Cicéron : Correspondance

CICÉRON

 

CORRESPONDANCE (lettres 400 à 449)

350-399 - 450-499

 

 

ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE; INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - TOME CINQUIÈME - PARIS - CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie. LIBRAIRES - IMPRIMERIE DE L'INSTITUT DE FRANCE - RUE JACOB, 56 - M DCCC LXIX

 

 

AVERTISSEMENT.

LETTRES DE M. T. CICÉRON.

NOTA. Parmi les suscriptions ou adresses de ces lettres, ainsi que les formules ordinaires de politesse qui les commencent ou les terminent, nous n'avons conservé et traduit que celles qui nous ont paru se lier au contenu des lettres, et qui marquent une intention particulière de l'auteur. Ces exceptions même serviront à appeler l'attention, plus que l'on ne l'a fait jusqu'ici, sur les passâmes qui en seront l'objet.

Il n'y avait pas de motif, ni scientifique, ni de commodité, en publiant ces lettres par ordre chronologique, d'en partager le recueil en un certain nombre de livres, comme l'a fait Wieland, dans la traduction allemande qu'il en a donnée.  Il suffit, pour la clarté, qu'on trouve, en tête de chaque page le chiffre de l'année. C'est la division la plus naturelle, et la seule qui ne soit pas arbitraire.

Chaque texte porte, outre un numéro d'ordre, un numéro de renvoi à l'ancienne division des lettres en quatre recueils distincts, subdivisés eux-mêmes en livres. Ces renvois indiquent le titre du recueil, le numéro du livre, celui de la λettre. Ainsi, A. 1,2. signifie Lettres à Atticus, livre I, lettre 2; Q. signifie Lettres à Quintus; F., Lettres dites familières, et qui seraient plus proprement appelées Lettres à divers; B., Correspondance de Brutus et de Cicéron.

Les alinéa sont indiqués par des — sauf dans la très longue lettre en forme de traité, de Cicéron à Quintus, sur l'administration de l'Asie. Les signes A. DE. R.... AV. J. C... DEC...., qui sont répétés en tête de chaque année, veulent dire An de Rome.... Avant Jésus-Christ.... Age de Cicéron.

 


 

 

 

400. — A TÉRENTIA. Brindes, juillet.

F. XIV, 21. Tâchez donc de vous remettre, je vous en conjure. Décidez et ordonnez de tout, selon le besoin, l'occasion et les circonstances ; et écrivez-moi le plus souvent possible. Adieu.

401. — A TÉRENTIA. Brindes, 4 novembre.

F. XIV, 12. Vous vous réjouissez de me savoir en Italie; veuillent les dieux que vous vous en réjouissiez toujours! mais dans le trouble affreux de mes esprits, au milieu d'assauts si cruels, je dois trembler d'une résolution dont la justification sera difficile. Soyez-moi en aide en tout ce que vous pourrez. Mais en quoi pourriez-vous me servir? je le cherche en vain. Ne pensez pas à vous mettre en route par cette saison. Rien ne l'exige. Puis la distance est longue, et les chemins ne sont pas sûrs. Je vous répète que je ne vois pas ce que votre présence ici pourrait faire. Adieu. — De Brindes, la veille des nones de novembre.

402. — A ATTICUS. Brindes, novembre.

A. XI, 5. Vous dire quel instinct m'a poussé, quelles circonstances poignantes, cruel les, inouïes, ont déterminé chez moi cette résolution ou plutôt ce coup de tète, serait un effort trop douloureux. Jugez des choses par le résultat. J'en suis à ne pas trouver un mot à écrire pour mon propre compte, à ne savoir que désirer de vous; d'autant plus que les lettres que vous m'avez écrites, ou que d'autres ont reçues de vous, ou qui ont été adressées en votre nom, démontrent assez, comme je le pensais, que vous ne croyez plus guère au succès de vos premières démarches, et que vous cherchez d'autres voies pour me servir. Votre conseil de me rapprocher de Rome, et de ne passer que de nuit dans les villes, n'est pas d'une exécution commode. Trouverai-je partout des lieux de station convenables pour y demeurer le jour? Et quelle différence voyez-vous d'ailleurs à ce que je sois aperçu dans une ville ou sur un grand chemin? Cependant j'y réfléchirai et ferai pour le mieux. Je me contente de répondre aux lettres que je reçois. Veuillez écrire en mon 393 nom tant à Basilus qu'à tous autres pour qui vous le jugerez nécessaire, et aussi à Servlius, s'il y a lieu. Si je garde un si long silence, il est facile de voir, par ce mot même, que je n’ai rien à écrire, et que ce n'est pas la bonne volonté qui me manque. — Vous voulez savoir comment Vatlnius a été pour moi. Ni lui ni aucun autre n'aurait laissé échapper une occasion de me rendre service. Quintus a été pour moi aussi mal que possible à Patras, où son fils est venu le rejoindre de Corcyre. Je crois qu'ils en sont repartis pour faire comme les autres.

403. — A TÉRENTIA. Brindes, novembre.

F. XIV, 19. Au milieu de mes tourments, c'est la santé de Tullie qui fait mon plus cruel supplice. Je n'ai rien à vous en dire. Vous en êtes aussi préoccupée que moi. Oui, vous avez raison : il faut que je me rapproche. Je l'aurais déjà fait; mais il y a eu des obstacles, et il y en a encore. — J'attends une lettre d'Atticus. Veillez, je vous prie, à ce qu'on ne perde pas un instant pour me l'envoyer. Je vous recommande votre santé.

404. — A ATTICUS. Brindes, 28 novembre.

A. XI, 6. Je vois combien vous êtes tourmenté à la fois de votre position, de celle de la république, de la mienne surtout, et de la douleur qui m'accable. Ma douleur, au lieu d'être adoucie par la part que vous y preniez, ne fait que s'en irriter encore. Que vous ayez de tact dans vos consolations, et que vous touchez bien la corde sensible, quand vous me dites que j'ai bien fait, que je ne pouvais agir autrement; et quand vous ajoutez (ce qui me touche moins que votre jugement, mais ne laisse pas que de me toucher encore) que cette opinion est dans tous les esprits, du moins dans tous ceux de quelque poids ! Si j'en étais sur, je me plaindrais moins. Croyez en ma parole, dites-vous. J'y crois : mais je sais que vous désirez surtout alléger mes peines. Je me suis éloigné de l'armée, et ne m'en repens point : c'étaient des projets atroces ; un pêle-mêle effroyable avec les barbares ; la proscription déjà arrêtée, non par tête, mais en masse; vos biens à tous enfin regardés comme un butin légitime. Je dis vos biens, car ou se promettait contre vous personnellement d'en venir aux derniers excès. Mes intentions ont toujours été excellentes. Je n'ai à cet égard aucun reproche à me faire. Mais il fallait d'autres mesures. J'aurais dû me tenir dans quelque ville d'Italie, et n'en pas bouger jusqu'à ce qu'on me rappelât. J'eusse moins fait parler, moins souffert. Je n'aurais pas du moins à gémir de cette faute. Rester misérablement à Brindes me déplait de toutes façons. Me rapprocherai-je de Rome, suivant votre conseil? Mais comment marcher sans mes licteurs? Le peuple me les a donnés; on ne pourrait me les ôter qu'en me faisant violence. Ce n'est pas qu'aux approches de la ville je n'aie cru devoir les disperser dans la foule, avec leurs faisceaux, dans la crainte de quelques voies de fait de la part des soldats. Il est des moments ou je me renferme moi-même au logis. —Je suppose que vous ayez maintenant vu Oppius. Pour peu qu'il leur convienne que je me rapproche, je le veux bien. J'en serai plus à 384 portée de leurs directions. A les entendre, César veut non -seulement nie garantir de toute atteinte, mais encore m'élever en crédit et en dignité. Il n'est rien que je ne doive espérer et prétendre. J’aurais néanmoins plus de foi à leurs protestations et à leurs serments si j'étais demeuré. Mais point de retour sur le passé : ne nous occupons que du présent. Veuillez en conférer avec eux. Ne jugeriez-vous pas à propos, sauf leur avis, d'insinuer à César, pour ma justification, que j’ai tout fait par leurs conseils? Joignez à eux Trébonius, Pansa, d'autres encore; qu'ils lui écrivent positivement que je n'ai agi que sous leurs inspirations. — La maladie de Tullle me fait mourir d'inquiétude. Elle est si délicate! Je sais que vous lui prodiguez vos soins, et j'en suis touché au fond de l’âme. — Pompée a fini comme il devait finir : je n'en ai pas douté un seul instant. Lois et peuples, tous les avaient si mal dans ses affaires, qu'en quelque lieu qu'il abordait, son sort était inévitable. Je ne laisse pas de le déplorer. Il était homme de bien, d'honneur et de mérite. — Moi, que je vous console de la mort de Fannius? Il tenait sur vous des propos pleins de haine, parce que vous étiez demeuré en Italie. L. Lentulus s'était adjugé, pour sa part, la maison de la ville d'Hortensius, les jardins de César et sa campagne de Baies. On fait à peu près de même dans l'autre parti. Mais dans celui de Pompée on ne reculait, on ne s'arrêtait devant rien. Quiconque était resté était ennemi. J'aurai bien des choses à vous dire, mais en temps et lieu. — Mon frère Quintus est allé, dit-on, en Asie faire sa soumission. Je ne sais rien de son fils. Informez-vous de lui près de Diocharès, affranchi de César, que je n'ai pas vu ; mais c'est lui qui a porté ces lettres d'Alexandrie. Il a vu, dit-on, mon neveu en Asie, ou en route pour y arriver. J'attends vos lettres avec une impatience que les circonstances n'expliquent que trop. Faites-les moi attendre le moins possible.

405. — A TÉRENTIA. Brindes, décembre.

F. XIV, 9. Ce n'était pas donc assez de toutes mes misères! il faut encore que j'aie le tourment de savoir Dolabella et Tullle malades. Je ne sais que décider ni que faire. Ayez, je vous en conjure, tous les soins possibles de votre santé et de celle de Tullie. Adieu.

406. — A ATTICUS. Brindes, décembre.

