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table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE

 

DÉMOSTHÈNE

 

PLAIDOYERS CIVILS

 

IX

 

PLAIDOYER CONTRE SPOUDIAS

 

 

 VIII.  Mantithée contre Boeotos II TOME I X.  Le fils de Tisias contre Calliclès

 

 

 

texte grec

 

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IX

PLAIDOYER CONTRE SPOUDIAS

ARGUMENT

Polyeucte est mort laissant deux filles dont l'une mariée à l'orateur, l'autre à Spoudias. Des difficultés s'élèvent entre les deux gendres sur le partage de la succession.

L'orateur prend les devants et saisit le tribunal. L'action qu'il intente est l'action de dot (δίκη προικὸς). Les filles, à Athènes n'étaient pas, à proprement parler, héritières. Elles recevaient des dots, et par ce moyen elles n'avaient rien à prétendre sur la succession de leurs parents. Dans le cas même où il n'y avait pas de fils elles ne recueillaient les biens que pour les transmettre à leurs propres fils, qui seuls pouvaient être héritiers et perpétuer la maison de leur aïeul. C'est ce qui explique comment l'action intentée par l'orateur contre Spoudias est l'action de dot et non simplement l'action en partage de succession.

L'orateur demande d'abord à prélever sur la masse une maison qui a été affectée par son beau-père à la garantie de ce qui lui reste dû sur la dot de sa femme. On lui a constitué une dot de quatre mille drachmes. lien a reçu trois mille comptant. Le surplus a été stipulé payable au décès de Polyeucte, et ce dernier en mourant a donné en garantie (ἀποτίμημα) une hypothèque, ou plutôt une antichrèse sur une maison. Ce droit réel a été, suivant l'usage, rendu public par une inscription sur la maison (ὄρος).

En outre, l'orateur demande que Spoudias fasse rapport à la masse de diverses sommes dont il est débiteur envers la succession, à savoir : 200 drachmes dues à Polyeucte pour le prix d'un esclave, 1,800 drachmes dues à la femme de Polyeucte, qui est elle-même décédée, et divers objets mobiliers donnés par cette femme à la femme de Spoudias.

Enfin l'orateur demande que Spoudias contribue pour sa part aux dépenses faites dans l'intérêt commun, et avancées par sa femme à lui. Ces dépenses s'élèvent à cent drachmes. Spoudias en doit la moitié.

En réponse à ces demandes, Spoudias disait à son adversaire : « Ma femme et la vôtre ont reçu chacune quarante mines de dot. Mais l'égalité n'est qu'apparente, car je n'ai reçu que trente mines en argent, et les habits et joyaux de ma femme m'ont été comptés pour dix mines, tandis que vous avez reçu effectivement les quarante mines, et les habits et joyaux de votre femme n'ont pas été comptés sur sa dot. Vous devez donc rapporter dix mines au lieu de prélever la maison qui vous a été donnée en garantie de ces dix mines. »

L'orateur réplique que s'il a été procédé ainsi, c'est parce que les habits et joyaux donnés à la femme de Spoudias valaient beaucoup plus que ceux qui lui ont été donnés à lui, et que par le fait l'un n'a pas reçu plus que l'autre. La valeur de ces habits et joyaux a été fixée par l'inventaire et reconnue par les arbitres qui ont statué sur le différend survenu entre Polyeucte et Léocrate, premier mari de la femme de Spoudias, au sujet de la restitution de la dot de celle-ci, après son divorce.

Quant aux sommes et valeurs dont l'orateur demande le rapport, la preuve qu'elles ont été reçues par Spoudias se trouve dans les notes écrites par la femme de Polyeucte et trouvées au décès de celle-ci. A la vérité, ces notes écrites par le créancier ne font pas titre à son profit, mais Spoudias et sa femme en ont reconnu la sincérité, et cette reconnaissance fait preuve contre eux.

Spoudias de son côté prétend avoir des réclamations à faire valoir et paraît avoir intenté de son côté une action semblable. Mais les deux actions sont indépendantes l'une de l'autre, et il n'est pas nécessaire de les joindre. L'orateur insiste donc pour qu'il soit statué sur sa demande indépendamment des griefs soulevés par Spoudias.

