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table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE

 

 

DÉMOSTHÈNE

 

PREMIÈRE PHILIPPIQUE

 

 

Autre traduction  Catilinaires de Cicéron. et Philippiques de Démosthène ; trad. par M. l'abbé d'Olivet,...

 

texte grec

 

le texte grec se rapporte à la traduction de l'abbé d'Olivet

51 IV.

PREMIÈRE PHILIPPIQUE.

INTRODUCTION.

On a pu voir, dans notre Préambule, les premiers succès de Philippe. Sous prétexte de terminer la guerre de Phocide, il avait essayé de s'emparer des Thermopyles; mais Nausiclès, général athénien, l'avait repoussé. Les craintes inspirées par cette tentative ne furent que trop t8t dissipées. Le péril, une fuis éloigné, sembla passé sans retour. Athènes ne savait pas que, « dans ce jeu sanglant où les peuples ont disputé de l'empire et de la puissance, qui a prévu de plus loin, qui s'est le plus appliqué, qui a duré le plus longtemps dans les grands travaux, et enfin qui a su le mieux ou se pousser ou se ménager suivant la rencontre, à la fin a eu l'avantage, et a fait servir la fortune même à ses desseins (a).  » Le rusé monarque lui-même travaillait à se faire oublier de ceux qu'il avait si vivement armés. « Quand il s'aperçut que ses desseins étaient pénétrés, il en différa l'exécution pour la mieux assurer, et mit son adresse à se rendre obscur après avoir joui d'une si grande célébrité ; il chercha même à exciter le mépris, pour cesser, en apparence, d'être redoutable. Il s'ensevelit pendant plus de deux ans à Pella, sa capitale, ne se montrant occupé que de plaisirs. On le voyait entouré de peintres, de sculpteurs, d'architectes, de comédiens, de bouffons, d'hommes perdes de débauche, et sans doute aussi d'hommes d'un véritable mérite, qu'ils savaient cacher à la multitude. On ne parlait plus que des vices du prince et de sa crapule, et l'on oubliait son génie (b).  » Aussi, les Athéniens avaient cru faire assez en gardant leurs frontières avec une petite -année commandée par un étranger.

Ils venaient de rendre grâces aux dieux, comme après une victoire. Cependant un reste de frayeur semble disposer quelques-uns à la défiance, d'autres au découragement. Démosthène alors, qui, dans les premiers pas de Philippe, a deviné le dernier terme où il aspire (c), accourt à la tribune (ol. 101, 1; 352).

Plusieurs motions avaient été présentées ; aucune ne satisfait notre orateur. II sent bien que, dans la position actuelle, on promettra beaucoup et on exécutera peu. II ne demande donc que ce qu'il croit pouvoir obtenir; il demande, avant tout, ce que .l'insouciance athénienne élùde sans cesse, la présence des citoyens sous les drapeaux. Trois propositions principales embrassent tout l'ensemble de cette vive et rapide harangue :

1° Les Athéniens peuvent vaincre Philippe : j. q. Ὡς μὲν οὖν δεῖ τὰ προσήκοντα π.

2° Comment peuvent-ils le vaincre? Détail des moyens, et de tous les préparatifs nécessaires : j. q. la fin.

3° Ils doivent l'entreprendre (ἔτι δεῖ τὴν Μακεδονίαν κακῶσαι, Scol.) : proposition habilement fondue dans les deux premières (d).

« A deux mille ans de Philippe et de la liberté, dit M. Villemain, les paroles de Démosthène entraînent encore. La diction est soignée, énergique, familière, les bienséances adroites et nobles, les raisonnements d'une force incomparable; mais c'est le discours entier qui est animé d'une vie intérieure, et poussé d'un souffle impétueux. Au milieu de cette véhémence, on doit être frappé .de la raison supérieure et des connaissances politiques de l'orateur. Ces discours, pleins de verve et de feu, renferment les instructions les plus précises et les plus salutaires sur tous les détails du gouvernement et de la guerre. L'orateur ne déclame jamais dans un sujet où la déclamation pouvait paraître éloquente. Il expose une entreprise de Philippe, en montre les moyens, les obstacles, les dangers; il peint la langueur des Athéniens, il les conjure de faire un grand effort, il les instruit de, leurs ressources, il leur compose une armée, il leur trace un plan de campagne : une courte harangue lui a suffi pour tout dire (e).  » C'est ici surtout que Démosthène se montre censeur austère de ses concitoyens. « L'âpre indépendance de ses reproches étonne, et s'explique toutefois, soit par l'habileté avec laquelle, à l'aide de louanges opportunes et délicates, il relève de temps à autre les Athéniens à leurs propres yeux, soit par la conviction profonde de son patriotisme et de sa bonne foi qu'il sait habilement répandre au-tour de lui, conviction si propre à désarmer les susceptibilités ombrageuses que son inflexible franchise pouvait soulever (f)  ».

DISCOURS.

52 [1] Si l'on eût annoncé la discussion d'une affaire nouvelle, ô Athéniens (01) ! j'attendrais que la plu-part des orateurs qui fréquentent cette tribune eussent opiné; et, si j'approuvais quelqu'un de leurs avis, je garderais le silence; sinon, j'essayerais à mon tour d'exposer ma pensée. Mais, puisque le même sujet qu'ils ont déjà traité tant de fois se trouve encore aujourd'hui soumis à l'examen, on me pardonnera, j'espère, de m'être levé le premier (02). Car enfin, si, par le passé, leurs conseils avaient répondu à vos besoins, vous ne seriez pas réduits à consulter encore. [2] Commencez, hommes d'Athènes ! par ne point désespérer de votre situation, malgré sa très fâcheuse apparence : car la cause même de vos revers précédents est le meilleur motif d'espérance pour l'avenir. Comment cela? Votre extrême négligence, ô Athéniens! a produit vos malheurs. Sans doute, sils étaient arrivés malgré l'accomplissement de tous vos devoirs, alors seulement l'espoir d'une amélioration serait perdu. [3] Ensuite, et vous qui l'avez apprise des autres, et vous qui l'avez vue et en gardez le souvenir, songez à l'attitude si noble d'Athènes contre les Lacédémoniens tout puissants (03), à ce respect de votre propre gloire, qui vous chargea dernièrement du poids de la guerre pour défendre contre Sparte les droits de la Grèce. Pourquoi vous citer cet exemple? pour vous montrer nettement, ô Athéniens ! que, si vous veillez, Il n'est point de péril pour vous, mais aussi que, par votre incurie, rien ne réussit au gré de vos voeux. J'en atteste et Lacédémone, dont l'empire fut vaincu par votre activité, et l'insolent (04), qui nous trouble aujourd'hui, parce que nous refusons à la chose publique les soins nécessaires.