A. XI, 7. Merci de votre bonne lettre, où vous avez si bien parcouru le cercle de tout ce qui m'intéresse. Je garderai donc mes licteurs, puisqu'on trouve bon que je les garde. César ayant fait la même grâce à Sextius. Seulement il l'a plutôt gratifié de licteurs qu'il ne lui a laissé les siens. Car on dit qu'il regarde comme nuls tous les actes du sénat intervenus depuis que les tribuns sont sortis de Rome. Quant aux miens, il peut me les laisser sans se contredire. Mais il s'agit bien de licteurs, quand je viens de me voir, peu s'en faut, expulsé d'Italie! Antoine m'avait notifié une lettre de César, portant qu'il est informé du retour de Caton et de Métellus en Italie, et de leur intention de se montrer à Rome; qu'il n'entend pas cela; que leur présence pourrait y exciter de la fermentation, et qu'il faut faire sortir d'Italie tous ceux qui n'auront pas de lui permission d'y séjourner. C'est sous l'impression 385 d’une irritation très vive que cette lettre est écrite. Antoine s'excusait d'ailleurs, et alléguait la nécessité de faire exécuter les ordres de César. Je lui ai vite dépêché L. Lamia, pour lui dire que c'est sur une invitation pressante de César à moi transmise par l'organe de Dolabella que je me suis rendu en Italie. Là-dessus Antoine m'a nommément excepté, ainsi que Lélius, dans son édit. C'est ce dont Je me serais bien passé; il était si facile de me comprendre, sans mettre de nom, dans une exception générale! Que d'humiliations! que d'injures! Vous faites de votre mieux pour en affaiblir les coups, et vous n'y perdez pas tout à fait vos peines. En voyant vos efforts pour adoucir mes maux, le poids m'en semble plus léger, ne vous lassez pas de m'écrire, je vous en conjure; cherchez à me convaincre que je n'ai pas perdu tout droit à l'estime des honnêtes gens. Vous arriverez par là au but que votre amitié se propose; mais le moyen de me le persuader? hélas ! il n'en est point. Les événements seuls peuvent ouvrir la voie : malheureusement le vent n'y est pas. Mais que sait-on? des incidents peuvent naître; n'y en a-t-il pas eu déjà? Par exemple, on m'accusait de n'avoir pas suivi Pompée : et sa catastrophe est venue me justifier de n'avoir pas poussé jusque-là le devoir. Mais. on se récrie de tous côtés sur ce que je ne suis pas en Afrique. Que voulez-vous? j'ai pensé que ce n'était point par des barbares, et la plus perfide de toutes les nations, que la république devait être défendue, surtout contre une armée tant de fois victorieuse. On dira peut-être que ce n'est qu'une défaite. Il paraît en effet que beaucoup de gens de bien se rendent en Afrique. D'autres y étaient déjà, je le sais. C'est donc là un point vulnérable, et j'ai grand besoin que les événements viennent à mon secours. Il faudrait au moins que je ne fusse pas seul, et que quelques autres, si ce n'est tous, pensassent aussi à eux. Car s'ils persévèrent, et s'ils ont la fortune de leur côté, que deviendrai-je, je vous le demande? Vous me répondrez en me demandant ce qu'ils deviendront s'ils sont vaincus. Ah! du moins, ils auront péri avec honneur. Ces réflexions sont poignantes. — Vous ne me dites pas en quoi vous trouvez que Sulpicius n'a pas fait mieux que moi. Il n'approche pas sans doute de la gloire de Caton; mais il est à l'abri de la crainte et du remords. Reste la condition de ceux qui sont demeurés en Achaïe. Ils ont encore cet avantage qu'ils sont plusieurs ensemble, et qu'une fois de retour en Italie, ils pourront rentrer chez eux. Allons! continuez-moi vos consolations, et justifiez-moi de votre mieux. — Vous vous excusez de ne pas venir : je connais vos motifs, et je conçois d'ailleurs qu'il est de mon intérêt que vous restiez à Rome, pour agir et parler dans l'occasion comme vous le faites. Voici surtout un point que je vous recommande. Il ne manque pas de gens, je le suppose, qui disent ou qui diront à César que je me repens de ce que j'ai fait, que je suis mécontent de ce qui se passe. Cela n'est que trop vrai. Mais on l’affirme sans le savoir, et dans une intention perfide. Il faut que Balbus et Oppius se chargent de parer à cela, et qu'ils ne cessent d'écrire à César pour l'entretenir dans ses bonnes dispositions pour moi. Vous y veillerez, n'est-ce pas? Une autre raison pour moi de souhaiter que vous restiez à Rome, c'est l'extrême désir qu'eu a Tullie. misère! Que vous dire? sais-je même ce que je veux? Abré- 386 geons. Les pleurs m'inondent. Prenez tout sur vous. Avisez, songez seulement an temps où nous vivons, et a ne rien faire qui puisse vous nuire à vous-même. Mon angoisse et mes larmes m'empêchent de m'arrêter sur ce sujet. Que je vous dise seulement ma vive gratitude pour les preuves de tendresse que reçoit de vous ma fille. — Vous avez pris soin d'écrire pour moi aux uns et aux autres : c'est à merveille. J'ai vu une personne qui a rencontré Quintus le fils a Samos et son père a Sicyone. Leur paix sera bientôt faite. Ils devraient bien, le voyant avant moi, faire dans mon intérêt ce qu'a leur place je ne manquerais pas de faire pour eux. Vous m'engagez à ne pas prendre mal les passages de vos lettres qui me paraîtraient un peu vifs : il n'y a rien que je ne prenne très bien, je vous assure. Continuez donc a me dire librement votre pensée, et écrivez-moi le plus souvent possible.

407. — A TERENTIA. Brindes, décembre.

F. XIV, 17. Si j'avais quelque chose à vous mander, mes lettres seraient et plus longues et moins rares. Vous voyez quel est l'état des affaires. Lepta et Trébatius pourront vous dire comment je les envisage. Ne négligez rien, je vous en conjure, pour votre santé et celle de Tullie. Adieu.

408. — A ATTICUS. 27 décembre.

A. XI, 8. Vous avez beau vous figurer ce que je souffre; vous le saurez mieux encore par Lepta et Trébatius. Je paye cher un coup de tête que vous voulez absolument me faire prendre pour un acte de prudence. Ne laissez pas de le soutenir toutefois, et de me l'écrire aussi souvent que vous le pourrez ; ce m'est un soulagement extrême que vos lettres. Il est nécessaire que vous agissiez auprès de ceux qui me veulent du bien et qui ont du crédit auprès de Balbus et d'Oppius surtout, et que vous les déterminiez à écrire vivement pour moi. On cherche à me nuire, m'a-t-on assuré : il y a eu des paroles dites et des lettres écrites. Tâchons de déjouer ces attaques. Rien n'est plus grave. J'ai là-bas dans Fufius un ennemi juré. Quintus a envoyé son fils intercéder pour lui d'abord, et eu second lieu déclamer contre moi. Il dit à qui veut l'entendre que je l'ai accusé près de César : en quoi César et ses amis le démentent formellement. Mais il n'est pas moins partout répandant contre moi l'injure : c'est vraiment incroyable, et de toutes mes peines voilà la plus sensible. On m'a rapporté des propos par lui publiquement tenus à Sicyone, et qui sont révoltants. Vous connaissez sa terrible humeur; il se peut même que vous l'ayez essuyée. Il m'a pris pour point de mire. Mais ces détails aigrissent ma douleur, et ne sont bons qu'à vous affliger aussi. J'en reviens à ma prière. Décidez Balbus a envoyer un exprès à César, comme nous en sommes convenus, et continuez d'écrire en mon nom a toutes les personnes a qui il est utile de le faire, Adieu. Le 6 des kalendes de janvier.

409. — A TÉRENTIA. 31 décembre.

F. XIV, 16. Dans la situation où nous sommes, il n'y a aucun motif pour que vous m'écriviez, ni pour que je vous écrive. Il arrive pourtant, je ne sais comment, que je m'attends toujours à recevoir de vos nouvelles, et que je ne puis me défendre de vous donner des miennes quand une occa- 387 sion se présente. Je croyais à plus de dévouement pour vous de la part de Volumnia. Comment n'a-t-elle pas mis au moins plus de soin, plus de précaution dans le peu qu'elle a fait ? Mais j’ai bien d'autres sujets de préoccupation et de douleur. Je suis bourrelé, et ceux qui m'ont entraîné hors de ma voie doivent être contents. Voyez bien soin de votre santé. La veille des kalendes de janvier.

AN DE R. 707. — AV. J. C. 46. — DE C. 61.

J. César dictateur; Marc Antoine, maître de la cavalerie.

410. — A ATTICUS. Brindes, janvier.

A. XI, 9. Oui, il n'est que trop vrai que j'ai agi a la fois sans prudence et avec la plus déplorable précipitation. Plus d'espoir, grâce à ces exceptions des édits qui m'enchaînent. Si votre active et inquiète amitié ne s'y était pas employée, je serais libre de fuir en quelque solitude; maintenant je ne le puis plus. Que me sert-il d'être arrivé avant l'entrée des tribuns en charge, s'il valait mieux encore ne pas venir? Que puis-je défendre d'un homme qui n'a jamais été de mes amis (Antoine), quand je suis déjà sous le coup de la loi? Les lettres de Balbus deviennent de jour en jour plus froides. C'est à qui écrira à César, et contre moi peut-être. Je me suis perdu par ma faute. Le hasard n'y est pour rien. Je n'en dois accuser que moi. En voyant le caractère de la guerre, l'imprévoyance et la faiblesse d'un côté, l'énergie et l'activité de l'autre, je pensais à demeurer neutre ; car que faire? et ce parti, s'il n'était le plus héroïque, était chez moi plus excusable que chez tout autre. Mais non, je m'en laissai conseiller ou plutôt imposer un autre par les miens. L'un d'eux (Quintus), celui-là même que vous me recommandez, vous allez le connaître par les lettres qu'il vous écrit, à vous et à d'autres. Je ne les aurais jamais ouvertes ni connues, sans les circonstances que voici. On m'apporta le paquet : je le rompis pour voir s'il y en avait pour moi. Il n'y en avait pas, mais j'en trouvai deux pour Vatinius et Ligurius. Je les leur fis tenir, presque au même instant je les vis accourir outres d'indignation et criant à l'infamie. Alors ils me lurent des lettres pleines d'horreurs contre moi. Ligurius était hors de lui. Il était, disait-il, à sa connaissance que César avait toujours eu de l'éloignement pour sa personne ; que dans la faveur qu'il lui avait montrée, dans les présents dont il l'avait comblé, il n'avait jamais eu en vue que de me plaire. Une fois ce coup porté, je voulus savoir ce qu'il écrivait aux autres. Je pensai au tort qu'il allait se faire pour peu qu'un tel procède devînt public. Toutes les lettres étant du même style, je vous les envoie. Si vous croyez de son intérêt qu'elles soient remises, faites-les parvenir. Je suis au-dessus de pareilles atteintes. Les lettres sont décachetées; mais Pomponia a son cachet, je pense. Sa mauvaise humeur a éclaté dès le commencement de notre traversée, et ma causé un abattement dont je n'ai pu me tirer. Son but est, dit-on, moins de se faire du bien que de me nuire. Tout se réunit pour m'accabler. Je résiste à peine ou plutôt je succombe à mes maux. Ils sont plus forts que moi. Au milieu de mes douleurs, il en est une qui égale a elle seule toutes les autres : c'est de laisser ma pauvre fille, abandonnée, sans patrimoine, sans ressource quel- 388 conque. Voilà pourquoi je désire si fort de vous voir, comme vous me l'avez promis. Je n'ai autre que vous à qui la recommander, puisque je vois sa mère destinée aux mêmes épreuves que moi. Si je ne puis vous voir, tenez la recommandation pour faite, et conjurez autant que possible les fureurs de sou oncle. C'est aujourd'hui le jour de ma naissance. Ah! pourquoi m'a-t-il été donné de naître? pourquoi du moins faut-il que ma mère ait mis au monde un autre fils que moi? Mes larmes ne me permettent pas de continuer.

411. — A ATTICUS. Brindes, 21 janvier.

A. XI, 10. Chaque jour ajoute à mes inconcevables peines tout ce qu'on me rapporte de mon frère et de son fils, ou de mes amis. P. Térentius a eu des opérations à suivre en Asie, où il est vice-administrateur des fermes. Il a vu le jeune Quintus à Éphèse le 6 des ides de décembre, et, après lui avoir fait par suite de notre amitié toute sorte de politesses, il lui a demandé de mes nouvelles; à quoi, suivant le dire de Térentius, l'autre a répondu qu'il m'avait en horreur, et lui a montré un discours préparé qu'il veut débiter à César contre moi. Térentius lui a demandé s'il était fou, et lui a fait toutes sortes de représentations. Depuis, il a rencontré mon frère lui-même à Patras. Mêmes abominations. Vous avez pu déjà juger de leur animosité par les lettres que je vous ai communiquées. Je sais que tout cela vous afflige. Pour moi, c'est un supplice, d'autant que je n'aurai pas même la ressource de me plaindre. Les nouvelles d'Afrique sont toutes différentes de ce que vous me mandez. On dit, qu'on y est en force et parfaitement en mesure. De plus l'Espagne se déclare, l'Italie se détache. Les légions ont perdu eu nombre, et n'ont plus le même esprit. Rome est dans le chaos. Dites-moi, je vous prie, le moyen de respirer au milieu de tout cela, si ce n'est en lisant vos lettres? Elles seraient plus fréquentes, à coup sûr si vous aviez quelque chose de consolant à me dire. Cependant ne cessez pas, je vous prie, de m'instruire de tout. Et si vous ne pouvez haïr ceux qui se disent si cruellement mes ennemis, condamnez-les du moins : non que par la j'espère les ramener, mais afin qu'ils sachent que je n'ai pas cessé de vous être cher. Je vous écrirai plus au long, quand j'aurai reçu votre réponse à ma dernière lettre. Adieu. Le 12 des kalendes de février.

412. — A ATTICUS. Brindes, 8 mars.

A. XI, 11. Accablé sous le poids de mes maux, c'est tout au plus si j'aurais la force de vous écrire, même quand il serait indispensable de le faire ; à plus forte raison quand je n'ai vraiment rien à vous apprendre, et surtout quand je ne vois aucune chance pour moi. Déjà même je compte moins sur vos lettres, et pourtant j'y trouve toujours quelque chose de doux. Continuez donc de m'écrire, toutes les fois que vous trouverez à qui donner la commission. Je n'ai rien à répondre à vos dernières lettres, qui datent déjà d'assez loin. Je vois que dans l'intervalle la face des affaires a bien changé. La force retourne où elle doit être, et mon imprudence pourra me coûter cher. Il faut payer à P. Sallustius les trente mille sesterces que j'ai reçus de son frère Cnéius. Veillez, je vous prie, à ce qu'il n'y ait pas de retard, j'en ai écrit à Térentia. Cet argent est déjà presque mangé. Vous verrez avec elle à m'en procurer. Une fois les fonds faits à Rome, je trou- 389 verais ici la somme contre mes lettres de change : mais avant de puiser dans aucune bourse, il me faut cette certitude. Vous voyez quelle est ma situation sous tous les rapports ; il n'est point de maux que je ne subisse ou n'attende, et par ma faute; ce qui me les rend plus pénibles. Quintus est en Achaïe, et ne cesse de se déchaîner contre moi. Ainsi vos lettres n'ont rien gagné sur son esprit. Adieu. Le 8 des ides de mars.

