Flodoard

ORDERIC VITAL

 

HISTOIRE DE NORMANDIE

 

TROISIEME PARTIE : LIVRE XI (PARTIE I)

livre X partie II - LIVRE XI partie II

Œuvre mise en page par Patrick Hoffman

Texte latin de Migne.

 

ORDERIC VITAL

 

 

 

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LIBER UNDECIMUS.

I. Prologus. Philosophicae sententiae.

Alme Deus Sabaoth, rex fortis cuncta gubernans,
Plasma tuum serva, numen per saecula regnans.
Contere vim Satanae, qui saevit jugiter in te,
Dum famulos vexare tuos molitur ubique.
Ad mea vota, precor, mundi pie, respice, factor.
Te colo, te quaero, tibi jure placere laboro.
Pontificum, regumque senex nunc scriptito gesta;
Sexagenus ego pueris ea do manifesta.
Nullum ab eis pretium pro tali posco labore,
Sed refero gratis, fratrum contentus amore.
Si fierent istis liquido nova signa diebus,
Niterer illa meis veraciter indere rebus.
Credo quod arcta magis praesentibus atque futuris
Grata forent, mihi proficerent, aliisque placerent,
Quam de terrenis excursibus, atque caducis
Stemmatibus frustra rimari, vel dare lata;
Inclyta dum spiro, mirandaque scribere vellem,
Prodigiis implens in Christi nomine pellem.
Ejus amo laudes, cui totus subjacet orbis,
Qui potis est cunctis leniter nos demere morbis.
Cogimur atra loqui, quae cernimus aut toleramus,
Instabiles actus mutabilium memoramus
Nam mundanus amor hominum trahit agmen ad ima,
Justitiae nec eos polit a rubigine lima.
Ad mala proclivi, quae terrea sunt meditantur,
Coelica contemnunt, ea curvi non speculantur.
En peccatores lethalia pondera gestant!
Lucida sanctorum juste magnalia cessant.
Praevaricatores, qui legem transgrediuntur,
Irae coelestis poenas, non signa merentur.
De placitis, bellisque queunt perplura referri,
Quae male saevus eis nimis ingerit ardor habendi.
Caedes, incestus et crimina mille notari
Possunt, si docti dignantur turpia fari.
Insipiens frustra vexatur et otia perdit,
At sapiens nullus sua tempora perdere gestit.
Tempus enim perdit, qui carmen inutile pandit,
Et labor ipse perit, qui commoda nulla rependit.
Ad bona ferventes electi sedulo currunt,
Ad studium vigiles avide laudabile tendunt.
Cogendi non sunt, qui sponte ferenda capessunt,
Qui segetum captant fasces, et in horrea portant.
Ultro satis gradiens sonipes non est stimulandus,
Sed, ne labatur, moderato jure regendus.
Durum sessor equum calcaribus urget acutis,
Percutit et crebris, ut cogat currere flagris;
Ecclesiae similis lex est doctoribus almis,
Nam lentos stimulant monitis celeresque refrenant.
Cornua dena gerens mala bestia jam dominatur,
Effera plebs passim scelerum lepra maculatur.
Job Dominus typice Behemoth monstravit amico;
Daemon in hoc mundo furit insidiosus iniquo.
Terrigenas furibunda super grassatur Erinnys,
Quotidieque suos Erebi contrudit in imis.
Ludit et illudit mortalibus Amphisilena.
Decipiendo quibus paradisi tollit amoena.
Heu! male virus eis infundit lethifer anguis,
Quos facit amentes et mutuo se perimentes.
Morbos et pestes stulti subeunt, et iniqui
Insuper adjiciunt sibi pessima nequiter ipsi.
Cernimus humanos casus, miserasque ruinas,
Unde sagax pelles implere quit auctor ovinas.
Si vult diversis de rebus inania verba
Fundere, thema frequens satis invenit inter acerba.
Nominibus multis in scriptis coelitus actis
Humani generis vocitatur lividus hostis:
Nam leo, necne lupus, draco, perdix et basiliscus,
Milvus, aper, vulpes, canis, ursus, hirudo, cerastes,
Et coluber fit atrox, dum nobis insidiatur,
Exitiumque dolo seu vi stolidis meditatur.
Caetera mille patent lectoribus ingeniosis
Nomina, pro variis quibus utitur artibus hostis.
Innumeros foedat vitiis, et saepe trucidat.
Proh dolor! ingentes pereunt plerumque phalanges.
Rex sacer, erue nos, bone Jesu, summe sacerdos,
Ne cum damnandis nos inficiat vetus anguis.
Sed vitiis mundos trahe mundi de pelago nos,
Et socia sanctis supera clementer in aula. Amen.

