Isocrate : oeuvres complètes, tome III

ISOCRATE

OEUVRES COMPLÈTES.

 XVI. DISCOURS SUR LE COUPLE DE CHEVAUX

ou POUR LE FILS D'ALCIBIADE. - Περὶ τοῦ ζεύγους

 

ŒUVRES COMPLÈTES D'ISOCRATE TRADUCTION NOUVELLE AVEC TEXTE EN REGARD LE DUC DE CLERMONT-TONNERRE (AIMÉ-MARIE-GASPARD) Ancien Ministre de la guerre et de la marine Ancien élève de l'École polytechnique TOME TROISIÈME PARIS LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie Imprimeur de l'Institut, rue Jacob, 56. ET CHEZ AUGUSTE DURAND, LIBRAIRE Rue des Grès. 7 M DCCC LXIV

XVII TRAPEZITIQUE

 

 

 

 

ARGUMENT.

DISCOURS SUR LE COUPLE DE CHEVAUX ou POUR LE FILS D'ALCIBIADE.

Περὶ τοῦ ζεύγους

ARGUMENT.

Isocrate, dans quelques-uns de ses discours, et particulièrement dans le discours sur la Permutation, se défend avec force de s'être occupé à composer des plaidoyers. Il en a laissé néanmoins quelques-uns qui certainement sont de lui ; et on pourrait peut-être dire que ces pièces déposent contre ses protestations et confirment les allégations de ses ennemis. Mais il faut remarquer que ces plaidoyers sont en petit nombre, et qu'Isocrate n'en a composé plus de la moitié que par forme d'exercice et pour fournir à ses disciples des modèles en tout genre. Trois seulement ont eu pour objet des affaires réelles, et paraissent avoir été écrits pour être prononcés : celui contre Callimaque, le Trapézitique et l'Éginétique. Peut-on dire qu'un écrivain qui, pendant toute sa vie, n'a réellement composé que trois plaidoyers, et pour des personnes auxquelles il n'a pu probablement le refuser, se soit consacré à écrire des plaidoyers ? Les discours sur la Permutation, sur le Couple de chevaux, les discours pour les Platêens, contre Eultynus et contre Lochitès, ne sont visiblement que des sujets sur lesquels l'orateur a voulu s'exercer.

Nous ajouterons à ces réflexions d'Auger quelques extraits du savant mémoire de M. Egger, sur la profession d'avocat chez les Athéniens ( Lu dans la séance annuelle de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, le 7 décembre 1800,et réimprimé, avec additions, dans les Mémoires de littérature ancienne, du même auteur. (Paris, Durand, 1862.) :

«L'idée d'un plaidoyer, au civil ou au criminel, rappelle chez nous celle d'un avocat substitué au plaideur pour la défense de sa cause ; elle se rattache étroitement à l'idée d'un barreau proprement dit, d'une corporation de défenseurs spécialement préparés et voués à cet office. Devant un tribunal athénien, quelle que soit d'ailleurs la nature du débat, l'orateur légal n'est pas un orateur en titre, parlant au nom de la partie, c'est le plaideur lui-même. Qu'il soit jeune ou vieux, riche ou pauvre, habile ou inexpérimenté, citoyen d'Athènes ou de quelque autre ville, la loi n'en fait nulle différence. Seulement, comme il y aurait quelquefois dans cette rigueur une véritable injustice, la loi autorise les juges à permettre qu'un parent ou un ami prenne, au besoin, la parole pour le plaideur, surtout après lui et pour la réplique (δευτερολογία)... L'ami officieux qui parlait pour le plaideur était d'ordinaire, on le devine, quelque praticien et professeur d'éloquence, volontiers prêt à passer de l'auditoire de son école h celui du tribunal... En organisant la démocratie dans sa patrie, Solon avait voulu que chaque citoyen pût et dût y remplir son devoir, à l'armée, dans les assemblées, devant les tribunaux; la division, prudemment réservée, du peuple en trois classes, n'empêchait pas cette essentielle égalité (ἰσονομία) dont les Athéniens furent toujours si fiers et si jaloux... Chaque citoyen devait être capable de défendre son droit, selon le besoin, soit avec les armes, soit avec la parole. Mais il est plus facile de décréter une telle égalité que de l'établir en pratique. Quelque élan qu'après la chute de Pisistrate une révolution républicaine eût imprimé aux esprits et aux cœurs chez cette merveilleuse nation, quels qu'y fussent les bienfaits de l'éducation populaire, tous les gens libres à Athènes n'étaient pas en état de répondre, en toutes choses, au généreux appel de la loi. Avec le patriotisme et la discipline on avait toujours de bons soldats, si l'on n'avait pas d'habiles capitaines; mais l'intérêt passager d'une cause à soutenir ne suffisait pas pour improviser des orateurs...

« Cet art de se dissimuler sous un personnage étranger pour obéir au règlement des tribunaux et pour assurer le succès des causes les plus diverses, a été, pendant la période classique de l'atticisme, le secret de toute une école. Les plus éminents s'en sont fait, honneur comme leurs humbles disciples. Quelques-uns, comme Lysias, y ont librement cherché leur principale gloire; d'autres, comme Isocrate, s'y sont résignés, faute de pouvoir affronter en personne les périls d'une audience; d'autres, comme Démosthène et Hypéride, ont partagé leur vie entre ces deux professions, tantôt rédacteurs de plaidoyers pour s'enrichir et aider leurs amis, tantôt orateurs en leur propre nom, dans l'intérêt de leurs passions, bonnes ou mauvaises, jamais avocats dans le sens romain ou français du mot. Ce qui là-dessus tend à nous égarer, c'est que, dans les œuvres d'Isocrate et de Démosthène, les plaidoyers civils sont restés au second rang, éclipsés, chez l'un, par le séduisant éclat de la déclamation morale et politique, chez l'autre, par l'incomparable supériorité et surtout par le succès, passager mais glorieux, de tant de discours qui sont des actes et des actes du plus noble patriotisme. Isocrate est pour nous le modèle de cette éloquence où les Grecs admiraient les suprêmes efforts d'une composition savante et harmonieuse: nous oublions qu'il avait aussi, à son jour, et plus d'une fois (quoiqu'il s'en défendit avec une sorte de coquetterie), prêté sa parole à d'obscurs citoyens devant les tribunaux; qu'il avait, par exemple, rédigé de ces petits discours : Sur un tronc d'oliviers; Contre les accapareurs de blé; Sur la propriété d'un attelage de chevaux »

Arrivons maintenant au discours lui-même.

Un citoyen d'Athènes, nommé Tisias, brûlant du désir de remporter le prix aux jeux Olympiques, voulut acquérir un couple de chevaux magnifique que possédait la ville d'Argos, et qui était destiné à concourir dans ces jeux. Il eut recours à Alcibiade, son ami, alors tout-puissant dans Argos, et lui remit l'argent nécessaire pour cette acquisition. Alcibiade acheta l'attelage, mais il s'en servit pour lui.

Pendant la vie d'Alcibiade, l'affaire ne fut pas portée devant les tribunaux ; mais, plusieurs années après sa mort, un procès fut intenté à son fils, par lequel on réclamait de lui cinq talents pour le tort causé par son père.

Dans une première partie qui nous manque, soit qu'elle ait été perdue, soit, ce que nous croyons plutôt, qu'Isocrate ne l'ait jamais composée, comme semble l'indiquer l'exorde mis par lui en tête de la seconde partie; dans une première partie, disons-nous, le fils d'Alcibiade, traitant, la cause à fond, prouve que son père, ayant acheté les chevaux de ses propres deniers, n'a fait aucun tort à Tisias. Ensuite, et c'est là que commencent à la fois la seconde partie et le discours d'Isocrate, il se plaint de l'injustice des accusateurs, de leur acharnement à décrier son père, et prend de là occasion de rappeler sa vie et de défendre sa mémoire.

D'anciens ennemis du gouvernement démocratique, redoutant le zèle et l'activité d'Alcibiade, l'avaient accusé de profanation envers les mystères de Cérès, accusation constatée mensongère, puisque le peuple, dans le même moment, lui confiait la conduite de l'expédition de Sicile. Mais, en son absence, les accusateurs réveillèrent l'affaire; et parvinrent à le faire révoquer. Retiré à Argos, il n'excita aucun mouvement, tandis que ses persécuteurs allèrent jusqu'à vouloir le faire . chasser de la Grèce entière., et c'est alors seulement que, dépourvu de toute ressource, il fut obligé de se réfugier à Lacédémone. Toute sa conduite, durant son exil, a été réglée par cette nécessité ; elle doit être jugée d'après celle qu'ont tenue des citoyens chassés par les Trente, et, par conséquent, réputée innocente.

Mais, pour apprécier dignement Alcibiade, il faut remonter avant son bannissement, se rappeler les principales villes du Péloponnèse détachées de l'alliance de Sparte et les troupes d'Athènes conduites en Sicile; se rappeler enfin ce qu'il fit à son retour. Athènes était en proie aux dissensions, le trésor était épuisé, le roi de Perse fournissait des subsides aux ennemis et ses vaisseaux étaient prêts à les secourir. Grâce aux soins d'Alcibiade, Sparte ne reçoit plus d'argent, les vaisseaux des Perses s'en retournent, la concorde se rétablit parmi les citoyens. Tel est l'homme qu'on ne rougit pas d'attaquer après sa mort.

Après avoir justifié son père, le jeune Alcibiade entreprend de faire son éloge avec plus de détail. Mon père, dit-il, était d'une naissance illustre du côté de son père et du côté de sa mère; au sortir de l'enfance, il se signala par son courage, son amour de la gloire et la magnificence qu'il déploya dans les jeux Olympiques, où trois de ses chars remportèrent le premier, le deuxième et le troisième prix. Il pensait que le luxe déployé à Athènes par les particuliers n'était admiré que par les citoyens de leur ville, tandis que les spectacles qui avaient lieu à Olympie faisaient l'admiration de la Grèce entière. Aussi jamais personne ne se distingua plus que lui par le nombre des chevaux élevés pour la course et par le nombre des chars; jamais personne, ni particulier ni roi, n'envoya, comme lui, sept chars à la fois. Dans le gouvernement, il s'est toujours montré l'ami du peuple, pendant que Tisias, qui ose l'attaquer, a été sénateur sous les Trente: l'un a fait du mal à sa patrie, volontairement, sans être exilé; l'autre a été forcé de faire la guerre, et il l'a faite, non pas à sa patrie, mais à ses ennemis.

Enfin, après une peinture touchante des malheurs qu'il a éprouvés, le jeune Alcibiade conjure les Athéniens de ne pas l'abandonner, de ne pas l'exposer à une condamnation dont le résultat le mettrait dans la nécessité, non pas de payer une forte somme, mais de quitter sa patrie; et il termine par do nobles plaintes sur sa destinée.

« Comme Alcibiade, dit Auger, mourut l'an 404 avant J.-C, que son fils n'avait que quatre ans a sa mort, et qu'il devait en avoir au moins vingt quand il plaida cette cause, supposé que ce plaidoyer ait été prononcé, il n'a dû être composé que l'an 389-avant J.-C, dans la soixantième année d'Isocrate. »

SOMMAIRE.