413. — A ATTICUS. Brindes, 8 mars.

A. XI, 12. Céphalion m'apporte une lettre de vous ce soir, 8 des ides de mars. Je vous ai écrit ce matin par mes messagers; mais d'après ce que je vois, vous êtes inquiet de savoir comme j'entends présenter à César mon départ d'Italie, et c'est sur quoi surtout j'ai quelques mots à vous dire. Je n'ai pas de nouvelles explications à lui donner : je lui ai écrit cent fois, et j'ai mandé à raille autres, que je n'avais pu en dépit de moi-même soutenir le déchaînement de l'opinion : tel a été mon texte. Je ne désire nullement lui donner à penser que j'ai recouru à des conseils étrangers pour une affaire de cette importance. Depuis, Balbus Cornélius le jeune m'a écrit, et suivant sa lettre César était persuadé que c'était Quintus mon frère qui avait mené la marche, je répète son mot. Je ne savais pas alors ce que déjà Quintus écrivait de moi aux uns et aux autres, bien que déjà son langage et ses procédés me rendissent sa société suffisamment pénible. Néanmoins, je ne laissai pas que d'écrire littéralement ce qui suit à César par Nilus : « Je ne suis pas moins préoccupé de Quintus mon frère que de moi-même. Mais je n'ose vous le recommander dans la position que les circonstances m'ont faite. J'oserai seulement vous adresser une prière : c'est de croire qu'il n'a jamais cherché ni à agir près de moi contre vous, ni à me refroidir à votre égard. Soyez au contraire bien persuadé que ses avis ont tendu constamment à nous l'approcher; qu'enfin il n'a été que le compagnon passif et nullement l'instigateur de ma fuite. Veuillez donc lui conserver vos bontés, et suivre à son égard ce que l'amitié vous inspire. Qu'il ne soit pas dit que mon frère ait quelque chose à souffrir à cause de moi. Je vous le demande en grâce. — En cas d'entrevue avec César, je serai pour mon frère le même que j'ai toujours été. Mais je ne doute pas que César le reçoive bien; il s'en est expliqué déjà. Il me semble que c'est du côté de l'Afrique que je dois regarder maintenant avec inquiétude. On y lutte, dites- vous, beaucoup moins pour vaincre que pour se mettre en état de composer. Puisse-t-il en être ainsi! malheureusement je n'en crois rien, et je suis persuadé que vous n'en croyez rien vous-même, au moment surtout ou l'Espagne donne la main à l'Afrique. Vous ne voulez pas me tromper; mais vous cherchez à me donner du courage. Vous m'engagez à écrire à Antoine et à d'autres. Ayez la bonté de leur écrire pour moi, s'il est nécessaire, ainsi que vous l'avez fait déjà. Je ne saurais vraiment quel langage leur tenir. On vous a dit que j'étais plus abattu que jamais. Comment en serait-il autrement"? ne voilà-t-il pas un surcroît à tous mes chagrins, et ne voyez-vous pas les belles choses que fait mon gendre? Ne cessez de m'é- 390 crire tant que vous le pourrez, je vous en conjure; et même n’ayant rien à me dire, écrivez-moi toujours. Vos lettres ne sont jamais stériles. J’ai pris possession de l'héritage de Galéon. Il n'a institué qu'un seul héritier, je le suppose ; car on ne m'a notifié aucune autre disposition de sa part. Le 8 des ides de mars.

414. — A ATTICUS. Brindes, mars.

A. XI, 13. Je n'ai pas encore reçu la lettre dont vous avez chargé l'affranchi de Muréna. Je réponds à celle que P. Siser m'a apportée. Il en est de ce que vous me racontez des lettres de Servius le père, comme de ce qu'on vous a dit du voyage de Quintus en Syrie : pure invention. Vous me demandez comment se conduisent avec moi les gens d'ici et ceux qui y passent. Rien d'hostile; mais en suis-je plus avancé? c'est ce que vous savez aussi bien que moi. De tous les chagrins qui m'accablent, ce qu'il y a de plus cruel est de me voir dans une position à souhaiter pour mes intérêts ce que j'ai toujours le plus redouté. On dit que P. Lentulus le père est à Rhodes, que son fds est a Alexandrie; et il est positif que C. Cassius est en route de Rhodes pour Alexandrie. Quintus vient de m'adresser une justification dont les termes sont beaucoup plus durs encore que tout ce qu'il a pu dire dans sa plus grande animosité. Il a vu, dit-il, par vos lettres que vous n'étiez pas content de la manière dont il avait parlé de moi dans sa correspondance avec plusieurs personnes. Il regrette de vous avoir causé de la peine ; mais il était tout à fait en droit, et il entre dans un très injurieux détail de ses raisons. Aujourd'hui comme avant il choisit pour montrer son aversion le moment ou la fortune m'accable. Que ne suis-je maintenant près de vous, eussé-je passé des nuits pour vous rejoindre, comme vous me le proposiez! Je ne sais plus ni quand ni ou je vous verrai. — Vous pouviez vous dispenser de m'écrire au sujet des cohéritiers de Fufidius. Leur demande est juste, et j'aurais approuve tout ce que vous auriez fait. —J'ai toujours eu l'intention de racheter le bien de Frusinum; il y a longtemps que je vous l'ai dit. Il est vrai qu'alors mes affaires étaient meilleures et celles de l'État moins désespérées; néanmoins je persiste. Soyez assez bon pour aviser à ce qu'il y a à faire. Veuillez aussi, si vous en avez le loisir, voir ou je dois puiser pour mes besoins journaliers. Tout ce que je pouvais avoir d'argent comptant, je l'ai mis à la disposition de Pompée dans un temps où je croyais faire ainsi preuve de sagesse. Puis, je fus obligé de recourir à votre receveur et de faire ailleurs encore des emprunts, parce que mon frère m'écrivit pour se plaindre de ce que je ne lui avais rien donné. Notez qu'il ne m'avait fait aucune demande, et que l'argent de Pompée n'avait pas même passé par mes mains. Voyez, je vous prie, de quoi je puis faire ressource, et donnez-moi vos conseils. Vous connaissez la cause de tout le mal. Je n'ai pas la force de poursuivre. S'il y a à écrire à quelques personnes, veuillez le faire encore pour moi, comme à l'ordinaire, et ne laissez passer aucune occasion de m'écrire aussi.

415. — A ATTICUS. Brindes, mars.

A. XI, 14. Oui, vous avez raison. Je vous sais 391 gré de supprimer les formules de consolation en présence des maux qui nous accablent tous, et moi eu particulier, et de reconnaître que toute consolation est désormais impossible. Ma position est bien changée. Je ne me croyais pas seul de mon bord; mais voilà que tous ceux qui étaient en Achaïe ou en Asie pour taire leur paix se rendent, dit-on, en Afrique, sachant ou ne sachant pas ce qui s'y est passé. Ainsi, excepté Lélius, il n'est personne qui partage ma faute : encore est-il plus heureux que moi, puisque son accommodement est déjà conclu. Je ne doute pas qu'on ait déjà (César) écrit à mon sujet a Balbus et à Oppius ; mais s'il y avait de bonnes nouvelles, ils m'en auraient fait part et vous en auraient parlé. Ayez, je vous en prie, un entretien avec eux, et mandez-moi ce qu'ils vous auront appris. Ce n'est pas que je regarde des paroles comme des garanties; mais cela me permettrait du moins de respirer et de prendre mes mesures. Quoique je répugne à me montrer surtout avec un tel gendre, je ne vois pourtant rien de mieux pour moi dans l'extrémité où je suis. Quintus ne change point, à ce que m'écrivent et Pansa et Hirtius, et l'on dit qu'il suivra le torrent en Afrique. J'écrirai à Minucius, a Tarente, et lui enverrai votre lettre. Je vous manderai s'il a fait ou non quelque chose. Je me demande comment vous avez pu réunir trente mille sesterces, à moins d'avoir tiré beaucoup des biens de Fufidius, ce qui est évident. Je vous attends, mais combien n'aurais-je pas plus de joie encore de vous voir, si c'était possible! La conjecture est si critique! Il vous sera facile de juger quel est pour moi le moins mauvais parti. Adieu.

416. — A ATTICUS. Brindes, 14 mai.

A. XI, 15. Puisque de si justes motifs vous retiennent en ce moment, que faut-il faire? Dites-le-moi. Le héros ne sort pas d'Alexandrie, si bien qu'il ne se soucie pas qu'on sache ce qui s'y passe. Et voilà l'armée d'Afrique qui va leur tomber sur les bras, et ceux d'Achaïe et d'Asie qui sont tout prêts à les rejoindre, ou qui vont s'arrêter dans quelque place neutre. Quel parti prendre, je vous prie? Le conseil est embarrassant, je ne le vois que trop. Je ne connais que moi, un seul excepté peut-être, à qui tout retour soit fermé d'un côté, aussi bien que tout espoir de l'autre. Cependant je veux savoir votre pensée, et c'est la le motif entre mille autres qui me faisait tant souhaiter de vous voir. Minucius ne m'a payé que douze mille sesterces, je vous l'ai déjà mandé. Occupez-vous, je vous prie, de me faire toucher le reste. Bien loin de me témoigner le moindre regret, Quintus m'a écrit une lettre abominable. Quant a son fils, c'est une haine sans égale. Il n'est sorte de chagrin qui me soit épargné. Mais que tout me serait léger sans le sentiment de ma faute qui pèse si cruellement et à tous les instants du jour sur mon triste coeur ! Encore, si d'autres y étaient tombés comme moi, ce serait une ombre de consolation. Prenez qui vous voudrez, vous trouvez une raison de conduite chez tous; chez moi, point. Tels ont été pris ou coupes, mais ce qu'ils voulaient est clair. Qu'on leur permette de s'échapper, de se réunir, on le verra. Ceux qui d'eux-mêmes se sont rendus à Fufius ont eu peur, et voilà tout. D'autres sont là qui attendent ; mais ils n'ont qu'à se présenter : on les recevra toujours. Étonnez- 392 vous donc encore après cela de l'état cruel de mon esprit. Il n’y a que ma position dont on ne puisse sortir; mettons celle de Lélius aussi. En suis-je plus avance? On dit que C Cassius a changé d'avis, et ne va plus à Alexandrie. Si je vous ouvre ainsi mon coeur, ce n'est pas que j'attende de vous du soulagement: mais je suis curieux de savoir ce que vous me direz, en voyant les maux qui m'accablent. Mon gendre se met aussi de la partie, et il y a bien des choses dont mes larmes m'empêchent de parler. N'est-ce pas un supplice encore que le fils d'Ésopus'? Non, rien ne manque à mes maux, et je suis le plus malheureux des hommes. Je reviens où j'en étais : (jue l'aire? faut-il me rapprocher tout doucement? faut-il passer la mer? Rester plus longtemps ici est impossible. —Comment donc n'eu a-t-on pas fini avec les biens de Fulidius? Ces sortes d'affaires ne donnent jamais lieu à la moindre difficulté : si l'une des parts semble trop faible, il est si facile par voie de licitation de rétablir l'égalité! Ce n'est pas sans motif que je vous adresse cette question. Je soupçonne que les héritiers voyant l'incertitude de ma position cherchent à gagner du temps. Adieu. La veille des ides de mai.

417. — A ATTICUS. Brindes, 3 juin.

