table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE
DÉMOSTHÈNE
TROISIÈME PHILIPPIQUE
(2ème Olynthienne)
(3ème olynthienne chez les autres traducteurs)
(attention le texte grec renvoie à la traduction de l'Abbé Auger) autre traduction française (Abbé Auger) autre traduction de Poyard sur le site d'Ugo Bratelli
71 VII. TROISIÈME PHILIPPIQUE. ou DEUXIÈME OLYNTHIENNE
INTRODUCTION. Les Athéniens, rappelés d'un côté à leur devoir, et, de l'autre, séduits par leurs propres passions et par les partisans de Philippe, prirent un de ces partis moyens qui sont souvent les plus dangereux en politique. Convaincus que le salut d'Olynthe était la condition du salut d'Athènes, mais incapables de s'arracher à leurs plaisirs, ils firent partir Charès avec trente vaisseaux et trois mille mercenaires. Ce général s'occupa peu de couvrir les possessions d'Olynthe, dans lesquelles les armes macédoniennes faisaient chaque jour de nouveaux progrès. Seulement, pour assouvir la rapacité de ses troupes, il descendit sur la côte fertile de Pallène, dispersa un corps de huit cents hommes commandés par Auden, les mêmes qu'on appelait les mignons de Philippe : facile victoire, dont tout le fruit fut le rire excité par les railleries des poètes comiques. On ignore cependant si Charès n'obtint pas d'autres avantages. « A cette nouvelle, dit Libanius, le peuple athénien est ivre de joie, et ses orateurs l'exhortent à accabler Philippe d'un dernier coup. Mais Démosthène craint qu'aveuglé par ses illusions et croyant avoir assez secouru Olynthe, ce peuple léger ne s'inquiète peu de ce qui reste à faire. Il monte à la tribune, il gourmande cette humeur fanfaronne, et tâche de ramener ses concitoyens à la circonspection et à la prudence. Il s'agit bien maintenant de châtier Philippe! dit-il; songez plutôt à sauver vos alliés. » Olynthe, menacée de plus près par le roi de Macédoine, demandait, en effet, dans la même année, de nouveaux secours aux Athéniens.
72 DISCOURS [1] Je ne puis concilier mes pensées, ô Athéniens ! lorsque je considère et notre situation et les discours que j'entends (01). On ne vous parle que de punir Philippe ! moi, je vous vois réduits à la nécessité de songer d'abord à vous garantir de ses insultes. Ainsi, ceux qui tiennent un tel langage ne font, à mon sens, que s'égarer en détournant votre délibération de son but véritable. [2] Certes, qu'Athènes ait pu jadis et tenir son empire à l'abri des dangers, et châtier Philippe, moi aussi j'en ai la certitude : car le temps n'est pas loin, et je l'ai vu, où elle pouvait l'un et l'autre (02). Mais je suis convaincu que c'est assez pour nous aujourd'hui de chercher, avant tout, à sauver nos alliés. Certains de ce premier succès, nous pourrons ensuite aviser aux moyens d'assurer notre vengeance. Mais, tant que le commencement n'est pas solidement établi, Il est, je pense, inutile de discourir sur la fin. [3] Si jamais délibération exigea une vive sollicitude, une prudence consommée, Athéniens, c'est celle qui vous occupe. Non que je croie fort difficile de découvrir le meilleur avis dans cette conjoncture : mais je ne sais, ô mes concitoyens ! quelle tournure il faut lui prêter devant vous. Car je me suis convaincu, par moi-même et par vos autres orateurs, que la fortune vous est le plus souvent échappée pour n'avoir pas voulu faire votre devoir, et non pour ne l'avoir pu comprendre. Toutefois, si je parle hardiment, il est digne de vous de le souffrir, et de considérer uniquement si c'est la vérité que je vous dis, et si mon but n'est pas de rendre votre avenir plus prospère : en effet, vous le voyez, les flatteries de quelques orateurs ont creusé l'abîme où va se perdre la république. [4] Mais, avant tout, il est indispensable de vous rappeler quelques faits antérieurs.
