retour à l'entrée du site  

table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE

 

DÉMOSTHÈNE

 

PLAIDOYER CIVILS

 

XI

 

PLAIDOYER CONTRE PHÉNIPPE

 

 

 XI.  Le fils de Tisias contre Calliclès TOME I XIII.  Plaidoyer contre Apatourios

 

 

 

texte grec

 

pour avoir le texte grec d'un chapitre, cliquer sur le numéro du chapitre

 

 

 

 

 

XI

PLAIDOYER CONTRE PHÉNIPPE

ARGUMENT

Il y avait à Athènes certains services publics que les citoyens riches étaient tenus de faire à leurs frais. C'est ce qu'on appelait les liturgies (λειτουργία). C'est par ce moyen que l'État pourvoyait aux dépenses du culte et de la marine. Tous ceux dont la fortune imposable dépassait trois talents étaient portés sur la liste des triérarques. Chacun d'eux fournissait une galère dont il était le commandant. L'État prêtait les agrès et se chargeait de fournir et de payer les rameurs, ainsi que les soldats de marine. L'engagement et la solde des matelots étaient à la charge du triérarque. Les triérarques servaient à tour de rôle.

Les charges de cette contribution pesaient très inégalement sur les contribuables. La loi de Périandre, en 358, remédia à cet inconvénient, mais d'une manière imparfaite, en fixant à 1,400 le nombre des triérarques; ils étaient divisés en 20 classes ou symmories, de 60 contribuables, qui, selon leur fortune, formaient des groupes de 3 à 16. Chaque groupe fournissait un navire. Les trois cents plus imposés faisaient l'avance des frais, sauf leur recours contre les autres pour la part afférente à ces derniers. Ce fut Démosthène qui, en 340, rendit cette contribution exactement proportionnelle.

Quiconque prétendait être indûment appelé à une liturgie avait le droit de dénoncer celui sur lequel il prétendait que la charge devait retomber, et, en cas de contestation, il pouvait offrir l'échange, c'est-à-dire prendre tous les biens de son adversaire et lui donner tous les siens avec la charge de la liturgie. Comme il s'agissait d'un service militaire, la procédure était portée devant les stratèges, et c'étaient ceux-ci qui introduisaient devant les tribunaux les questions contentieuses.

Le plaidoyer contre Phénippe nous fait parfaitement connaître cette procédure. Si celui qui était sommé de faire l'échange s'y refusait, celui qui avait fait la sommation saisissait aussitôt les biens de son adversaire et mettait le scellé sur sa maison. Son adversaire pouvait en faire autant de son côté. Tous deux ensuite prêtaient serment de faire une exacte déclaration de leurs biens, dont ils devaient dans trois jours fournir la déclaration (ἀπόφασις), puis le tribunal décidait lequel des deux devait la liturgie. Le défendeur condamné avait l'option d'acquiescer à l'échange ou de se charger de la liturgie. Il pouvait même prévenir le jugement et faire son choix immédiatement après l'apposition des scellés.

L'échange avait pour effet la transmission du patrimoine tout entier, avec tous ses accessoires et toutes ses charges. Il n'y avait d'exception que pour les mines, qui étaient soumises à une législation particulière. Les actions criminelles, et en général toutes actions attachées à 1a personne, restaient également en dehors de l'échange (a).

On doutait déjà, dans l'antiquité, que ce plaidoyer fût de Démosthène. Tous les éditeurs et commentateurs modernes s'accordent à le rejeter par des raisons de style. Mais, quel qu'en soit l'auteur, il est certain que le plaidoyer a été réellement prononcé.

La date ne peut être déterminée avec précision. Philostratos, aïeul maternel et père adoptif de Phénippe, et décédé depuis quelque temps à l'époque du procès, a figuré comme accusateur en 366 dans un procès contre Chabrias. D'autre part, le plaidoyer doit être postérieur à la loi de Périandre qui est de l'an 358. A. Schaefer pense qu'il faut descendre jusqu'à l'époque d'Alexandre. En effet, la grande cherté dont parle l'orateur serait celle de l'an 330, et les sévérités qu'il dit avoir été exercées contre les détenteurs de mines seraient celles qui furent provoquées par l'orateur Lycurgue, vers la même époque.

