retour à l'entrée du site   table des matières des penseurs de la Grèce de Theodor Gomperz

 

 

Gomperz, Theodor (1832-1912)
Les penseurs de la Grèce : histoire de la philosophie antique

trad. de Aug. Reymond,... ; et précédée d'une préf. de M. A. Croiset,...
Griechische Denker : eine Geschichte der antiken Philosophie
2e éd. rev. et corr.
Paris : F. Alcan ; Lausanne : Payot, 1908-1910

LIVRE II

chapitre V -   LIVRE III

CHAPITRE VI

Les Historiens.

1. Hécatée de Milet. La méthode semi-historique. Interprétation rationaliste des mythes. - II. Hérodote d'Halicarnasse. Son explication des légendes. Exemples de la méthode semi-historique. - III. Hérodote géologue. Hérodote et le polythéisme. L'historien n'est pas un monothéiste déguisé. La « Providence » et la « jalousie des dieux. Autres contradictions de la théologie d'Hérodote. - IV. Absence de critique et hypercritique d'Hérodote. Accès de positivisme. Fin de l'époque de transition.

I

La recherche scientifique appliquée à !a nature ne fut pas la seule voie par laquelle se prépara l'affranchissement intellectuel du peuple grec. Pour que la pensée mythique se prolongeât, il fallait une certaine étroitesse de l'horizon dans le temps comme de l'horizon dans l'espace. Les circonstances avaient élargi peu à peu ce dernier. Simultanément, et pour toujours, les limites de tous les deux furent reculées par l'apparition de deux disciplines sœurs, dont la culture fut aussitôt réunie dans les mêmes mains.
Les chroniques des villes, les listes de prêtres, les catalogues des vainqueurs aux jeux nationaux ont donné naissance à l'historiographie grecque. Mercenaires, flibustiers, marchands et colonisateurs ont été les pionniers de la géographie. Un puissant et original esprit, Hécatée de Milet, a, le premier, réuni ces deux domaines du savoir (01). Des voyages étendus, des informations plus étendues encore, lui avaient procuré un trésor de connaissances qui le mit à même de donner de sages conseils à ses compatriotes de l'Ionie, pendant leur grande insurrection contre la domination perse (502-496), et d'intervenir habilement comme négociateur entre les deux partis. Il avait consigné le résultat de ses recherches dans deux ouvrages dont nous ne possédons plus que quelques misérables restes, dans les livres de sa Géographie, qui portaient les titres des trois continents : Europe, Asie et Libye (Afrique), et dans les quatre livres de ses Généalogies. En tête de ces dernières, il écrivait, fier de ne s'appuyer que sur la raison, cette phrase qui témoigne d'un esprit clair et positif, et qui résonne à nos oreilles comme une éclatante fanfare dans l'air pur du matin : « Hécatée de Milet parle ainsi. J'ai transcrit ce qui suit comme chaque chose me paraissait être vraie : car les discours des Hellènes sont multiples, et, à ce qu'il me semble, ridicules. » De nouveau, nous nous trouvons au berceau de la critique. De même que Xénophane introduit l'esprit d'examen dans l'étude de l'univers, Hécatée l'introduit dans celle des choses humaines. Pourquoi et comment il le fait, cela ressort en bonne partie déjà des termes de cet audacieux prélude. Les contradictions des traditions historiques le forcèrent à faire un choix entre elles. Leurs absurdités, c'est-à-dire ce qui, dans leur contenu, ne se conciliait pas avec ce qu'il considère comme croyable et possible, - ici nous reconnaissons que l'esprit de recherche fondé sur la raison s'était déjà emparé de lui - lui donnèrent le courage d'exercer sur elles une critique incisive. Il ne lui suffit pas non plus d'admettre une tradition et d'en rejeter une autre : il s'estime en droit de remanier ces récits pour en dégager le vrai noyau de son enveloppe légendaire. Car il veut représenter les faits tels qu'ils lui paraissent s'être passés. Il n'a pas devant lui des documents ou des témoignages dont il puisse examiner l'âge, la provenance ou la dépendance réciproque, car l'usage de fixer d'une manière fidèle les événements contemporains n'apparaît que tard en Grèce ; la connaissance de la plus grande partie des faits historiques n'est transmise que parla tradition et par ses représentants, les poètes, auxquels s'ajoutent, à partir de l'an 600 environ, les prosateurs. Il n'est donc pas en mesure d'apprécier les témoins des événements et le degré de confiance qu'ils méritent ; son jugement ne peut se baser que sur des critères internes ; il est obligé de renoncer à la critique ou de faire de la critique subjective. Sa méthode ne peut être autre que celle que l'on a appelée semi-historique, ou désignée d'un mot que nous préférons éviter à cause des abus auxquels il donne facilement lieu, celui de rationaliste.