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LIVRE ONZIÈME.

 

Bienfaisant Dieu Sabaoth, roi puissant, qui gouvernez tout, et régnez pendant tous les siècles, sauvez votre ouvrage., anéantissez le pouvoir de Satan, qui constamment exerce ses fureurs contre vous en cherchant partout à tourmenter vos serviteurs. Bienveillant Créateur du monde, exaucez, je vous prie, les vœux que je vous adresse. Je vous adore, je vous recherche, et je m'applique avec raison à vous plaire. Maintenant, parvenu à la vieillesse, j'esquisse l'histoire des pontifes et des rois: sexagénaire, j'offre mes travaux à la jeunesse. Pour une telle peine, je ne lui demande aucun salaire; je lui présente ceci gratuitement, satisfait que je suis de l'amour de mes frères. Si de nos jours de nouveaux miracles s'opéraient avec évidence, je tâcherais de les publier avec véracité. Je crois que racontés d'une manière concise, ils en seraient plus agréables à mes contemporains et à la postérité, que moi-même j'en tirerais plus d'avantage, et qu'ils plairaient beaucoup plus aux autres que si je recherchais vainement et donnais avec détail les événemens mondains et ce qui concerne les honneurs périssables. J'aspire aux choses glorieuses, je voudrais écrire des merveilles, et me lancer, au nom du Christ, au milieu des prodiges. J'aime à louer celui qui commande à tout l'univers, et qui peut facilement nous guérir de nos maux. Mais nous sommes forcés de parler des choses affreuses que nous voyons ou dont nous avons à souffrir; nous racontons, sans stabilité, des événemens inconstans. En effet, un attrait mondain emporte le troupeau des hommes loin de l'équité, et ne les défend pas des ordures de la rouille du péché. Enclins au mal, ils ne songent qu'aux choses terrestres, ils méprisent celles qui sont célestes, et sont même trop courbés vers la terre pour contempler les deux. Voyez ces pécheurs chargés d'un poids mortel: aussi c'est justement que cessent d'éclater les miracles des saints. Prévaricateurs qui transgressent la loi, ce ne sont pas des miracles que méritent les pécheurs, mais bien les peines du céleste courroux. On peut s'étendre sur les procès et les guerres que leur suscite à l'excès l'avidité cruelle d'acquérir. Si les doctes hommes daignaient rapporter tant de turpitudes, ils pourraient faire mention de meurtres, d'incestes et de mille attentats coupables. L'insensé est vainement frappé et perd le temps de son loisir, tandis que le sage le met à profit. En effet, c'est perdre son temps que de faire des vers inutiles, et c'est un travail périssable que celui qui ne rapporte aucun avantage. Les élus pleins de ferveur courent au bien, et, dans leur vigilance, s'occupent avidement de louables études. On ne doit point réprimander ceux qui se chargent volontairement d'un fardeau, qui saisissent les gerbes et les portent au grenier. L'éperon est inutile au coursier qui de lui-même marche avec assez de rapidité; il suffit de le gouverner modérément pour qu'il ne s'abatte pas. Le cavalier presse de l'éperon acéré sa monture inactive, et la frappe à coups redoublés pour la forcer à courir. Telle est la loi de l'Eglise enseignée par de savans docteurs: par leurs avis, ils stimulent la lenteur et calment l'emportement. La bête perverse aux dix cornes triomphe déjà, et partout une populace cruelle est souillée de la lèpre du crime. Le Seigneur montra allégoriquement Behemoth à son ami Job, et ce démon insidieux exerce ses fureurs sur un monde livré à l'iniquité. Erynnis parcourt avec rage cet univers, et journellement précipite au fond des enfers ceux qui lui sont dévoués: cette hideuse furie se joue des mortels abusés, auxquels ses tromperies ravissent la félicité du paradis. Hélas! le mortel serpent leur verse son affreux poison qui leur fait perdre la raison et les dispose à s'entre-égorger. Les insensés et les hommes iniques sont en proie à toutes les maladies, et par leurs vices attirent sur eux toutes sortes de calamités. Nous voyons des chutes humaines et de misérables ruines dont un auteur habile peut remplir ses livres1; s'il veut faire des discours oiseux sur ces événemens divers, il ne manque pas de sujets au milieu de tant d'accidens cruels.

