicéron ait prononcé; mais c'est le premier qui ait été conservé.

Après l'exorde et la narration, l'orateur pose nettement l'état de la question : NÉVIUS N'A POINT POSSÉDÉ LES BIENS DE QUINTIUS AUX TERRES DE L'ÉDIT DU PRÉTEUR. Il le prouve en établissant trois propositions, dont le développement compose sa confirmation :

1° IL N'ÉTAIT PAS FONDÉ A REQUÉRIR LA SAISIE, parce qu'on ne lui devait rien, et qu'on n'a point fait défaut.

On ne lui devait rien; car, pendant plus d'un an de séjour dans la Gaule avec Publius, il ne lui a rien demandé (XI et XII ).

On ne lui devait rien; car, aujourd'hui même, il refuse d'entrer en compte, et il épuise toutes les formes de procédure, pour empêcher qu'on ne juge le fond du procès (XIII et XIV ).

On n'a point fait défaut; car, de l'aveu même de Névius, son adversaire n'était pas à Rome à l'époque où l'on veut qu'il ait consenti un ajournement. Et d'ailleurs, eût-il même fait défaut, ce n'était pas une raison pour le traiter avec cette rigueur (XV -XVIII).

. 2° NÉVIUS N'A PU SAISIR NI POSSÉDER AUX TERMES DE L'ÉDIT; car, d'après l'édit, les seuls débiteurs dont on puisse saisir les biens sont; celai qui se sera caché pour frustrer son créancier; celui qui n'aura point d'héritier connu; ce-lui qui aura quitté son domicile pour aller en exil ; l'absent qui n'aura pas été défendu en justice. Or rien de tout cela n'est applicable à Publius.

3° Enfin, LA SAISIE, MÊME ILLÉGALE, N'A PAS ÉTÉ CONSOMMÉE. Cette troisième partie de la confirmation est perdue; mais la fin de la récapitulation y supplée. Cette récapitulation, peut-être un peu détaillée, rappelle tous les arguments qui ont été développés dans le discours. Elle occupe en entier les chap. XXVIII et XXIX. Vient ensuite la péroraison, où l'orateur s'attache à émouvoir la compassion de son juge en faveur de Publias, et à rendre son adversaire odieux.

Cette cause fut plaidée, au rapport d'Aulu-elle, XV, 28, sous les consuls M. Tullius Decula, et Cn. Dolabella ( l'an de Rome 672 ), Cicéron étant dans sa vingt-sixième année. On conclut, des termes dans lesquels en parle Aulu-Gelle, que Cicéron la gagna.

N.B. Comme il est plusieurs fois question, dans ce discours, de Caius Quintius, pour éviter toute méprise, nous nommerons toujours Publius, ou Publius Quintiius le client de Cicéron.

 

PRO P. QVINCTIO ORATIO.

I. Quae res in ciuitate duae plurimum possunt, eae contra nos ambae faciunt in hoc tempore, summa gratia et eloquentia; quarum alterum, C. Aquili, uereor, alteram metuo. Eloquentia Q. Hortensi ne me in dicendo impediat, non nihil commoueor, gratia Sex- Naeui ne P. Quinctio noceat, id uero non mediocriter pertimesco. Neque hoc tanto opere querendum uideretur, haec summa in illis esse, si in nobis essent saltem mediocria; uerum ita se res habet, ut ego, qui neque usu satis et ingenio parum possum, cum patrono disertissimo comparer, P. Quinctius, cui tenues opes, nullae facultates, exiguae amicorum copiae sunt, cum aduersario gratiosissimo contendat. Illud quoque nobis accedit incommodum, quod M. Iunius, qui hanc causam aliquotiens apud te egit, homo et in aliis causis exercitatus et in hac multum ac saepe uersatus, hoc tempore abest noua legatione impeditus, et ad me uentum est qui, ut summa haberem cetera, temporis quidem certe uix satis habui ut rem tantam, tot controuersiis implicatam, possem cognoscere. Ita quod mihi consueuit in ceteris causis esse adiumento, id quoque in hac causa deficit. Nam, quod ingenio minus possum, subsidium mihi diligentia comparaui; quae quanta sit, nisi tempus et spatium datum sit, intellegi non potest. Quae quo plura sunt, C. Aquili, eo te et hos qui tibi in consilio sunt meliore mente nostra uerba audire oportebit, ut multis incommodis ueritas debilitata tandem aequitate talium uirorum recreetur. Quod si tu iudex nullo praesidio fuisse uidebere contra uim et gratiam solitudini atque inopiae, si apud hoc consilium ex opibus, non ex ueritate causa pendetur, profecto nihil est iam sanctum atque sincerum in ciuitate, nihil est quod humilitatem cuiusquam grauitas et uirtus iudicis consoletur. Certe aut apud te et hos qui tibi adsunt ueritas ualebit, aut ex hoc loco repulsa ui et gratia locum ubi consistat reperire non poterit.

II. Non eo dico, C. Aquili, quo mihi ueniat in dubium tua fides et constantia, aut quo non in his quos tibi aduocauisti uiris lectissimis ciuitatis spem summam habere P. Quinctius, debeat. Quid ergo est? Primum magnitudo periculi summo timore hominem adficit, quod uno iudicio de fortunis omnibus decernit, idque dum cogitat, non minus saepe ei uenit in mentem potestatis quam aequitatis tuae, propterea quod omnes quorum in alterius manu uita posita est saepius illud cogitant, quid possit is cuius in dicione ac potestate sunt quam quid debeat facere. Deinde habet aduersarium P. Quinctius uerbo Sex- Naeuium, re ura huiusce aetatis homines disertissimos, fortissimos, florentissimos nostrae ciuitatis, qui communi studio summis opibus Sex Naeuium defendunt, si id est defendere, cupiditati alterius obtemperare quo is facilius quem uelit iniquo iudicio opprimere possit. Nam quid hoc iniquius aut indignius, C. Aquili, dici aut commemorari potest, quam me qui caput alterius, famam fortunasque defendam priore loco causam dicere? cum praesertim Q. Hortensius qui in hoc iudicio partis accusatoris obtinet contra me sit dicturus, cui summam copiam facultatemque dicendi natura largita est. Ita fit ut ego qui tela depellere et uolneribus mederi debeam tum id facere cogar cum etiam telum aduersarius nullum iecerit, illis autem id tempus impugnandi detur cum et uitandi illorum impetus potestas adempta nobis erit et, si qua in re, id quod parati sunt facere, falsum crimen quasi uenenatum aliquod telum iecerint, medicinae faciendae locus non erit. Id accidit praetoris iniquitate et iniuria, primum quod contra omnium consuetudinem iudicium prius de probro quam de re maluit fieri, deinde quod ita constituit id ipsum iudicium ut reus, ante quam uerbum accusatoris audisset, causam dicere cogeretur. Quod eorum gratia et potentia factum ao est qui, quasi sua res aut honos agatur, ita diligenter Sex- Naeui studio et cupiditati morem gerunt et in eius modi rebus opes suas experiuntur, in quibus, quo plus propter uirtutem nobilitatemque possunt, eo minus quantum possint debent ostendere. Cum tot tantisque difficultatibus adfectus atque adflictus in tuam, C. Aquili fidem, ueritatem, misericordiam P. Quinctius confugerit, cum adhuc ei propter uim aduersariorum non ius par, non agendi potestas; eadem, non magistratus aequus reperiri potuerit, cum ei summam per iniuriam omnia inimica atque infesta fuerint, te, C. Aquili, uosque qui in consilio adestis, orat atque obsecrat ut multis iniuriis iactatam atque agitatam aequitatem in hoc tandem loco consistere et confirmari patiamini.

III. Id quo facilius facere possitis, dabo operam ut a principio res quem ad modum gesta et contracta sit cognoscatis. C. Quinctius fuit P. Quincti huius frater, sane ceterarum rerum pater familias et prudens et attentus, una in re paulo minus consideratus, qui societatem cum Sex- Naeuio fecerit, uiro bono, uerum tamen non ita instituto ut iura societatis et officia certi patris familias nosse posset; non quo ei deesset ingenium; nam neque parum facetus scurra Sex- Naeuius neque inhumanus praeco umquam est existimatus. Quid ergo est? Cum ei natura nihil melius quam uocem dedisset, pater nihil praeter libertatem reliquisset, uocem in quaestum contulit, libertate usus est quo impunius dicax esset. Qua re quidem socium tibi eum uelles adiungere nihil erat nisi ut in tua pecunia condisceret qui pecuniae fructus esset; tamen inductus consuetudine ac familiaritate Quinctius fecit, ut dixi, societatem earum rerum quae in Gallia comparabantur. Erat ei pecuaria res ampla et rustica sane bene culta et fructuosa. Tollitur ab atriis Liciniis atque a praeconum consessu in Galliam Naeuius et trans Alpis usque transfertur. Fit magna mutatio loci, non ingeni. Nam qui ab adulescentulo quaestum sibi instituisset sine impendio, postea quam nescio quid impendit et in commune contulit, mediocri quaestu contentus esse non poterat. Nec mirum, si is qui uocem uenalem habuerat ea quae uoce quaesiuerat magno sibi quaestui fore putabat. Itaque hercule haud mediocriter de communi quodcumque poterat ad se in priuatam domum seuocabat; qua in re ita diligens erat quasi ei qui magna fide societatem gererent arbitrium pro socio condemnari solerent. Verum his de rebus non necesse habeo dicere ea quae me P. Quinctius cupit commemorare; tametsi causa postulat, tamen quia postulat, non flagitat praeteribo.

IV. Cum annos iam compluris societas esset, et cum saepe suspectus Quinctio Naeuius fuisset neque ita commode posset rationem reddere earum rerum quas libidine, non ratione gesserat, moritur in Gallia Quinctius, cum adesset Naeuius, et moritur repentino. Heredem testamento reliquit hunc P. Quinctium ut, ad quem summus maeror morte sua ueniebat, ad eundem summus honos quoque perueniret. Quo mortuo, nec ita multo post, in Galliam proficiscitur Quinctius, ibi cum isto Naeuio familiariter uiuit. Annum fere una sunt, cum et de societate multa inter se communicarent et de tota illa ratione atque re Gallicana; neque interea uerbum ullum interposuit Naeuius aut societatem sibi quippiam debere aut priuatim Quinctium debuisse. Cum aeris alieni aliquantum esset relictum, quibus nominibus pecuniam Romae curari oporteret, auctionem in Gallia P. hic Quinctius Narbone se facturum esse proscribit earum rerum quae ipsius erant priuatae. Ibi tum uir optimus Sex- Naeuius hominem multis uerbis deterret ne auctionetur; eum non ita commode posse eo tempore quo proscripsisset uendere; Romae sibi nummorum facultatem esse, quam, si saperet, communem existimaret pro fraterna illa necessitudine et pro ipsius adfinitate; nam P. Quincti consobrinam habet in matrimonio Naeuius et ex ea liberos. Quia, quod uirum bonum facere oportebat, id loquebatur Naeuius, credidit Quinctius eum qui orationem bonorum imitaretur facta quoque imitaturum; auctionem uelle facere desistit, Romam proficiscitur; decedit ex Gallia Romam simul Naeuius. Cum pecuniam C. Quinctius P. Scapulae debuisset, per te, C. Aquili, decidit P. Quinctius quid liberis eius dissolueret. Hoc eo per te agebatur quod propter aerariam rationem non satis erat in tabulis inspexisse quantum deberetur, nisi ad Castoris quaesisses quantum solueretur. Decidis statuisque tu propter necessitudinem quae tibi cum Scapulis est quid eis ad denarium solueretur.

V. Haec omnia Quinctius agebat auctore et consuasore Naeuio. Nec mirum, si eius utebatur consilio cuius auxilium sibi paratum putabat; non modo enim pollicitus erat in Gallia sed Romae cotidie, simul atque sibi hic adnuisset numeraturum se dicebat. Quinctius porro istum posse facere uidebat, debere intellegebat, mentiri, quia causa cur mentiretur non erat, non putabat; quasi domi nummos haberet, ita constituit Scapulis se daturum; Naeuium certiorem facit, rogat ut curet quod dixisset. Tum iste uir optimus uereor ne se derideri putet quod iterum iam dico "optimus" - qui hunc in summas angustias adductum putaret, ut eum suis condicionibus in ipso articulo temporis adstringeret, assem sese negat daturum, nisi prius de rebus rationibusque societatis omnibus decidisset et scisset sibi cum Quinctio controuersiae nihil futurum. "Posterius," inquit, "ista uidebimus," Quinctius; "nunc hoc uelim cures, si tibi uidetur, quod dixisti." Negat se alia ratione facturum; quod promisisset, non plus sua referre quam si, cum auctionem uenderet, domini iussu quippiam promisisset. Destitutione illa perculsus Quinctius a Scapulis paucos dies aufert, in Galliam mittit ut ea quae proscripserat uenirent, deteriore tempore absens auctionatur, Scapulis difficiliore condicione dissoluit. Tum appellat ultro Naeuium ut, quoniam suspicaretur aliqua de re fore controuersiam, uideret ut quam primum et quam minima cum molestia tota res transigeretur. Dat iste amicum M. Trebellium, nos communem necessarium, qui istius domi erat eductus et quo utebatur iste plurimum, propinquum nostrum, Sex- Alfenum. Res conuenire nullo modo poterat, propterea quod hic mediocrem iacturam facere cupiebat, iste mediocri praeda contentus non erat. Itaque ex eo tempore res esse in uadimonium coepit. Cum uadimonia saepe dilata essent et cum aliquantum temporis in ea re esset consumptum neque quicquam profectum esset, uenit ad uadimonium Naeuius.

VI. Obsecro, C. Aquili uosque qui adestis in consilio, ut diligenter attendatis, ut singulare genus fraudis et nouam rationem insidiarum cognoscere possitis. Ait se auctionatum esse in Gallia; quod sibi uideretur se uendidisse; curasse ne quid sibi societas deberet; se iam neque uadari amplius neque uadimonium promittere; si quid agere secum uelit Quinctius, non recusare. Hic cum rem Gallicanam cuperet reuisere, hominem in praesentia non uadatur; ita sine uadimonio disceditur. Deinde Romae dies XXX fere Quinctius commoratur; cum ceteris quae habebat uadimonia differt ut expeditus in Galliam proficisci posset; proficiscitur. Roma egreditur ante diem II kalend- Februarias Quinctius Scipione et Norbano coss. Quaeso ut eum diem memoriae mandetis. L. Albius Sex- filius Quirina, uir bonus et cum primis honestus, una profectus est. Cum uenissent ad Vada Volaterrana quae nominantur, uident perfamiliarem Naeui, qui ex Gallia pueros uenalis isti adducebat, L. Publicium; qui, ut Romam uenit, narrat Naeuio quo in loco uiderit Quinctium. Quod ubi ex Publicio audiuit, pueros circum amicos dimittit, ipse suos necessarios ab atriis Liciniis et a faucibus macelli corrogat ut ad tabulam Sextiam sibi adsint hora secunda postridie. Veniunt frequentes. Testificatur iste P. QVINCTIVM NON STETISSE, ET STETISSE SE; tabulae maxime signis hominum nobilium consignantur, disceditur. Postulat a Burrieno praetore Naeuius ut ex edicto bona possidere liceat; iussit bona proscribi eius quicum familiaritas fuerat, societas erat, adfinitas liberis istius uiuis diuelli nullo modo poterat. Qua ex re intellegi facile potuit nullum esse officium tam sanctum atque sollemne quod non auaritia comminuere ac uiolare soleat. Etenim si ueritate amicitia, fide societas, pietate propinquitas colitur, necesse est iste qui amicum, socium, adfinem fama ac fortunis spoliare conatus est uanum se et perfidiosum et impium esse fateatur. Libellos Sex- Alfenus, procurator P. Quincti, familiaris et propinquus Sex- Naeui, deicit, seruolum unum quem iste prenderat abducit, denuntiat sese procuratorem esse, istum aequum esse famae fortunisque P. Quincti consulere et aduentum eius exspectare; quod si facere nolit atque imbiberit eius modi rationibus illum ad suas condiciones perducere, sese nihil precari et, si quid agere uelit, iudicio defendere. Haec dum Romae geruntur, Quinctius interea contra ius, consuetudinem, edicta praetorum de saltu agroque communi a seruis communibus ui detruditur.

VII. Existima, C. Aquili, modo et ratione omnia Romae Naeuium fecisse, si hoc quod per litteras istius in Gallia gestum est recte atque ordine factum uidetur. Expulsus atque eiectus e praedio Quinctius accepta insigni iniuria confugit ad C. Flaccum imperatorem, qui tunc erat in prouincia, quem, ut ipsius dignitas poscit, honoris gratia nomino. Is eam rem quam uehementer uindicandam putarit ex decretis eius poteritis cognoscere. Alfenus interea Romae cum isto gladiatore uetulo cotidie pugnabat; utebatur populo sane suo, propterea quod iste caput petere non desinebat. Iste postulabat ut procurator iudicatum solui satis daret; negat Alfenus aequum esse procuratorem satis dare, quod reus satis dare non deberet, si ipse adesset. Appellantur tribuni; a quibus cum esset certum auxilium petitum, ita tum disceditur ut Idibus Septembribus P. Quinctium sisti Sex- Alfenus promitteret.

VIII. Venit Romam Quinctius, uadimonium sistit. Iste, homo acerrimus, bonorum possessor, expulsor, ereptor, annum et sex mensis nihil petit, quiescit, condicionibus hunc quoad potest producit, a Cn- Dolabella denique praetore postulat ut sibi Quinctius iudicatum solui satis det ex formula: QVOD AB EO PETAT QVOIVS EX EDICTO PRAETORIS BONA DIES XXX POSSESSA SINT- Non recusabat Quinctius quin ita satis dare iuberetur, si bona possessa essent ex edicto. Decernit - quam aequum, nihil dico, unum hoc dico, nouum; et hoc ipsum tacuisse mallem, quoniam utrumque quiuis intellegere potuit sed iubet P. Quinctium sponsionem cum Sex- Naeuio facere: SI BONA SVA EX EDICTO P. BVRRIENI PRAETORIS DIES XXX POSSESSA NON ESSENT- Recusabant qui aderant tum Quinctio, demonstrabant de re iudicium fieri oportere ut aut uterque inter se aut neuter satis daret; non necesse esse famam alterius in iudicium uenire. Clamabat porro ipse Quinctius sese idcirco nolle satis dare ne uideretur iudicasse bona sua ex edicto possessa esse; sponsionem porro si istius modi faceret, se, id quod nunc euenit, de capite suo priore loco causam esse dicturum. Dolabella - quem ad modum solent homines nobiles, seu recte seu perperam facere coeperunt, ita in utroque excellunt ut nemo nostro loco natus adsequi possit - iniuriam facere fortissime perseuerat; aut satis dare aut sponsionem iubet facere, et interea recusantis nostros aduocatos acerrime submoueri.

