Vivre ses passions : l'argent

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Pour la pauvreté?

SÉNÈQUE : L. Annaeus Seneca échappe de peu à la condamnation à mort sous l'empereur Caligula, est exilé par l'empereur Claude, choisi par Agrippine pour être le précepteur de l'empereur Néron. Impliqué dans le complot des Pisons, il se suicide.
Il a écrit des dialogues philosophiques, un exposé de physique, une satire de l'empereur Claude et des tragédies, inspirées de sujets grecs.

autres textes de sénèque

En bon professeur de morale, Sénèque exhorte son lecteur à s'entraîner à la pauvreté afin de n'en point souffrir en cas de revers. Dans la ligne du stoïcisme.

Non est nunc quod existimes me dicere Timoneas cenas et pauperum cellas et quicquid aliud est, per quod luxuria divitiarum taedio ludit : grabatus ille verus sit et sagum et panis durus ac sordidus. Hoc triduo et quadriduo fer, interdum pluribus diebus, ut non lusus sit, sed experimentum : tunc, mihi crede, Lucili, exultabis dipondio satur et intelleges ad saturitatem non opus esse fortuna : hoc enim quod necessitati sat est, dabit et irata.
Non est tamen quare tu multum tibi facere videaris : facies enim, quod multa milia servorum, multa milia pauperum faciunt. Illo nomine te suspice, quod facies non coactus, quod tam facile erit tibi illud pati semper quam aliquando experiri. Exerceamur ad palum et, ne inparatos fortuna deprehendat, fiat nobis paupertas familiaris. Securius divites erimus, si scierimus quam non sit grave pauperes esse.

SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius, 18, 7-8.


   vocabulaire

Maintenant tu n'as pas lieu de penser que je parle de repas à la Timon, de chambrettes de pauvres et de tout autre fantaisie à laquelle jouent les nantis, par dégoût des richesses : que le grabat soit vrai ainsi que le sayon et le pain, dur et moisi. Supporte ce régime trois ou quatre jours, quelquefois davantage, pour que ce soit non un jeu, mais une épreuve. Alors, crois-moi, Lucilius, tu tressailliras de joie à être rassasié pour deux as et tu comprendras que pour satisfaire son appétit, on n'a pas besoin de la fortune, car le strict nécessaire, elle le donnera même dans ses colères.
Ce n'est pourtant pas une raison pour avoir l'impression que tu fais des merveilles, car tu feras ce que font des milliers d'esclaves, des milliers de pauvres. Ne prends en considération que ce point de vue : tu le feras sans contrainte, il te sera aussi facile de supporter l'épreuve toujours que de la tenter quelquefois. Exerçons-nous au poteau et, pour que la fortune ne nous surprenne pas sans préparation, rendons-nous la pauvreté familière. Riches, nous serons plus en sécurité si nous savons combien il n'est pas pénible d'être pauvres.

SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius, 18, 7-8.

 

1. Une autre lettre de Sénèque nous révèle sa pensée profonde (Lettres à Lucilius, 17). 

TOUT QUITTER POUR LA PHILOSOPHIE. AVANTAGES DE LA PAUVRETÉ.