[4] Quelqu'un de vous, peut-être, pensant à cette nombreuse armée dont Philippe dispose, et à toutes les places qu'il a enlevées à la république, le croira difficile à réduire : ce serait raisonner juste. Cependant, qu'il considère qu'autrefois Athènes avait sous son obéissance et Pydna, et Potidée, et Méthone, et le cercle entier de cette contrée (05) ; que la plupart des peuples maintenant soumis à Philippe étaient libres, autonomes, et préféraient notre alliance à la sienne. [5] Si donc alors Philippe se fût arrêté à ce raisonnement : Seul, sans alliés, je ne puis attaquer les Athéniens, dont les nombreuses forteresses dominent mes frontières; non, ce qu'il a maintenant exécuté, il ne l'eût jamais entrepris; non, il ne se fût pas élevé si haut. Mais il savait bien, lui, que toutes ces places sont des récompenses guerrières exposées au milieu de l'arène (06) ; que naturellement les absents sont dépossédés par les présents, les indolents par les hommes hardis et infatigables. [6] Réalisant cette maxime, il a tout subjugué, tout envahi, ici par droit de conquête, là sous le titre d'ami et d'allié : car on recherche l'alliance et l'amitié de ceux que l'on volt les armes à la main, et décidés à frapper où il faut. [7] Si donc à votre tour, ô Athéniens ! vous voulez aujourd'hui, puisque vous ne l'avez fait plus tôt, régler votre conduite sur ce même principe; si chacun, écartant tout subterfuge, s'empresse de subvenir, selon son pouvoir, aux besoins publics, les riches par des contributions, les jeunes en prenant les armes; en un mot, si vous êtes résolus à ne dépendre que de vous-mêmes ; si chaque citoyen ne se berce plus de l'espoir que, dans son oisiveté, le voisin fera tout pour lui : alors, Dieu aidant, vous recouvrerez vos possessions, alors vous réparerez les malheurs de votre négligence, alors vous châtierez cet homme. [8] Car ne vous figurez point Philippe comme une divinité à laquelle est attaché un bonheur impérissable : il est un objet de haine, de crainte, d'envie, même pour tel qui lui semble le plus dévoué. Comment ne pas supposer à ceux qui l'entourent, toutes les passions des autres hommes? Mais maintenant elles manquent de soutien, timidement comprimées sous cette lenteur, sous cette inertie qu'il faut, je le répète, secouer dès aujourd'hui. [9] Voyez, en effet, ô Athéniens jusqu'où s'est débordée l'audace de l'homme : il ne vous laisse plus le choix entre l'action et le repos; il menace (07) ; il profère, dit-on, des paroles hautaines ; incapable de se borner aux envahissements qu'il a faits, il s'environne chaque jour de nouvelles conquêtes, et, tandis que nous temporisons immobiles, il nous cerne, il nous investit de toutes parts.

[10] Quand donc, ô Athéniens ! quand ferez-vous votre devoir? Qu'attendez-vous? un événement, ou la nécessité ; par Jupiter (08) ! Mais quelle autre idée se faire de ce qui arrive? Moi, je ne connais point de nécessité plus pressante pour des âmes libres que l'instant du déshonneur. Voulez-vous toujours, dites-moi, aller vous questionnant çà et là sur la place publique :  « Que dit-on de nouveau? » Eh ! qu'y aurait-il de plus nouveau qu'un Macédonien vainqueur d'Athènes, 53  et dominateur de la Grèce? « Philippe est-il mort (09) ? — Non, par Jupiter ! il est malade. [11] Mort ou malade, que vous importe? S'il lui arrive malheur, et que votre vigilance demeure au même point, à l'instant vous ferez surgir un autre Philippe : car celui-ci doit moins son agrandissement à ses propres forces qu'à votre Inertie (10). [12] D'ailleurs, si la fortune disposait de lui ; si, toujours plus zélée pour nous que nous-mêmes, elle nous secondait et consommait son oeuvre, sachez qu'étant près des lieux, surprenant le pays dans le trouble d'une révolution générale, vous feriez tout plier sous votre loi : mais dans votre situation actuelle, quand la fortune vous ouvrirait les portes d'Amphipolis, vous ne pourriez entrer dans une ville d'où vos armements et vos projets vous laissent si éloignés (11).

[13] Montrer une volonté forte, un vif empressement pour faire votre devoir, est une nécessité dont je vous crois tous pénétrés, et je n'insiste point. Mais quels sont les préparatifs les plus propres à vous délivrer de si grands embarras? quelle doit être l'étendue de vos forces? quels seront les subsides ? quelles mesures me semblent les plus efficaces et les plus. promptes? voilà ce que je vais essayer de dire, après vous avoir demandé une seule chose, hommes d'Athènes ! [14] Avant de fixer votre opinion, écoutez tout, ne préjugez rien; et, si je parais d'abord proposer de nouveaux apprêts, n'allez pas croire que je retarde les résultats. Car le cri, Vite ! dès aujourd'hui! n'est pas le conseil le plus opportun, puisque nous ne pourrions, avec un secours instantané (12), rien changer aux événements : [15] mais vous servir, c'est exposer les armements nécessaires, leur quantité, le moyen de les effectuer et de les rendre permanents jusqu'à ce que nous ayons de plein gré renoncé aux hostilités, ou vaincu l'ennemi. Par là seulement, nous serons désormais à l'abri de toute insulte. Tels sont les points que je crois devoir traiter, sans empêcher personne d'apporter ici d'autres promesses. La mienne est très grande : mais la suite l'éprouvera; vous prononcerez.