Il nous reste encore à mentionner une circonstance décisive en pareille matière. Le large regard porté sur les légendes et les histoires des pays étrangers n'a pas seulement contribué essentiellement à éveiller la méfiance à l'endroit de la tradition nationale, il a aussi prescrit la voie à suivre à tous ceux qui n'étaient pas assez téméraires pour jeter par dessus bord l'ensemble de la tradition mythique. Hécatée, cet explorateur qui se trouvait partout chez lui, fit à Thèbes, en Égypte, une expérience qui nous parait typique des impressions que ses semblables et lui ont dû éprouver souvent au contact des peuples de civilisation plus ancienne. Il avait fait voir aux prêtres de Thèbes, non sans complaisance, son arbre généalogique, d'où il résultait que son premier ancêtre était un dieu, et qu'il n'en était séparé que par quinze générations. Alors ils le conduisirent dans une salle où étaient exposées les statues des grands prêtres de Thèbes. Il n'y en avait pas moins de trois cent quarante-cinq ! Chacune de ces statues, à ce que lui assuraient ses guides à la face glabre, avait été élevée dû vivant de son modèle ; la dignité de prêtre était héréditaire, et avait passé toujours de père en fils dans cette longue série ; tous avaient été des hommes comme nous ; pas un seul n'avait été dieu, ni même demi-dieu ; auparavant, sans doute, ajoutaient les prêtres, des dieux avaient séjourné sur la terre, mais dans ce long espace de temps, il ne s'était déroulé que de l'histoire humaine, attestée par des documents ! L'impression que produisit cette révélation sur le Grec à la fois décontenancé et convaincu, n'est pas facile à décrire. Ce fut sans doute comme si le plafond de la salle dans laquelle il se trouvait s'élevait à ce moment à perte de vue au-dessus de sa tête et envahissait une grande partie des régions célestes. Le domaine de l'histoire humaine s'étendait pour lui à l'infini, tandis que le champ de l'intervention divine se rétrécissait d'autant. Il était impossible que des dieux et des héros eussent pris part à des événements que des traditions incontestées plaçaient à une date relativement récente, comme, par exemple, à l'expédition des Argonautes ou à la guerre de Troie. Là les choses devaient s'être passées à peu près comme elles se passent actuellement; la norme du possible, du naturel et par conséquent du croyable, pouvait être appliquée aux traditions d'une époque qui avait été jusqu'alors considérée comme le théâtre des interventions surnaturelles et des faits merveilleux. Et c'est bien ce qu'Hécatée comprit. Il lui parut inadmissible qu'Héraklès eût conduit les bœufs volés par lui à Géryon de la fabuleuse Érytheia, située, disait-on, dans le voisinage de l'Espagne, jusqu'à l'hellénique Mycènes ; ce Géryon avait dû régner plutôt sur un territoire du nord-ouest de la Grèce (en Épire), dont les bœufs étaient célèbres par leur force et leur beauté, et qui, par sa terre rouge-brique, semblait mériter le nom d'Érytheia (Terre rouge). Ces ressemblances de noms, et l'inépuisable ressource que fournissait l'étymologie en général, ont joué un rôle considérable dans l'interprétation que le géographe donnait des mythes. Les faits qui se rattachent à la guerre de Troie étaient également ramenés par lui aux proportions de l'histoire, comme ils allaient l'être, nous le verrons, par Hérodote. Les monstres fabuleux, comme Cerbère, ne trouvaient pas davantage grâce devant la sévérité de ce juge des légendes. Le chien infernal aux trois têtes était identifié par lui, sur la foi de nous ne savons quels arguments, à un énorme serpent qui avait habité autrefois le promontoire laconien du Ténare. Mais bornons-nous à ces indications. Notre but était seulement de montrer la première apparition de l'esprit de critique et de doute dans le domaine des études historiques, et d'expliquer la forme que le scepticisme y prit et y garda par nécessité interne ; car le grand successeur de l'historien milésien, Hérodote, auquel nous arrivons maintenant, suivit la même ligne de conduite.