IX. Conturbatus sane discedit Quinctius; neque mirum, cui haec optio tam misera tamque iniqua daretur ut aut ipse se capitis damnaret, si satis dedisset, aut causam capitis, si sponsionem fecisset, priore loco diceret. Cum in altera re causae nihil esset quin secus iudicaret ipse de se, quod iudicium grauissimum est, in altera spes esset ad talem tamen uirum iudicem ueniendi, unde eo plus opis auferret quo minus attulisset gratiae, sponsionem facere maluit; fecit; te iudicem, C. Aquili, sumpsit, ex sponso egit. In hoc summa iudici causaque tota consistit. Iudicium esse, C. Aquili, non de re pecuniaria, sed de fama fortunisque P. Quincti uides. Cum maiores ita constituerint ut, qui pro capite diceret, is posteriore loco diceret, nos inaudita criminatione accusatorum priore loco causam dicere intellegis. Eos porro qui defendere consuerunt uides accusare, et ea ingenia conuerti ad perniciem quae antea uersabantur in salute atque auxilio ferendo. Illud etiam restiterat quod hesterno die fecerunt, ut te in ius educerent, ut nobis tempus quam diu diceremus praestitueres; quam rem facile a praetore impetrassent, nisi tu quod esset tuum ius et officium potestasque docuisses. Neque nobis adhuc praeter te quisquam fuit, ubi nostrum ius contra illos obtineremus, neque illis umquam satis fuit illud obtinere quod probari omnibus posset; ita sine iniuria potentiam leuem atque inopem esse arbitrantur.

 X. Verum quoniam tibi instat Hortensius ut eas in consilium, a me postulat ne dicendo tempus absumam, queritur priore patrono causam defendente numquam perorari potuisse, non patiar istam manere suspicionem nos rem iudicari nolle; neque illud mihi adrogabo, me posse causam commodius demonstrare quam antea demonstrata sit, neque tamen tam multa uerba faciam, propterea quod et ab illo qui tum dixit iam informata causa est et a me, qui neque excogitare neque pronuntiare multa possum, breuitas postulatur, quae mihimet ipsi amicissima est; faciam quod te saepe animaduerti facere, Hortensi; totam causae meae dictionem certas in partis diuidam. Tu id semper facis, quia semper potes, ego in hac causa faciam, propterea quod in hac uideor posse facere; quod tibi natura dat ut semper possis, id mihi causa concedit ut hodie possim. Certos mihi finis terminosque constituam, extra quos egredi non possim, si maxime uelim, ut et mihi sit propositum de quo dicam, et Hortensius habeat eita ad quae respondeat, et tu, C. Aquili, iam ante animo prospicere possis quibus de rebus auditurus sis. Negamus te bona P. Quincti, Sex- Naeui, possedisse ex edicto praetoris. In eo sponsio facta est. Ostendam primum causam non fuisse cur a praetore postulares ut bona P. Quincti possideres, deinde ex edicto te possidere non potuisse, postremo non possedisse. Quaeso, C. Aquili uosque qui estis in consilio, ut quid pollicitus sim diligenter memoriae mandetis; etenim rem facilius totam accipietis, si haec memineritis, et me facile uestra existimatione reuocabitis, si extra hos cancellos egredi conabor quos mihi ipse circumdedi. Nego fuisse causam cur postularet, nego ex edicto possidere potuisse, nego possedisse. Haec tria cum docuero, peroraro.

 XI. Non fuit causa cur postularet. Qui hoc intellegi potest? Quia Sex- Naeuio neque ex societatis ratione neque priuatim quicquam debuit Quinctius. Quis huic rei testis est? Idem qui acerrimus aduersarius; in hanc rem te, te inquam, testem, Naeui, citabo. Annum et eo diutius post mortem C. Quincti fuit in Gallia tecum simul Quinctius. Doce te petisse ab eo istam nescio quam innumerabilem pecuniam, doce aliquando mentionem fecisse, dixisse deberi; debuisse concedam. Moritur C. Quinctius qui tibi, ut ais, certis nominibus grandem pecuniam debuit. Heres eius P. Quinctius in Galliam ad te ipsum uenit in agrum communem, eo denique ubi non modo res erat sed ratio quoque omnis et omnes litterae. Quis tam dissolutus in re familiari fuisset, quis tam neglegens, quis tam tui, Sexte, dissimilis qui, cum res ab eo quicum contraxisset recessisset et ad heredem peruenisset, non heredem, cum primum uidisset, certiorem faceret, appellaret, rationem adferret, si quid in controuersiam ueniret, aut intra parietes aut summo iure experiretur? Itane est? quod uiri optimi faciunt, si qui suos propinquos ac necessarios caros et honestos esse atque haberi uolunt, id Sex- Naeuius non faceret, qui usque eo feruet ferturque auaritia ut de suis commodis aliquam partem uelit committere ne quam partem huic propinquo suo ullius ornamenti relinquat? et is pecuniam, si qua deberetur, non peteret qui, quia, quod debitum numquam est, id datum non est, non pecuniam modo uerum etiam hominis propinqui sanguinem uitamque eripere conatur? Huic tum molestus esse uidelicet noluisti quem nunc respirare libere non sinis, quem nunc interficere nefarie cupis, eum tum pudenter appellare nolebas. Ita credo; hominem propinquum, tui obseruantem, uirum bonum, pudentem, maiorem natu nolebas aut non audebas appellare; saepe, ut fit, cum ipse te confirmasses, cum statuisses mentionem de pecunia facere, cum paratus meditatusque uenisses, homo timidus uirginali uerecundia subito ipse te retinebas; excidebat repente oratio; cum cuperes appellare, non audebas, ne inuitus audiret. Id erat profecto.

XII. Credamus hoc, Sex- Naeuium, cuius caput oppugnet, eius auribus pepercisse. Si debuisset, Sexte, petisses, et petisses statim; si non statim, paulo quidem post; si non paulo, at aliquanto; sex quidem illis mensibus profecto; anno uertente sine controuersia. Anno et sex mensibus uero, cum tibi cotidie potestas hominis fuisset admonendi, uerbum nullum facis; biennio iam confecto fere appellas. Quis tam perditus ac profusus nepos non adesa iam sed abundanti etiam pecunia sic dissolutus fuisset ut fuit Sex- Naeuius? Cum hominem nomino, satis mihi uideor dicere. Debuit tibi C. Quinctius, numquam petisti; mortuus est ille, res ad heredem uenit; cum eum cotidie uideres, post biennium denique appellas. Dubitabitur utrum sit probabilius, Sex- Naeuium statim si quid deberetur petiturum fuisse, an ne appellaturum quidem biennio? Appellandi tempus non erat? At tecum plus annum uixit. In Gallia agi non potuit? At et in prouincia ius dicebatur et Romae iudicia fiebant. Restat ut aut summa neglegentia tibi obstiterit aut unica liberalitas. Si neglegentiam dices, mirabimur, si bonitatem, ridebimus; neque praeterea quid possis dicere inuenio. Satis est argumenti nihil esse debitum Naeuio, quod tam diu nihil petiuit.

XIII. Quid si hoc ipsum quod nunc facit ostendo testimonio esse nihil deberi? Quid enim nunc agit Sex- Naeuius? qua de re controuersia est? quod est hoc iudicium in quo iam biennium uersamur? quid negoti geritur in quo ille tot et talis uiros defatigat? Pecuniam petit. Nunc denique? uerum tamen petat; audiamus. De rationibus et controuersiis societatis uolt diiudicari. Sero, uerum aliquando tamen; concedamus. "Non," inquit, "id ago, C. Aquili, neque in eo nunc laboro. Pecunia mea tot annos utitur P. Quinctius. Vtatur sane; non peto." Quid igitur pugnas? an, quod saepe multis in locis dixisti ne in ciuitate sit, ne locum suum quem adhuc honestissime defendit obtineat, ne numeretur inter uiuos, ut decernat de uita et ornamentis suis omnibus, apud iudicem causam priore loco dicat et, eam cum orarit, tum denique uocem accusatoris audiat? Quid? hoc quo pertinet? ut ocius ad tuum peruenias? At si id uelles, iam pridem actum esse poterat. Vt honestiore iudicio conflictere? At sine summo scelere P. Quinctium, propinquum tuum, iugulare non potes. Vt facilius iudicium sit? At neque C. Aquilius de capite alterius libenter iudicat et Q. Hortensius contra caput non didicit dicere. Quid a nobis autem, C. Aquili, refertur? Pecuniam petit; negamus deberi. Iudicium fiat statim; non recusamus. Num quid praeterea? Si ueretur ut res iudicio facto parata sit, iudicatum solui satis accipiat; quibus a me uerbis satis acceperit, isdem ipse, quod peto, satis det. Actum iam potest esse, C. Aquili; iam tu potes liberatus discedere molestia prope dicam non minore quam Quinctius. Quid agimus, Hortensi? quid de hac condicione dicimus? Possumus aliquando depositis armis sine periculo fortunarum de re pecuniaria disceptare? possumus ita rem nostram persequi ut hominis propinqui caput incolume esse patiamur? possumus petitoris personam capere, accusatoris deponere? "Immo," inquit, "abs te satis accipiam; ego autem tibi satis non dabo."

XIV. Quis tandem nobis ista iura tam aequa discribit? quis hoc statuit, quod aequum sit in Quinctium, id iniquum esse in Naeuium? "Quincti bona," inquit, "ex edicto praetoris possessa sunt." Ergo, id ut confitear, postulas ut, quod numquam factum esse iudicio defendimus, id, proinde quasi factum sit, nostro iudicio confirmemus? Inueniri ratio, C. Aquili, non potest ut ad suum quisque quam primum sine cuiusquam dedecore, infamia pernicieque perueniat? Profecto, si quid deberetur, peteret; non omnia iudicia fieri mallet quam unum illud unde haec omnia iudicia nascuntur. Qui inter tot annos ne appellarit quidem Quinctium, cum potestas esset agendi cotidie, qui, quo tempore primum agere coepit, in uadimoniis differendis tempus omne consumpserit, qui postea uadimonium quoque missum fecerit, hunc per insidias ui de agro communi deiecerit, qui, cum de re agendi nullo recusante potestas fuisset, sponsionem de probro facere maluerit, qui, cum reuocetur ad id iudicium unde haec nata sunt omnia, condicionem aequissimam repudiet, fateatur se non pecuniam sed uitam et sanguinem petere, is non hoc palam dicit: "mihi si quid deberetur, peterem atque adeo iam pridem abstulissem; nihil hoc tanto negotio, nihil tam inuidioso iudicio, nihil tam copiosa aduocatione uterer, si petendum esset; extorquendum est inuito atque ingratis; quod non debet, eripiendum atque exprimendum est; de fortunis omnibus P. Quinctius deturbandus est; potentes, diserti, nobiles omnes aduocandi sunt; adhibenda uis est ueritati, minae iactentur, pericula intendantur, formidines opponantur, ut his rebus aliquando uictus et perterritus ipse se dedat?" Quae me hercule omnia, cum qui contra pugnent uideo, et cum illum consessum considero, adesse atque impendere uidentur neque uitari ullo modo posse; cum autem ad te, C. Aquili, oculos animumque rettuli, quo maiore conatu studioque aguntur, eo leuiora infirmioraque existimo. Nihil igitur debuit, ut tu ipse praedicas. Quid si debuisset? continuone causa fuisset cur a praetore postulares ut bona possideres? Non opinor id quidem neque ius esse neque cuiquam expedire. Quid igitur demonstrat? Vadimonium sibi ait esse desertum.

XV. Antequam doceo id factum non esse, libet mihi, C. Aquili, ex offici ratione atque ex omnium consuetudine rem ipsam et factum simul Sex- Naeui considerare. Ad uadimonium non uenerat, ut ais, is quicum tibi adfinitas, societas, omnes denique causae et necessitudines ueteres intercedebant. Ilicone ad praetorem ire conuenit? continuone uerum fuit postulare ut ex edicto bona possidere liceret? ad haec extrema et inimicissima ium tam cupide decurrebas ut tibi nihil in posterum quod grauius atque crudelius facere posses reseruares? Nam quid homini potest turpius, quid uiro miserius aut acerbius usu uenire? quod tantum euenire dedecus, quae tanta calamitas inueniri potest? Pecuniam si cuipiam fortuna ademit aut si alicuius eripuit iniuria, tamen, dum existimatio est integra, facile consolatur honestas egestatem. At non nemo aut ignominia adfectus aut iudicio turpi conuictus bonis quidem suis utitur, alterius opes, id quod miserrimum est, non exspectat, hoc tamen in miseriis adiumento et solacio subleuatur. Cuius uero bona uenierunt, cuius non modo illae amplissimae fortunae sed etiam uictus uestitusque necessarius sub praeconem cum dedecore subiectus est, is non modo ex numero uiuorum exturbatur, sed, si fieri potest, infra etiam mortuos amandatur. Etenim mors honesta saepe uitam quoque turpem exornat, uita ita turpis ne morti quidem honestae locum relinquit. Ergo hercule, cuius bona ex edicto possidentur, huius omnis fama et existimatio cum bonis simul possidetur; de quo libelli in celeberrimis locis proponuntur, huic ne perire quidem tacite obscureque conceditur; cui magistri fiunt et domini constituuntur, qui qua lege et qua condicione pereat pronuntient, de quo homine praeconis uox praedicat et pretium conficit, huic acerbissimum uiuo uidentique funus indicitur, si funus id habendum est quo non amici conueniunt ad exsequias cohonestandas, sed bonorum emptores ut carnifices ad reliquias uitae lacerandas et distrahendas.

XVI. Itaque maiores nostri raro id accidere uoluerunt, praetores ut considerate fieret comparauerunt. Viri boni cum palam fraudantur, cum experiendi potestas non est, timide tamen et pedetemptim istuc descendunt ui ac necessitate coacti, inuiti, multis uadimoniis desertis, saepe inlusi ac destituti; considerant enim quid et quantum sit alterius bona proscribere. Iugulare ciuem ne iure quidem quisquam bonus uolt, mauolt commemorari se cum posset perdere pepercisse, quam cum parcere potuerit perdidisse. Haec in homines alienissimos, denique in inimicissimos uiri boni faciunt et hominum existimationis et communis humanitatis causa, ut, cum ipsi nihil alteri scientes incommodarint, nihil ipsis iure incommodi cadere possit. Ad uadimonium non uenit. Quis? Propinquus. Si res ista grauissima sua sponte uideretur, tamen eius atrocitas necessitudinis nomine leuaretur. Ad uadimonium non uenit. Quis? Socius. Etiam grauius aliquid ei deberes concedere, quicum te aut uoluntas congregasset aut fortuna coniunxisset. Ad uadimonium non uenit. Quis? Is, qui tibi praesto semper fuit. Ergo in eum qui semel hoc commisit, ut tibi praesto non esset, omnia tela coniecisti quae parata sunt in eos qui permulta male agendi causa fraudandique fecerunt? Si dupondius tuus ageretur, Sex- Naeui, si in paruola re captionis aliquid uererere, non statim ad C. Aquilium aut ad eorum aliquem, qui consuluntur, cucurrisses? cum ius amicitiae, societatis, adfinitatis ageretur, cum offici rationem atque existimationis duci conueniret, eo tempore tu non modo non ad C. Aquilium aut L. Lucilium rettulisti, sed ne ipse quidem te consuluisti, ne hoc quidem tecum locutus es: "Horae duae fuerunt: Quinctius ad uadimonium non uenit. Quid ago?" Si me hercule haec tecum duo uerba fecisses: "Quid ago?" respirasset cupiditas atque auaritia, paulum aliquid loci rationi et consilio dedisses, tu te conlegisses, non in eam turpitudinem uenisses ut hoc tibi esset apud talis uiros confitendum, qua tibi uadimonium non sit obitum, eadem te hora consilium cepisse hominis propinqui fortunas funditus euertere.

XVII. Ego pro te nunc hos consulo post tempus et in aliena re, quoniam tu in tua re, cum tempus erat, consulere oblitus es; quaero abs te, C. Aquili, L. Lucili, P. Quinctili, M. Marcelle: uadimonium mihi non obiit quidam socius et adfinis meus quicum mihi necessitudo uetus, controuersia de re pecuniaria recens intercedit; postulone a praetore ut eius bona mihi possidere liceat, an, cum Romae domus eius, uxor, liberi sint, domum potius denuntiem? Quid est quod hac tandem de re uobis possit uideri? Profecto, si recte uestram bonitatem atque prudentiam cognoui, non multum me fallit, si consulamini, quid sitis responsuri: primum exspectare, deinde, si latitare ac diutius ludificare uideatur, amicos conuenire, quaerere quis procurator sit, domum denuntiare. Dici uix potest quam multa sint quae respondeatis ante fieri oportere quam ad hanc rationem extremam necessario deuenire. Quid ad haec Naeuius? Ridet scilicet nostram amentiam, qui in uita sua rationem summi offici desideremus et instituta uirorum bonorum requiramus. "Quid mihi," inquit, "cum ista summa sanctimonia ac diligentia? uiderint," inquit, "ista officia uiri boni, de me autem ita considerent: non quid habeam sed quibus rebus inuenerim quaerant, et quem ad modum natus et quo pacto educatus sim. Memini; uetus est, "de scurra multo facilius diuitem quam patrem familias fieri posse." Haec ille, si uerbis non audet, re quidem uera palam loquitur. Etenim si uolt uirorum bonorum instituto uiuere, multa oportet discat ac dediscat, quorum illi aetati utrumque difficile est.

XVIII. "Non dubitaui," inquit, "cum uadimonium desertum esset, bona proscribere." Improbe; uerum, quoniam tu id tibi adrogas et concedi postulas, concedamus. Quid si numquam deseruit, si ista causa abs te tota per summam fraudem et malitiam uicta est, si uadimonium omnino tibi cum P. Quinctio nullum fuit? quo te nomine appellemus? Improbum? At etiam si desertum uadimonium esset, tamen in ista postulatione et proscriptione bonorum improbissimus reperiebare. Malitiosum? Non negas. Fraudulentum? Iam id quidem adrogas tibi et praeclarum putas. Audacem, cupidum, perfidiosum? Volgaria et obsoleta sunt; res autem noua atque inaudita. Quid ergo est? Vereor me hercule ne aut grauioribus utar uerbis quam natura fert, aut leuioribus quam causa postulat. Ais esse uadimonium desertum. Quaesiuit a te, statim ut Romam rediit, Quinctius quo die uadimonium istuc factum esse diceres. Respondisti statim: Nonis Febr- Discedens in memoriam redit Quinctius quo die Roma in Galliam profectus sit; ad ephemeridem reuertitur: inuenitur dies profectionis pridie kaL. Febr- Nonis Febr- si Romae fuit, causae nihil dicimus quin tibi uadimonium promiserit. Quid? hoc inueniri qui potest? Profectus est una L. Albius, homo cum primis honestus; dicet testimonium. Prosecuti sunt familiares et Albium et Quinctium; dicent hi quoque testimonium. Litterae P. Quincti, testes tot, quibus omnibus causa iustissima est cur scire potuerint, nulla cur mentiantur, cum astipulatore tuo comparabuntur. Et in hac eius modi causa P. Quinctius laborabit et, diutius in tanto metu miser periculoque uersabitur? et uehementius eum gratia aduersarii perterrebit quam fides iudicis consolabitur? Vixit enim semper inculte atque horride; natura tristi ac recondita fuit; non ad solarium, non in campo, non in conuiuiis uersatus est; id egit ut amicos obseruantia, rem parsimonia retineret; antiquam offici rationem dilexit cuius splendor omnis his moribus obsoleuit. At si in causa pari discedere inferior uideretur, tamen esset non mediocriter conquerendum; nunc in causa superiore ne ut par quidem sit postulat, inferiorem se esse patitur, dumtaxat usque eo ne cum bonis, fama fortunisque omnibus Sex- Naeui cupiditati crudelitatique dedatur.