A. XI, 16. Une autre fois j'ai pu me tromper; mais aujourd'hui ce n'est pas ma faute si je ne vois rien de rassurant dans cette lettre. Deux mots à peine, et que je soupçonne fort n'être pas son ouvrage. Vous ne vous y êtes pas laissé prendre non plus, j'en suis sur. Je n'irai pas au-devant de lui; je suivrai votre conseil. Aussi bien rien n'est moins certain que son retour. Ceux qui arrivent d’Asie assurent qu'il n'y est nullement question de paix. La paix, voilà pourtant ce qui m'a entraîne dans ce mauvais pas. Je ne vois jour d'aucun côté, surtout depuis cet échec en Asie, et à la façon dont les choses ont tourne en Illyrie, avec Cassius, à Alexandrie même, dans Rome et l'Italie. Pour moi, je suis convaincu, fût-il en route, lui qui, dit-on, combat encore, que la question sera décidée avant son retour. Vous avez la bonté de me dire qu'à la nouvelle de sa lettre, quelque joie est revenue au bon parti. Vous relevez, je le vois, tout ce que vous croyez capable de me procurer un peu de consolation. Mais on ne me persuadera jamais qu'aucun bon citoyen me croie attaché a la vie au point de la vouloir tenir de lui, d'autant que je serais le seul jusqu'à présent dans ce cas. Ceux qui sont en Asie voient venir les événements; ceux d'Achaïe annoncent toujours leur soumission à Fufius. D'abord ils ont eu peur comme moi, et ils allaient prendre le même parti. Puis est survenu le temps d'arrêt d'Alexandrie qui es sauve et qui me perd. J'insiste donc sur ce que je vous ai déjà demandé : si vous voyez quelque planche de salut pour un homme qui se noie, veuillez me la montrer. En admettant qu'on veuille me recevoir (et comme vous voyez, ce n'est pas chose faite), tant qu'il y aura guerre, que faire? où aller? Si l'on me repousse, c'est encore pis. J'attends une lettre de vous, et j'espère qu'elle me dira catégoriquement ce que vous pensez ; je vous le demande en grâce. Vous me conseillez de faire part à mon frère de ma lettre; je le ferais 393 si elle en valait la peine; d'ailleurs on m'écrit de Tatras ces propres mots : « Je ne me trouve pas mal ici pour un temps si malheureux; j'y serais mieu x encore si je n'avais le chagrin d'entendre votre frère parler de vous tout autrement qu'il ne devrait. » Il se plaint, dites-vous, de ce que je ne lui réponds point. Il ne m'a écrit qu'une fois. Je lui ai répondu par Céphalion, mais voilà plusieurs mois que Céphalion est retenu par les vents contraires. Je vous ai déjà dit que le fils de Quintus m'avait écrit de la manière la plus insolente. — J'ai réservé pour la lin une recommandation que j’ai à vous faire, en supposant que vous la trouviez convenable et que vous vouliez l'accepter. Pourriez-vous vous entendre avec Camille, afin de dire un mot à Térentia pour son testament? Les circonstances lui fout un devoir de mettre ordre à ses affaires et de payer ses dettes. A entendre Philotime, ses intentions seraient indignes. J'ai peine à le croire; mais s'il y a moyen d'y mettre ordre, ne vous en faites pas scrupule. Écrivez-moi sur tout ce qui se passe; mais particulièrement sur ce point. J'ai bien besoin de vos conseils. Si vous n'en avez pas à me donner, dites-le-moi, je saurai du moins à quoi m'en tenir. Le 3 des noues de juin.

418. — A ATTICUS. Brindes, 14 juin.

A. XI, 17. Je ne vous écris que deux mots. Le porteur est pressé ; il n'est pas à moi, et j'aurai sous peu un exprès à vous envoyer. Ma chère Tullie m'est arrivée la veille des ides de juin. Elle ne tarit pas sur vos attentions et vos bontés, et m'a remis vos trois lettres. Loin que mon cœur se soit ému d'une joie hélas! bien naturelle, à la vue de ma fille, d'une fille si vertueuse, si aimable, si tendre, j'ai ressenti au contraire une mortelle douleur en songeant aux épreuves cruelles de cette femme admirable, et en réfléchissant que ces épreuves sont mon ouvrage à moi seul, et qu'elle n'a pas un reproche à se faire. Cessez donc de chercher pour moi des consolations, je vois que vous faites effort pour en trouver; ou des conseils, il n'en est plus de possible; et vous avez à cet égard, tout épuisé, surtout dans vos dernières lettres. Je songe à envoyer Cicéron avec Salluste au devant de César. Quant à Tullie, je ne vois pas de raison pour la retenu- ici au milieu de toutes nos souffrances; et je la renverrai à sa mère, aussitôt qu'elle voudra partir. Si je ne réponds pas à la lettre que vous m'avez écrite en forme de consolation, c'est qu'il vous est facile de deviner ma réponse, et qu'elle est toute faite d'avance. — Ce que vous me rapportez des nouvelles d'Oppius s'accorde assez avec mes présomptions. Mais je suis bien sur qu'ils ne se persuaderont jamais que j'approuve rien de ce qu'ils font, quoi que je puisse dire. Toutefois je veux m'observer, bien que je ne voie pas ce que j'ai à perdre ou à gagner à leur haine. — Je ne sens que trop les raisons qui vous empêchent du venir ; mais j'en suis mortifié. Rien n'annonce encore le départ d'Alexandrie, et il est certain qu'il n'en est arrivé personne depuis les ides de mars, et qu'on n'a pas reçu de lettre de lui (de César) postérieurement aux ides de décembre; ce qui montre clairement que cette lettre du 5 des ides de février, laquelle ne prouverait rien quand même elle serait vraie, n'est qu'une lettre apocryphe. Nous savonsque L. Terentius a quitté l'Afrique et qu'il a abordé à Paestum. Qu'apporte-t-il? comment a-t-il pu partir? que se passe-t-il en Afrique? c'est ce que je voudrais savoir. On dit 394 que c’est Nasidius qui l'a fait passer. Si vous en apprenez quelque chose, soyez assez bon pour me le mander. Je ferai ce que vous désirez pour les dix mille sesterces. Adieu. Le 12 des kalendes de juillet.

419. — A TERENTIA. Brindes,15 juin.

F. XIV, 11. Notre Tullie m'est arrivée la veille des ides de juin. En voyant tant de vertu et de bonté, je me suis reproché plus amèrement encore la triste fortune fine je lui ai faite dans mon aveuglement, et que méritent si peu sa tendresse et son beau caractère, .le songe à envoyer Cicéron à César, et avec Cicéron Cn. Sallustius. S'il part, vous le saurez. Prenez grand soin de votre santé. Adieu. Le 17 des kalendes de juillet.

420. — A ATTICUS. Brindes, 20 juin.

A. XI, 18. Il n'est pas encore question de ce départ pour Alexandrie (de César). On lui croit au contraire bien des affaires sur les bras. Aussi je renonce, quant à présent, à envoyer Cicéron ; et vous, voyez à me tirer d'ici. Ce qu'il y a de pis pour moi serait d'être condamné à y rester plus longtemps. Je viens d'en écrire à Antoine, à Balbus et à Oppius. Soit qu'on se balte en Italie, ou que la guerre se fasse sur mer, ce séjour ne peut me convenir; et de ces deux hypothèses l'une ou l'autre arrivera, peut-être les deux à la fois. — Je vois clairement, par ce que vous me rapportez de la conversation d'Oppius, quelles sont leurs vues à tous; tâchez de les en foire changer, je vous en conjure. Je n'entrevois que des malheurs. Déjà, hélas! rien de plus abominable, je le répète, que la position où je me trouve. Voilà pourquoi je voudrais que vous pussiez vous en entendre avec Antoine et les autres. Faites pour le mieux et écrivez-moi le plus tôt possible. Adieu. Le 12 des kalendes de juillet.

421. — A TÉRENTIA. Brindes, 20 juin.

F. XIV, 15. J'étais décidé, comme je vous l'avais écrit, à envoyer Cicéron au devant de César; mais j'ai changé d'avis, ne sachant quand il doit arriver. Rien de nouveau, du reste; mais Sicca vous dira mes intentions, et ce que je crois nécessaire dans les circonstances. Je garde encore Tullie auprès de moi. Ayez soin de votre santé. Adieu. Le 12 des kalendes de juillet.

 

422 — A ATTICUS. Brindes, 5 juillet.

A. XI, 25. Je vois bien, hélas ! à quoi se résume votre longue lettre, et je ne vais pas à rencontre : vous n'avez plus de conseils, vous n'avez plus de consolations à me donner. Oui, ma douleur est au-dessus de toute consolation. Le sort n'est pour rien dans mon malheur. Cette idée me le rendrait supportable : tout vient de mon aveuglement. J'étais malade de corps et d'esprit, et il a fallu qu'aucun de mes proches ne voulût venir à mon aide ! Ainsi, plus de conseils, plus de consolation à espérer de vous? Eh bien I je ne vous en demanderai plus. Seulement, je vous en prie, ne cessez de m'écrire, de m'écrire tout ce qui vous passera par la tête, chaque fois que vous trouverez à qui confier une lettre. Vous n'aurez pas longtemps à m'en adresser. César ne serait plus à Alexandrie, d'après une lettre de Sulpicius. C'est un bruit assez vague, que confirment cependant toutes les nouvelles postérieures. Vrai ou 395 faux, il ne m'importe guère, et je ne sais trop ce qu"il me faut en souhaiter. — Quant au testament, je vous le répète, puissent-elles le mettre en mains sûres ! Pensez-y, je vous prie. Et ma fille, pauvre malheureuse, avec cet amour insensé! voila ce qui me ronge le coeur. Jamais femme n'eut de semblables destins. Si vous connaissez un moyen de les changer, de grâce indiquez-le-moi. Ici, je le crains, le conseil n'est pas plus aisé que pour le reste. Mais le reste n'est rien en comparaison. Payer le second terme de la dot! j'étais fou, j'étais aveugle que n'est-ce à recommencer? Mais le mal est fait. Tenez, je vous en conjure comme un homme qui se noie, cherchez, rassemblez chez moi tout ce qui peut être de défaite, meubles ou vaisselle; et le peu qu'on en tirera, mettez-le en sûreté. Nous touchons a la catastrophe. La paix est impossible, et l'état de choses actuel va s'anéantir, fut-ce de lui-même. Parlez à Térentia, si vous en trouvez le moment. Je ne puis tout écrire. Adieu. Le 3 des nones de juillet.

423. — A ATTICUS. Brindes, juillet.

A. XI, 23. Camille m'écrit que vous avez eu ensemble l'entretien que je désirais : j'attends votre réponse; mais pour un changement quelconque, fût-il indispensable, je le regarde comme impossible. Toutefois, puisqu'il m'écrit, je regrette que vous n'en ayez pas fait autant. L'avis ne vous est-il pas venu? seriez-vous malade? vous vous plaigniez de quelque indisposition dans votre dernière lettre. Il est arrivé ici de Rhodes, le 12 des ides de juillet, un certain Acusius qui m'a appris que Quintus était parti le 4 des kalendes, pour se rendre auprès de César. Philotime était arrivé la veille à Rhodes. Il avait des lettres pour moi. Vous entendrez Acusius lui-même : mais il chemine à très-petites journées. Aussi vais-je charger de ce mot un marcheur plus expéditif. Qu'y a-t-il dans ces lettres de Philotime? je l'ignore. Mais Quintus me félicite beaucoup. Pour moi, j'ai fait tant de fautes, que je n'imagine même rien de passable. — Songez à cette infortunée, je vous en conjure. Il faut, ainsi que je vous l'ai mandé, réaliser quelque chose, et la mettre à l'abri du besoin. Pensez aussi au testament. Ah ! que ne me suis-je décidé plus tôt ! mais j'ai eu peur de tout. En présence de faits aussi détestables, le divorce est ce qu'il y a de mieux. Du moins, ce serait un signe de vie. Cette proposition d'abolir les dettes, ces violations de domicile, cette intrigue avec Métella, ces scandales de toute sorte, en voilà plus qu'il ne fallait. La fortune alors n'aurait pas été engloutie, et j'aurais montre un cœur et des sentiments d'homme. Je me souviens de vos conseils ; mais ce moment si critique.... Hélas! à quoi tous ces ménagements ont-ils servi? c'est lui (Dolabella) maintenant qui semble nous menacer du divorce. Où en sommes-nous, grands dieux, si tout ce qu'on dit est vrai? Quoi ! sans parler de ce qui me touche, c'est mon gendre qui propose une banqueroute ! Oui, il faut le divorce, je le veux, comme vous le voulez vous-même. Il demandera peut-être le troisième quart de la dot. Dois-je voir venir? vaut-il mieux que je prenne l'avance? que me conseillez-vous? Dussé-je passer des nuits, s'il n'y a pas d'autres moyens, il faut que je vous voie. Ecrivez-moi là-dessus et sur tout ce qui peut m'intéresser.

396 424. — A TÉRENTIA. Brindes, 9 juillet.

F. XIV, 10. J’ai écrit mes intentions à Pomponius, mais un peu plus tard qu'il ne fallait. Lorsque vous le. verrez, vous saurez ce qu'il l'aut faire. Il n'est pas ncessaire que je vous en écrive plus ouvertement, puisque je me suis expliqué avec lui. Donnez-moi le plus tôt possible des nouvelles de cela et du reste. Prenez grand soin de votre santé. Adieu. Le 7 des ides de juillet.

