Xénophon, traduit par Chambry

XENOPHON

HELLENIQUES

LIVRE II.

Traduction française · Pierre Chambry.

 

autre traduction : Talbot

 

 

 

CHAPITRE PREMIER 

ÉTÉONICOS PRÉVIENT À CHIOS LA RÉVOLTE DE SES TROUPES. SUR LA DEMANDE DES ALLIÉS ET DE CYRUS, LYSANDRE EST MIS À LA TÊTE DE LA FLOTTE. IL REÇOIT DE L'ARGENT DE CYRUS. IL PREND ET PILLE LAMPSAQUE ET DÉTRUIT LA FLOTTE ATHÉNIENNE À AEGOS POTAMOS (ANNÉES 406-405 AV. J.-C.).

1. Les soldats qui étaient à Chios avec Etéonicos (48) se nourrirent, tant que dura l'été, des fruits de la saison et du salaire qu'ils gagnaient en travaillant aux champs. Mais quand l'hiver fut venu, comme ils n'avaient plus de quoi manger et qu'ils manquaient de vêtements et de chaussures, ils se concertèrent entre eux et s'entendirent pour s'emparer de Chios. Il fut convenu que ceux qui approuvaient le projet porteraient une canne, afin de s'assurer les uns les autres de leur nombre. 

2. Informé du complot. Etéonicos se trouva fort embarrassé pour arranger l'affaire, à cause du grand nombre des porteurs de cannes. Il pensait qu'il était dangereux de les attaquer ouvertement, car ils pouvaient courir aux armes, s'emparer de la ville, et, devenus ennemis, perdre tout, s'ils avaient le dessus. Il lui paraissait également redoutable de faire périr tant de soldats alliés, car les Lacédémoniens encourraient par là la désapprobation de toute la Grèce et indisposeraient les troupes contre leur cause. 

3. Il prit donc avec lui quinze hommes armés de poignards et se mit à parcourir la ville. Il y rencontra un homme qui, atteint d'ophtalmie, sortait de chez le médecin, en s'appuyant sur une canne; il le tua. 

4. Un tumulte s'élève, on demande pourquoi l'homme a été tué. Etéonicos fait publier que c'est parce qu'il portait une canne. Aussitôt qu'ils entendent cela, tous ceux qui avaient une canne la jettent, dans la crainte d'être vus avec. 

5. Etéonicos convoqua ensuite les habitants de Chios et leur demanda de lui fournir de l'argent pour payer la solde des matelots et les empêcher de commettre quelque coup de force. Ils lui en fournirent et aussitôt il donna le signal de l'embarquement; puis, s'approchant successivement de chaque navire, il prodigua les encouragements et les exhortations, comme s'il ne savait rien de ce qui s'était passé, et il distribua à chacun la solde d'un mois. 

6. À la suite de ces événements, les habitants de Chios et les autres alliés, s'étant réunis à Éphèse, délibérèrent sur la situation et décidèrent d'envoyer des députés à Lacédémone pour y annoncer ce qui s'était passé et demander Lysandre comme chef de la flotte, car il avait gagné la faveur des alliés lors de son premier commandement, lorsqu'il avait gagné la bataille navale de Notion. 

7. On envoya donc ces députés, et avec eux des messagers de Cyrus chargés de la même mission. Les Lacédémoniens leur donnèrent Lysandre comme vice-amiral et Aracos comme amiral ; car la loi ne permet pas chez eux que le même homme soit amiral deux fois. Cependant on confia la flotte à Lysandre, au moment où la vingt-cinquième année de la guerre venait de s'écouler. 

8. Cette année-là, Cyrus mit à mort Autoboisacès et Mètraios, tous deux fils de la soeur de Darius, laquelle était fille de Xerxès, père de Darius. La raison, c'est que, se trouvant sur son passage, ils n'avaient pas rentré leurs mains dans leur corè, ce qu'on ne fait que pour le roi. La corè est une manche plus longue que la manche de chez nous ; quand on y met les mains, on est hors d'état de rien faire. 

9. Hiéraménès et sa femme représentèrent à Darius, qu'il serait inadmissible qu'il fermât les yeux sur une telle violence. Darius, feignant d'être malade, envoya des messagers à Cyrus pour l'appeler près de lui. 

10. L'année suivante, Arkhytas étant éphore et Alexias archonte à Athènes, Lysandre, arrivé à Éphèse, fit venir de Chios Étéonicos avec ses navires ; il rassembla tous les autres qu'il put trouver, les arma et en fit construire de nouveaux à Antandros. 

11. Il se rendit ensuite chez Cyrus pour lui demander de l'argent. Ce prince lui répondit qu'il avait dépensé tout ce qu'il avait reçu du roi, et même beaucoup au-delà, et il lui montra ce qu'il avait remis à chaque navarque ; il lui donna néanmoins de l'argent. 

12. Quand il l'eut reçu, Lysandre mit des triérarques à la tête des trières et donna aux matelots la solde qui leur était due. De leur côté, les généraux athéniens se préparaient à Samos à prendre la mer. 

13. Sur ces entrefaites Cyrus fit appeler Lysandre, parce qu'il lui était venu de la part de son père un courrier chargé de lui dire qu'il était malade et qu'il l'appelait à l'endroit où il était, à Thamnèria, en Médie, sur la frontière des Cadusiens (49), contre lesquels il faisait une expédition, parce qu'ils s'étaient révoltés. 

14. Lysandre, s'étant rendu chez lui, il lui recommanda de ne pas livrer bataille aux Athéniens qu'il n'eût beaucoup plus de navires qu'eux ; car l'argent ne manquait ni au roi ni à lui-même et par là il pouvait armer beaucoup de vaisseaux. En même temps il lui assigna tous les tributs payés par les villes et qui lui appartenaient en propre et il lui donna tout ce qui lui restait. Puis, après lui avoir rappelé l'amitié qui le liait à Lacédémone et à lui en particulier, il se mit en route pour le haut pays, afin de rejoindre son père. 

15. Quand Cyrus, lui ayant remis tout son argent, fut parti chez son père malade qui le mandait, Lysandre distribua la solde à l'armée et mit à la voile pour le golfe Cérameios en Carie. Là, il attaqua Cédrées, ville alliée d'Athènes, l'enleva d'assaut le lendemain et réduisit en esclavage les habitants, qui étaient à demi barbares. De là, il cingla sur Rhodes. 

16. Quant aux Athéniens, prenant Samos pour base, ils ravageaient le pays du roi ; puis ils firent voile vers Chios et Éphèse et se préparèrent à livrer bataille. Aux généraux en fonction ils adjoignirent Ménandros, Tydeus, Cèphisodotos. 

17. Cependant Lysandre, venant de Rhodes, naviguait le long de l'Ionie vers l'Hellespont pour surveiller le passage des bateaux et reprendre les villes qui avaient fait défection. De leur côté, les Athéniens laissèrent Chios et prirent le large; car l'Asie leur était hostile. 

18. Cependant Lysandre, sortant d'Abydos, longea la côte pour atteindre Lampsaque, alliée des Athéniens. Les Abydènes et les autres alliés les suivaient sur terre, sous le commandement du Lacédémonien Thorax. 

19. Ils attaquent la ville et l'emportent d'assaut, et les soldats pillent les richesses dont elle était remplie, vin, blé et autres provisions. Mais Lysandre laissa aller tous les gens de condition libre. 

20. La flotte athénienne qui le suivait de près, forte de cent quatre-vingt-dix vaisseaux, alla mouiller dans la Chersonèse à Éléonte. Là, pendant qu'ils déjeunaient, on leur annonce la prise de Lampsaque; aussitôt ils firent voile vers Sestos. 

21. Ils s'y approvisionnèrent et cinglèrent aussitôt vers l 'Egos Potamos. À cet endroit, l'Hellespont a environ quinze stades de largeur. Ils y dînèrent. 

22. La nuit suivante, au point du jour, Lysandre ordonna aux siens de déjeuner et d'embarquer. Il disposa tout pour le combat, arma de mantelets le flanc de ses navires; mais défendit que personne quittât son rang et le large. 

23. De leur côté, au lever du soleil, les Athéniens se mirent en ligne devant le port, comme pour engager la bataille. Mais comme Lysandre ne bougeait pas et qu'il se faisait tard, ils retournèrent au fleuve de la Chèvre. 

24. Lysandre donna l'ordre à ses trières les plus rapides de suivre les Athéniens, d'observer ce qu'ils feraient, une fois débarqués, et de revenir lui en rendre compte, et il ne laissa personne mettre pied à terre, avant qu'ils fussent de retour. Pendant quatre jours il observa la même tactique, tandis que les Athéniens continuaient à lui offrir la bataille. 

25. Alcibiade, voyant de son château les Athéniens mouiller près d'une plage, loin de toute ville et faisant venir leurs vivres de Sestos, qui était à quinze stades de leur station navale, alors que les ennemis, ancrés dans un port et près d'une ville, avaient tout à leur disposition, vint leur dire qu'ils avaient choisi un mauvais mouillage et leur conseilla d'aller se mettre à l'ancre à Sestos, dans un port et près d'une ville. « Là, dit-il, vous pourrez livrer bataille quand vous voudrez. » 

26. Les généraux, surtout Tydeus et Ménandros, le prièrent de se retirer; car c'étaient eux qui commandaient à présent, et non pas lui. Là-dessus, il se retira. 

