DÉMOSTHÈNE
XXIV
EUXITHÉE CONTRE EUBULIDE
XXIII. Le fils d'Aristodème contre Léocharès | TOME II | XXV. Épicharès contre Théocrine |
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XXIV EUXITHÉE CONTRE EUBULIDE ARGUMENT Le droit athénien ne reconnaissait pour légitimes que les enfants nés d'un Athénien et d'une Athénienne. Si le père ou la mère n'avait pas le droit de cité, le mariage n'était pas légitime, les enfants étaient bâtards (νόθοι), et ne pouvaient être considérés comme Athéniens. Mais ce droit rigoureux fondé sur d'anciennes idées religieuses ne fut pas toujours bien observé. A plusieurs reprises différentes, il fallut le remettre en vigueur par des dispositions expresses. Une loi de ce genre se trouvait déjà sans doute dans les lois de Solon. Elle fut renouvelée en 445 par Périclès, en 403 par Aristophon. Enfin, en 346, une révision générale de la liste civique eut lieu sur la proposition de Démophile. La loi réglait en pareil cas la procédure à suivre. Une assemblée se réunissait dans chacun des dèmes de l'Attique. La liste civique était produite, l'appel fait par le démarque et les noms des inscrits étaient successivement soumis à un vote (διαψήφισις) (a). En cas de contestation, il s'élevait un débat contradictoire dont l'assemblée était juge en premier ressort. Ceux dont la radiation était prononcée rentraient dans la classe des métèques. S'ils ne voulaient pas accepter la décision rendue contre eux (ἀποψήφισις), ils avaient un recours (ἔφεσις) devant le tribunal des Héliastes. Le démarque s'y présentait pour soutenir la décision attaquée et parlait le premier. L'appelant prenait ensuite la parole. S'il n'obtenait pas la réformation de la décision, il etait vendu comme esclave, peine comminatoire qui pouvait être prévenue par un exil volontaire. C'est à cette occasion que parait avoir été prononcé le discours que l'on va lire. Euxithée, du dème d'Halimunte, a été rayé de la liste civique par l'assemblée du dème, à l'instigation du démarque Eubulide. Il a formé son recours devant le tribunal des héliastes, et répond à Eubulide qui a dû parler le premier. Il expose que la procédure suivie dans l'assemblée du dème a été irrégulière, et prouve qu'il est bien Athénien, né de père et mère Athéniens. Il y avait à Athènes une action criminelle contre l'étranger qui se faisait passer pour citoyen (γραφὴ ξενίας), mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. Il n'ya même aucune action intentée, ni civile ni criminelle, c'est simplement un recours contre une décision qui a un caractère administratif. La peine qui menace l'auteur d'un recours téméraire ne change pas le caractère du débat. C'est donc avec raison que le plaidoyer contre Eubulide a été rangé dans les oeuvres de Démosthène à la suite des plaidoyers civils. Est-il réellement de Démosthène? A. Schoefer trouve que le langage d'Euxithée est parfois trop sentencieux pour le personnage, et il voit là une faute contre le goût. Mais ce n'est pas une raison suffisante pour se décider contre la tradition. Outre les grandes éditions citées dans la préface, j'ai eu sous les yeux, pour ce discours, l'excellente édition spéciale de Westermann, Berlin, 4865, avec commentaire en allemand. Je l'ai suivi presque partout. PLAIDOYER [1] Eubulide a parlé longuement contre nous, juges, et n'a dit que des mensonges. II s'est livré à des diffamations contraires à toutes les convenances comme à tout droit. J'entreprendrai, moi, de vous tenir le langage de la vérité et du droit: je vous montrerai, d'une part, que nous sommes bien citoyens; d'autre part, que j'ai été indignement traité par cet homme. Je vous en prie seulement, juges, tous tant que vous êtes, je vous en supplie et je vous en conjure, songez à l'importance du débat qui s'agite en ce moment, à l'affront de celui qui succombe et qui se voit perdu: Écoutez-moi avec le même silence , et s'il se peut, avec plus de bienveillance que vous n'avez écouté mon adversaire, - aussi bien plus on court de danger, plus on a de titres à votre faveur, - ou si cela n'est pas possible, faites-nous, du moins, la mesure égales Je me présente ici, [2] juges, rassuré en ce qui dépend de moi par la conviction de mon bon droit et le ferme espoir de sortir de cette lutte à mon honneur, mais je ne puis voir sans inquiétude le moment où nous sommes et l'entraînement qui vous porte à prononcer des radiations. Il y a eu dans tous les dèmes beaucoup de gens expulsés à juste titre; nous autres, victimes de rivalités politiques, nous nous trouvons confondus avec ces gens-là dans l'opinion, et nous avons à combattre les griefs qui pèsent sur eux, bien plus qu'à nous défendre chacun pour notre compte. [3] Aussi, et par une suite nécessaire, grandes sont nos appréhensions, et cependant, quelles que soient les difficultés de ma situation, je commencerai par vous dire ce qui me paraît juste à ce sujet. Donc, à mon avis, vous devez vous montrer sévères pour ceux qui sont reconnus étrangers, si, sans avoir ni obtenu ni même demandé cette faveur, ils ont, par ruse ou par violence, participé aux cérémonies de votre culte et à la jouissance de vos biens communs. Mais ceux qui ont été malheureux et qui prouvent qu'ils sont citoyens, vous devez les prendre sous votre protection et les relever. Songez quel déplorable malheur ce serait pour nous autres qui avons vu nos droits méconnus, si, au lieu de siéger avec vous, comme c'est notre droit, sur les bancs des juges, nous nous trouvions confondus avec les coupables et injustement condamnés avec eux, en haine de leur forfait. [4] En vérité, juges, Eubolide, et tous ceux qui se font contradicteurs en ce moment, dans ces affaires de radiation, auraient dû, ce me semble, se borner à dire exactement tout ce qu'ils savent, et n'apporter aux débats aucun ouï-dire. L'injustice d'un semblable procédé est reconnue depuis bien longtemps, à ce point que les lois elles-mêmes ne permettent pas de témoigner par ouï-dire, même dans les affaires les plus minces (01), et avec grande raison ; car, s'il n'est pas rare de voir des gens convaincus de mensonge sur des faits qu'ils avaient déclaré