425. — A TERENTIUS. Brindes, 10 juillet.

F. XIV, 13. Si je vous ai priée, dans ma dernière lettre, de me renvoyer le courrier, c'est que j'ignorais les violences de cet homme et l'agitation de la multitude. Si ses fureurs vous donnent lieu de craindre, ne m'écrivez pas. Peut-être nous fera-t-il lui-même beau jeu. Jugez l'ensemble des choses. Nous sommes dans un détestable temps. Prenez le moins détestable parti. Adieu. Le 6 des ides de juillet.

426. — A ATTICUS. Brindes, 22 juillet.

A. XI, 19. Je n'ai pas manqué de vous écrire toutes les fois que j'ai trouvé une voie sûre, même quand je n'avais rien à vous apprendre. C'est vous dont les lettres sont devenues plus rares et plus courtes, sans doute parce que vous pensez n'avoir rien de bon à me dire. Cependant écrivez-moi toujours, si peu qu'il y ait et quoi que ce soit. La seule bonne nouvelle pour moi serait qu'on s'occupât de la paix. Je n'y crois pas le moins du monde, mais il suffit que vous en jetiez un mot dans une lettre pour changer en espoir un désir que j’ose à peine former. — On attend Philotime pour les ides d'août. Voilà tout ce que je sais. Répondez-moi, je vous prie, sur ce que je vous ai précédemment écrit. Je n'ai que le temps juste de prendre telles précautions que permettent les circonstances, moi qui n'ai jamais songé à en prendre aucune. Adieu. Le 1  des kalendes d'août.

427. — A ATTICUS. Brindes, 6 août.

A. XI, 24. Je reconnais la vérité de ce que vous m'avez écrit à moi-même et mandé antérieurement par deux fois à ma fille, sur mon propre compte. Quoique la mesure fût au comble, je n'en suis que plus malheureux encore de recevoir un tel affront sans laisser éclater mon ressentiment, ni même me permettre impunément la plainte. Je me résigne : mais avec ma résignation, il n'en faudra pas moins ensuite en venir à ce que vous me recommandez d'éviter. Je me suis si bien enferré, qu'en tout état de cause, et quoi qu'il arrive de la république, le résultat sera pour moi le même. — Je continue de ma main ; ce que j'ai maintenant à vous dire veut plus de mystère. Voyez un peu, je vous prie, ce qui en est pour le testament qui était fait lorsqu'elle (Térentia) a commencé à ne voir qu'elle et ses intérêts. Vous n'avez pas été ému de ses réflexions, je pense, puisqu'elle ne vous avait pas consulté, ni moi non plus. Cela étant, et puisque vous avez déjà abordé la question avec elle, vous pourrez facilement, ce me semble, lui insinuer de se confier à un tiers dont la fortune n'ait rien à craindre de la guerre actuelle, à vous par exemple; ce qui serait le mieux, si ma fille le voulait. La pauvre enfant! je lui cache mes 397 craintes sur ce sujet. Quant à l'autre affaire, je sais que rien ne se vend aujourd'hui; mais il y a des valeurs qu'on peut mettre à part et cacher, pour les sauver du naufrage dont nous sommes menacés. — Ma fortune et la vôtre suffisent, dites-vous, pour moi et Tullie. La vôtre, oui; mais la mienne, qui peut dire ce qu'elle sera? Quant a Térentia, voici, entre mille, un de ses traits, auquel on ne peut rien ajouter. Vous lui aviez écrit de m'envoyer douze mille sesterces, qui formaient le reste de l'argent comptant. Elle ne m'en a envoyé que dix mille, qui sont, dit-elle, tout ce qui reste. Si elle grappille ainsi sur une telle misère, jugez ce qu'elle a pu détourner sur de grosses sommes. — Point de Philotime. Il ne m'a rien écrit, rien fait dire. Les gens qui viennent d'Éphèse prétendent l'y avoir vu occupé de procès; il est vraisemblable que rien ne se réglera avant l'arrivée de César. J'en conclus, ou que Philotime ne croit avoir aucun motif de se presser, c'est-à-dire, qu'on n'aura eu que des mépris pour moi ; ou que s'il a quelque chose d'intéressant à me dire, il ne se mettra en peine de venir me l'annoncer que quand toutes ses affaires seront finies. Cela me chagrine beaucoup, moins pourtant qu'on ne l'imaginerait; car en quoi m'importent les nouvelles de là-bas? (de César, à Alexandrie) Vous savez pourquoi je parle ainsi. — Il faut, dites-vous, accommoder mon visage et mon langage aux nécessités du temps. C'est assez difficile. Pourtant je saurais me contraindre, si j'y voyais un avantage. Vous pensez que les négociations d'Afrique peuvent se suivre par correspondance. Je regrette que vous ne me donniez pas les motifs qui vous le font croire. Je cherche en vain ce qui peut vous le persuader. Ne manquez pas de m'écrire pour peu que vous entrevoyiez quelque chose sur l'horizon ; et quand même il n'y aurait rien, écrivez-moi toujours. De mon côté, si j'apprends quelque nouvelle avant vous, je vous en ferai part. Adieu. Le 8 des ides d'août.

428. — A TÉRENTIA. Brindes, 11 août.

F. XIV, 24. Point de nouvelles encore, ni de l'arrivée de César, ni des lettres dont on dit que Philotime est chargé. Aussitôt qu'il y aura quelque chose, je vous en ferai part. Ayez bien soin de votre santé. Adieu. Le 3 des ides d'août.

429. — A TÉRENTIA. Brindes, 12 août.

F. XIV, 23 . Enfin j'ai reçu une lettre de César. Elle est bien. Il parait qu'il arrivera plus tôt qu'on ne pensait. Irai-je à sa rencontre? ou l'attendrai-je ici? Quand ma résolution sera prise, vous le saurez. Renvoyez-moi mes courriers sur-le-champ, je vous prie. Je vous recommande votre santé. Adieu. La veille des ides d'août.

430. — A C CASSIUS. Brindes, août.

F. XV, 15. Une commune tendance à la paix, une égale horreur de l'effusion du sang romain, nous ont amenés tous deux à en finir avec cette guerre. Mais j'ai donné l'exemple; et par la, je me trouve engagé à votre égard plus que vous ne l'êtes au mien. A dire vrai, vos raisons dans nos entretiens familiers n'ont pas moins contribué que les miennes au parti que nous prîmes entre nous de considérer la question comme décidée en fait, sinon en droit, par le sort d'une seule bataille. Or, ceux-là seuls peuvent consciencieuse- 398 ment nous en blâmer, qui aiment mieux voir l’anéantissement de la république que son affaiblissement et sa décadence. Je trouve qu'il n'y a rien à espérer, une fois sa destruction accomplie; et j'attends beaucoup, je le confesse, du peu de vie qui lui restera. Mais nous avons vu depuis de si étranges choses, que s'il faut nous étonner, c'est d'en avoir été témoins, et non de ne les avoir pas prévues ; n'ayant pas, faibles mortels que nous sommes, le don de la divination. J'avais cru, je l'avoue, qu'après un combat en quelque sorte fatal, les vainqueurs ne penseraient qu'au salut commun, et les vaincus qu'à leur propre salut. Mais je calculais que tout dépendrait de la diligence du vainqueur. S'il n'avait sur ce point trompé mon attente, l'Afrique aurait été traitée aussi doucement que l'Asie et même que l'Achaïe. Vous-même, j'en suis convaincu, vous auriez été le premier à intervenir et à le demander. Le moment qui a tant de prix, surtout dans les guerres civiles, a été perdu, et l'intervalle d'une année a suffi pour rendre aux uns l'espérance de la victoire, et pour habituer les autres à l'idée d'une défaite. Il faut s'en prendre à la fortune de tous les mécomptes. Qui pouvait prévoir en effet que les scènes d'Alexandrie arrêteraient si longtemps la marche du drame principal ? qu'un je ne sais quel Pharnace deviendrait l'épouvantail de l'Asie entière? Partis du même point, nous avons tenu l'un et l'autre une route bien différente. Vous vous êtes arrangé, vous, pour être de tous les conseils, et pour avoir ainsi une vue sûre de l'avenir, ce qui vous a ôté du moins le tourment de l'incertitude. Moi qui me suis tant pressé de gagner l'Italie, dans le but de voir César, et qui ne me hâtais que pour l'exciter a la paix, vers laquelle il courait en quelque sorte de lui-même, en sauvant tant d'honnêtes gens ; j'ai cherché et je cherche encore vainement il me rapprocher de lui. J'entends d'ici les gémissements de l'Italie et les déchirantes lamentations de Rome. Peut-être aurions-nous été de quelque secours à tant de malheureux, moi dans ma position, vous dans la vôtre, chacun selon son pouvoir, si l'auteur du mal avait été présent. Je demande une grâce à voire amitié, si fidèle et si constante : c'est de me faire part de ce que vous voyez, de ce que vous pensez, et de me dire ce qu'il faut, selon vous, espérer et faire. Vos lettres m importent au dernier point. Hélas ! que n'ai-je suivi vos premiers conseils de Lucérie! je serais demeuré intact, et pur de toute atteinte. Portez-vous bien.

431. — A ATTICUS. Brindes, 17 août.

A. XI, 20. C. Trébonius est arrivé ici le 17 des kalendes de septembre, venant de Séleucie-Piérie après vingt-huit jours de marche. Il a vu le fils de Quintus chez César avec Hirtius, à Antioche; ils ont tout obtenu sans difficulté pour Quintus. Je m'en réjouirais davantage, si je pouvais espérer que ce qu'on a fait pour lui servit de règle pour moi : il y a, au surplus, bien d'autres craintes à avoir, et de bien d'autres côtés. Puis, ce qu'on accorde comme maître, on peut toujours le reprendre. Il a fait grâce aussi à Salluste. On dit positivement qu'il ne refuse rien à personne, et c'est là ce qui me fait regarder tout comme sujet à révision. M. Gallius, fils de Quintus, a rendu à Salluste ses esclaves. Gallius arrive pour faire 399 passer les légions en Sicile, où César doit incontinent se rendre de Fatras. S'il en est ainsi, je suivrai ma première pensée, je me rapprocherai. J'attends avec la plus vive impatience votre réponse à la lettre par laquelle je vous demande vos conseils. Adieu. Le 16 des kalendes de septembre.

432. — A ATTICUS. Brindes, août.

A. XI, 21. C'est le 6 des kalendes que j'ai reçu votre missive datée du 12. J'avais depuis quelque temps pris mon parti sur les indignités de Quintus. Ma plaie a saigné de nouveau à la lecture de sa lettre. Vous ne pouviez absolument vous dispenser de me la transmettre; mais j'aurais mieux aimé ne pas l'avoir reçue. A l'égard du testament dont vous me parlez, décidez vous-même du fond et de la forme. Quant à l'argent comptant, je vous ai déjà mandé qu'elle m'en avait écrit. Si mes besoins l'exigent, j'en prendrai où vous me dites. César ne sera vraisemblablement pas à Athènes pour les kalendes de septembre. Il aura, dit-on, beaucoup à faire en Asie, avec Pharnace notamment. On assure que la douzième légion à laquelle Sylla s'est adressé d'abord, l'a reçu à coups de pierre ; et l'on doute fort qu’il y en ait une seule qui veuille marcher. On croit que César ira droit de Patras en Sicile : si cela est, il faudra qu'il vienne ici. Je m'en passerais bien. J'aurais pu m'échapper, et je vais être obligé de l'attendre (je le crains du moins), et de laisser par conséquent encore cette pauvre petite sous un ciel dont la pesanteur ajoute a ses maux. Vous m'engagez à m'accommoder au temps. Je le ferais, s'il y avait jour et moyen; mais après tant de fautes de ma part, après tant d'affronts de la part des miens, il ne m'est plus possible de prendre une attitude digne, ou même de sauver les apparences. Vous parlez de Sylla; mais il n'y aurait qu'à admirer dans sa conduite, s'il y eut mis un peu plus de modération. Aujourd'hui, je dois m'oublier et n'avoir en vue que l'intérêt de tous, qui est devenu le mien. Ecrivez-moi souvent, car il n'y a que vous qui m'écriviez. Et quand j'aurais des lettres de tout le monde, je m'attacherais surtout aux vôtres. Lui, dites-vous, plus favorable à Quintus par considération pour moi ! Je vous ai déjà dit que son fils avait tout obtenu au premier mot, et que mon nom n'avait pas même été prononcé. Adieu.

433. — A ATTICUS. Brindes, septembre.