II

Hérodote d'Halicarnasse (né peu avant 480), auteur du chef-d'œuvre historique le plus parfait qui puisse jamais ravir les cœurs des hommes, était aussi à sa manière un penseur (02). Faute des termes de comparaison nécessaires, il nous est difficile de mesurer à quel point il était original. Mais précisément parce qu'Hérodote est représentatif non seulement de lui-même, mais encore de plus d'un de ses contemporains dont les écrits ne nous sont pas parvenus, il convient de s'arrêter un peu à son oeuvre. Quoi de plus agréable, d'ailleurs, pour nous que de puiser à cette source délicieuse quelques gorgées rafraîchissantes ? Son exposition, poursuivie avec un art consommé, ne se contente pas d'unir, mais fond ensemble l'histoire des hommes et la science de la terre ; elle groupe en un tout harmonieux, en un seul tableau, les histoires isolées des divers peuples, et dès le début elle nous offre de précieux enseignements. Hérodote se demande quelle a été l'origine de la vieille querelle qui divise l'Orient et l'Occident, et qui a atteint son paroxysme dans les guerres persiques, sujet et point culminant de son livre (03). Avant d'en arriver au premier souverain de l'Asie qui ait fait la guerre aux Grecs et les ait soumis, au roi Crésus de Lydie, il fait mention de la guerre de Troie et de sa cause, l'enlèvement d'Hélène, ce qui l'amène à remonter aux récits, connexes selon lui, des aventures d'Io, d'Europe et de Médée. Mais quelle empreinte particulière, on pourrait presque dire moderne, il donne à ces figures, à ces événements si connus par les légendes divines et héroïques des Grecs ! Ce n'est pas la jalousie d'Héra qui force à fuir dans les pays lointains Io, l'amante de Zeus changée par lui en génisse ; ce n'est pas le dieu du Ciel qui, sous forme de taureau, séduit Europe ; il n'est plus question de Médée, la magicienne, petite-fille du Soleil, de la part qu'elle prend à la conquête de la toison d'or et de ses enchantements. Ces radieuses héroïnes sont devenues de pâles princesses ; le dieu suprême et Jason, le héros semblable aux dieux, ont fait place à des marchands phéniciens, à des pirates crétois, à des flibustiers grecs. Le second rapt d'une femme nous est donné comme la punition du premier ; le troisième a pour but de venger le second. Des hérauts et des ambassadeurs formulent des griefs contre la violation du droit des gens ; et si les offensés se font eux-mêmes justice en rendant oeil pour oeil et dent pour dent, c'est uniquement parce que les coupables se refusent à donner satisfaction. Qui ne reconnaît ici la méthode semi-historique d'Hécatée, à cette différence près qu'elle est maintenant appliquée plus largement et qu'elle établit un lien de causalité entre de prétendus événements historiques ? A titre d'autorités, Hérodote invoque les Phéniciens et les Perses, au dire desquels les Grecs sont coupables d'avoir envenimé la querelle. N'ont-ils pas, les premiers, entrepris de venger sérieusement l'enlèvement d'Hélène, équipé une flotte puissante, assiégé et détruit Ilion pour rendre une femme à son époux ? D'autre part, les Phéniciens ne se font pas faute d'excuser leurs compatriotes : Io, affirment-ils, n'a pas été entraînée de force à bord du navire qui l'a arrachée à sa patrie argienne ; loin de là, elle s'est elle-même gravement compromise avec le commandant du vaisseau, et quand elle s'est rendu compte des suites de sa faute, elle s'est volontairement enfuie pour échapper à la colère de ses parents.
A quoi attribuer cette tendance terre à terre de l'histoire et la chute profonde des grandes figures légendaires qui en est la conséquence ? Sans aucun doute, en dernière analyse, au désir que nous avons déjà constaté chez Hécatée d'élargir l'horizon historique et à la nécessité, pour cela, de resserrer de plus en plus les limites du surnaturel. Par là les sublimes créations de la légende, auréolées par la poésie, s'abaissent au niveau du naturel et du croyable, pour tomber enfin dans la trivialité. Hérodote lui-même est assez clairvoyant pour s'abstenir de toute appréciation sur la valeur historique des récits qu'il reproduit. Mais, en mettant ainsi en évidence les combinaisons des savants étrangers versés dans les légendes, et si indifférents, pour ne pas dire si hostiles au mythe grec, il donne clairement à entendre que, chez lui aussi, le développement de la raison avait porté un coup sensible à la