27. C'était le cinquième jour que les Athéniens venaient défier Lysandre. Celui-ci commanda à ceux qui les suivaient par son ordre que, dès qu'ils les verraient débarqués et dispersés dans la Chersonèse, ce qu'ils faisaient chaque jour plus librement, soit pour aller acheter des vivres au loin, soit parce qu'ils méprisaient Lysandre, qui ne répondait pas à leur défi, il leur commanda, dis-je, d'élever, en revenant vers lui, un bouclier, quand ils seraient à mi-chemin. Ils firent ce qu'il leur avait commandé. 

28. Aussitôt Lysandre donna le signal de naviguer à toute vitesse. Il emmenait avec lui Thorax et l'infanterie. Conon, voyant venir l'ennemi, donna le signal pour qu'on courût en toute hâte aux vaisseaux. Mais comme les équipages étaient dispersés, certains vaisseaux n'avaient que deux bancs garnis de rameurs, d'autres un seul, et d'autres étaient entièrement vides. Le navire de Conon, sept autres qui étaient près du sien et qui avaient leur équipage au complet, et la galère Paralienne gagnèrent le large. Tous les autres furent pris par Lysandre près du rivage. Il ramassa sur terre la plupart des soldats athéniens; les autres s'enfuirent dans des bourgs fortifiés. 

29. Conon qui s'était échappé avec ses neuf vaisseaux, voyant que les affaires d'Athènes étaient perdues, relâcha à Abarnide, promontoire de Lampsaque, où il prit les grandes voiles (50) des vaisseaux de Lysandre. Lui-même avec huit navires s'en alla chez Evagoras à Chypre, tandis que la galère Paralienne (51) allait à Athènes annoncer le désastre, 

30. Lysandre emmena à Lampsaque les vaisseaux, les prisonniers et le reste, ainsi que les stratèges qu'il avait pris, entre autres Philoclès et Adeimantos. Le jour même où il avait gagné la bataille, il envoya le pirate Théopompe de Milet annoncer à Lacédémone ce qui s'était passé. Théopompe ne mit que trois jours à porter la nouvelle. 

31. Ensuite Lysandre réunit les alliés et les invita à délibérer sur le sort des prisonniers. Là, de nombreuses accusations furent portées contre les Athéniens sur les crimes qu'ils avaient déjà commis et sur ceux qu'ils avaient décidé de commettre; car, s'ils étaient vainqueurs dans le combat naval, ils devaient couper la main droite à tous les prisonniers. On rappelait aussi qu'ayant pris deux trières, une de Corinthe et l'autre d'Andros, ils avaient jeté tous les hommes par-dessus bord. C'était Philoclès, général athénien, qui était l'auteur de cette extermination. 

32. On cita bien d'autres atrocités, et l'on décida de mettre à mort tous ceux des prisonniers qui étaient Athéniens, à l'exception d'Adeimantos, qui, seul dans l'assemblée, s'était opposé au décret de couper la main des prisonniers. Au reste, il fut accusé par quelques-uns d'avoir livré la flotte. Lysandre demanda d'abord à Philoclès, qui avait jeté à la mer les Andriens et les Corinthiens, quel supplice il méritait pour avoir inauguré ces procédés criminels contre les Grecs ; puis il le fit égorger.

CHAPITRE II

LA GRÈCE TOUT ENTIÈRE, À L'EXCEPTION DES SAMIENS, EMBRASSE LE PARTI DE LACÉDÉMONE. LES ATHÉNIENS SONT ASSIÉGÉS PAR TERRE ET PAR MER. LA FAMINE LES CONTRAINT À SUBIR LA LOI DES LACÉDÉMONIENS, QUI DÉTRUISENT UNE PARTIE DES LONGS MURS (ANNÉE 405 AV. J.-C.)

1. Quand il eut réglé la situation à Lampsaque, Lysandre fit voile vers Byzance et Chalcédoine. Les habitants le reçurent, après avoir renvoyé les garnisons athéniennes en vertu d'une capitulation. Ceux qui avaient livré Byzance à Alcibiade se sauvèrent dans le Pont; par suite, ils gagnèrent Athènes et devinrent Athéniens. 

2. Lysandre renvoya à Athènes les garnisons athéniennes et tous les Athéniens qu'il rencontrait, n'accordant un sauf-conduit que pour cette ville, et non point pour ailleurs; car il pensait que, plus il y aurait de gens assemblés dans la ville et au Pirée, plus la disette de vivres se ferait promptement sentir. Il laissa comme harmoste de Byzance et de Chalcédoine le Laconien Sténélaos, tandis que lui retournait à Lampsaque, où il radouba ses vaisseaux.

3. À Athènes, la galère paralienne arriva de nuit, apportant la nouvelle du désastre. Les gémissements partant du Pirée arrivèrent par les Longs Murs jusqu'à la ville, la nouvelle se transmettant de bouche en bouche. Personne ne dormit cette nuit-là; tous pleuraient non seulement sur ceux qui n'étaient plus, mais bien plus encore sur eux-mêmes, persuadés qu'ils seraient traités comme ils avaient traité les Mèliens, colons des Lacédémoniens, dont ils avaient investi et pris la ville, et, outre ceux-ci, les Histiéens, les Scionéens, les Toronéens, les Éginètes (52) et beaucoup d'autres Grecs. 

4. Le lendemain ils convoquèrent l'assemblée et décidèrent de fermer les ports (53) par une digue, à l'exception d'un seul, de réparer les remparts, d'établir des gardes et de prendre toutes les mesures pour mettre la ville en état de soutenir un siège. 

5. Cependant Lysandre avait quitté l'Hellespont avec deux cents vaisseaux. Arrivé à Lesbos, il organisa le gouvernement de Mytilène et des autres villes, puis il envoya contre les places de Thrace Étéonicos avec dix trières; celui-ci les fit toutes passer sous la loi des Lacédémoniens. 

6. Toute la Grèce aussi, immédiatement après le combat naval, avait abandonné le parti des Athéniens, à l'exception des Sauriens, qui, après avoir massacré les notables, se maintinrent maîtres de la ville. 

7. Après cela, Lysandre envoya des messagers à Agis, à Décélie, et à Lacédémone, pour annoncer qu'il revenait avec deux cents navires. Alors les Lacédémoniens sortirent en masse avec les autres Péloponnésiens, sauf les Argiens, sur l'ordre de Pausanias, l'autre roi de Sparte. 

8. Quand ils furent tous réunis, Pausanias les conduisit contre Athènes et campa dans le gymnase appelé Académie (54). 

9. Lysandre étant venu à Égine, rendit la ville aux Éginètes, après en avoir assemblé le plus qu'il put. Il en fit autant pour les Mèliens et pour tous les autres qui avaient été chassés de leur patrie. Ensuite, ayant ravagé Salamine, il vint mouiller près du Pirée avec cent cinquante vaisseaux et il empêcha les transports d'y entrer. 

10. Les Athéniens, assiégés par terre et par mer, ne savaient que faire, n'ayant ni vaisseaux, ni alliés, ni blé. Ils ne voyaient pas d'autre moyen de salut que de se résigner à subir ce qu'ils avaient fait, non par vengeance, mais par une arrogance criminelle, aux citoyens des petits États, sans autre grief que leur alliance avec Lacédémone. 

11. Aussi, rendant leurs droits de citoyens à ceux qui en étaient privés (55), ils tinrent ferme et malgré le grand nombre de victimes que faisait la famine, ils ne parlaient pas de capituler. Cependant, lorsque le blé manqua tout à fait, ils envoyèrent des députés à Agis. Ils consentaient à devenir les alliés des Lacédémoniens, si on leur laissait les murs et le Pirée : c'est à ces conditions qu'ils demandaient à traiter. 

12. Agis les invita à se rendre à Lacédémone, car il n'avait pas qualité pour cela. Les députés ayant rapporté cette réponse aux Athéniens, on les envoya à Lacédémone. 

13. Quand ils furent arrivés à Sellasia, près de la Laconie et que les éphores eurent appris leurs propositions, qui étaient celles mêmes qu'ils avaient faites à Agis, ils leur enjoignirent de se retirer sans aller plus loin et de ne revenir, s'ils désiraient la paix, qu'après avoir mieux délibéré. 

14. Quand les députés furent de retour à Athènes et qu'ils eurent rapporté cette réponse au peuple, ce fut un découragement général. On se voyait déjà réduit en esclavage et l'on se disait qu'en attendant l'envoi d'une nouvelle ambassade, la famine allait faire bien des victimes. 

15. Quant à la démolition des murs, personne n'osait la conseiller : car Archestratos, ayant dit au sénat qu'on n'avait rien de mieux à faire que de conclure la paix aux conditions proposées par les Lacédémoniens, avait été jeté en prison; ces conditions étaient de démolir chacun des Longs Murs sur une longueur de dix stades. On fit un décret pour interdire de délibérer à ce sujet. 

16. On en était là lorsque Théramène déclara dans l'assemblée que, si on voulait l'envoyer auprès de Lysandre, il se rendrait compte, avant de revenir, si les Lacédémoniens tenaient à la destruction des murs pour réduire la ville en esclavage ou pour s'assurer une garantie. On l'envoya, et il resta près de Lysandre plus de trois mois, épiant le moment où les Athéniens seraient disposés, faute de vivres, à donner les mains à ce qu'on leur proposerait. 

17. Quand il revint, le quatrième mois, il rapporta dans l'assemblée que Lysandre l'avait retenu jusque-là, puis l'avait invité à se rendre à Lacédémone, sous prétexte qu'il n'avait pas qualité pour répondre à ce qu'il lui demandait, que cela dépendait des éphores. Là-dessus il fut choisi pour aller en ambassade à Lacédémone, lui dixième, avec pleins pouvoirs. 