être à leur connaissance personnelle, comment ajouter foi aux paroles d'un témoin qui ne sait rien par lui-même? [5] Et s'il n'est pas permis de venir, même à ses risques et périls, invoquer des ouï-dire pour faire tort à autrui, comment pourriez-vous avoir confiance en un homme qui ne prend pas la responsabilité de ce qu'il dit? Eh bien, puisque cet homme qui connaît les lois; qui ne les connaît que trop bien, a mis tant d'injustice et de passion dans ses poursuites contre moi, c'est une nécessité pour moi de vous parler d'abord de l'affront qui m'a été infligé dans l'assemblée du dème. [6] Seulement, Athéniens, laissez de côté pour le moment le vote émis contre moi par les habitants du dème, et gardez-vous d'en conclure qu'en effet, je ne suis pas citoyen. Si vous aviez cru les habitants des dèmes capables de discerner le bon droit partout et toujours, vous n'auriez pas ouvert un recours devant vous. Vous avez compris que la rivalité, l'envie, la haine et d'autres motifs encore pourraient amener quelque chose de semblable à ce qui se passe aujourd'hui. C'est pourquoi vous avez permis à toute personne frappée à tort de recourir à vous, et par cette mesure qui vous honore, Athéniens, vous avez sauvé tous ceux qui avaient été injustement rayés. [7] Je vais donc vous dire d'abord de quelle façon a eu lieu la révision des listes dans l'assemblée du dème. Sans doute on ne doit plaider que ce qui a trait à l'affaire, mais ce n'est pas en sortir que de vous montrer comment a été traitée, contrairement à votre décret, la personne indûment rayée par ses adversaires politiques. [8] Eubulide que voici, Athéniens, avait, beaucoup d'entre vous le savent, accusé d'impiété la soeur de Lacédémonios et n'obtint pas le cinquième des voix (02). Appelé comme témoin dans cette affaire, j'ai dit la vérité, contrairement à ce qu'il avançait; c'est pour cette offense que je suis en butte à ses attaques. Lorsqu'il se vit membre du conseil, juges, le serment, la liste du dème se trouvèrent en son pouvoir, ainsi que le droit de convoquer le dème en ville (03). Savez-vous ce qu'il fit alors? [9] Après avoir réuni les habitants du dème, il passa toute la journée à faire des discours et à écrire des décrets. Ce ne fut pas là l'effet du hasard ; c'était un calcul dirigé contre moi pour retarder autant que possible le vote qui devait avoir lieu sur moi, et il y réussit. Nous nous trouvâmes soixante et treize habitants du dème présents et ayant prêté serment, et nous ne commençâmes à voter les uns sur les autres que bien avant dans la soirée. Lorsque mon nom fut appelé, il ne faisait déjà plus jour. [10] On en était au numéro soixante, et je fus le dernier de ceux qui furent appelés ce jour-là. Les plus âgés des habitants étaient déjà partis pour retourner chez eux. En effet, juges, notre dème est à trente-cinq stades (04) de la ville, presque tous y demeurent et la plupart d'entre eux y retournaient. Ce qui restait ne faisait pas trente personnes. Mais dans ce nombre se trouvaient tous ceux auxquels Eubulide avait fait la leçon. [11] A l'appel de mon nom cet homme se leva d'un bond et se mit à me diffamer, parlant vite et beaucoup et avec de grands éclats de voix, comme il le fait encore en ce moment, sans produire un seul témoin à l'appui de ses accusations, ni du dème ni d'ailleurs ; puis il engagea les membres du dème à voter ma radiation. [12] Je demandai que l'affaire fût remise au lendemain. L'heure était avancée, je n'avais personne pour m'assister, je me trouvais pris au dépourvu. Il fallait laisser à cet homme le temps de soulever contre moi tous les griefs qu'il voudrait, et de produire ses témoins s'il en avait. Il fallait aussi que j'eusse la liberté de me défendre devant tous les membres du dème réunis au complet, et de produire mes propres témoins. J'acceptais par avance la décision qui serait alors rendue sur mon compte. [13] Mais cet homme n'eut aucun égard à ma demande formelle et distribua sur-le-champ les bulletins de vote aux membres présents, sans me donner la parole pour me défendre, et sans faire aucune preuve précise. Ses partisans se levèrent donc et votèrent. On n'y voyait déjà plus; ils reçurent de lui chacun deux ou trois bulletins, et les jetèrent dans l'urne. Il y a de cela une bonne preuve. En effet, il n'y avait pas plus de trente votants et il se trouva plus de soixante bulletins, au grand étonnement de nous tous. [14] Pour prouver que je dis vrai, que les bulletins n'ont pas été distribués à tous, et qu'il s'en est trouvé plus qu'il n'y avait de votants, je vais vous produire des témoins. Sur ce point, je ne puis vous fournir le témoignage ni d'un ami ni d'un autre Athénien. L'heure était avancée et je n'avais appelé personne pour m'assister, mais j'emploierai le témoignage de ceux-là mêmes qui m'ont injustement traité. J'ai mis par écrit pour eux des faits qu'ils ne pourront pas nier. Lis. TÉMOIGNAGE [15] S'il eût été possible aux gens d'Halimunte, juges, de voter ce jour-là sur tous les habitants du dème, on comprendrait qu'ils eussent continué de voter jusque dans la soirée, afin d'en finir, et de ne retourner chez eux qu'après avoir satisfait à votre décret. Si, au contraire, il restait encore plus de vingt personnes sur lesquelles on devait voter le lendemain, si une nouvelle réunion du dème était nécessaire, quelle difficulté y avait-il à ce qu'Eubulide renvoyât au lendemain, et me prit ensuite le premier, pour faire voter sur moi les habitants du dème? [16] En voici la raison, juges: Eubulide n'ignorait pas que si la parole m'était donnée, si tous les membres du dème étaient présents, si le vote s'accomplissait régulièrement, ceux qui avaient formé la brigue avec lui ne se retrouveraient plus. D'où venait cette brigue? je vous le dirai, Athéniens, si vous voulez m'entendre, quand je vous aurai parlé de ma filiation. [17] En ce moment, savez-vous ce qui me paraît juste et ce que je suis prêt â faire? Le voici, juges : c'est de vous montrer que je suis Athénien de père et de mère, de vous produire sur ce fait des témoins que vous tiendrez pour véridiques, de dissiper les médisances et