Il n'y a aucune raison pour douter de l'authenticité de ce discours, qui parait être un ouvrage de la jeunesse de Démosthène.

PLAIDOYER

[1] Juges, Spoudias que voici, et moi, nous avons épousé deux soeurs, filles de Polyeucte. Polyeucte étant mort sans laisser d'enfants mâles, je suis forcé de plaider contre Spoudias sur la succession. Si, dans ces circonstances, je n'avais pas fait sincèrement tous mes efforts pour arranger l'affaire et constituer un arbitrage d'amis, je serais le premier à m'accuser, car on ne s'expose pas de gaieté de coeur aux ennuis d'un procès quand on peut acheter la paix par un léger sacrifiée. [2] Mais plus je me suis montré doux et conciliant dans mon langage, plus j'ai trouvé Spoudias dédaigneux envers moi. Il faut donc lutter, et j'ai bien peur qu'entre nous deux la lutte ne soit inégale. Ce n'est rien pour lui, accoutumé qu'il est à se présenter souvent devant vous, mais l'épreuve est redoutable pour moi, car je crains que mon inexpérience ne me permette pas de vous expliquer mon affaire. J'essayerai pourtant, juges, et je vous demande un instant d'attention.

[3] Quelques-uns d'entre vous, peut-être, ont connu Polyeucte de Thria (01). Ce Polyeucte, n'ayant pas d'enfants mâles, adopta Léocrate, frère de sa femme ; et, des deux filles issues de son union avec la soeur de Léocrate, il me donna l'aînée en mariage avec quarante mines de dot. La seconde fut mariée à Léocrate (02). [4] Dans la suite une discussion s'éleva entre Polyeucte et Léocrate, discussion sur laquelle je ne saurais me prononcer. Polyeucte ôta sa fille à Léocrate (03) et la donna à Spoudias que voici. Irrité de ce procédé, Léocrate intenta un procès à Polyeucte et à Spoudias que voici, et les contraignit de régler avec lui tous leurs comptes respectifs. L'affaire se termina par un arrangement. On convint que Léocrate reprendrait tout ce qu'il avait apporté en entrant dans la maison, qu'à cette condition Polyeucte ne pourrait plus être inquiété par lui, et que toutes réclamations réciproques seraient ainsi éteintes. [5] Pourquoi, juges, vous ai-je parlé de tous ces faits? Le voici. Je n'avais pas reçu intégralement la dot qui m'avait été promise. II me restait dû mille drachmes, et il avait été convenu qu'elles seraient payées au décès de Polyeucte. En conséquence, tant que Léocrate fut l'héritier présomptif de Polyeucte, l'obligation existait de lui à moi. Mais après la retraite de Léocrate, Polyeucte étant tombé gravement malade, alors, juges, je me fis donner en garantie de ma créance de dix mines la maison dont les loyers sont aujourd'hui frappés d'opposition, par Spoudias. [6] Je vous produirai d'abord les témoins, qui étaient présents lorsque Polyeucte m'a promis sa fille avec une dot de quarante mines. Je prouverai en second lieu que Polyeucte est resté mon débiteur de mille drachmes, enfin qu'il a constamment reconnu cette dette, qu'il a fait obliger Léocrate, et qu'en mourant il a ordonné par son testament de faire inscrire sur la maison les mille drachmes qui me restaient dues sur ma dot. Appelle les témoins.