18. De son côté Lysandre envoya aux éphores un exilé d'Athènes, Aristotélès, avec d'autres messagers qui étaient Lacédémoniens, pour les informer qu'il avait répondu à Théramène qu'eux seuls pouvaient décider de la paix et de la guerre.

19. Lorsque Théramène et les autres ambassadeurs furent arrivés à Sellasia, on leur demanda quelles propositions ils apportaient. Ils dirent qu'ils venaient avec pleins pouvoirs pour traiter de la paix, sur quoi les éphores les firent appeler. Quand ils furent arrivés, les éphores convoquèrent une assemblée où les Corinthiens et les Thébains surtout, mais aussi bon nombre d'autres Grecs protestèrent qu'il ne fallait pas traiter avec Athènes, mais la détruire. 

20. Mais les Lacédémoniens déclarèrent qu'ils ne réduiraient pas en servitude une ville grecque qui avait rendu un grand service à la Grèce, quand elle était menacée des plus grands dangers, et ils firent la paix à condition que les Athéniens abattraient les Longs Murs et les fortifications du Pirée, qu'ils livreraient leurs vaisseaux, sauf douze, rappelleraient les exilés, reconnaîtraient pour ennemis et pour amis ceux de Lacédémone et suivraient les Lacédémoniens sur terre et sur mer partout où ils les conduiraient. 

21. Théramène et ses collègues rapportèrent ces conditions à Athènes. À leur entrée, ils se virent entourés d'une foule immense, qui craignait de les voir revenir sans avoir rien conclu; car il n'était plus possible de tenir, vu le nombre de ceux qui mouraient de faim. 

22. Le lendemain, les ambassadeurs annoncèrent à quelles conditions les Lacédémoniens accordaient la paix. Théramène porta la parole et déclara qu'il fallait se soumettre aux Lacédémoniens et abattre les murs. Quelques-uns protestèrent; mais l'immense majorité l'approuva et l'on décida d'accepter la paix. 

23. Après cela, Lysandre pénétra dans le Pirée, les exilés rentrèrent et l'on sapa les murs au son des flûtes avec un enthousiasme extrême, s'imaginant que ce jour inaugurait pour la Grèce une ère de liberté. 

24. Ainsi finit l'année, au milieu de laquelle Denys de Syracuse, fils d'Hermocratès, s'empara du pouvoir, après une victoire des Syracusains sur les Carthaginois. Cependant ceux-ci s'étaient rendus maîtres d'Agrigente par la famine, les Sicéliotes ayant abandonné la ville.

CHAPITRE III

SOUMISSION DES SAMIENS. LYSANDRE RENTRE À SPARTE. LE GOUVERNEMENT DES TRENTE À ATHÈNES. DISSENTIMENTS ENTRE CRITIAS ET THÉRAMÈNE. DISCOURS DE L'UN ET DE L'AUTRE. CRITIAS FAIT TUER THÉRAMÈNE (ANNÉE 404 AV. J.-C.).

1. L'année suivante, celle où le Thessalien Crocinas remporta le prix du stade aux jeux Olympiques, sous l'éphorat d'Endios à Sparte, sous l'archontat, à Athènes, de Pythodoros, que les Athéniens ne comptent pas, parce qu'il fut élu pendant l'oligarchie, et qu'ils appellent cette année l'Anarchie, cette année donc, l'oligarchie fut établie comme je vais dire. 

2. Le peuple décida (56) de choisir trente personnes pour rédiger les lois nationales suivant lesquelles ils devaient gouverner. Ceux que l'on choisit furent Polycharès, Critias, Mèlobios, Hippolochos, Euclide, Hiéron, Mnèsilochos, Chrèmon, Théraméne, Arésias, Dioclès, Phaidrias, Chairéléos, Anaitios, Peison, Sophoclès, Ératosthène, Chariclès, Onomaclès, Théognis, Eschine, Théogénès, Cléomédès, Érasistratos, Pheidon, Dracontidès, Éumathès, Aristotélès, Hippomachos, Mnèsitheidès. 

3. Cela fait, Lysandre mit à la voile pour Samos, Agis emmena de Décélie les troupes de terre et les renvoya dans leurs cités respectives. 

4. Vers le même temps, quand il y eut une éclipse de soleil, Lycophron de Phères, qui voulait régner sur toute la Thessalie, vainquit en bataille rangée ceux des Thessaliens qui s'y opposaient, les Larisséens et d'autres, et leur tua beaucoup de monde. 

5. Dans le même temps encore, Denys, tyran de Syracuse, fut battu par les Carthaginois et perdit Géla et Camarine. Peu après, les Léontins, qui habitaient avec les Syracusains, quittèrent le parti de Denys et de Syracuse, et se retirèrent dans leur propre ville. Aussitôt la cavalerie syracusaine fut envoyée à Catane par Denys. 

6. Cependant les Samiens, assiégés de tous côtés par Lysandre, refusèrent d'abord tout accommodement; mais comme Lysandre allait donner l'assaut, ils convinrent avec lui qu'il laisserait partir chacun des hommes libres avec un seul habit et qu'on lui livrerait le reste. Ils sortirent de la ville à ces conditions. 

7. Lysandre rendit la ville et tout ce qu'elle renfermait aux anciens citoyens (57), y établit dix archontes pour la garder et renvoya dans leurs villes les vaisseaux des alliés. 

8. Puis, avec les vaisseaux spartiates, il mit à la voile pour Lacédémone, emmenant avec lui les éperons des navires qu'il avait pris, les trières du Pirée, sauf douze, des couronnes qu'il avait reçues des villes à titre individuel, quatre cent soixante-dix talents d'argent qui lui restaient des tributs que Cyrus lui avait assignés pour la guerre, et tout ce qu'il avait gagné au cours de la campagne. 

9. Il remit tout cela aux Lacédémoniens, à la fin de l'été qui vit la fin de la guerre. Elle avait duré vingt-huit ans six mois, durant lesquels les éphores éponymes furent les suivants : Ainèsias d'abord, sous qui la guerre éclata, la quinzième année de la trêve (58) qui suivit la prise de l'Éubée; 

10. après lui vinrent Brasidas, Isanor, Sostratidas, Hexarchos, Agèsistratos, Angénidas, Onomaclès, Zeuxippos, Pityas, Pleistolas, Cleinomachos, Ilarchos, Léon, Chairilas, Patèsiadas, Cléosthénès, Lycarios, Épèratos, Onomantios, Alexippidas, Misgolaïdas, Isias, Aracos, Euarchippos, Pantaclès, Pityas, Archytas, Endios, sous lequel Lysandre, ayant accompli ce qui vient d'être dit, revint dans sa patrie.

11. Les Trente avaient été choisis aussitôt après la destruction des Longs Murs et des fortifications du Pirée. Ils l'avaient été pour rédiger des lois suivant lesquelles ils devaient gouverner; mais ils différaient toujours de les rédiger et de les promulguer; en attendant, ils avaient élu un sénat et établi les autres magistratures comme il leur plaisait. 

12. Ils commencèrent par faire arrêter et traduire en justice pour crime capital ceux qui étaient connus de tout le monde pour avoir vécu de délation sous le régime démocratique et qui avaient été de redoutables persécuteurs des honnêtes gens. Le sénat les condamna volontiers, et tous ceux auxquels leur conscience ne reprochait rien de pareil n'en furent aucunement fâchés. 

13. Mais quand ils se mirent à délibérer sur les moyens de gouverner l'État à leur fantaisie, ils envoyèrent d'abord Eschine et Aristotélès à Lacédémone avec mission d'engager Lysandre à les appuyer pour avoir une garnison, jusqu'à ce qu'ils se fussent débarrassés des mauvais citoyens et qu'ils eussent organisé le gouvernement; ils promettaient de pourvoir à la subsistance des soldats. 

14. Lysandre se laissa convaincre et leur fit envoyer une garnison (59), avec Callibios pour harmoste. Quand ils eurent reçu les troupes, ils traitèrent Callibios avec tous les égards possibles, afin qu'il approuvât tous leurs actes; et, comme il leur donnait des soldats pour les escorter, ils arrêtaient ceux qu'il leur plaisait, non plus les mauvais citoyens et les gens de peu, mais les hommes qui, à leur estime, ne se laisseraient pas écarter et qui, s'ils essayaient de leur faire opposition, grouperaient autour d'eux les volontaires en très grand nombre. 

15. Dans les premiers temps Critias et Théramène étaient d'accord et amis. Mais comme Critias était enclin à faire périr beaucoup de citoyens, parce qu'il avait été exilé par le peuple, Théramène s'y opposa, disant qu'il n'était pas raisonnable de mettre à mort un homme, parce que le peuple l'honorait, si d'ailleurs il ne faisait aucun mal aux honnêtes gens. « Car toi, comme moi, ajouta-t-il, nous avons dit et fait bien des choses pour plaire au peuple. » 

16 Critias, qui était encore en bons termes avec Théramène, lui répondit que c'était une obligation pour ceux qui voulaient commander de se débarrasser des gens les plus capables de traverser leur ambition. « Si tu t'imagines, ajouta-t-il, que parce que nous sommes trente et non pas un, nous n'avons pas à veiller sur notre pouvoir comme si c'était une tyrannie, tu es naïf. » 

17. Cependant, plusieurs citoyens ayant été mis à mort injustement, on vit beaucoup de gens s'attrouper, qui se demandaient ce qu'allait être le gouvernement. Théramène reprit alors la parole pour dire que, s'ils n'admettaient pas un nombre suffisant de citoyens à partager avec eux l'administration des affaires, l'oligarchie ne pouvait durer. 