Vous vous souvenez, Athéniens, qu'il y a trois ou quatre ans, on vous annonça
que Philippe, en Thrace, assiégeait le fort de Héraeum c'était dans le mois de
maemactérion. Après de longs et orageux débats, vous décrétâtes la mise en mer
de quarante trirèmes, l'embarquement des citoyens jusqu'à l'âge de quarante-cinq
ans, enfin une levée de soixante talents. [5] Cependant l'année s'écoula, puis
hécatombaeon, métagitnion, boédromion : dans ce dernier mois, à grand'peine,
après la célébration des mystères, vous fîtes partir Charidème avec dix
vaisseaux vides (03), et cinq talents d'argent.
C'est qu'a peine apprîtes-vous la maladie et la mort de Philippe ( car les deux
nouvelles circulèrent) que, jugeant dès lors tout secours superflu, vous aviez
désarmé. C'était pourtant là l'instant propice : en effet, si nous étions
accourus sur les lieux avec l'ardeur qu'annonçait votre décret, il ne nous
pèserait [7] Olynthe était devenue une puissance, et, par un effet de sa position politique, Philippe et elle s'observaient dans une défiance réciproque. La paix fut négociée (04) entre nous et les Olynthiens. C'était pour le Macédonien une entrave, un déplaisir cruel, qu'une vaste cité, prête à fondre sur lui, et qui se réconciliait avec Athènes. Nous pensions qu'il fallait, à tout prix, armer ses habitants contre ce prince. Eh bien ! ce que vous demandiez tous à grands cris, le voilà réalisé, n'importe comment : [8] que reste-t-il donc à faire, ô Athéniens ! que d'apporter vos secours avec énergie, avec ardeur? Sans parler de l'opprobre qui va nous envelopper si nous trahissons de pareils intérêts, je ne puis entrevoir l'avenir sans effroi, les Thébains, disposés comme ils le sont à notre égard, les Phocidiens appauvris, épuisés, et Philippe, une fois Olynthe renversée, libre d'obstacles qui l'empêchent de se jeter sur l'Attique. [9] L'Athénien qui attend jusque-là pour faire son devoir, veut donc sous ses yeux, pour sa patrie, des horreurs dont il pourrait n'entendre que le retentissement lointain; il veut mendier pour lui-même des protecteurs, lorsque, dès à présent, il pourrait être, lui, le protecteur des peuples ! Eh ! qui de nous ignore que, si nous repoussons la fortune maintenant, tel sera notre destin ? [10] Oui, dira-t-on, nous le savons tous, des secours sont indispensables, et ces secours seront expédiés : mais le moyen? indiquez-le. Retenez votre surprise, ô Athéniens ! si j'ouvre un avis étrange pour la plupart d'entre vous : créez des nomothètes (05). Par eux n'établissez pas de nouvelles lois, vous n'en avez que trop ; mais celles 73 qui vous blessent aujourd'hui, abrogez-les.[11] Lois théâtrales (06), lois militaires, je les nomme sans détour, ce sont celles qui, pour de vains spectacles, sacrifient la solde de l'armée aux oisifs restés dans leurs foyers, celles qui assurent l'impunité au soldat réfractaire, et par là découragent le soldat fidèle. Brisez ces entraves, que la voix du bien public puisse s'élever impunie : et demandez alors un promoteur pour les décrets dont vous reconnaissez tous l'utilité. [12] Jusque-là, ne cherchez pas un orateur qui, pour vous sauver, veuille périr par vos mains ; vous n'en trouveriez pas, surtout quand, loin de servir la patrie, l'auteur d'une motion semblable n'aurait fait qu'appeler la persécution sur sa tête, et rendre plus formidable désormais le rôle, déjà périlleux, du sage conseiller du peuple. Qu'ils se chargent du rappel de ces lois funestes, ô Athéniens ! ceux-là qui les ont introduites (07) ! [13] Non, non, il n'est pas juste qu'une faveur, prix de tant de blessures `portées à la patrie, demeure à ces législateurs coupables, tandis que l'odieux d'une mesure qui peut les guérir punira le citoyen qui vous apporte des paroles de salut. Mais, avant cette réforme, persuadez - vous bien que nul, parmi vous, n'est assez puissant pour attaquer impunément