foi confiante d'une époque plus naïve. Il le montre encore plus clairement par la manière dont il raconte la légende de Troie (04). Hélène, pense-t-il avec Hécatée, ne séjournait pas à Troie pendant le siège de cette ville, mais en Égypte. C'est là que Pâris avait été entraîné par les vents contraires, et le magnanime roi Protée retint l'épouse de Ménélas pour la restituer à son légitime époux, si gravement offensé. Comment cette croyance pouvait-elle naître en Égypte même ? Comment le poète Stésichore a-t-il travaillé à la préparer ? Et comment Hérodote a-t-il cherché à la défendre par des vers de l'Iliade ? Autant de questions dont nous n'avons pas à nous préoccuper ici. Mais la nouvelle tendance est caractérisée au plus haut degré par la peine qu'il se donne pour démontrer seule vraie et possible, pour des raisons internes, cette version pseudo-historique. Si les Troyens n'ont pas mis fin aux longues calamités de la guerre en rendant Hélène, c'est qu'elle ne se trouvait pas dans leur ville.
« Car, vraiment, ni Priam ni les siens n'étaient assez fous du cerveau pour mettre en jeu leur vie, la vie de leurs enfants et le salut d'Ilion uniquement pour qu'Hélène restât l'épouse de Pâris. Le refus aurait été compréhensible tout au plus au commencement de la lutte, mais non pas au moment où, à chaque rencontre, tombaient un si grand nombre de citoyens et au moins deux ou trois des fils de Priam ; songez aussi que l'aîné et de beaucoup le plus capable des deux princes n'était pas Pâris, mais Hector, l'héritier présomptif du trône, etc., etc. »
Encore un exemple pour éclairer tout à fait la méthode semi-historique. Les prêtresses de Dodone avaient raconté à l'historien l'origine de l'oracle (05) : à les croire, une colombe noire s'était enfuie de l'égyptienne Thèbes à Dodone, et, du haut d'un arbre, avait ordonné, d'une voix humaine, la fondation d'un oracle. « Mais, objecte aussitôt Hérodote non sans une certaine mauvaise humeur, comment pouvait-il se faire qu'une colombe parlât avec une voix humaine ?» Et comme, en même temps, ces prêtresses racontaient qu'une seconde colombe noire s'était envolée du côté de la Libye, et qu'elle y avait fondé l'oracle d'Ammon, l'historien n'hésite pas à reconnaître dans cette légende l'écho d'un fait qu'il avait lui-même appris à Thèbes. Deux femmes employées dans le temple, lui avait-on dit, avaient été enlevées par des Phéniciens et vendues comme esclaves, l'une en Libye, l'autre en Grèce, où elles avaient fondé ces deux antiques et célèbres oracles. Cette hardie invention de l'orgueil égyptien provoqua d'abord chez Hérodote un doute passager qui se traduisit par cette question : « Comment êtes-vous renseignés si exactement à ce sujet ? » Mais bientôt il y vit une vérité établie, tant les deux récits concordaient bien : les habitants de Dodone avaient évidemment vu dans l'étrangère un oiseau parce que la langue incompréhensible dont elle se servait se rapprochait davantage du babil des oiseaux que des discours humains. Et si l'Égyptienne était devenue une colombe noire, c'est à cause de la couleur de sa peau. Au bout d'un certain temps, elle avait appris la langue du pays, et alors on avait dit que la colombe parlait à la manière des hommes. Enfin elle avait été renseignée sur le sort de sa sœur qui avait été emmenée en Libye, et elle avait parlé de la chose à Dodone. Nous sourions de ce curieux mélange de simplicité enfantine et de subtilité de raisonnement.
Mais nous retrouvons notre sérieux, et la mauvaise humeur qu'a éveillée en nous cette vilaine transformation des naïves légendes populaires se dissipe dès que nous nous souvenons du rôle important qu'a joué dans le progrès intellectuel de l'humanité cette tendance à voir de l'histoire sous le voile du mythe. La poésie s'était donnée comme réalité ; quoi d'étonnant si, de son côté, la réalité cherchait à empiéter sur le champ de la poésie ? Avec les moyens de recherche dont on disposait alors, il n'était pas possible de déterminer, même approximativement, la limite entre les deux domaines. Même aujourd'hui, on n'a pas réussi à trancher complètement la question de savoir à laquelle des deux appartient le territoire contesté. Le « père de l'histoire » penchait à revendiquer pour l'histoire toutes les créations de la légende qui pouvaient, à la rigueur, être d'origine historique ; actuellement, c'est la tendance opposée qui prévaut.