1. EXORDE. Tous mes ennemis ont pour usage de me calomnier, et veulent me faire porter la peine des injures dont ils prétendent que mon père s'est rendu coupable envers vous, confondant ainsi les intérêts publics avec les intérêts privés. Je garderai dans ce moment le silence sur mes autres ennemis ; et, après que l'affaire du couple de chevaux, pour laquelle j'ai été mis en cause, aura été traitée, je me défendrai seulement contre la calomnie de Tisias qui me reproche souvent l'exil de mon père, afin de montrer que je ne suis pas moins occupé de la réputation d'Alcibiade que de mes propres périls.—2. Toutefois, à cause des jeunes gens qui sont nés après ces événements, il faut reprendre les choses de plus loin. —3. Comme les ennemis du peuple ne prouvaient entraîner mon père dans leur parti, qu'ils le voyaient fidèle aux intérêts populaires et qu'ils ne pouvaient espérer de faire disparaître aucune des anciennes institutions, s'ils ne parvenaient pas à l'écarter, ils l'accusèrent faussement des crimes les plus graves, et cela pendant son absence, parce qu'il s'était défendu avec une telle supériorité contre leurs premières attaques, qu'il avait été choisi pour chef de l'expédition de Sicile. Ils ne se donnèrent aucun repos avant de l'avoir fait rappeler de l'armée, d'avoir fait périr une partie de ses amis et chassé les antres de la ville. Bien qu'Alcibiade pensât qu'on avait agi d'une manière indigne à son égard, en le faisant condamner en son absence, il ne se réunit point à nos ennemis, mais il se rendit à Argos et y resta dans une complète inaction, jusqu'à ce qu'enfin il se vit contraint par l'insolence de ses adversaires à se réfugier chez les Lacédémoniens. — 4. Qu'y a-t-il d'extraordinaire qu'après avoir été chassé aussi injustement de sa patrie, il ait fortifié Décélie contre la République et se soit fait le conseil de nos ennemis? Il me serait facile de montrer que, d'une part, il a agi conformément à la justice et que, de l'autre, il a été injustement accusé ; mais la plus grande de toutes les iniquités serait, lorsque mon père a été récompensé après son exil, que je fusse frappé à cause de ce même exil. — 5. Vous lui accorderez la plus grande indulgence si vous voulez vous rappeler ce que vous-mêmes, expulsés par les Trente, vous avez tenté pour rentrer dans votre patrie et vous venger de vos adversaires. — 6. Vous n'avez donc pas le droit, après avoir fait ce qu'a fait mon père, de vous irriter contre lui, parce qu'il s'est efforcé de rentrer à tout prix dans sa patrie, ni de juger ce qu'il a été comme citoyen dans un temps où il n'avait aucun rapport avec son pays; mais vous avez à considérer le bien qu'il lui avait fait avant son exil. — 7. Rappelez-vous également les bienfaits qu'il a répandus sur sa patrie après son retour, et dans quelle situation elle était lorsque vous lui en avez ouvert les portes ; car c'est au milieu des plus grandes anxiétés, c'est lorsque ceux qui gouvernaient la République étaient plus redoutés par le peuple que ses propres ennemis, que, rappelé par les généraux, il aima mieux tout souffrir avec ses concitoyens que de partager les prospérités de Lacédémone, et qu'il montra avec évidence à tous les yeux qu'il avait fait la guerre non pas contre vous, mais contre ses adversaires. Réuni avec vous, il rétablit tout dans l'ordre, rendit la libellé au peuple, et notre ville, ayant alors livré un, grand nombre de combats, jamais, lorsque mon père a commandé, nos ennemis n'ont élevé un trophée. — 8. Mais, comme les adversaires de mon père l'attaquent avec un excès d'insolence sur les autres actes de sa vie avec la confiance de mériter ainsi vos louanges, — 9. Je désire vous parler de ses mœurs, de ses sentiments, et, en remontant dans le passé, vous rappeler ses ancêtres. — 10. Mon père appartenait, du côté paternel, à la race des Eupatrides ; du côté maternel, il tirait son origine de celle des Alcméonides, également distingués par leurs richesses et par leur amour pour le peuple; bien que parents de Pisistrate, ils préférèrent, supporter l'exil plutôt que de prendre part à la tyrannie et de voir les citoyens réduits en servitude. Objets de la haine la plus violente de la part des tyrans, les bannis leur accordèrent une telle confiance que, pendant tout le temps de l'exil, ils furent les chefs du peuple, et qu'Alcibiade et Clisthène, bisaïeuls, l'un paternel, l'autre maternel, de mon père, ramenèrent le peuple de l'exil, chassèrent les tyrans et fondèrent cette démocratie sous laquelle les citoyens étaient tellement formés pour la valeur militaire, qu'on les a vus vaincre seuls dans un combat les Barbares qui avaient marché contre la Grèce entière et auxquels les Grecs avaient livré l'empire de la mer. — 11. Alcibiade reçut donc de ses ancêtres l'amour du peuple. Laissé orphelin par son père, il eut pour tuteur Périclès, le plus modéré, le plus juste, le plus sage des citoyens. Parvenu à l'âge d'homme, il ne dégénéra pas de la vertu de ses aïeux, et il fut doué d'une telle magnanimité, qu'il regarda comme un devoir de se rendre célèbre par lui-même, et de ne pas l'être seulement à cause de leurs actions.— 12. Combattant d'abord contre les Thraces dans un corps d'élite, sous la conduite de Phormion, il reçut du général une couronne et une armure. — 13. Après ces premiers exploits de sa jeunesse, il épousa ma mère, fille d'Hipponicus, le premier des Grecs par sa richesse et le plus honoré des hommes de son temps. — 14. Vers la même époque, voyant que la solennité d'Olympie était vantée et admirée dans tout l'univers, et que des spectacles étaient offerts au nom de la ville pour l'amusement de la Grèce, mon père renonça à toutes les autres luttes et entreprit de nourrir un grand nombre de chevaux : il remporta le premier, le second, le troisième prix ; et de même qu'à Athènes il avait surpassé la magnificence de tous les autres dans les fonctions de chorège, de gynmasiarque, de triéraque, de même à Olympie il agit, à l'égard des sacrifices et de toutes les dépenses, de manière à ne laisser à personne l'espérance de le surpasser. — 15. En ce qui concerne la République, il l'emporta par son attachement pour le peuple sur les hommes regardés comme les plus populaires, à un tel point qu'il préféra subir l'exil plutôt que d'être fauteur ou chef de l'oligarchie. Cela se voit clairement dans les séditions qui eurent lieu de son temps; la première fois, ses adversaires, aussitôt qu'ils l'eurent écarté, détruisirent l'autorité du peuple; la seconde, il fut le premier condamné par eux à l'exil; néanmoins beaucoup de citoyens se montrèrent ses ennemis, comme s'il avait affecté la tyrannie, ne le jugeant pas d'après les faits, mais eu raison de l'ambition commune à tous les hommes et aussi de ses richesses et de son crédit.— 16. Laissant de côté beaucoup de choses, je veux seulement rappeler que son bonheur a toujours été si étroitement lié à celui d'Athènes, que c'était pour lui une nécessité de placer la prospérité de sa patrie en tète de ses vœux; on trouve aussi qu'Alcibiade a toujours été le plus malheureux dans les calamités de son pays ; et de là il est résulté que sa volonté a toujours été d'accord avec celle d'Athènes. Combien il était éloigné des sentiments de votre parent et des vôtres, ô Tisias ! vous qui avez été sénateur sous les Trente et qui n'avez pas calculé que, si l'on eût décrété la punition des anciennes offenses, vous eussiez été exposé avant moi et plus que moi, puisque vous-même vous avez fait les choses que vous imputez comme un crime à mon père, bien que vous les ayez faites pour d'autres causes.—17. Mais je parlerai ailleurs sur ce sujet, lorsque peut-être vous serez appelé en jugement. Maintenant je vous demande, juges Athéniens, de m'accorder votre appui et de ne pas souffrir que je sois banni de ma patrie ou noté d'infamie, lorsque, privé de mes parents dans ma première enfance, j'ai épuisé toutes les infortunes ; lorsque, encore enfant, j'ai été chassé de mon pays par les Trente et dépouillé de mon modeste patrimoine par mes ennemis, et que, de plus, je suis exposé aujourd'hui au danger d'être déshonoré, lies affaires sont dans un tel état, que par elles-mêmes elles méritent votre commisération, encore que mes efforts n'aient, pas pour but de vous l'inspirer. Certes, j'éprouve des malheurs indignes de moi et de mes ancêtres; mais ce qui exciterait au plus haut degré mon irritation, ce serait d'être forcé de faire une réparation à un homme de qui je devrais l'obtenir; d'être flétri pour, des choses qui procurent à d'autres des récompenses ; d'être mal accueilli par ceux que je n'ai jamais offensés; enfin, de vous voir animés à mon égard des mêmes sentiments que les Trente, et d'être par vous chassé de mon pays.

(LANGE.)

 

Περὶ τοῦ ζεύγους

[1] ... Περὶ μὲν οὖν τοῦ ζεύγους τῶν ἵππων, ὡς οὐκ ἀφελόμενος ὁ πατὴρ Τεισίαν εἶχεν, ἀλλὰ πριάμενος παρὰ τῆς πόλεως τῆς Ἀργείων, τῶν τε πρέσβεων τῶν ἐκεῖθεν ἡκόντων καὶ τῶν ἄλλων τῶν εἰδότων ἀκηκόατε μαρτυρούντων· τὸν αὐτὸν δὲ τρόπον ἅπαντές εἰσιν εἰθισμένοι με συκοφαντεῖν. [2] Τὰς μὲν γὰρ δίκας ὑπὲρ τῶν ἰδίων ἐγκλημάτων λαγχάνουσι, τὰς δὲ κατηγορίας ὑπὲρ τῶν τῆς πόλεως πραγμάτων ποιοῦνται, καὶ πλείω χρόνον διατρίβουσι τὸν πατέρα μου διαβάλλοντες ἢ περὶ ὧν ἀντώμοσαν διδάσκοντες, καὶ τοσοῦτον καταφρονοῦσι τῶν νόμων ὥστε περὶ ὧν ὑμᾶς ὑπ' ἐκείνου φασὶν ἠδικῆσθαι, τούτων αὐτοὶ δίκην παρ' ἐμοῦ λαβεῖν ἀξιοῦσιν. [3] Ἐγὼ δ' ἡγοῦμαι μὲν οὐδὲν προσήκειν τὰς κοινὰς αἰτίας τοῖς ἰδίοις ἀγῶσιν· ἐπειδὴ δὲ Τεισίας πολλάκις ὀνειδίζει μοι τὴν φυγὴν τὴν τοῦ πατρὸς καὶ μᾶλλον ὑπὲρ τῶν ὑμετέρων ἢ τῶν αὑτοῦ σπουδάζει πραγμάτων, ἀνάγκη πρὸς ταῦτα τὴν ἀπολογίαν ποιεῖσθαι· καὶ γὰρ ἂν αἰσχυνοίμην, εἴ τῳ δόξαιμι τῶν πολιτῶν ἧττον φροντίζειν τῆς ἐκείνου δόξης ἢ τῶν ἐμαυτοῦ κινδύνων.

[4] Πρὸς μὲν οὖν τοὺς πρεσβυτέρους βραχὺς ἂν ἐξήρκει λόγος· ἅπαντες γὰρ ἴσασιν ὅτι διὰ τοὺς αὐτοὺς ἄνδρας ἥ τε δημοκρατία κατελύθη κἀκεῖνος ἐκ τῆς πόλεως ἐξέπεσεν· τῶν δὲ νεωτέρων ἕνεκα, οἳ τῶν μὲν πραγμάτων ὕστεροι γεγόνασι τῶν δὲ διαβαλλόντων πολλάκις ἀκηκόασι, πορρωτέρωθεν ἄρξομαι διδάσκειν.