les faux bruits. Quant à vous; vous devez écouter toutes ces choses; après quoi, si vous trouvez qu'étant citoyen j'ai succombé par l'effet d'une brigue , vous me viendrez en aide, sinon vous ferez ce que vous conseillera votre conscience. C'est donc par là que je commencerai. [18] Ils ont publié méchamment que mon père avait l'accent étranger. Mais ils ont omis de dire que pris par les ennemis au temps de la guerre de Décélie (05) et vendu pour être emmené à Leucade (06), il rencontra par hasard l'acteur Cléandre et fut enfin rendu à sa famille après une longue absence. Comme si ce malheur était une raison pour nous perdre, ils ont fait de cet accent étranger un grief contre moi. Eh bien, c'est précisément sur ces circonstances. que je me fonde surtout pour vous prouver que je suis Athénien. [19] Je vous produirai des témoins, d'abord sur ce fait que mon père a été pris et délivré, puis qu'à son retour il a reçu de ses oncles une part de leurs biens (07) ; ensuite que ni dans les assemblées du dème, ni dans celles de la phratrie, ni nulle part ailleurs, personne ne l'a jamais attaqué comme étranger à cause de son accent. Prends-moi les témoignages. TÉMOIGNAGES. [20] Vous venez d'entendre tout ce qui concerne la captivité de mon père, l'heureux hasard de sa délivrance et son retour. J'ajoute qu'il était votre concitoyen, juges, et telle est bien réellement la vérité. Sur ce point j'appelle en témoignage tous nos parents vivants du côté paternel. Appelle d'abord Thoucritidès et Charisiadès. Leur père Charisios était frère de mon aïeul Thoucritidès et de ma grand-mère Lysarété, par suite oncle de mon père (car mon aïeul avait épousé sa soeur née d'une autre mère) (08). [21] Appelle ensuite Nikiadès dont le père Lysanias était frère de Thoucritidès et de Lysarété, et oncle de mon père. Appelle enfin Nicostrate, dont le père Nikiadès était neveu de mon aïeul et de ma grand-mère, et cousin de mon père (09). Appelle-moi tous ces témoins, et toi arrête la clepsydre. TÉMOINS. [22] Vous avez entendu, Athéniens, les parents de mon père par les mâles témoigner et affirmer avec serment que mon père était Athénien et leur parent. Aucun d'eux assurément ne voudrait se parjurer avec imprécations (10) en présence de gens qui sauraient comme lui que son témoignage est faux. Prends aussi les témoignages des parents de mon père du côté des femmes. TÉMOIGNAGES. [23] Ainsi tous les parents vivants du côté de mon père, tant par les hommes que par les femmes, ont attesté qu'il était Athénien des deux côtés et en possession légitime du droit de cité. Appelle maintenant les membres de la phratrie et ceux de la gens (11). TÉMOINS. Prends aussi les témoignages des membres du dème et ceux des membres de la gens au sujet de la phratrie pour prouver que j'ai été élu président de celle-ci. TÉMOIGNAGES. [24] Vous avez entendu les membres de la famille, de la phratrie, du dème et de la gens. Ce sont nos témoins naturels. Vous en avez assez pour juger si celui qui obtient tous ces témoignages était citoyen ou étranger. Si nous avions eu recours à une ou deux personnes seulement, nous pourrions être soupçonnés de les avoir subornées. Mais si mon père, de son vivant, et moi-même aujourd'hui nous avons fait nos preuves, comme chacun de vous, j'entends devant les membres de la phratrie et de la famille, devant ceux du dème et de la gens, comment serait-il possible que tous ces témoins ne fussent pas réellement nos parents et qu'il y ait eu fraude? [25] Sans doute si mon père eût été riche et s'il eût été convaincu d'avoir donné de l'argent â ces hommes pour qu'ils affirmassent être ses parents, on pourrait avec quelque raison soupçonner qu'il n'était pas citoyen. Mais s'il était pauvre, s'il était en état de prouver que ces mêmes hommes qu'il produisait comme ses parents lui ont donné une part de leurs biens, n'est-il pas démontré que la parenté dont il s'agit est bien réelle ? Certes, si mon père ne leur eût pas tenu par les liens du sang, jamais ils ne lui eussent fait une part dans leurs biens ni une place dans la famille. Ces• liens existaient donc, comme le fait l'a prouvé et comme les témoins vous l'affirment. De plus, il a été désigné par le sort pour remplir certaines fonctions, et il les a remplies après avoir subi l'examen. Prends-moi le témoignage. TÉMOIGNAGE [26] Paraît-il croyable à un seul d'entre vous que les membres du dème eussent permis à mon père d'exercer une fonction chez eux s'il eût été étranger et non citoyen? Ne l'auraient-ils pas poursuivi? Eh bien, pas un seul n'a formé de poursuite ni même de critique. Il y a plus : la nécessité se présenta pour les membres du dème de voter les uns sur les autres sous la foi d'un serment solennel, lorsque la liste civique (12) fut détruite sous l'administration d'Antiphile, père d'Eubulide, et ils exclurent plusieurs d'entre eux ; quant à mon père, il ne fut l'objet d'aucune observation, d'aucune critique. [27] Eh bien, pour tous les hommes, tout finit avec la vie. Lorsqu'un homme a été attaqué de son vivant, il est juste que les enfants soient toujours prêts à répondre du fait de leur père; mais si de son vivant il n'a été l'objet d'aucune attaque, n'est-il pas bien dur pour les enfants de se voir mis en jugement par le premier venu? Si donc il n'y a jamais eu de contestation sur ce point, laissons tomber cette affaire dans l'oubli ; si au contraire la question a été débattue, s'il y a eu vote de tous sur chacun, sans que jamais plainte ait été élevée par personne, comment n'aurais-je pas droit à la qualité d'Athénien, du chef de mon père, mort avant que sa filiation ait été contestée ? Pour prouver que je dis vrai, appelle les témoins de ces faits. TÉMOINS. [28] Ce n'est pas tout. Mon père a eu quatre autres enfants nés de la même mère que moi. Les ayant perdus, il les a ensevelis dans le monument des ancêtres, qui est commun à tous les membres de la gens. Aucun de ceux-ci n'a fait défense ni formé opposition, ni intenté action. Et pourtant qui consentirait jamais à laisser ensevelir dans le monument des ancêtres des personnes étrangères à la gens? Pour prouver qu'en