III

Nous avons constaté que la transformation des mythes s'était opérée sous l'empire de deux causes : par l'élargissement de l'horizon dans le temps et dans l'espace, et par les échanges d'opinion avec les juges étrangers, et de ce fait impartiaux ou indifférents, des traditions nationales. Il nous reste à mentionner le plus puissant facteur de cette transformation : nous voulons parler du conflit douloureux qui s'élève entre l'ancienne croyance et la science nouvelle, et des efforts que l'on tente pour y mettre fin. Le trésor accru des connaissances empiriques, la domination toujours plus grande qu'on exerçait sur la nature avaient visiblement fortifié la croyance à la continuité du cours des événements. Alors se posa une question : comment éviter, si possible, une rupture funeste avec les vénérables traditions de l'antiquité ? L'interprétation des légendes au sens de l'histoire en sacrifie une partie pour sauver le reste. C'est une de ces demi-mesures, un de ces moyens termes auxquels on recourt d'instinct, que l'ignorance superficielle a toujours dédaignés, mais qui n'en sont pas moins, en réalité, de la plus haute valeur. On peut les comparer aux « fictions » juridiques qui, à un moment donné, ont été la condition de tous les progrès durables. Un autre de ces utiles compromis se rapportait à l'activité des dieux eux-mêmes. Les Thessaliens, nous dit Hérodote, considèrent comme une oeuvre de Poséidon la profonde gorge qui forme le lit du Pénée (06). « Et non sans raison, ajoute-t-il d'une manière très significative, car celui qui croit que Poséidon ébranle la terre et que les gorges formées par des tremblements de terre sont les oeuvres de ce dieu, ne pourra s'empêcher, en voyant celle-ci, de la tenir aussi pour un ouvrage de Poséidon. En effet, à ce qu'il me semble, cette fissure de la montagne est le résultat d'un tremblement de terre. » Cela signifie-t-il que l'historien d'Halicarnasse ait rejeté tout à fait et par principe les interventions surnaturelles, et qu'il ait considéré chaque dieu comme présidant simplement à un département de la nature ou de la vie soumis à l'action de forces régulières ? Absolument pas. Des dispositions marquées à une science positive se croisent dans son esprit avec des tendances non moins fortes dérivées de l'antique conception religieuse. Il avait voué une attention en une certaine mesure systématique aux transformations de la surface terrestre, et ramené les phénomènes particuliers à des causes générales ; c'est pourquoi il peut, dans ce domaine, se passer des interventions divines directes. Sur ce point, il a été l'élève de ses prédécesseurs Anaximandre et Xénophane ; il l'a été aussi, et cette fois sans dommage pour lui, des prêtres égyptiens. Grâce à ces derniers il est en mesure d'expliquer la formation du delta du Nil d'une manière parfaitement exacte et rationnelle, faisant preuve d'un don d'observation pénétrante et parlant en même temps et sans hésitation de périodes extrêmement longues : n'évalue-t-il pas l'âge actuel de la terre à vingt mille ans environ (07) ? En d'autres occasions encore, il exprime des doutes sur l'intervention d'êtres divins. Les mages de la Perse avaient, disait-on, apaisé un violent orage par des sacrifices et des exorcismes ; Hérodote rapporte cette version, mais non sans ajouter cette sceptique remarque : « Ou peut-être l'orage s'est-il calmé de lui-même (08). » Et précisément à propos de cet orage qui fut si funeste à la flotte perse, il laisse en suspens la question de savoir s'il a, oui ou non, été provoqué par les prières et les sacrifices des Athéniens à Borée. Ici, sans doute, ses doutes ont été éveillés par la proximité immédiate des prétentions contraires émises en même temps par les Grecs et par les Barbares.
En revanche, quand un correctif comme celui-là lui a fait défaut, et surtout quand une émotion violente a relégué ses réflexions à l'arrière-plan, notre historien accumule les apparitions merveilleuses des dieux, les songes envoyés par eux, - auxquels il oppose ceux que produisent des causes naturelles, - les présages significatifs et les prédictions étonnantes. Les divergences que l'on constate à cet égard entre les diverses parties de l'ouvrage sont si fortes que certains critiques se sont hasardés à déterminer par elles la date de composition des différents livres, et à affirmer que dans l'intervalle les idées religieuses d'Hérodote s'étaient modifiées. De telles hypothèses, nullement indispensables en elles-mêmes, et dépourvues de toute base certaine, ne suffiraient d'ailleurs pas pour écarter de la théologie d'Hérodote toutes les contradictions. Sa conception des choses divines est essentiellement vacillante, et présente les nuances les plus changeantes. Sa tendance marquée à ramener à des modèles égyptiens ou à des influences égyptiennes nombre de divinités ou de cérémonies religieuses de la Grèce (09) ; la hardiesse avec laquelle il affirme « que ce n'est qu'hier ou avant-hier - c'est-à-dire à peu près quatre cents ans avant