[5] Οἱ γὰρ τὸ πρῶτον ἐπιβουλεύσαντες τῷ δήμῳ καὶ καταστήσαντες τοὺς τετρακοσίους, ἐπειδὴ παρακαλούμενος ὁ πατὴρ οὐκ ἤθελε γενέσθαι μετ' αὐτῶν, ὁρῶντες αὐτὸν καὶ πρὸς τὰς πράξεις ἐρρωμένως ἔχοντα καὶ πρὸς τὸ πλῆθος πιστῶς διακείμενον, οὐχ ἡγοῦντ' οὐδὲν οἷοί τ' εἶναι κινεῖν τῶν καθεστώτων, πρὶν ἐκποδὼν ἐκεῖνος αὐτοῖς γένοιτο. [6] Εἰδότες δὲ τὴν πόλιν τῶν μὲν περὶ τοὺς θεοὺς μάλιστ' ἂν ὀργισθεῖσαν, εἴ τις εἰς τὰ μυστήρια φαίνοιτ' ἐξαμαρτάνων, τῶν δ' ἄλλων εἴ τις τὴν δημοκρατίαν τολμῴη καταλύειν, ἀμφοτέρας ταύτας συνθέντες τὰς αἰτίας εἰσήγγελλον εἰς τὴν βουλήν, λέγοντες ὡς ὁ πατὴρ μὲν συνάγοι τὴν ἑταιρείαν ἐπὶ νεωτέροις πράγμασιν, οὗτοι δ' ἐν τῇ Πουλυτίωνος οἰκίᾳ συνδειπνοῦντες τὰ μυστήρια ποιήσειαν. [7] Ὀρθῆς δὲ τῆς πόλεως γενομένης διὰ τὸ μέγεθος τῶν αἰτιῶν καὶ διὰ ταχέων συλλεγείσης ἐκκλησίας οὕτω σαφῶς ἐπέδειξεν αὐτοὺς ψευδομένους, ὥστε παρὰ μὲν τῶν κατηγόρων ἡδέως ἂν ὁ δῆμος δίκην ἔλαβε, τὸν δ' εἰς Σικελίαν στρατηγὸν ἐχειροτόνησεν. Μετὰ δὲ ταῦθ' ὁ μὲν ἐξέπλευσεν ὡς ἀπηλλαγμένος ἤδη τῆς διαβολῆς, οἱ δὲ συστήσαντες τὴν βουλὴν καὶ τοὺς ῥήτορας ὑφ' αὑτοῖς ποιησάμενοι πάλιν ἤγειρον τὸ πρᾶγμα καὶ μηνυτὰς εἰσέπεμπον. [8] Καὶ τί δεῖ μακρολογεῖν; Οὐ γὰρ πρότερον ἐπαύσαντο, πρὶν τόν τε πατέρ' ἐκ τοῦ στρατοπέδου μετεπέμψαντο, καὶ τῶν φίλων αὐτοῦ τοὺς μὲν ἀπέκτειναν, τοὺς δ' ἐκ τῆς πόλεως ἐξέβαλον. Πυθόμενος δὲ τήν τε τῶν ἐχθρῶν δύναμιν καὶ τὰς τῶν ἐπιτηδείων συμφοράς, καὶ νομίζων δεινὰ πάσχειν ὅτι παρόντα μὲν αὐτὸν οὐκ ἔκρινον, ἀπόντος δὲ κατεγίγνωσκον, οὐδ' ὣς ἀπελθεῖν ἠξίωσεν εἰς τοὺς πολεμίους· [9] ἀλλ' ἐκεῖνος μὲν τοσαύτην πρόνοιαν ἔσχεν ὑπὲρ τοῦ μηδὲ φεύγων μηδὲν ἐξαμαρτεῖν εἰς τὴν πόλιν, ὥστ' εἰς Ἄργος ἐλθὼν ἡσυχίαν εἶχεν, οἱ δ' εἰς τοσοῦτον ὕβρεως ἦλθον, ὥστ' ἔπεισαν ὑμᾶς ἐλαύνειν αὐτὸν ἐξ ἁπάσης τῆς Ἑλλάδος καὶ στηλίτην ἀναγράφειν καὶ πρέσβεις πέμποντας ἐξαιτεῖν παρ' Ἀργείων. Ἀπορῶν δ' ὅ τι χρήσαιτο τοῖς παροῦσι κακοῖς καὶ πανταχόθεν εἰργόμενος καὶ σωτηρίας οὐδεμιᾶς ἄλλης αὐτῷ φαινομένης τελευτῶν ἐπὶ Λακεδαιμονίους ἠναγκάσθη καταφυγεῖν.

[10] Καὶ τὰ μὲν γενόμενα ταῦτ' ἐστίν· τοσοῦτον δὲ τοῖς ἐχθροῖς τῆς ὕβρεως περίεστιν, ὥσθ' οὕτως ἀνόμως τοῦ πατρὸς ἐκπεσόντος ὡς δεινὰ δεδρακότος αὐτοῦ κατηγοροῦσι, καὶ διαβάλλειν ἐπιχειροῦσιν ὡς Δεκέλειάν τ' ἐπετείχισε καὶ τὰς νήσους ἀπέστησε καὶ τῶν πολεμίων διδάσκαλος κατέστη. [11] Καὶ ἐνίοτε μὲν αὐτοῦ προσποιοῦνται καταφρονεῖν, λέγοντες ὡς οὐδὲν διέφερε τῶν ἄλλων, νυνὶ δ' ἁπάντων αὐτὸν τῶν γεγενημένων αἰτιῶνται καί φασι παρ' ἐκείνου μαθεῖν Λακεδαιμονίους ὡς χρὴ πολεμεῖν, οἳ καὶ τοὺς ἄλλους διδάσκειν τέχνην ἔχουσιν. Ἐγὼ δ' εἴ μοι χρόνος ἱκανὸς γένοιτο, ῥᾳδίως ἂν αὐτὸν ἐπιδείξαιμι τὰ μὲν δικαίως πράξαντα, τῶν δ' ἀδίκως αἰτίαν ἔχοντα. Πάντων δ' ἂν εἴη δεινότατον, εἰ τοῦ πατρὸς μετὰ τὴν φυγὴν δωρεὰν λαβόντος ἐγὼ διὰ τὴν ἐκείνου φυγὴν ζημιωθείην.

[12] Ἡγοῦμαι δ' αὐτὸν παρ' ὑμῶν δικαίως ἂν πλείστης συγγνώμης τυγχάνειν· ὑπὸ γὰρ τῶν τριάκοντ' ἐκπεσόντες ταῖς αὐταῖς ἐκείνῳ συμφοραῖς ἐχρήσασθε. Ἐξ ὧν ἐνθυμεῖσθαι χρή, πῶς ἕκαστος ὑμῶν διέκειτο καὶ τίνα γνώμην εἶχε καὶ ποῖον κίνδυνον οὐκ ἂν ὑπέμεινεν ὥστε παύσασθαι μὲν μετοικῶν, κατελθεῖν δ' εἰς τὴν πατρίδα, τιμωρήσασθαι δὲ τοὺς ἐκβαλόντας. [13] Ἐπὶ τίνα δ' ἢ πόλιν ἢ φίλον ἢ ξένον οὐκ ἤλθετε δεησόμενοι συγκαταγαγεῖν ὑμᾶς; Τίνος δ' ἀπέσχεσθε πειρώμενοι κατελθεῖν; Οὐ καταλαβόντες τὸν Πειραιᾶ καὶ τὸν σῖτον τὸν ἐν τῇ χώρᾳ διεφθείρετε καὶ τὴν γῆν ἐτέμνετε καὶ τὰ προάστεια ἐνεπρήσατε καὶ τελευτῶντες τοῖς τείχεσι προσεβάλετε; [14] Καὶ ταῦθ' οὕτω σφόδρ' ἐνομίζετε χρῆναι ποιεῖν, ὥστε τοῖς ἡσυχίαν ἄγουσι τῶν συμφυγάδων μᾶλλον ὠργίζεσθε ἢ τοῖς αἰτίοις τῶν συμφορῶν γεγενημένοις.

Ὥστ' οὐκ εἰκὸς ἐπιτιμᾶν τοῖς τῶν αὐτῶν ὑμῖν ἐπιθυμοῦσιν, οὐδὲ κακοὺς ἄνδρας νομίζειν, ὅσοι φεύγοντες κατελθεῖν ἐζήτησαν, ἀλλὰ πολὺ μᾶλλον ὅσοι μένοντες φυγῆς ἄξι' ἐποίησαν· οὐδ' ἐντεῦθεν ἀρξαμένους κρίνειν, ὁποῖός τις ἦν ὁ πατὴρ πολίτης, ὅτ' οὐδὲν αὐτῷ τῆς πόλεως προσῆκεν, [15] ἀλλ' ἐπ' ἐκείνου τοῦ χρόνου σκοπεῖν οἷος ἦν πρὶν φυγεῖν περὶ τὸ πλῆθος, καὶ ὅτι διακοσίους ὁπλίτας ἔχων τὰς μεγίστας πόλεις τῶν ἐν Πελοποννήσῳ Λακεδαιμονίων μὲν ἀπέστησεν, ὑμῖν δὲ συμμάχους ἐποίησε, καὶ εἰς οἵους κινδύνους αὐτοὺς κατέστησε, καὶ ὡς περὶ Σικελίαν ἐστρατήγησεν. Τούτων μὲν γὰρ ἐκείνῳ προσήκει χάριν ὑμᾶς ἔχειν· τῶν δ' ἐν τῇ συμφορᾷ γενομένων τοὺς ἐκβαλόντας αὐτὸν δικαίως ἂν αἰτίους νομίζοιτε.