cela encore je dis vrai, prends le témoignage. TÉMOIGNAGE. [29] Voilà ce que j'ai à dire au sujet de mon père pour prouver qu'il était Athénien. J'ai produit comme témoins des hommes que nos adversaires eux-mêmes ont reconnu par décret être citoyens. Ils attestent que mon père était leur cousin. Comme vous le voyez, il a vécu ici je ne sais combien d'années; jamais, à aucune époque, il n'a été reconnu pour un étranger. Au contraire, ayant eu recours à ces hommes qui sont ses parents, il fut accueilli par eux et reçut d'eux une part de leur patrimoine, comme étant un des leurs. [30] Vous voyez aussi par la date de sa naissance que, fût-il issu d'Athéniens d'un côté seulement, il aurait encore droit de citoyen. Il est né en effet avant l'archontat d'Euclide (13). Pour ce qui est de ma mère (car c'est encore un des reproches que l'on m'a faits), je vais vous en parler, et j'appellerai des témoins pour appuyer mes paroles. Et pourtant, Athéniens, en me diffamant de la sorte, Eubulide n'a pas seulement violé les décrets qui régissent le commerce. Il a encore violé les lois aux termes desquelles l'action en diffamation peut être intentée contre quiconque reproche à un Athénien ou à une Athénienne le métier qu'il exerce sur la place. [31] Il est vrai, nous vendons des rubans, nous vivons autrement que nous voudrions, et si tu veux, Eubulide, conclure de là que nous ne sommes pas Athéniens, je te prouverai que c'est tout le contraire, puisqu'il n'est pas permis â un étranger de travailler de son état sur notre place (14). Prends-moi d'abord la loi de Solon et fais-en lecture. LOI. [32] Prends encore celle d'Aristophon: En effet, Athéniens, la loi de Solon vous a paru si belle et si démocratique, que vous l'avez reprise et renouvelée par un vote. LOI. Maintenant, il faut venir en aide aux lois, non pas en repoussant comme étrangers ceux qui travaillent, mais en flétrissant ceux qui font de méchants procès. Aussi bien, Eubulide, il y a une autre loi contre les oisifs (15). Tu es sous le coup de cette loi, et tu nous attaques, nous qui travaillons. [33] Voilà bien à quelle extrémité nous sommes réduits en ce moment. Il peut, lui, sortir de l'affaire, tout dire, tout mettre en oeuvre, pour m'enlever mes droits jusqu'au dernier. Mais moi ! vous pourrez bien trouver mauvais que je dise quel métier cet homme va pratiquant dans notre ville, et vous avez raison, car ce que vous savez, à quoi bon le dire ? Voyez pourtant. A mon sens, le métier que nous exerçons ici, sur la place, est précisément ce qui prouve le mieux la fausseté des griefs qu'Eubulide avance contre nous. Il dit en effet que ma mère vendait des rubans, au vu et au su de tous; [34] mais alors ces gens qui l'avaient vue, et en si grand nombre, devaient venir témoigner, et autrement que par ouï-dire. Si elle était étrangère, ils devaient feuilleter le registre des droits qui se perçoivent sur le marché ; ils y auraient vu si elle payait la taxe des étrangers et d'où elle venait. Si elle était esclave, il fallait appeler en témoignage contre elle un homme qui l'eût achetée, ou tout au moins un qui l'eût vendue, ou quelque autre à leur défaut, pour prouver soit qu'elle a servi comme esclave, soit qu'elle a été mise en liberté par un affranchissement. Mais Eubulide n'a fait aucune preuve semblable. En revanche, il n'y a pas d'injures, ce me semble, qu'il ne m'ait prodiguées. Voilà bien le fait du sycophante : trouver partout des griefs et ne jamais rien prouver. [35] Il a encore dit de ma mère qu'elle a été nourrice. Oui, lors des malheurs du pays, au milieu de la ruine générale; le fait est vrai, nous ne le nions pas. Mais comment et pourquoi elle a été nourrice, c'est ce que je vais vous montrer clairement. Que nul d'entre vous, Athéniens, ne prenne la chose en mauvaise part. Même aujourd'hui, vous trouverez encore beaucoup d'Athéniennes qui font métier de nourrices. Nous vous les nommerons si vous voulez. Il est certain que si nous étions riches, nous n'aurions besoin ni de vendre des rubans ni de chercher des ressources pour vivre. Mais quel rapport tout cela peut-il avoir avec la question de filiation? [36] Pour moi je ne le vois pas. Gardez-vous, juges, de flétrir les pauvres, - c'est déjà pour eux un assez grand malheur que d'être pauvres - encore moins ceux qui ont un métier et qui gagnent honnêtement leur vie. Écoutez-moi. Si je vous montre que les parents de ma mère se comportent comme il convient à des hommes libres, qu'ils repoussent avec serment comme autant de calomnies les griefs élevés contre elle par Eubulide, si des gens dignes de foi déclarent savoir que ma mère est Athénienne, rendez-moi justice alors et votez pour moi. [37] Mon aïeul, Athéniens, le père de ma mère, s'appelait Damostratos, de Mélité (16). Il eut quatre enfants, à savoir de sa première femme une fille et un fils nommé Amythéon, de la seconde Cherestraté ma mère, et Timocrate. Ceux-ci à leur tour eurent des enfants. D'Amythéon naquirent Damostrate portant le nom de mon aïeul, Callistrate et Dexithée. Amythéon le frère de ma mère a pris part à l'expédition de Sicile (17) ; il y a trouvé la mort et a été enseveli dans les monuments publics (18) qui serviront eux-mêmes de témoins. [38] De sa soeur, qui épousa Diodore de Halae (19), naquit un fils, Ctésibios. Celui-ci mourut dans l'expédition d'Abydos (20), sous le commandement de Thrasybule. De tous ceux que je viens de nommer, un seul vit encore, c'est Damostrate, fils d'Amythéon, neveu de ma mère. Quant à ma grand-mère Chærestraté, elle avait une soeur qui épousa Apollodore de Plothéia (21). D'eux naquit Olympichos, d'Olympichos Apollodore qui est vivant, lui aussi. Appelle-moi ces deux témoins. TÉMOINS. [39] Vous venez d'entendre les témoignages,et les serments de ces hommes. J'appelle maintenant le frère de ma mère, issu de la même mère et notre parent des deux côtés, et ses fils (22). En effet Timocrate, frère de ma mère et par son père et par sa mère, a eu pour fils Euxithée, lequel a eu lui-même trois fils. Toutes ces personnes sont encore vivantes. Appelle-moi ceux d'entre eux qui se trouvent à Athènes. TÉMOINS. [40] Prends-moi