A. XI, 22. Le messager de Balbus m'a remis très-exactement ses dépêches. D'après un mot de vous, l'inquiétude vous aurait pris au sujet de la lettre dont il était chargé. Pourquoi faut-il que je l'aie reçue? elle n'a fait qu'accroître mes douleurs; et quand les dépêches seraient tombées en des mains étrangères, à qui eussent-elles appris quelque chose? Quoi de plus connu que sa haine pour moi et le style de ses lettres? César a communiqué celle-ci, non parce que le procédé le révolte, mais parce qu'il n'est pas fâché de mettre mes plaies au grand jour. Car quand vous venez me dire que Quintus peut s'être fait tort, et qu'il faut aller au devant, vous oublier qu'on n'a pas même voulu se faire prier pour lui ; ce dont je ne me fâche pas assurément, mais je suis fâché de voir que mon intervention n'y ait été pour rien. — Sylla sera, je pense, ici 400 demain avec Messalla. Chassés par les légions, ils retournent en courant auprès de leur maître pour lui dire que les soldats veulent être payés avant de marcher. Ainsi, il sera obligé de venir, contre l'opinion générale. Seulement ce ne sera point de si tôt. Il s'arrête dans chaque ville des jours entiers. Pharnace aussi va le retarder, quoi qu'il fasse. Que me conseillez-vous? Ma santé résiste à peine aux influences d'un ciel malsain. C'est un nouveau mal à joindre à tant de maux. Ne pourrais-je me faire excuser de l'attendre par quelqu'un de ceux qui vont le rejoindre, et me rapprocher un peu de Rome ? Réfléchissez bien sur tout cela, je vous prie, et une fois au moins, après tant de prières inutiles, donnez-moi un conseil. Ce n'est pas chose facile, je le sais ; mais de deux maux on peut choisir le moindre. Votre présence surtout me serait utile : ce serait un grand point de gagné. Oui, ayez l'oeil à ce testament.

434. — A TÉRENTIA. Brindes, 1 septembre.

F. XIV, 22. J'attends de jour en jour nos messagers. S'ils arrivaient, peut-être saurais-je le parti que je dois prendre; je vous en ferais part à l'instant. Je vous recommande votre santé. Adieu. Aux kalendes de septembre.

435. — A TÉRENTIA. Vénusium, 1 octobre.

F. XIV, 20. Je serai je pense, à Tusculum le jour des nones ou le lendemain. Veillez à ce que tout soit prêt pour me recevoir. Peut-être amènerai-je avec moi des amis, et vraisemblablement nous y ferons quelque séjour. S'il n'y a pas de cuve dans le bain, qu'on en mette une. Enfin qu'il ne manque rien de ce qui est nécessaire pour bien vivre et se bien porter. Adieu. Aux kalendes d'octobre. De Vénusium.

436. — A TRÉBONIUS. Rome, décembre.

F. XV, 21. Votre lettre m'a charmé, votre livre plus encore; toutefois, je n'ai pas joui de mon bonheur sans mélange : au moment ou vous me donnez si fort le désir de vous voir souvent, (vous aimer davantage est impossible) voilà que vous partez, que vous me donnez un chagrin mortel, et qu'il ne nous reste à l'un et à l'autre que la ressource de nous écrire souvent et longuement, pour adoucir les regrets de l'absence. C'est de quoi je puis répondre et pour moi et pour vous ; car vous ne me laissez en partant aucun doute possible sur votre affection. Et je n'entends point faire ici allusion aux témoignages publics que vous m'avez donnés à la face de Rome, en embrassant toutes mes querelles, en vous constituant mon défenseur a la tribune, en prenant comme questeur parti pour les consuls dans la cause de la république et dans la mienne, et en refusant en la même qualité au tribun du peuple une obéissance qu'il trouvait dans votre collègue. Je n'entends pas parler davantage de faits plus récents dont mon coeur ne perdra jamais le souvenir, de votre sollicitude durant la guerre que j'ai dirigée, de votre joie à mon retour, de vos tourments et de votre affliction à la nouvelle dénies afflictions et de mes tourments, enfin de cette résolution de me rejoindre à Brindes, qui n'a manqué son effet que par l'ordre de votre départ soudain pour l'Espagne. Je laisse de côté tous ces souvenirs, qui me sont toutefois plus pré- 401 cieux que la vie et la sûreté. Je ne veux pour preuve de votre affection que le livre que je viens de recevoir. Quelle preuve, bons dieux! D'abord vous trouvez de l'esprit à tout ce que je dis : les dieux savent si tout le monde pense comme vous ! puis, que j'aie de l'esprit ou que je n'en aie pas, il est certain que vous m'en prêtez beaucoup, et qu'il n'y a rien de plus charmant au monde que le tour que vous savez donner aux choses. Que dis-je? tout le charme est là; et c'est à peine s'il me reste quelque chose, quand on perce plus loin et qu'on arrive à Cicéron. — Enfin, quand je ne vous aurais d'autre obligation que de vous être si longtemps occupé de moi en composant votre ouvrage, il faudrait être de bronze pour ne pas vous aimer. C'est vraiment avec amour que vous avez mis ces matériaux en oeuvre, et je suis sûr qu'on ne s'aime pas plus soi-même que vous ne m'aimez. Que ne puis-je reconnaître tant de bontés! Je les paye du moins de l'amitié la plus tendre, et je me flatte que cela seul vous suffit. — J'arrive à votre lettre. Elle est pleine d'effusion et de grâce. J'y répondrai en peu de mots : d'abord la lettre que j'ai écrite à Calvus était aussi peu faite que celle-ci pour être communiquée. Il y a une façon quand on croit n'écrire que pour une personne; une autre quand une lettre doit être montrée. En second lieu, j'ai loué, dites-vous, son mérite au delà de toute vérité. Il n'est vraiment pas sans talent : c'est du moins mon avis. Il s'est fait un genre, et tout en péchant contre le goût, dont il connaît les règles a merveille, il a trouvé cependant le moyen déplaire. Il a un grand fonds de connaissances ; seulement la force lui manque. C'est à donner de la force à ses écrits que ma lettre le conviait. Or, il faut toujours mêler un peu d'éloge à un conseil : c'est un stimulant. Voici en deux mots mon jugement sur Calvus et ma justification. L'éloge faisait passer la critique, et j'ai réellement bonne opinion de l'auteur. — Je finis en vous répéta ut que mon amitié vous suivra, que je vis dans l'espérance de vous revoir, qu'absent vous êtes là dans mon souvenir, et qu'en attendant le retour ma consolation sera de vous écrire et de recevoir de vos lettres. N'oubliez jamais, je vous prie, toutes les marques d'attachement que vous m'avez données et tous les services que vous m'avez rendus. Si vous y pensez quelquefois, moi je ne pourrais sans crime en perdre la mémoire; vous en conclurez qu'il faut que je ne sois pas un malhonnête homme, et vous croirez bien que je vous aime avec passion. Adieu.

437. — A TITIUS.

F. V, 16. Personne au monde n'est moins en état que moi de vous offrir des consolations. J'en aurais besoin moi-même, tant je suis touché de vos peines! Cependant comme la douleur que j'éprouve ne peut sous aucun rapport se comparer à l'amertume infinie de la votre, je regarde comme un devoir de l'amitié de rompre un silence que j'ai trop longtemps gardé. Je chercherai donc à vous offrir quelques-unes de ces consolations qui soulagent du moins un moment le coeur, si elles sont impuissantes à en guérir les blessures. Voici, par exemple, des sentences bien vulgaires, bien rabattues, qu'il faut avoir sans cesse à la bouche et présentes à la pensée. Nous ne devons pas oublier que nous sommes hommes ; que la loi de notre naissance est de vivre en butte à toutes les épreuves ; que nous n'avons pas le droit de 402 refuser la condition sous laquelle nous naissons et vivons; que nous ne devons pas surtout nous roidir contre ces coups de la fortune que nulle prévoyance humaine ne peut conjurer; qu'en se rappelant ce qui est arrivé à autrui, on se convainc qu'il n'y a rien que d'ordinaire dans ce qui nous arrive à nous-mêmes. Ces maximes et d'autres du même genre ont été respectées par les plus grands philosophes, et la tradition en est dans tous les livres. Mais je les crois moins propres à agir sur vous que l'état présent de la république, et la longue suite de mauvais jours auxquels nous sommes condamnés. Qu'ils sont heureux ceux qui n'ont jamais eu d'enfants! et combien le malheur de perdre les siens serait plus affreux sous un gouvernement régulier; disons mieux, sous un gouvernement quelconque ! Est-ce de votre propre chagrin que vous gémissez, et dans vos afflictions ne considérez-vous que vous-même? Alors il est moins facile de tarir vos larmes : mais si votre peine a sa source dans un sentiment tendre, si vous pleurez seulement la destinée de ceux que vous avez perdus, je ne vous dirai pas ce que j'ai si souvent lu et si souvent entendu répéter, que la mort n'est point un mal; que si le sentiment survit, la mort est l'immortalité; et que si le sentiment périt avec elle, il n'y a point de mal, puisqu'on ne le sent point. Mais je vous représenterai plutôt, parce que je parle ici avec la force d'une conviction inébranlable, que les nuages menaçants qui s'accumulent, que les tempêtes à chaque instant suspendues sur la république, ne permettent pas de plaindre ceux qui la quittent, comme si on leur faisait tort des jours qui leur sont dus. Où sont depuis longtemps, je vous le demande, la pudeur, la probité, la vertu, les droites pensées, les ambitions légitimes? Ou est la liberté? Ou est même la garantie de l'existence? Oui, j'en jure par Hercule, je n'ai pas vu mourir un seul jeune homme, un seul enfant dans cette année de désastres et de malédiction, que je ne me sois dit : Encore un à qui la bonté des dieux immortels épargne un avenir de misère, et l'amertume d'une existence intolérable. Si vous parveniez à ôter de votre esprit l'idée que ceux qui vous étaient chers sont malheureux, vous vous sentiriez à l'instant soulagé d'un grand poids. Votre douleur, réduite à un simple sentiment personnel, cesserait de se prendre à ceux qui ne sont plus, et se concentrerait sur vous seul. Dans ce cas, serait-il conforme à l'esprit de réflexion et de sagesse que vous montriez dès vos plus jeunes années, de ne pas garder de mesure dans une disgrâce toute personnelle, dans une disgrâce dégagée de toute idée de malheur et de souffrance pour ceux que vous aimiez? Songez à ce que vous avez été jusqu'ici comme homme privé et comme homme public. Vous ne devez ni démentir votre caractère, qui est grave, ni devenir infidèle à votre propre courage. S'il n'est point de douleur que le temps ne tarisse à la longue, ne vaut-il pas mieux s'adresser à la réflexion et à la philosophie? La femme, même la plus faible, qui a perdu ses enfants, suspend quelquefois ses larmes; et, nous, nous ne saurions pas avancer par la réflexion le bénéfice du temps! et nous, nous attendrions de la succession des années le remède que nous pouvons demander à la raison ! Si ces observations ne sont pas sur vous sans quelque influence, j'aurai atteint mon but, 403 et je le souhaite ardemment : si elles sont impuissantes, j'aurai rempli le devoir de l'amitié; car vous avez en moi un ami, un ami tendre, et qui le sera toujours.

438. — A CORNIFICIUS.

F. XII, 20. Votre lettre m'enchante, si ce n'est que vous avez dédaigné mon pied à terre de Sinuesse, affront que cette pauvre petite villa ne vous pardonnera jamais, à moins que Cumes et Pompéi ne reçoivent de vous complète réparation, et j'y compte. Si vous m'aimez, vous serez le premier à m'écrire. Je suis plus à l'aise quand je n'ai qu'à répondre. Cependant, si la paresse vous tient comme a votre ordinaire, je romprai la glace, et ne souffrirai pas que la contagion me gagne. Je causerai plus longtemps quand je serai plus libre, car c'est a grand'peine et en plein sénat que je vous broche ces deux mots.

AN DE R. 708 - AV . J.-C. 45. – AGE DE C. 61.

J. C. Caesar, pour la seconde fois et M. E. Léplde, consuls.

439. — A VARRON. Rome, janvier.