XIX. Docui quod primum pollicitus sum, C. Aquili, causam omnino cur postularet non fuisse, quod neque pecunia debebatur et, si maxime deberetur, commissum nihil esset qua re ad istam rationem perueniretur. Attende nunc ex edicto praetoris bona P. Quincti possideri nullo modo potuisse. Recita edictum. QVI FRAVDATIONIS CAVSA LATITARIT- Non est is Quinctius; nisi si latitant qui ad negotium suum relicto procuratore proficiscuntur. CVI HERES NON EXSTABIT- Ne is quidem. QVI EXSILI CAVSA SOLVM VERTERIT- ... Quo tempore existimas oportuisse, Naeui, absentem Quinctium defendi aut quo modo? tum cum postulabas ut bona possideres? Nemo adfuit; neque enim quisquam diuinare poterat te postulaturum, neque quemquam attinebat id recusare quod praetor non fieri, sed ex edicto suo fieri iubebat. Qui locus igitur absentis defendendi procuratori primus datus est? Cum proscribebas. Ergo adfuit, non passus est, libellos deiecit Sex- Alfenus; qui primus erat offici gradus, seruatus est a procuratore summa cum diligentia. Videamus quae deinde sint consecuta. Hominem P. Quincti deprehendis in publico, conaris abducere; non patitur Alfenus, ui tibi adimit, curat ut domum reducatur ad Quinctium. Hic quoque summe constat procuratoris diligentis officium. Debere tibi dicis Quinctium, procurator negat; uadari uis, promittit; in ius uocas, sequitur; iudicium postulas, non recusat. Quid aliud sit absentem defendi ego non intellego. At quis erat procurator? Credo aliquem electum hominem egentem, litigiosum, improbum, qui posset scurrae diuitis cotidianum conuicium sustinere. Nihil minus; eques Romanus locuples, sui negoti bene gerens, denique is quem, quotiens Naeuius in Galliam profectus est, procuratorem Romae reliquit.

XX. Et audes, Sex- Naeui negare absentem defensum esse Quinctium, cum eum defenderit idem qui te solebat? et, cum is iudicium acceperit pro Quinctio cui tu et rem et famam tuam commendare proficiscens et concredere solebas, conaris hoc dicere, neminem exstitisse qui Quinctium iudicio defenderet?" Postulabam," inquit, "ut satis daret." Iniuria postulabas. "Ita iubebare"; recusabat Alfenus. "Ita, uerum praetor decernebat." - Tribuni igitur appellabantur. - "Hic te", inquit, "teneo; non est istud iudicio pati neque iudicio defendere, auxilium a tribunis petas." Hoc ego, cum attendo qua prudentia sit Hortensius, dicturum esse eum non arbitror. Cum autem antea dixisse audio et causam ipsam considero, quid aliud dicere possit non reperio. Fatetur enim libellos Alfenum deiecisse, uadimonium promisisse, iudicium quin acciperet in ea ipsa uerba quae Naeuius edebat non recusasse" ita tamen, more et instituto, per eum magistratum qui auxili causa constitutus est. Aut haec facta non sint necesse est aut C. Aquilius, talis uir, iuratus hoc ius in ciuitate constituat: cuius procurator non omnia iudicia acceperit quae quisque in uerba postularit, cuius procurator a praetore tribunos appellare ausus sit, eum non defendi, eius bona recte possideri posse, ei misero, absenti, ignaro fortunarum suarum omnia uitae ornamenta per summum dedecus et ignominiam deripi conuenire. Quod si probari nemini potest, illud certe probari omnibus necesse est, defensum esse iudicio absentem Quinctium. Quod cum ita sit, ex edicto bona possessa non sunt. At enim tribuni plebis ne audierunt quidem. Fateor, si ita est, procuratorem decreto praetoris oportuisse parere. Quid? si M. Brutus intercessurum se dixit palam, nisi quid inter ipsum Alfenum et Naeuium conueniret, uideturne intercessisse appellatio tribunorum non morae, sed auxili causa?

[21] XXI. Quid deinde fit? Alfenus, ut omnes intellegere possent iudicio defendi Quinctium, ne qua subesse posset aliena aut ipsius officio aut huius existimatione suspicio, uiros bonos compluris aduocat, testatur isto audiente se pro communi necessitudine id primum petere ne quid atrocius in P. Quinctium absentem sine causa facere conetur; sin autem inimicissime atque infestissime contendere perseueret, se paratum esse omni recta atque honesta ratione defendere quod petat non deberi; se iudicium id quod edat accipere. Eius rei condicionisque tabellas obsignauerunt uiri boni complures. Res in dubium uenire non potest. Fit rebus omnibus integris neque proscriptis neque possessis bonis ut Alfenus promittat Naeuio sisti Quinctium. Venit ad uadimonium Quinctius. Iacet res in controuersiis isto calumniante biennium, usque dum inueniretur qua ratione res ab usitata consuetudine recederet et in hoc singulare iudicium causa omnis concluderetur. Quod officium, C. Aquili, commemorari procuratoris potest quod ab Alfeno praeteritum esse uideatur? quid adfertur qua re P. Quinctius negetur absens esse defensus? An uero id quod Hortensium, quia nuper iniecit et quia Naeuius semper id clamitat, dicturum arbitror, non fuisse Naeuio parem certationem cum Alfeno illo tempore, illis dominantibus? Quod si uelim confiteri, illud, opinor, concedent, non procuratorem P. Quincti neminem fuisse, sed gratiosum fuisse. Mihi autem ad uincendum satis est fuisse procuratorem quicum experiretur; qualis is fuerit, si modo absentem defendebat per ius et per magistratum, nihil ad rem arbitror pertinere. "Erat," inquit, "illarum partium." Quid ni? qui apud te esset eductus; quem tu a puero sic instituisses ut nobili ne gladiatori quidem faueret. Si, quod tu semper summe cupisti, idem uolebat Alfenus, ea re tibi cum eo par contentio non erat? "Bruti," inquit, "erat familiaris; itaque is intercedebat." Tu contra Burrieni qui iniuriam decernebat, omnium denique illorum qui tum et poterant per uim et scelus plurimum et, quod poterant, id audebant. An omnis tu istos uincere uolebas qui nunc tu ut uincas tanto opere laborant? Aude id dicere non palam, sed ipsis quos aduocasti. Tametsi nolo eam rem commemorando renouare cuius omnino rei memoriam omnem tolli funditus ac deleri arbitror oportere;

XXII. unum illud dico: Si propter partium studium potens erat Alfenus, potentissimus Naeuius; si fretus gratia postulabat aliquid iniquius Alfenus, multo iniquiora Naeuius impetrabat. Neque enim inter studium uestrum quicquam, ut opinor, interfuit; ingenio, uetustate, artificio tu facile uicisti. Vt alia omittam, hoc satis est: Alfenus cum eis et propter eos periit quos diligebat, tu, postquam qui tibi erant amici non poterant uincere, ut amici tibi essent qui uincebant effecisti. Quod si tum par tibi ius cum Alfeno fuisse non putas, quia tamen aliquem contra te aduocare poterat, quia magistratus aliqui reperiebatur apud quem Alfeni causa consisteret, quid hoc tempore Quinctio statuendum est? cui neque magistratus adhuc aequus inuentus est neque iudicium redditum est usitatum, non condicio, non sponsio, non denique ulla umquam intercessit postulatio, mitto aequa, uerum ante hoc tempus ne fando quidem audita. De re pecuniaria cupio contendere. - "Non licet." - At ea controuersia est. "Nihil ad me attinet; causam capitis dicas oportet." - Accusa ubi ita necesse est. - "Non," inquit, "nisi tu ante nouo modo priore loco dixeris." - Dicendum necessario est. - "Praestituentur horae ad arbitrium nostrum, iudex ipse coercebitur." - Quid tum? - "Tu aliquem patronum inuenies, hominem antiqui offici, qui splendorem nostrum et gratiam neglegat; pro me pugnabit L. Philippus, eloquentia, grauitate, honore florentissimus ciuitatis, dicet Hortensius, excellens ingenio, nobilitate, existimatione, aderunt autem homines nobilissimi ac potentissimi, ut eorum frequentiam et consessum non modo P. Quinctius qui de capite decernit, sed quiuis qui extra periculum sit perhorrescat." Haec est iniqua certatio, non illa qua tu contra Alfenum equitabas; huic ne ubi consisteret quidem contra te locum reliquisti. Qua re aut doceas oportet Alfenum negasse se procuratorem esse, non deiecisse libellos, iudicium accipere noluisse, aut, cum haec ita facta sint, ex edicto te bona P. Quincti non possedisse concedas.

XXIII. Etenim si ex edicto possedisti, quaero cur bona non uenierint, cur ceteri sponsores et creditores non conuenerint; nemone fuit cui deberet Quinctius? Fuerunt, et complures fuerunt, propterea quod C. frater aliquantum aeris alieni reliquerat. Quid ergo est? Homines erant ab hoc omnes alienissimi et eis debebatur, neque tamen quisquam inuentus est tam insignite improbus qui uiolare P. Quincti existimationem absentis auderet; unus fuit, adfinis, socius, necessarius, Sex- Naeuius, qui, cum ipse ultro deberet, quasi eximio praemio sceleris eito cupidissime contenderet ut per se adflictum atque euersum propinquum suum non modo honeste partis bonis uerum etiam communi luce priuaret. Vbi erant ceteri creditores? denique hoc tempore ubi sunt? Quis est qui fraudationis causa latuisse dicat, quis qui absentem defensum neget esse Quinctium? Nemo inuenitur. At contra omnes, quibuscum ratio huic aut est aut fuit, adsunt, defendunt, fides huius multis locis cognita ne perfidia Sex- Naeui derogetur laborant. In huius modi sponsionem testis dare oportebat ex eo numero qui haec dicerent: "uadimonium mihi deseruit, me fraudauit, a me nominis eius quod infitiatus esset diem petiuit; ego experiri non potui, latitauit, procuratorem nullum reliquit. Horum nihil dicitur. Parantur testes qui hoc dicant. Verum, opinor, uiderimus, cum dixerint. Vnum tamen hoc cogitent, ita se grauis esse ut, si ueritatem uolent retinere, grauitatem possint obtinere; si eam neglexerint, ita leuis esse ut omnes intellegant non ad obtinendum mendacium, sed ad uerum probandum auctoritatem adiuuare.

XXIV. Ego haec duo quaero, primum qua ratione Naeuius susceptum negotium non transegerit, hoc est cur bona quae ex edicto possidebat non uendiderit, deinde cur ex tot creditoribus alius ad istam rationem nemo accesserit, ut necessario confiteare neque tam temerarium quemquam fuisse, neque te ipsum id quod turpissime suscepisses perseuerare et transigere potuisse. Quid si tu ipse, Sex- Naeui, statuisti bona P. Quincti ex edicto possessa non esse? Opinor, tuum testimonium, quod in aliena re leue esset, id in tua, quoniam contra te est, grauissimum debet esse. Emisti bona Sex- Alfeni L. Sulla dictatore uendente; socium tibi in his bonis edidisti Quinctium. Plura non dico. Cum eo tu uoluntariam societatem coibas qui te in hereditaria societate fraudarat, et eum iudicio tuo comprobabas quem spoliatum fama fortunisque omnibus arbitrabare? Diffidebam me hercule, C. Aquili, satis animo certo et confirmato me posse in hac causa consistere. Sic cogitabam, cum contra dicturus esset Hortensius et cum me esset attente auditurus Philippus, fore uti permultis in rebus timore prolaberer. Dicebam huic Q. Roscio, cuius soror est cum P. Quinctio, cum a me peteret et summe contenderet ut propinquum suum defenderem, mihi perdifficile esse contra talis oratores non modo tantam causam perorare sed omnino uerbum facere conari. Cum cupidius instaret, homini pro amicitia familiarius dixi mihi uideri ore durissimo esse qui praesente eo gestum agere conarentur; qui uero cum ipso contenderent, eos, etiam si quid antea recti aut uenusti habere uisi essent, id amittere; ne quid mihi eiusdem modi accideret, cum contra talem artificem dicturus essem, me uereri.

XXV. Tum mihi Roscius et alia multa confirmandi mei causa dixit, ut me hercule, si nihil diceret, tacito ipso officio et studio, quod habebat erga propinquum suum, quemuis commoueret - etenim cum artifex eius modi sit ut solus uideatur dignus esse qui in scaena spectetur, tum uir eius modi est ut solus dignus esse uideatur qui eo non accedat - uerum tamen: "Quid? si," inquit, "habes eius modi causam ut hoc tibi planum sit faciendum, neminem esse qui possit biduo aut summum triduo DCC milia passuum ambulare, tamenne uereris ut possis hoc contra Hortensium contendere?" "Minime," inquam, "sed quid id ad rem?" "Nimirum," inquit, "in eo causa consistit." Quo modo? Docet me eius modi rem et factum simul Sex- Naeui quod, si simul proferretur, satis esse deberet. Quod abs te, C. Aquili, et a uobis qui adestis in consilio, quaeso ut diligenter attendatis; profecto intellegetis illinc ab initio cupiditatem pugnasse et audaciam, hinc ueritatem et pudorem quoad potuerit restitisse. Bona postulas ut ex edicto possidere liceat. Quo die? Te ipsum, Naeui, uolo audire; uolo inauditum facinus ipsius qui id commisit uoce conuinci. Dic, Naeui, diem. "Ante diem V Kalend. intercalaris." Bene ais. Quam longe est hinc in saltum uestrum Gallicanum? Naeui, te rogo. MDCC milia passuum." Optime. De saltu deicitur Quinctius - quo die? possumus hoc quoque ex te audire? Quid taces? dic, inquam, diem. Pudet dicere; intellego; uerum et sero et nequiquam pudet. Deicitur de saltu, C. Aquili, pridie kalend. intercalaris; biduo post aut, ut statim de iure aliquis cucurrerit, non toto triduo DCC milia passuum conficiuntur. O rem incredibilem! o cupiditatem inconsideratam! o nuntium uolucrem! Administri et satellites Sex. Naeui Roma trans Alpis in Sebagninos biduo ueniunt. O hominem fortunatum qui eius modi nuntios seu potius Pegasos habeat!

XXVI. Hic ego, si Crassi omnes cum Antoniis exsistant, si tu, L. Philippe, qui inter illos florebas, hanc causam uoles cum Hortensio dicere, tamen superior sim necesse est; non enim, quem ad modum putatis, omnia sunt in eloquentia; est quaedam tamen ita perspicua ueritas ut eam infirmare nulla res possit. An, ante quam postulasti ut bona possideres, misisti qui curaret ut dominus de suo fundo a sua familia ui deiceretur? Vtrumlibet elige; alterum incredibile est, alterum nefarium, et ante hoc tempus utrumque inauditum. DCC milia passuum uis esse decursa biduo? dic. Negas - ante igitur misisti. Malo; si enim illud diceres, improbe mentiri uiderere; cum hoc confiteris, id te admisisse concedis quod ne mendacio quidem tegere possis. Hoc consilium Aquilio et talibus uiris tam cupidum, tam audax, tam temerarium probabitur? Quid haec amentia, quid haec festinatio, quid haec immaturitas tanta significat? non uim, non scelus, non latrocinium, non denique omnia potius quam ius, quam officium, quam pudorem? Mittis iniussu praetoris. Quo consilio? Iussurum sciebas. Quid? cum iussisset, tum mittere nonne poteras? Postulaturus eras. Quando? Post dies XXX. Nempe si te nihil impediret, si uoluntas eadem maneret, si ualeres, denique si uiueres. Praetor scilicet iussisset. Opinor, si uellet, si ualeret, si ius diceret, si nemo recusaret, qui ex ipsius decreto et satis daret et iudicium accipere uellet. Nam, per deos immortalis! si Alfenus procurator P. Quincti tibi tum satis daret et iudicium accipere uellet, denique omnia quae postulares facere uoluisset, quid ageres? reuocares eum quem in Galliam miseras? At hic quidem iam de fundo expulsus, iam a suis dis penatibus praeceps eiectus, iam, quod indignissimum est, suorum seruorum manibus nuntio atque imperio tuo uiolatus esset. Corrigeres haec scilicet tu postea. De cuiusquam uita dicere audes qui hoc concedas necesse est, ita te caecum cupiditate et auaritia fuisse ut, cum postea quid futurum esset ignorares, accidere autem multa possent, spem malefici praesentis in incerto reliqui temporis euentu conlocares? Atque haec perinde loquor, quasi ipso illo tempore, cum te praetor iussisset ex edicto possidere, si in possessionem misisses, debueris aut potueris P. Quinctium de possessione deturbare.

XXVII. Omnia sunt, C. Aquili, eius modi quiuis ut perspicere possit in hac causa improbitatem et gratiam cum inopia et ueritate contendere. Praetor te quem ad modum possidere iussit? Opinor, ex edicto. Sponsio quae in uerba facta est? SI EX EDICTO PRAETORIS BONA P. QVINCTI POSSESSA NON SVNT- Redeamus ad edictum. Id quidem quem ad modum iubet possidere? Numquid est causae, C. Aquili, quin, si longe aliter possedit quam praetor edixit, iste ex edicto non possederit, ego sponsione uicerim? Nihil, opinor. Cognoscamus edictum. QVI EX EDICTO MEO IN POSSESSIONEM VENERINT- De te loquitur, Naeui, quem ad modum tu putas; ais enim te ex edicto uenisse; tibi quid facias definit, te instituit, tibi praecepta dat. EOS ITA VIDETVR IN POSSESSIONE ESSE OPORTERE. Quo modo? QVOD IBIDEM RECTE CVSTODIRE POTERVNT, ID IBIDEM CVSTODIANT; QVOD NON POTERVNT, ID AVFERRE ET ABDVCERE LICEBIT- Quid tum? DOMINVM, inquit, INVITVM DETRVDERE NON PLACET- Eum ipsum qui fraudandi causa latitet, eum ipsum quem iudicio nemo defenderit, eum ipsum qui cum omnibus creditoribus suis male agat, inuitum de praedio detrudi uetat. Proficiscenti tibi in possessionem praetor ipse, Sex- Naeui, palam dicit: "ita possideto ut tecum simul possideat Quinctius, ita possideto ut Quinctio uis ne adferatur." Quid? tu id quem ad modum obseruas? Mitto illud dicere, eum qui non latitaret, cui Romae domus, uxor, liberi, procurator esset, eum qui tibi uadimonium non deseruisset; haec omnia mitto; illud dico, dominum expulsum esse de praedio, domino a familia sua manus adlatas esse ante suos Lares familiaris; hoc dico ---.

XXVIII. --- Naeuium ne appellasse quidem Quinctium, cum simul esset et experiri posset cotidie; deinde quod omnia iudicia difficillima cum summa sua inuidia maximoque periculo P. Quincti fieri mallet quam illud pecuniarium iudicium quod uno die transigi posset; ex quo uno haec omnia nata et profecta esse concedit. Quo in loco condicionem tuli, si uellet pecuniam petere, P. Quinctium iudicatum solui satis daturum, dum ipse, si quid peteret, pari condicione uteretur. Ostendi quam multa ante fieri conuenerit quam hominis propinqui bona possideri postularentur, praesertim cum Romae domus eius, uxor, liberi essent et procurator aeque utriusque necessarius. Docui, cum desertum esse dicat uadimonium, omnino uadimonium nullum fuisse; quo die hunc sibi promisisse dicat, eo die ne Romae quidem eum fuisse; id testibus me pollicitus sum planum facturum qui et scire deberent et causam cur mentirentur non haberent. Ex edicto autem non potuisse bona possideri demonstraui, quod neque fraudandi causa latitasset neque exsili causa solum uertisse diceretur. Reliquum est ut eum nemo iudicio defenderit. Quod contra copiosissime defensum esse contendi non ab homine alieno neque ab aliquo calumniatore atque improbo, sed ab equite Romano, propinquo ac necessario suo, quem ipse Sex- Naeuius procuratorem relinquere antea consuesset; neque eum, si tribunos appellarit, idcirco minus iudicio pati paratum fuisse, neque potentia procuratoris Naeuio ius ereptum; contra istum potentia sua tum tantum modo superiorem fuisse, nunc nobis uix respirandi potestatem dare.