les témoignages des membres de la phratrie qui appartiennent à la même gens et au même dème que ma mère, et de tous ceux qui ont droit à une place dans les mêmes tombeaux. TÉMOIGNAGES. Ainsi, en ce qui touche la filiation de ma mère, vous voyez qu'elle était Athénienne et par les hommes et par les femmes. Maintenant, juges, ma mère épousa d'abord Protomaque , à qui elle fut donnée en mariage (23) par Timocrate, son frère de père et de mère. Elle eut une fille de ce mari, puis elle épousa mon père et je naquis de cette union. Comment elle épousa mon père, c'est ce que je dois vous apprendre. Je vais vous expliquer très clairement et les faits qu'on nous reproche au sujet de Clinias, et comment ma mère a été nourrice, et tout ce qui s'est passé. [41] Protomaque était pauvre. Appelé à recueillir une opulente succession avec la main d'une fille héritière (24), il prit la résolution de se défaire de ma mère, et détermina mon père Thoucritos, qui était son ami, à la prendre. En conséquence, mon père reçut ma mère en mariage (25), de Timocrate de Mélité, frère de celle-ci, en présence de ses deux oncles à lui, et d'autres témoins. Tous ceux d'entre eux qui sont vivants nous rendront témoignage. [42] Quelque temps après, elle avait déjà donné le jour à deux enfants, mon père était au service hors du pays, sous le commandement de Thrasybule; elle se trouva sans ressources, et fut réduite à nourrir Clinias fils de Clidicos, en quoi certes elle est loin d'avoir fait une chose utile au sujet du danger que je cours aujourd'hui, car de cette nourriture viennent tous les reproches qu'on nous fait. Il faut pourtant convenir que la détresse où elle se trouvait rendait ce parti nécessaire et convenable. [43] Ainsi vous le voyez, Athéniens, mon père n'est pas le premier qui ait reçu ma mère en mariage. Protomaque avait déjà été son époux, en avait eu des enfants, et avait marié une fille. Quoiqu'il soit mort, il n'en témoigne pas moins par ses actes que ma mère était Athénienne et citoyenne. Pour prouver que je dis vrai, appelle-moi d'abord les fils de Protomaque, puis ceux qui étaient présents quand mon père contracta son mariage, puis parmi les membres de la phratrie les parents auxquels mon père a donné le repas de noces au nom de ma mère (26), puis Eunikos de Cholargos (27) qui a reçu de Protomaque ma soeur en mariage, puis le fils de cette soeur. Appelle-les. TÉMOINS. [44] En vérité, Athéniens, ne serais-je pas le plus à plaindre de tous les hommes, si, entouré de nombreux parents, venus ici pour attester et affirmer avec serment nos rap¬ports de famille, la qualité de citoyen n'étant contestée à aucun d'entre eux, votre vote déclarait que je suis étranger? Prends-moi encore le témoignage de Clinias et celui de ses parents. Ils savent apparemment ce qu'était ma mère lorsqu'elle lui a servi de nourrice. En effet, leur serment leur ordonnait d'attester non pas ce que nous affirmons aujourd'hui, mais ce qu'ils ont su de tout temps au sujet de notre mère qui pour eux était toujours la nourrice de Clinias. [45] Assurément, c'est peu de chose qu'une nourrice, mais je n'ai pas peur de la vérité: Aussi bien ce n'est pas pour avoir été pauvres que nous pouvons être en faute, mais pour n'avoir pas été citoyens, et il ne s'agit, dans ce procès, ni de fortune ni de biens, mais d'une simple question de filiation. On voit souvent des personnes libres, réduites par la pauvreté à des occupations serviles et basses. Il faut les plaindre, Athéniens. Cela est plus juste que de les accabler. Si je suis bien informé, beaucoup de femmes Athéniennes ont été forcées par les malheurs dû temps à servir de nourrices, ou à se louer pour les vendanges, et beaucoup qui étaient pauvres alors sont riches aujourd'hui. Mais j'y reviendrai tout à l'heure. En ce moment appelle les témoins. TÉMOINS. [46] Ainsi donc, la qualité d'Athénien m'appartient à la fois du côté de ma mère et dû côté de mon père. C'est ce que vous savez tous maintenant, et par les témoignages que vois venez d'entendre, et par ceux que vous aviez entendus auparavant ad sujet de mon père. Il me reste à vous parler de moi-même; c'est bien simple, à mon sens, et mon droit est bien clair. Athénien issu de parents Athéniens l'un et l'autre, héritier de leurs biens et de leur sang, je suis citoyen. Néanmoins je prouverai qu'il n'y manque aucune circonstance, et je produirai des témoins. Vous verrez comment j'ai été introduit dans la phratrie, comment j'ai été inscrit parmi les membres du dème, comment ces mêmes membres m'ont désigné parmi les hommes de race pure pour tirer au sort les fonctions de prêtre d'Héraclès (28), comment j'ai rempli les fonctions publiques après avoir subi l'examen. Appelle-moi ces témoins. TÉMOINS. [47] Trouvez-vous juste la condition qui m'est faite, juges? si j'avais obtenu par le sort le sacerdoce pour lequel j'avais été désigné comme candidat, nous serions obligés, moi de sacrifier pour ces hommes, et lui de sacrifier avec moi. Aujourd'hui ces mêmes hommes ne veulent même pas permettre que je sacrifie avec eux. Et maintenant, Athéniens, il est évident que j'ai été reconnu comme citoyen par tous ceux qui m'accusent en ce jour. [48] Si j'avais été un étranger, un métèque, comme dit Eubulide, jamais il ne m'eût permis de remplir des fonctions publiques, ni de tirer au sort avec lui pour le sacerdoce, après avoir été désigné comme candidat. Car lui aussi était de ceux qui ont tiré au sort après avoir été désignés. Dans tous les cas, Athéniens, s'il eût connu en moi quelque défaut de ce genre, il n'aurait pas attendu la présente occasion que personne ne pouvait prévoir, lui, mon ancien ennemi. [49] Mais il ne me connaissait aucun défaut. C'est pourquoi jusqu'à ce jour il a constamment participé avec moi aux assemblées du dème et aux tirages au sort, sans rien voir, mais lorsqu'il a vu la ville tout entière irritée et indignée contre tous ceux qui ont forcé l'entrée des dèmes, il s'est mis à m'attaquer. S'il savait quelque chose sur mon compte, c'est au moment dont je parlais tout à l'heure qu'il eût dû dire la vérité. L'occasion présente