Le jaloux ennemi du genre humain porte beaucoup de noms dans les écrits inspirés par le Ciel. En effet, c'est un lion, un loup, un dragon, une perdrix, un basilic, un milan, un sanglier, un renard, un chien, un ours, une sangsue, un céraste et une couleuvre cruelle, qui tous nous tendent des pièges, et s'occupent de nuire aux insensés par ruse ou par violence. Mille autres noms encore n'échapperont pas aux lecteurs ingénieux, car ils proviennent des divers artifices qu'emploie cet ennemi des hommes. Il en corrompt et en tue des quantités innombrables. Quelle douleur! le plus souvent on les voit périr en nombreuses phalanges.

Roi saint, bon Jésus, suprême pontife, préservez-nous d'être, avec les damnés, atteints par l'antique serpent; tirez-nous, au contraire, pur de vice, du milieu des tempêtes de ce monde, et, par votre clémence, réunissez-nous aux saints dans votre cour céleste. Ainsi soit-il!2

  

II. Eventus varii in Anglia et Normannia sub Henrico rege et Roberto duce.

Anno ab Incarnatione Domini 1102, indictione IX, Henricus, rex Anglorum, pace cum Rodberto fratre suo facta, in regno confirmatus est, et super proditores, qui tempore necessitatis suae nequiter ab illo desciverant, paulatim ulcisci conatus est. Nam Rodbertum, cognomento Maletum et Ivonem de Grentemaisnilio, Rodbertum de Pontefracto, filium Ilberti de Laceio, et potentiorem omnibus illis, Rodbertum de Belismo, aliosque quamplures ad judicium submonuit, nec simul, sed separatim, variisque temporibus de multimodis violatae fidei reatibus implacitavit. Quosdam eorum, qui se de objecto crimine purgare non poterant, ingenti pecunia condemnavit, alios vero, quos magis suspectos habebat, irrecuperabiliter exhaeredatos exsulare compulit.

Sequenti anno [1103] Guillelmus de Guarenna Rodbertum, Neustriae ducem, moestus adiit, et ingens damnum sibi per illum evenisse recensuit, quia Suthregiae comitatum, mille libras argenti singulis annis sibi reddentem, perdiderit, ideoque dignum esse asseruit ut se fratri suo regi pacificaret, et pristinum honorem ejus obtentu recuperaret. Porro dux dictis hujusmodi facile acquievit, et in Angliam transfretavit. Quod audiens rex, iratus est, et sic ad suos asseclas et consecretales locutus est: Quid de inimicis meis debeo facere, qui sine meo commeatu super me ausi sunt irruere, et regni mei fines irrumpere? Qui diversi diversa regi responderunt. Ille autem privatos satellites obviam germano destinavit, per quos ei velle suum evidenter ostendit. Tunc infrunitus dux clandestinis legationibus comperiit quod Angliae metas inconsulto introierit, et, nisi providum prudenter consilium acciperet, in septis insulanis clausus, pro suo libitu ad sua non remearet. Jussu tamen callidi regis, cum suis commilitonibus honorifice adductus est, et callens eorum consilium, ne ab externis aliquid rancoris inter germanos deprehenderetur, occultatum est. Territus itaque dux ficta metum hilaritate operuit, et rex nihilominus alacri vultu intimum furorem dissimulavit. Inter caetera rex ducem de violato foedere redarguit quod de publicis proditoribus nullam adhuc ultionem exegerit, nec ullam super discolas principali rigore disciplinam exercuerit, et quod eodem anno Rodbertum de Belismo amicabiliter in Normannia receperit, eique patris sui dominia donaverit, id est Argentomum castrum, Sagiense episcopium, et Golfernum saltum. Tunc nimirum praefatus lanio in Neustriam transfretaverat, et Pontivi comitatum ad opus Guillelmi Talavacii obtinuerat, quia Guido, comes Abbatisvillae, socer ejus, obierat. Denique dux, increpationibus hujuscemodi meticulosus, emendationem omnium humiliter spopondit. Constitutum quoque sibi vectigal trium millium librarum supplicanti ex industria reginae indulsit. Placatus itaque rex cum illo amicitiam confirmavit, pristinum foedus renovavit, et Guillelmo de Guarenna Suthregiae comitatum restituit. Guillelmus autem, postquam paternum jus, quod insipienter amiserat, recuperavit, per XXXIII annos, quibus simul vixerunt, utiliter castigatus, regi fideliter adhaesit, et inter praecipuos ac familiares amicos habitus effloruit.