PLAIDOYER

[1] Puisse la fortune être prospère à vous tous, d'abord, juges, et ensuite à Solon qui a porté la loi sur les échanges! Si Solon ne nous avait pas exactement marqué quel est le premier acte à faire par ceux qui poursuivent un échange, quel est le second, et ainsi de suite, je ne sais jusqu'où irait l'audace de Phénippe. Tandis que la loi nous a prescrit par avance toute la procédure à suivre, il n'a tenu, lui, aucun compte des règles tracées par elle. D'après la loi il devait me donner la déclaration de sa fortune dans les trois jours qui ont suivi sa prestation de serment, ou, si cela ne lui convenait pas, au plus tard le sixième jour du mois de boédromion (01). C'était le terme convenu entre nous (02) sur sa demande, et il s'était engagé à donner sa déclaration ce jour-là. [2] II n'a observé ni l'un ni l'autre de ces deux termes ; au mépris de nous et de la loi il n'a donné sa déclaration qu'au bout de deux mois, deux ou trois jours avant la comparution devant le tribunal. Jusque-là il s'est absenté de chez lui pendant tout le temps. Au lieu de respecter les scellés que j'avais apposés sur les bâtiments (03), il s'est rendu à son domaine, il a ouvert les portes, enlevé les orges et le reste, comme si la loi l'autorisait à faire ce qui lui plaît, sans lui prescrire aucune règle. [3] Pour moi, juges, il me serait fort agréable de me voir en bonne situation de fortune, comme par le passé, et de rester sur la liste des trois cents. Mais d'un côté j'ai eu ma part dans les pertes qu'a éprouvées toute l'industrie des mines, et d'un autre côté j'ai personnellement encouru des amendes qui m'ont fait perdre toute ma fortune, si bien qu'aujourd'hui, en fin de compte, je suis obligé de payer à l'État trois talents, un talent pour chaque part d'intérêt (04) - car j'avais, hélas! un intérêt dans la mine dont la concession a été révoquée. - Il faut donc absolument que je tâche de mettre en mon lieu et place un homme qui aujourd'hui est plus riche que moi, qui l'a même toujours été, et qui pourtant n'a jamais rempli pour vous aucune liturgie ni contribué pour les besoins de l'État. [4] C'est pourquoi, juges, je vous adresse à tous cette prière : Si je vous prouve que Phénippe que voici a enfreint les règles tracées par les lois et qu'il est plus riche que moi, venez-moi en aide, et mettez-le à ma place sur la liste des trois cents. Si les lois fixent tous les ans une époque pour les échanges, c'est que le nombre est bien petit des citoyens dont la prospérité est constante et la fortune sans variations. Mais je prends les choses au commencement, et je vais vous raconter tout ce qui s'est passé au sujet de l'échange dont il s'agit.