[16] Je dis donc, Athéniens, qu'il faut d'abord armer cinquante trirèmes, puis vous résoudre, au besoin, les monter en personne. Je demande encore que l'on équipe, pour la moitié de la cavalerie, un nombre suffisant de bâtiments de charge et de transport. [17] Voilà, je crois, les moyens de défense que vous devez opposer à ces excursions soudaines du Macédonien aux Thermopyles (13), dans la Chersonèse, à Olynthe, partout où il veut. Il faut le frapper de cette idée que, sortis de votre léthargie, vous pourriez fondre sur lui aussi impétueusement que dans votre ancienne expédition d'Haliarte (14), qu'en Eubée, et tout récemment aux Thermopyles. [18] Quand vous n'exécuteriez qu'une partie du plan que je trace, n'en dédaignez point les résultats. Parfaitement instruit de vos apprêts ( car il n'a parmi nous, il n'a que trop de fidèles espions), ou Philippe intimidé s'arrêtera ; ou, s'il n'en tient compte, vous le surprendrez sans défense, puisque, à la première occasion, rien ne vous empêchera d'opérer une descente sur ses côtes. [19] Tel est le projet pour lequel je réclame votre unanime approbation tels sont les préparatifs qu'il faut ordonner à l'instant.

J'ajoute, Athéniens, que vous devez avoir sous la main des forces prêtes à attaquer sans relâche, à harceler l'ennemi. Ne me parlez ni de dix mille ni de vingt mille étrangers, ni de ces grandes armées qui n'existent que sur le papier (15). Je veux des troupes qui soient à la patrie. Quels que puissent être et le nombre et la personne des généraux de votre choix, elles obéiront et suivront. Mais aussi, pourvoyez à leur subsistance. [20] Quelles seront ces troupes? leur nombre ? les ressources pour les entretenir? Comment exécuter ces mesures? Je répondrai à tout, et avec ordre. Quant aux mercenaires étrangers, n'allez pas faire ce qui vous a nui trop souvent. Franchissant les bornes du nécessaire, vos projets sont magnifiques dans vos décrets : faut-il agir? l'exécution est nulle. Commencez par de modestes préparatifs; ajoutez-y, si vous en reconnaissez l'insuffisance. [21] Je demande donc, en tout, deux mille fantassins, dont cinq cents Athéniens, de l'âge que vous jugerez convenable. Le temps de leur service, fixé d'avance, sera assez court pour qu'ils se relèvent successivement. Les autres seront des étrangers. Ayez encore deux cents cavaliers, dont au moins cinquante soient d'Athènes, et servent aux mêmes conditions que l'infanterie. Fournissez-leur des bâtiments de transport. [22] Soit, direz-vous, que faut-il de plus? Dix trirèmes légères ; puisque Philippe a une marine, nous avons besoin de galères rapides, pour assurer le trajet de nos soldats. Mais comment les ferons-nous subsister? je vais vous l'apprendre, après avoir expliqué pourquoi je crois ces forces suffisantes, et pourquoi j'exige des citoyens le service personnel.

[23] Ces troupes suffisent, Athéniens, vu l'impossibilité de lever maintenant une armée qui hasarde contre Philippe une bataille rangée. Force sera de débuter par des courses et le pillage (16). Or, pour cette espèce de guerre, nos troupes ne doivent être ni très considérables, car elles manqueraient de solde et de vivres, ni trop. peu nombreuses. [24] Je veux que des citoyens soient là et 54  s'embarquent avec elles, parce que j'ai appris qu'autrefois notre ville entretenait à Corinthe (17) en corps d'étrangers commandés par Polystrate, Iphicrate, Chabrias et d'autres chefs; que vous accourûtes vous-mêmes sous les drapeaux, et qu'ainsi confondus dans les mêmes rangs, citoyens et étrangers, vous vainquîtes les Lacédémoniens. Mais, depuis que votre soldatesque mercenaire tient seule la campagne, elle ne triomphe que de vos amis et de vos alliés; l'ennemi grandit outre mesure; et, après avoir jeté un regard distrait sur la guerre entreprise par Athènes, elle s'embarque et va offrir ses services à Artabaze (18), ou partout ailleurs. Son général la suit : est-ce étonnant? cessant de payer, il cesse d'être obéi. [25] Que veux-je donc? je veux enlever et au chef et aux soldats le prétexte des mécontents, en assurant la paye, en plaçant sur les lieux des soldats-citoyens qui surveilleront la conduite des généraux. Aujourd'hui, en effet, notre politique est risible. Que l'on vous demande, êtes-vous en paix, Athéniens? — Nous ! vous écrierez-vous, non, par Jupiter ! nous sommes en guerre avec Philippe ! [26] Il est vrai, car vous élisez parmi vous dix taxiarques, dix stratèges, dix tribuns, et deux hipparques (19). Mais que font ces gens-là? Hors un seul, que vous envoyez à la guerre, tous vont parader à vos processions avec les inspecteurs des sacrifices. Tels que des mouleurs en argile, vous fabriquez et taxiarques et tribuns pour l'étalage, non pour le guerre. [27] Eh ! pour que votre armée fût vraiment l'armée d'Athènes, ne faudrait-il pas confier le commandement à des taxiarques athéniens, à des hipparques athéniens? Mais non, c'est un citoyen qu'il faut embarquer comme hipparque pour Lemnos (20) ! et la cavalerie qui protée les possessions de la république doit recevoir les ordres de Ménélas ! Non que je reproche rien à ce chef; je dis seulement : Quel qu'il soit, c'est parmi vous qu'il devait être élu.

[28] Peut-être jugeant ces observations fondées, êtes-vous impatients d'apprendre quelle sera la dépense, et d'où nous la tirerons. Je vais vous satisfaire. Le total, pour vivres et munitions seulement, s'élèvera un peu au delà de quatre-vingt-dix talents (21), savoir : quarante talents aux dix vaisseaux d'escorte, à raison de vingt mines par mois pour chaque vaisseau ; autant aux deux mille fantassins, d'après le calcul mensuel de dix drachmes par tête ; enfin, aux deux cents cavaliers douze talents, à trente drachmes par mois pour chacun. [29] Et gardez-vous de croire que ce soit trop peu de pourvoir à la seule nourriture du soldat. Accordez cet objet, je suis certain que la guerre lui fournira le reste, et que, sans rançonner ni Grecs ni alliés, il saura compléter sa solde. Moi-même, embarqué volontaire, je répondrais sur ma tète de ce que j'avance. Les fonds que je demande, comment nous les procurer? le voici.

La lecture de l'opinion de l'orateur sur les voies et mores est faite par un greffier. Démosthène poursuit (22) :

[30] Telles sont, d Athéniens ! les ressources que nous avons pu trouver. Lorsqu'un avis aura obtenu la majorité, que l'exécution des mesures arrêtées par vous soit aussi votée, afin de ne plus guerroyer contre Philippe à coups de décrets et de messages, mais le fer à la main.