de pareilles lois, assez insensé pour se jeter dans un précipice ouvert devant ses yeux. [14] Gardez-vous encore de méconnaître cette vérité, Athéniens : un décret n'est rien, sans la détermination forte d'en remplir avec énergie les volontés (08). Certes, si des décrets avaient la vertu de vous enchaîner à votre devoir, ou d'exécuter ce qu'ils prescrivent vous ne les eussiez point tant prodigués pour faire si peu, que dis-je? pour ne rien faire, et Philippe n'aurait pas, depuis tant d'années, prolongé ses outrages; car il y a longtemps que, grâce à vos décrets, il eût subi sa peine. [15] Mais qu'il n'en va pas ainsi postérieure, dans l'ordre des temps, au délibérations et aux votes, l'exécution est en réalité la première et la plus efficace. Elle seule nous manque, acquérons-la. Il est parmi vous des citoyens capables de vous conseiller dignement ; et, pour juger leurs paroles, vous êtes, ô Athéniens ! les plus pénétrants de tous les hommes. Aujourd'hui, la puissance d'action est aussi à vous, si vous êtes sages. [16] Eh ! quel temps, quelle opportunité plus favorable cherchez-vous? Si ce n'est à présent, quand ferez-vous votre devoir? Est- ce que l'usurpateur n'est pas déjà maître de tous les boulevards de la république? Le laisser encore asservir cette contrée (09), ce serait nous vouer à l'infamie. Car enfin, ceux que nous jurâmes d'être prêts à sauver, s'il les attaquait jamais, ne sont-ils pas attaqués ?[17] L'agresseur n'est-il pas notre ennemi ? notre spoliateur? un barbare (10)? Eh ! qui dirait tout ce qu'il est contre nous? O dieux I après lui avoir tout cédé, nous, complices de ses succès, nous demanderons qui nous a trahis ! car, je le sais trop, nous n'aurons garde d'avouer que nous sommes les coupables. Dans le péril du combat, où est le fuyard qui condamne sa propre lâcheté ? il accuse son général, sou camarade; il accuse tout, excepté lui-même. Cependant c'est à la fois par tous les fuyards qu'on a perdu la bataille. Tel inculpe les autres, qui pouvait tenir ferme ; et, si chacun l'eût fait, on eût vaincu. [18] Ainsi, parmi nous, quelqu'un n'ouvre-t-il pas le meilleur avis? qu'un autre se lève et parle, mais sans inculper le préopinant. Les partis les plus sages vous sont-ils offerts? suivez-les, sous l'égide de votre bonne fortune. -- Mais ils n'ont rien de flatteur ! — Jusque-là l'orateur n'est pas coupable; peut-être cependant est-ce un devoir de vous bercer de ses voeux, et il s'en dispense ! Des voeux ! oh! qu'il est aisé, Athéniens, de presser dans une courte formule tous les objets de nos désirs ! mais choisir un parti, dans les délibérations publiques, voilà ce qui est moins facile. Eh! quand tout ne peut nous être donné, préférons du moins ce qui nous sert à ce qui nous flatte. [19] Mais, si quelqu'un, en maintenant nos dépenses théâtrales, trouvait pour l'armée d'autres ressources, ne serait-ce pas préférable? -- Que la chose devienne possible, et je me rends. Mais un prodige qu'on n'a jamais vu, qu'on ne verra jamais, c'est un homme qui, après avoir dissipé ce qu'il possède en futilités, serait encore, pour les dépenses nécessaires, riche des biens qu'il n'a plus! Ce sont vos propres penchants, Athéniens, qui donnent du poids à de semblables discours : tant l'homme se trompe aisément lui-même ! tant il se persuade ce qu'il désire ! mais trop souvent la réalité dément nos chimères. [20] Ouvrez dont les yeux, ô Athéniens ! sur vos véritables ressources et vous trouverez possible de marcher, et la solde ne manquera point. Négliger, faute d'argent, les préparatifs militaires, et supporter gaiement les plus cruels affronts ; après avoir couru aux armes pour s'opposer aux Grecs de Mégare et de Corinthe (11), livrer les cités des Hellènes à l'encan d'un Barbare, par-ce qu'on n'a pas de pain pour le soldat, cela n'est ni d'un peuple prudent, ni d'un peuple magnanime. Par