[5] C'est au mois de métageitnion (05), juges, le deuxième jour de la première décade, que les stratèges siégèrent pour les échanges demandés par les trois cents. J'appelai devant eux, suivant la loi, Phénippe que voici, après quoi je pris avec moi quelques parents et amis, et je me rendis à Kythéros (06), à son domaine. Je reconnus d'abord les limites du domaine, qui a plus de quarante stades de tour (07), et je constatai, par-devant témoins, en présence de Phénippe, qu'il n'y a sur le domaine aucune inscription d'hypothèque (08). De plus, je le mis dès lors en demeure de dire et déclarer s'il prétendait qu'il en existât, de peur qu'on ne vînt à découvrir plus tard quelque dette grevant le fonds. [6] Je mis ensuite les scellés sur les granges et je sommai Phénippe de se rendre avec moi sur mon domaine. Après cela je lui demandai où était le blé battu (09). En effet, juges, j'en atteste les dieux et les déesses, il y avait là deux aires à battre le blé, chacune d'à peu près un plèthre (10) en superficie. Il me répondit qu'une partie du blé était vendue et l'autre rentrée en grange. [7] Enfin, pour abréger, je laissai sur les lieux quelques gardiens, je fis aux âniers défense et interdiction formelle de porter du bois hors du domaine. - Vous saurez en effet, juges, qu'en outre de sa fortune Phénippe se fait encore par là un gros revenu. Il a six ânes qui portent du bois pendant toute l'année (11), et il en tire plus de douze drachmes par jour. - Je leur fis donc défense de toucher au bois, j'enjoignis à Phénippe de se trouver à certain jour au temple (12), conformément à la loi, et je m'en retournai en ville. [8] Je vous produirai d'abord les témoins de tout ce que je viens de dire. Vous entendrez ensuite la preuve des autres faits. Vous verrez par là, juges, que dès le premier jour Phénippe a commencé,à se comporter contrairement à tout droit. J'avais mis les scellés sur les bâtiments, ainsi que la loi m'y autorisait. Il a ouvert les portes. Il reconnaît bien avoir brisé le scellé, mais il prétend n'avoir pas ouvert les portes, comme si on brisait des scellés pour autre chose que pour ouvrir des portes. [9] Je lui avais ensuite fait défense d'enlever du bois. Il en a enlevé tous les jours, à l'exception du jour où j'ai fait la défense. Il n'était absolument rien dû sur le fonds, et maintenant voici qu'il déclare des dettes considérables. En un mot, il fait tout ce qui lui plaît, et non ce que les lois prescrivent. Lis les témoignages, d'abord ceux qui concernent la mine, et ensuite les autres.

TÉMOIGNAGES.

[10] Vous avez entendu, juges, de moi et des témoins, les torts que Phénippe a eus envers moi, dès le premier jour qui a suivi l'ouverture des échanges. Dans tout ce qui a suivi ce n'est plus à moi seulement que l'atteinte a été portée, c'est encore aux lois dont vous devez tous être les gardiens. [11] Après avoir, le onze du mois de boédromion, prêté serment de faire une déclaration fidèle et exacte de sa fortune, la loi disant en termes exprès que la déclaration doit être fournie dans les trois jours de la prestation de serment, il vint me trouver au tribunal avec Polyeucte de Crioa (13) et quelques autres personnes, et me pria d'abord d'entrer en arrangement avec lui, s'engageant à me donner satisfaction entière, et ensuite de lui accorder, pour faire sa déclaration, un délai de quelques jours seulement, car, disait-il, il n'ignorait pas mes embarras. [12] Je pensai, moi, qu'un citoyen paisible et inoffensif ne doit pas à tout propos courir, tête baissée, au tribunal. Je consentis - pourquoi ne le dirais-je pas d'un mot? - à fixer au huit de la dernière décade de boédromion la réunion pour l'arrangement, et au six de la même décade (14) la déclaration des biens. Après avoir obtenu de moi ces deux choses, Phénippe ne se présenta ni à l'un ni à l'autre de ces deux jours, et il comparaît aujourd'hui devant vous, ayant enfreint deux lois au lieu d'une, la première celle qui prescrit de fournir la déclaration des biens dans les trois jours de la prestation de serment, l'autre celle qui porte que les conventions faites par les parties en présence de témoins tiendront lieu de loi à ceux qui les auront faites. [13] Et d'ailleurs, juges, est-il un seul d'entre vous qui ne sache que le terme fixé par la loi et le terme convenu entre les parties sont également obligatoires?