[31] Or, il me semble que votre délibération et sur cette campagne et sur l'ensemble des préparatifs sera beaucoup plus éclairée si vous retracez dans vos esprits la contrée où vous combattez, si vous réfléchissez que Philippe profite des vents et des saisons pour vous prévenir, pour assurer ses nombreux succès, et qu'il n'attaque qu'après avoir épié le retour des vents étésiens (23) ou de l'hiver, moments où il nous serait impossible de l'atteindre. [32] Pénétrés de cette considération, cessez de lui opposer des levées instantanées (nous arriverions toujours après l'événement) ; que vos préparatifs, que votre armée soient en permanence. Vous avez, pour la faire hiverner, Lemnos, Thasos, Sciathe, et d'autres îles de cet archipel, où l'on trouve ports, vivres, et tout ce qui est nécessaire à des troupes en campagne. Pendant la saison qui permettra de longer les côtes et de se confier aux vents, nos vaisseaux cerneront facilement le pays même, et bloqueront les ports des villes de commerce (24).

[33] Sur la manière et sur le temps de faire agir l'armée, laissez le général placé par vous à sa tête prendre conseil des circonstances. Votre objet, à vous, est d'exécuter ce que j'ai proposé dans mon mémoire. Si vous commencez, ô Athéniens ! par fournir les subsides que je demande; si, après avoir tout disposé, vaisseaux, fantassins, cavalerie, vous astreignez par une loi l'armée entière à rester sous les drapeaux ; si, devenus trésoriers et dispensateurs de vos fonds, vous demandez compte de la campagne au général, vous ne prolongerez plus sur la même matière des délibérations sans fin et sans résultat. [34] Autre avantage, Athéniens : vous enlèverez à Philippe le plus riche de ses revenus. Quel est-il? les dépouilles ravies sur mer aux alliés d'Athènes, et qu'il fait servir à combattre Athènes. Que gagnerez-vous encore? vous-mêmes ne serez plus exposés à ses pirateries : Il ne se jettera plus dans Lemnos, dans Imbros (25), pour enchaîner vos concitoyens, et les traîner à sa suite; Geraestos ne le verra plus envelopper vos vaisseaux et y recueillir des sommes immenses; il ne descendra 55 plus., comme récemment, sur Marathon, pour
enlever la trirème Sacrée : brigandages que vous ne pûtes empêcher, parce que vos secours passagers n'accouraient jamais au moment fixé. [35] Toutefois, ô Athéniens l savez-vous pourquoi les Panathénées, les Dionysiaques sont toujours solennisées au temps prescrit, quelles que soient les chances d'habileté ou d'impéritie des ordonnateurs de ces deux fêtes, où vous dépensez plus d'or que pour une expédition navale, et dont le tumultueux appareil est, je crois, sans exemple, tandis que toutes vos flottes arrivent après coup et à Méthone, et à Pagases (26), et à Potidée? [36] C'est que ces premiers objets sont tous réglés par la loi ; c'est que chacun connaît longtemps d'avance le chorège, le gymnasiarque de sa tribu, ce qu'Il doit faire, quand, par quelles mains et quelle somme il recevra; là, rien n'est imprévu, indécis, négligé : mais, pour la guerre et les armements, nul ordre, nuite règle, nulle précision.

A la première alerte, nous nommons des triérarques, nous procédons aux échanges, nous rêvons aux ressources pécuniaires. Ces préliminaires terminés, nous décrétons l'embarquement de l'étranger domicilié, puis de l'affranchi, puis du citoyen qui les relève. Les délais se prolongent, et déjà nous avons perdu les places vers lesquelles nous devrions cingler. [37] Car le temps d'agir, nous le consumons à préparer : cependant l' occasion n'attend ni notre lenteur ni nos détours ;  et ces forces que nous comptons avoir, dans l'intervalle, armées pour nous, sont, au moment décisif; convaincues d'impuissance. Aussi l'homme pousse déjà l'insolence jusqu'à écrire aux Eubéens des lettres conçues en ces termes :

Lecture d'une Lettre de Philippe (27).

[38] La plupart des choses qu'on vient de lire, Athéniens, sont trop vraies; mais elles ne sont pas agréables à entendre. Les supprimer dans la crainte de vous affliger, serait-ce les effacer des affaires? votre plaisir alors sera la loi de l'orateur. Mais, si le gracieux parler, employé à contre-temps, n'aboutit qu'à votre perte, quelle honte, ô mes concitoyens! de vous abuser vous-mêmes, de reculer toute entreprise déplaisante, de vous traîner dans toutes les opérations, [39] de ne pouvoir vous convaincre que, pour bien conduire une guerre, il faut, non suivre les faits, mais les précéder, et que, semblable au général dont te poste est aux premières lignes de son armée, un peuple à politique sage doit marcher à la tête des affaires, afin d'exécuter ce qu'il a résolu, loin. de ramper en esclave à la suite des événements ! [40] Pour vous, ô Athéniens! bien que vous possédiez les forces les plus imposantes de la Grèce en vaisseaux, en grosse infanterie, en cavalerie, en revenus (28), jusqu'à ce jour, malgré tous vos mouvements, vous n'avez profité d'aucun de ces avantages. Le pugilat des barbares, voilà votre routine de guerre contre Philippe. L'un d'eux a-t-il reçu un coup? il y porte aussitôt les mains; le frappe-t-on ailleurs? ses mains s'y appliquent encore : mais parer, mais regarder fixement l'antagoniste; il ne le sait, il ne l'ose (29). [41] Ainsi, apprenez-vous que Philippe est dans la Chersonèse? décret pour secourir la Chersonèse; aux Thermopyles? décret pour les Thermopyles ; sur quelque autre point? vous courez, vous montez, vous descendez à sa suite. Oui, vous manoeuvrez sous ses ordres, n'arrêtant vous-mêmes aucune mesure militaire importante, ne prévoyant absolument rien, attendant la nouvelle du désastre d'hier ou d'aujourd'hui. Autrefois, peut-être, vous pouviez impunément agir ainsi ; mais la crise approche, et veut une réforme.