TÉMOINS

[7] Voilà, juges, un de mes griefs contre Spoudias. Et sur ce point quel fondement plus fort et plus solide puis-je donner à mon action que la loi même qui interdit expressément de contester la dette pour laquelle on a donné une garantie hypothécaire (04), et qui l'interdit non seulement au débiteur lui-même, mais à ses héritiers. C'est pourtant contre une disposition si précise que Spoudias prétend lutter. [8] Voici maintenant, juges, un autre grief : Aristogène atteste que Polyeucte en mourant réclama deux mines et les intérêts, à lui dus par Spoudias (c'était le prix d'un esclave que Spoudias avait acheté de Polyeucte, prix qu'il n'a pas payé à Spoudias et dont il n'a pas fait rapport à la masse), et d'autre part dix-huit cents drachmes au sujet desquelles je ne sais pas ce qu'il pourra soutenir. [9] Cette somme lui avait été prêtée par la femme de Polyeucte (05). Il y a un écrit que cette femme a laissé lors de son décès; il y a aussi des témoins, les frères de cette femme, qui ont assisté à tout, et qui se sont informés de tout afin de prévenir toute difficulté entre nous. N'est-ce donc pas, juges, une chose vraiment dure et pénible? Tout ce que Polyeucte m'a remis de son vivant, tout ce que j'ai reçu de sa femme, j'en paye les intérêts, j'en ai rendu l'estimation, et aujourd'hui je rapporte ce dont je reste débiteur, [10] mais lui il n'a souci ni de vos lois, ni du testament de Polyeucte, ni des écrits laissés par la femme de Polyeucte, ni des témoins. Rien ne l'arrête. Il veut absolument plaider.

Prends d'abord la loi qui ne permet pas au débiteur de contester sa dette, une fois qu'il en a fourni la garantie hypothécaire. Prends ensuite les écrits dont il s'agit, et la déposition d'Aristogène. Lis.

LOIS, ÉCRITS, TÉMOIGNAGE.

[11] Maintenant, juges, je passe aux autres griefs, et je vais vous les faire connaître l'un après l'autre. Un vase qu'ils avaient reçu de la femme de Polyeucte a été par eux mis en gage avec des joyaux. Ils ne l'ont ni retiré, ni rapporté, ainsi que pourra l'attester Démophile, le gagiste. Ils ont encore une tente (06) qu'ils ne rapportent pas davantage. Que d'objets je pourrais citer encore! Enfin une mine d'argent a été fournie et avancée par ma femme pour les cérémonies de la fête des morts, au tombeau de son père (07). Il refuse de prendre à sa charge la moitié de cette somme. Ce qu'il a reçu il le garde, ce qu'il a dépensé il s'en fait rembourser la moitié, mais lui-même il ne veut rien rendre. Pour ne négliger aucun point, prends toutes les dépositions faites à ce sujet.