ne convient qu'à un ennemi ou à un sycophante. [50] Pour moi, juges - et ici, au nom de Jupiter et de tous les dieux, n'allez pas m'interrompre, ni prendre en mauvaise part ce que je vais dire - je me crois Athénien comme chacun de vous croit l'être. J'ai toujours regardé comme étant ma mère celle que je vous déclare. On ne peut pas dire qu'étant né d'une autre femme je me donne pour fils de celle-ci. Pour mon père, Athéniens, c'est la même chose. [51] Quand vous voyez qu'un homme cache sa vraie filiation pour s'en attribuer une autre, vous en concluez qu'il est étranger. Si ce raisonnement est juste, Athéniens, je suis donc citoyen, moi qui ai fait tout le contraire. Je n'aurais pas désigné pour mes parents une étrangère et un étranger, lorsque j'ai réclamé la qualité de citoyen. Si j'avais su n'être pas en règle, j'aurais cherché d'autres personnes à déclarer comme mes parents. Mais je ne me connais en cela aucun défaut. C'est pourquoi je m'en tiens à ceux qui sont réellement mes parents, et je réclame ma qualité de citoyen. [52] Ce n'est pas tout. Je suis resté orphelin, et on dit que je suis riche, et que plusieurs des témoins ont reçu de moi des secours pour se dire mes parents. Ils rappellent pour me nuire les misères de ma pauvreté, ils calomnient ma naissance, et en même temps ils affirment qu'étant riche j'ai tout acheté. [53] Mais alors, de ces deux choses laquelle faut-il croire? Le droit des hommes que voici, si j'étais un bâtard ou un étranger, était d'hériter de tous mes biens. Aiment-ils donc mieux recevoir de petits présents, s'exposer aux suites d'un faux témoignage, et commettre un parjure, que de posséder tout, et sûrement, sans se charger d'aucun crime ? Non, cela n'est pas. Je dis que ce sont des parents qui font leur devoir en venant au secours d'un des leurs. [54] Et ce n'est pas une détermination récente qui les porte à agir de la sorte. Je venais de naître lorsqu'ils me présentèrent à la phratrie, au temple d'Apollon, auteur de notre race (29), aux autres temples. Certes, ce n'était pas un enfant comme moi qui pouvait les faire agir en leur donnant de l'argent. En outre, mon père lui-même, de son vivant, ayant prêté le serment légal à la phratrie, me présenta comme Athénien né, à sa connaissance, d'une Athénienne son épouse légitime. Il y a encore des témoignages qui établissent ces faits. [55] Suis-je donc étranger maintenant? Où est-ce que j'ai acquitté la taxe de séjour, moi ou quelqu'un des miens (30) ? Est-ce qu'on m'a vu me présenter à d'autres dèmes, et faute d'être admis par eux, venir m'inscrire dans celui-ci? Ai-je rien fait de ce qu'on a vu faire à ceux dont le droit de cité n'était pas à l'abri du soupçon ? Nullement. Là où l'aïeul paternel de mon père, le mien, et mon père lui-même avaient pris part aux assemblées de dème, là aussi on m'a vu y prendre part. Et maintenant comment pourrait-on vous prouver plus clairement qu'on est citoyen? [56] Que chacun de vous, Athéniens, se demande comment il pourrait produire ses parents autrement que je ne produis les miens, donnant leur témoignage, apportant leurs serments, montrant toujours depuis ma naissance les mêmes dispositions à mon égard ? C'est par ces motifs que j'ai pris confiance en moi-même et que j'ai eu recours à vous. En effet, Athéniens, je vois que vos tribunaux ont le pouvoir d'annuler non seulement le décret rendu contre moi par les habitants d'Halimunte, mais encore les décrets du conseil et ceux du peuple, et cela est juste, car les jugements que vous rendez sont à tous égards les plus justes de tous. [57] Rappelez-vous encore ceci, vous tous qui appartenez à de grands dèmes : Vous n'avez jamais enlevé à personne l'avantage d'être attaqué et de se défendre (31). Grâces vous soient rendues à tous pour la justice dont vous avez fait preuve dans les débats de ce genre, en n'ôtant pas à ceux qui demandaient un délai le temps nécessaire pour se préparer. Vous avez atteint par là les sycophantes et tous ceux qui attaquent les autres par haine. [58] Il est juste de faire de vous cet éloge, Athéniens, et en même temps de flétrir ceux qui abusent d'une institution belle et juste. Eh bien, vous le verrez, dans aucun dème les choses ne se sont passées d'une façon plus regrettable que chez nous. Voici des frères qui ont le même père et la même mère. Les uns ont été rayés, les autres non. Voici de malheureux vieillards qui ont été exclus, et dont on a gardé les fils. Si vous le voulez je produirai des témoins de tous ces faits. [59] Mais écoutez ce que la cabale a fait de plus fort. - Par Jupiter et tous les dieux, n'allez pas m'en vouloir, si je montre l'improbité de ceux dont je suis la victime. Il me semble que montrer l'improbité de ces hommes c'est précisément plaider ma cause. - Des étrangers, Anaximène et Nicostrate, voulaient devenir citoyens. Ils les ont admis, Athéniens, moyennant une somme qu'ils se sont partagée à raison de cinq drachmes par tête. Et cela, Eubulide et ses amis n'affirmeront pas avec serment qu'ils n'en ont pas connaissance. Il est certain qu'ils n'ont pas prononcé la radiation de ces hommes. Que n'ont-ils pas dû faire isolément ceux qui, réunis, ont osé pareille chose? [60] Le nombre est grand, juges, de ceux que les complices d'Eubulide ont rayés ou maintenus pour de l'argent. Déjà autrefois - en disant ceci, Athéniens, je ne sors pas de ma cause - Antiphile, père d'Eubulide, étant démarque, ainsi que je l'ai dit, employa une manoeuvre semblable pour se faire donner de l'argent de plusieurs mains. Il prétendit que le registre public avait péri, fit voter les habitants d'Halimunte sur eux-mêmes, et attaqua dix membres du dème, qui furent exclus, mais le tribunal les rétablit tous, à l'exception d'un seul. Tous les anciens savent cela. [61] Certes, ils n'étaient pas disposés à laisser sur les listes des hommes qui ne fussent pas Athéniens, puisqu'ils ont expulsé par une cabale des gens qui étaient réellement citoyens, et que lé tribunal a rétablis. Or, déjà ennemi de mon père, non seulement il ne l'a pas attaqué, mais il n'a même pas voté contre lui pour le faire exclure comme n'étant