[42] Ne serait-ce pas un Dieu, Athéniens qui, honteux pour notre république de tant d'affronts, a lancé dans le coeur de Philippe cette inquiète activité (30) ? Si, rassasié de conquêtes faites en vous devançant toujours, il s'avisait de rester tranquille, s'il s'arrêtait dans sa course, je crois voir plus d'un citoyen se résigner à des pertes qui accusent notre lâcheté et qui voueraient la nation à l'infamie. Mais, toujours agresseur, toujours affamé d'agrandissement, il vous réveillera peut-être, si vous n'avez pas rejeté tout espoir. [43] Pour moi, j'admire, ô Athéniens ! qu'il ne s'élève chez aucun de vous ni réflexion ni colère en voyant une guerre, commencée pour châtier Philippe, dégénérer sur la fin en défensive contre Philipe Mais encore, il ne s'arrêtera point, c'est évident, si on ne lui barre le chemin. Et voilà ce que nous attendrons toujours? et, pour avoir expédié, sur des galères vides, des espérances jetées par quelque téméraire, vous croirez que tout va à merveille? [44] Nous ne nous embarquerons pas? Nous ne sortirons pas en personne, en réunissant une partie des soldats-citoyens, puisque nous ne l'avons pas fait plus tôt? Nous ne cinglerons pas vers son royaume? Où aborder? dira-t-on. Attaquons seulement, ô Athéniens ! la guerre elle-même découvrira (31) l'ulcère gangrené de l'ennemi. Mais, si nous restons dans nos foyers, oisifs auditeurs de harangueurs qui s'accusent et se déchirent à l'envi, jamais, non jamais nous n'exécuterons une seule mesure nécessaire. [45] Sur quelque point qu'une partie seulement des citoyens concerte une expédition navale, les dieux bienveillants et la Fortune combattront avec nous. 56  Au contraire, partout où vous enverrez un général sans soldats, un décret sans force, de chimériques promesses de tribune, rien ne vous réussira. Objet de risée pour vos ennemis, de tels armements sont la mort et l'effroi de vos alliés. [46] Impossible, en effet, impossible qu'un chef seul porte jamais l'énorme fardeau dont vous le chargez ; mais promettre, payer de paroles, puis rejeter le désastre sur autrui, voilà ce qu'il peut ; or voilà aussi notre ruine. Un général mène à la guerre de malheureux étrangers sans solde; des hommes légers (32) accourent à cette tribune calomnier ce qu'Il a fait loin de nous; sur de tels ouï-dire, juges aussi légers, vous lancez au hasard une condamnation : à quoi faut-il donc s'attendre? [47] Quel remède à ces maux ? c'est de désigner des citoyens pour être à la fois soldats, surveillants de vos généraux, et leurs juges après le retour dans les foyers. Par là, vous connaîtrez vos affaires mieux que sur de simples rapports : présents sur les lieux, vous les verrez vous- mêmes. Mais aujourd'hui, ô comble d'ignominie tous vos généraux s'exposent deux ou trois fois à périr par vos sentences, et pas un n'a le coeur de hasarder sa vie dans un seul combat. La mort des scélérats et des brigands, ils la préfèrent à celle des guerriers : car c'est par une condamnation que le malfaiteur doit mourir ; mais un général ! c'est l'épée à la main, en face de l'ennemi.

[48] Quelques-uns de vous, colportant les nouvelles, affirment que Philippe trame, avec Lacédémone, la ruine de Thèbes et le démembrement de nos démocraties; ceux-ci lui font envoyer des ambassadeurs au Grand-Roi, ceux-là fortifier des places eu Illyrie : chacun forge sa fable, et la promène  [49] Pour moi, Athéniens, de par les dieux ! je crois cet homme enivré de ses magnifiques exploits, je crois que mille songes brillants amusent son imagination, parce qu'il ne voit aucune barrière s'élever devant lui, et qu'il est enflé de ses succès. Mais, j'en atteste Jupiter, Il ne combine pas ses desseins de manière à les laisser pénétrer par ces sots du plus bas étage: or, ces sots, qui sont-ils? les nouvellistes (33). [50] Si, leur laissant leurs rêveries, nous considérons que cet homme est notre ennemi, notre spoliateur, que depuis longtemps il nous outrage., que tous les secours sur lesquels nous comptions se sont tournés contre nous, que désormais notre ressource est en nous seuls; que refuser maintenant de porter la guerre chez lui, ce serait certainement nous imposer la fatale nécessité de la soutenir aux portes d'Athènes; si tout cela nom est bien connu. nous saurons ce qu'il importe de savoir, et nous repousserons d'ineptes conjectures. Car votre devoir n'est pas de creuser l'avenir (34) ; mais les malheurs que cet avenir rapportera si vous ne secouez votre insouciante mollesse, voilà ce qu'Il faut regarder en face.

[51] Pour moi, qui jamais n'entrepris de proposer, pour vous plaire, une démarche contraire, dans ma conviction, à vos intérêts (35), aujourd'hui, encore je viens de m'expliquer avec liberté, simplicité, franchise. Heureux ; si j'étais sûr qu'il sera aussi utile à l'orateur de vous offrir les meilleurs conseils, qu'à vous de les recevoir ! Combien ma tâche aurait été plus douce ! J'ignore en qui me reviendra des miens : n'importe ! persuadé que votre avantage est de les suivre, j'ai parlé. Puisse prévaloir l'avis qui doit vous sauver  tous !

 

 

NOTES SUR LA PREMIÈRE PHILIPPIQUE

(a).Disc. sur l'Hist. Univ. IIIe. part., c. 2.

(b) Lévesque, Et. sur l'Hist. gr., t. III, p. 343.

(c) M. Villemain, art. Démosth. (Biogr. Univ.)

(d) D'Olivet, Argum. des Philippiq.

(e) Art. Démosth (Biogr. Univ.). J'ai cru pouvoir placer en tête de ce discours ce jugement général de notre célèbre critique sur les harangues contre Philippe.

(f) M. Boullée, Vie de Dém. p. 66. 

(01) Texte de Voemel (Detmosth. Philipp. orat. v, ex recens. Bekkeri cum trib. codd. mscr. coll. Francof. 1829). Je l'ai revu sur ceux de Dobson, Reuter et Bremi.

Interprétation et notes : Commentaires de Voemel et de Reuter ; Apparatus, t. 1, p. 318 ; Jacobs, 1833.