F. IX,1. Atticus m'a lu la lettre que vous lui avez adressée. Elle dit bien comment vous vous portez et où vous êtes; mais quand pouvons-nous espérer de vous revoir? c'est ce qu'elle ne laisse pas même soupçonner. Je commence pourtant à espérer en votre prochain retour. Puissé-je y trouver quelque consolation ! Les choses vont si mal et de tant de cotés à la fois, qu'à moins d'être insensé, on ne peut se flatter d'aucun remède; mais enfin vous pouvez me prêter quelque secours, peut-être en recevoir de moi. Sachez qu'a mou arrivée a la ville, je me suis réconcilié avec mes vieux amis, je veux dire mes livres. Notre commerce avait cesse; non que j'eusse à m'en plaindre, mais je ne pouvais les voir sans rougir. Je croyais avoir trop méconnu leurs préceptes, lorsque je m'engageai, avec des compagnons sans foi, dans d'épouvantables conflits. Ils me pardonnent et me rendent mes droits d'ami, tout en vous proclamant plus sage que moi, de ne les avoir jamais quittes. A présent que ma paix est faite, je crois que vous ayant là, je supporterai mieux les maux qui nous pressent et ceux qui nous menacent. Ainsi, à Tusculum ou à Cumes, si vous l'aimez mieux, ou à Rome, ce qui me plairait beaucoup moins, réunissons-nous; c'est le principal. Je me charge de faire en sorte que nous y trouvions notre compte tous deux.

440 — A DOMITIUS. Rome.

F. VI, 22. Si je ne vous ai pas écrit depuis votre retour en Italie, ce n'est point parce que vous ne m'écrivez pas vous-même. Mais quel secours porter à autrui, quand on est dans le dénûment? Quel conseil donner, quand on ne sait quel parti prendre ? Quelle consolation offrir, quand on ne voit que des maux autour de soi? Voila ou j'en suis toujours. Les choses vont même de mal en pis. Cependant j'aime mieux vous adresser quelques mots vides de sens que de ne pas vous écrire du tout. — Si je vous supposais le dessein de tenter pour la république d'inutiles efforts, je vous dirais de préférer plutôt la position qu'on nous laisse, et que la nécessité nous a faite. Mais votre raison s'est résignée à l'arrêt de la fortune, en déposant spontanément les armes le jour où a fini la lutte des deux partis. Je puis donc librement m'autoriser de nos longs rapports 404 et des droits d'une vieille amitié; je puis sans scrupule vous conjurer, par tout ce que nous nous portons d'intérêt l'un à l'autre, de vous conserver pour moi, pour votre mère, pour votre femme, enfin pour tout ce qui vous aime. Oui, songez maintenant à vous, à ceux dont l’existence est attachée à la vôtre; faites aux circonstances l'application de vos doctrines et des principes que vous avez étudiés dès l'enfance, et reçus de la tradition des sages, des principes que votre raison comprenait si bien; supportez, en un mot, avec modération {je ne vous dirai point avec un farouche courage) la perte de tant d'hommes illustres, vos amis et vos soutiens. J'ignore si je puis quelque chose, ou plutôt je sais que je puis bien peu ; je vous promets néanmoins que dans tout ce qui pourra toucher votre position et votre dignité, j'agirai pour vous avec la même ardeur que je vous ai toujours vue pour moi; je m'en suis expliqué avec votre mère, cette femme supérieure qui vous aime tant. Si vous m'écrivez vos intentions, je m'efforcerai de les remplir. Si vous gardez le silence, je n'en ferai pas moins avec zèle et dévouement tout ce que je croirai pouvoir vous être utile. Adieu.

441. - A CN. PLANCUS. Rome.

F. IV, 15. J'ai reçu votre courte lettre, où je n'ai pas trouvé ce que j'avais besoin de savoir, et où vous m'apprenez ce que je sais parfaitement. J'ai vainement cherché à y voir comment vous supportiez nos communes misères. Elle me prouve seulement que vous m'aimez, ce dont je ne doutais pas. Si vous m'aviez écrit d'une manière plus explicite, je vous répondrais en conséquence. Quoique je vous aie déjà tout dit, je vous répéterai en peu de mots qu'aucun danger particulier ne vous menace. Le péril est grand, mais le péril est pour tous; et vous ne prétendez pas sans doute ni que la fortune fasse une exception pour vous, ni qu'elle vous sépare du sort commun. Soyons l'un pour l'autre ce que nous avons toujours été. Je compte sur vous et je vous réponds de moi. Adieu.

442. — A L PLANCUS. Rome.

F. XIII, 29. De tous les amis que vous a laissés votre père, vous n'en avez pas, je pense, qui vous tienne de plus près que moi, non-seulement par ces rapports d'apparat qu'on prend pour des liens d'affection, mais encore par les habitudes plus fortes dune longue amitié. Entre votre père et moi, ces habitudes, vous ne l'ignorez point, furent toujours les plus charmantes et les plus intimes du monde. De là vint mon attachement pour vous; mes liens avec votre père s'en resserrèrent, surtout quand je vous vis, dans l’âge où l'on commence à comprendre la mesure de ce qui est dû à chacun, me témoigner, de préférence à tout autre, des égards, du respect et de l'affection. Il s'y joignait un autre lien, qui n'a pas peu de force, outre la solidité qui lui est propre : c'est celui d'études communes, de ces études surtout et de ces travaux de l'esprit qui unissent bien vite par l'amitié ceux qui s'y livrent avec le même goût. Où donc en voulez-vous venir, me 405 direz-vous, en allant remonter si loin? Non, ce n'est pas sans motif ni sans intérêt que je rappelle tous ces souvenirs. — Je suis lié intimement avec C. Atéius Capiton. Les phases diverses de ma vie si mêlée vous sont connues. Dans mes jours brillants comme dans mes disgrâces, C. Capiton était là avec son dévouement, son activité, son crédit, sa popularité, sa bourse même. Proscrit ou honoré, je l'ai toujours trouvé fidèle. Il est parent de T. Antistius, a qui la questure en Macédoine était échue par le sort, et qui se trouvait encore en exercice, faute de successeur, lorsque Pompée entra avec son armée dans la province. T. Antistius n’était pas libre; s'il l'eût été, il n'aurait rien eu de plus à coeur que de rejoindre Capiton, qu'il aimait comme un père, surtout connaissant l'estime qu'il professait et avait toujours professée pour César. Dans sa position forcée, il n'a pris à ce qui s'est fait que la part qu'il n'a pu se dispenser d'y prendre. Lorsqu'on frappa monnaie à Apollonie, presida-t-il à l'opération? c'est ce que je ne saurais dire. Je ne puis nier qu'il n'ait été là; mais deux ou trois mois, pas davantage. Depuis il n'a plus paru au camp, et ne s'est mêlé de rien. Vous pouvez me croire; j'étais témoin. Il voyait le chagrin que cette guerre me causait, et ne me cachait rien. Il alla se réfugier au fond de la Macédoine, aussi loin que possible des armées, afin de n'avoir dans tout cela ni initiative à prendre, ni action quelconque à exercer. Après la bataille, il se retira près d'un ami intime, A. Plautius, en Bithynie. César l'y rencontra, et ne lui fit entendre aucune parole amère et dure. Il lui prescrivit seulement de se rendre à Rome. Mais Antistius tomba malade, d'une maladie dont il ne s'est point relevé, se lit transporter souffrant à Corcyre, et c'est la qu'il est mort. D'après son testament fait à Rome, sous le consulat de Paullus et de Marcellus, Capiton est son héritier pour moitié et un tiers. On confisquerait le sixième restant, que pas un de ceux qui y ont droit ne se plaindrait. C'est une affaire de trois cent mille sesterces. Mais ceci regarde César. — Ce que je vous demande, moi, mon cher Plancus, au nom de votre père et de notre propre amitié, en invoquant la conformité de nos goûts, les rapports constants de nos positions et de notre vie tout entière, ce que je vous demande avec plus d'instance, avec plus de sollicitude que je ne puis le dire, c'est de vous charger des intérêts de Capiton, de les considérer comme les miens, et de ne rien négliger pour arriver à ce que, sur ma recommandation, par votre entremise et grâce à la bonté de César, C. Capiton recueille le legs de son parent. Dans le haut degré de faveur et de puissance où vous êtes, tout ce que je pouvais prétendre de vous, vous l'aurez fait en une fois, si j'obtiens de vous ce service. — II y a une circonstance qui vous servira, j'espère, et que César peut apprécier mieux que personne : c'est que Capiton l'a toujours vénéré et chéri. Lui-même eu rendra témoignage. Je connais la fidélité de sa mémoire. Je n'insiste donc pas. Mais vous, insistez pour Capiton, selon que vous verrez César conserver pour lui des sentiments plus ou moins vifs. — Je vais aussi vous parler de moi : vous jugerez si je puis peser dans la balance. Vous n'ignorez point à quel parti et à quelle cause je suis attaché, quels sont les hommes et les ordres qui ont aidé a mon élévation et qui m'ont toujours appuyé : si dans cette 406 guerre il y a eu de ma part quelques actes qui ne furent pas entièrement en harmonie avec les vues de César, croyez-moi, il faut s'en prendre a des conseils étrangers, il un entraînement auquel j'ai cédé, et César, je le sais, ne s'y méprend pas; mais, dans les rangs où j'étais, j'ai montré peut-être plus de mesure et de modération que personne. Eh bien ! c'est surtout à l’influence de Capiton que je le dois. Si tous mes amis lui avaient ressemblé, la république aurait pu y gagner quelque chose. Moi, du moins je m'en serais mieux trouvé. — Obtenez ce que je vous demande, mon cher Plancus, et montrez ainsi que vos sentiments pour moi sont toujours les mêmes. Vous vous attacherez intimement par ce service l'un des hommes les plus reconnaissants, les plus serviables et les meilleurs que je connaisse, C. Atéius Capiton.

443. A ALLIÈNUS, proconsul. Rome.

F. XIII, 78. Démocrite de Sicyone n'est pas seulement mon hôte, il est de plus mon ami, et c'est un titre dont je suis peu prodigue, surtout pour les Grecs ; mais aussi c'est un homme d'une haute probité, d'une rare vertu, rempli d'attentions et d'égards pour ses hôtes; et de tous je suis celui qu'il respecte, qu'il honore et qu’il aime le plus. Je vous le donne pour ce qu'il y a de mieux dans sa ville, et je dirai presque dans toute l'Achaïe. Je ne veux que lui ouvrir l'accès. Je vous connais : une fois que vous aurez causé avec lui, votre coeur sera ému, et vous l'attirerez chez vous. Ayez donc confiance en ma parole, et soyez en aide a mon protégé. Si, comme je n'en fais aucun doute, vous le trouvez digne d'une place dans votre coeur et a votre foyer, je vous demande de le choyer, de le chérir, et de l'aimer comme un des vôtres. Je vous en saurai un gré infini. Adieu.

444. — A ALIENUS, PROCONSUL. Rome.

F. XIII, 79. Vous connaissez, je crois, mes sentiments pour C. Avianus Flaccus, et je sais vos bons procédés pour lui. Cet excellent homme me les a dits dans l'effusion de son coeur. Les fils d'Avianus sont dignes de leur père. Je les connais, je les aime, et je viens vous les recommander avec le plus vif intérêt. C. Avianus est en Sicile, Marcus avec moi. Honorez, je vous prie, de tous vos égards celui qui est près de vous, et prenez à cœur les intérêts des deux frères. Vous ne pouvez rien faire dans votre province dont je vous sache plus de gré. Je vous le demande avec instances. Adieu.

445. — A BRUTUS. Rome.

F. XIII, 10. En voyant votre questeur M. Varron partir pour vous rejoindre, je ne pensais pas qu'il eût besoin de recommandation. Il me semblait suffisamment recommandé près de vous par la tradition de nos ancêtres, qui a voulu que le lien de la questure fût le plus fort de tous les liens après ceux qui attachent les enfants à leurs pères; mais il s'est imaginé qu'une lettre de moi écrite d'une certaine façon ferait grande impression sur vous, et il m'a demandé avec instance de me piquer d'honneur. Il a bien fallu céder, puisqu'un ami y attachait tant de prix. Jugez vous-même si j'ai quelque chose à lui refuser : à peine entré au forum, M. Térentius Varron a recherché mon amitié. Bientôt, il est devenu 407 homme, et j'eus deux raisons de plus pour l'aimer : d'abord son goût pour les études, qui font encore aujourd'hui le plus grand charme de ma vie, et où il a fait preuve, comme vous le savez, de grandes dispositions et de quelque savoir-faire; puis les intérêts qu'il prit de bonne heure dans les fermes publiques, et que j'aimerais bien mieux qu'il n'eût pas, car il y a fait de grandes pertes ; mais enfin cette communauté d'intérêt avec un ordre pour qui j'ai toujours fait profession de tant d'égards, contribua puissamment à resserrer nos liens. Plus tard, ayant donné sur l'un et l'autre siège une haute idée de son caractère et de son mérite, il entra dans les candidatures, et ne se proposa jamais que l'honneur, comme le plus digne fruit de ses travaux. A Brindes, dans ces derniers temps, je l'ai chargé de lettres et d'ordres pour César; mission délicate qu'il ne pouvait accepter que par attachement pour moi, et qu'il a remplie jusqu'au bout avec une rare fidélité. Je voulais entrer dans quelques détails à part sur ses sentiments et son caractère; mais je m'aperçois qu'en vous disant pourquoi je l'aimais tant, je vous ai dit assez déjà quels étaient ses sentiments. Je puis du moins à part vous assurer et vous garantir que vous trouverez en Varron charme et profit. Vous verrez en lui de la modération, de la sagesse, un sévère désintéressement, et, avec cela, une ardeur infatigable pour le travail et la plus remarquable capacité. Je ne devrais pas ainsi vous mettre sur la voie des découvertes que vous ne pouvez manquer de faire, à mesure que vous le connaîtrez. Mais dans toute nouvelle relation, la manière dont on débute et les recommandations qui nous eu ouvrent la porte ne sont pas choses indifférentes. C'est dans ce but que je vous écris; l'intimité de la questure doit naturellement produire son effet, mais ce que j'ajoute n'y nuira pas. Si vous m'aimez autant que Varron se l'imagine et que je le sens au fond de mon coeur, ne le trompez pas, je vous en conjure, dans ce qu'il espère et eu ce que j'attends moi-même de cette recommandation.