pas Athénien. Où est la preuve de ce fait ? En ce que mon père a été reconnu membre du dème à l'unanimité des suffrages. Mais à quoi bon parler de nos pères? Eubulide lui-même, que voici, le jour où je fus inscrit, et alors que les membres du tribunal étaient tous appelés à voter sur moi, suivant la loi, et sous la foi du serment, ne m'a pas attaqué, et n'a pas voté contre moi, car cette fois encore je fus reconnu membre du dème à l'unanimité des votants. S'ils disent que je mens en cela, que l'un de ces hommes, le premier qui voudra, vienne comme témoin déclarer le contraire, en prenant sur le temps qui m'est assigné. [62] Si donc, Athéniens, vous trouvez que ces hommes ont un argument très fort quand ils disent que dans cette circonstance les membres du dème m'ont exclu par un vote, je prouve que quatre fois, auparavant, alors que l'on votait en conscience et sans cabale, ils ont eux-mêmes déclaré par un vote que j'étais membre du même dème, et mon père aussi; d'abord, lors de l'examen de mon père; puis lors du mien (32) ; en troisième lieu, lors de la première révision des listes, après que ces hommes eurent fait disparaître le registre. Enfin, par un dernier vote, ils m'ont, après vérification, inscrit parmi les citoyens de race pure appelés à tirer au sort pour le sacerdoce d'Héraclès. Tous ces faits ont été déclarés par les témoins. [63] Faut-il maintenant parler de mes fonctions de démarque, qui m'ont fait des ennemis, et n'ont pas été sans lutte, car j'ai eu à poursuivre plusieurs membres du dème en payement de loyer pour des biens appartenant aux temples, et en restitution de choses prises à la communauté ? Je voudrais bien vous en entretenir, mais vous penserez peut-être que cela est en dehors de la cause. Aussi bien je trouve là précisément une preuve de la cabale qu'ils ont faite. Ils ont retranché de la formule du serment ces mots : « je voterai pour l'opinion la plus juste, sans faveur et sans haine. » [64] De plus, ceci encore est un fait notoire, ils ont dérobé par un vol sacrilège les armes offertes par moi à la déesse Athéné, ils ont effacé le décret que le dème avait rendu en mon honneur, et après cela tous ceux que je poursuivais en restitution se sont liés contre moi par un serinent. Et ils n'ont pas eu honte de dire de tous côtés que c'est moi-même qui ai fait toutes ces choses pour me ménager un moyen de défense. Mais qui d'entre vous, juges, me croira assez insensé pour commettre des actes que la loi punit de mort, en vue d'ajouter à ma cause des arguments de cette force, et pour faire disparaître ce qui me faisait honneur? [65] II y a du moins un fait dont on ne m'accusera pas d'être l'auteur, et c'est le plus grave de tous. A peine la chance avait-elle tourné contre moi qu'aussitôt je fus considéré comme un proscrit et un homme perdu. Plusieurs de mes adversaires se rendirent de nuit à mon habitation au milieu des champs, et tentèrent de piller tout ce qui s'y trouvait, sans le moindre souci ni de vous ni des lois. Si vous le voulez nous appellerons en témoignage ceux qui ont vu le fait. [66] J'aurais encore bien d'autres choses à vous faire connaître et sur les actes qu'ils ont commis et sur les mensonges qu'ils ont dits. Je ne demanderais pas mieux que de vous en parler, mais vous pensez que cela est en dehors de la cause, il suffit. Je laisse tout cela. Rappelez-vous seulement les choses que je vous ai dites, et voyez comme je me présente devant vous avec force bonnes raisons. Je vais m'interroger moi-même, ici, de la même façon que vous interrogez les thesmothètes. [67] « Dis-moi, mon ami, quel était ton père? » - « Mon père était Thoucritos. » - « As-tu des témoins qui déclarent être tes parents? » - « Oui, certes : d'abord quatre cousins, puis un fils de cousin, puis ceux qui ont épousé les cousines de Thoucritos, puis les membres de la phratrie, puis ceux de la gens qui invoque Apollon, auteur de notre race, et Jupiter, protecteur de la propriété (33), puis ceux qui ont droit à une place dans les mêmes tombeaux. Enfin les membres du dème déclarent que j'ai souvent subi l'examen et rempli fonctions. Eux-mêmes ont voté sur moi, tout le monde le sait ». Pour ce qui est de mon père, comment pourrais-je vous fournir une preuve plus forte ou plus irréprochable? J'appellerai mes parents en témoignage si vous voulez. Écoutez maintenant ce qui est de ma mère. [68] Ma mère est Nicarété, fille de Damostratos de Mélité. Quels sont les parents qui témoignent pour elle? D'abord un neveu , puis deux fils d'un autre neveu, puis un fils de cousin, puis les fils de Protomaque, le premier mari de ma mère, puis Eunikos de Cholargos qui a épousé ma soeur issue de Protomaque, puis les fils de cette soeur. [69] Ce n'est pas tout, les membres de la phratrie à laquelle ses parents appartiennent, et ceux du dème ont témoigné de tout cela. Que vous faudrait-il donc de plus ? Aussi bien on vous a déclaré que mon père a épousé ma mère en légitime mariage, et qu'il a donné le repas de noces aux membres de la phratrie. En outre, j'ai montré que moi-même j'avais joui de tous les avantages qui appartiennent à des hommes libres. Ainsi, à tous égards, si vous votez pour moi vous ferez acte de justice et de convenance, et vous vous montrerez fidèles à votre serment. Encore un mot, juges. [70] Quand vous interrogez les neuf archontes, vous leur demandez comment ils se conduisent à l'égard de leurs pères et mères. Moi j'ai perdu mon père de bonne heure, mais au nom de ma mère, je vous en supplie et je vous en conjure, rendez-moi ce que j'ai revendiqué devant vous, le droit d'ensevelir cette femme dans les tombeaux de mes ancêtres, et ne m'empêchez pas d'accomplir ce devoir. Ne faites pas de moi un homme sans patrie, ne me retranchez pas d'une parenté si nombreuse, en un mot ne me perdez pas. Avant de quitter ces parents, si je ne pouvais être sauvé par eux, je me donnerais plutôt la mort, afin d'être au moins enseveli par eux dans ma patrie.