TÉMOIGNAGES

[12] A tout cela, juges, Spoudias s'abstiendra sans doute de rien répondre. Et qu'aurait-il à dire, tout habile qu'il est? Mais il accusera Polyeucte et sa femme, il dira que des suggestions de ma part ont déterminé ces vieillards à me faire un avantage, que ses intérêts ont été lésés non moins gravement, de bien d'autres façons, qu'il a même intenté une action contre moi. C'est là, en effet, ce qu'il a essayé de soutenir devant l'arbitre. [13] Pour moi, juges, voici ce que je pense. D'abord on n'a pas le droit, il n'est même pas convenable de se défendre ainsi, ni, quand ou se sent convaincu et pris, de changer de rôle, de récriminer et d'appeler la calomnie à son secours. S'il a été lésé d'ailleurs, justice lui sera faite, sans aucun doute, mais pour le moment il commencera par payer ce dont il est tenu. Puis-je donc me mettre à réfuter les calomnies de mes adversaires au risque de négliger l'affaire que vous allez juger tout à l'heure? [14] Ensuite il avait, dit-il, des reproches très sérieux à m'adresser; mais alors, quand nos amis ont voulu s'entremettre et qu'il était fortement question d'un arbitrage, pourquoi n'a-t-il pas consenti à en passer par ce qu'ils décideraient? Et pourtant qui pouvait mieux discerner le vrai du faux, dans ses réclamations et dans les miennes, que ceux-là même qui avaient assisté à tout, qui savaient tout aussi bien que nous-mêmes, qui étaient nos amis communs, tenant à tous deux par les mêmes liens? [15] Mais sans doute ce n'était pas son compte de se voir manifestement convaincu par eux, et de terminer l'affaire de cette façon; et en effet, juges, quand ceux qui savent toutes ces choses viennent en rendre témoignage à leurs risques et périls (08), comment supposer qu'ils auraient pu tenir un autre langage, siégeant comme arbitres et sous la foi du serment? Après tout, quoique nous n'ayons pas obtenu cet arbitrage, il n'est pas si difficile de discerner qui de nous deux dit vrai. [16] Et d'abord pour la maison, ce sont mes suggestions, à l'entendre, qui ont porté Polyeucte à faire inscrire les mille drachmes. Mais apparemment, Spoudias, je n'ai pas fait la leçon aux témoins, pour qu'ils vinssent faire des dépositions mensongères, eux qui étaient là quand Polyeucte m'a donné sa fille, qui savent que je n'ai pas reçu toute la dot, qui ont entendu mon beau-père se reconnaître mon débiteur, et faire engager Léocrate avec lui (09), qui enfin l'ont vu faire son testament. Il est impossible que tous ces témoins aient voulu me servir, et s'exposer à la peine du faux témoignage en ne disant pas la vérité. Mais laissons cela. [17] Que diras-tu à ceci? Il faut une réponse précise pour instruire ceux qui nous écoutent, sinon c'est à vous, juges, à l'exiger. Au moment où Polyeucte faisait son testament, la femme de Spoudias était présente, et a fait savoir à son mari ce qui se passait. Cela n'est pas douteux, surtout s'il est vrai que l'égalité fût méconnue et que toutes les dispositions portassent atteinte aux intérêts de Spoudias. Spoudias avait même été appelé. Ni lui ni sa femme ne peuvent donc dire que nous ayons fait tout cela en secret et en cachette. Mais à ceux qui l'appelaient, Spoudias répondit qu'il n'avait pas le temps de venir, que la présence de sa femme suffisait. [18] Que faut-il de plus? Aristogène lui rendit un compte exact de tout ce qui s'était passé, et à ce moment on ne voit pas qu'il ait fait aucune observation. Bien plus, Polyeucte vécut encore plus de cinq jours après, et pendant tout ce temps Spoudias n'est pas entré près de lui pour montrer du mécontentement. Il n'a fait aucune objection, ni lui, ni sa femme, qui du commencement avait assisté à tout. On ne peut donc pas dire que si Polyeucte m'a fait un avantage c'est qu'il a cédé à mes suggestions, car cet avantage c'est vous qui me l'avez fait. Rappelez-vous bien tous ces faits, juges, et si maintenant il essaye de débiter des impostures, opposez-lui vos souvenirs. Et d'abord, pour que vous soyez bien convaincus que tout s'est réellement passé ainsi, écoutez les témoins. Lis.

TÉMOINS.