lui - qu'Homère et Hésiode ont donné aux Grecs leur théogonie, et qu'ils ont attribué aux dieux leurs noms, leurs emplois et leurs dignités aussi bien que leurs formes (10) », tout cela peut le faire passer pour un adversaire non seulement de l'anthropomorphisme, mais encore du polythéisme en général. On peut le croire adversaire de l'anthropomorphisme quand on le voit opposer expressément la religion naturaliste des Perses aux dieux à figure humaine des Grecs, et nous dire des premiers, non sans une approbation intérieure, qu'ils offrent des sacrifices aux grandes puissances naturelles, « au Soleil, à la Lune, à la Terre, au Feu, à l'Eau et aux Vents », et que, sous le nom de Zeus ils n'entendent pas autre chose que l'ensemble du firmament (11). Il serait difficile de contester qu'il ait éprouvé quelques accès d'un doute analogue, sous l'influence peut-être des doctrines de Xénophane et d'autres philosophes. Mais ces doutes n'avaient pris dans son esprit que de bien légères racines : il lui suffit d'avoir, un jour, soumis à une critique incisive une légende héroïque de la Grèce, pour se sentir pénétré d'un véritable effroi et pour se croire obligé d'en demander humblement pardon aux dieux et aux héros offensés par lui (12). Dans le même passage précisément, il accorde la préférence, parce qu'elle est la « plus juste », à la doctrine de ceux de ses compatriotes qui admettaient un double Héraclès, l'un ancien et vraiment divin, l'autre plus jeune et qui n'est qu'un héros ou un homme divinisé. Il approuve ces Grecs de distinguer entre les deux et de leur consacrer des sanctuaires séparés. C'est là, soit dit en passant, la plus ancienne application de cet expédient de la critique, qui, plus tard, a si souvent servi à faire disparaître les contradictions de la tradition légendaire. Ces accès de scepticisme n'ont guère laissé en lui, comme résidu solide, qu'une conviction : pour lui, la certitude du savoir humain, en ce qui concerne les choses divines, n'est pas bien grande, et nous les voyons, à travers les descriptions des poètes, comme à travers un voile qui les trouble. « Si d'ailleurs on peut se fier aux poètes épiques », voilà la réserve qu'il exprime dans une occasion particulière (13) mais cette réserve a pour lui une portée tout à fait générale. Et nous le voyons se plaindre très sérieusement de ce que « tous les hommes en savent autant les uns que les autres sur les choses divines », c'est-à-dire aussi peu les uns que les autres (14).
Nous ne pourrons pas non plus, par conséquent, considérer Hérodote comme un monothéiste déguisé, quoiqu'il soit assez compréhensible que, aux yeux de plusieurs, il ait passé pour tel. Ce n'est pas sans étonnement sans doute que nous l'entendons, quand il discute avec indépendance des questions religieuses, parler non pas d'Apollon ou d'Athéna, d'Hermès ou d'Aphrodite ; mais presque exclusivement de « Dieu » et de la « divinité ». Mais notre surprise diminue lorsque nous y regardons de plus près : il ne s'agit, dans tous ces passages, que des lois générales qui régissent le monde. En pareil cas, Homère fait intervenir presque sans distinction, et même dans une immédiate proximité, les dieux et Zeus. Ainsi, dans les vers magnifiques où il fait ressortir à nos yeux la fragilité de la destinée humaine avec d'incomparables accents : « Rien n'est plus misérable que l'homme parmi tout ce qui respire ou rampe sur la terre, et qu'elle nourrit. Jamais, en effet, il ne croit que le malheur puisse l'accabler un jour, tant que les dieux lui conservent la force et que ses genoux se meuvent ; mais quand les dieux heureux lui ont envoyé les maux, il les supporte malgré lui d'un cœur patient. Tel est l'esprit des hommes terrestres, semblable aux jours changeants qu'amène le père des hommes et des dieux (15). » Partout où les dieux agissent ensemble, partout où il n'est pas question de leurs visées séparées, mais d'une manifestation commune de leur volonté, on est tenté de les considérer soit comme les exécuteurs des ordres du dieu suprême, soit comme les représentants d'un principe qui leur est également inné à tous. Telle est la conception d'Hérodote ; si incertaine que soit sa science relativement aux dieux individuels, et si profonde que soit sa répugnance pour tout grossier anthropomorphisme, nous n'avons pas le droit de lui attribuer une attitude négative à l'égard du panthéon hellénique.