Secours accessoires : versions lat. de J. Wolf, Lucchesini, Jouvancy; -- Rochefort : 3e Mémoire sur Démosth. ( Acad. des Inscript. t. XLVI ). -- Tournay ; Tourreil ; d'Olivet ; Auger : 1° texte, t .1, 1790; 2° trad. 1777; 3° éd. de M. Planche ; Gin ; M. Jager. Töpffer. Har. polit. de Démosth. Genève, 1824). -- Dobson, Orat. Att., t. 9, 10, 11, 15.

(02) Démosthène n'avait alors que trente-trois ans.

(03) Lacédémone avait rasé les murs d'Athènes, pris la citadelle de Thèbes, réduit Argos et Corinthe à se faire honneur d'être ses alliées. Thèbes, pour secouer le joug, excita la guerre appelée Béotique, où les Athéniens contribuèrent avec éclat, pendant quelque temps, à la défaite des Lacédémoniens. Ces derniers événements eurent lieu environ 25 ans avant l'époque où parle Démosthène.

(04) Τούτου, istius, expression de mépris. De même ailleurs, Μακέδων ἀνὴρ, ὁ ἐν Πέλλῃ τραφείς, ἄνθρωπος. Chatam désigne quelquefois Walpole de la même manière : This man. Servan, dans sa Philippique contre Mirabeau : « Vous vous êtes condamnés à passer au travers de toute la postérité dans la compagnie de cet homme. »

(05) De cette contrée : c'est-à-dire, tout le littoral du golfe Chermaïque, aujourd'hui golfe de Salonique. — La plupart des peuples : Illyriens, Thraces, Péoniens, Thessaliens.

(06) Métaphore empruntée des jeux publics (Ulpien). Catilina, dans Salluste, dit à ses soldats :  « En illa, illa quae saepe optastis, libertas ; posterea divitiae, decus, gloria in oculis sita sunt.  Fortuna ea omnia victoribus praemia posuit. » (Ch.. 20.) Et Cyrus, dans Xénophon (Cyrop. II, 3) : Τὰ τῶν ἡττομένων ἀγαθὰ πάντα τοῖς νικῶσιν ἐπὶ ἄθλα πρόκειται.

(07) Il menace, etc., surtout dans set dépit, lorsqu'il fut repoussé des Thermopyles. (Lucches., Jacobs.)

(08) Tournay : « Et mesme sera-ce, ô bon Dieu éternel ! quand la nécessité vous hastera d'aller ? » Tous nos traducteurs se sont transmis ce contre-sens, évité par M. V. Le Clerc, qui cite ce morceau dans sa Rhétorique. Νὴ Δί' est affirmatif. Jacobs, sans traduire ces deux mots, rejette l'interrogation.

(09)  Le bruit en avait couru à l'occasion de la blessure reçue par ce prince au siége de Méthone.

La Harpe est-il bien mort? Tremblons ! de son tombeau
On dit qu'il sort, armé d'un Gustave nouveau.

(GILBERT. Le XVIIIe siècle.)

Vous ferez surgir un autre Philippe. Oui, car, avant le roi de Macédoine, Jason de Phères et Charidèsne d'Oréos avaient déjà rêvé la conquête de la Grèce. (Voemel.) Toutes les circonstances voulaient qu'il parût un Philippe, et que la Grèce reçût un modérateur. (Levesque, Et. de l'Hist. an., t. III, p. 341.)

(10) C'est là ce passage célèbre, si admiré du scoliaste, de Longin et d'Hermogène. Après l'avoir traduit dans sa Lettre sur l'Éloquence, Fénelon ajoute : « Voilà le bon sens qui parie sans autre ornement que sa force. Il rend la vérité sensible à tout le peuple; il le réveille, il le pique, il lui montre l'abîme ouvert. Tout est dit pour le salut commun; aucun mot n'est pour l'orateur. » Démosthène s'est plu à reproduire dans la Chersonèse et la quatrième Philippique, cette apostrophe d'une simplicité si dramatique et si véhémente. Voyez aussi ses disc sur l'Ambassade et sur la Lettre de Philippe. Elle n'a pas manqué d'imitateurs :on peut citer, chez les anciens, un morceau d'Héliodore, Ethiopiq. l.1, c. 25, et, parmi nous, l'appel du camp adressé par Vergniaud aux Parisiens, ces Athéniens de l'Europe moderne. « J'entends dire chaque jour : Nous pouvons essuyer une défaite; que feront alors les Prussiens? viendront-ils à Paris ?.... Non, ils n'y viendront pas; non, si vous préparez des postes d'où vous puissiez opposer une forte résistance... Mais, si une terreur panique ou une fausse sécurité engourdit notre courage et nos bras, il serait bien insensé, l'ennemi, de ne point nous surprendre dans nos discordes, de ne pas triompher sur nos ruines ! Au camp donc, citoyens, au camp ! Hé quoi ! tandis que vos concitoyens, vos frères, par un dévouement héroïque, abandonnent ce que la nature doit leur faire chérir le plus, leurs femmes, leurs enfants, demeurerez-vous plongés dans une molle et déshonorante oisiveté? N'avez-vous pas d'autre manière de prouver votre zèle qu'en demandant sans cesse, comme les Athéniens : « Qu'y a-t-il aujourd'hui de nouveau ? » Ah ! détestons cette avilissante mollesse ! Au camp, citoyens; au camp ! » (Ass. nat. 16 sept. 1792 ).

« On espère dans la mort de l'empereur de Russie! Que Nicolas vienne à mourir, et bientôt la pusillanimité du gouvernement aura fait naître cent autres Nicolas. » (Attwood, dans une réun. polit. 29 novembre 1837.)

(11) Voyez, sur Amphipolis, la section de notre Préambule. — ἀπηρτημένοι. Ulpien explique ce mot par κρεμάμενοι. De là Wolf, etc : vestris et apparartibus et animis fluctuantes. — Un autre scoliaste donne pour synonyme κεχωρισμένοι (τῶν πραγμάτων). De là, Lennep, Jacobs, etc : remoti, disjuncti ; scil cum rebus non adsitis, cum longius aberretis in apparatu et consiliis. Ni l'un ni l'autre de ces deux sens ne répond à l'ensemble de la phrase. Ἀπητρημένοι est le développement de ὡς δὲ νῦν ἔχετε ; et ces derniers mots sont opposés à πλησίον μὲν ὄντας : donc, ἐπηρτημένοι, que je prends aussi comme synonyme de κεχωρισμένοι a pour complément sous-entendu le mot voisin Ἀμφίπολιν (Ἀμφιπολέως).