[19] Ainsi donc, juges, pour prouver que j'étais bien réellement créancier de mille drachmes lorsque Polyeucte m'a donné sa maison en garantie, j'ai le témoignage de Spoudias lui-même et de sa femme, après tant d'autres. Tous deux ont laissé faire, et n'ont élevé aucune objection ni devant Polyeucte qui a encore vécu cinq jours après, ni devant Aristogène au moment où ils ont reçu la nouvelle. Mais si la garantie a été valablement conférée, à moins d'oublier la loi, qui est précise, il ne vous est plus permis de ne pas condamner Spoudias sur ce chef. [20] Examinez aussi le chef des vingt mines qu'il ne rapporte pas, ici encore c'est lui-même qui sera mon principal témoin. Je ne m'attache pas à ce qu'il dit, puisqu'il plaide contre moi, et cette preuve n'en serait pas une, mais à ce qu'il a fait ouvertement. Qu'a-t-il donc fait, juges? Écoutez-moi, et s'il veut ensuite débiter quelque imposture, soit sur notre belle-mère, soit sur les écrits, vous saurez à quoi vous en tenir et vous ne vous laisserez pas prendre à tous ses discours. [21] Ces écrits se sont trouvés dans la succession de la femme de Polyeucte, ainsi que je l'ai dit tout à l'heure. La femme de Spoudias et la mienne ayant reconnu les sceaux, nous les ouvrîmes en présence l'un de l'autre, et après en avoir pris copie, nous les scellâmes de nouveau et nous les déposâmes entre les mains d'Aristogène. [22] Or voici le point capital, juges ; retenez ceci, je vous en conjure. Il était fait mention dans ces écrits, des deux mines dues pour prix de l'esclave. J'ai donc sur ce chef une autre preuve que la déclaration de Polyeucte mourant. Il y était aussi parlé des dix-huit cents drachmes. Si rien de tout cela ne concernait Spoudias, si ces mentions n'étaient pas l'expression de la vérité, pourquoi à cette lecture n'a-t-il pas protesté sur-le-champ? Pourquoi a-t-il rescellé avec moi ces écrits inexacts et sans aucune valeur? Quand on fait cela c'est qu'on tient pour vrai tout ce qui est écrit. [23] Eh bien, juges, je ne puis croire que vous permettiez à mes adversaires de plaider le contraire de ce qu'ils ont eux-mêmes reconnu, et qu'ils ne soient pas condamnés par là même. Tous, tant que nous sommes, quand on nous adresse une réclamation mal fondée en fait et en droit, nous n'avons pas l'habitude de garder le silence, nous nous empressons de protester. Ceux qui n'ayant pas protesté tout d'abord se ravisent ensuite et se mettent à plaider, passent pour gens malhonnêtes et de mauvaise foi. [24] Spoudias sait cela aussi bien que moi; je me trompe, il le sait bien mieux que moi, d'autant qu'il est plus accoutumé à se présenter devant vous, et il ne rougit pas de plaider contre des actes de reconnaissance émanés de lui. Quand la mauvaise foi vous est démontrée, ne fût-ce que sur un seul point, souvent il ne vous en faut pas davantage pour rejeter toute une demande; eh bien, lui, c'est sur tous les points qu'il se trouve convaincu par son propre témoignage. Lis la déposition d'où il résulte que les sceaux ont été reconnus par la femme de Spoudias, et que l'écrit rescellé par Spoudias est encore chez le dépositaire.

TÉMOIGNAGE.

[25] Après une démonstration si complète, je ne vois plus rien à ajouter. Je n'avance rien que je ne prouve en produisant la loi, des témoins, l'aveu de mon adversaire lui-même. Qu'est-il encore besoin de longs discours? Que si cependant il proteste au sujet de la dot, et s'il affirme qu'on lui fait tort de mille drachmes, alors je lui dirai que cela est faux. Il n'a pas reçu moins, comme il le prétend, il a reçu davantage, et vous en aurez bientôt la preuve. [26] Mais je vais plus loin : Quand tout cela serait vrai, où est la justice? Que devient la protection des lois si je ne puis recevoir la dot qui m'a été promise? Polyeucte ne pouvait-il pas, s'il l'eût voulu, laisser à ses filles des parts inégales, et donner à l'une plus qu'à l'autre (10)? Pouvez-vous empêcher cela? Tu pouvais refuser de recevoir, Spoudias, tant qu'on ne t'aurait pas ajouté mille drachmes, comme à moi. Mais tu n'as pas eu moins que moi, je vais le montrer; et d'abord voyons en quels termes la dot a été constituée. Prends la déposition.

TÉMOIGNAGE

[27] On va me dire : Comment se fait-il qu'il n'ait pas moins reçu? En effet, les joyaux et les habits comptent pour mille drachmes dans les quarante mines données à Spoudias, tandis que les dix mines m'ont été données après coup et en surplus. C'est ce que je vais vous expliquer. Quand Spoudias, juges, a reçu sa femme de Léocrate, celle-ci lui a apporté les joyaux et les habits que Polyeucte, en la mariant à Léocrate, avait imputé sur sa dot pour mille drachmes, et qui valaient davantage (11). Prenez maintenant les présents que Polyeucte m'a envoyés en dehors de la dot, ne voyez que ces objets qui sont en ma possession, et comparez-les à ceux qui ont été donnés à Spoudias, vous trouverez que des deux côtés la valeur est à peu près égale, déduction faite de ceux qui avaient été compris pour mille drachmes dans la constitution de dot faite à Léocrate. [28] C'est donc avec raison que Polyeucte a imputé sur les quarante mines dues à Spoudias les objets qu'il avait compris dans la constitution de dot faite à Léocrate, et dont je n'avais pas reçu l'équivalent. Prends d'abord l'inventaire que voici et lis ce que chacun de nous a entre les mains. Prends ensuite le témoignage des arbitres, pour qu'on sache bien ici que Spoudias a reçu bien plus que moi, qu'un des griefs de Léocrate portait précisément sur ces objets, et que les arbitres ont rendu une décision en ce sens. Lis.