Sa pensée, à ce sujet, se distingue de celle d'Homère sur trois points principaux. Une méditation prolongée et sérieuse sur l'ordre de la nature et sur la destinée humaine, jointe â l'intelligence plus développée qu'on avait de l'unité du gouvernement de l'univers, offrait des occasions incomparablement plus fréquentes de parler des lois générales qui le régissent. D'autre part, la foi en la vérité littérale des récits mythiques avait diminué, et l'image du dieu suprême se voyait, par suite, dépouillée de plus d'un trait humain inséparable autrefois de son essence. Enfin, on relève ici les traces de l'influence des philosophes, qui depuis longtemps avaient trouvé la source primitive de toute existence dans un principe impersonnel supérieur aux dieux particuliers. Le régulateur de l'univers, auquel obéit aussi bien la volonté des dieux eux-mêmes que la destinée des hommes, ne possède plus maintenant de caractère strictement personnel, ou du moins il a perdu sa richesse en traits individuels ; c'est pourquoi, sans une trop grande inconséquence, on peut l'appeler tour à tour le dieu ou la divinité. Mais voici encore une contradiction, et la plus importante de toutes. Ce principe primordial, qui oscille entre le personnel et l'impersonnel, apparaît tantôt comme un être secourable et plein de bienveillance, tantôt comme un être défavorable et malveillant, et vaines sont toutes les tentatives pour faire disparaître ou même seule-ment pour atténuer cette opposition. « Dans sa sagesse », la « Providence divine » a accordé une très grande fécondité aux animaux faibles et craintifs, mais elle a limité la multiplication des animaux forts et malfaisants : il n'en fallait pas moins pour la conservation et la prospérité des créatures (16). Souvent aussi, elle bénit les actions et assure le salut des hommes par des décrets et des dispensations favorables. Mais,, d'autre part, elle se plaît à précipiter tout ce qui « se glorifie », à abaisser « tout ce qui s'élève », « tout comme la foudre se décharge sur les hautes demeures et les grands arbres ». C'est pourquoi, dans le discours qu'il fait prononcer au sage Solon, Hérodote dit que la divinité est jalouse et trouve son plaisir à tout bouleverser (17). Et cette divinité suprême, qui se confond ici avec le destin, ne se contente pas de manifester, suivant l'occasion, la tendresse d'un père ou l'envie d'une marâtre ; il y a aussi en elle une justice sévère qui la porte à punir inexorablement les fautes des hommes. Ces éléments contradictoires n'étaient pas complètement étrangers non plus à l'ancienne mythologie. Mais dès lors les esprits avaient scruté plus à fond l'idée de la finalité de l'univers ; les subites vicissitudes du sort et les grandes révolutions historiques les avaient assombris ; en même temps, la conscience morale avait acquis plus de profondeur ; aussi, non seulement les divergences et les contradictions des théories destinées à expliquer les phénomènes avaient-elles pris plus d'intensité, mais la dissonance était devenue plus aiguë parce que les tendances et les volontés en conflit, au lieu de se répartir sur une foule d'êtres individuels en lutte les uns contre les autres, s'étaient concentrées dans un être, c'est-à-dire dans la suprême divinité.
En ce qui concerne le rôle de juge attribué à celle-ci, et auquel nous venons de faire allusion, nous constatons une distinction tout à fait étonnante. Tantôt ce rôle apparaît comme une partie de ce qu'on pourrait appeler l'ordre naturel agissant automatiquement ; tantôt il s'exerce suivant un plan arrêté : le juge divin choisit avec un art sûr de lui-même les moyens les mieux appropriés à ses buts, se joue de toutes les intentions humaines et les force à servir ses propres desseins. Lorsque Darius fit sommer les villes grecques de se soumettre, les prescriptions sacrées du droit des gens furent violées, à Athènes aussi bien qu'à Sparte, par le massacre de ses hérauts. « Comment donc les Athéniens furent punis de ce qu'ils avaient fait », Hérodote reconnaît franchement qu'il n'est pas en mesure de le dire, « si ce n'est que le Perse détruisit leur ville et dévasta leur territoire ». Mais, ajoute-t-il immédiatement, « je ne crois pas que ce fut pour cette raison ». Quant aux Spartiates, nous dit-il ensuite, le courroux du divin ancêtre de leurs hérauts, Talthybios, se déchaîna sur eux, provoqué par le meurtre des messagers des Perses. Pendant des années, les sacrifices offerts aux dieux furent accompagnés de présages funestes. Alors deux Lacédémoniens, des plus distingués par leur naissance et leurs richesses, Bulis et Sperthias, consentirent à purifier leur ville natale de son crime en se rendant à Suse pour s'y offrir, comme victimes volontaires, aux successeurs de Darius. Quoique le grand roi eût refusé cette offre, leur démarche suffit pour apaiser momentanément la colère de Talthybios. Mais, longtemps après, dans les premières années de la guerre du Péloponnèse, elle se réveilla, et les fils de Bulis et de Sperthias, qui avaient été envoyés en ambassade en Asie, furent faits prisonniers par un roi thrace, livrés aux Athéniens et mis à mort par ceux-ci (18). Cet événement est pour Hérodote une des preuves les plus éclatantes de l'intervention immédiate de la divinité dans les choses humaines. « Car, que la colère de Talthybios se soit déchaînée sur des ambassadeurs, et qu'elle ne se soit pas apaisée avant d'avoir eu son effet, tout cela était dans l'ordre ; mais qu'elle soit tombée sur les fils de ces hommes qui, pour la fléchir, s'étaient précédemment rendus chez le grand roi, - qui ne verrait là le doigt de la divinité ? »