[16] Ἀναμνήσθητε δὲ πρὸς ὑμᾶς αὐτούς, ἐπειδὴ κατῆλθεν, ὡς πόλλ' ἀγαθὰ τὴν πόλιν ἐποίησεν, ἔτι δὲ πρότερον, ὡς ἐχόντων τῶν πραγμάτων αὐτὸν κατεδέξασθε, καταλελυμένου μὲν τοῦ δήμου, στασιαζόντων δὲ τῶν πολιτῶν, διαφερομένων δὲ τῶν στρατιωτῶν πρὸς τὰς ἀρχὰς τὰς ἐνθάδε καθεστηκυίας, εἰς τοῦτο δὲ μανίας ἀμφοτέρων ἀφιγμένων ὥστε μηδετέροις μηδεμίαν ἐλπίδ' εἶναι σωτηρίας· [17] οἱ μὲν γὰρ τοὺς ἔχοντας τὴν πόλιν ἐχθροὺς ἐνόμιζον μᾶλλον ἢ Λακεδαιμονίους, οἱ δὲ τοὺς ἐκ Δεκελείας μετεπέμποντο, ἡγούμενοι κρεῖττον εἶναι τοῖς πολεμίοις τὴν πατρίδα παραδοῦναι μᾶλλον ἢ τοῖς ὑπὲρ τῆς πόλεως στρατευομένοις τῆς πολιτείας μεταδοῦναι. [18] Τοιαύτην μὲν οὖν τῶν πολιτῶν γνώμην ἐχόντων, κρατούντων δὲ τῶν πολεμίων καὶ τῆς γῆς καὶ τῆς θαλάττης, ἔτι δὲ χρημάτων ὑμῖν μὲν οὐκ ὄντων, ἐκείνοις δὲ βασιλέως παρέχοντος, πρὸς δὲ τούτοις ἐνενήκοντα νεῶν ἐκ Φοινίκης εἰς Ἄσπενδον ἡκουσῶν καὶ παρεσκευασμένων Λακεδαιμονίοις βοηθεῖν, ἐν τοσαύταις συμφοραῖς καὶ τοιούτοις κινδύνοις τῆς πόλεως οὔσης, [19] μεταπεμψαμένων αὐτὸν τῶν στρατιωτῶν οὐκ ἐσεμνύνατ' ἐπὶ τοῖς παροῦσιν, οὐδ' ἐμέμψατο περὶ τῶν γεγενημένων, οὐδ' ἐβουλεύσατο περὶ τῶν μελλόντων, ἀλλ' εὐθὺς εἵλετο μετὰ τῆς πόλεως ὁτιοῦν πάσχειν μᾶλλον ἢ μετὰ Λακεδαιμονίων εὐτυχεῖν, καὶ πᾶσι φανερὸν ἐποίησεν ὅτι τοῖς ἐκβαλοῦσιν ἀλλ' οὐχ ὑμῖν ἐπολέμει, καὶ ὅτι κατελθεῖν ἀλλ' οὐκ ἀπολέσαι τὴν πόλιν ἐπεθύμει. [20] Γενόμενος δὲ μεθ' ὑμῶν ἔπεισε μὲν Τισσαφέρνην μὴ παρέχειν χρήματα Λακεδαιμονίοις, ἔπαυσε δὲ τοὺς συμμάχους ὑμῶν ἀφισταμένους, διέδωκε δὲ παρ' αὑτοῦ μισθὸν τοῖς στρατιώταις, ἀπέδωκε δὲ τῷ δήμῳ τὴν πολιτείαν, διήλλαξε δὲ τοὺς πολίτας, ἀπέστρεψε δὲ τὰς ναῦς τὰς Φοινίσσας. [21] Καὶ μετὰ ταῦτα καθ' ἕκαστον μέν, ὅσας τριήρεις ἔλαβεν ἢ μάχας ἐνίκησεν ἢ πόλεις κατὰ κράτος εἷλεν ἢ λόγῳ πείσας φίλας ὑμῖν ἐποίησε, πολὺ ἂν ἔργον εἴη λέγειν· πλείστων δὲ κινδύνων τῇ πόλει κατ' ἐκεῖνον τὸν καιρὸν γενομένων οὐδεπώποτε τοῦ πατρὸς ἡγουμένου τρόπαιον ὑμῶν ἔστησαν οἱ πολέμιοι.

[22] Περὶ μὲν οὖν τῶν ἐστρατηγημένων οἶδα μὲν ὅτι πολλὰ παραλείπω, διὰ τοῦτο δ' οὐκ ἀκριβῶς εἴρηκα περὶ αὐτῶν, ὅτι σχεδὸν ἅπαντες μνημονεύετε τὰ πραχθέντα.

Λοιδοροῦσι δὲ λίαν ἀσελγῶς καὶ θρασέως καὶ τὸν ἄλλον βίον τὸν τοῦ πατρός, καὶ οὐκ αἰσχύνονται τοιαύτῃ παρρησίᾳ χρώμενοι περὶ τοῦ τεθνεῶτος, ἣν ἔδεισαν ἂν ποιήσασθαι περὶ ζῶντος, ἀλλ' εἰς τοσοῦτον ἀνοίας ἐληλύθασιν, [23] ὥστ' οἴονται καὶ παρ' ὑμῖν καὶ παρὰ τοῖς ἄλλοις εὐδοκιμήσειν, ἢν ὡς ἂν δύνωνται πλεῖστα περὶ αὐτοῦ βλασφημήσωσιν, ὥσπερ οὐ πάντας εἰδότας ὅτι καὶ τοῖς φαυλοτάτοις τῶν ἀνθρώπων ἔξεστιν οὐ μόνον περὶ τῶν ἀνδρῶν τῶν ἀρίστων ἀλλὰ καὶ περὶ τῶν θεῶν ὑβριστικοὺς λόγους εἰπεῖν.

[24] Ἵσως μὲν οὖν ἀνόητόν ἐστιν ἁπάντων τῶν εἰρημένων φροντίζειν· ὅμως δ' οὐχ ἥκιστ' ἐπιθυμῶ περὶ τῶν ἐπιτηδευμάτων τῶν τοῦ πατρὸς διελθεῖν πρὸς ὑμᾶς, μικρὸν προλαβὼν καὶ τῶν προγόνων ἐπιμνησθείς, ἵν' ἐπίστησθ' ὅτι πόρρωθεν ἡμῖν ὑπάρχει μέγιστα καὶ κάλλιστα τῶν πολιτῶν.

[25] Ὁ γὰρ πατὴρ πρὸς μὲν ἀνδρῶν ἦν Εὐπατριδῶν, ὧν τὴν εὐγένειαν ἐξ αὐτῆς τῆς ἐπωνυμίας ῥᾴδιον γνῶναι, πρὸς γυναικῶν δ' Ἀλκμεωνιδῶν, οἳ τοῦ μὲν πλούτου μέγιστον μνημεῖον κατέλιπον, ἵππων γὰρ ζεύγει πρῶτος Ἀλκμέων τῶν πολιτῶν Ὀλυμπίασιν ἐνίκησε, τὴν δ' εὔνοιαν ἣν εἶχον εἰς τὸ πλῆθος, ἐν τοῖς τυραννικοῖς ἐπεδείξαντο· συγγενεῖς γὰρ ὄντες Πεισιστράτου καὶ πρὶν εἰς τὴν ἀρχὴν καταστῆναι μάλιστ' αὐτῷ χρώμενοι τῶν πολιτῶν, οὐκ ἠξίωσαν μετασχεῖν τῆς ἐκείνου τυραννίδος, ἀλλ' εἵλοντο φυγεῖν μᾶλλον ἢ τοὺς πολίτας ἰδεῖν δουλεύοντας. [26] Τετταράκοντα δ' ἔτη τῆς στάσεως γενομένης ὑπὸ μὲν τῶν τυράννων τοσούτῳ μᾶλλον τῶν ἄλλων ἐμισήθησαν, ὥσθ' ὁπότε τἀκείνων κρατήσειεν, οὐ μόνον τὰς οἰκίας αὐτῶν κατέσκαπτον ἀλλὰ καὶ τοὺς τάφους ἀνώρυττον, ὑπὸ δὲ τῶν συμφυγάδων οὕτω σφόδρ' ἐπιστεύθησαν, ὥσθ' ἅπαντα τοῦτον τὸν χρόνον ἡγούμενοι τοῦ δήμου διετέλεσαν. Καὶ τὸ τελευταῖον Ἀλκιβιάδης καὶ Κλεισθένης, ὁ μὲν πρὸς πατρός, ὁ δὲ πρὸς μητρὸς ὢν πρόπαππος τοῦ πατρὸς τοὐμοῦ, στρατηγήσαντες τῆς φυγῆς κατήγαγον τὸν δῆμον καὶ τοὺς τυράννους ἐξέβαλον, [27] καὶ κατέστησαν ἐκείνην τὴν δημοκρατίαν, ἐξ ἧς οἱ πολῖται πρὸς μὲν ἀνδρίαν οὕτως ἐπαιδεύθησαν ὥστε τοὺς βαρβάρους τοὺς ἐπὶ πᾶσαν ἐλθόντας τὴν Ἑλλάδα μόνοι νικᾶν μαχόμενοι, περὶ δὲ δικαιοσύνης τοσαύτην δόξαν ἔλαβον ὥσθ' ἑκόντας αὐτοῖς τοὺς Ἕλληνας ἐγχειρίσαι τὴν ἀρχὴν τῆς θαλάττης, τὴν δὲ πόλιν τηλικαύτην τὸ μέγεθος ἐποίησαν καὶ τῇ δυνάμει καὶ ταῖς ἄλλαις κατασκευαῖς ὥστε τοὺς φάσκοντας αὐτὴν ἄστυ τῆς Ἑλλάδος εἶναι καὶ τοιαύταις ὑπερβολαῖς εἰθισμένους χρῆσθαι δοκεῖν ἀληθῆ λέγειν.

 XVI. DISCOURS SUR LE COUPLE DE CHEVAUX

ou POUR LE FILS D'ALCIBIADE.

[1] 1. Ainsi donc, pour ce qui concerne le couple de chevaux, comme preuve que mon père ne l'avait point enlevé à Tisias, mais qu'il le possédait légitimement et l'avait acheté de la ville d'Argos, vous avez entendu les dépositions des ambassadeurs venus de cette ville et le témoignage de ceux qui connaissaient celle affaire. C'est pourtant de cette manière que tous mes ennemis sont dans l'usage de me poursuivre de leurs calomnies! [2] D'une part, ils m'intentent des procès pour des griefs particuliers ; de l'autre, ils m'accusent pour des affaires qui concernent la République, et consument plus de temps à insulter mon père qu'à donner la preuve des faits qu'ils ont juré d'établir; ils ont enfin un tel mépris pour les lois, qu'ils veulent me faire porter la peine des actes dans lesquels ils prétendent que mon père a lésé vos intérêts. [3] Quant à moi, je suis convaincu que les accusations qui touchent à l'intérêt public n'ont rien de commun avec les luttes particulières ; mais, puisque Tisias me fait si souvent un crime du bannissement de mon père et se montre plus occupé de vos intérêts que des siens propres, je suis forcé de me défendre sur ce terrain; je rougirais si quelqu'un de mes concitoyens pouvait me croire moins préoccupé de la gloire d'Alcibiade que de mes propres dangers.

[4] 2. Quelques paroles suffiraient pour les hommes avancés dans la carrière de la vie ; ils savent tous que la démocratie a été détruite par les mêmes hommes qui ont chassé Alcibiade de sa patrie ; mais, à cause de ceux qui sont plus jeunes, qui sont nés après les événements, et qui ont souvent entendu les discours des détracteurs de mon père, je reprendrai les choses de plus loin.