ces tristes vérités, je ne cherche pas gratuitement des ennemis parmi vous : non, je ne suis point assez insensé, assez malheureux pour vouloir d'une haine que je croirais inutile à ma 74 patrie. Mais je pense que le devoir du vrai citoyen est de faire entendre la parole qui sauve, non la parole adulatrice. [21] Cet usage, ces principes politiques, qui dirigèrent les orateurs de nos ancêtres, entends-je dire (et vous aussi sans doute, puisque tous les citoyens qui approchent aujourd'hui de la tribune les louent, mais sans les imiter), furent ceux d'un Aristide, d'un Nicias, de cet autre Démosthène (12), d'un Périclès. [22] Mais, depuis qu'on a vu surgir ces harangueurs qui vous demandent : Quels sont vos désirs, par quelle motion puis-je vous complaire ? ils épuisent la coupe de la fortune publique, à leur faveur, à vos plaisirs d'un moment; et le malheur accourt, et ils profit, ils s'illustrent de votre honte ! [23] Or, opposez, dans leurs traits principaux, votre conduite et celle de vos pères. Ce parallèle sera court et saisissable : car, sans recourir à des modèles étrangers, les grands souvenirs d'Athènes suffiraient pour réveiller sa fortune. [24] Eh bien ! ces hommes, que ne caressaient pas leurs orateurs, qui n'en étaient pas chéris aussi tendrement que vous l'êtes par les vôtres, commandèrent quarante-cinq ans (13) à la Grèce librement soumise, déposèrent au delà de dix mille talents dans la citadelle, exercèrent sur le roi de Macédoine l'empire qui appartient à des Grecs sur un Barbare; vainqueurs en personne sur terre et sur mer, ils érigèrent de nombreux et magnifiques trophées ; et, seuls de tous les mortels, ils laissèrent dans leurs oeuvres une gloire supérieure aux traits de l'envie. [25] Tels ils furent à la tête des Hellènes : voyez-les maintenant dans leur patrie, hommes publics et simples citoyens. Pour l'État, ils ont construit de si beaux édifices, orné avec tant de magnificence un si grand nombre de temples, consacré dans leurs sanctuaires de si nobles offrandes, qu'ils n'ont rien laissé à surpasser à la postérité. Pour eux-mêmes, ils furent si modérés, si attachés aux vertus républicaines, [26] que celui de vous qui connaîtrait les demeures d'Aristide, de Miltiade (14), ou de leurs illustres contemporains, les trouverait aussi modestes que la maison voisine. Car ce n'était point pour s'élever à l'opulence qu'ils dirigeaient l'État, mais pour accroître la fortune publique. Loyaux envers les peuples de la Grèce, religieux envers les Immortels, fidèles au régime de l'égalité civique, par une voie sûre ils montèrent au faite de la prospérité. [27] Voilà quel fut le sort de vos ancêtres sous les chefs que je viens de nommer. Quel est le vôtre entre les mains de vos complaisants administrateurs? est-il le même encore? a-t-il peu changé? Que de choses à dire ! je me borne à celle-ci : seuls, sans rivaux, Sparte abattue, Thèbes occupée ailleurs (15), sans nulle puissance capable de nous disputer le premier rang, pouvant enfin, paisibles possesseurs de nos domaines, être encore les arbitres des nations, qu'avons-nous fait? [28] nous avons perdu nos propres provinces, dissipé, sans nul fruit, plus de quinze cents talents ; la guerre nous avait rendu nos alliés, vos conseillers vous les ont enlevés par la paix (16) ; et nous, nous avons aguerri notre formidable ennemi ! Quiconque le nie, qu'il paraisse, qu'il me dise où donc il a puisé sa force, si ce n'est au sein même d'Athènes, ce Philippe? [29] — Eh! de grâce, si nous nous affaiblissons au dehors, l'administration intérieure est plus florissante. — Qu'aurait-on à me citer? des créneaux reblanchis (17), des chemins réparés, des fontaines, des bagatelles ! Ramenez, ramenez vos regards sur les administrateurs de ces futilités : ceux-ci ont passé de la misère à l'opulence; ceux-là, de l'obscurité à la splendeur; tel parvenu