XXIX. Quaesiui quae causa fuisset cur bona non uenissent, cum ex edicto possiderentur. Deinde illud quoque requisiui qua ratione ex tot creditoribus nemo neque tum idem fecerit neque nunc contra dicat, omnesque pro P. Quinctio pugnent, praesertim cum in tali iudicio testimonia creditorum existimentur ad rem maxime pertinere. Postea sum usus aduersarii testimonio, qui sibi eum nuper edidit socium quem, quo modo nunc intendit, ne in uiuorum quidem numero tum demonstrat fuisse. Tum illam incredibilem celeritatem seu potius audaciam protuli; confirmaui necesse esse aut biduo DCC milia passuum esse decursa aut Sex- Naeuium diebus compluribus ante in possessionem misisse quam postularet uti ei liceret bona possidere. Postea recitaui edictum quod aperte dominum de praedio detrudi uetaret; in quo constitit Naeuium ex edicto non possedisse, cum confiteretur ex praedio ui detrusum esse Quinctium. Omnino autem bona possessa non esse constitui, quod bonorum possessio spectetur non in aliqua parte, sed in uniuersis quae teneri et possideri possint. Dixi domum Romae fuisse quo iste ne aspirarit quidem, seruos compluris, ex quibus iste possederit neminem, ne attigerit quidem; unum fuisse quem attingere conatus sit; prohibitum quieuisse. In ipsa Gallia cognostis in praedia priuata Quincti Sex- Naeuium non uenisse; denique ex hoc ipso saltu quem per uim expulso socio possedit seruos priuatos Quincti non omnis eiectos esse. Ex quo et ex ceteris dictis, factis cogitatisque Sex- Naeui quiuis potest intellegere istum nihil aliud egisse neque nunc agere nisi uti per uim, per iniuriam, per iniquitatem iudici totum agrum, qui communis est, suum facere possit.

XXX. Nunc causa perorata res ipsa et periculi magnitudo, C. Aquili, cogere uidetur, ut te atque eos qui tibi in consilio sunt obsecret obtesteturque P. Quinctius per senectutem ac solitudinem suam nihil aliud nisi ut uestrae naturae bonitatique obsequamini, ut, cum ueritas cum hoc faciat, plus huius inopia possit ad misericordiam quam illius opes ad crudelitatem. Quo die ad te iudicem uenimus, eodem die illorum minas quas ante horrebamus neglegere coepimus. Si causa cum causa contenderet, nos nostram perfacile cuiuis probaturos statuebamus; quod uitae ratio cum ratione uitae decerneret, idcirco nobis etiam magis te iudice opus esse arbitrati sumus. Ea res nunc enim in discrimine uersatur, utrum possitne se contra luxuriem ac licentiam rusticana illa atque inculta parsimonia defendere an deformata atque ornamentis omnibus spoliata nuda cupiditati petulantiaeque addicatur. Non comparat se tecum gratia P. Quinctius, Sex- Naeui, non opibus, non facultate contendit; omnis tuas artis quibus tu magnus es tibi concedit; fatetur se non belle dicere, non ad uoluntatem loqui posse, non ab adflicta amicitia transfugere atque ad florentem aliam deuolare, non profusis sumptibus uiuere, non ornare magnifice splendideque conuiuium, non habere domum clausam pudori et sanctimoniae, patentem atque adeo eitam cupiditati et uoluptatibus; contra sibi ait officium, fidem, diligentiam, uitam omnino semper horridam atque aridam cordi fuisse. Ista superiora esse ac plurimum posse his moribus sentit. Quid ergo est? Non usque eo tamen ut in capite fortunisque hominum honestissimorum dominentur ei qui relicta uirorum bonorum disciplina et quaestum et sumptum Galloni sequi maluerunt atque etiam, quod in illo non fuit, cum audacia perfidiaque uixerunt. Si licet uiuere eum quem Sex- Naeuius non uolt, si est homini honesto locus in ciuitate inuito Naeuio, si fas est respirare P. Quinctium contra nutum dicionemque Naeui, si, quae pudore ornamenta sibi peperit, ea potest contra petulantiam me defendente obtinere, spes est etiam hunc miserum atque infelicem aliquando tandem posse consistere. Sin et poterit Naeuius id quod libet, et ei libebit id quod non licet, quid agendum est? qui deus appellandus est? cuius hominis fides imploranda est? qui denique questus, qui luctus, qui maeror dignus inueniri in calamitate tanta potest?

XXXI. Miserum est exturbari fortunis omnibus, miserius est iniuria; acerbum est ab aliquo circumueniri, acerbius a propinquo; calamitosum est bonis euerti calamitosius cum dedecore; funestum est a forti atque honesto uiro iugulari, funestius ab eo cuius uox in praeconio quaestu prostitit; indignum est a pari uinci aut superiore, indignius ab inferiore atque humiliore; luctuosum est tradi alteri cum bonis, luctuosius inimico; horribile est causam capitis dicere, horribilius priore loco dicere. Omnia circumspexit Quinctius, omnia periclitatus est, C. Aquili; non praetorem modo a quo ius impetraret inuenire non potuit, atque adeo ne unde arbitratu quidem suo postularet, sed ne amicos quidem Sex- Naeui, quorum saepe et diu ad pedes iacuit stratus obsecrans per deos immortalis, ut aut secum iure contenderent aut iniuriam sine ignominia sibi imponerent. Denique ipsius inimici uoltum superbissimum subiit, ipsius Sex- Naeui lacrimans manum prehendit in propinquorum bonis proscribendis exercitatam, obsecrauit per fratris sui mortui cinerem, per nomen propinquitatis, per ipsius coniugem et liberos, quibus propior P. Quinctio nemo est, ut aliquando misericordiam caperet, aliquam, si non propinquitatis, at aetatis suae, si non hominis, at humanitatis rationem haberet, ut secum aliquid integra sua fama qualibet, dum modo tolerabili, condicione transigeret. Ab ipso repudiatus, ab amicis eius non subleuatus, ab omni magistratu agitatus atque perterritus, quem praeter te appellet habet neminem; tibi se, tibi suas omnis opes fortunasque commendat, tibi committit existimationem ac spem reliquae uitae. Multis uexatus contumeliis, plurimis iactatus iniuriis non turpis ad te sed miser confugit; e fundo ornatissimo eiectus, ignominiis omnibus appetitus, cum illum in paternis bonis dominari uideret, ipse filiae nubili dotem conficere non posset, nihil alienum tamen uita superiore commisit. Itaque hoc te obsecrat, C. Aquili, ut, quam existimationem, quam honestatem in iudicium tuum prope acta iam aetate decursaque attulit, eam liceat ei secum ex hoc loco efferre, ne is de cuius officio nemo umquam dubitauit LX denique anno dedecore, macula turpissimaque ignominia notetur, ne ornamentis eius omnibus Sex- Naeuius pro spoliis abutatur, ne per te fiat quo minus, quae existimatio P. Quinctium usque ad senectutem produxit, eadem usque ad rogum prosequatur.

I. Les deux puissances qui exercent dans un État l'empire le plus absolu, le crédit et l'éloquence, semblent s'être aujourd'hui réunies contre nous. L'une m'intimide, C. Aquillius, et l'autre m'épouvante. J'éprouve, en pensant à l'éloquence de Q. Hortensius, un trouble qui nuira peut-être à ma défense; mais je redoute surtout que le crédit de Sextus Névius ne soit funeste à Publius Quintius. Sans doute nous aurions moins à nous plaindre de ce que nos adversaires possèdent ces deux avantages à un si haut degré, si nous-mêmes n'en étions pas entièrement privés. Mais il faut qu'avec trop peu d'expérience et un talent médiocre, je lutte aujourd'hui contre le plus habile des orateurs, et que Publius sans appui, sans fortune, presque sans ami en état de le secourir, combatte un adversaire tout puissant par son crédit. Pour surcroît de malheur, M. Junius, qui a déjà plusieurs fois plaidé ce procès devant vous, et qui joint à l'habitude du barreau une connaissance approfondie de cette affaire, est absent à cause du nouvel emploi dont il vient d'être chargé. C'est donc à moi qu'on s'est adressé, à moi qui, en me supposant tous les autres moyens de triompher, n'ai du moins eu que bien peu de temps pour étudier une cause si importante et si compliquée. Ainsi la ressource même à laquelle j'ai recours dans d'autres occasions, me manque dans celle-ci. A défaut de génie, j'ai coutume d'appeler le travail à mon aide; mais quel peut être ce travail si l'on n'a pour s'y livrer le temps indispensable? Plus nos désavantages sont nombreux, plus nous vous prions, Aquillius, vous et ceux qui forment votre conseil, de nous prêter une oreille favorable, afin que la vérité, obscurcie par tant de nuages, retrouve enfin son éclat dans les lumières de votre équité. Que si un juge tel que vous, ne protège point, contre le crédit et la puissance, l'homme faible et sans appui; si, devant un tel conseil, cette cause est pesée au poids de la fortune et non à celui de la justice, hélas ! il sera donc vrai qu'il n'est plus dans Rome de vertus sans tache et sans reproche, et que le faible n'a rien à espérer désormais de la sagesse et de l'impartialité de son juge. Oui, Aquillius, ou la vérité triomphera devant vous et votre conseil, ou, repoussée de ce tribunal par la violence et l'intrigue, elle ne pourra plus trouver sur la terre d'asile assuré.

II. Si je parle ainsi, Aquillius, ce n'est pas que je révoque en doute votre intégrité et la fermeté de vos principes, ou que Publius ne doive une entière confiance aux hommes éclairés que vous avez choisis pour assesseurs. Mais, d'abord, il ne peut envisager sans frémir le danger qu'il court dans un procès où il s'agit de sa fortune et de son état; et cette réflexion le rappelle à l'idée de votre pouvoir, aussi souvent qu'à celle de votre équité. Car tous ceux dont la vie est dans les mains d'autrui, songent plus encore à ce que peut, qu'a ce que doit faire celui de qui dépend leur sort. Ensuite, Publius a pour adversaire, en apparence Névius, mais en effet les hommes les plus éloquents de notre siècle, les citoyens les plus distingués par leur rang et leur caractère, qui rivalisent de zèle et d'efforts pour soutenir Névius, si toutefois c'est le soutenir que de servir sa haine, et de l'aider à terrasser, dans une lutte inégale, celui qu'il veut perdre. Est-il en effet, C. Aquillius, une lutte plus inégale, une procédure plus inique, que celle où nous sommes engagés? Quoi! je défends l'existence, l'honneur, la fortune d'un citoyen, et il faut que je parle le premier! Et cela, lorsque Quintus Hortensius, qui s'est chargé de l'accuser, m'attend pour me répondre avec ce talent et cette éloquence dont la nature a été si libérale envers lui. Ainsi, ce devoir qui m'est imposé d'écarter les traits et de guérir les blessures, je suis forcé de le remplir avant que mon adversaire ait commencé l'attaque; et l'on donne à nos ennemis, pour frapper, le moment où il ne nous sera plus permis de repousser leurs coups; en sorte que s'ils viennent, comme ils y sont préparés, à lancer contre nous les traits empoisonnés de la calomnie, il sera trop tard pour y porter remède. Funeste effet de l'injustice et de la partialité du préteur! Il a voulu d'abord, sans égard pour l'usage, que l'on prononçât sur l'honneur de mon client, avant de juger le fond de l'affaire. Ensuite il a réglé la procédure de manière que l'accusé fût contraint de se justifier, avant que l'accusateur eût même ouvert la bouche. C'est l'ouvrage du crédit et de l'influence de ces hommes qui servent la passion et la cupidité de Névius avec autant de zèle que s'il s'agissait de leur fortune ou de leur honneur, et qui font l'essai de leur pouvoir dans des affaires où ils devraient d'autant moins le montrer, que le mérite et la naissance leur en assurent davantage. Découragé, accablé par tant de contretemps, Publius a recours à votre loyauté, à votre justice, à votre humanité. Jusqu'ici la violence de ses adversaires ne lui a permis de trouver ni réciprocité dans les droits, ni liberté dans les poursuites, ni impartialité dans les magistrats. Tout enfin, par la plus grande des injustices, tout semble s'être réuni pour sa perte. Il vous prie donc, Aquillius, et vous qui formez ce conseil, il vous conjure de faire en sorte que l'équité, si cruellement persécutée et battue par tant d'orages, trouve enfin, à l'abri de votre tribunal, un port et un refuge.

III. Pour vous rendre la chose plus facile, je reprendrai cette affaire depuis son origine, et je tâcherai de vous montrer comment elle s'est engagée, et comment elle a été conduite. Caïus Quintius était frère de mon client. L'ordre et la sagesse qui réglaient sa maison ne se démentirent qu'une fois : il eut l'imprudence de s'associer avec Sextus Névius, honnête homme, auquel il manquait pourtant d'avoir appris à connaître les obligations d'un associé et les premiers devoirs d'un père de famille. Ce n'est pas que Névius fût sans esprit; jamais on ne lui refusa le mérite d'un excellent bouffon et d'un crieur publie de bonne compagnie. Mais la nature ne lui avait donné rien de meilleur que la voix, et son père ne lui avait laissé d'autre héritage que la liberté. Il fit donc de sa voix un commerce utile; et il usa de sa liberté pour lancer impunément ses sarcasmes. En faire son associé, c'était vouloir lui donner des fonds, avec lesquels il apprit à calculer le produit de l'argent. Cependant, séduit par l'habitude d'une liaison trop étroite, Caïus se l'associa pour les affaires qui se faisaient dans la Gaule. Or, Caïus y exploitait de vastes pâturages, des terres bien cultivées et d'un bon rapport. Voilà donc Névius enlevé du milieu des crieurs publics, et transporté des portiques de Licinius au delà des Alpes. Ce changement de séjour ne change rien à son caractère. Accoutumé tout jeune à gagner sans mise de fonds, une fois qu'il eut apporté à la société je ne sais quoi du sien, il était impossible qu'il se contentait d'ou bénéfice ordinaire; et ce n'est pas merveille qu'un homme qui avait trafiqué de sa voix, prétendit retirer de gros intérêts de l'argent que sa voix lui avait procuré. Aussi, je le jure, il ne manquait pas une occasion de grossir son trésor particulier aux dépens de la caisse commune : à voir son activité, on eût dit que la justice n'avait de condamnations que pour les associés fidèles. Au reste, il n'est pas nécessaire que j'entre à ce sujet dans certains détails, que Publius voudrait que je fasse, connaître. Sans doute ils seraient utiles à ma cause; mais comme ils ne sont point indispensables, je les passerai sous silence.

IV. La société durait depuis plusieurs années, et Caïus avait plus d'une fois conçu des soupçons sur Névius : il voyait l'embarras de cet homme à justifier des opérations où sa cupidité s'était jouée de l'intérêt commun. Cependant Caïus meurt dans la Gaule, Névius étant sur les lieux, et il meurt subitement. Il laissait par testament son héritage à son frère Publius, afin que celui à qui sa mort devait porter le coup le plus sensible, reçut en même temps le gage le plus honorable de sa tendresse. Peu de temps après la perte de son frère, Publius part pour la Gaule. Là, il vécut familièrement avec Névius. Ils passèrent une année ensemble, s'entretenant chaque jour de leurs intérêts communs, et des affaires qu'ils avaient dans ce pays, sans qu'un seul mot de Névius fît soupçonner qu'il lui fût rien dû, soit par la société, soit par la succession de Caïus. Celui-ci avait laissé quelques dettes, pour l'acquittement desquelles il fallait faire des fonds à Rome. Publius affiche dans la Gaule une vente publique qu'il se propose de faire à Narbonne, des biens qui lui appartenaient en propre. L'honnête, le généreux Névius n'oublie rien pour l'en détourner. Il lui représente que les circonstances ne sont pas favorables pour vendre; que lui-même a des fonds à Rome dont Publius peut disposer. C'est un ami de son frère, c'est un parent qui l'en convie; en effet, Névius a pour femme une cousine de Publius, et il en a des enfants. Névius promettait ce qu'un homme d'honneur aurait tenu. Publius crut que celui qui imitait si bien le langage des honnêtes gens, en imiterait aussi les actions. Il cesse de penser à la vente et part pour Rome. Névius quitte la Gaule en même temps. Caïus était mort débiteur de Scapula. Ce fut vous, Aquillius, qui réglâtes la somme à payer par son frère aux enfants de ce créancier. Publius eut recours à votre arbitrage, parce qu'à cause de la différence des monnaies, il ne suffisait pas de connaître le montant de la dette, il fallait encore s'assurer du change au temple de Castor. Vous réglâtes donc, comme ami des Scapula, ce qui leur serait compté en espèces romaines.

V. Publius, dans toute cette négociation, ne fit rien que par les avis de Névius; et il n'est pas étonnant qu'il prît pour conseil un homme dont il se croyait les secours assurés. Névius lui avait promis dans la Gaule, Névius lui répétait chaque jour à Rome, qu'à son premier signal sa bourse lui serait ouverte. Publius lui connaissait les moyens de tenir parole; il l'y croyait obligé par l'honneur. Il ne le soupçonnait pas de mensonge, puisqu'il n'avait aucun intérêt de mentir. Aussi tranquille que s'il eût en l'argent dans ses mains, il s'engage avec les Scapula. Il en instruit Névius, et le prie de penser à ce qu'il lui a promis. Alors cet honnête homme (je crains qu'il ne prenne pour une ironie cet éloge que je lui adresse une seconde fois), cet honnête homme, qui croyait Publius sans ressource, conçoit le projet de profiter de sa détresse pour l'enlacer dans ses filets. Il déclare qu'il ne lui donnera pas un denier que tous les comptes de la société ne soient réglés, et qu'il ne soit sûr de n'avoir jamais aucune contestation avec Publius. Plus tard nous parlerons de cet objet, dit celui-ci; maintenant pensez, je vous en conjure, à ce que vous m'avez promis. Névius proteste qu'il ne le peut qu'à cette condition qu'il n'est pas plus lié par sa parole que par celle qu'il aurait donnée au nom d'un propriétaire quand il faisait des ventes à l'encan. Publius consterné de ce manque de foi, obtient des Scapula un délai de quelques jours. Il envoie en Gaule vendre les biens qu'il avait affichés. La vente a lieu en son absence et dans un moment désavantageux. Il s'acquitte avec les Scapula, mais à de conditions plus dures. Alors il s'adresse de lui-même à Névius, et le prie, puisqu'il craint les contestations, d'aviser aux moyens de tout régler au plus tôt, et avec le moins de désagrément qu'il serait possible. Névius prend pour arbitre Trébellius son ami, et nous, un ami des deux parties, élevé dans la maison de notre adversaire, étroitement lié avec lui, notre parent Sextus Alphénus. Toute conciliation était impossible : Publius désirait que sa perte eût des bornes; la cupidité de Névius n'en avait aucunes. Dès ce moment il fallut aller en justice réglée. Après plusieurs remises et beaucoup de temps employé à des négociations qui n'eurent aucun succès, Névius comparut enfin.