18. En conséquence, Critias et les autres tyrans, pris de peur et craignant surtout de voir les citoyens se grouper autour de Théramène, enrôlèrent trois mille d'entre eux pour gouverner avec eux. 

19. Théramène s'éleva de nouveau contre cette mesure et déclara qu'il lui semblait absurde, si l'on voulait associer aux affaires les meilleurs citoyens, de se borner à trois mille, comme si ce nombre était nécessairement celui des honnêtes gens et qu'il ne pût y avoir de gens estimables en dehors de ce corps ni de coquins dedans. « En outre, continua-t-il, je vous vois faire deux choses absolument opposées : vous établissez un gouvernement de violence, et il est plus faible que les gouvernés. » 

20. Voilà ce qu'il dit. Les autres firent une revue des citoyens et assemblèrent les trois mille sur la place publique, et ceux qui étaient hors de la liste dans un autre endroit; puis ils commandèrent de mettre les armes en faisceaux et, quand les hommes furent partis, ils envoyèrent leurs gardes et les citoyens de leur parti enlever les armes de tout le monde, excepté des trois mille, les firent monter à l'acropole et déposer dans le temple. 

21. Cette mesure prise, ils se crurent maîtres de faire ce qui leur plaisait, et ils firent périr beaucoup de citoyens par haine, beaucoup pour avoir leurs biens. Ils décidèrent en outre, pour se procurer de quoi payer leurs gardes, de se saisir chacun d'un métèque, de le tuer et de confisquer sa fortune à leur profit. 

22. Ils engagèrent aussi Théramène à prendre celui qu'il voudrait. Il répondit : « Il ne me semble pas bien, quand on prétend être les meilleurs, d'agir plus mal que des sycophantes. Ceux-ci laissaient vivre ceux dont ils prenaient les biens, et nous, nous ferions périr des innocents, pour leur prendre leur fortune ? Cette conduite ne serait-elle pas infiniment plus criminelle que la leur ? » 

23. Les autres, pensant que Théramène était un obstacle à l'exécution de leurs desseins, complotèrent contre lui, et le calomnièrent près des sénateurs, qu'ils prenaient chacun à part pour l'accuser de perdre le gouvernement. Enfin ils engagèrent les jeunes gens qui leur paraissaient les plus audacieux à se rendre auprès d'eux avec un poignard sous l'aisselle, et ils assemblèrent le sénat. 

24. Quand Théramène fut arrivé, Critias se leva et parla ainsi :« Sénateurs, si quelqu'un de vous pense que l'on met à mort plus de gens que les circonstances ne l'exigent, qu'il réfléchisse que partout où l'on change de gouvernement, ces rigueurs sont habituelles. Mais ici l'introduction de l'oligarchie a nécessairement soulevé plus d'ennemis qu'ailleurs, parce que la ville est la plus peuplée de la Grèce et que le peuple a été très longtemps nourri dans la liberté. 

25. Pour nous, qui savons que la démocratie est un gouvernement insupportable à des gens tels que nous et vous, qui savons d'autre part que les démocrates ne sauraient jamais être amis des Lacédémoniens, nos sauveurs, tandis que les aristocrates leur seront toujours fidèles, pour ces raisons nous avons, avec l'assentiment des Lacédémoniens, établi cette forme de gouvernement. 

26. Si nous voyons quelqu'un s'opposer à l'oligarchie, nous faisons notre possible pour nous en débarrasser; mais si c'est l'un de nous-mêmes qui cherche à détruire cette constitution, il nous semble particulièrement juste qu'il en soit puni. 

27. Or nous avons constaté que Théramène ici présent fait tout ce qu'il peut pour nous perdre, nous et vous. Cela est si vrai que, si vous l'observez, vous trouverez que personne ne blâme l'état de choses actuel plus vivement que ce Théramène, et ne soulève plus d'opposition que lui, quand nous voulons nous défaire de quelque démagogue. S'il avait eu ces sentiments dès le début, il serait notre ennemi, mais on aurait tort de le tenir pour un pervers. 

28. Seulement, c'est lui qui a inauguré cette politique de confiance et d'amitié avec Lacédémone, lui qui a détruit la démocratie; c'est lui qui vous a le plus excités à punir les premiers qu'on a traduits à votre tribunal, et, maintenant que nous sommes devenus, vous et nous, les ennemis déclarés du peuple, il n'approuve plus notre conduite, afin de se mettre lui-même à l'abri et de nous laisser porter la peine de ce qui s'est fait. 

29. Aussi n'est-ce pas seulement comme ennemi, mais aussi comme traître à votre cause et à la nôtre qu'il convient de le punir. La trahison est certainement beaucoup plus redoutable que la guerre, d'autant qu'il est plus difficile de se garantir des dangers invisibles que des dangers qu'on voit; elle est bien plus haïssable aussi, parce qu'on traite avec un ennemi et qu'on redevient amis; mais quand on a pris un traître sur le fait, on ne traite jamais avec lui et l'on n'a jamais plus confiance en lui. 

30. Et pour que vous sachiez qu'il ne fait là rien de nouveau et qu'il est traître de sa nature, je vais vous rappeler son passé. Honoré par le peuple au début de sa carrière, cet homme n'en devint pas moins, comme son père Hagnon (60), un des plus ardents à livrer la démocratie aux Quatre-Cents, parmi lesquels il occupa le premier rang. Mais, s'étant aperçu qu'une opposition se formait contre l'oligarchie, il fut encore le premier à se mettre à la tête du peuple contre ses collègues. 

31. C'est de là, vous le savez, que lui vint le sobriquet de Cothurne. Comme le cothurne paraît s'adapter aux deux pieds, lui regarde des deux côtés. Mais il faut, Théramène, que l'homme qui est digne de vivre ne mette pas son habileté à engager ses compagnons dans les affaires, pour les abandonner aussitôt que survient un obstacle; au contraire il doit, comme dans un navire, aider à la manoeuvre de toutes ses forces, jusqu'à ce qu'il arrive un vent favorable. Sans cela, comment pourrait-on atteindre le port, si à chaque obstacle, on retourne aussitôt en arrière. 

32. Sans doute tous les changements de régime sont meurtriers; mais toi, de combien d'exécutions t'es-tu rendu complice par mobilité de caractère et combien d'oligarques ont, à cause de toi, péri par le peuple, et de démocrates par les meilleurs! C'est ce Théramène qui, chargé par les généraux de relever les naufragés athéniens à la bataille navale de Lesbos, ne les releva pas et accusa néanmoins les généraux et les fit mettre à mort pour se sauver lui-même. 

33. Quand un homme n'est visiblement occupé que de son avantage et n'a aucun souci ni de l'honnêteté ni de ses amis, comment pourrait-on l'épargner ? Comment ne pas s'en garder, quand on connaît ses changements, afin qu'il ne puisse s'y livrer à nos dépens ? Aussi nous l'accusons à la fois comme conspirateur et comme traître à nous et à vous. 

34. Pour vous convaincre que nous avons raison de le faire, réfléchissez à ceci. Il semble bien que la meilleure constitution soit celle de Lacédémone. Or si l'un des éphores se mettait là-bas, au lieu de se ranger à l'avis de la majorité, à blâmer le gouvernement et à paralyser son action, ne pensez-vous pas qu'il serait jugé par les éphores eux-mêmes et par toute la cité comme digne du plus sévère châtiment ? Vous donc, si vous êtes sages, ce n'est point cet homme, mais vous-mêmes que vous épargnerez; car, s'il échappe, il augmentera le nombre et la hardiesse de vos adversaires; s'il meurt au contraire, sa mort coupera court aux espérances de vos ennemis du dedans et du dehors. » 

35. Après avoir ainsi parlé, il s'assit. Alors Théramène se leva et dit : « Je veux, Athéniens, relever d'abord ce que Critias a dit en dernier lieu contre moi. Il prétend que c'est moi qui ai causé la mort des généraux par mon accusation. Non, ce n'est pas moi qui ai pris l'initiative contre eux; ce sont eux qui ont soutenu que, malgré l'ordre qu'ils m'en avaient donné, je n'avais pas recueilli les malheureux naufragés du combat naval de Lesbos. Je me suis défendu en disant que, par suite de la tempête, il n'était pas possible même de tenir la mer, encore moins de relever les corps, et l'assemblée approuva ma justification. Les généraux au contraire paraissaient s'accuser eux-mêmes. Ils affirmaient qu'il était possible de sauver les hommes, et cependant ils les avaient laissés périr et étaient partis avec la flotte. 

36. Je ne m'étonne pas d'ailleurs que Critias se soit mépris (61) en cette affaire : lorsque ces faits avaient lieu, il n'était pas présent; il était en Thessalie où il organisait la démocratie avec Prométhée et armait les pénestes (62) contre leurs maîtres. 

37. Dieu nous préserve ici de ce que cet homme faisait là-bas ? Cependant je suis d'accord avec lui sur un point, c'est que, si quelqu'un veut vous ôter le pouvoir ou fortifier ceux qui vous dressent des pièges, il est juste qu'il soit très sévèrement puni. Mais quel est celui qui se conduit ainsi ? Vous n'en pouvez mieux juger qu'en repassant ce que nous avons fait et ce que chacun de nous fait encore à présent. 

38. Or jusqu'au moment où vous avez été nommés sénateurs, où les magistrats ont été institués, où les sycophantes (63) notoires ont été traduits en justice, nous avons tous été du même sentiment. Mais quand ces gens-là se sont mis à arrêter les honnêtes gens, dès ce moment j'ai été d'un avis contraire au leur. 