Souvent, au lieu des trente jours que donne la loi, nous fixons d'un commun accord un autre terme, il n'est pas un magistrat qui, en présence d'un accord semblable, ne prononce la remise des affaires et des jugements, et si quelqu'une des parties refusait de s'en tenir au terme convenu, vous seriez indignés de cet acte, vous y verriez le comble de la mauvaise foi. [14] Eh bien, comme si la loi autorisait à ne pas tenir ses engagements, depuis le jour où Phénippe s'est engagé à se rencontrer avec moi pour convenir d'un arrangement, à fournir sa déclaration et à recevoir la mienne, il n'a pas paru une seule fois. Quand je vis qu'il n'avait aucun égard ni pour moi ni pour les lois, je donnai ma déclaration au tribunal des stratèges. Pour lui, ainsi que je viens de le dire, il m'avait remis auparavant un cahier pour se donner l'apparence d'avoir fourni sa déclaration, tout en ne me procurant, par cet écrit, aucun renseignement utile. [15] N'allez pas, juges, donner à ces téméraires, qui croient leur volonté plus puissante que les lois, au delà de ce qu'ils ont droit d'obtenir. Autrement vous augmenterez le nombre de ceux qui se rient des règles prescrites par les lois. Votre devoir est de venir en aide à ceux qui considèrent la voix des lois comme la vôtre, à ceux qui regardent le jour assigné pour comparaître devant le tribunal comme un secours accordé à la partie lésée et non à l'auteur de la lésion. Lis les témoignages qui prouvent ce que je viens de dire. Lis aussi les lois.

TÉMOIGNAGES, LOIS.

Voilà donc, juges, comment Phénippe s'est conduit envers moi; c'est alors que j'ai déposé mon inventaire devant les stratèges, dans les termes que voici. Lis.

INVENTAIRE.

Au nom des dieux, juges, est-il d'autres arguments pour vous prouver que la loi dont vous avez entendu la lecture est applicable à Phénippe? Mais Phénippe m'a opposé une demande contraire. Il soutient que ma déclaration n'est pas régulière. Le mensonge coûte peu aux gens de sa sorte. Il incrimine le serment que j'ai prêté avant la déclaration, et se plaint de ce qu'en promettant de déclarer le reste de ma fortune j'ai excepté l'intérêt que je possède dans les mines, comme si l'on était fondé à se plaindre d'un serment prêté conformément aux lois. Vous connaissez la loi, juges, car c'est vous-mêmes qui l'avez faite. Elle porte expressément ce que je viens de dire. Elle ajoute que dans les échanges, lorsque les parties feront la déclaration à laquelle elles se seront engagées par serment, elles joindront à leur déclaration un nouveau serment ainsi conçu : « Ceci est la déclaration fidèle et exacte des biens que je possède, à l'exception des intérêts dans les mines d'argent, lesquels sont exemptés par les lois. » Mais lis plutôt la loi elle-même. Arrête toutefois un instant, je te prie. J'ai déjà offert à Phénippe, et aujourd'hui encore, juges, je lui donne en pur don et je lui abandonne avec tout le surplus de mes biens les intérêts que je puis avoir dans les mines, s'il me livre seulement son domaine, franc et quitte, dans l'état où il se trouvait lorsque je m'y rendis pour la première fois avec des témoins, et s'il rétablit et remet en place les blés, les vins et le reste, qu'il a enlevés des bâtiments après avoir brisé les scellés apposés sur les portes. Après cela qu'as-tu encore à dire et de quoi te plains-tu ? J'en conviens, Phénippe, j'ai commencé par faire de grands profits dans les mines d'argent, à force de labeur, en travaillant moi-même de mes propres mains. Mais aujourd'hui j'ai presque tout perdu. Toi au contraire, avec ton domaine dont tu vends les orges dix-huit drachmes, et le vin douze drachmes, on peut bien t'appeler riche, puisque tu fais plus de mille médimnes de grain, et plus de huit cents mesures de vin (15). Faut-il donc que nous gardions toujours le même rang sur la liste lorsque notre fortune n'est plus ce qu'elle était autrefois? Non, cela n'est pas juste. Prends donc aussi ta part des charges, et viens pour un peu de temps au rang de ceux qui supportent les liturgies, puisque, d'une part, l'industrie des mines est ruinée, et que, d'autre part, vous autres cultivateurs faites des profits excessifs. Il y a assez de temps que tu recueilles les fruits de deux patrimoines, celui de Callippe, ton père par le sang, et celui de ton père adoptif, Philostrate l'orateur, et tu n'as jamais rien fait pour ce peuple qui nous écoute. Et pourtant mon père a laissé pour tout héritage, à mon frère et à moi, quarante-cinq mines à chacun ; avec cela il n'est pas aisé de vivre. Tes deux pères, eux, ont été assez riches pour faire l'un et l'autre l'offrande d'un trépied, après avoir remporté le prix des choeurs aux fêtes des Dionysies. Ce n'est pas l'envie qui me fait parler ainsi, mais il faut que les riches se montrent utiles à leurs concitoyens. Prouve donc que tu as dépensé au service de l'État seulement le quart d'une obole, toi qui as recueilli deux patrimoines contribuant aux liturgies. Mais tu ne prouveras pas cela, car tu as appris à te dissimuler, à te dérober, à faire tout au monde pour éviter les liturgies. Moi, au contraire, je prouverai que j'ai beaucoup dépensé, tout en n'ayant reçu de mon père qu'une mince fortune. Lis-moi d'abord cette loi qui ne permet pas de déclarer les intérêts qu'on peut avoir dans les mines. Lis aussi la sommation, et enfin les témoignages qui prouvent que Phénippe que voici a hérité de deux patrimoines contribuant aux liturgies.