VI. Je vous en conjure, Aquillius, et vous qui formez son conseil, redoublez ici d'attention : vous allez connaître un nouveau genre de perfidie; je vais vous dévoiler une intrigue sans exemple. Névius déclare qu'il a fait une vente publique dans la Gaule; qu'il a vendu ce qu'il a jugé à propos; qu'il a pris ses mesures pour que la société ne lui dût rien ; qu'il est décidé à ne plus donner ni recevoir d'assignation; que si Publius veut lui en demander acte, il ne s'y refuse pas. Celui-ci, qui désirait visiter ses propriétés de la Gaule, ne forme point alors cette demande. Ainsi l'on se sépare sans ajournement de part ni d'autre. Publius reste encore à Rome environ trente jours. Afin de faire sans inquiétude son voyage en Gaule, il obtient un délai de tous ceux avec lesquels il avait engagement de comparaître. Il part; il sort de Rome le 30 janvier, sous le consulat de Scipion et de Norbanus. Je vous prie de ne pas oublier cette date. Avec lui part un citoyen honorable, L. Albius, fils de Sextus, de la tribu Quirinale. Arrivés aux Gués de Volaterre, ils y rencontrent Publicius, intime ami de Névius, qui lui amenait de la Gaule des esclaves qu'il voulait vendre. Dès son arrivée à Rome, Publicius raconte à Névius dans quel lieu il a vu son associé. Sans ce prompt avis, le procès ne se serait pas engagé si tôt. Alors Névius dépêche ses esclaves chez tous ses amis. Lui-même va chercher ses familiers sous les portiques de Licinius et dans les avenues du marché, et leur donne rendez-vous au bureau de Sextius pour le lendemain à la seconde heure. Ils y viennent en grand nombre. Névius les prend à témoin qu'il a comparu, et que Publius ne l'a pas fait. On dresse un long procès-verbal, auquel ses nobles amis apposent leur sceau. On se sépare. Névius requiert du prêteur Burrhiénus, aux termes de son édit, l'envoi en possession des biens de l'absent. Il affiche la spoliation d'un homme dont il avait été l'ami, dont il était l'associé, et dont il ne pouvait cesser d'être le parent, tant que ses enfants seraient en vie. Tant il est vrai qu'il n'y a pas de devoir si saint et si respectable que la cupidité n'outrage et ne foule aux pieds! Car si la franchise, la loyauté, l'affection, sont les premiers sentiments qu'on doit à un ami, à un associé, à un parent, certes, essayer de ravir l'honneur et la fortune à l'homme revêtu de ces titres sacrés, c'est se proclamer soi-même fourbe, perfide, dénaturé. Sextus Alphénus, fondé de pouvoir de Publius, ami et parent de son adversaire, enlève les affiches, reprend un esclave dont Névius s'était emparé, déclare qu'il se présente comme procureur, prie Névius d'avoir pour l'honneur et la fortune de Publius les égards que l'équité demande, et d'attendre son retour. S'il s'y refuse, s'il s'imagine par ces procédés violents faire la loi à son associé, Alphénus n'implore point de grâce que l'on attaque en justice; il est prêt à répondre. Pendant que cette scène se passe à Rome, Publius, au mépris des lois, de la coutume, des édits des préteurs, est chassé violemment, par les esclaves de la société, des terres et des pâturages appartenant à la société.

VII. Je consens, Aquillius, que vous approuviez tout ce que Névius a fait à Rome, si ce qui a été fait dans la Gaule en vertu de ses lettres, vous parait juste et raisonnable. Dépouillé, chassé de son bien par une si criante injustice, Publius a recours au général C. Flaccus, qui se trouvait alors dans la province, et que je nomme avec le respect dû à son rang. Vous pouvez juger, par ses ordonnances, avec quelle vigueur il a cru devoir réprimer cet attentat. Cependant à Rome, Alphénus était chaque jour aux prises avec ce rusé gladiateur : lutte acharnée, où certes il avait pour lui le peuple, indigné de voir sou ennemi viser toujours au cœur. Névius voulait que le fondé de pouvoirs donnât caution pour l'exécution de la sentence qui serait prononcée. Alphénus répondait qu'il n'était pas juste d'exiger du procureur une caution que la partie ne donnerait pas si elle était présente. On en appelle aux tribuns, et, malgré la demande expresse de leur intervention, le débat finit par la parole que donne Alphénus, que Publius comparaîtra aux ides de septembre.

VIII. Publius vient à Rome; il comparait. Que fait notre ardent adversaire, ce créancier si pressé de saisir, ce spoliateur, ce ravisseur? Il reste dix-huit mois tranquille et sans rien demander; il amuse mon client par de vaines propositions; enfin il requiert du préteur Dolabella, que Publius soit obligé de fournir caution pour la somme en litige, d'après la formule, QUOD AB EO PETAT, alléguant qu'il avait possédé ses biens pendant trente jours aux termes de l'édit. Publius ne se refusait pas à fournir la caution, mais sous la réserve que cette possession eût été légale et réelle. Le préteur prononce un arrêt; équitable? je n'en dis rien; extraordinaire? je l'affirme; encore eussé-je pu me dispenser de le qualifier ainsi : tout le monde peut le juger sous l'un et l'autre rapport. Il prononce que Publius, s'il ne veut donner caution, portera à Névius le défi juridique de prouver que ses biens ont été possédés pendant trente jours d'après l'édit du préteur Burrhiénus. Les amis de Publius s'y opposaient. Il faut, disaient-ils, plaider sur le fond du procès, afin qu'il n'y ait pas de caution, ou que la caution soit réciproque : agir autrement, c'est compromettre sans nécessité l'honneur d'une des parties. Publius criait de son côté que s'il donnait caution, ce serait avouer par le fait que ses biens ont été légalement saisis; et que s'il entreprenait de prouver qu'ils ne l'ont pas été, il s'exposait, comme l'événement le démontre, à parler le premier dans une cause où il y allait de son existence. Dolabella fit ce que font tous les nobles : quand ils ont pris un parti, soit bon soit mauvais, ils s'élèvent, dans le bien et dans le mal, à une perfection que ne peut atteindre nul homme de notre classe. Dolabella soutint avec fermeté son injuste décision. Il enjoint à Publius ou de donner caution, ou de plaider sur la saisie. En attendant il repousse durement nos amis qui osaient réclamer.

IX. Publius se retire consterné, et ce n'est pas sans raison. On ne lui laissait que la triste et l'injuste alternative de se condamner lui-même en donnant la caution, ou de parler le premier dans une affaire capitale, en se soumettant à plaider sur la saisie. Dans le premier cas, rien ne pouvait le soustraire à l'humiliante nécessité de prononcer sa propre condamnation; dans le second, il lui restait au moins l'espoir d'obtenir un juge au tribunal duquel il trouverait d'autant plus de protection qu'il y aurait apporté moins de crédit. Il s'est donc soumis à plaider sur la saisie. Il vous a pris pour juge, Aquillius, et il a commencé l'instance. Voilà le véritable état de la question; voilà toute la cause. Vous voyez, Aquillius, qu'il ne s'agit point ici d'une discussion pécuniaire, mais de l'honneur et de l'existence civile de Publius Quintius. Nos ancêtres ont voulu que quiconque défendrait en justice d'aussi grands intérêts, ne parlât qu'après son adversaire; et l'imposture inouïe de nos accusateurs nous force à parler les premiers. Ces orateurs dont la bouche ne s'ouvre ordinairement que pour défendre, viennent nous accuser; et la persécution s'arme contre nous de cette éloquence dont tant d'opprimés éprouvèrent les secours généreux. Il ne restait plus à nos ennemis qu'à vous forcer, par ordonnance, de nous prescrire le temps que durerait notre plaidoyer. Hier, ils ont essayé de le faire, et ils l'auraient facilement obtenu du préteur, si vous ne lui aviez appris quels sont vos droits et vos devoirs. Non, excepté vous, il n'est encore personne auprès de qui nous ayons obtenu justice contre eux; et, de leur côté jamais concession ne put les satisfaire, pour peu qu'elle fût raisonnable. C'est l'injustice qu'ils veulent; sans elle, ils comptent pour rien le crédit et la puissance.

 X. Mais puisque Hortensius vous presse de prononcer la sentence, puisqu'il me somme de ne pas perdre le temps à discourir; puisqu'il se plaint qu'avec l'orateur qui m'a précédé on n'aurait jamais conclu; je ne souffrirai pas qu'on nous soupçonne davantage de ne vouloir point de jugement. Je n'ai pas assez de présomption pour me croire capable de plaider cette cause mieux qu'elle ne l'a été avant moi. Toutefois je ne serai pas aussi long, parce que le premier défenseur a suffisamment éclairci l'affaire, et que d'ailleurs n'ayant ni la fécondité, ni les forces nécessaires pour parler longtemps, je suis moi-même très ami de la brièveté qu'on me demande. Je ferai, Hortensius, ce que je vous ai vu faire souvent : je diviserai tout mon plaidoyer en plusieurs parties distinctes et séparées. Vous le faites toujours, parce que vous le pouvez toujours; je le ferai dans ce discours, parce que je crois le pouvoir. Ce talent que la nature ne vous refuse jamais, ma cause me le donne aujourd'hui. Je me prescrirai des bornes et des limites que je ne puisse franchir, quand même je le voudrais. Ainsi, j'aurai devant les yeux ce que je dois dire; Hortensius, ce qu'il devra réfuter; vous, Aquilius, vous saurez d'avance sur quels objets vous devez nous entendre.

Je soutiens, Névius, que vous n'avez point possédé les biens de Publius Quintius en vertu de l'édit. C'est là ce que mon client s'est engagé à prouver. Je montrerai d'abord que vous n'avez jamais eu de motif pour demander au préteur l'envoi en possession; ensuite que vous n'avez pu posséder d'après son édit, enfin que vous n'avez point possédé. Je vous prie, Aquilius, et vous qui siégez avec lui sur ce tribunal, de bien graver dans votre mémoire ce que je viens de promettre. Si vous vous en souvenez bien, vous vous ferez plus facilement une idée de toute l'affaire ; et vos sécrètes censures me rappelleront d'elles-mêmes à mon sujet, si j'essayais de franchir la ligne que j'ai tracée autour de moi. Non, il n'a point eu droit de demander la saisie; non, il n'a pu saisir en vertu de l'édit ; non, il n'a point saisi. Quand j'aurai prouvé ces trois points, je conclurai.

XI. Vous n'avez pas eu de motif pour requérir la saisie. Quelle en est la preuve? C'est que Publius ne devait rien à Névius, ni comme associé, ni pour son compte particulier. Quel témoin dépose de ce fait? Celui même qui nous poursuit avec tant d'acharnement. C'est vous, Névius, oui, c'est vous-même que j'appelle ici en témoignage. Publius a vécu avec vous dans la Gaule pendant un an et plus après la mort de son frère. Faites-nous voir que vous lui avez demandé cette somme, énorme sans doute, que vous réclamez ; prouvez-nous que vous en ayez jamais fait mention, que vous ayez dit qu'elle vous était due : je conviendrai qu'il vous la devait. Caïus Quintius meurt. Il vous devait, dites-vous, beaucoup d'argent, et vous aviez des titres authentiques. Son héritier Publius se rend auprès de vous dans la Gaule, sur les terres de la société; dans le lieu enfin où était non seulement le bien, mais tous les comptes et toutes les écritures. Est-il un homme si dépourvu d'ordre et d'économie, si peu attentif à ses affaires, si différent, Névius, de ce que vous êtes, qui, voyant les droits de son associé passer entre les mains d'un héritier, ne se hâtât, dès la première entrevue, d'avertir cet héritier, de lui présenter sa réclamation, de lui communiquer les comptes, et, si l'on n'était point d'accord, de terminer le différend soit à l'amiable, soit en justice? Eh, quoi ! ce que font les hommes les plus délicats, ceux qui tiennent le plus à la réputation de chérir et d'honorer leurs parents et leurs amis, Sextus Névius balancerait à le faire, dévoré, comme il l'est, par la cupidité; résolu, comme il l'est, à ne pas abandonner la moindre de ses prétentions, afin de ne pas laisser à son proche parent la moindre partie de sa fortune? Il n'eût pas exigé le payement d'une dette légitime, celui qui, furieux de ce qu'on ne lui a pas payé ce qu'on ne lui dut jamais, veut arracher à un parent non seulement ses biens, mais encore sa vie et son existence? Vous craigniez sans doute de troubler le repos d'un homme auquel vous ne permettez pas aujourd'hui de respirer librement. Vous ne vouliez pas adresser une demande polie à celui que vous voulez maintenant immoler sans pitié. Oui, je le crois : vous ne voyiez en lui qu'un allié plein d'égards pour vous, un homme d'honneur et de probité, respectable par son âge; vous ne vouliez, vous n'osiez lui rien demander. Plus d'une fois sans doute, après vous être un peu rassuré, après avoir résolu de lui parler d'argent, après l'avoir abordé avec une demande toute prête et un discours étudié, tout à coup, homme timide et d'une pudeur presque virginale, vous vous êtes retenu vous-même. La parole expirait sur vos lèvres; vous désiriez rompre le silence, mais vous n'osiez de peur qu'il ne vous entendît avec peine. Oui, voilà le mystère expliqué.

XII. Nous croirons que Névius a épargné les oreilles de celui dont il demande la tête! S'il vous avait dû, Sextus, vous auriez réclamé sur-le-champ; sinon sur-le-champ, au moins peu après; sinon peu après, au moins au bout de quelque temps, au moins dans les six mois, bien certainement avant la fin de l'année. Mais pendant dix-huit mois entiers, où vous pouviez tous les jours avertir Publius de sa dette, vous n'ouvrez pas la bouche: c'est au bout de près de deux ans que vous parlez enfin. Quel est le dissipateur, le prodigue, qui, je ne dis pas après avoir consommé tout son bien, mais encore dans l'abondance, eût été aussi insouciant que Sextus Névius? Or, nommer Sextus Névius, il me semble que c'est tout dire. Caïus Quintius vous devait, vous ne lui avez jamais rien demandé. Il meurt; son bien passe à son héritier; vous voyez celui-ci tous les jours, et c'est au bout de deux ans que vous parlez pour la première fois. Demandera-t-on lequel est le plus vraisemblable, ou que Névius, s'il était vraiment créancier, l'eût déclaré sur-le-champ, ou qu'il fût resté deux années sans même en parler? - On n'a pas trouvé le moment d'aborder cette question. - Mais Publius a vécu avec vous plus d'un an. - On ne pouvait pas suivre l'affaire dans la Gaule. - Mais on rendait la justice dans cette province, et il y avait des tribunaux à Rome. Non; vous ne pouvez avoir été retenu que par une extrême négligence, ou par une générosité sans exemple. Direz-vous que c'est négligence, nous en serons surpris; bonté, nous en rirons. Je ne vois pourtant pas quelle autre chose vous pouvez dire. Il est assez prouvé qu'il n'est rien dû à Névius, puisqu'il a été si longtemps sans rien demander.

XIII. Et si je fais voir que sa conduite actuelle est une nouvelle preuve qu'il ne lui est rien dû? Que fait maintenant Sextus Névius? sur quoi roule la contestation? quelle est cette procédure qui nous occupe depuis deux ans? quelle est cette affaire pour laquelle il fatigue la patience de tant de graves personnages? Il demande de l'argent. Quoi! maintenant? Mais enfin il en demande; écoutons-le. - Il veut discuter les comptes et régler les différends de la société. - C'est un peu tard; mais il vaut mieux tard que jamais : d'accord. - Non, dit-il, ce n'est pas là ce que je veux ; ce n'est pas de cela que je suis en peine aujourd'hui. Depuis de longues années, Publius Quintius se sert de mes fonds : qu'il s'en serve; je ne les redemande pas. - Pourquoi donc cet acharnement? Voulez-vous, comme vous l'avez dit plusieurs fois, qu'il soit retranché de la société? qu'il perde le rang qu'il a soutenu jusqu'ici avec honneur, qu'il cesse de compter au nombre des vivants? qu'il dispute ici sa vie et tout ce qui peut y ajouter du prix? qu'il parle le premier devant son juge, et qu'il n'entende, que lorsqu'il n'aura plus rien à dire, la voix de son accusateur? Eh! quel est donc votre but? De rentrer plus tôt dans ce qui vous appartient? mais si vous l'aviez voulu, la chose serait faite depuis longtemps. D'occuper dans ce combat le poste le plus honorable? mais vous ne pouvez, sans une impiété horrible, immoler Publius Quintius, votre parent. De faciliter la décision, mais C. Aquillius n'est pas jaloux de prononcer sur la vie d'un citoyen; et Q. Hortensius n'a pas l'habitude de poursuivre à mort ses adversaires. Nous, de notre côté, Aquillius, que disons-nous? Il demande de l'argent; nous soutenons ne lui en devoir pas. Il veut que le jugement se prononce sans retard; nous ne demandons pas mieux. Que faut-il encore? S'il appréhende que la sentence rendue ne soit pas exécutée aussitôt, je lui offre caution. Qu'à son tour il me donne caution dans les mêmes termes qu'il la recevra de moi. Tout peut être fini en un instant, C. Aquillius. Vous pouvez quitter l'audience, débarrassé d'une affaire, j'oserai le dire, presque aussi pénible pour vous que pour Publius. Eh bien ! Hortensius, que dirons-nous de cette proposition? croyez-vous que nous ne puissions point déposer des armes meurtrières, et discuter nos intérêts sans mettre en péril l'état de notre adversaire? poursuivre nos droits sans ravir à un parent jusqu'à l'existence? prendre le rôle de demandeur et renoncer à celui d'accusateur? - Oui, dit-il, je recevrai de vous une caution; mais vous n'en aurez pas de moi.

XIV. Qui donc nous dicte des lois si équitables? qui décide que ce qui est juste pour Publius est injuste pour Névius? Les biens de Publius, dit-il, ont été sous la saisie en vertu de l'édit. - Vous demandez donc que j'en convienne? que nous confirmions, par notre propre aveu, la vérité d'un fait dont nous soutenons la fausseté devant la justice? Ne serait-il pas possible, Aquillius, que chacun fît triompher ses droits, sans attaquer l'honneur, la réputation, la vie de personne? Oui, certes; s'il était dû quelque somme à Névius, il la demanderait. Il n'épuiserait pas toutes les formes de procédure, pour éluder la seule question d'où dépendent toutes les autres. Vous qui, pendant de longues années, n'avez pas dit un mot de cette dette à Publius, quoique vous puissiez lui en parler tous les jours; vous qui, depuis le commencement de vos injustes poursuites, avez consumé tout le temps en remises et délais; vous qui, après un désistement formel, avez, par une insigne perfidie, chassé votre associé du domaine commun; vous qui, libre de faire juger le fond sans que personne s'y opposât, avez mieux aimé engager un procès de diffamation; vous enfin qui, rappelé à cette question principale, source et origine de toutes les autres, refusez les conditions les plus équitables; avouez donc que ce n'est pas de l'argent que vous voulez, mais la vie et le sang de votre adversaire. Ne dites-vous pas ouvertement : « S'il m'était dû, je demanderais ; j'aurais même reçu depuis longtemps; je n'aurais pas besoin de tant d'intrigues, d'une si odieuse procédure, de l'appui de tant d'amis, si je ne voulais que demander? Non, il faut faire violence à cet homme, et lui extorquer ce qu'il ne doit pas; il faut le lui enlever, le lui arracher de vive force; il faut dépouiller Publius de toute sa fortune; il faut appeler à mon secours tout ce qu'il y a d'habiles orateurs, d'hommes nobles et puissants; il faut que la force triomphe de la vérité. Menaces, dangers, terreurs de toute espèce, employons tout pour frapper son imagination, afin que vaincu, épouvanté, il cède de lui-même. Et certes, quand j'envisage nos adversaires et ceux qui viennent les appuyer devant ce tribunal, l'orage me paraît en effet prêt à fondre sur nous, sans qu'il nous reste aucun moyen de l'éviter. Mais, lorsque je reporte sur vous, Aquillius, mes regards et ma pensée, alors je conçois que plus on fait d'efforts pour nous accabler, plus ces efforts et cet acharnement sont vains et impuissants.