39. Je savais en effet que, si l'on mettait à mort un Léon de Salamine (64), qui était un homme de mérite et réputé pour tel, et qui n'avait fait aucun mal, cela effrayerait ses pareils et que la crainte en ferait des adversaires de notre gouvernement. Je savais de même que, si l'on arrêtait Nicèratos, fils de Nicias, citoyen riche (65) et qui, pas plus que son père, n'a jamais rien fait pour obtenir les faveurs du peuple, ses pareils deviendraient nos ennemis. 

40. Et quand vous faisiez périr Antiphon (66), qui, au cours de la guerre avait fourni deux vaisseaux rapides à la course, j'étais sûr que tous ceux qui ont montré du zèle pour l'État vous tiendraient en défiance. Je les contredis aussi quand ils prétendirent que chacun de nous devait prendre un métèque (67); car il était clair qu'en voyant exécuter ces métèques, tous les autres deviendraient ennemis du gouvernement. 

41. Je m'élevai de même contre eux, quand ils ôtèrent au peuple ses armes; car je ne pensais pas qu'il fallût affaiblir l'État. Je voyais en effet qu'en nous sauvant, le but des Lacédémoniens n'était pas de nous réduire à un petit nombre, incapable de leur rendre aucun service, car ils pouvaient, s'ils l'avaient désiré, ne laisser vivre personne, en nous pressant plus longtemps par la famine. 

42. Je n'approuvai pas davantage l'idée de prendre des gardes à notre solde, alors que nous pouvions enrôler parmi les citoyens mêmes assez d'hommes pour avoir aisément, nous, les gouvernants, la haute main sur les gouvernés. En outre, comme je voyais dans la ville beaucoup de gens mécontents du régime et beaucoup d'autres qui prenaient le chemin de l'exil, il ne me paraissait pas à propos de bannir Thrasybule, ni Anytos (68), ni Alcibiade (69); car je savais que l'opposition en serait renforcée, si la multitude s'adjoignait des chefs capables et si ceux qui aspiraient au pouvoir voyaient venir à eux beaucoup d'alliés. 

43. Celui donc qui donne de tels conseils doit-il être tenu justement pour un ami dévoué ou pour un traître ? Ce ne sont point, Critias, ceux qui empêchent les adversaires de se multiplier, ni ceux qui enseignent les moyens d'acquérir le plus grand nombre d'alliés, ce ne sont pas ceux-là qui augmentent les forces de l'ennemi, mais bien plutôt ceux qui ravissent injustement les biens d'autrui et qui font périr les innocents. Voilà ceux qui accroissent le nombre de leurs ennemis et qui trahissent non seule-ment leurs amis, mais encore eux-mêmes par leur honteuse cupidité. 

44. À défaut d'autre moyen de vous convaincre que je dis vrai, réfléchissez à ceci. Quelle politique pensez-vous que Thrasybule, Anytos et les autres exilés préféreraient voir pratiquer chez nous, celle que je préconise ou celle que font ces gens-là ? Je crois pour ma part qu'ils comptent trouver partout des alliés, tandis que, si la meilleure partie de la ville était pour nous, ils jugeraient difficile même de mettre le pied sur un point du territoire. 

45. Quant à ce qu'il a dit, que j'étais homme à changer sans cesse, réfléchissez encore à ceci. C'est le peuple lui-même qui a voté avec moi le gouvernement des Quatre-Cents, parce qu'on lui avait dit que les Lacédémoniens se fieraient à n'importe quel gouvernement plutôt qu'à la démocratie. 

46. Cependant, comme les Lacédémoniens ne relâchaient point les hostilités et que les stratèges Aristotélès, Mélanthios et Aristarque construisaient ostensiblement sur la jetée un fort (70), dans lequel ils voulaient introduire les ennemis et placer la ville sous leur domination et celle de leurs amis, en m'opposant à leur dessein que j'avais pénétré, ai-je en cela trahi mes amis ? 

47. Il m'appelle Cothurne sous prétexte que j'essaye de m'ajuster aux deux partis. Mais celui qui ne plaît à aucun des deux, celui-là, au nom des dieux, comment faut-il l'appeler ? Or toi, sous la démocratie, on te regardait comme le plus grand ennemi du peuple, et, sous le gouvernement aristocratique, tu es devenu l'ennemi le plus acharné des honnêtes gens. 

48. Pour moi, Critias, j'ai toujours été l'ennemi de ceux qui croient que la démocratie ne sera belle que quand les esclaves et les miséreux qui vendraient la ville pour une drachme auront part au gouvernement, et je suis d'autre part toujours opposé aux idées de ceux qui ne pensent pas qu'il puisse y avoir une bonne oligarchie, avant qu'ils aient mis l'Etat sous la tyrannie de quelques personnes. Mais s'entendre, pour administrer l'État, avec ceux qui sont à même de servir comme cavaliers ou comme hoplites, voilà la politique que j'ai toujours jugée la meilleure et je n'ai pas changé d'avis. 

49. Si tu peux dire, Critias, en quelles circonstances j'ai tenté, soit avec des démocrates, soit avec des aristocrates, d'écarter les honnêtes gens du gouvernement, parle; car si je suis convaincu de le faire à présent ou de l'avoir fait auparavant, je conviens que je mérite de mourir, après avoir subi les peines les plus rigoureuses de toutes. » 

50. Quand Théramène cessa de parler, le sénat laissa voir par ses applaudissements qu'il sympathisait avec lui. Critias, comprenant que, s'il s'en remettait au sénat de trancher le différend, son adversaire lui échapperait et que dès lors la vie lui serait intolérable, s'approcha des Trente, se consulta brièvement avec eux et sortit, puis il donna l'ordre aux gens armés de poignards de venir se placer ostensiblement devant les barres, face aux sénateurs; 

51. après quoi il rentra et prit la parole : « C'est mon opinion, sénateurs, qu'un prostate qui est ce qu'il doit être, s'il voit qu'on trompe ses amis, ne doit pas le tolérer. Aussi moi, je ne le tolérerai pas. D'ailleurs ces hommes que vous voyez devant vous déclarent qu'ils ne souffriront pas que nous relâchions un homme qui bat ouvertement en brèche l'oligarchie. Il est écrit dans les nouvelles lois qu'aucun des citoyens qui font partie des trois mille ne sera mis à mort sans que vous l'ayez voté, mais que les Trente sont maîtres de condamner à mort ceux qui ne sont pas sur la liste. En conséquence, ajouta-t-il, j'efface de la liste Théramène ici présent, en quoi je suis d'accord avec tous mes collègues. Et cet homme, dit-il, nous le condamnons à mort. »

52. En entendant ces mots, Théramène s'élança vers l'autel : « Et moi, citoyens, s'écria-t-il, je vous supplie de faire droit à la plus juste des demandes : ne laissez pas Critias maître d'effacer de la liste ni moi, ni aucun de vous, au gré de ses caprices; mais qu'on nous juge, vous et moi, d'après la loi que ces gens ont faite pour ceux qui sont sur la liste. 

53. Par les dieux, je sais fort bien, ajouta-t-il, que cet autel ne me protégera pas; mais je tiens à faire voir que ces gens-là ne sont pas seulement les plus injustes envers les hommes, mais encore les plus impies envers les dieux. Quant à vous, qui êtes d'honnêtes gens, je m'étonne, poursuivit-il, que vous ne vous secouriez pas vous-mêmes, sachant bien que mon nom n'est pas plus facile à effacer que celui de chacun de vous. » 54. À ce moment le héraut des Trente ordonna aux Onze de saisir Théramène. Les Onze entrèrent avec leurs valets, ayant à leur tête Satyros, le plus hardi et le plus cynique d'entre eux. Critias leur dit : « Nous vous livrons Théramène que voici, condamné selon la loi. Vous, les Onze, saisissez-le, et, après l'avoir conduit où il faut, faites ce qui s'ensuit. » 

55. Quand il eut dit ces mots, Satyros arracha Théramène de l'autel et les valets l'entraînèrent. Théramène, comme on peut le croire, appelait les dieux et les hommes à regarder ce qui se passait. Mais le sénat ne bougea pas, car il voyait devant les barres des gens du même acabit que Satyros et la place qui était devant la salle du sénat remplie de gardes, et il n'ignorait pas qu'il y avait là des hommes armés de poignards. 

56. Tandis que les Onze emmenaient le condamné à travers la place, il criait à haute voix l'attentat dont il était victime. On rapporte un mot de lui. Satyros lui ayant dit que, s'il ne se taisait pas, il s'en trouverait mal, il lui demanda : « Et si je me tais, m'en trouverai-je mieux ? » Puis, lorsque, forcé de mourir, il eut bu la ciguë, on raconte qu'il en jeta le reste, comme au cottabe (71), et dit : « Voilà pour le beau Critias. » Je sais bien que ces mots n'ont rien de mémorable, mais il y a une chose qui me paraît admirable en cet homme, c'est qu'en face de la mort il ne perdit ni sa présence d'esprit, ni son enjouement.

CHAPITRE IV

THRAYBULE, À PHYLÈ, BAT LES TROUPES DES TRENTE. CEUX-CI S'EMPARENT D'ÉLEUSIS. THRASYBULE AU PIRÉE. BATAILLE DE MUNYCHIE, OU CRITIAS EST TUÉ. LES TRENTE SE RÉFUGIENT À ÉLEUSIS. LYSANDRE VIENT À LEUR SECOURS; MAIS LE ROI PAUSANIAS RÉCONCILIE LES DEUX PARTIS ATHÉNIENS, QUI FONT SERMENT DE N'EXERCER AUCUNES REPRÉSAILLES L'UN CONTRE L'AUTRE (ANNÉES 404-403 AV. J.-C.).