s'est même bâti de somptueux palais, qui insultent aux édifices de l'État. Enfin, plus la fortune publique est descendue, plus la leur s'est élevée. [30] Quelle est donc la raison de ces contrastes? pourquoi tout prospérait-il autrefois, quand tout périclite aujourd'hui? C'est que le peuple, osant faire la guerre par lui-même, était le maître de ses gouvernants, le souverain dispensateur de toutes les grâces; c'est qu'il était cher aux citoyens de recevoir du peuple honneurs, magistratures, bienfaits. Que les temps sont changés ! [31] Les grâces sont dans les mains des administrateurs; tout se fait par eux, et vous, vous, Peuple ! énervés (18), mutilés dans vos richesses, dans vos alliés, vous voilà comme des surnuméraires, comme des valets ! trop heureux si ces dignes chefs vous distribuent les deniers du théâtre, s'ils vous jettent une maigre pitance; et, pour comble de lâcheté, vous baisez la main qui vous fait largesse de votre bien. Ils vous emprisonnent dans vos propres murs, ils vous amorcent, vous apprivoisent et vous façonnent à leur joug. [32] Or, jamais fierté juvénile, jamais courageuse hardiesse n'enflammèrent des hommes asservis à de misérables et viles actions ; car la vie est nécessairement l'image du coeur. Et ces désordres, par Cérès! je ne serais pas surpris de m'être exposé par leur peinture, à vos coups, moi, plutôt que leurs coupables auteur! En effet, le franc-parler n'a pas toujours accès auprès de vous; et, si vous le souffrez maintenant, c'est tout ce qui m'étonne. [33] Si, du moins aujourd'hui, vous arrachant à ces moeurs avilissantes, vous vouliez reprendre vos armes, les porter d'une manière digne de vous, employer les ressources intérieures à reconquérir au dehors vos possessions, peut-être, citoyens 75 d'Athènes, peut-être remporteriez-vous un grand et décisif avantage. Vous repousseriez ces misérables gratifications, faibles potions que le médecin administre au malade, également impuissantes à lui rendre ses forces, et à le laisser mourir (19). Ainsi les deniers qu'on vous distribue, trop modiques pour suffire à tous vos besoins, trop nombreux pour être rejetés et vous faire recourir à d'utiles travaux, ne servent qu'à prolonger votre léthargie. [34] — Tu veux donc les convertir en solde? — Je veux, à l'instant, une règle commune pour vous tous, ô Athéniens I Que tout citoyen qui touchera sa part des deniers publics vote où le service public l'appelle. — Mais si nous sommes en paix ? — Alors, sédentaire, ils ajoutent à ton aisance, et te dispensent des bassesses qu'impose la misère. Et s'il survient une crise, comme aujourd'hui? — Soldat, ton devoir « est de combattre pour la patrie, et ces mêmes libéralités seront ta paye. — Mais mon âge me dispense du service I -- Eh bien ! ce que tu reçois illicitement et sans fruit pour l'État redois-le légalement à titre de surveillant dans quelque utile partie de l'administration. [35] En un mot, sans presque rien retrancher ni ajouter, je détruis les abus, je ramène l'ordre en soumettant à une mesure uniforme tous ceux que paye la république, soldats, juges, citoyens employés et selon leur âge et selon les circonstances. Quant aux fainéants, jamais je ne dirai : « Distribuez-leur le salaire des serviteurs de la patrie ; dans le désoeuvrement (20) et la misère, bornons-nous à demander quel chef, quels soldats mercenaires ont vaincu. » Car voilà maintenant votre vie. [36] Loin de mol de censurer ceux qui vous acquittent d'une partie de ce que vous vous devez : mais je demande que vous agissiez, pour mériter vous-mêmes les récompenses que vous donnez à d'autres; je demande que vous ne cédiez pas, ô Athéniens ! ce poste de vertu, noble héritage conquis par la gloire et les périls de vos ancêtres. Tels sont les conseils que je crois vous convenir. Puisse votre décision servir les intérêts de chaque citoyen et de la patrie !