IV

Même dans les cas où sa sensibilité religieuse ne l'égare ni ne le détourne, le jugement d'Hérodote oscille étrangement entre la critique et l'absence de critique. Les Anciens ont raillé sa crédulité et l'ont appelé, non sans quelque blâme, un conteur d'histoires. En ce qui nous concerne, nous sommes à peine moins surpris de l'excès de critique auquel il s'abandonne parfois. S'il croit souvent quand il devrait douter, il n'est pas rare qu'il doute quand il devrait croire. Il avait entendu parler des longues nuits polaires, d'une manière, il est vrai, un peu fabuleuse. Au lieu de dépouiller ce renseignement de son alliage légendaire en employant, comme il pouvait le faire, la méthode des variations (plus on se rapproche du pôle, plus les nuits deviennent longues), il préfère le reléguer dans le domaine des contes, en s'écriant avec emphase : « Qu'il y ait des hommes qui dorment pendant six mois, je n'en admets pas le premier mot (19). » Il sait parfaitement bien que les Grecs tirent du nord de l'Europe l'étain aussi bien que l'ambre ; mais il leur en veut de chercher la patrie de ce métal dans le groupe d'îles que, précisément à cause de cet important produit, ils appelaient les « îles d'Étain » (Cassitérides). Malgré tous ses efforts, dit-il, il n'a pu trouver un voyageur qui lui affirme avoir vu de ses propres yeux la mer dont l'Europe est limitée au Nord (20). Il connaît la tendance qu'a l'esprit humain d'attendre dans les produits de la nature une mesure plus que commune de régularité et de symétrie, et il se moque, non sans quelque raison, de ses prédécesseurs, qui, dans leurs cartes, prêtaient à l'Asie et à l'Europe des contours égaux. Mais il ne peut que « rire » également en voyant que ces mêmes géographes - c'est surtout d'Hécatée qu'il veut parler - représentent la terre parfaitement ronde, « comme si elle avait été faite au compas (21) ». On voit comme il était peu préparé à accepter la doctrine, proclamée par Parménide, de la sphéricité de la terre. Mais le plus fort, c'est qu'il s'abandonne lui-même une fois à cette tendance trompeuse qui pousse à admettre des régularités fictives, tendance qu'il reproche, comme nous venons de le voir, à ses prédécesseurs, même quand ils étaient dans le vrai. C'est ainsi qu'il flaire un certain parallélisme entre le cours du Nil et celui du Danube, et pour ce motif seulement que ce sont les deux plus grands fleuves à lui connus (22). En tout temps, il a été particulièrement difficile de juger avec certitude des limites de variation possibles dans le monde organique. Nous ne blâmerons donc pas Hérodote de ne pas avoir tenu a priori pour incroyable l'existence de serpents ailés en Arabie (23), mais il nous sera bien permis de nous étonner qu'il n'ait pas relégué au nombre des êtres fabuleux les prétendues fourmis géantes du désert Indien, qui sont plus grosses que des renards, plus petites que des chiens, et qui entassent un sable mélangé d'or (24), tandis qu'il conteste l'authenticité des Arimaspes qui n'auraient qu'un oeil, en déclarant expressément : « qu'il ne croit pas que des hommes, constitués pour le reste comme les autres, naissent avec un seul oeil (25). »
Pour terminer, nous relèverons une déclaration de l'historien qui marque le point culminant auquel devait atteindre sa pensée scientifique. Parmi les diverses tentatives faites pour expliquer le débordement du Nil, Hérodote en traite une avec un dédain particulier ; c'est celle qui rattache l'énigmatique phénomène - d'une manière qu'il nous est impossible de comprendre aujourd'hui - au fleuve Océan qui entoure la terre. Il la cite - comme une des deux théories qu'il juge à peine dignes d'être mentionnées, et « comme la plus absurde des deux, quoiqu'elle paraisse la plus merveilleuse ». Quand il dit précisément de cette tentative d'explication : « Mais celui qui fait intervenir l'Océan, et qui transporte ainsi la question dans le domaine de l'impénétrable, se dérobe à toute réfutation », veut-il peut-être faire entendre qu'il est impossible de dire si cette théorie est juste et s'abstenir de prononcer un jugement ? Assurément pas; car alors le dédain si ouvertement exprimé dans ce qui précède s'accorderait mal avec une pareille opinion, de même que l'âpre moquerie de la phrase suivante: « Car je ne sache pas qu'il y ait un fleuve Océan, et je pense qu'Homère ou l'un des plus anciens poètes, en ayant inventé le nom, l'a introduit dans ses vers (26) » Évidemment, il n'a rien pu vouloir dire que ceci : une opinion qui s'éloigne si complètement du domaine des faits et de la perception sensible qu'elle n'offre pas la moindre prise à la réfutation, est par cela même jugée. En d'autres termes : pour qu'une hypothèse mérite quelque considération, pour qu'elle soit digne d'être discutée, il faut, en dernière analyse, qu'elle puisse être vérifiée. Cette fois, Hérodote se place à un point de vue pure
ment positif, on pourrait même dire positiviste. Entre le cher­cheur qui étudie les faits scientifiques et le poète qui crée de brillantes fictions, il voit un abîme impossible' à combler. Sans doute, ce n'est là qu'un trait de lumière tout à fait unique, mais ce trait le rapproche des plus modernes parmi les modernes. Enflammé par l'ardeur de la polémique, brûlant du désir de laisser derrière lui ses prédécesseurs et ses rivaux, il aperçoit, très distinctement, une loi fondamentale de la méthode, à savoir celle-ci : les hypothèses seules qui peuvent, partiellement ou en entier, être soumises à vérification, sont scientifiquement légitimes. S'il s'était représenté toute la portée de cette pensée, il eût certainement été alarmé de sa hardiesse. C'est pourtant bien là ce qu'il a dit. Seulement, il y a lieu d'appliquer ici la profonde remarque de Batteux : « On n'a jamais le droit de prêter aux Anciens les conséquences de leurs principes ou les principes de leurs conséquences. » Et surtout pas, pouvons-nous ajouter, à ceux d'entre eux qui se trouvent au milieu d'une époque essentiellement de transition, comme Hérodote et Hécatée, d'une époque de transition dont nous prenons désormais congé, pour y revenir sans doute occasionnellement à l'effet d'élucider plus d'un point de détail.

 

(01) Les fragments d'Hécatée se trouvent dans C. Müller, Fragmenta historicorum Graecorum, I sq. Sur son rôle politique, cf. Hérodote, V 36 et 125 sq., ainsi que Diod., X 25, 2, Dindorf. Son aventure à Thèbes est racontée par Hérodote, II 143. Sa tendance rationaliste est déjà caractérisée par Grote, Hist. de la Grèce, II 121 sq.; dernièrement elle a été mise en lumière par Diels, dans l'Hermès, 22, 411 sq. Ed. Meyer a exprimé des idées analogues aux nôtres, dans le Philolog., N. F., II 270.
(02) Parmi les nombreux ouvrages consacrés à Hérodote, je me fais un plaisir de citer le petit livre, aussi modeste que plein de mérite, de Hoffmeister, Sittlich-religiöse Lebensanschauung des Herodotos, Essen 1832.
(03) I 1 sq. 
(04) II 113 sq. 
 
(05) II 54 sq.  
(06) VII 129.
(07) II 11 sq. 
(08) VII 189 sq. 
(09) II passim.  
(10) II 53.  
(11) I 131.  
(12) II 45.  
(13) II 120. 
(14) II 3. 
(15Od., XVIII 139 sq., trad. Leconte de Lisle.   
(16) III 108. 
(17) VII 10 ; I 32.  
(18) VII 133 sq. 
(19) IV 25.  
(20) III 115.   
(21) IV 36. 
(22) II 33.  
(23) III 107.  
(24) III 102.  
(25) III 116.
(26) II 21. A ce sujet, voir la dissertation de l'auteur dans les Herodoteische Studien, II 8 (526 sq.), Wiener Sitzungsber., 1883.