1. C'est ainsi que mourut Théramène. Les Trente, désormais sûrs de pouvoir exercer sans crainte leur tyrannie, interdirent l'entrée de la ville à ceux qui n'étaient pas inscrits sur la liste et les évincèrent de leurs domaines pour s'approprier leurs terres, eux et leurs amis. Les malheureux s'enfuyaient-ils au Pirée, on les ramenait à Athènes; aussi Mégare et Thèbes se remplirent de réfugiés. 

2. Sur ces entrefaites, Thrasybule partit de Thèbes avec environ soixante-dix hommes (72) et s'empara de la place forte de Phylè. Les Trente accoururent de la ville avec les trois mille et leur cavalerie par un temps magnifique. À peine arrivés, un certain nombre de jeunes gens s'enhardirent à donner l'assaut à la place; mais ils ne réussirent qu'à se faire blesser inutilement et ils se retirèrent. 

3. Comme les Trente voulaient investir la place pour la réduire en lui coupant les vivres, la neige tomba en abondance pendant la nuit et la journée du lendemain; alors, couverts de neige, ils retournèrent en ville, non sans avoir perdu un grand nombre de leurs goujats enlevés par les gens de Phylè. 

4. Prévoyant que ceux-ci feraient aussi des razzias dans les champs, s'ils n'y plaçaient pas de gardes, ils envoyèrent sur la frontière, à quinze stades environ de Phylè, la garnison lacédémonienne, à l'exception de quelques hommes, et deux tribus de cavaliers. Ces troupes campèrent dans un lieu boisé et gardèrent le pays. 

5. Mais Thrasybule, qui avait déjà réuni à Phylè près de sept cents hommes, se met à leur tête et descend dans la plaine pendant la nuit; il fait halte à trois ou quatre stades des gardes et ne bouge pas.

6. À l'approche du jour, au moment où les ennemis se levaient et s'écartaient de la place d'armes pour se rendre où chacun d'eux avait affaire, et où les palefreniers faisaient du bruit en étrillant leurs chevaux, les gens de Thrasybule, saisissant leurs armes, fondent sur eux au pas de course; ils en culbutent un certain nombre, puis les mettent tous en fuite et les poursuivent l'espace de six ou sept stades, et ils leur tuent plus de cent vingt hoplites, et parmi les cavaliers Nicostratos, surnommé le beau, et deux autres, qu'ils avaient surpris encore au lit. 

7. En revenant, ils dressèrent un trophée et empaquetant les armes et les bagages qu'ils avaient pris, ils regagnèrent Phylè. La cavalerie accourut d'Athènes à la rescousse, mais elle ne vit plus aucun ennemi, et, après avoir attendu que les parents eussent relevé leurs morts, elle s'en retourna à la ville. 

8. Dès ce moment, les Trente, voyant chanceler leur situation, voulurent s'assurer d'Éleusis, afin d'y trouver un refuge en cas de besoin. Aussi, après avoir donné leurs instructions aux cavaliers, Critias et ses collègues se rendirent à Éleusis. Ils y firent, sous la protection des cavaliers, une revue des habitants, sous prétexte de connaître leur nombre et le renfort qu'il faudrait ajouter à la garnison, et ils ordonnèrent à tout le monde de s'inscrire. Après s'être inscrit, chacun devait sortir par la poterne qui donnait sur la mer. Ils avaient placé les cavaliers sur la plage à droite et à gauche de la poterne, et, au fur et à mesure que les habitants sortaient, les valets des Trente les enchaînaient. Quand ils se furent saisis de tous les habitants, ils ordonnèrent à l'hipparque Lysimachos de les emmener et de les livrer aux Onze. 

9. Le lendemain, ils convoquèrent à l'Odéon (73) les hoplites qui étaient sur la liste et les cavaliers; puis Critias se leva et prit la parole : « Citoyens, dit-il, c'est dans votre intérêt tout autant que dans le nôtre que nous organisons le gouvernement. Vous devez donc, comme vous participerez aux honneurs, avoir aussi votre part des dangers. Il faut donc que vous votiez la condamnation des habitants d'Éleusis que nous avons rassemblés ici, afin que vous partagiez nos espérances et nos craintes. » Puis il leur indiqua un emplacement où il leur ordonna d'apporter leur vote à découvert (74).

10. Pendant ce temps les gardes lacédémoniens, armés jusqu'aux dents, occupaient une moitié de l'Odéon. Ces mesures furent approuvées aussi par ceux des citoyens qui n'avaient souci que de leur intérêt personnel. À la suite de ces événements, Thrasybule se mettant à la tête des troupes qu'il avait ramassées à Phylè et qui atteignaient déjà près de mille hommes, arrive de nuit au Pirée. Lorsque les Trente en furent informés, ils accoururent aussitôt avec les Laconiens, la cavalerie et les hoplites, et ils prirent la grande route qui mène au Pirée. 

11. Ceux de Phylè essayèrent d'abord de les repousser : mais comme l'étendue de l'enceinte paraissait demander une grosse garnison et qu'ils étaient encore peu nombreux, ils se concentrèrent sur Munychie. Ceux de la ville, parvenus à la place d'Hippodamos (75), se rangèrent d'abord en bataille de manière à remplir la route qui mène au temple d'Artémis de Munychie et au Bendidéon (76); ils n'avaient pas moins de cinquante boucliers de profondeur. Ainsi rangés, ils se mirent à monter.

12. Ceux de Phylè remplissaient aussi la route, mais ils n'avaient pas plus de dix boucliers de profondeur. Il est vrai que par derrière ils étaient soutenus par des peltastes, des acontistes (77) armés à la légère, après lesquels venaient des frondeurs, et ces gens venus de l'endroit même étaient un sérieux renfort. Pendant que les ennemis s'avançaient, Thrasybule ordonna aux siens de déposer leurs boucliers; lui-même déposa le sien tout en gardant ses autres armes, puis se plaçant au milieu d'eux, il leur dit : 

13. « Citoyens, je veux apprendre aux uns et rappeler aux autres que, parmi ces gens qui s'avancent, ceux qui tiennent l'aile droite sont ceux que vous avez mis en déroute et poursuivis il y a quatre jours, et que ceux qui sont à l'extrémité de l'aile gauche, ceux-là sont les Trente, qui nous ont privés de notre patrie, sans que nous ayons fait aucun mal, qui nous ont chassés de nos maisons, et qui ont proscrit nos amis les plus chers. Ils se trouvent aujourd'hui dans une situation où ils n'ont jamais prévu qu'ils se trouveraient, mais où nous avons toujours souhaité de les voir. 

14. Car c'est avec des armes que nous nous trouvons en face d'eux, et les dieux, qui les ont vus se saisir de nous à table, dans nos lits ou au marché, ou nous exiler en dépit de notre innocence, en dépit même de notre absence, les dieux combattent aujourd'hui manifestement pour nous. Ils font la tempête dans un ciel serein, quand la tempête peut nous servir, et, quand nous attaquons, malgré notre petit nombre des ennemis nombreux, c'est à nous qu'ils accordent la gloire de dresser des trophées. 

15. Aujourd'hui encore ils nous ont amenés sur une position où nos adversaires ne pourront lancer ni traits ni javelots par-dessus leurs premiers rangs, à cause de l'escarpement qu'ils ont à gravir, au lieu que nous, lançant nos piques, nos javelots et nos pierres en contre-bas, nous les atteindrons et en blesserons un grand nombre. 

16. On aurait pu croire qu'il nous faudrait combattre avec les premiers rangs à armes égales ; mais si vous lancez vos traits avec entrain, comme il convient, tous vos coups porteront sur ces gens dont la route est remplie, et, pour s'en protéger, ils se cacheront constamment sous leurs boucliers, en sorte que nous pourrons frapper où nous voudrons, comme sur des aveugles, puis fondre sur eux et les mettre en fuite. 

17. Maintenant, camarades, il faut que chacun de vous se persuade bien qu'il est personnellement responsable de la victoire. Or cette victoire, si Dieu le veut, nous rendra notre patrie, nos maisons, notre liberté, nos honneurs, nos enfants, si nous en avons, et nos femmes. Bienheureux en vérité ceux de nous qui après la victoire verront le plus agréable des jours! Heureux aussi ceux qui mourront! Jamais homme, si riche qu'il soit, n'obtiendra un monument si glorieux. Moi, j'entonnerai le péan, quand le moment sera venu, et, quand nous aurons invoqué Enyalios (78), tous alors, d'un même coeur, vengeons sur ces gens-là les outrages qu'ils nous ont faits. » 

18. Cela dit, il se retourna face à l'ennemi et resta en repos; car le devin avait recommandé aux hommes de ne pas attaquer avant que l'un d'eux eût été tué ou blessé. « Mais aussitôt après, dit-il, nous vous conduirons. Suivez-nous, et vous obtiendrez la victoire, et moi, la mort, je le pressens. » 

19. Il ne se trompait pas; car quand ils eurent repris leurs armes, il bondit le premier hors des rangs, comme s'il eût été poussé par le destin, fondit sur les ennemis et fut tué. Il est enterré au gué du Céphise. Les autres furent vainqueurs et poursuivirent l'ennemi jusqu'à la plaine. Dans ce combat périrent deux des Trente, Critias et Hippomachos, un des dix archontes du Pirée, Charmidès, fils de Glaucon, et soixante-dix autres environ. Les vainqueurs s'emparèrent des armes, mais ils ne dépouillèrent de leur tunique aucun de leurs concitoyens. Cela fait, et les morts rendus en vertu d'une trêve, un grand nombre d'hommes des deux partis s'approchèrent et s'abouchèrent les uns avec les autres. 