Loin de vous tous ces biens, si vous êtes sage, ou plutôt pour le devenir ; courez, volez de toutes vos forces après la perfection. Un lien vous arrête ? dénouez, tranchez à l'instant. - « Mais le soin de mon patrimoine me retient ; je voudrais en disposer de manière à ce qu'il me suffit sans travail, à n'être ni gêné par la pauvreté, ni gênant. pour les autres. » - Parler de la sorte, c'est bien montrer que l'on ignore entièrement la grandeur, l'excellence du bien auquel on aspire; c'est voir d'un coup d'oeil superficiel l'utilité de la philosophie, et ne pas assez entrer dans les détails de ses bienfaits ; c'est ignorer encore l'appui qu'elle nous prête en tous lieux, et, pour parler avec Cicéron, « cette bonté protectrice qui nous secourt dans nos plus grands besoins, et s'abaisse jusqu'aux plus petits. » Croyez-moi, invoquez ses conseils ; elle vous dissuadera de rester assis devant un comptoir.
Quel est votre but? que voulez-vous avec ces délais? N'avoir plus la pauvreté à craindre ? Et s'il fallait la désirer ! Souvent les richesses ont été un obstacle à l'étude de la philosophie; la pauvreté est libre d'entraves et de soins. La trompette sonne? le pauvre sait que ce n'est pas à lui qu'on en veut. L'alarme se répand? il cherche où fuir, non ce qu'il doit emporter. Lui faut-il se mettre en mer ? point de tumulte au port, point de rivage troublé par le cortége d'un seul homme : il n'est pas entouré de cette multitude d'esclaves que pourraient seules nourrir les fertiles moissons des régions d'outre-mer. il est facile de rassasier un petit nombre d'estomacs bien appris, et dont l'unique désir est d'être remplis. La faim est peu coûteuse ; c'est le goût blasé qui ruine. La pauvreté se contente de satisfaire les besoins les plus pressants.
Pourquoi donc rejeter une commensale dont les moeurs sont le modèle du riche, s'il est sage? Voulez-vous consacrer vos soins à votre âme, vivez pauvre, ou comme si vous l'étiez. L'étude ne peut devenir salutaire sans la frugalité ; or, la frugalité, n'est-ce pas une pauvreté volontaire ? Plus de ces misérables excuses: « Ma fortune ne suffit pas encore à mes besoins; encore telle somme, et je me livre tout entier à la philosophie. »
Eh! qu'y a-t-il de plus pressé que ce que vous remettez, que ce que vous gardez pour la fin ? C'est par là qu'il faut commencer.
- « Je veux, dites-vous, amasser de quoi vivre. » - Apprenez donc en même temps à amasser. Si vous ne pouvez. bien vivre, qui vous empêche de bien mourir ? La pauvreté, l'indigence même, ne doivent pas nous détourner de la philosophie.
Quand on aspire à la sagesse, on peut endurer la famine : des assiégés la supportent bien. Et qu'attendent-ils pour prix de leurs souffrances? de ne pas tomber au pouvoir d'un vainqueur. Ah! combien la philosophie nous promet mieux : liberté perpétuelle, ne craindre ni l'homme, ni la Divinité! Et ces avantages, on peut se les procurer, même en souffrant la faim. On a vu des armées, en proie à la pénurie la plus cruelle, vivre de racines sauvages, tromper la faim par des aliments qu'on n'oserait nommer, et, ce qui est plus surprenant, braver tous ces fléaux pour une cause qui leur était étrangère; et l'on craindrait de souffrir la pauvreté, quand il s'agit de s'affranchir de la violence des passions!
Ne commençons donc point par acquérir; la route de la sagesse, on peut la faire sans provisions. Mais telle est l'erreur commune on veut tout posséder avant de posséder la sagesse; on en fait l'instrument le moins nécessaire du bonheur, une espèce de superflu. Pour vous, si vous avez quelque bien, livrez-vous sur-le-champ à la philosophie (qui vous a dit, en effet, que vous n'en ayez pas déjà trop ?); si vous n'avez rien, recherchez la philosophie avant tout.- «Mais je manquerai du nécessaire. »
- D'abord vous ne pourrez en manquer ; la nature demande bien peu; et le sage se règle sur la nature. Si la misère le poursuit de trop près, il s'élance hors de la vie, et cesse d'être à charge à lui-même. Mais si son étroite et modique fortune suffit à sa subsistance, c'est autant de gagné pour lui ; bornant à la recherche du nécessaire ses inquiétudes et ses soucis, il s'acquittera envers son corps; il se rira de l'embarras des riches, du mouvement que se donnent ceux. qui cherchent à le devenir, et, tranquille et content, il dira : « Insensés! pourquoi tarder ainsi à jouir de vous-mêmes ? pouvez-vous attendre l'intérêt de votre argent, le bénéfice d'une spéculation, le testament d'un vieillard opulent, quand il ne tient qu'à vous de vous enrichir sur-le-champ ? La philosophie représente les richesses; elle les donne en les rendant inutiles. »
Mais ce discours est pour les autres : votre fortune approche de l'opulence. Dans certains siècles, vous seriez trop riche; dans tous, vous l'êtes assez.
Je pourrais terminer ici ma lettre; mais je vous ai gâté. On ne peut saluer les rois Parthes sans leur offrir un présent; on ne peut vous dire adieu sans payer. Que faire donc ? emprunter à Épicure : « Souvent l'acquisition des richesses est un changement de misères, et n'en est pas le terme. » Je n'en suis pas surpris : la faute n'en est pas à la possession, mais au possesseur. Le même esprit qui lui rendait la pauvreté à charge, lui rend les richesses onéreuses. Qu'importe au malade que vous le placiez sur un lit de bois ou sur un lit d'or? partout où on le transporte, il emmène son mal avec lui. Il en est ainsi de l'âme; une fois malade, qu'on la place au sein des richesses, au milieu de la misère, son mal la suit partout. 

http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_luciliusII/lecture/5.htm

2. Christian DE BRIE, dans Le Monde diplomatique, Manière de voir, 5, Le triomphe des inégalités, août 1989, p. 23, énumère quelques extravagances des très riches ; puis il ajoute : Mais ils peuvent aussi pour 1.500 dollars, "vivre huit jours dans la misère" : une expérience excitante qu'organise la firme.