LOI, SOMMATION, TÉMOIGNAGES.

Tout au plus pourrait-on dire, juges, qu'en un point, un seul, Phénippe a eu l'ambition de vous plaire. C'est un éleveur de chevaux qui ne craint pas le danger et qui aime la gloire, en homme jeune, riche et vigoureux qu'il est. Faut-il vous en donner une grande preuve? Il a vendu son cheval de bataille et s'est mis à pied, puis à la place de ce cheval il s'est acheté un char, lui, à son âge, pour n'avoir pas à marcher! Tant il aime ses aises! Et ce char est compris dans la déclaration qu'il m'a donnée. Quant aux orges, aux vins, aux autres fruits du domaine, je ne les y vois pas même pour la dixième partie. Devez-vous maintenant l'exempter de toute charge alors qu'il se rend si utile de ses biens et de sa personne, et qu'il en fait un si noble usage ? Non assurément. Faites le devoir de bons juges. Soulagez ceux de vos concitoyens qui supportent volontairement les liturgies tant qu'ils font de bonnes affaires, soulagez-les, dis-je, lorsqu'ils ont besoin de secours. Quant à ceux qui se croient perdus s'il faut dépenser quelque chose pour la république, mettez-les sur la liste de ceux qui contribuent par avance, et ne leur permettez pas de se dérober. Lis d'abord le témoignage, ensuite la déclaration de Phénippe.

TÉMOIGNAGE, DÉCLARATION.

Passe ceci. Et pourtant, juges, Phénippe a enlevé beaucoup d'objets, il a ouvert les bâtiments qui étaient sous les scellés, comme les témoins vous l'ont déclaré, et il a laissé ce qu'il lui Convenait de laisser, après quoi, au bout de deux mois il m'a remis la déclaration de ses biens. Mais passe tout cela. Lis seulement à partir de ces mots : « Sur ces biens voici ce que je dois. »

DÉCLARATION.

Arrête. Cette Aristonoé, juges, est la fille de Philostrate et la mère de Phénippe. Phénippe prétend que cette femme est créancière de sa dot, mais les lois lui donnent, à lui, la propriété de cette dot (16). il fait donc un mensonge, et sa déclaration n'est pas régulière. Et en effet, Phénippe, moi qui ai ma mère avec moi dans ma maison, vivante encore, et ayant apporté une dot, pourquoi ne déclaré-je pas cette dot comme lui étant due, pourquoi ne cherché-je pas à tromper les juges, pourquoi laissé-je ma mère jouir avec moi de mes biens, soit que j'aie le patrimoine de Phénippe ou le mien ? Parce que les lois le veulent ainsi, mon cher. Mais toi tu fais tout contrairement aux lois. Lis l'article suivant.