20. Cléocritos, le héraut des initiés, qui avait une forte voix, fit faire silence et cria : « Citoyens, pourquoi nous chassez-vous ? Pourquoi voulez-vous nous tuer? Nous ne vous avons jamais fait aucun mal, nous avons pris part avec vous aux cérémonies religieuses les plus solennelles, aux sacrifices, aux fêtes les plus belles; nous avons dansé dans les mêmes choeurs, fréquenté les mêmes écoles, fait la guerre ensemble et affronté les mêmes dangers sur terre et sur mer pour le salut commun et la liberté de tous. 

21. Au nom des dieux paternels et maternels, au nom de la parenté et des alliances de nos familles, au nom de la camaraderie, respectez les dieux et les hommes, cessez de manquer à vos devoirs envers la patrie et n'obéissez plus aux Trente, les plus impies des hommes, qui, pour leur intérêt personnel, ont tué en huit mois presque plus d'Athéniens que tous les Péloponnésiens en dix ans de guerre. 

22. Nous pouvions nous gouverner en paix et ces misérables ont allumé entre nous la guerre la plus déshonorante, la plus terrible, la plus impie, la plus odieuse aux dieux et aux hommes. Mais sachez bien pourtant que, parmi ceux que nous venons de tuer, il en est que vous n'êtes pas seuls à pleurer; nous les pleurons aussi amèrement que vous. » Tel fut son discours. Les chefs survivants, voyant que leurs hommes prêtaient l'oreille à ces propos, s'empressèrent d'autant plus de les ramener à la ville. 

23. Le lendemain, les Trente, humiliés et abandonnés, se réunirent dans leur salle de conseil. Quant aux trois mille, en quelque endroit qu'on les eût détachés, partout ils se disputaient entre eux. Tous ceux en effet qui avaient commis quelque violence et qui avaient peur soutenaient avec force qu'il ne fallait point céder à ceux du Pirée; tous ceux au contraire qui avaient conscience de n'avoir fait de mal à personne se disaient en eux-mêmes et représentaient aux autres qu'on n'avait nul besoin de ces maux et ils déclaraient qu'il ne fallait pas obéir aux Trente ni leur permettre de perdre la ville. À la fin, ils votèrent leur déchéance et de nouvelles élections, et ils choisirent dix hommes nouveaux, un par tribu. 

24. Les Trente se réfugièrent alors à Éleusis, et les Dix, de concert avec les hipparques, veillèrent sur les gens de la ville qui étaient fort troublés et se défiaient les uns des autres. Les cavaliers eux-mêmes montaient la garde la nuit à l'Odéon, avec leurs chevaux et leurs boucliers et, dans leur défiance, ils patrouillaient dès le soir le long des murs avec leurs boucliers, et le matin avec leurs chevaux, redoutant toujours une attaque à l'improviste des gens du Pirée. 

25. Ceux-ci, devenus nombreux et recrutés de toutes parts, se fabriquaient des boucliers, les uns en bois, les autres en osier, et les peignaient en blanc. Puis au bout de dix jours à peine, après avoir garanti l'isotélie (79) à tous ceux qui auraient combattu avec eux, même s'ils étaient étrangers, ils sortirent avec un grand nombre d'hoplites et un grand nombre de gymnètes; ils avaient aussi environ soixante-dix cavaliers. Ils fourrageaient, ramassant du bois et des fruits, et rentraient au Pirée pour y passer la nuit. 

26. Ceux de la ville ne sortaient jamais en armes, sauf les cavaliers qui de temps à autre mettaient la main sur des maraudeurs du Pirée et maltraitaient le gros de leurs troupes. Ces cavaliers rencontrèrent un jour quelques Aixoniens (80), qui se rendaient dans leurs champs pour chercher des provisions. L'hipparque Lysimachos les fit égorger aussi, malgré leurs supplications et la répugnance de plusieurs de ses hommes. 

27. Par représailles, ceux du Pirée tuèrent le cavalier Lysistratos, de la tribu Léontide, qu'ils avaient capturé dans les champs; car ils avaient déjà une telle confiance qu'ils allaient attaquer le mur de la ville. Peut-être faut-il rapporter ici l'idée qu'eut l'ingénieur de la ville. Ayant su que les ennemis devaient approcher leurs engins de siège par l'allée qui part du Lycée, il employa tous ses attelages à transporter des pierres énormes et à les décharger sur l'allée à l'endroit qui plaisait au conducteur. Ce travail achevé, chaque pierre était une grande gêne pour les assaillants. 

28. Cependant les Trente envoyèrent d'Éleusis des députés à Lacédémone, et les citoyens inscrits sur la liste en envoyèrent aussi de la ville, pour demander du secours, sous prétexte que le peuple s'était révolté contre les Lacédémoniens. Lysandre, calculant qu'il était possible de réduire promptement les gens du Pirée en les bloquant par terre et par mer pour leur couper les vivres, s'entremit pour les oligarques, leur fit prêter cent talents et se fit envoyer sur terre comme harmoste et Libys, son frère, comme navarque. 

29. Il partit lui-même pour Éleusis, où il rassembla un grand nombre d'hoplites péloponnésiens. Sur mer, le navarque veillait à ce qu'aucun convoi de ravitaillement n'entrât dans le port. Aussi les gens du Pirée ne tardèrent pas à connaître de nouveau la détresse, tandis que ceux de la ville relevaient la tête à l'arrivée de Lysandre. Les choses en étaient à ce point quand le roi Pausanias, jaloux de Lysandre, et craignant que, s'il venait à bout de son dessein, il ne se couvrît de gloire et du même coup ne soumît Athènes à sa domination personnelle, gagna trois éphores et sortit avec l'armée. 

30. Il était suivi de tous les alliés, à l'exception des Béotiens et des Corinthiens, qui prétextèrent qu'ils croiraient manquer à leurs serments en marchant contre les Athéniens, qui n'avaient en rien violé les traités; mais le motif de leur abstention, c'est qu'ils savaient que les Lacédémoniens voulaient s'approprier et s'assurer le territoire d'Athènes. Pausanias vint camper près du Pirée dans un endroit appelé Halipédon; il commandait l'aile droite, Lysandre l'aile gauche avec ses mercenaires. 

31. Puis il envoya des députés aux gens du Pirée pour leur enjoindre de retourner chez eux. Ils refusèrent. Alors il fit mine de les attaquer, pour ne pas laisser voir qu'il leur était favorable. Il se retira sans avoir obtenu le moindre résultat de son attaque. Le lendemain, prenant avec lui deux mores (81) de Lacédémoniens et trois tribus de cavaliers athéniens, il s'approcha du port Silencieux (82), pour examiner à quel endroit le Pirée pourrait être le plus facilement investi. 

32. Comme il s'en retournait, quelques ennemis accoururent et le harcelèrent. Irrité, il ordonna aux cavaliers de les charger à toute bride et aux soldats des dix plus jeunes classes de les accompagner. Lui-même les suivit avec le reste de ses troupes. Ils tuèrent une trentaine d'hommes armés à la légère et poursuivirent les autres jusqu'au théâtre du Pirée. 

33. Ils trouvèrent là tous les peltastes et les hoplites du Pirée, qui revêtaient leurs armes. Les troupes légères, s'avançant aussitôt, se mirent à lancer des javelots, des traits, des flèches, et des pierres avec la fronde. Les Lacédémoniens, voyant que beaucoup d'entre eux étaient blessés et se sentant vivement pressés, battirent en retraite pied à pied : alors l'adversaire les chargea bien plus vivement encore. Là périrent Chairon et Thibrachos, tous deux polémarques, Lacratès, vainqueur aux jeux olympiques et d'autres Lacédémoniens, qui sont enterrés devant les portes du Céramique. 

34. Voyant cela, Thrasybule et le reste de ses troupes, c'est-à-dire les hoplites, accoururent et se rangèrent rapidement en avant des autres, sur huit rangs. Pausanias, vivement pressé, recula de quatre ou cinq stades vers une colline et fit passer l'ordre aux Lacédémoniens et à leurs alliés de l'y rallier. Là, il forma sa phalange en grande profondeur et la conduisit contre les Athéniens. Ceux-ci soutinrent le choc, mais ensuite les uns furent repoussés dans le marais de Hales (83) et les autres mis en déroute; ils perdirent environ cent cinquante hommes. 

35. Pausanias fit dresser un trophée et se retira; puis, comme malgré tout il ne leur en voulait pas, il leur dépêcha secrètement des émissaires pour leur dire de lui envoyer des parlementaires, à lui et aux éphores présents, et leur indiquer en même temps quelles propositions ils devaient apporter. On suivit son conseil. Il sema en même temps la division parmi les Athéniens de la ville et leur enjoignit de venir à son camp en aussi grand nombre que possible et de déclarer qu'ils n'avaient aucune envie d'être en guerre avec ceux du Pirée, qu'ils désiraient au contraire se réconcilier avec eux et être les uns comme les autres amis des Lacédémoniens. 