Publius ne vous devait donc rien, comme vous en faites hautement l'aveu. Mais quand il vous aurait dû, était-ce une raison pour demander au préteur la saisie de ses biens? Un tel procédé ne me paraît ni dans l'intérêt de la justice, ni dans le vôtre. Quel est votre prétexte? Vous dites qu'on a manqué à un ajournement.

XV. Avant de prouver qu'il n'en est rien, je suis bien aise, Aquillius, de rappeler ici les égards qu'on se doit et qu'on se rend tous les jours dans le commerce de la vie, et d'y comparer la conduite de Névius. Eu homme, votre parent, votre associé, avec lequel vous étiez lié depuis longtemps par les rapports les plus intimes, a manqué, dites-vous, à un ajournement. Deviez-vous aller aussitôt devant le préteur? étiez vous fondé à demander sur l'heure la mise en possession de ses biens. Vous vous hâtiez donc de recourir à cette rigueur extrême, à cette dernière ressource de la haine, attint de ne pouvoir plus rien ajouter ensuite à de si odieuses, à de si cruelles persécutions? Que peut-il en effet arriver à un homme de plus humiliant, de plus malheureux, et de plus déplorable? Peut-on subir une pareille ignominie, éprouver une si affreuse catastrophe ? Que la fortune ait dépouillé un citoyen de ses biens, ou que l'injustice les lui ait ravis; si sa réputation est sans tache, l'honneur le console de la pauvreté. Tel autre, déshonoré dans l'opinion, on flétri par un jugement, jouit encore de ce qu'il a, et n'est pas réduit à la dure nécessité d'implorer les secours étrangers : c'est au moins une ressource, un adoucissement à l'excès de ses maux. Mais celui dont on a vendu les biens, celui qui a vu sa fortune tout entière, sans en excepter ce qui est indispensable pour vivre et se vêtir, livrée par la voix du crieur à l'ignominie d'un encan, celui-là n'est pas seulement retranché du nombre des vivants; il est rabaissé, si cela est possible, au-dessous même des morts. En effet, un trépas honorable couvre souvent de sa gloire une vie honteuse ; une vie honteuse ne laisse pas même l'espoir d'un trépas honorable. Aussi la saisie, mise juridiquement sur les biens d'un infortuné, frappe en même temps son honneur et sa réputation. Celui qui voit sa honte écrite aux lieux les plus fréquentés de la ville, ne peut pas même périr dans l'obscurité et le silence. Celui auquel la loi donne des syndics et des maîtres, pour lui dicter les conditions de sa ruine, celui dont le crieur proclame le nom et met les propriétés à l'enchère, assiste, tout vivant qu'il est, à ses propres funérailles, si l'on peut appeler ainsi cette scène de pillage, où, au lieu d'amis rassemblés pour honorer sa mémoire, il n'accoure que d'avides acheteurs, qui viennent comme des bourreaux se disputer entre eux les restes de son existence.

XVI. Aussi nos ancêtres ont-ils voulu que ce spectacle fût rarement donné; les préteurs ont mis à ce droit rigoureux de sages restrictions ; les gens de bien n'en usent que pour déjouer une fraude évidente, et qui échapperait aux poursuites ordinaires. Encore ne s'y décident-ils qu'à regret et avec une lenteur circonspecte. Il faut qu'une impérieuse nécessité les y contraigne, que le débiteur, en faisant défauts sur défauts, ait pris plaisir à se jouer de leur attente. Ils réfléchissent aux conséquences d'un acte par lequel on dépouille son semblable. Oui, l'honnête homme se refuse à immoler un citoyen, même avec justice. Au lieu de cet odieux souvenir : « Je l'ai perdu pouvant l'épargner, » il aime mieux pouvoir rappeler qu'il l'a épargné, quand il pouvait le perdre. Voilà ce que font envers des étrangers, envers de mortels ennemis, ceux qui respectent l'opinion publique, et se souviennent qu'ils sont hommes aussi. Ils ne causent jamais volontairement le malheur de personne, afin que personne n'ait à exercer contre eux de justes représailles. - Il a manqué de comparaître. - Qui? votre parent. Cette conduite peut être fort blâmable en elle-même; cependant le nom de parent en diminue l'odieux. - Il n'a pas comparu. - Qui? votre associé. Vous devriez pardonner un tort plus grave encore à celui avec lequel votre propre volonté ou la fortune vous avait étroitement lié. - Il n'a pas comparu. - Qui? celui qui fut toujours à vos ordres. Il fallait donc, parce qu'une fois il ne s'y est pas rendu, lancer contre lui tous les traits dont on s'arme contre un adversaire consommé dans la ruse et la mauvaise foi? Je vous le demande, S. Névius, s'il s'était agi de votre salaire de crieur public ou de quelque mince intérêt, et que vous eussiez craint une surprise, n'auriez-vous pas couru chez C. Aquillius ou chez quelqu'un de nos jurisconsultes? Et lorsqu'il s'agissait des égards dus à un associé, à un ami, à un parent, lorsqu'il fallait donner quelque chose aux procédés et à l'opinion, loin de consulter Aquillius, ou Lucullus, vous ne vous êtes pas consulté vous-même, vous ne vous êtes pas dit: Voilà la deuxième heure écoulée, et Publius n'a point encore paru; que dois-je faire? Oui, si vous vous étiez seulement dit ces deux mots Que dois-je faire? la cupidité, la soif de l'or se seraient calmées pour un instant. La raison, la réflexion auraient pu vous ouvrir les yeux; vous seriez rentré en vous-même et vous ne seriez pas réduit à faire devant de tels hommes le honteux aveu, qu'à l'heure précise où un proche parent a manqué de comparaître, vous avez sur-le-champ pris la résolution de le dépouiller sans pitié.

XVII. Eh bien ! moi, je demande pour vous après coup, et dans une affaire qui n'est pas la mienne, ce conseil que vous avez oublié de demander, en temps opportun et dans votre propre affaire : Répondez-moi, je vous prie, C. Aquillius, et vous Lucullus, Quintius, Marcellus : un homme qui avait pris avec moi l'engagement de comparaître, y a manqué; c'est un associé, un parent, avec lequel j'ai depuis longtemps des liaisons d'amitié, et depuis peu une discussion d'intérêt : dois-je requérir du préteur la saisie de ses biens? ou, comme il a dans Rome sa maison, sa femme, ses enfants, ne dois-je pas plutôt lui signifier chez lui mes justes prétentions? Quel pourrait être votre avis sur une pareille consultation? Assurément, si je connais bien votre bonté, votre prudence, je ne me trompe guère sur ce que vous pourriez répondre. «Il faut attendre, diriez-vous d'abord; ensuite, si la personne assignée paraît se cacher pour éluder les poursuites, il faut aller trouver ses amis; leur demander quel est son fondé de pouvoirs, lui faire une signification à son domicile.» On compterait à peine toutes les démarches que vous conseilleriez de faire, avant d'en venir à un acte qui n'est jamais nécessaire qu'à la dernière extrémité. Que répond à cela Névius? Il rit sans doute de la folie que nous avons de chercher en lui la délicatesse et la morale des gens de bien. « Qu'ai-je de commun, dit-il, avec ces scrupules et cette rigueur de principes? Tous ces procédés sont bons pour les honnêtes gens; mais quand il est question de moi, il ne faut pas faire attention à ma fortune, mais à la manière dont je l'ai acquise. Je me souviens de ma naissance et de mon éducation. Un vieux proverbe dit, que d'un bouffon il est plus aisé de faire un riche, qu'un homme comme il faut.» Voilà sa pensée, et si sa bouche n'ose l'exprimer, ses actions la proclament hautement. Aussi bien, s'il voulait vivre en honnête homme, il lui faudrait faire deux choses également difficiles à son âge : beaucoup apprendre et beaucoup oublier.

Oui, dit-il, mon débiteur a fait défaut, et je n'ai point balancé à publier la saisie de ses biens. C'est agir sans pitié; mais enfin, puisque vous prétendez avoir ce droit, et que vous voulez en user, nous vous l'accordons. Mais si par hasard il n'y a pas eu défaut; si ce prétexte n'est qu'une noirceur et une perfidie tout entière de votre invention; s'il n'y a eu entre Publius et vous aucun engagement de comparaître, comment faut-il vous appeler? Un méchant homme? mais, eût-on réellement fait défaut, c'est être plus que méchant de saisir et d'afficher les biens de son adversaire. Un homme rusé? vous ne vous en défendez pas. Un fourbe? c'est un titre que vous aimez, dont vous faites gloire. Un audacieux, un avare, un perfide? ces noms sont usés et vulgaires, votre action est nouvelle, inouïe. Que dirai-je donc? Oui, je crains que la dureté de mes expressions ne révolte la nature, ou que leur faiblesse ne trahisse ma cause. Vous dites que Publius a manqué à un ajournement. Publius vous a demandé, aussitôt son retour à Rome, quand cet ajournement avait été consenti. Le 5 février, répondîtes-vous. En vous quittant, Publius cherche dans sa mémoire l'époque où il est parti de Rome pour la Gaule. Il consulte son journal : il trouve que c'est le dernier jour de janvier. Si Publius était à Rome le 5 février, nous n'avons plus rien à dire; il a consenti l'ajournement. Mais comment s'en assurer? L. Albius, homme de la première distinction, partit avec lui : il déposera devant ce tribunal. Tous deux furent conduits par leurs amis, qui déposeront également. Les lettres de Publius, cette foule de témoins, qui tous ont dû connaître le fait, et n'ont aucune raison de tromper, seront comparés avec celui qui vous prête son témoignage. Et avec de telles preuves, Publius ne serait pas tranquille! il ressentirait plus longtemps les tourments de la crainte! le crédit de son adversaire lui causerait plus d'alarmes que l'équité de son juge ne lui apporte de consolation! Il a toujours mené une vie simple et presque sauvage; son caractère est sérieux et ami de la solitude; on ne l'a jamais vu dans les promenades, au champ de Mars, dans les festins; il s'est appliqué à conserver ses amis par de justes égards, son bien par une sévère économie; il fut toujours attaché aux mœurs antiques, dont la noble franchise n'est plus de mode aujourd'hui. Oui, un tel homme n'eût-il que des titres égaux à ceux qu'on lui oppose, on gémirait de le voir succomber. Mais sa cause est évidemment la plus juste; et cependant il ne prétend pas aux mêmes privilèges que son adversaire. Il veut bien être moins favorisé, pourvu toutefois qu'on ne le livre pas, lui, sa réputation et toute sa fortune, à l'avarice et à la cruauté de Névius.

XIX. J'ai tenu, C. Aquillius, ce que j'avais promis d'abord : j'ai fait voir que Névius n'avait aucun motif pour demander la saisie, parce qu'on ne lui devait rien, et que, quand on lui aurait dû, on n'a rien fait pour le pousser à cette extrémité. Maintenant remarquez, je vous prie, que les biens de Publius n'ont pu être saisis aux termes de l'édit du préteur. Greffier, lisez l'édit : CELUI QUI SE SERA CACHÉ POUR FRUSTRER SON CRÉANCIER ... Ce n'est pas Publius, à moins que ce ne soit se cacher que d'aller à ses affaires en laissant un fondé de pouvoir. CELUI QUI N'AURA POINT D'HÉRITIER CONNU ... Ce n'est pas encore lui. CELUI QUI AURA QUITTÉ SON DOMICILE POUR ALLER EN EXIL. Assurément ce n'est pas lui. L'ABSENT QUI N'AURA PAS ÉTÉ DÉFENDU EN JUSTICE ... Dans quel temps et comment, Névius, croyez-vous que Publius absent dût être défendu ? Quand vous requériez la saisie ? Personne ne s'est présenté; car personne ne pouvait deviner ce que vous alliez faire. Et d'ailleurs nul n'avait à réclamer contre une sentence où le préteur disait, non pas de faire la saisie, mais de la faire aux termes de son édit. Quand donc le fondé de pouvoir a-t-il eu, pour la première fois, occasion de défendre l'absent? Est-ce lorsque vous affichiez l'envoi en possession? Eh bien! il s'est présenté; il s'est opposé à votre entreprise : Alphénus a ôté vos affiches; le représentant de Publius a fait avec le plus grand zèle le premier acte qu'exigeait son devoir. Voyons la suite. Vous arrêtez sur la voie publique un esclave de Publius, vous cherchez à l'emmener : Alphénus ne le souffre pas; il vous l'arrache de force; il le fait reconduire chez son maître. En cela encore il a rempli le devoir d'un procureur zélé. Vous dites que Publius vous doit; son procureur le nie. Vous proposez un ajournement; il l'accepte. Vous l'appelez devant le préteur; il s'y rend. Vous demandez des juges; il n'en refuse pas. Si ce n'est pas là défendre un absent, je n'y conçois plus rien. Mais quel était ce procureur? Peut-être un homme sans aveu, sans ressource, sans foi, un plaideur de profession, un homme capable d'endurer les insultes journalières d'un bouffon parvenu. Bien moins que cela. C'était un chevalier romain, riche, et qui savait faire valoir ses grands biens; c'était enfin celui à qui Névius a laissé dans Rome le soin de ses affaires, toutes les fois qu'il a fait le voyage de la Gaule.

XX. Et vous osez, Névius, soutenir que Publius absent n'a point été représenté, quand il l'a été par celui que vous preniez ordinairement vous-même pour votre représentant! L'homme entre les mains de qui vous remettiez en partant vos intérêts et votre honneur a offert d'être jugé pour Publius, et vous prétendez que personne n'a comparu pour le défendre en justice. Je demandais, dit-il, que l'on donnât caution. - Vous aviez tort de le demander. - On vous ordonnait de le faire. - Alphénus s'y refusait. - Mais le préteur avait prononcé. - Aussi avait-on recours aux tribuns. - Ici je vous tiens, s'écrie-t-il : ce n'est pas vouloir être jugé, ni soutenir une cause en justice, que d'en appeler aux tribuns. - Quand je pense aux lumières d'Hortensius, je ne crois pas qu'il me fasse cette objection; mais quand j'entends dire qu'il l'a déjà faite, et que j'examine la cause en elle-même, je ne vois pas quelle autre chose il pourrait alléguer. Il avoue qu'Alphénus a enlevé les affiches, consenti un ajournement, accepté le débat judiciaire aux termes que proposait Névius, sans toutefois renoncer aux privilèges de l'usage, et à l'appui des magistrats établis pour protéger les citoyens. Il faut, ou détruire la vérité de ces faits, ou qu'au mépris de son serment, un juge tel qu'Aquillius établisse une nouvelle jurisprudence, et prononce qu'un absent n'est pas défendu, lorsque son fondé de pouvoir s'est déclaré prêt à suivre le demandeur devant tous les tribunaux; qu'il ne l'est pas, quand ce fondé de pouvoir a osé, du préteur, en appeler aux tribuns; qu'alors on peut légalement s'emparer de ses biens; qu'alors il est juste de plonger dans l'opprobre et la misère un infortuné, un absent, qui vit dans une profonde ignorance du malheur qui l'accable. Voilà quels étranges principes il faut approuver, si l'on ne veut pas reconnaître que Publius a été représenté en justice. Mais il a été représenté, ses biens n'ont point été saisis aux termes de l'édit. On dira peut-être que les tribuns ont refusé leur intervention. Si cela est, j'avoue que le fondé de pouvoir a dû se soumettre à l'ordonnance du préteur. Mais s'il est vrai que Brutus a dit hautement qu'il interviendrait, à moins qu'il n'y eût conciliation entre Alphénus et Névius, n'est-il pas évident que l'appel aux tribuns a eu pour but, non d'arrêter le cours de la justice, mais d'obtenir une juste protection?

[21] XXI. Ce n'est pas tout. Alphénus veut apprendre à tout le monde qu'il répond pour son ami. Afin de mettre à l'abri du soupçon sa propre conduite et la loyauté de Publius, il rassemble un grand nombre d'hommes connus par leur probité. En leur présence il conjure Névius, comme ami des deux parties, de n'exercer contre Publius absent aucune rigueur inutile, protestant que s'il continue de le traiter avec l'acharnement d'un ennemi, il prouvera, par toutes les voies honnêtes et légitimes l'injustice de sa demande; qu'il est prêt à suivre Névius devant les tribunaux, quelque action qu'il veuille intenter. Les témoins, tous gens d'honneur, scellèrent cette déclaration; elle ne peut faire la matière d'un doute. Le procès n'était point entamé, les biens de Publius n'étaient ni affichés ni saisis, lorsque Alphénus promit que Publius comparaîtrait; Publius comparaît deux ans entiers, l'affaire reste en suspens, jusqu'à ce qu'on ait trouvé, à force de ruses, le moyen d'en changer la nature, et de la ramener à la question unique où Névius la renferme aujourd'hui. Je vous le demande, Aquillius, Alphénus n'a-t-il pas rempli tous les devoirs d'un procureur zélé? Qu'allègue-t-on pour prouver que Publius absent n'a pas été représenté? Dira-t-on, ce que les insinuations d'Hortensius et les cris répétés de son client voudraient nous persuader, que sous les chefs qui dominaient alors, Névius ne pouvait lutter sans désavantage contre Alphénus? Si j'en veux convenir, ils m'accorderont, je pense, que Publius avait un défenseur considéré, bien loin de n'en avoir aucun. Mais il me suffit, pour triompher, qu'un fondé de pouvoir ait été prêt à répondre pour lui. Quel crédit avait-il? c'est ce qui me paraît indifférent, pourvu qu'il défendît l'absent devant la justice et les magistrats. Il était dites-vous, du parti alors tout puissant. - Pourquoi non? Il avait reçu vos leçons; vous l'aviez formé dès l'enfance à ne pas reculer devant un noble, fût-il gladiateur. Ce que vous désiriez alors ardemment, Alphénus le désirait aussi. Dans cette rivalité de zèle, vous combattiez vraiment à forces égales. Il était, dites-vous, intime ami de Brutus, et voilà pourquoi ce tribun intervenait. Vous étiez, vous, l'ami de Burrhiénus qui ordonnait l'injustice; vous étiez l'ami de tous ceux qui, à la faveur de la violence et du crime, pouvaient beaucoup alors, et osaient tout ce qu'ils pouvaient. Souhaitiez-vous la victoire à tous ces hommes qui se donnent aujourd'hui tant de peine pour vous faire vaincre? Osez le dire, non pas tout haut, mais à l'oreille de vos amis qui m'entendent. Non, pour l'attachement an parti, vous ne vous cédiez rien l'un à l'autre; mais c'est vous, sans contredit, qui avez remporté le prix du génie, de l'expérience, de l'adresse : c'est assez de qualités sans parler des autres. Alphénus a péri avec ceux qu'il aimait, et pour eux. Mais vous, Névius, quand vous avez vu que vos amis ne pouvaient triompher, vous vous êtes fait l'ami de ceux qui triomphaient. Au reste, je ne veux pas rappeler le souvenir d'événements qu'il faudrait, selon moi, ensevelir dans un éternel oubli.