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(a) Sur cette procédure„ voy. de Neve Moll, De peregrinorum apud Athenienses conditione. Dordrecht, 1839, p. 52. (01) La défense de témoigner par ouï-dire est souvent invoquée dans les plaidoyers grecs. Voy. le discours contre Léocharès, § 55, et le deuxième discours contre Stéphanos, § 6. (02) L'accusation d'impiété, γραφὴ ἀσεβείας s'appliquait à toute offense faite aux dieux ou à la religion. Si l'accusateur n'obtenait pas le cinquième des voix, il payait mille drachmes d'amende, et encourait une atimie partielle, consistant dans l'interdiction d'entrer dans certains lieux consacrés au culte. (Andocide, 1, 33.) (03) Le préfixe ἀνὰ indique le mouvement pour venir de la campagne et monter en ville. Nous voyons ici que l'assemblée d'un dème rural pouvait se tenir à Athènes. (04) Environ six kilomètres et demi. (05) Il s'agit de la seconde période de la guerre du Péloponnèse, pendant laquelle les Lacédémoniens s'étaient emparés de Décélie en Attique. (06) La presqu'île de Leucade, aujourd'hui l'île de Sainte-Maure, è l'extrémité de l'Acarnanie. (07) Lorsque le père d'Euxithée revint de captivité, ses oncles firent, suivant l'usage athénien, une sorte de souscription en sa faveur (ἔρανος). (08) Le mariage entre frère et soeur était permis à Athènes, lorsqu'ils n'étalent pas de la même mère. Plut. Thém., 32, Cimon, 4. (09) II y a ici une lacune, signalée par Westermann et A. Schaefer. Voy. le § 67. (10) Les témoins dont il s'agit ici prêtaient serment avec imprécations contre eux-mêmes, d'après la formule prescrite pour certains cas graves et exceptionnels; c'est ce qu'on appelait le serment κατ' ἐξωλείας. Voy. Antiphon, V, 11. Démosth. contre Aristocrate, 68, contre Conon, 41. (11) Le peuple athénien était primitivement divisé en quatre tribus, chaque tribu comprenait trois phratries, chaque phratrie trente γένη, chaque γένος, trente familles. Clisthène remplaça les quatre anciennes tribus par dix nouvelles et les subdivisa en dèmes ou communes, au nombre de cent soixante-trois. Les phratries et les γένη, cessèrent alors d'être des institutions politiques, mais subsistèrent avec leur caractère civil et religieux. Le mot γένος n'a pas d'équivalent en français, nous le traduisons toujours par l'équivalent latin gens. (12) (12) La liste civique, ληξιαρχικὸν γραμματαῖον, comprenait tous les citoyens mâles et majeurs, c'est-à-dire âgés de plus de dix-huit ans. Toute demande d'inscription était soumise par le démarque au vote des citoyens inscrits sur la liste du dème. (13) Sous l'archontat d'Euclide, en 403, fut remise en vigueur, sur la proposition d'Aristophon, une ancienne loi aux termes de laquelle il fallait, pour être citoyen, être né non seulement d'un père athénien, mais d'une mère athénienne. Mais cette loi n'avait pas d'effet rétroactif, du moins cela fut déclaré ainsi par une loi postérieure portée sur la proposition de Nicomène. (Schol. Aeschin. In Timarch., § 39, et Van den Es, p. 76.) (14) A moins de payer un impôt spécial. Voy. plus loin. (15) C'est une loi de Dracon renouvelée par Solon, ou, suivant d'autres, par Pisistrate. La peine était une amende de cent drachmes. La troisième condamnation entraînait l'atimie. La formule d'accusation s'appelait γραφὴ ἀργίας. (16) Mélité, dème de la tribu Oenéide ou Cécropide.sous scellés. (17) L'expédition des Athéniens en Sicile est de l'an 415. (18) Symboliquement, dit avec raison Westermann, car le monument dont il s'agit ne pouvait être qu'un cénotaphe. (19) Halae, dème de la tribu Ægéide. (20) L'expédition d'Abydos est de l'an 388. (21) Plothéia, dème de la tribu Ægéide. (22) Westermann propose ici une correction qui ne me parait pas nécessaire. Le témoin invoqué est Timocrate et non Euxithée. (23) Pour qu'un mariage fût légitime, il fallait que la femme fût donnée en mariage par celui qui avait puissance sur elle (κύριος), c'est-à-dire par son père, ou à défaut par son frère. (24) La fille ne pouvait hériter, mais elle passait avec la succession au plus prochain agnat, qui avait le droit et l'obligation de l'épouser. Si. l'un des deux était déjà marié, on avait recours au divorce. (25) L'ἐγγύη est à proprement parler l'acte par lequel le κύριος atteste au futur époux, avec serment et devant témoins la filiation légitime de l'épouse, et se porte, en quelque sorte, caution. (26) Ce repas de noces, γαμηλία, tenait lieu de présentation de la femme à la phratrie. Les moeurs athéniennes ne permettaient pas que la femme se rendit à l'assemblée de la phratrie. C'étaient les membres de la phratrie ou du moins quelques-uns d'entre eux qui se rendaient chez les nouveaux époux. Le repas avait un caractère symbolique et religieux. (27) Cholargos, dème de la tribu Acamantide. (28) Héraclès était la divinité protectrice du dème d'Halimunte. (29) Les enfants nés dans l'année étaient présentés à la phratrie et à la gens le troisième jour de la fête des Apaturies, dans le mois de pyanepsion (octobre). Andoc., I, 126; Démosth., XLIII, 14. Le père, ou à son défaut le plus proche parent affirmait par serment la légitimité de l'enfant, et requérait qu'il fût inscrit sur les listes. (30) La taxe de séjour pour les métèques ou étrangers domiciliés, τὸ μετοικίον, était de douze drachmes par an. Harpocr., § 126, 29. (31) C'est-à-dire l'avantage d'un débat contradictoire. Κατηγορία n'est pas pris ici dans le sens restreint du mot accusation, qui suppose un procès criminel. Le raisonnement de l'orateur est celui-ci : si les formes ont été observées dans les grands dèmes, où les affaires de ce genre étaient plus nombreuses, à plus forte raison devaient-elles être suivies dans les petits dèmes comme celui d'Halimunte. (32) Il s'agit de la δοκιμασία εἰς ἄνδρας, c'est-à-dire de l'examen qui précédait l'inscription sur la liste civique, à l'époque de la majorité. (33) Apollon Pythien était père de Ion et, par lui, de toute la race ionienne dont les Athéniens étalent un rameau. Quant à Jupiter, protecteur de la propriété, ou plus littéralement de l'enclos, c'était une divinité nationale à Athènes. Le passage de la propriété collective à la propriété individuelle s'était fait là comme ailleurs, sous la sanction de la religion.
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