36. L'éphore Naucleidas entendit ces propositions avec le même plaisir que le roi. C'est en effet l'usage que deux des éphores accompagnent le roi à la guerre et c'est Naucleidas qui cette fois l'avait suivi avec un autre, et tous deux étaient pour la politique de Pausanias plutôt que pour celle de Lysandre. Aussi s'empressèrent-ils d'envoyer à Lacédémone et ceux du Pirée, chargés de négocier avec les Lacédémoniens, et ceux de la ville qui se rendaient à Sparte à titre privé, Cèphisophon et Mélètos. 

37. Quand ces députés furent partis pour Lacédémone, les gouverneurs de la ville envoyèrent de leur côté des ambassadeurs pour déclarer qu'eux-mêmes remettaient les murs, qu'ils possédaient encore, et leurs personnes aux Lacédémoniens, pour en user à leur discrétion, mais qu'ils estimaient juste aussi que ceux du Pirée, s'ils prétendaient être amis des Lacédémoniens, leur livrassent le Pirée et Munichie. 

38. Quand les éphores et les membres de l'assemblée les eurent tous entendus, ils dépêchèrent quinze hommes à Athènes, avec mission d'accommoder les deux partis le mieux possible, de concert avec Pausanias. Ils les accommodèrent en effet aux conditions suivantes : les deux partis devaient être en paix l'un avec l'autre et chacun devait rentrer chez soi, à l'exception des Trente, des Onze et des Dix qui avaient gouverné le Pirée. Ils décidèrent en outre que, si quelqu'un du parti de la ville avait peur, il irait habiter Éleusis. 

39. Ces arrangements terminés, Pausanias licencia l'armée, et ceux du Pirée montèrent en armes à l'acropole et offrirent un sacrifice à Athéna. Quand ils en furent descendus, les généraux convoquèrent l'assemblée, où Thrasybule prononça ce discours : 

40. « Je vous conseille, à vous qui êtes demeurés dans la ville, de vous connaître vous-mêmes; et le meilleur moyen de vous connaître, c'est de vous demander sur quoi se fonde la haute opinion que vous avez de vous-mêmes, au point de vouloir nous commander. Êtes-vous plus justes que nous ? Mais le peuple, plus pauvre que vous, ne vous a jamais fait tort pour de l'argent, tandis que vous, qui êtes les plus riches de tous, vous avez fait en vue du gain mille vilaines actions. Et puisque vous ne pouvez vous réclamer de la justice, voyez si c'est pour votre courage que vous avez droit d'être si hautains. 

41. Qu'est-ce qui peut le mieux décider cette question que la manière dont nous avons combattu les uns contre les autres ? Prétendez-vous l'emporter par l'intelligence, vous qui, ayant des remparts, des armes, de l'argent et les Péloponnésiens pour alliés, avez été battus par des gens qui n'avaient aucun de ces avantages ? Est-ce à cause des Lacédémoniens que vous croyez devoir montrer tant d'orgueil ? Est-ce possible, quand ils s'en vont après vous avoir livrés à ce peuple opprimé par vous, comme on livre muselés les chiens qui mordent ? 

42. Cependant, camarades, je vous demande de ne rien violer de vos serments, mais de montrer qu'outre vos autres vertus, vous êtes encore fidèles à votre parole et que vous craignez les dieux. » Quand il eut dit cela et d'autres propos du même genre, puis qu'il fallait répudier tout désordre et se gouverner sur les anciennes lois, il renvoya l'assemblée. 

43. Les Athéniens formèrent alors le gouvernement et créèrent des magistrats. Dans la suite, ayant appris que les réfugiés d'Éleusis prenaient à leur solde des étrangers, ils marchèrent contre eux avec toutes leurs forces et mirent à mort leurs généraux qui étaient venus pour parlementer. Ils envoyèrent aux autres leurs amis et leurs parents qui leur persuadèrent de se réconcilier. Ils jurèrent de ne point garder rancune des maux soufferts et aujourd'hui encore ils prennent part ensemble au gouvernement et le peuple reste fidèle à ses serments.

NOTES

(48) Etéonicos avait donc quitté Méthymne pour rejoindre sa flotte à Chios.

(49) Les Cadusiens étaient un peuple riverain de la mer Caspienne.

(50) En prévision d'une bataille, on ôtait les grandes voiles, pour manoeuvrer surtout à la rame.

(51) La galère Paralienne était un des deux vaisseaux d'Athènes qui servaient pour transporter les théories à Délos et pour certains services publics.

(52) En - 416 les Athéniens, ayant pris Mélos après un long siège, en avaient tué les hommes et vendu les femmes et les enfants. En 446 les habitants d'Histiaia avaient été chassés de leur ville par les Athéniens. Des deux villes de Chalcidique qui appartenaient à Athènes, Scionè et Toronè, la première s'était donnée à Brasidas en - 423, la deuxième avait été conquise par trahison. En - 421 les Athéniens reprirent les deux villes; à Toronè, ils vendirent les femmes et les enfants et emmenèrent les hommes prisonniers à Athènes; à Scionè, ils tuèrent toute la population mâle (Thucydide V, 3 et 22). Quant aux Eginètes, soumis par les Athéniens en - 457, ils furent tous chassés de leur patrie, au commencement de la guerre du Péloponnèse. Une partie d'entre eux, qui s'était établie à Thyréa sur les confins de l'Argolide et de la Laconie, furent traînés à Athènes en - 424 et mis à mort.

(53) Athènes avait trois ports, sans compter le port de Phalère abandonné par Thémistocle : c'étaient Munychie et Zéa à l'est de la péninsule du Pirée, et le port principal, le Pirée à l'ouest.

(54) L'Académie était au nord d'Athènes.

(55) Xénophon n'a pas parlé des luttes politiques qui avaient porté au pouvoir le parti oligarchique et amené le gouvernement des Quatre-Cents. Ce sont les oligarques exilés, après le rétablissement de la démocratie, qu'on rappelle alors.

(56) Cette décision fut prise sur la propositio de Dracontidès. Les démocrates intimidés par Lysandre s'abstinrent de voter.

(57) Aux aristocrates que les démocrates, aidés par les Athéniens, avaient chassés en 412.

(58) Les Athéniens, conduits par Périclès, avaient conquis l'Eubée en 446 et, l'année suivante, ils avaient conclu avec Sparte une trêve de trente ans.

(59) 700 hommes, d'après Aristote, Constitution d'Athènes, 37, 2.

(60) D'après Lysias, Contre Eratosthènès, 65, Hagnon travailla comme son fils à l'établissement de l'oligarchie.

(61) Je lis avec Wolf et Brownson παρανενοηκέναι au lieu de παρανενομηκέναι, que donnent les manuscrits.

(62) Les pénestes étaient des serfs de condition semblable à celle des hilotes à Lacédémone.

(63) Les sycophantes étaient des délateurs qui intentaient aux honnêtes gens de fausses accusations et se faisaient payer pour les retirer.

(64) Socrate raconte lui-même dans l'Apologie que lui prête Platon comment il refusa d'obéir aux Trente qui lui avaient commandé d'aller avec quatre autres arrêter Léon de Salamine (Apologie de Platon, 32 cd.).
(65) Nicératos était fils du célèbre Nicias, qui commanda l'expédition de Sicile et y laissa la vie. On évaluait sa fortune à cent talents.

(66) Il s'agit vraisemblablement du sophiste Antiphon mentionné dans les Mémorables, et non de l'orateur Antiphon que Théramène avait fait mettre à mort en 411. Cf. Thucydide VIII, 68, et Lysias, Contre Eratosthènès, 67.

(67) Cf. § 21 et la protestation de Théramène, § 30.

(68) C'est le futur accusateur de Socrate.

(69) D'après Plutarque, Alcibiade, XXXVIII, ce fut Critias qui fit poursuivre Alcibiade et par suite causa sa mort.

(70) Cf. Thucydide, VIII, 90-92.

(71) Le jeu du cottabe consistait à jeter le reste d'une coupe de vin dans un bassin de métal, en invoquant le nom de la personne aimée; si le jet produisait un son vibrant, c'était signe d'un amour partagé.

(72) Népos (Thrasybule I, 5) dit trente au lieu de soixante-dix. Le nombre donné par Xénophon est plus vraisemblable.

(73) Non point l'Odéon bâti par Périclès au pied de l'Acropole, mais un monument plus ancien, situé au sud-est de la ville.

(74) Cf. Lysias, Contre Agoratos, 37.

(75) Hippodamos de Milet, contemporain de Périclès, avait dirigé les travaux de construction du Pirée et embelli l'agora qui garda son nom.

(76) Temple de Bendis, c'est-à-dire d'Artémis de Thrace, honorée au Pirée. 

(77) Les acontistes sont les lanceurs de javelots; ils font partie des troupes légères. 

(78)  Enyalios, proprement le Belliqueux est un surnom d'Arès.

(79) L'isotélie était le privilège des étrangers domiciliés qui étaient dispensés de la taxe sur les étrangers et de l'obligation de se choisir un patron. Ils pouvaient, à la différence des métèques, être propriétaires, mais ne jouissaient pas plus qu'eux des droits actifs des citoyens. 

(80) Les Aixoniens étaient les habitants d'Aixonè, dème de la tribu Cécropide, sur la côte, au sud d'Athènes.

(81) L'armée lacédémonienne se composait de six mores, dont l'effectif variait suivant que la levée d'hommes avait été plus ou moins forte.
(82) C'était une partie du port du Pirée, mais nous ne savons pas laquelle.

(83) Il y avait deux Hales. Hales Araphénides, dème de la tribu Ægèide, sur la côte orientale de l'Attique, et Hales Aixonides, dème de la tribu Cécropide, au nord du Pirée. C'est de cette dernière qu'il est question.