(12) Libanius, dans le sommaire de ce discours, oppose βοηθείας aux mots πολεμοῦσαν ἀδιαλείπτως, belligerantem indesinenter. Plus bas Démosthène présentera une opposition semblable : μὴ βοηθείας πολεμεῖν, ἀλλὰ παρασκευῇ συνεχεῖ καὶ δυνάμει. Il la répète dans la Chersonèse. Enfin, dans la phrase qui nous occupe, le mot διαμεῖναι produit encore cette antithèse. Donc, comme l'ont fort bien vu Voemel et Reuter, βοηθεία signifie ici subitarii milites, ou repetina auxilia (Liv. III, 4 ). Ces troupes sont probablement celles qu'on avait récemment levées à la hâte pour fermer à Philippe les Thermopyles, et qui n'étaient pas encore licenciées. Ulpien se trompe en opposant βοηθεία à παρασκευή.

(13) — Aux Thermopyles. v. l'introd. à cette harangue. — Philippe avait cherché à soulever les villes de la Chersonèse de Thrace contre la république athénienne; mais on ne sait rien d'une expédition qu'il ait entreprise dans cette contrée vers l'époque où ce discours a été prononcé. — Démosthène (1e Olynth.) parle d'une tentative faite par ce prince contre Olynthe, peu après le siége d'Héraeum.

(14) Leland et Jacots ont prouvé, contre Tourreil, que, dans l'ancienne expédition d'Haliarte, les intérêts de Philippe s'étaient pas en jeu. Cette ville de Béotie (auj. Tridouni) près du lac Kopaïs, fut assiégée par Lysandre (ol. xcvi, 2 ; 395), qui périt dans une vigoureuse sortie des Thébains et des Athéniens. Plus tard, Thrasybule força à la retraite le roi de Sparte Pausanias, qui marchait contre cette place.

(15) ἐπιστολιμαίους δυνάμεις, I. q. τὰς ἐν ἐπιστολαῖς γραφομένας μόνον δυνάμεις, ἔργῳ δὲ ἐν πολέμῳ μὴ θεωρουμένας, armées qui n'existaient que dans des lettres, et qui ne figuraient pas à la guerre; troupes mendiées dans des circulaires. Cette scolie, tirée des Anecd.. de Bekker, t. 1, p, 253, est l'explication la plus naturelle de ces deux mots, auxquels deux autres scoliastes (Dobs. t.x, p. 293) ont donné la torture. Tourreil discute quatre sens différents; d'Olivet a entrevu la véritable. Voemel cite un passage analogue, tiré d'un décret allemand de 1713. « Vous aurez une armée sur le papier; mais une armée sur le terrain, non. ».  Disc, de M. de Briqueville à la, Ch. des Dép. 13 Juin. 1833. — qui soient à la patrie. Tourreil, d'Olivet, Auger : « J'en veux une qui soit composée de citoyens. » Je crois que c'est une faute, puisque cette armée devait être composée de 1500 étrangers et de 500 Athéniens. Mais ce nombre de citoyens était assez considérable pour que l'orateur pût dire que l'armée appartenait à la patrie. D'ailleurs, Démosthène voulait que ces 500 soldats fussent, en quelque sorte, les inspecteurs des autres.

(16) par des courses et le pillage: comme les guérillas en Espagne, et les Klephtes chez les Grecs modernes. ( Scol. et Reuter.)

(17) La guerre dont parle ici Démosthène commença ol. xcvi, 4 ; 393, et dura huit ans. Tandis qu'Agésilas était en Asie, les émissaires du roi de Perse, pour affaiblir ce dangereux ennemi, soulevèrent Thèbes contre Lacédémone. Avec les Thébains se coalisèrent Athènes et Corinthe, et l'on choisit cette dernière ville pour point de réunion. Voyez Xén. Hell. iv, 4; Diod. xiv, 8 ; Corn. Népr. Agés. 5. - Et d'autres chefs : Caillas, Strabax, Philocrate.

(18) C'est ce qu'avait fait Charès pendant la guerre Sociale. Artabaze, satrape de l'Asie Mineure, s'était révolu contre le roi de Perse. (Diod. xvi, 22. )

(19) Dix taxiarques. V. Anachar. ch. X. Reuter, p. 55. Ταξίωχος, à peu près, colonel d'infanterie; στρατηγός, ici, général d'infanterie; φύλαρχος colonel de cavalerie, qui commandait les cavaliers de sa tribu ; ἵππαρχος, général de cavalerie.

(20) -- pour Lemnos. Durant la guerre Sociale, en corps de citoyens athéniens était allé au secours de cette île. Diod. xvi, 21. — Harpocration et Justin parlent d'un Ménélas, frère consanguin de Philippe. Selon d'Olivet, Mounteney, etc., il serait question ici d'un autre Ménélas, que nous ne connaissons pas. Leccheslni et G. Becker le croient Phocidien. Même incertitude sur l'expédition mentionnée par Démosthène : elle avait en pour but ou de repousser Philippe des Thermopyles ( Reuter), ou de le chasser de la côte de Marathon (Voemel ).

(21) C'est-à-dire à 92 talents, d'après le relevé de Taylor (529, 000, fr.) .

Démosthène propose donc de donner, par jour, au fantassin, deux oboles (30 C)., et une drachme au cavalier. (93 c).