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NOTES SUR LA TROISIÈME PHILIPPIQUE (01) Le commencement du discours de Caton au Sénat est, presque tiré mot à mot de cet exorde : « Longe mihi alla mens est, P. C. quum res atque pericula nostra considero, et quam sententias nonnullorum mecum ipse reputo ; etc. » Sall. Catil. 52. Dans plusieurs autres passages, cette même harangue est une sorte de pastiche de Démosthène. Après l'imitateur vint le parodiste. V. Lucien, La double accusation, C. 28. (02) Γέγονε a ici le même sens que ἐξῶν, qui le précède. Si Démosthène eût voulu parler d'un fait accompli, il aurait plutôt, dit M. Voemel, employé l'aoriste ἐγένετο. (03) Et la marine athénienne pouvait armer alors de trois cents à quatre cents trirèmes. Böckh, liv. II, ch. 21. Ces vaisseaux étaient vides d'Athéniens, dit Ulpien, c'est-à-dire qu'ils portaient des étrangers soldés. L'histoire de Charidème d'Oréos est racontée dans le plaidoyer de Démosthène contre Aristocrate. (04)πράττειν εἰρήνην n'est pas faire la paix, mais en discuter les conventions, parlementer. Voy. les exemples cités par M. Voemel. (05) Les nomothètes, ou législateurs, étaient des magistrats chargés d'examiner les lois anciennes, et, s'ils en trouvaient une inutile, contraire au bien de l'État, ou en contradiction avec les autres lois, d'en proposer l'abolition. Les formalités à remplir alors sont détaillées par Schömann, de Comit. Ath. l, II, c. 7; et par Robinson, Antiq. Gr. l. III, c. 1. Choisis annuellement parmi les Héliastes, les nomothètes étaient quelquefois au nombre de mille. (06) Lois théâtrales. Elles défrayaient le peuple aux spectacles avec les fonds destinés dans le principe à la guerre. Démade appelle ces distributions insensées, dont Périclès avait donné l'exemple, une glu où les citoyens se venaient prendre; et Justin, l. vi, voit en elles la principale cause des progrès de Philippe. (07) Qu'ils se chargent du rappel, etc. Le principal au teur des décrets qu'attaque Démosthène au péril de sa vie, était Eubule d'Anaphlyste. Il ne perdit jamais sa haute faveur, et on combla d'honneurs après sa mort ce citoyen dévoué à Philippe. Le sévère mais judicieux Théopompe lui rend parfaitement justice en le qualifiant de démagogue actif autant que célèbre, et en ajoutant que, par ses distributions de l'argent du Trésor, Athènes descendit au dernier degré de dégradation morale. (Böckh,l. II, ch. 13 ; d'après Harpocration, Andocide, Hypéride, etc.) (08) Chatam, sur le Traité avec l'Espagne, préparé par Walpole : « W. Temple avait raison de dire : C'est en vain que l'on fait des traités et que l'on négocie, quand on n'a pas la force et la dignité nécessaires pour en faire respecter les conventions. Nous avions déjà des traités avec l'Espagne; l'Espagne les a violés; c'est de leur violation que nous nous plaignons; et voilà que vous nous refaites des traités nouveaux ! Traités sur traités, conventions sur conventions, négociations sur négociations, pendant vingt années nous avons marché de cette manière. Quel a été le résultat de tant de diplomatie? » London Magazine. (09) Olynthe, et la Chalcidique, où trente-deux villes étaient déjà tombées au pouvoir de Philippe. La phrase suivante indique assez qu'il ne peut être question ni de l'Attique, ni de l'Eubée. (10) Si Philippe avait été un barbare, c'est là ce qui aurait fait sa force contre des peuples usés. Mais il ne l'était pas. Le savant Clavier a prouvé que, longtemps avant le siége de Troie, la Macédoine avait déjà reçu plusieurs colonies grecques, et qu'elle était tonte habitée par des Pélasges. (Hist. des premiers temps de la Grèce, t. II, p. 186 et