446. — A L. MESCIMUS. Rome.

F. V, 21. Votre lettre me charme, elle exprime bien votre empressement de me voir. Je n'en doutais point, mais je n'y suis pas moins sensible, et vous prie de croire que mou impatience ne le cède pas à la vôtre. Oui, aussi vrai que je soupire après vous, puissent tous mes autres vœux s'accomplir! Dans le temps où se pressaient autour de moi plus en foule qu'aujourd'hui les caractères forts, les bons citoyens, les hommes aimables et les amis empressés de me plaire, il n'y avait personne que je visse avec plus de plaisir que vous, presque personne môme avec un plaisir égal. Les uns ont péri, les autres se sont éloignés, d'autres ont changé pour moi ; et maintenant je donnerais avec joie, pour un seul jour passé près de vous, tout le temps que je passe au milieu de ceux avec qui je suis forcé de vivre. Ne doutez pas que je ne trouvasse mille fois plus de charme dans la solitude dont il ne m'est pas donné de jouir, que dans les entretiens des hommes qui fréquentent ma demeure, un seul excepté, deux au plus. Je me console par les lettres, nos bien-aimées, et aussi par le témoignage de ma conscience, double refuge ou vous pouvez 408 recourir comme moi. .le puis dire (ce que vous croirez sans peine) que je n'ai jamais fait passer mon intérêt avant celui de mes concitoyens, et que si je n'eusse excité l'envie d'un homme (Pompée ou Caton?) que vous n'aimâtes jamais, car vous m'aimiez, il serait heureux, lui et tous les gens de bien. Je puis encore dire que je n'ai pas voulu que la violence, de quelque part qu'elle vînt, prévalût sur le repos avec l'honneur. Quand j'ai vu l'esprit de discorde et de guerre, que je redoutais tant, devenir plus puissant que l'opinion des gens de bien, dont l'accord était mon ouvrage, j'ai cherché à quelque prix que ce fût la paix, plutôt que de m'exposer a un combat inégal. Sur tout cela, et sur bien d'autres choses encore, nous causerons, j'espère, avant peu. — Un seul motif me retient à Rome : je veux savoir ce qui se passera en Afrique. La crise approche, et le dénouement peut ne m’être pas indifférent, ce me semble. Je ne sais pas bien en quoi, il est vrai; quoi qu'il en soit, je veux me tenir à portée des conseils de mes amis. La situation est telle, en effet, que s'il y a une grande différence entre les combattants, il n'y en aura pas une bien grande dans les suites de la victoire, quel que soit le vainqueur. J'ai faibli peut-être tant que le résultat a été douteux. Aujourd'hui que tout est désespéré, je sens mon courage renaître. Je dois beaucoup sous ce rapport à votre dernière lettre, et à la force avec laquelle vous souffrez l'injustice, et je me fais une leçon du profit que je vous vois tirer de votre caractère et de vos études. Je dirai la vérité: je ne vous croyais pas d'une pareille trempe, ni vous ni aucun de ceux qui, comme vous, n'aviez connu de la vie que ce qu'elle a de douceurs dans une patrie heureuse et libre. Mais nous avons joui de la prospérité avec modération; supportons avec fermeté, je ne dirai pas le changement, mais le renversement complet de notre fortune. Même quand on est heureux, on doit mépriser la mort, précisément parce que la mort est l'absence de tout sentiment. Dans l'excès de nos maux, instruisons-nous non seulement à la mépriser, mais encore à la désirer. Gardez-vous, croyez-moi, de renoncer à vos doux loisirs, et soyez-en bien convaincu : hors le vice, hors le mal dont vous êtes, dont vous serez toujours bien loin, il n'est rien sur la terre qui doive inspirer a l'homme de l'horreur ou de l'effroi. Si je le puis sans inconvénient, j'irai vous trouver bientôt; s'il survient quelque incident qui m'en empêche, je vous le ferai savoir. Que votre impatience de me voir ne vous porte pas surtout à risquer un déplacement dans l'état de faiblesse où vous êtes. Écrivez-moi d'abord et consultez-moi, je vous prie. Mon voeu est surtout que vous m'aimiez toujours, et que vous ne négligiez rien pour garder votre santé et votre repos.

447. - A VARRON. Rome, avril.

F. IX, 3. Je n'ai rien à vous mander : mais Caninius va vous rejoindre, et je ne veux pas le laisser partir sans lui donner un mot. Que vous dire ? Une chose que vous désirez, j'imagine : j'irai bientôt vous retrouver. Voyez toutefois, je vous prie, s'il est décent que je sois là-bas, quand tout est en feu ici. C'est prêter aux propos de ceux qui ne savent pas que là-bas ou ici notre 409 manière d’être et de penser est toujours la même. Qu'importe après tout? Qu'on jase tant qu'on voudra. Devons-nous, je vous le demande, dans ce débordement général de crimes et d'infamies, nous mettre en peine si on blâme notre retraite et les loisirs que nous coûterions ensemble? Arrière donc les barbares et leurs ignares propos ! Quant à moi, je m'attache à vos pas. Quoiqu'il n'y ait rien de plus misérable que notre misérable époque, je ne sais par quel prodige je trouve aujourd'hui dans l'étude une mine plus riche et des dons plus abondants que jadis, soit qu'on ne rencontre nulle part ailleurs maintenant le repos qu'elle procure, soit que l'intensité du poison qui nous ronge rende l'antidote plus nécessaire, et nous fasse apprécier davantage le remède dont la vertu nous semblait indifférente quand nous étions en santé. Mais a quoi bon ces réflexions? Ne vous viennent-elles pas aussi bien qu'a moi? Je porte des hiboux à Athènes. Je n'avais qu'une chose à vous dire, c'est de m'écrire et de m'attendre. Vous ferez l'un et l'autre.

448. — A VARRON. Rome, avril.

F. IX, 2. Caninius, votre ami et le mien, vint me visiter l'autre jour fort tard ; il partait, me dit-il, le lendemain de bonne heure, pour aller vous retrouver. Comme je voulais lui donner une lettre pour vous, je le priai d'avoir la bonté de la venir prendre le matin, et je passai une partie de la nuit à écrire. Mais notre homme ne revint pas et je crus qu'il m'avait oublie. Je n'aurais pas, manqué de vous envoyer ma lettre par mes gens, s'il ne m'avait dit que vous partiez vous-même de Tusculum le lendemain de très-bonne heure. Quelques jours se passent, et quand je m'y attends le moins, voila un beau matin Caninius qui arrive. Il partait. Quoique ma lettre fût du réchauffé, il y a eu de si grandes nouvelles depuis! je ne voulus pas perdre ma peine, et la lui remis. J'ai causé avec lui : je sais que c'est un homme grave et qui vous aime avec passion. Je suppose qu'il vous rendra compte de notre entretien. Mais voici un conseil que je vous donne, et que je me donne aussi à moi-même. Si nous ne pouvons nous soustraire aux propos, tâchons du moins de nous soustraire aux regards. Ils sont tellement insolents dans leur victoire qu'ils nous regardent comme des vaincus. Or, l'aspect de ces vaincus les met mal a l'aise, et ils souffrent de nous voir en vie. Les choses étant ainsi à Rome, pourquoi donc, me direz-vous, n'avoir pas suivi mon exemple et ne pas vous être éloigné? C'est, mon cher Varron, que vous êtes plus habile que moi et que bien d'autres; c'est que vous avez, je crois, été devin, et qu'aucune de vos prévisions ne vous a trompé. Mais tout le monde a-t-il des yeux de lynx, pour ne pas se heurter et chopper dans de pareilles ténèbres? — J'ai toutefois pensé souvent à sortir d'ici, pour n'avoir point à voir ce qu'on y fait ni à entendre ce qu'on y dit. Mais je me disais : On me rencontrera, et qu'on le pense ou non, on dira : « il a eu peur, Il s'est sauvé; on bien il a un projet en tête; un navire l'attend. » Ceux qui n'y entendraient pas malice, et qui au fond me connaîtraient le mieux peut-être, auraient vu chez moi l'intention de fuir des visages odieux. Voila ce qui m'a fait rester à Rome, ou d'ailleurs le retour journalier des mêmes scènes a fini par 410 user ma sensibilité. — Vous savez maintenant mon histoire. Quant à vous, vous ferez bien de rester encore a l'écart; attendez que l'enthousiasme des premiers moments tombe et qu'on sache où nous en sommes; car je crois que tout est fini maintenant. Il importe donc de connaître les dispositions du vainqueur et la pente des affaires. Il ne m'est pas difficile de m'en faire une idée, mais j'attends. Gardez-vous surtout du séjour de Haies; tant du moins que ce tapage ne se sera pas assoupi un peu. Il nous sera plus honorable, si nous quittons Rome pour Baïes, de paraître y aller pour frémir, et non pour y prendre le plaisir des bains. .le m'en rapporte à vous : que nous vivions ensemble au sein de l'étude; je ne tiens qu'a cela. L'élude, qui n'était autrefois qu'un charme pour nous, est aujourd'hui notre ancre de salut; au premier appel, on nous verrait accourir, et nous nous porterions avec joie, comme architectes ou comme manoeuvres, à la reconstruction de l'édifice politique. Que si l'on ne veut pas de nos services, il nous sera permis du moins de composer et de lire des traités de gouvernement; et si la politique d'action nous est interdite à la curie et au forum, nous ferons de la politique de théorie dans des livres, à l'exemple des plus illustres sages de l'antiquité; et nous nous livrerons à une étude approfondie des mœurs et des lois. Voilà mes rêves. Faites-moi la grâce de me dire à votre tour vos vues et vos projets.

449. — A ATTICUS. Mars.

A. XII, 1. Voilà onze jours que je vous ai quitté. Je pars de ma maison de campagne, et je vous broche ce bout de lettre avant le Jour. Aujourd'hui je coucherai à Anagnie, demain a Tusculum, ou je passerai un jour. Le 5 des kalendes je serai au rendez-vous. Et puissé-je immédiatement courir me jeter dans les bras de ma Tullie, et donner un baiser à la petite Attica ! Parlez-moi d'elle, je vous en prie, avant que je ne quitte Tusculum. Que je sache un peu ce qu'elle vous conte; si elle est à la campagne, ce qu'elle vous écrit. Dans tous les cas, faites-lui ou envoyez-lui mes compliments, et que Pitia en ait sa part. Nous allons nous revoir, mais ne laissez pas de m'écrire pour peu qu'il y ait du nouveau. — Comme je pliais cette lettre, la votre m'a été remise par le messager, qui a marché toute la nuit. La pauvre Attica a eu un peu de fièvre. Ah! tant pis. Vous m'apprenez du reste tout ce que je désirais savoir. Se chauffer le matin, dites-vous, cela sent bien le vieillard. Oui ; mais quand la mémoire branle, cela ne le sent-il pas davantage encore? C'est le 4 avant les kalendes que je vais chez Axius, chez vous le et 3, chez Quintus le 5 ; c'est-à-dire, le jour même de mon arrivée. Bien riposté, j'espère ! D'ailleurs rien à vous mander. Pourquoi donc écrire'? Eh! en tête à tête, ne nous disons-nous pas tout ce qui nous vient à la bouche? N'eût-on rien à se dire, c'est quelque chose que de causer.