(22) Denys d'Halic., première lettre à Amm. 10 : « Pendant l'archontat de Thémistocle, Démosthène prononça le sixième discours contre Philippe (le cinquième, selon d'autres édit), qui a pour objet la défense des insulaires, et des villes de l'Hellespont. Il commence ainsi  Ἅ μὲν, ἡμεῖς, ὦ ἀ. Ἁθ., δεδυνήμεθα εὑρεῖν, ταῦτ' ἐστι. » Ce passage du critique a décidé Schott, Fabricius, Taylor, Leland, Rüdiger et Wachsmuth, à regarder tout ce qui suit ces mots comme un second discours, une autre Philippique. Jacobs, qui avait d'abord partagé cette opinion, y renonce dans son édition de 1833. Elle a été soutenue, dans ces derniers temps, par plusieurs savants d'Allemagne et d'Angleterre, et renouvelée par Flathe, Hist. de Maced. I, p. 189, sans qu'il résulte du rapprochement entre les deux parties de la harangue ni de toutes les inductions présentées, une véritable conviction. Un scoliaste accuse Denys d'erreur (οὐ λέγει δὲ ἀληθῆ, Dobs. t. x, p. 293) ; il ajoute : «Démosthène a promis plus haut de parler sur les ressources pécuniaires : c'est ce qu'il fait maintenant, et cette partie de sa harangue en est le complément nécessaire. » Denys s'est d'ailleurs trompé plus d'une fois sur l'ordre et la chronologie fies discours de notre orateur. Son texte est-il altéré? La ligne qu'il cite est-elle une formule que Démosthène aurait reproduite dans plusieurs discours ? Quoiqu'il en soit, des noms aussi imposants, surtout des raisons plus solides, plus variées, appuient l'unité de cette harangue. V. surtout Monuteney, ad h.l. ;Auger (Obs. crit. p. 148, ed. 4°) ; Bremi (Philolog. Beytraege, etc. 1819) Töpffer, p. 239; Jacobs, introd. à la première Phil. 1833 ; G. Becker Literat. des Demosth. 1834, p. 278.

(23) Vents du nord, contraires, par conséquent, pour aller d'Athènes en Macédoine Tous les ans ils se lèvent régulièrement deux jours après que le soleil est entré au signe du Lion, et ils règnent quarante jours consécutifs. Ils se calment le soir pour souffler de nouveau avec l'aurore. De là le nom de dormeurs, que leur donnent les marins. (Lucehesini.) Une scolie de Benenatus et d'un manuscrit de Bavière cherche à expliquer ce phénomène, semblable aux moussons de la mer des Indes.

(24) Locus vexans et vexatus ! s'écrie ici M. Voemel. Je renvoie, pour la discussion des différents sens, et le choix des corrections, à l'Apparatus, I, 603 ; et aux notes de Reuter. Quant à mon interprétation, je ne l'ai adoptée qu'après avoir consulté Cesarotti, Leland et Jacobs.

(25) Imbros, île entre Lemnos et Samothrace. -- Les trois événements mentionnés ici ne sont rapportés par aucun historien. Lecehesini les place dans la guerre Sociale, 358; Winiewski et Böckh cinq ans plus tard. V. Voemel, Proleg. p. 73. — Geraestos (auj. C. Mantelo) promontoire méridional de l'île d'Eubée. — La trirème Sacrée. V. les Notes du disc. sur la Chersonèse.

(26) Pagases ( auj. Volo), ville maritime de Thessalie, prise par Philippe, ol. cvi, 4; 353, pendant la guerre avec Lycophron, tyran de cette contrée. — Le chorège, etc. V. l'introd. au disc. pour les Immunités. — des triérarques : v. id..— des échanges : v. les notes du même disc. « Les formalités des charges publiques mirent obstacle à le promptitude des armements ; mais ce ne fut qu'après que le zèle se fut refroidi : dans les beaux temps de la république on ne connaissait point d'obstacles. »  Böckh, Ec. pol. des Athén. l. III, c. 21.

(27) Philippe, dans cette lettre, conseillait aux Eubéens de ne pas compter sur l'alliance d'Athènes, vu, disait-il, que cette république étaie incapable de se défendre elle-même. (Scoliaste.)

(28) V. Böckh, Ec. pop. des Athén. II, 21. -- malgré tous vos mouvements : c'est ainsi que je traduis οὐδενὸς δ' ἀπολείπεθε, nullo loco abestis, sive omnibus rebus vos immiscetis. V. Vig. p. 355 ; Xenoph. Anab. iv, 5, 19. Schaefer, qui adoptait, avant Reuter, ce sens, le plus logique que de tous ceux qu'on a proposés, regarde οὐδενός comme neutre, et traduit nihil non assectamini, seu affectatis frustra laborantes. J. Kaye et Dobrée effacent sans façon ces mots embarrassants.

(29) V. A. Gelle, xiii, 27. Quelle énergie, que d'humiliation pour les Athéniens dans cette comparaison! Fox, Burke, Chatam, ces grands maîtres de la tribune anglaise, durent à des familiarités semblables quelques-unes de leurs plus belles apostrophes ; Shéridan apporta souvent dans le Parlement les hardiesses populaires d'Aristophane.

(30)  - Ne serait-ce pas un Dieu, etc. « Hic dii immortales mentem dederunt iili perdito ac furioso, ut huic faceret insidias, etc. » Cic. pro Mil. 33. — φιλοπραγμοδύνην, manie de s'immiscer dans les affaires des autres peuples. Chez un conquérant, c'est autre chose encore; c'est César,

Nil actum reputans, si quid superesset agendum; c'est Bonaparte disant aux vainqueurs de Montenotte et de Millesimo : « Soldats, vous n'avez rien fait, puisqu'Il vous reste à faire. »

(31) Hermogène et Longin admirent la vivacité passionnée de ces mouvements. « Multa, quae nunc ex intervallo non apparent, bellum aperiet. » T. Liv. Tacite traduit ici Démosthène avec son admirable énergie : » Apertet et recludet contecta et tumescentia victricium partium vulnera bellum ipsum » dit Mucien à Vespasien, qu'il appelait à l'empire. Hist. II, 77.

(32) --- Des hommes légers. Ce sont les sycophantes ; ils avaient beau jeu devant des auditeurs qui n'étaient pas sortis d'Athènes. Allusion surtout à Céphisodote. (Scoliaste.) Le dernier traducteur est tombé dans une faute qu'Auger avait évitée : « Nous voyons que ses malheureux soldats accourent ici pour le calomnier. »

(33) « Les nouvellistes font voler les armées comme les grues, et tomber les murailles comme des cartons. Ils ont des ponts sur toutes les rivières, des routes secrètes dans toutes les montagnes, des magasins immenses dans les; sables brûlants : il ne leur manque que le bon sens. » Montesq. Lettres Pers. 130.

(34) « Jamais les prophètes ne doivent siéger dans les conseils de la politique. » M. de Rémusat. (Ch. des Dép. 13 mars 1834).

(35) « Je dirai au peuple, non ce qui lui plaît, non ce qui le flatte, mais ce qu'il est utile qu'il entende. » Clermont-Tonnerre (Ass. nat. 22 fév. 1790) Ce courage souvent honoré la tribune française.