DÉCLARATION.

Vous l'entendez, juges. Il dit qu'il doit à Pamphile et Phidoléon de Rhamnunte (17), solidairement, un talent, quatre mille drachmes à Æantidès de Phlye (18), quatorze mines à Aristomène d'Anagyrunte (19). Comment cela se fait-il donc, Phénippe? Lorsque, en présence de témoins, je te demandai si tu devais quelque chose sur le domaine, et que je te mis en demeure de montrer l'inscription si elle existe, qu'enfin je fis dresser procès-verbal devant témoins pour éviter qu'on ne me produisît ultérieurement des créanciers supposés, à ce moment tu n'as déclaré aucune dette, mais lorsque après deux mois tu m'as donné la déclaration que la loi ordonne de fournir dans les trois jours, aussitôt arrivent les créanciers, et les dettes pour plus de trois talents. C'est que, mon cher, tous tes efforts tendent à un seul but : faire que tes dettes particulières égalent le montant de ce que je dois à l'État. Eh bien , Phénippe, je dis que tu mens et que tu commets un parjure en soutenant cela devant les juges qui nous écoutent, et je vais le prouver. Prends-moi, greffier, le témoignage d'Æantidès et de Théotèle auxquels il a déclaré devoir quatre mille drachmes. C'était un mensonge. Il les avait payées depuis longtemps, et non pas volontairement, mais en vertu d'un jugement. Lis.

TÉMOIGNAGE.

Voilà donc, juges, un homme qui a fait une déclaration insuffisante à tous les points de vue. Il n'a tenu aucun compte, ni des lois qui prescrivent de fournir la déclaration dans un délai déterminé, ni des conventions particulières que nous considérons comme tenant lieu de loi. Ce n'est pas tout. Il a brisé les scellés apposés sur les bâtiments, il a enlevé le grain et le vin qui s'y trouvaient. Il a en outre vendu, depuis l'échange, le bois coupé valant plus de trente mines ; enfin, et c'est là le plus fort, il s'est ménagé des dettes simulées en vue de l'échange. Pourrez-vous décider que la déclaration de cet homme satisfait au voeu de la loi? Non, juges. Aussi bien, de quel côté pourra se tourner celui dont vous aurez rejeté la demande, si les riches, si ceux qui ne vous ont rendu aucun service, qui font beaucoup de blé, beaucoup de vin, et qui le vendent trois fois plus cher aujourd'hui qu'hier, gagnent leur affaire devant vous? Qu'il n'en soit pas ainsi pour cette fois ! La même assistance que vous avez accordée en général à toute l'industrie des mines (20), ne me la refusez pas aujourd'hui à moi en particulier. Si j'étais votre esclave au lieu d'être votre concitoyen, voyant mon amour du travail, mon dévouement à vos intérêts, vous mettriez vous-mêmes un terme à mes sacrifices, vous en prendriez un autre, parmi ceux qui cherchent à fuir, et c'est à celui-là que vous vous adresseriez. De même lorsque j'aurai payé les trois talents auxquels j'ai été condamné, et que j'aurai un peu rétabli mes affaires, vous laisserez reposer quelque autre qui aura éprouvé des revers de fortune, et vous reviendrez à moi. Donnez-moi congé pour cette fois, juges, je vous en conjure; maintenant que j'ai dit ce que j'avais à dire pour la défense de mon droit, je vous demande de me venir en aide. Ne permettez pas qu'on me joue et qu'on me promène ainsi.
 

 

 

NOTES.

(a) Voy. sur toutes ces questions : Boeckh, liv. IV, chap. XVI; Caillemer, v° Antldosis, dans le Dictionnaire d'antiquités grecques et romaines de Saglio, et le discours d'Isocrate Περὶ ἀντίδοσεως.