XXII. Je ne dis qu'une chose : si l'influence d'un parti donnait du pouvoir à Alphénus, elle en donnait beaucoup plus à Névius. Si Alphénus usait de son crédit pour demander des choses injustes, Névius en obtenait par le sien de bien plus injustes encore. Vous dites que vous n'étiez pas en état de lutter alors avec Alphénus, parce qu'il n'était pas tout à fait sans appui contre vous, parce qu'il se rencontrait un magistrat dont il pouvait espérer quelque justice. Que doit donc dire aujourd'hui Publius, qui n'a pu jusqu'ici ni trouver un magistrat impartial, ni obtenir une procédure régulière, qui n'a entendu aucune demande, qui ne s'est vu dicter aucun acte, qui ne fût, je ne dis pas inique, mais inouï et sans exemple? - Je voudrais bien plaider sur la somme que vous réclamez. - Impossible. - Mais c'est là tout l'objet du procès. - Peu m'importe; c'est votre tête qu'il faut défendre. - Accusez-moi donc, puisque la nécessité l'exige. - Oui; mais c'est lorsque, d'après une jurisprudence nouvelle, vous aurez plaidé le premier. Vous parlerez malgré vous, et nous fixerons le temps que vous parlerez; le juge même recevra la loi de nous. Alors vous trouverez sans doute un avocat tel que le barreau en voyait jadis, dont le courage ne sera point intimidé par l'éclat qui nous environne, et saura braver notre crédit. Pour moi, Philippe, que son éloquence, son caractère et ses dignités ont placé si haut dans la république, soutiendra ma cause; Hortensius, dont vous connaissez le génie, la naissance, la réputation, portera la parole; avec eux paraîtront de nobles et puissants personnages, dont le nombre et la présence suffiraient pour faire trembler non seulement Publius, qui a sa vie à défendre, mais tout homme qui ne courrait même aucun danger. Voilà, Névius, un combat vraiment inégal, bien différent de ceux, par lesquels vous avez préludé avec Alphénus à cette guerre cruelle; ici vous ne laissez pas même à votre adversaire une position où il puisse se défendre contre vous. Je le dis donc : il vous faut ou prouver qu'Alphénus ne s'est pas annoncé comme représentant de Publius, qu'il n'a pas arraché vos affiches, qu'il n'a pas voulu vous répondre en justice, ou, en convenant de tous ces faits, convenir en même temps que vous n'avez jamais possédé les biens de Publius aux termes de l'édit.

XXIII. Répondez en effet : si vous les avez possédés à ce titre, pourquoi n'ont-ils pas été vendus? pourquoi ses autres créanciers et ceux qui lui servaient de caution ne se sont-ils pas assemblés? Serait-ce que Publius n'avait pas de créanciers? Il en avait, et même de nombreux ; car son frère avait laissé des dettes. Eh bien ! ces créanciers ne tenaient à Publius par aucun lien ; il était leur débiteur; et toutefois il ne s'en est pas trouvé un d'une assez insigne méchanceté pour attaquer l'honneur d'un absent. Un seul, l'allié de sa famille, son associé, son ami, Sext. Névius, débiteur lui-même de la société, a engagé une lutte criminelle, où il dispute, comme un prix digne de toute son ambition, l'affreux honneur de faire tomber un parent sous ses coups, de le dépouiller d'une fortune honnêtement acquise, de lui ravir même la lumière qui nous éclaire. Je le répète : où étaient les autres créanciers? où sont-ils encore aujourd'hui? lequel d'entre eux accuse Publius de s'être caché par mauvaise foi? un seul nie-t-il qu'il ait été représenté en son absence? Aucun. Je dis plus : tous ceux qui ont eu, ou qui ont encore avec lui quelques rapports d'intérêt, prennent sa défense ; sa réputation de loyauté est établie en cent lieux; tous désirent qu'elle ne soit point ternie par les perfides intrigues de Névius. Voilà les témoins qu'il fallait appeler à ce débat ; et il fallait en trouver parmi eux qui tinssent ce langage : « Publius a manqué à un ajournement convenu avec moi; il m'a trompé; il m'a demandé du temps pour une dette qu'il avait niée; je n'ai pu l'amener devant la justice; il s'est caché, il a disparu sans laisser de représentant. » Or, c'est ce que personne ne dit. - On fera paraître des témoins qui le diront. - Qu'ils déposent, et nous tâcherons de leur répondre; en attendant, qu'ils y songent bien : leur témoignage aura tout le poids qu'il mérite d'avoir, s'ils respectent la vérité; mais s'ils la trahissent, il perdra toute son autorité; et l'on verra clairement que si la considération personnelle peut prêter à la vérité de nouvelles forces, elle ne saurait faire triompher le mensonge.

XXIV. Je demande donc deux choses: d'abord comment Névius n'a pas consommé l'œuvre qu'il avait commencée, c'est-à-dire, pourquoi il n'a pas vendu les biens judiciairement saisis; ensuite pourquoi, de tant de créanciers, aucun n'est venu faire reconnaître ses droits; et je le demande, Névius, afin que vous soyez forcé de convenir, et qu'aucun d'eux n'a eu cette folle présomption, et que vous-même n'avez pu conduire à sa fin votre honteuse entreprise. Et s'il était vrai que votre propre aveu démontrât que les biens de Publius n'ont pas été saisis? car sans doute votre témoignage, qui serait peu de chose dans l'affaire d'autrui, doit être d'un grand poids dans la vôtre, quand il prouve contre vous. Vous avez acheté les biens d'Alphénus, que Sylla faisait vendre, et vous avez déclaré Publius votre associé dans cet achat. Je n'en dis pas davantage. Vous offriez une association volontaire à celui qui vous avait trompé dans une association héréditaire; vous donniez une preuve éclatante de votre estime à l'homme que vous croyiez dépouillé de ses biens et de son honneur.

Je l'avouerai, Aquillius, je me défiais d'abord de mes forces, et je craignais de ne pas apporter à la défense de cette cause assez d'assurance et de sang-froid. Effrayé de l'idée qu'Hortensius parlerait après moi, et que j'aurais dans Philippe un auditeur attentif, je tremblais de me déconcerter plus d'une fois. Quand le célèbre acteur Roscius, dont Publius a épousé la sœur, me conjurait de défendre son beau-frère, je lui disais qu'il me serait bien difficile de plaider contre de tels orateurs une cause de cette importance; qu'à peine oserais-je devant eux proférer une seule parole. Comme il redoublait d'instances, je lui dis avec toute la familiarité de l'amitié, qu'il fallait une présomption peu commune pour essayer un geste en sa présence ; mais que l'acteur qui voudrait rivaliser avec lui, eût-il une réputation de talent et de goût, la perdrait aussitôt. Je crains beaucoup, ajoutai-je, qu'il ne m'en arrive autant, lorsque je parlerai devant un si grand maître.

XXV. Roscius alors fit valoir toutes les raisons qu'il crut propres à m'encourager; et quand il aurait gardé le silence, la franchise et le zèle avec lesquels il plaidait la cause de son parent, avaient quelque chose d'irrésistible. Car si ce grand acteur semble, par son rare talent, seul digne de monter sur la scène, telles sont aussi ses excellentes qualités, que nul ne paraît plus digne que lui de n'y monter jamais. - Cependant, me dit-il enfin, si vous aviez à soutenir en justice qu'il n'est pas un homme qui puisse, en deux ou trois jours au plus, parcourir sept cents milles, craindriez-vous encore de plaider une telle cause contre Hortensius? - Non, répondis-je : mais à quoi tend cette supposition? - C'est là-dessus, reprit-il, que roule tout le procès. - Comment? Alors il me révéla un trait de Névius qui, fût-il seul, suffirait pour le condamner. Je vous en conjure, Aquillius, et vous ses dignes assesseurs, prêtez-moi une nouvelle attention; vous serez convaincus que, dès l'origine de cette affaire, la cupidité et l'audace n'ont cessé de livrer la guerre à la franchise et à la probité. Vous demandez qu'il vous soit permis de saisir les biens de Publius aux termes de l'édit. Quel jour le demandez-vous? C'est vous, Névius, que je veux entendre. Je veux que l'attentat le plus inouï soit attesté par la voix même du coupable. Dites-nous, Névius, le jour de votre demande? - Le cinq avant les calendes intercalaires. - A merveille. Combien y a-t-il d'ici à vos domaines de la Gaule? Parlez, Névius. Sept cents milles. Très bien. On en chasse Publius. Quel jour? Ne pouvons-nous pas aussi le savoir de vous? Pourquoi ce silence? Dites-nous donc le jour. La honte vous en empêche? Je le conçois; mais la honte est tardive et inutile. Écoutez, Aquillius. Publius est chassé du domaine la veille des mêmes calendes. C'est en deux jours, ou en supposant qu'un courrier soit parti au sortir de l'audience, c'est en moins de trois jours qu'on parcourt sept cents milles. O prodige incroyable ! aveugle passion ! inconcevable rapidité ! les ministres et les satellites de Névius partent de Rome, franchissent les Alpes, et arrivent en deux jours chez les Sébusiens. Heureux Névius, d'avoir à ses ordres de tels messagers, ou plutôt de tels Pégases !

XXVI. Oui, quand même tous les Crassus avec les Antoines reviendraient à la lumière; et vous, Philippe, qui avez brillé parmi ces grands hommes, quand même vous vous uniriez à Hortensius pour plaider cette cause, je triompherais malgré vous. Il n'est pas vrai, comme vous le pensez, que tout soit dans l'éloquence. Il est, oui, il est encore des vérités si lumineuses, que rien ne peut en obscurcir la clarté. Auriez-vous, Névius, même avant votre demande en saisie, envoyé des agents avec ordre de faire chasser un propriétaire de chez lui par ses propres esclaves? Choisissez entre ces deux moyens : l'un est impossible; l'autre exécrable; tous deux inouïs. Voulez-vous qu'on ait parcouru sept cents milles en deux jours? Répondez. - Non. - Vous avez donc envoyé d'avance. Je l'aime mieux ainsi. Car si vous disiez oui sur le premier point, vous mentiriez sans pudeur; mais en convenant de celui-ci, vous vous ôtez jusqu'à la ressource du mensonge. Une cupidité si ardente, si audacieuse, si téméraire, trouvera-t-elle grâce devant Aquillius et ses assesseurs? Que signifie cette fureur aveugle, cette étrange précipitation, cette fougueuse impatience? Violence, crime, brigandage, tout n'est-il pas là-dedans, tout, excepté la justice, la probité, l'honneur? Vous envoyez avant l'ordre du préteur. Dans quel dessein? Vous saviez qu'il donnerait cet ordre! Eh ! ne pouviez-vous pas attendre qu'il l'eût donné? Vous alliez le demander! Quand? dans trente jours sans doute. Oui, s'il ne vous survenait aucun obstacle, si vous ne changiez point d'avis, si vous ne tombiez point malade, enfin si vous viviez. Le préteur l'eût accordé! Je le crois; mais il fallait pour cela qu'il le voulût, qu'il se portât bien, qu'il tînt l'audience, que personne n'arrêtât vos poursuites en consentant à fournir caution, et à courir les chances d'un jugement. Car je vous le demande au nom. des dieux : si Alphénus, représentant de Publius, vous avait alors donné caution, s'il eût accepté des juges, s'il se fût soumis à tout ce que vous demandiez, qu'eussiez-vous fait? Auriez-vous rappelé votre envoyé de la Gaule? Mais déjà Publius aurait été chassé de son domaine; un propriétaire aurait été arraché à ses foyers, à ses dieux pénates; et pour comble d'outrage, c'est la main de ses propres esclaves, qui, sur un simple message de vous, aurait exercé contre lui ces violences. Auriez-vous donc réparé dans la suite ces torts irréparables? Et vous osez attaquer en justice l'honneur et la vie d'un citoyen! Ah! rougissez plutôt de l'étrange aveuglement où vous a plongé votre impatiente avarice, lorsque, sans songer à tous les événements que l'avenir dérobe à notre prévoyance, vous avez placé sur les chances incertaines d'un temps qui n'était pas encore, l'espoir d'un forfait que vous ne vouliez pas différer. Et je parle en ce moment, comme si vous aviez eu le droit et le pouvoir d'employer la force pour déposséder Publius, quand même vous n'auriez envoyé qu'après l'ordonnance de saisie prendre possession du domaine.

XXVII. Oui, Aquillius, tout dans cette affaire montre la mauvaise foi soutenue de la puissance, aux prises avec la vérité sans appui. Comment le préteur vous a-t-il envoyé en possession? Sans doute d'après son édit. Quels sont les termes du défi juridique sur lequel nous plaidons? SI LES BIENS DE P. QUINTIUS N'ONT PAS ÉTÉ POSSÉDÉS AUX TERMES DE L'EDIT DU PRÉTEUR. Revenons à l'édit. Comment ordonne-t-il que l'on possède? N'est-il pas évident, Aquillius, que si Névius a possédé tout autrement que ne porte l'édit, il n'aura pas possédé aux termes de l'édit, et que ma cause est gagnée? Voyons donc ce qu'il porte. CEUX QUI SERONT ENTRÉS EN POSSESSION D'APRÈS MON ÉDIT ... Il parle de vous, Névius, s'il faut vous en croire; car vous dites avoir possédé d'après l'édit. Il vous trace des règles de conduite, il vous instruit, il vous donne des leçons. CEUX QUI SERONT ENTRÉS EN POSSESSION D'APRÈS MON ÉDIT, SE CONDUIRONT COMME IL VA ÊTRE PRESCRIT ... Comment? CE QU'ILS POURRONT GARDER CONVENABLEMENT SUR LES LIEUX, QU'ILS LE GARDENT SUR LES LIEUX. CE QU'ILS NE POURRONT Y GARDER, IL LEUR SERA PERMIS DE L'ENLEVER ET DE LE TRANSPORTER AILLEURS. Que lit-on encore? ON N'AURA PAS LE DROIT DE CHASSER DE FORCE LE PROPRIÉTAIRE. Oui, celui qui se cache par mauvaise foi, celui que personne ne défend en justice, celui qui se joue de ses créanciers, le législateur défend qu'on le chasse malgré lui de son domaine. Au moment où vous allez entrer en possession, Névius, le préteur lui-même vous dit expressément : Possédez de manière que Publius possède avec vous; possédez, mais sans user de violence envers Publius. Comment observez-vous cet ordre? Je ne dis plus : Vous avez employé la violence contre un homme qui ne se cachait pas, qui avait à Rome sa maison, sa femme, ses enfants, son fondé de pouvoir, qui n'avait manqué envers vous à aucun ajournement. Ce n'est plus là ce que je dis. Je dis qu'un propriétaire a été chassé de son domaine; qu'un maître a vu ses propres esclaves porter sur lui une main criminelle, à la face de ses dieux pénates; je dis ...

XXVIII. J'ai prouvé que Névius n'avait pas dit un mot de sa créance à Publius, quoiqu'ils vécussent ensemble et qu'il pût s'en expliquer tous les jours. J'ai fait voir que, par une odieuse préférence, et afin de perdre son adversaire, il avait mieux aimé affronter les difficultés de la procédure la plus épineuse, que de terminer en un jour une simple discussion d'intérêt, qui de son aveu a donné naissance à toute cette affaire. A cette occasion, je lui ai offert caution pour la somme qu'il disait lui être due, à condition que Publius recevrait pareillement caution, pour ce qu'il pourrait aussi avoir à réclamer. J'ai montré combien de ménagements il fallait employer avant de requérir la saisie contre un parent, et un parent qui avait à Rome sa maison, sa femme, ses enfants, un fondé de pouvoir, ami des deux parties. On veut qu'il y ait eu défaut : j'ai établi qu'il n'y avait pas même eu d'ajournement, et que le jour où l'on prétend qu'il en avait été consenti un, Publius n'était pas à Rome. C'est un fait dont je me suis engagé à produire des témoins, qui doivent le savoir, et qui n'ont aucun intérêt de mentir. J'ai démontré que les biens de mon client n'ont pu être possédés aux termes de l'édit, parce qu'il ne s'est ni caché pour frustrer ses créanciers, ni éloigné de ses foyers pour aller en exil. Restait à dire que personne ne l'a représenté en justice : j'ai soutenu qu'il a été parfaitement représenté, non par un étranger, ni par un plaideur et un intrigant de profession, mais par un chevalier romain, son parent et son ami, par celui-même auquel Névius avait coutume de laisser sa procuration. J'ai dit que son appel aux tribuns n'était pas un refus de se laisser juger; que le crédit du fondé de pouvoir n'a pas mis en péril les droits de Névius; que le crédit de Névius, au contraire, qui alors n'était que supérieur au nôtre, nous écrase maintenant et nous anéantit.

XXIX. J'ai demandé pourquoi les biens prétendus saisis n'ont pas été vendus, comment il se fait que de tant de créanciers aucun n'ait alors poursuivi Publius; qu'aucun ne s'élève maintenant contre lui; que tous, au contraire, s'intéressent à son triomphe; et cela dans une cause où les témoignages des créanciers doivent être du plus grand poids. J'ai confondu mon adversaire par ses propres actes, en rappelant qu'il s'est naguère déclaré l'associé d'un homme qui, à l'entendre aujourd'hui, ne comptait pas même alors au nombre des vivants. J'ai fait connaître son incroyable célérité, ou plutôt son audace inouïe; j'ai démontré qu'il fallait, ou qu'une route de sept cents milles eût été parcourue en deux jours, ou que Névius eût envoyé des agents pour déposséder Publius, plusieurs jours avant de requérir du prêteur l'autorisation de saisir. Ensuite j'ai lu l'édit qui défend, en propres termes, de chasser un propriétaire de son domaine; et il est demeuré constant que Névius n'a point possédé d'après l'édit, puisque, de son aveu, Publius a été chassé de vive force. J'ai établi enfin que la saisie n'a pas été consommée, puisqu'elle doit embrasser, non une partie seulement, mais la totalité des biens qui peuvent être occupés et possédés. J'ai dit que Publius avait à Rome une maison, à laquelle Névius n'a pas même songé; beaucoup d'esclaves dont il n'a pas saisi, dont il n'a pas touché un seul; qu'ayant essayé de mettre la main sur l'un d'eux, il trouva de l'opposition et resta tranquille. Vous savez que dans la Gaule il n'est pas entré en possession des propriétés particulières de Publius; et que, pour parler seulement du domaine dont il s'est emparé par l'expulsion violente de son associé, il n'en a pas chassé tous les esclaves qui appartenaient en propre à celui-ci : preuves évidentes, qui, approchées des autres paroles, des autres actions, des autres pensées de Névius, démontrent qu'il n'a jamais eu, et n'a encore aujourd'hui, d'autre but que d'usurper en entier, à force de violence, et en abusant des formes de la justice, une propriété commune.