[5] 3. Ceux qui, les premiers, avaient dressé des embûches au peuple et constitué le pouvoir des Quatre-Cents, voyant que, malgré leurs instances, mon père refusait de s'unir à eux, qu'il s'attachait fortement aux affaires et restait fidèle à la démocratie, comprirent qu'ils étaient impuissants à changer nos institutions, s'ils n'avaient auparavant éloigné Alcibiade. [6] Sachant d'ailleurs que, pour ce qui concerne les dieux, le peuple s'irriterait surtout contre l'homme qui paraîtrait coupable de profanation envers les mystères, et, pour tout le reste, contre celui qui oserait attenter à la démocratie, ils portèrent devant le sénat ces deux accusations combinées, prétendant, d'une part, que mon père conspirait avec ses amis pour changer l'ordre établi ; de l'autre, que, réunis avec lui, dans un souper, chez Polytion, ils avaient représenté les mystères. [7] La ville s'émut à la gravité de ces inculpations ; une assemblée se réunit immédiatement. Alcibiade démontra la fausseté de ces accusations avec une telle évidence, que le peuple eût alors infligé volontiers un châtiment à ses accusateurs, et qu'il le choisit pour chef de l'expédition de Sicile. Mon père mit à la voile, se croyant à l'abri de toute calomnie ; mais ses ennemis, ayant réuni le sénat et corrompu les orateurs, réveillèrent de nouveau l'affaire et produisirent des délateurs. [8] Qu'est-il besoin de longs discours? Ils ne prirent plus de repos, qu'ils n'eussent fait rappeler Alcibiade de l'armée, mis à mort une partie de ses amis, et expulsé les autres de la ville. Quant à lui, informé de la puissance de ses ennemis et du malheur de ses amis et de ses proches, encore qu'il considérât comme un outrage qu'on ne l'eût pas jugé quand il était présent, et qu'on le condamnât absent, il ne crut pas, même dans cette position, devoir demander un asile aux ennemis de la République : [9] il prit un tel soin, encore qu'il fût exilé, de ne rien faire qui pût blesser son pays, que, retiré à Argos, il y resta dans l'inaction; tandis que ses ennemis poussèrent l'excès de la violence jusqu'à vous persuader de le bannir de la Grèce entière, d'inscrire son nom sur une colonne de proscription et d'envoyer des ambassadeurs à Argos pour demander son extradition. Alcibiade, ne sachant à quel parti se résoudre au milieu de ces calamités, repoussé de toutes parts et n'apercevant aucun autre moyen de salut, se trouva enfin dans la nécessité de chercher un asile chez les Lacédémoniens.

[10] 4. Voilà les faits tels qu'ils se sont passés : et cependant l'insolence de ses ennemis est arrivée à un tel point, que c'est lorsqu'il a été exilé d'une manière si contraire aux lois, qu'ils l'accusent des actes les plus criminels; qu'ils lui reprochent d'avoir fortifié Décélie, d'avoir excité les îles à la défection, et de s'être fait le conseiller de nos ennemis. [11] Quelquefois ils feignent de le mépriser, affirmant qu'il n'est en rien supérieur aux autres hommes; et, en même temps, ils lui imputent tout ce qui est arrivé, et disent que c'est de lui que les Lacédémoniens ont appris la manière de faire la guerre, eux qui sont en état de l'enseigner aux autres. Je pourrais facilement, si le temps m'en était donné, vous montrer que, parmi ses actes, les uns sont conformes à la justice, et les autres injustement incriminés. Mais ce qu'il y aurait de plus odieux, ce serait que, mon père ayant reçu une récompense après son exil, je fusse puni à cause de ce même exil.

[12] 5. Je crois, d'ailleurs, qu'un sentiment d'équité doit lui faire trouver en vous la plus grande indulgence ; car, chassés par les Trente, vous avez subi les mêmes malheurs que lui. Que chacun de vous se rappelle dans quelles dispositions il se trouvait; quels étaient ses sentiments, quels périls il n'eût pas affrontés pour mettre un terme à son exil, pour rentrer dans sa patrie, et punir ceux qui l'en avaient banni ! [13] Quelle ville, quels hôtes, quels amis n'avez-vous pas suppliés de vous ramener dans vos foyers ? Et de quel moyen vous êtes-vous abstenus pour arriver à ce but? N'avez-vous pas surpris le Pirée? N'avez-vous pas ravagé les moissons dans la campagne, dévasté le territoire, incendié les faubourgs, donné enfin l'assaut à la ville? [14] Vous étiez tellement convaincus que c'était un devoir d'agir ainsi, que vous avez montré plus de colère envers ceux de vos compagnons d'exil qui étaient restés dans l'inaction, que contre les auteurs mêmes de vos maux.

6. Il ne faut donc pas blâmer ceux qui désirent les mêmes choses que vous, ni regarder comme de mauvais citoyens les hommes qui, étant exilés, ont cherché à rentrer dans leur patrie; mais bien plutôt ceux qui, restés dans leur pays, ont tenu une conduite digne de l'exil ; et. pour juger les sentiments démon père comme citoyen, on ne doit pas se reporter à un temps où il n'existait rien de commun entre lui et la République ; [15] il faut voir ce qu'il a été pour le peuple, dans les temps qui ont précédé son exil; comment, avec deux cents hoplites, il arracha les plus grandes villes du Péloponnèse à l'alliance de Lacédémone et les fit entrer dans la nôtre; quels dangers il fit courir à Sparte, et de quelle manière il commanda nos armées en Sicile. Ce sont des faits pour lesquels vous lui devez de la reconnaissance, et c'est à ceux qui l'ont exilé que vous devez imputer vos malheurs.

[16] 7. Rappelez-vous combien de services mon père, après son retour, rendit à la République, et rappelez-vous, avant tout, quelle était la position des affaires quand vous l'avez reçu parmi vous; rappelez-vous la démocratie détruite, les citoyens divisés en factions ennemies, l'armée en lutte avec les pouvoirs établis, les deux partis arrivés à un tel excès de fureur qu'il ne restait à personne aucun espoir de salut, [17] parce que les uns voyaient dans le parti qui était maître de la ville des ennemis plus odieux que les Lacédémoniens, tandis que les autres appelaient à leur aide les troupes qui occupaient Décélie, persuadés qu'il valait mieux livrer leur patrie à ses ennemis, que de donner aux hommes qui défendaient la ville une part dans le gouvernement. [18] C'est lorsque les citoyens étaient dans cette disposition funeste, que nos ennemis étaient maîtres de la terre et de la mer, que votre trésor était épuisé, que le roi de Perse payait des subsides à nos rivaux, et qu'en outre quatre-vingt-dix vaisseaux, arrivés de Phénicie à Aspendos, se préparaient à secourir les Lacédémoniens, c'est, dis-je, lorsque notre ville était plongée dans un tel abîme de maux, et qu'elle était exposée à de si terribles dangers, [19] que, les généraux ayant envoyé vers mon père, il n'essaya point de se prévaloir de la position des affaires ; mais, sans récriminer, sans chercher à s'assurer des garanties pour l'avenir, il se détermina aussitôt à tout souffrir avec son pays, plutôt que de partager les prospérités de Sparte, et rendit évident pour tous qu'il ne vous faisait point la guerre, qu'il la faisait uniquement à ceux qui l'avaient exilé ; qu'il voulait rentrer dans sa patrie, mais non pas la détruire. [20] Réuni alors avec vous, il persuada à Tissapherne de ne plus fournir de subsides aux Lacédémoniens, fit cesser la défection de vos alliés, paya de ses deniers la solde des troupes, rendit le gouvernement au peuple, réconcilia les citoyens et fit repartir les vaisseaux phéniciens. [21] L'énumération des navires dont il s'est rendu maître depuis cette époque, des batailles qu'il a gagnées, des villes qu'il a forcées, et de celles que son éloquence a conquises à votre amitié, serait un travail considérable ; il suffit de dire qu'un grand nombre de combats ayant été livrés dans ces circonstances, jamais, lorsque mon père a commandé, vos ennemis n'ont élevé un trophée sur vous.

[22] Je sais que je passe sous silence un grand nombre d'exploits, mais je me suis interdit les détails, parce que la plupart d'entre vous ont conservé le souvenir de ces événements.

8. Nos ennemis cherchent en outre, avec un excès d'impudence et de témérité, à flétrir la vie privée de mon père. Ils ne rougissent pas de parler d'un homme qui a cessé de vivre, avec une audace de langage à la quelle, s'il eût vécu, ils auraient craint de s'abandonner; [23] et ils en sont venus à un tel point d'aveuglement, qu'ils croient se faire honneur près de vous et des autres Grecs, en accumulant contre lui tout ce qu'ils peuvent imaginer d'injurieux : comme si quelqu'un ignorait que les êtres les plus vils peuvent, non seulement outrager les hommes les plus estimables, mais insulter les dieux eux-mêmes !

[24] 9. Il est peut-être contraire à la raison de tenir compte de tous les discours des hommes, mais cela ne m'empêche pas d'éprouver le désir de vous présenter le tableau des mœurs et des habitudes de mon père, en reprenant les choses d'un peu plus loin, et en rappelant le souvenir de nos ancêtres, afin que vous ne puissiez, pas ignorer que nous occupons depuis longtemps, parmi nos concitoyens, la plus noble et la plus haute position.

[25] 10. Alcibiade, du côté paternel, était de la race des Eupatrides, dont le nom seul suffirait pour faire reconnaître la noble origine; et, du côté maternel, il descendait des Alcméonides, qui ont laissé le plus grand monument de richesse, car Alcméon est le premier de nos citoyens qui ait remporté, aux jeux Olympiques, le prix de la course des chars. Et, de plus, ils ont montré leur dévouement pour le peuple dans les temps de la tyrannie. Parents de Pisistrate, ils vivaient avec lui, avant qu'il se fut emparé du pouvoir, dans une intimité plus grande que tous les autres citoyens, mais ils dédaignèrent de s'associer à son usurpation, et préférèrent s'exiler plutôt que d'être témoins de l'asservissement de leurs concitoyens. [26] Nos divisions ayant duré quarante ans, la haine des tyrans pour les Alcméonides surpassait à un tel point la haine qu'ils portaient aux autres citoyens que, leur parti étant devenu victorieux, non seulement ils détruisirent de fond en comble les maisons des AIcméonides, mais ils violèrent leurs -sépultures; et cependant les AIcméonides jouissaient d'une telle confiance auprès de leurs compagnons d'exil, que pendant tout le cours de cette période ils furent constamment reconnus comme les chefs dû parti populaire. Enfin, Alcibiade et Clisthène, bisaïeuls, l'un paternel, l'autre maternel, de mon père, s'étant mis à la tête des exilés, ramenèrent le peuple dans la ville, chassèrent les tyrans, [27] et fondèrent cette démocratie, qui a tellement exalté les sentiments généreux dans l'âme de nos concitoyens que, les Barbares étant venus pour subjuguer la Grèce entière, seuls, ils les attaquèrent et les vainquirent; relativement à la justice, ils acquirent une telle renommée que les Grecs leur remirent le commandement sur la mer, et ils élevèrent à un si haut degré leur patrie, que les hommes habitués à donner à Athènes le nom de capitale de la Grèce, et à se servir, en parlant d'elle, de semblables hyperboles, semblent ne dire que la vérité.

[28] Τὴν μὲν οὖν φιλίαν τὴν πρὸς τὸν δῆμον οὕτω παλαιὰν καὶ γνησίαν καὶ διὰ τὰς μεγίστας εὐεργεσίας γεγενημένην παρὰ τῶν προγόνων παρέλαβεν· αὐτὸς δὲ κατελείφθη μὲν ὀρφανός, ὁ γὰρ πατὴρ αὐτοῦ μαχόμενος ἐν Κορωνείᾳ τοῖς πολεμίοις ἀπέθανεν, ἐπετροπεύθη δ' ὑπὸ Περικλέους, ὃν πάντες ἂν ὁμολογήσειαν καὶ σωφρονέστατον καὶ δικαιότατον καὶ σοφώτατον γενέσθαι τῶν πολιτῶν. Ἡγοῦμαι γὰρ καὶ τοῦτ' εἶναι τῶν καλῶν, ἐκ τοιούτων γενόμενον ὑπὸ τοιούτοις ἤθεσιν ἐπιτροπευθῆναι καὶ τραφῆναι καὶ παιδευθῆναι. [29] Δοκιμασθεὶς δ' οὐκ ἐνδεέστερος ἐγένετο τῶν προειρημένων, οὐδ' ἠξίωσεν αὐτὸς μὲν ῥᾳθύμως ζῆν, σεμνύνεσθαι δ' ἐπὶ ταῖς τῶν προγόνων ἀρεταῖς, ἀλλ' εὐθὺς οὕτω μέγ' ἐφρόνησεν, ὥστ' ᾠήθη δεῖν δι' αὑτὸν καὶ τἀκείνων ἔργα μνημονεύεσθαι.