3. J.-P. SARTRE, Le Diable et le Bon Dieu, Gallimard :

Il y a deux sortes de pauvres : ceux qui sont pauvres ensemble et ceux qui le sont tout seuls. Les premiers sont les vrais, les autres sont des riches qui n'ont pas eu de chance.

4. Qui n'a jamais entendu l'Abbé PIERRE parler des pauvres?

Qu'est-ce que le paupérisme? Qui sont les nouveaux pauvres?

5. Il n'en est pas autrement sur les autres continents, au contraire :

En dépit d'un niveau impressionnant de croissance économique régionale, plus d'un demi-milliard d'Asiatiques vivent encore dans un état de pauvreté absolue.
The Asian Development Bank in the 1990s
, Panel Report, Manille, 1989.

6. Dernier exemple, bien plus proche de nous : les Liégeois et l'argent.

Si Liège compte plus de ploutocrates qu'on ne pourrait le penser, elle a aussi ses indigents. 146.000 personnes (80.000 isolés et 65.000 conjoints) sont exclues de la statistique fiscale en province de Liège selon les travaux du septième congrès des économistes belges de langue française... 14,7 % de sa population totale n'est pas enregistrée fiscalement et perçoit donc des revenus inférieurs à 300.000 francs, soit moins de 25.000 francs mensuels par ménage!
Liège est en fait la province wallonne qui compte le plus de pauvres après le Hainaut (15,2 %), province record de la misère.

Ricardo GUTIERREZ, Liège, lanterne rouge de la pauvreté, dans Le Soir, 10-5-90.