XXX. Je finis, Aquillius; mais la nature de la cause et la grandeur du danger forcent P. Quintius de vous supplier, vous et vos assesseurs, de vous conjurer, au nom de sa vieillesse et de l'abandon où vous le voyez, de n'écouter en ce moment que votre bonté naturelle. Il a pour lui la vérité, et il espère que sa détresse sera plus puissante pour exciter votre compassion, que le crédit de son adversaire pour armer votre rigueur. Du jour où nous avons paru devant un juge tel que vous, nous avons commencé à braver leurs menaces, qui auparavant nous faisaient trembler. S'il ne s'était agi que de comparer entre elles les deux causes opposées, il ne nous eût pas été difficile de prouver la bonté de la nôtre à quelque juge que ce fût. Mais dès qu'on met dans la balance les deux manières de vivre, il nous était indispensable de vous avoir pour juge, Aquillins. Il s'agit, en effet, de décider si la sévère économie d'une vie simple et rustique pourra se défendre contre le luxe et la licence; ou si elle doit être livrée nue, dégradée, dépouillée de tout ce qui faisait son ornement, aux outrages de l'insolence et de l'avarice. Publius ne compare pas son crédit au vôtre, Névius; il ne vous dispute pas la supériorité des richesses et de l'opulence; il vous abandonne tous les talents qui vous ont rendu grand. Il avoue qu'il ne possède pas comme vous le don de la parole; qu'il ne sait point conformer son langage aux circonstances, ni passer de l'amitié malheureuse à une amitié nouvelle, mais triomphante; qu'il ne vit point dans la profusion; qu'il n'ordonne point un festin avec luxe et magnificence ; que sa maison n'est point fermée à l'honneur et à la vertu, ouverte ou plutôt prostituée à la cupidité et aux plaisirs; que les devoirs de la société, la bonne foi, l'ordre, une vie dure et austère firent toujours ses délices ; qu'au reste le système opposé est bien meilleur, et a tout l'avantage dans le siècle où nous sommes. Il le sait; mais il ne croit pas pour cela, que la fortune et l'existence des gens de bien doivent être livrées à la merci de ceux qui ont renoncé aux principes de l'honneur pour amasser et dissiper comme Gallonius, et se sont même enrichis de qualités que Gallonius n'avait pas, l'audace et la perfidie. S'il est possible de vivre sans l'agrément de Névius; s'il est une place parmi les citoyens pour celui que Névius n'y veut pas laisser; s'il est permis à Publ. Quintius de respirer, contre la volonté souveraine de Névius; si, protégé par votre justice, il peut défendre contre une insolente usurpation ce qu'il s'est procuré par une vie modeste, ce malheureux, cet infortuné peut espérer enfin la tranquillité et le repos. Mais si Névius peut tout ce qu'il voudra, et qu'il veuille tout ce que la justice réprouve, que reste-t-il à faire? quel dieu faut-il invoquer? de quel mortel implorer le secours? quelles plaintes, quels gémissements pourront égaler une telle infortune?

XXXI. Il est malheureux d'être dépouillé de tous ses biens; plus malheureux de l'être injustement : il est affligeant d'être trompé; plus affligeant de l'être par un de ses proches : c'est une calamité de perdre sa fortune; c'en est une plus grande de perdre en même temps son honneur; il est cruel d'être égorgé par un adversaire courageux et honorable, plus cruel de l'être par celui qui a prostitué sa voix à crier dans les encans : on s'indigne d'être vaincu par un égal, ou un supérieur; on s'indigne davantage de l'être par un rival abject et dégradé : il est déplorable d'être livré, avec tout ce qu'on possède, à la discrétion d'autrui; plus déplorable de l'être à son ennemi : il est affreux d'avoir à plaider pour sa vie; plus affreux de plaider avant son accusateur. Publius a jeté les yeux de tous côtés, essayé tous les moyens de salut; il n'a pu trouver aucun préteur qui lui rendît justice, ou qui lui permît de faire valoir ses droits comme il lui convenait. Souvent il s'est jeté aux pieds des amis de Névius, et, longtemps prosterné devant eux, il les a suppliés, au nom des dieux immortels, ou d'employer avec lui les voies de la justice, ou, si l'injustice était ce qu'ils voulaient, de l'en accabler sans le flétrir. Il a subi jusqu'aux regards superbes de son cruel ennemi; il a serré, les larmes aux yeux, cette main dont Névius trace, dans des actes barbares, la ruine de ses proches. Il l'a conjuré, par les liens qui l'unissent à la famille de Quintius, par le nom sacré de sa femme et de ses enfants, dont Publius est le plus proche parent, par la cendre inanimée de Caïus, d'ouvrir enfin son cœur à la pitié ; de voir en lui, sinon un allié, du moins un vieillard; de respecter, sinon l'homme, du moins l'humanité; de lui imposer toutes les conditions qu'il voudrait, mais de lui laisser l'honneur. Repoussé par Névius, dédaigné par ses amis, rebuté par tous les magistrats avec la dureté la plus effrayante, il n'a que vous désormais qu'il puisse implorer; c'est à vous qu'il recommande sa personne, sa fortune, son existence; il remet en vos mains son honneur et l'espoir des jours qu'il a encore à vivre. Abreuvé d'humiliations, poursuivi par l'injustice, ce n'est point un homme déshonoré, c'est un malheureux qui se jette entre vos bras. Chassé violemment d'un riche domaine, accablé des plus sanglants outrages, il a vu ce nouveau maître établi dans l'héritage de ses pères, tandis que lui-même ne pouvait former la dot de sa fille. Il a souffert tous ces maux, et il n'a rien fait qui démentît sa conduite passée. Il vous demande donc en grâce, Aquillius, de pouvoir remporter de votre tribunal cette réputation honorable, avec laquelle il y est venu au déclin de son âge. Que celui dont la probité ne fut jamais équivoque, ne voie pas, à soixante ans, son nom voué au déshonneur et flétri de la tache la plus honteuse; qu'il ne soit pas donné à Sextus Névius de s'approprier la fortune d'un tel homme, comme une dépouille ennemie, et de vous arracher une sentence qui empêche que l'estime publique, après avoir conduit Publius jusqu'à la vieillesse, ne l'accompagne jusqu'au tombeau.

 

 

NOTES SUR LE PLAIDOYER POUR P. QUINTIUS.

1. Caii Aquillii. C. Aquillius avait été nommé par le préteur Dolabella pour juger ce procès. Dans les causes civiles, le préteur jugeait par lui-même, ou désignait un juge pris dans la liste, qu'il dressait en entrant en charge, des citoyens ayant droit de siéger dans les tribunaux. Le juge, ainsi désigné, prenait pour assesseurs des jurisconsultes de son choix, qui avaient voix consultative, mais non délibérative.

II. De fortunis omnibus. Le mot fortune comprend ici non seulement les biens, mais encore l'état, l'honneur et l'existence civile de P. Quintius.

Priore loco causam dicere. Cicéron est forcé de parler le premier, parce que son client est demandeur. Il est demandeur, parce qu'il attaque Névius en nullité de la saisie que celui-ci prétend avoir faite de ses biens. Comment donc Hortensius est-il accusateur? C'est que pour prouver la validité de la saisie, il accusera Publius d'avoir manqué à un ajournement, et de s être enfui pour éviter les poursuites de son créancier.

Quum de re. La question soumise au jugement d'Aquilius se réduisait à ceci : Publ. Quintius at-il perdu son honneur? ou en d'autres termes : A-t-il laissé prendre défaut contre lui et saisir ses propriétés? Le fond de l'affaire, au contraire était ceci : Publius est-il, ou non, débiteur de Névius? C'est ainsi que les formes de la procédure influent sur le résultat d'un procès. Névius, en faisant juger d'abord la question de probro, ajournait la véritable question, celle de savoir si Publius lui devait de l'argent. S'il triomphait dans le premier débat, cette question fondamentale se trouvait préjugée en sa faveur, avant d'avoir été plaidée.<

III. Atriis Licinius. Les portiques de Licinius, atria Licinii, étaient un lieu où les crieurs publics se rassemblaient pour faire les ventes à l'encan. Turnébe veut que ces atria fussent dans le forum, et par conséquent appartinssent à la république. Desjardins, dans les Addenda à son excellent Commentaire des premiers discours de Cicéron, soutient, au contraire, et semble prouver, qu'ils faisaient partie de la maison de Licinius (sans doute Licinius Crassus). Vitruve, VI, 8, nous apprend en effet que, dans les maisons particulières il y avait des parties réservées au seul propriétaire, et d'autres ouvertes au public. Il n'est pas étonnant que celles-ci servissent à des ventes qui rassemblaient un nombreux concours de peuple. C'était pour ces grands de Rome, dont la vie était tout extérieure et toute politique, un moyen de s'entourer de leurs concitoyens et de se populariser. Au reste, cela n'empêche pas qu'il ne pût y avoir aussi autour du forum des lieux destinés aux cacaos, atria auctionaria. Il est même certain qu'il se faisait des enchères aux bureaux des banquiers, dont il sera question note 14.

Ad Castoris quoesisset. La dette de Caïus avait été contractée dans les Gaules en monnaie du pays, et elle devait être acquittée à Rome en espèces romaines.Il fallait donc fixer le cours du change, et, pour cela, consulter les banquiers, argentarios, qui avaient leurs comptoirs au forum près du temple de Castor. - Ad denarium. Le denier était une monnaie d'argent valant quatre sesterces. Il est nommé ici pour désigner en général les espèces ayant cours à Rome, par opposition à celles des Gaules.

V. Res esse in vadimonium coepit. Quand les parties ne pouvaient s'arranger à l'amiable, soit entre elles, soit parla médiation de leurs amis, elles prenaient l'engagement mutuel de comparaître, à un jour fixé, au tribunal du préteur. Cet ajournement s'appelle vadimonium. Celui qui le requiert est dit vadimonium postulare ou vadari; celui qui le consent, vadimonium promittere. S'y rendre, ou comparaître en justice, vadimonium sistere, vel obire; y manquer, ou faire défaut, vadimonium deserere. VI. Vada Volaterrana. Volaterre, ville d'Étrurie à vingt-cinq milles de la mer en allant vers Sienne, maintenant Volterra. Le territoire de cette ville s'étendait jusqu'à la mer, sur le bord de laquelle étaient des gués, ou endroits couverts d'une eau peu profonde. Ad tabulam Sextiam. Ce Sextius était probablement un des banquiers, argentarii, dont parle Savary dans le Dictionnaire de Commerce. Il y avait, dit-il, des espèces de banquiers chez les Romains, mais dont l'emploi et les fonctions avaient bien une antre étendue que celles des banquiers d'aujourd'hui. Ils étaient des officiers publics qui réunissaient, pour ainsi dire, les offices d'agents de change, de courtiers, de commissionnaires et de notaires, faisant le change, se chargeant de dépôts, se mêlant des achats et des ventes, et faisant tous les actes et écritures nécessaires pour tant de diverses fonctions. » Dans les enchères, ils tenaient registre des effets vendus, et en recevaient le prix. C'était à leur bureau qu'on se présentait pour constater un défaut de comparution devant le préteur. Leurs livres faisaient foi en justice. - A la seconde heure, c'est-à-dire, dès le matin; car on sait que les Romains comptaient douze heures du lever au coucher du soleil.

Ex edicto. Toutes les fois que cette expression se retrouvera dans ce discours, il faut l'entendre de l'édit que le préteur de la ville publiait chaque année en entrant en charge, et par lequel il déclarait quels seraient les principes de sa jurisprudence en matière civile.

Appellantur tribuni. Ceci se passait sous la domination du parti de Marius, par conséquent avant que les tribuns du peuple eussent été dépouillés de leurs privilèges par Sylla.

VIII. Quod ab eo petat. Ce sont les premiers mots de la formule (ou article de l'édit du préteur), ainsi conçue : Quod ab eo petetur, cujus, ex edicto praetoris romani, bona dies XXX possessa erunt, ejus rei nomine judicatum solvi satis dare jubebo. (Note de Desjardins. )

Sponsionem eum Nœvio facere. Comme Publius ne voulait point fournir une caution pure et simple, telle que la demandait Névius, le préteur ordonne qu'il attaquera celui-ci en nullité de la saisie : c'est ce qu'il faut entendre par les mots sponsionem cum Naevio facere, si sua bona, etc. Sponsio signifie proprement pari, gageure, promesse de perdre telle ou telle somme, si ce qu'on affirme n'est pas vrai. En justice, c'est un acte par lequel chacune des parties, ou l'une d'elles seulement, s'engage pour une somme déterminée.

IX. Te judicem, C. Aquilli, sumsit. C'est le préteur qui désignait le juge; mais en ne le récusant pas, les parties étaient censées l'avoir choisi elles-mêmes.

Qui pro capite diceret. Cicéron emploie ici les mots pro capite diceret, qui indiquent ordinairement un procès criminel, et celui-ci n'était pourtant qu'une cause civile. Mais il y allait, pour Publius, de la perte de sa fortune et de ses droits ; et, s'il succombait, il était en quelque sorte capite deminutus, c'est-à-dire, dans une des acceptions de cette locution, mort civilement. L'expression est donc ici rigoureusement exacte.

X. Qui neque excogitare... multa possum. Cicéron nous apprend, dans son Brutus, chap. 91, que sa complexion était très faible et très délicate, ce qui l'obligea, après deux ans de plaidoirie, de faire un voyage en Asie, pendant lequel il s'appliqua tout entier à l'étude de l'éloquence, et se fit un genre de déclamation moins véhément et moins fatigant pour sa poitrine, que celui qu'il avait eu jusqu'alors. Il apprit aussi à l'école du célèbre Dolon de Rhodes, à réprimer ce luxe et cette effervescence d'imagination, que lui-même a lait remarquer dans quelques endroits de ses premiers discours.

Certes mihi fines constituam. Il paraît, par tout ce paragraphe, que la méthode de diviser un plaidoyer en plusieurs points n'était pas généralement en usage. Cicéron dit ailleurs, dans son Brutus, chap. 88, qu'Hortensius avait deux choses qui n'étaient qu'à lui : les divisions, par lesquelles il marquait les différentes parties de son discours; les résumés, par lesquels il rappelait les arguments de son adversaire et les siens.

XIII. Tot et tales vires. Tant le juge et ses assesseurs, que les amis puissants qui venaient au tribunal appuyer Névius de leur présence.

XV. Magistri. En style judiciaire, on appelle magister relui qui était désigné par les créanciers, avec le consentement du préteur, pour présider à la vente publique des biens du débiteur insolvable. C'est à peu près ce qu'on somme chez nous le syndic des créanciers.

XVII. Patrem familias. Pater familias ne signifie pas seulement un père de famille, dans le sens que nous attachons à ce mot; il se dit en général de quiconque n'est pas en puissance d'autrui (sui juris est), quand même il n'aurait ni femme ni enfants, quand même il serait en bas âge.

Ad solarium. Pline, VII, 60, raconte que le premier cadran solaire fut appel té de Catane à Rome par Valérius Messala, et placé au forum à café de la tribune aux harangues, l'an 492. Il parait que celte partie de la place était une promenade fréquentée.

XIX. Ex edicto praetoris. Remarquons ici que Cicéron ne dit pas, Névius n'a pu saisir les biens de mon client; mais, il n'a pu les saisir aux termes de l'édit. C'est sur cette distinction que roule presque toute la cause.

Qui exsulii causa. Après les mots Qui EXSULII CAUSA SOLUM VERTERIT, la plupart des éditions de Cicéron offrent une lacune que Lambin remplit par les mots suivants, qu'il dit avoir trouvés dans des manuscrits, et qui, dans tous les cas, sont nécessaires au sens : Dici hoc de P. Quintio non potest. Qui ABSENS JUDICIO DEFENSU8 NON FUERIT. Ne is quidem.

Ex edicto fieri. La sentence par laquelle le préteur Burrhiénus avait autorisé la saisie ne pouvait être que conditionnelle. Il avait réglé, par son édit annuel, les conditions auxquelles un créancier pouvait saisir : c'était à celui-ci de s'y conformer, sous peine de nullité. C'est à tort que des commentateurs, qui ne comprenaient pas cette distinction, non fieri, sed ex edicto fieri, ont voulu changer le texte.

Illis dominantibus. On voulait donner à ce débat une couleur politique. Au moment ou Cicéron parle Sylla est dictateur: Névius est un de ses partisans. Alphénus, au contraire, était partisan de Marius, et la faction de Marius dominait lorsqu'il se portait pour procureur de Publius. On en conclut qu'Alphénus abusait, pour opprimer Névius, de son influence dans le parti qui opprimait la république.

XXV. Kalendas intercalares. Depuis Numa jusqu'à Jules César, l'année romaine fut de trois cent cinquante jours, divisés en douze mois. Pour la faire concorder avec le cours du soleil, on intercalait tous les deux ans, entre février et mars, un mois de vingt-deux jours, et tous les quatre ans, un mois de vingt-trois jours. On sait que les kalendes étaient le premier de chaque mois. On comptait ainsi les derniers jours du mois précédent : V, IV, III avant les calendes, VEILLE des calendes. Entre le V et la veille, il n'y avait donc que deux jours francs.

Sebusianos. Les Sébusiens, ou Ségusiens, comme les nomme Strabon, étaient des peuples de la Gaule Celtique, dépendants des Éduens. Leur ville principale était Lyon. Ils occupaient ce qu'on a depuis appelé le Lyonnais, le Beaujolais, le Forez, partie de la Bresse et du Bourbonnais. ( Desjardins.)

XXVII. Hoc dico. La fin, sans doute très courte, de cette seconde partie est perdue, ainsi que toute la troisième et le commencement de la récapitulation.

XXIX. Bona possessa non esse constitui. Ici commence la récapitulation de ce que l'auteur avait traité dans la troisième partie.

XXX. Gallonii. Gallonius était, comme.Névius, un crieur public enrichi, dont le luxe et la dépense étaient en quelque sorte passés en proverbe. Horace en parle dans ses Satires,II, 2, 47; et Cicéron, de Finibus, II, 8, cite des vers où Lucilius fait dire à Lélius le sage

O Publi, o gurges, Galloni, es homo miser, inquit;
Caenasti in vita nunquam bene, quum omnia in ista
Censumis squilla, atque acipensere cura decumano.

Ne.... arbitratu quidem suo postularet. Souvent on pouvait intenter diverses actions pour une seule cause, et le demandeur pouvait choisir celle dont il voulait se servir. Par exemple, lorsqu'il s'agissait d'un vol, le demandeur pouvait redemander simplement ce qui lui appartenait, rei vindicatione; ou le redemander comme un vol, condictione furtiva; ou enfin poursuivre la peine du délinquant, qui était du double de la valeur de la chose volée, pour un vol non manifeste, et du quadruple pour un vol manifeste, c'est-à-dire, où le voleur avait été pris sur le fait. Celui à qui on avait empêché de force rentrée de sa propre maison, avait de même double action, action d'injure, ou action de violence; et ainsi du reste. Le demandeur ayant choisi son action, priait le préteur de lui permettre de l'intenter à sa partie. Cette permission obtenue, il exposait sa prétention selon la formule propre à l'action qu'il intentait; par exemple, Aio fundum, quem possides, meum esse; ou, Aio te mihi dare, facere oportere; ou comme dans l'affaire de Quintius, Nego te bona mea possedisse ex edicto prætoris. Chaque action avait sa formule, à laquelle on ne pouvait ni ajouter ni retrancher un seul mot, sous peine de perdre sa cause. Ces formules furent en usage au barreau jusqu'à Constantin, qui les abolit entièrement. (Extr. de Beaufort., Rep. Rom., l. IV, p. 134 et suiv.)