(01)  Boédromion correspond à peu près à septembre.

(02) Τίθεσθαι a le sens de constituere en latin. C'est le pacte de constitut par lequel les parties prennent jour pour l'exécution d'une obligation.

(03) Οἰκήματα, bâtiments de ferme, tels que granges, caves. Voy. Arnold Schoefer et Platon, Protagoras, 7, p. 315 D.

(04) Il y avait eu révocation de la concession et amende contre les concessionnaires. Après quoi l'orateur avait racheté à l'État la même concession, au prix ordinaire d'un talent par chaque part.

(05) Métageitnion correspond à peu près à août.

(06)  Kythéros était un dème de la tribu Pandionide.

(07) Ὅρος est la stèle placée sur le terrain et portant l'inscription de. l'hypothèque. On peut en voir des exemples dans Boeckh, Corpus inscriptionum, t. I, n°' 530 et suiv., t. II, no 2284 ; Wescher, Stèle hypothécaire des environs d'Athènes, Revue archéologique, nouvelle série, t. XV, p. 36; Caillemer, le Crédit foncier à Athènes.

(08) A. Schaefer lit ὅτου au lieu de ὅπου, et traduit : Je lui demandai à qui appartenait le blé battu. Mais l'autre leçon est préférable. L'orateur est étonné de ne pas trouver plus de grains, en égard à la grandeur des aires. Phénippe lui répond qu'une partie de la récolte a été vendue, et enlevée par les acheteurs.

(09) 40 stades, 7,200 mètres de tour, environ 300 hectares de superficie.

(10) Le plèthre équivaut à 30 mètres. Cette longueur était uns doute celle du diamètre de l'aire.

(11) Le transport du bois se faisait et se fait encore aujourd'hui, en Grèce, à dos d'âne ou de mulet. Voy. Plaute, Asinaria, v. 341: « Ipsos (asinos) qui tibi subvectabant rure huc virgas ulmeas. » La pièce de Plaute est traduite d'une pièce de Démophile intitulée : Ὄναγος.

(12)  Les parties se donnaient rendez-vous dans un temple pour y affirmer leurs déclarations par serment.

(13) Crioa, dème de la tribu Antiochide.

(14) La dernière décade du mois se comptait à rebours, comme chez les Romains. Le huitième jour de la décade est donc le 23, et le sixième jour le 25.

(15) Le médimne valait à peu près 51 litres. La mesure de vin, μετρητής valait 27 litres. Phénippe recueillait donc sur son domaine d'environ trois cents hectares 510 hectolitres d'orge et 216 hectolitres de vin. L'orge valait environ 18,000 francs, à 36 francs l'hectolitre ; le vin, 9,600 francs, à 43 francs l'hectolitre. Il faut y ajouter pour 3,000 francs de bois. Mais c'étaient là, d'après l'orateur lui-même, des profits extraordinaires, résultat d'une année de cherté. Le prix normal était du tiers.

(16) Après la dissolution du mariage par la mort du mari, la femme a le choix ou de se retirer chez son κυρίος ou de rester dans la maison de son défunt mari , s'il est né des enfants du mariage. Dans ce dernier cas, la dot n'existe plus. Le fils en devient propriétaire, à charge de nourrir et d'entretenir sa mère; mais cette charge ne peut pas être considérée comme une dette à déduire de l'actif. d'or. Van den Es, De jure familiarum, p. 56; Meier et Schoemann, p. 288 et 427.

(17) Rhamnunte, dème de la tribu Aeantide.

(18)  Phlya, dème de la tribu Cécropide.

(19) Anagyrunte, dème de la tribu Aeantide.

(20) En quoi consistait cette assistance? C'est ce que nous ne pouvons déterminer. A Schaefer croit qu'il y avait eu remise de l'atimie et délais accordés pour le payement des prix de vente.