Καὶ πρῶτον μέν, ὅτε Φορμίων ἐξήγαγεν ἐπὶ Θρᾴκης χιλίους Ἀθηναίων, ἐπιλεξάμενος τοὺς ἀρίστους, μετὰ τούτων στρατευσάμενος τοιοῦτος ἦν ἐν τοῖς κινδύνοις ὥστε στεφανωθῆναι καὶ πανοπλίαν λαβεῖν παρὰ τοῦ στρατηγοῦ. [30] Καίτοι τί χρὴ τὸν τῶν μεγίστων ἐπαίνων ἄξιον; Οὐ μετὰ μὲν τῶν βελτίστων ἐκ τῆς πόλεως στρατευόμενον ἀριστείων ἀξιοῦσθαι, πρὸς δὲ τοὺς κρατίστους τῶν Ἑλλήνων ἀντιστρατηγοῦντ' ἐν ἅπασι τοῖς κινδύνοις αὐτῶν φαίνεσθαι περιγιγνόμενον; Ἐκεῖνος τοίνυν τῶν μὲν νέος ὢν ἔτυχε, τὰ δ' ἐπειδὴ πρεσβύτερος ἦν ἔπραξεν.

[31] Μετὰ δὲ ταῦτα τὴν μητέρα τὴν ἐμὴν ἔγημεν· ἡγοῦμαι γὰρ καὶ ταύτην ἀριστεῖον αὐτὸν λαβεῖν. Ὁ γὰρ πατὴρ αὐτῆς Ἱππόνικος, πλούτῳ μὲν πρῶτος ὢν τῶν Ἑλλήνων, γένει δ' οὐδενὸς ὕστερος τῶν πολιτῶν, τιμώμενος δὲ καὶ θαυμαζόμενος μάλιστα τῶν ἐφ' αὑτοῦ, μετὰ προικὸς δὲ πλείστης καὶ δόξης μεγίστης ἐκδιδοὺς τὴν θυγατέρα, καὶ τοῦ γάμου τυχεῖν εὐχομένων μὲν ἁπάντων, ἀξιούντων δὲ τῶν πρώτων, τὸν πατέρα τὸν ἐμὸν ἐξ ἁπάντων ἐκλεξάμενος κηδεστὴν ἐπεθύμησε ποιήσασθαι.

[32] Περὶ δὲ τοὺς αὐτοὺς χρόνους ὁρῶν τὴν ἐν Ὀλυμπίᾳ πανήγυριν ὑπὸ πάντων ἀνθρώπων ἀγαπωμένην καὶ θαυμαξομένην, καὶ τοὺς Ἕλληνας ἐπίδειξιν ἐν αὐτῇ ποιουμένους πλούτου καὶ ῥώμης καὶ παιδεύσεως, καὶ τούς τ' ἀθλητὰς ζηλουμένους καὶ τὰς πόλεις ὀνομαστὰς γιγνομένας τὰς τῶν νικώντων, καὶ πρὸς τούτοις ἡγούμενος τὰς μὲν ἐνθάδε λῃτουργίας ὑπὲρ τῶν ἰδίων πρὸς τοὺς πολίτας εἶναι, τὰς δ' εἰς ἐκείνην τὴν πανήγυριν ὑπὲρ τῆς πόλεως εἰς ἅπασαν τὴν Ἑλλάδα γίγνεσθαι, [33] ταῦτα διανοηθείς, οὐδενὸς ἀφυέστερος οὐδ' ἀρρωστότερος τῷ σώματι γενόμενος τοὺς μὲν γυμνικοὺς ἀγῶνας ὑπερεῖδεν, εἰδὼς ἐνίους τῶν ἀθλητῶν καὶ κακῶς γεγονότας καὶ μικρὰς πόλεις οἰκοῦντας καὶ ταπεινῶς πεπαιδευμένους, ἱπποτροφεῖν δ' ἐπιχειρήσας, ὃ τῶν εὐδαιμονεστάτων ἔργον ἐστί, φαῦλος δ' οὐδεὶς ἂν ποιήσειεν, οὐ μόνον τοὺς ἀνταγωνιστὰς ἀλλὰ καὶ τοὺς πώποτε νικήσαντας ὑπερεβάλετο. [34] Ζεύγη γὰρ καθῆκε τοσαῦτα μὲν τὸν ἀριθμὸν ὅσοις οὐδ' αἱ μέγισται τῶν πόλεων ἠγωνίσαντο, τοιαῦτα δὲ τὴν ἀρετὴν ὥστε καὶ πρῶτος καὶ δεύτερος γενέσθαι καὶ τρίτος. Χωρὶς δὲ τούτων ἐν ταῖς θυσίαις καὶ ταῖς ἄλλαις ταῖς περὶ τὴν ἑορτὴν δαπάναις οὕτως ἀφειδῶς διέκειτο καὶ μεγαλοπρεπῶς ὥστε φαίνεσθαι τὰ κοινὰ τὰ τῶν ἄλλων ἐλάττω τῶν ἰδίων τῶν ἐκείνου. Κατέλυσε δὲ τὴν θεωρίαν, τὰς μὲν τῶν προτέρων εὐτυχίας μικρὰς πρὸς τὰς αὑτοῦ δόξαι ποιήσας, τοὺς δ' ἐφ' αὑτοῦ νικήσαντας παύσας ζηλουμένους, τοῖς δὲ μέλλουσιν ἱπποτροφεῖν οὐδεμίαν ὑπερβολὴν καταλιπών. [35] Περὶ δὲ τῶν ἐνθάδε χορηγιῶν καὶ γυμνασιαρχιῶν καὶ τριηραρχιῶν αἰσχύνομαι λέγειν· τοσοῦτον γὰρ ἐν τοῖς ἄλλοις διήνεγκεν, ὥσθ' οἱ μὲν ἐνδεεστέρως ἐκείνου λῃτουργήσαντες ἐκ τούτων σφᾶς αὐτοὺς ἐγκωμιάζουσιν, ὑπὲρ ἐκείνου δ' εἴ τις καὶ τῶν τηλικούτων χάριν ἀπαιτοίη, περὶ μικρῶν ἂν δόξειε τοὺς λόγους ποιεῖσθαι.

[36] Πρὸς δὲ τὴν πολιτείαν, οὐδὲ γὰρ τοῦτο παραλειπτέον, ὥσπερ οὐδ' ἐκεῖνος αὐτῆς ἠμέλησεν, ἀλλὰ τοσούτῳ τῶν μάλιστ' εὐδοκιμησάντων ἀμείνων περὶ τὸν δῆμον γέγονεν, ὅσον τοὺς μὲν ἄλλους εὑρήσεθ' ὑπὲρ αὑτῶν στασιάσαντας, ἐκεῖνον δ' ὑπὲρ ὑμῶν κινδυνεύοντα. Οὐ γὰρ ἀπελαυνόμενος ἀπὸ τῆς ὀλιγαρχίας ἀλλὰ παρακαλούμενος ἦν δημοτικός· καὶ πολλάκις ἐκγενόμενον αὐτῷ μὴ μόνον μετ' ὀλίγων τῶν ἄλλων ἄρχειν ἀλλὰ καὶ τούτων αὐτῶν πλέον ἔχειν, οὐκ ἠθέλησεν, ἀλλ' εἵλεθ' ὑπὸ τῆς πόλεως ἀδικηθῆναι μᾶλλον ἢ τὴν πολιτείαν προδοῦναι. [37] Καὶ ταῦθ' ἕως μὲν συνεχῶς ἐδημοκρατεῖσθ' οὐδεὶς ἂν ὑμᾶς λέγων ἔπεισεν· νῦν δ' αἱ στάσεις αἱ γενόμεναι σαφῶς ἐπέδειξαν καὶ τοὺς δημοτικοὺς καὶ τοὺς ὀλιγαρχικοὺς καὶ τοὺς οὐδετέρων ἐπιθυμοῦντας καὶ τοὺς ἀμφοτέρων μετέχειν ἀξιοῦντας. Ἐν αἷς δὶς ὑπὸ τῶν ἐχθρῶν τῶν ὑμετέρων ἐξέπεσεν· καὶ τὸ μὲν πρότερον, ἐπειδὴ τάχιστ' ἐκεῖνον ἐκποδὼν ἐποιήσαντο, τὸν δῆμον κατέλυσαν, τὸ δ' ὕστερον οὐκ ἔφθασαν ὑμᾶς καταδουλωσάμενοι, καὶ πρώτου τῶν πολιτῶν αὐτοῦ φυγὴν κατέγνωσαν· οὕτω σφόδρ' ἥ τε πόλις τῶν τοῦ πατρὸς κακῶν ἀπέλαυσε κἀκεῖνος τῶν τῆς πόλεως συμφορῶν ἐκοινώνησεν. [38] Καίτοι πολλοὶ τῶν πολιτῶν πρὸς αὐτὸν δυσκόλως εἶχον ὡς πρὸς τυραννεῖν ἐπιβουλεύοντα, οὐκ ἐκ τῶν ἔργων σκοποῦντες, ἀλλ' ἡγούμενοι τὸ μὲν πρᾶγμ' ὑπὸ πάντων ζηλοῦσθαι, δύνασθαι δ' ἂν ἐκεῖνον μάλιστα διαπράξασθαι. Διὸ καὶ δικαίως ἂν αὐτῷ πλείω χάριν ἔχοιτε, ὅτι τὴν μὲν αἰτίαν μόνος τῶν πολιτῶν ἄξιος ἦν ταύτην ἔχειν, τῆς δὲ πολιτείας ἴσον ᾤετο δεῖν καὶ τοῖς ἄλλοις μετεῖναι.