suiv.) D'ailleurs, Philippe descendait d'Hercule, par Caranos. V. Schol. Bavar. (Doba. x, p. 290). (11) L'orateur ne parle pas des Athéniens actuels, mais de leurs pères, qu'ils représentaient. Ces expéditions étaient antérieures de près d'un siècle. Mégare en guerre avec Corinthe, fut secourue par Athènes, dont les habitants cherchèrent ardemment l'ennemi de leur alliée, et le battirent. Douze ans plus tard, les ingrats Mégariens s'unirent contre Athènes avec Lacédémone, et même avec Corinthe. (12) Démosthène, fameux capitaine athénien, fut l'un des principaux acteurs dans la guerre du Péloponnèse. (13) Ailleurs Démosthène dit soixante-treize ans. Voyez, dans le commentaire de Tourreil, la solution de ce problème chronologique. — Au delà de dix mille talents. Böckh, vérifiant le calcul d'après Thucydide, II, 13, trouve, en effet, 10, 600 talents, à peu près 59 millions. (14) La leçon vulgaire εἶδεν (vidit) serait préférable à la leçon οἶδεν (novit), si le tour hypothétique de la phrase n'exprimait pas que ces maisons sont à peine connues. (Waemel et Reuter, d'après Tourreil.) (15) Les batailles de Leuctres et de Mantinée avaient presque anéanti la puissance lacédémonienne. Les Thébains faisaient la guerre en Phocide. — Plus de 1500 talents : plus de 8 millions. Charès avait dissipé cette somme, destinée à reprendre Amphipolis. (16) Ce fut après avoir conclu la paix avec les Athéniens que Philippe s'empara de Pidna, de Potidée, et d'autres villes qu'Athènes avait subjuguées jadis et rendues ses alliées. Tourreil s'écarte ici avec raison des scolies d'Ulpien et de J. Wolf. (17) C'était le digue monument de l'administration d'Eubule : il avait fait badigeonner de blanc le mantelet des remparts. (Ulpien.) — Des bagatelles ! καὶ λόγους, et autres bagatelles semblables. Platon a dit de méme : Περὶ σιτία σὺ λέγεις, καὶ ποτά, καὶ ἰατρούς, καὶ φλυαρίας. Et Athénée : ἐσθίουσ' ἑκάστοτε ἄνηθα, καὶ σέλινα, καὶ φλυαρίας. Gillies a lu πήγαι, λήραι dont il fait un jeu de mots. Si l'étymologie que présente Ulpien pour le mot λῆρος (λίαν, ῥεῖν, valde fluere) était vraie, le jeu de mots serait possible, et un peu plus délicat. (18) L'expression grecque dit plus : elle me semble répondre à celle-ci : On vous a coupé les jarrets, ἐκνενευρισμένος, pour vous empêcher de marcher à l'ennemi.. J'ai taché d'y suppléer par le choix du mot suivant. (19) Cette ingénieuse comparaison a été souvent reproduite par les écrivains sacrés et profanes : Athénée, VI, 20 ; Lucien, de Merced. cond. c. 5 ; Stobée, Flor. Tit: cii, § 7 ; S. Jérôme, sur le chap. IV d'Ézéchiel, v. 4; Symmaque, l. 1, ep. 23 ad Auson.; Philostrate, Vit. Apollonis; et d'autres, indiqués par Dobrée (Dobs. t. xi, p. 3). Bornons-nous à citer l'imitation qu'en a faite Salluste dams le discours du tribun Licinius Macer (Fragm. 1. III) : « Qua (lege frumentaria) tamen quinis modiis libertatem omnium aestumavere, qui profectu non amplius possunt alimentis carceris. Namque ut illis exiguitate mors prohibent., senescunt vires; sic neque absolvit cura familiari tam parva res; et ignavissumi quique tenuissima spe frustrantur. » Ces expressions même, οὔτ' ἀποθνήσκει ἐᾷ, rappellent le trait suivant, rapporté par Dion Cassius, LVI: Tibère retenant en prison un Romain célèbre, ordonna qu'on ne lui servit que de ces aliments qui ne peuvent donner ni du plaisir, ni des forces, mais qui garantissent seulement de la mort. (20) Auger, M. Humbert et M. Jager se trompent en traduisant ἀπορεῖν par être irrésolus. La scolie lève toute difficulté : ἐξὸν πλουτεῖν ἐκ τοῦ πολέμου, tandis que nous pouvons nous enrichir par la guerre.
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