INVENTAIRE, TÉMOIGNAGE.

[29] N'est-il pas évident que Spoudias a depuis longtemps entre les mains la dot entière de quarante mines, tandis que moi j'ai reçu les trente premières mines comme lui? Mais pour les mille drachmes qui restent, ce serait peu de ne pas les avoir reçues, on prétend que je retiens indic-' ment cette somme, et que je dois la rendre. C'est pour cela, juges, que Spoudias ne voulait pas confier à nos amis le soin de nous concilier sur ses réclamations. Il savait bien que de la sorte il ne pouvait manquer d'être pris. En effet, ces amis qui ont assisté à tout, et qui savent parfaitement ce qui s'est passé, ne lui auraient pas permis de plaider tout ce qu'il aurait voulu ; au lieu que devant vous il espère bien triompher de moi et de la vérité à force de mensonges. [30] N'importe. Sur tous mes griefs je vous ai tout expliqué clairement, autant qu'il m'a été possible de le faire par moi-même. Spoudias, lui, a fui le jugement de ceux qui avaient vu les choses, pensant bien qu'il n'y avait pas moyen de les tromper. C'est donc à vous, juges, c'est à vous à ne vous laisser prendre ni à ses mensonges ni à ses calomnies. Gardez seulement le souvenir de ce que j'ai dit, car vous connaissez maintenant tous les faits, tels qu'ils se sont passés, à moins qu'il ne me soit échappé quelque chose, pressé que j'étais par le temps.
 

 

(01) Thria, dème de la tribu Oenéide.

(02) Celui qui avait des fils ne pouvait pas adopter. Celui qui avait des filles pouvait le faire, mais à la condition de faire épouser une de ses filles par l'adopté. Voy. Isée , De Pyrrhi hereditate, § 42.

(03) C'est-à-dire que la femme de Léocrate, cédant à l'influence de son père, demanda le divorce.

(04) Il ne faut pas oublier que l'ἀποτίμημα est plutôt une antichrèse qu'une hypothèque. La remise de cette garantie fournissant au créancier un moyen d'arriver au payement, devient, comme le payement, une fin de non-recevoir contre toute action de la part du débiteur.

(05) La femme athénienne ne pouvait pas aliéner ni s'obliger au delà de la valeur d'un médimne d'orge. Mais ici le prêt avait été consenti par la veuve de Polyeucte avec l'assistance de ses frères, qui étaient ses κύριοι.

(06)  Ou un parasol. Mais je crois, avec Voemel, qu'il s'agit plutôt d'une grande pièce d'étoffe formant tenture.

(07) Τὰ νεμέσια, fête de Némésis ou des morts, célébrée tous les ans, le 5 boédromion (septembre). Voy. Harpocration et les Lexiques de Séguier; Schoemann, t. H, p. 422; Hermann, t. II; § 48, note 9, et § 56, note 2.

(08) A cause de la responsabilité qui pèse sur les témoins, et dont nous avons déjà parlé.

(09) A la rigueur, l'engagement de Léocrate était superflu, Polyeucte, en s'obligeant, parlait non seulement pour lui-même, mais 'pour tous ses héritiers. Toutefois, l'engagement pris par Léocrate le rendait non-recevable à contester la dette, et à ce titre il constituait une garantie.

(10) L'usage obligeait le père à doter ses filles, mais non à les doter également. Le père pouvait avantager une fille et même un fils; mais nous ne savons pas comment se calculait la quotité disponible

(11) Il s'agit ici des présents, ἱμάτια καὶ χρυσία, bagues et joyaux, que le père de la mariée envoyait aux époux le lendemain du mariage, et qui étaient portés en grande pompe à la maison du mari. Ces présents s'appelaient ἐπαύλια δῶρα. Pausanias, apud Suid., I, p. 789; Hermann, III, § 31.