[39] Διὰ δὲ τὸ πλῆθος τῶν ἐνόντων εἰπεῖν ὑπὲρ τοῦ πατρὸς ἀπορῶ, τίνος ἐν τῷ παρόντι πρέπει μνησθῆναι καὶ ποῖ' αὐτῶν χρὴ παραλιπεῖν· ἀεὶ γάρ μοι δοκεῖ μεῖζον εἶναι τὸ μήπω πεφρασμένον τῶν ἤδη πρὸς ὑμᾶς εἰρημένων. Ἐπεὶ καὶ τοῦθ' ἡγοῦμαι πᾶσιν εἶναι φανερὸν ὅτι τοῦτον ἀναγκαῖόν ἐστιν εὐνούστατον εἶναι ταῖς τῆς πόλεως εὐτυχίαις, ὅτῳ πλεῖστον μέρος καὶ τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν κακῶν μέτεστιν. [40] Ἐκείνου τοίνυν εὖ μὲν πραττούσης τῆς πόλεως τίς εὐδαιμονέστερος ἢ θαυμαστότερος ἢ ζηλωτότερος ἦν τῶν πολιτῶν, δυστυχησάσης δὲ τίς ἐλπίδων μειζόνων ἢ χρημάτων πλειόνων ἢ δόξης καλλίονος ἐστερήθη; Οὐ τὸ τελευταῖον ἐπειδὴ κατέστησαν οἱ τριάκονθ' οἱ μὲν ἄλλοι τὴν πόλιν ἔφυγον, ἐκεῖνος δὲ ἐξ ἁπάσης τῆς Ἑλλάδος ἐξέπεσεν; Οὐ Λακεδαιμόνιοι καὶ Λύσανδρος ὁμοίως ἔργον ἐποιήσαντ' ἐκεῖνον ἀποκτεῖναι καὶ τὴν ὑμετέραν καταλῦσαι δύναμιν, οὐδεμίαν ἡγούμενοι πίστιν ἕξειν παρὰ τῆς πόλεως, εἰ τὰ τείχη καταβάλοιεν, εἰ μὴ καὶ τὸν ἀναστῆσαι δυνάμενον ἀπολέσαιεν; [41] Ὥστ' οὐ μόνον ἐξ ὧν ὑμᾶς εὖ πεποίηκεν ἀλλὰ καὶ ἐξ ὧν δι' ὑμᾶς κακῶς πέπονθε ῥᾴδιον γνῶναι τὴν εὔνοιαν τὴν ἐκείνου. Φαίνεται γὰρ τῷ δήμῳ βοηθῶν, τῆς αὐτῆς πολιτείας ὑμῖν ἐπιθυμῶν, ὑπὸ τῶν αὐτῶν κακῶς πάσχων, ἅμα τῇ πόλει δυστυχῶν, τοὺς αὐτοὺς ἐχθροὺς καὶ φίλους ὑμῖν νομίζων, ἐκ παντὸς τρόπου κινδυνεύων τὰ μὲν ὑφ' ὑμῶν, τὰ δὲ δι' ὑμᾶς, [42] τὰ δ' ὑπὲρ ὑμῶν, τὰ δὲ μεθ' ὑμῶν, ἀνόμοις πολίτης Χαρικλεῖ τῷ τούτου κηδεστῇ γεγενημένος, ὃς τοῖς μὲν πολεμίοις δουλεύειν ἐπεθύμει, τῶν δὲ πολιτῶν ἄρχειν ἠξίου, καὶ φεύγων μὲν ἡσυχίαν εἶχε, κατελθὼν δὲ κακῶς ἐποίει τὴν πόλιν. Καίτοι πῶς ἂν γένοιτ' ἢ φίλος πονηρότερος ἢ ἐχθρὸς ἐλάττονος ἄξιος; [43] Εἶτα σὺ κηδεστὴς μὲν ὢν ἐκείνου, βεβουλευκὼς δ' ἐπὶ τῶν τριάκοντα τολμᾷς ἑτέροις μνησικακεῖν, καὶ οὐκ αἰσχύνει τὰς συνθήκας παραβαίνων δι' ἃς αὐτὸς οἰκεῖς τὴν πόλιν, οὐδ' ἐνθυμεῖ διότι, ὁπόταν δόξῃ τῶν παρεληλυθότων τιμωρίαν ποιεῖσθαι, σοὶ καὶ προτέρῳ καὶ μᾶλλον ἢ 'μοὶ κινδυνεύειν ὑπάρχει; [44] Οὐ γὰρ δήπου παρ' ἐμοῦ μὲν ὑπὲρ ὧν ὁ πατὴρ ἔπραξε δίκην λήψονται, σοὶ δὲ καὶ ὧν αὐτὸς ἡμάρτηκας συγγνώμην ἕξουσιν. Ἀλλὰ μὴν οὐδ' ὁμοίας ἐκείνῳ φανήσει τὰς προφάσεις ἔχων· οὐ γὰρ ἐκπεσὼν ἐκ τῆς πατρίδος ἀλλὰ συμπολιτευόμενος, οὐδ' ἀναγκασθεὶς ἀλλ' ἑκών, οὐδ' ἀμυνόμενος ἀλλ' ὑπάρχων ἠδίκεις αὐτούς, ὥστ' οὐδ' ἀπολογίας σοι προσήκει τυχεῖν παρ' αὐτῶν.

[45] Ἀλλὰ γὰρ περὶ μὲν τῶν Τεισίᾳ πεπολιτευμένων ἴσως πότ' ἐν τοῖς τούτου κινδύνοις ἐγγενήσεται καὶ διὰ μακροτέρων εἰπεῖν· ὑμᾶς δ' ἀξιῶ μὴ προέσθαι με τοῖς ἐχθροῖς μηδ' ἀνηκέστοις συμφοραῖς περιβαλεῖν. Ἱκανῶς γὰρ καὶ νῦν πεπείραμαι κακῶν, ὃς εὐθὺς μὲν γενόμενος ὀρφανὸς κατελείφθην, τοῦ μὲν πατρὸς φυγόντος, τῆς δὲ μητρὸς τελευτησάσης, οὔπω δὲ τέτταρ' ἔτη γεγονὼς διὰ τὴν τοῦ πατρὸς φυγὴν περὶ τοῦ σώματος εἰς κίνδυνον κατέστην, [46] ἔτι δὲ παῖς ὢν ὑπὸ τῶν τριάκοντ' ἐκ τῆς πόλεως ἐξέπεσον. Κατελθόντων δὲ τῶν ἐκ Πειραιῶς καὶ τῶν ἄλλων κομιζομένων τὰς οὐσίας ἐγὼ μόνος τὴν γῆν, ἣν ἡμῖν ἀπέδωκεν ὁ δῆμος ἀντὶ τῶν δημευθέντων χρημάτων, διὰ τὴν τῶν ἐχθρῶν δύναμιν ἀπεστερήθην. Τοσαῦτα δὲ προδεδυστυχηκὼς καὶ δὶς τὴν οὐσίαν ἀπολωλεκὼς νυνὶ πέντε ταλάντων φεύγω δίκην. Καὶ τὸ μὲν ἔγκλημ' ἐστὶ περὶ χρημάτων, ἀγωνίζομαι δ' εἰ χρὴ μετεῖναί μοι τῆς πόλεως. [47] Τῶν γὰρ αὐτῶν τιμημάτων ἐπιγεγραμμένων οὐ περὶ τῶν αὐτῶν ἅπασιν ὁ κίνδυνός ἐστιν, ἀλλὰ τοῖς μὲν χρήματα κεκτημένοις περὶ ζημίας, τοῖς δ' ἀπόρως ὥσπερ ἐγὼ διακειμένοις περὶ ἀτιμίας, ἣν ἐγὼ φυγῆς μείζω συμφορὰν νομίζω· πολὺ γὰρ ἀθλιώτερον παρὰ τοῖς αὑτοῦ πολίταις ἠτιμωμένον οἰκεῖν ἢ παρ' ἑτέροις μετοικεῖν. [48] Δέομαι δ' οὖν ὑμῶν βοηθῆσαί μοι καὶ μὴ περιιδεῖν ὑπὸ τῶν ἐχθρῶν ὑβρισθέντα μηδὲ τῆς πατρίδος στερηθέντα μηδ' ἐπὶ τοιαύταις τύχαις περίβλεπτον γενόμενον. Δικαίως δ' ἂν ὑφ' ὑμῶν ἐξ αὐτῶν τῶν ἔργων ἐλεηθείην, εἰ καὶ τῷ λόγῳ τυγχάνω μὴ δυνάμενος ἐπὶ τοῦθ' ὑμᾶς ἄγειν, εἴπερ χρὴ τούτους ἐλεεῖν, τοὺς ἀδίκως μὲν κινδυνεύοντας, περὶ δὲ τῶν μεγίστων ἀγωνιζομένους, ἀναξίως δ' αὑτῶν καὶ τῶν προγόνων πράττοντας, πλείστων δὲ χρημάτων ἀπεστερημένους καὶ μεγίστῃ μεταβολῇ τοῦ βίου κεχρημένους.

[49] Πολλὰ δ' ἔχων ἐμαυτὸν ὀδύρασθαι μάλιστ' ἐπὶ τούτοις ἀγανακτῶ, πρῶτον μὲν εἰ τούτῳ δώσω δίκην παρ' οὗ λαβεῖν μοι προσήκει, δεύτερον δ' εἰ διὰ τὴν τοῦ πατρὸς νίκην τὴν Ὀλυμπίασιν ἀτιμωθήσομαι, δι' ἣν τοὺς ἄλλους ὁρῶ δωρεὰς λαμβάνοντας, [50] πρὸς δὲ τούτοις εἰ Τεισίας μὲν μηδὲν ἀγαθὸν ποιήσας τὴν πόλιν καὶ ἐν δημοκρατίᾳ καὶ ἐν ὀλιγαρχίᾳ μέγα δυνήσεται, ἐγὼ δ' εἰ μηδετέρους ἀδικήσας ὑπ' ἀμφοτέρων κακῶς πείσομαι, καὶ περὶ μὲν τῶν ἄλλων τἀναντία τοῖς τριάκοντα πράξετε, περὶ δ' ἐμοῦ τὴν αὐτὴν ἐκείνοις γνώμην ἕξετε, καὶ τότε μὲν μεθ' ὑμῶν, νῦν δ' ὑφ' ὑμῶν τῆς πόλεως στερήσομαι.

[28] 11. Ainsi donc, cet amour du peuple, amour antique, héréditaire, né au milieu des plus éclatants services, mon père le tenait de ses ancêtres. Resté orphelin dans sa jeunesse, car son père avait succombé à Coronée en combattant nos ennemis, il eut pour tuteur Périclès, dans lequel tout le monde s'accorde à reconnaître le plus modéré, le plus juste, le plus sage des citoyens; et je regarde comme une illustration pour celui qui était né de tels parents d'avoir été formé, nourri, élevé sous l'influence de pareils exemples. [29] Parvenu à l'âge viril, mon père ne se montra inférieur à aucun des hommes dont j'ai parlé ; il ne crut pas digne de lui de vivre dans la mollesse, et de se glorifier uniquement des vertus de ses ancêtres ; mais, dès le premier moment, il porta si haut ses pensées, qu'il regarda comme un devoir de faire revivre en lui la mémoire de leurs grandes actions.

12. Et d'abord, lorsque Phormion conduisit mille hoplites athéniens contre les Thraces, Alcibiade, ayant fait un choix des plus braves, et s'étant mis à leur tête, se distingua tellement au milieu des dangers, qu'il reçut une couronne et une armure complète de la main du général. [30] Par quels exploits, cependant, croit-on que doit se signaler celui qui aspire aux plus grandes récompenses? Ne doit-il pas mériter le prix de la valeur en combattant au milieu des plus braves? Ne doit-il pas, en luttant à la tête de nos armées contre les plus vaillants des Grecs, sortir vainqueur de tous les combats ? Eh bien ! mon père, dans sa jeunesse, a obtenu le premier de ces honneurs, et, plus avancé dans la vie, il a obtenu le second.

[31] 13. C'est à la suite de ces événements qu'il épousa ma mère ; et je crois aussi voir en elle un prix offert à sa valeur. Hipponicus, le père de ma mère, était, par sa richesse, le premier des Grecs, et, par sa naissance, il n'était inférieur à aucun autre citoyen; il était le plus respecté, le plus admiré des hommes de son temps ; il donnait avec sa fille une dot immense, jointe à une noble renommée ; et c'est lorsque tous les Grecs aspiraient à cet hymen, c'est lorsque les partis les plus brillants rivalisaient pour obtenir la préférence, qu'Hipponicus choisit mon père entre tous, et voulut l'avoir pour gendre.