ac, conj. : et, et aussi
ad
, prép. : + Acc. : vers, à, près de
aliquando
, adv. : 1 - quelquefois. - 2 - autrefois, jadis, déjà. - 3 - un jour à venir, un jour. - 4 - une bonne fois, enfin. - si (forte) aliquando : si jamais.
alius, a, ud
: autre, un autre
cella, ae
, f. : la chambre, le garde-manger
cena, ae
, f. : la cène, le repas du soir
cogo, is, ere, egi, actum
: 1. assembler, réunir, rassembler, 2. concentrer, condenser 3. pousser de force, forcer
credo, is, ere, didi, ditum
: I. 1. confier en prêt 2. tenir pour vrai 3. croire II. avoir confiance, se fier
deprehendo, is, ere, di, sum
: 1 - prendre, saisir, arrêter au passage, intercepter; qqf. interrompre. - 2 - atteindre, surprendre (en parl. de la tempête). - 3 - trouver, surprendre, prendre sur le fait. - 4 - saisir (par les sens ou l'intelligence), comprendre, trouver, reconnaître, remarquer, s'apercevoir. - 5 - au passif : être gêné, être embarrassé, se trouver dans l'embarras.
dico, is, ere, dixi, dictum
: 1 - dire, affirmer, prononcer, exprimer; débiter, réciter. - 2 - dire le nom, nommer, appeler. - 3 - haranguer, plaider. - 4 - célébrer, chanter, raconter, décrire, composer, prédire. - 5 - fixer, assigner, établir, régler. - 6 - avertir, faire savoir, notifier. - 7 - signifier, vouloir dire. - 8 - nommer, élire, proclamer, élever au rang de.
dies, ei
, m. et f. : le jour
dipondium,
i, n. la somme de deux as
dives, divitis
: riche
divtiae, arum
, f. : les biens, les richesses, la fortune.
do, das, dare, dedi, datum
: donner
durus, a, um
: dur
ego, mei
: je
enim
, conj. : car, en effet
et
, conj. : et. adv. aussi
exerceo, es, ere, cui, citum
: 1. ne pas laisser en repos, travailler sans relâche 2. tourmenter, exercer, pratiquer
existimo, as, are
: estimer, juger, considérer, être d'avis
experimentum, i
, n. : la preuve, l'essai, l'épreuve
experior, iris, iri, expertus sum
: éprouver, essayer (expertus, a, um : éprouvé, qui a fait ses preuves)
exulto, as, are
: sauter, bondir, être dans les transports de joie
facile
, adv. : facilement
facio, is, ere, feci, factum
: faire
familiaris, e
: familial, ami de la famille, intime (familiaris, is, m. : le domestique)
fero, fers, ferre, tuli, latum
: porter, supporter, rapporter
fio, is, fieri, factus sum
: devenir
fortuna, ae
, f. : la fortune, la chance
grabatus, i
, m. : le grabat, la paillasse
gravis, e
: 1. lourd, pesant 2. grave, puissant, forts, grave, dur, rigoureux, pénible, accablant 3. alourdi, embarrassé, accablé
hic, haec, hoc
: adj. : ce, cette, ces, pronom : celui-ci, celle-ci
ille, illa, illud
: adjectif : ce, cette (là), pronom : celui-là, ...
inparatus, a, um
: non préparé, pris au dépourvu, surpris.
intellego, is, ere, lexi, lectum :
1 - discerner, saisir, comprendre, concevoir. - 2 - savoir, s'apercevoir de, reconnaître. - 3 - se connaître en (qqch). - 4 - être intelligent, avoir du jugement, être connaisseur. - 5 - percevoir (par les sens), sentir.
interdum
, inv. : quelquefois, parfois, pendant ce temps
iratus, a, um
: en colère, irrité
Lucilius, i,
m. : Lucilius
ludo, is, ere, lusi, lusum
: jouer
lusus, us
, m. : le jeu, le jouet
luxuria, ae
, f. : l'abondance, la profusion, l'intempérance, l'arbitraire
mille
: mille
multo, as, are
: 1 - condamner à l'amende, punir (par la privation de qqch). - 2 - souffrir, endurer (une peine). - 3 - punir. - 4 - maltraiter, battre.
multum
, adv. : beaucoup
multus, a, um
: en grand nombre (surtout au pl. : nombreux)
ne
, 1. adv. : ... quidem : pas même, ne (défense) ; 2. conj. + subj. : que (verbes de crainte et d'empêchement), pour que ne pas, de ne pas (verbes de volonté) 3. adv. d'affirmation : assurément 4. interrogatif : est-ce que, si
necessitas, atis
, f. : la nécessité, l'inévitable
nomen, inis
, n. : 1. le nom, la dénomination 2. le titre 3. le renom, la célébrité (nomine = par égard pour, à cause de, sous prétexte de)
non
, neg. : ne...pas
nos, nostrum
: nous, je
nunc
, adv. : maintenant
opus, operis
, n. : le travail (opus est mihi = j'ai besoin)
palum, i
, n : le poteau (ici : d'escrime)
panis, is
, m. : pain
patior, eris, i, passus sum
: supporter, souffrir, être victime de, être agressé par
pauper, eris
: pauvre
paupertas, atis
, f. : la pauvreté
per
, prép. : + Acc. : à travers, par
plus, pluris
, n. : plus, plus cher
quadriduum
, i, n. : l'espace de 4 jours
quam
, 1. accusatif féminin du pronom relatif = que 2. accusatif féminin sing de l'interrogatif = quel? qui? 3. après si, nisi, ne, num = aliquam 4. faux relatif = et eam 5. introduit le second terme de la comparaison = que 6. adv. = combien
quare
, inv. : c'est pourquoi, pourquoi
quicquis, quidquid ou quicquid
: quiconque
quod
, 1. pronom relatif nom. ou acc. neutre singulier : qui, que 2. faux relatif = et id 3. conjonction : parce que, le fait que 4. après si, nisi, ne, num = aliquod = quelque chose 5. pronom interrogatif nom. ou acc. neutre sing. = quel?
sagum, i
, n. : le sayon (sorte de manteau des Germains), le vêtement des esclaves
sat
, adv. : assez, suffisamment
satur, ura, urum
: rassasié, gras, foncé (couleur).
satur, a, um
: rassasié
saturitas, atis
, f. : le rassasiement, la satiété
scio, is, ire, scivi, scitum : savoir
securius
, adv. : comparatif neutre de securus, a, um : tranquille
sed
, conj. : mais
semper
, adv. : toujours
servus, i
, m. : l'esclave
si
, conj. : si
sordidus, a, um
: sale, avare
sum, es, esse, fui
: être
suspicio, is, ere, spexi, spectum
: regarder au-dessus, soupçonner, estimer, lever les yeux
taedium, ii
, n. : l'ennui, le dégoût, la répugnance
tam
, adv. : si, autant
tamen
, adv. : cependant
Timoneus, a, um
: de Timon (célèbre misanthrope athénien)
triduum, i
, n. : l'espace de trois jours
tu, tui
: tu, te, toi
tunc
, adv. : alors
ut
, conj. : + ind. : quand, depuis que; + subj; : pour que, que, de (but ou verbe de volonté), de sorte que (conséquence) adv. : comme, ainsi que
verus, a, um
: vrai
video, es, ere, vidi, visum
: voir (videor, eris, eri, visus sum : paraître, sembler)
texte
texte
texte
texte