[32] 14. Vers le même temps, mon père, voyant que la solennité d'Olympie excitait l'enthousiasme du monde entier; que les Grecs y déployaient avec ostentation leur opulence, leur force et l'élégance de leurs mœurs ; que, d'un autre côté, les athlètes étaient pour les villes un sujet de rivalité, et que celles qui avaient donné le jour aux vainqueurs acquéraient de la célébrité, comprit que les dépenses faites à Athènes au nom des particuliers n'avaient pour témoins que les citoyens de leur ville, tandis que celles qui se faisaient à Olympie au nom d'Athènes fixaient l'attention de toute la Grèce ; [33] mon père, dis-je, ayant apprécié ces considérations, bien qu'il ne le cédât à personne pour l'adresse et la force corporelles, dédaigna les luttes delà gymnastique, parce qu'il savait qu'une partie des athlètes étaient des hommes d'une origine obscure, sortis de villes sans importance, et privés d'éducation ; il entreprit d'élever des chevaux, privilège réservé à l'opulence, et auquel ne saurait prétendre un homme d'une situation inférieure ; et non seulement il surpassa ses rivaux, mais tous ceux qui, à une époque quelconque, avaient triomphé dans ces luttes. [34] Il présenta des couples de chevaux en tel nombre que, même les villes les plus puissantes rie pouvaient rivaliser avec lui, et doués d'une telle vigueur, qu'il remporta le premier, le second, le troisième prix. Ce n'est pas tout encore ; car, pour les sacrifices et les autres dépenses relatives à cette assemblée, sa magnificence et sa générosité furent si grandes que la fortune publique paraissait, chez les autres peuples, inférieure à sa fortune particulière. Enfin, il se retira de cette solennité après avoir fait paraître de peu de valeur, en comparaison des siens, les succès des vainqueurs précédents ; et, ayant découragé les rivalités de ceux qui avaient vaincu de son temps, il ne laissa désormais à ceux qui voudraient élever des chevaux aucun moyen de le surpasser. [35] J'éprouve quelque pudeur à rappeler ici et les chœurs, et les luttes gymnastiques, et les constructions de galères dont il a fait les frais; car il s'est montré tellement supérieur à tous, que ceux qui, dans l'accomplissement des mêmes devoirs, n'ont été vaincus que par lui, font de cette circonstance un texte pour les éloges qu'ils se donnent ; et que, si quelqu'un, réclamait de la reconnaissance pour des sacrifices de la même nature, il paraîtrait, à cause d'Alcibiade, exercer son éloquence sur des sujets de peu de valeur.

[36] 15. Je ne dois pas non plus omettre ce qui touche au gouvernement de l'État, car mon père n'a pas négligé d'y donner ses soins ; et il a été, dans son dévouement pour le peuple, tellement supérieur aux hommes les plus renommés, que vous trouverez ceux-ci excitant des séditions dans leur propre intérêt, tandis que mon père a toujours bravé les dangers pour les vôtres. Et en effet ce n'est pas rejeté par l'oligarchie, mais lorsqu'il était appelé par elle, qu'il s'est déclaré pour le peuple ; et souvent, lorsqu'il était en son pouvoir, non seulement de partager le gouvernement avec un petit nombre d'hommes, mais de se placer à leur tête, il ne le voulut pas, et il préféra souffrir l'injustice, quand elle venait de sa patrie, plutôt que de trahir la République. [37] Cette vérité, tant que le gouvernement populaire s'est maintenu parmi vous, aucun de ceux qui vous l'ont dite n'a pu vous persuader; mais aujourd'hui les divisions qui sont survenues ont pu vous faire reconnaître avec évidence les hommes de la démocratie et les hommes de l'oligarchie, ceux qui ne veulent ni l'une ni l'autre, et ceux qui veulent un mélange des deux formes de gouvernement. Mon père, dans ces luttes, a succombé deux fois devant vos ennemis : dans la première, aussitôt qu'ils l'eurent écarté, ils abolirent le pouvoir populaire ; dans la seconde, ils ne vous eurent pas plutôt asservis, que, le premier entre tous les citoyens, ils le condamnèrent à l'exil ; tant il est vrai que notre ville a toujours recueilli le fruit des malheurs de mon père, et que mon père a toujours eu la part la plus grande dans les calamités de son pays. [38] Et cependant un grand nombre de citoyens étaient irrités contre lui, comme s'il eût aspiré à la tyrannie ; non qu'ils tinssent compte de ses actes, mais parce qu'ils considéraient d'un côté le pouvoir comme l'objet de l'ambition universelle, et que, de l'autre, ils reconnaissaient en lui l'homme réunissant au plus haut degré les conditions nécessaires pour s'en emparer. [39] C'est pourquoi la justice vous ordonne d'avoir pour lui d'autant plus de reconnaissance, que, seul digne de faire naître un tel soupçon, il a voulu dans sa participation aux droits politiques demeurer l'égal des autres citoyens.

[39] 16. Le grand nombre de choses que je pourrais dire encore à la louange de mon père me fait hésiter sur celles qu'il convient de rappeler en ce moment, et sur celles qu'il faut omettre : car ce qui n'a pas encore été dit me semble toujours avoir plus d'importance que ce qui a déjà été exposé devant vous. Je regarde comme évident pour tout le monde que l'homme le plus dévoué au bonheur de sa patrie est nécessairement celui qui a eu la plus grande part dans ses prospérités comme dans ses malheurs. [40] Or quel citoyen, au milieu des prospérités d'Athènes, a été plus heureux, plus admiré, plus digne d'envie qu'Alcibiade ? Et lorsque la fortune nous a été contraire, qui a vu s'évanouir de plus hautes espérances, disparaître plus de richesses, une gloire plus éclatante ? Récemment, sous la domination des Trente, quand les autres citoyens étaient seulement exilés de la ville, n'a-t-il pas été chassé de la Grèce entière, et les Lacédémoniens aussi bien que Lysandre n'attachaient-ils pas autant de prix à lui arracher la vie qu'à détruire votre puissance, regardant comme impossible d'espérer aucune sécurité de la part de notre ville, même en détruisant ses murailles, s'ils n'exterminaient pas celui qui pouvait les relever? [41] C'est donc par les services qu'il vous a rendus, par les malheurs qu'il a supportés pour vous, que l'on peut facilement reconnaître son dévouement à votre cause. Il est évident qu'il a défendu le peuple, qu'il a désiré le même gouvernement que vous, qu'il a eu à souffrir de la part des mêmes hommes, qu'il a été malheureux avec sa patrie, que vos ennemis et vos amis ont été les siens, qu'il a couru des dangers de toute nature, les uns de votre part, d'autres pour vous, [42] d'autres à cause de vous, d'autres avec vous ; bien différent en cela de Chariclès, le parent de notre accusateur, qui a voulu se faire l'esclave des ennemis de son pays, afin de commander à ses concitoyens; et qui, resté dans l'inaction durant l'exil, a cherché aussitôt après son retour à nuire à sa patrie. Où trouver un ami plus perfide, un ennemi plus méprisable ? [43] Et vous-même, Tisias, vous son parent, vous sénateur sous les Trente, vous osez rappeler contre les autres des souvenirs de colère ; vous n'avez pas honte de violer les traités qui vous permettent de vivre dans votre patrie, vous ne réfléchissez pas que, le jour où l'on sévirait à l'égard des anciennes injures, vous vous verriez exposé avant moi et plus que moi ? Les Athéniens sans doute ne me puniraient pas pour les actes de mon père, tandis qu'ils vous pardonneraient les crimes que vous-même avez commis ! [44] Vous ne pourriez pas d'ailleurs alléguer pour votre défense les mêmes excuses que mon père; car ce n'est pas à une époque où vous étiez exilé, c'est lorsque vous participiez au gouvernement de l'État ; ce n'est pas malgré vous, c'est de votre propre mouvement; ce n'est pas en vous défendant,, c'est comme agresseur, que vous avez violé la justice à l'égard de vos. concitoyens; de sorte que vous n'auriez pas même le droit d'obtenir de leur indulgence la faculté de vous disculper.

[45] 17. Relativement aux actes politiques de Tisias, j'aurai peut-être quelque jour l'occasion de le traduire devant la justice et de m'étendre davantage. Maintenant je me borne à vous demander de ne pas me livrer à mes ennemis, et de ne pas me plonger dans des malheurs irrémédiables. J'ai éprouvé d'assez grandes infortunes, moi qui, à cause de l'exil de mon père et de la mort de ma mère, suis resté orphelin, aussitôt après ma naissance ; moi qui, n'ayant pas encore quatre ans, ai couru des dangers pour ma vie à cause de l'absence d'Alcibiade, [46] et qui, encore enfant, me suis vu expulsé de ma patrie par les Trente. Enfin, lorsque les citoyens revenaient du Pirée et rentraient dans leurs possessions, moi seul, je me suis vu dépouillé, par la puissance de nos ennemis, de la terre que le peuple nous avait donnée en échange de nos biens confisqués. C'est donc après tant de malheurs, et c'est après avoir perdu deux fois ma fortune, que je me débats aujourd'hui contre une condamnation à cinq talents. L'action est dirigée contre ma fortune; mais, dans la réalité, je lutte aujourd'hui pour savoir si je puis encore vivre au sein de ma patrie. [47] Les mêmes amendes sont inscrites dans les lois; mais tous ne sont pas exposés au même péril ; pour les hommes qui possèdent des richesses, il ne s'agit que d'une amende; mais pour ceux qui, comme moi, sont réduits à la pauvreté, il s'agit du déshonneur, calamité plus grande, à mes yeux, que l'exil; car, vivre déshonoré parmi ses concitoyens est une situation plus cruelle que de vivre ailleurs au milieu des étrangers. [48] Je vous conjure donc de me secourir, et de ne pas m'abandonner aux outrages de mes ennemis ; comme aussi de ne pas permettre que, privé de ma patrie, je devienne, par un tel malheur, un objet vers lequel se portent tous les regards. Les faits seuls devraient suffire pour émouvoir votre compassion, si j'étais par mes paroles impuissant à la faire naître dans vos âmes ; car la compassion est un devoir envers ceux que menace un danger injuste ; qui combattent pour les plus grands intérêts ; qui sont dans une situation indigne d'eux et de leurs ancêtres ; qui sont déchus de la plus brillante fortune, et qui, dans leur existence, ont éprouvé les plus cruels changements.

[49] Je pourrais, à beaucoup d'égards, déplorer ma destinée; mais ce qui exciterait surtout mon indignation, ce serait, d'abord, d'être puni sur les poursuites de celui que je devrais moi-même faire punir; ce serait, ensuite, d'être déshonoré à cause de la victoire de mon père à Olympie, quand, pour le même motif, je vois accorder à d'autres des récompenses ; [50] ce serait, en outre, la pensée que Tisias, qui n'a jamais fait aucun bien à sou pays, serait puissant sous la démocratie, puissant sous l'oligarchie ; tandis que moi, qui n'ai jamais nui ni à l'un ni à l'autre de ces gouvernements, je serais en butte aux persécutions de tous les deux ; ce serait, enfin, lorsque toutes vos actions sont contraires à celles des Trente, que vous pussiez avoir, à mon égard, des sentiments semblables aux leurs, et qu'aujourd'hui par vous, comme alors avec vous, je fusse privé de ma patrie.