Deinde Rodbertus dux in Normanniam regressus est, et despicabilior quam antea fuerit suis effectus est. In hac enim profectione nihil, nisi metum et laborem atque dedecus, sibi lucratus est. Rex autem, in omnibus prosperitate vigens, admodum sublimatus est, et longe lateque de illo fama volitante, per IV climata mundi inter maximos reges nominatus est. Nullus eo fuit rex in Albionis regno potentior, nec amplitudine terrarum infra insulam locupletior, nec abundantia omnium rerum quae mortalibus suppetunt, felicior. Hoc in subsequentibus, si vita comes fuerit, auxiliante Deo, narratio nostra manifeste comprobabit. Omnes inimicos suos sapientia vel fortitudine sibi subjugavit, sibique servientes divitiis et honoribus remuneravit. Unde plerosque illustres pro temeritate sua de sublimi potestatis culmine praecipitavit, et haereditario jure irrecuperabiliter spoliatos condemnavit. Alios econtra, favorabiliter illi obsequentes, de ignobili stirpe illustravit, de pulvere, ut ita dicam, extulit, dataque multiplici facultate, super consules et illustres oppidanos exaltavit. Inde Goisfredus de Clintona, Radulfus Basset et Hugo de Bocalanda, Cuillegrip et Rainerius de Bada, Guillelmus Trossebot et Haimon de Falesia, Guigan Algazo et Rodbertus de Bostare, aliique plures mihi testes sunt, opibus aggregatis, et aedibus constructis, super omnia quae patres eorum habuerunt; ipsi quoque, qui ab eisdem, saepe falsis vel injustis occasionibus, oppressi sunt. Illos nimirum, aliosque plures, quos sigillatim nominare taedio est, rex, cum de infimo genere essent, nobilitavit, regali auctoritate de imo erexit, in fastigio potestatum constituit, ipsis etiam spectabilibus regni principibus formidabiles effecit.

At, sicut fidelibus retributor erat magnificus, sic infidis erat implacabilis inimicus, et vix sine vindicta in corpore, vel honore, vel pecunia, indulgebat certos reatus. Hoc miserabiliter rei senserunt, qui ejus in vinculis mortui sunt, nec pro consanguinitate, seu nobilitate generis, sive recompensatione pecuniarum, redimi potuerunt. Rodbertum de Pontefracto, et Rodbertum Maletum placitis impetivit, et honoribus exspoliatos extorres expulit. Ivonem quoque, quia guerram in Anglia coeperat, et vicinorum rura suorum incendio combusserat, quod in illa regione crimen est inusitatum nec sine gravi ultione fit expiatum, rigidus censor accusatum, nec purgatum, ingentis pecuniae redditione oneravit, et plurimo angore tribulatum moestificavit. Unde praefatus eques a Rodberto, comite de Mellento, qui praecipuus erat inter consiliarios regis, auxilium quaesivit, et coactus plurimus anxietatibus, tutelae illius se commisit. Inprimis erubescebat improperia quae sibi fiebant derisoria, quod funambulus per murum exierat de Antiochia; deinde meticulosus cum multo cogitatu secum volvebat quod vix aut nunquam recuperaret amicitiam regis, quam perdiderat. Quapropter iterare peregrinationem decrevit. Pactum igitur initum est ut consul eumdem cum rege pacificaret, eique quingentos argenti marcos ad ineundum iter erogaret, totamque terram ejus usque ad XV annos in vadimonio possideret; quibus exactis, Ivoni, puero, filiam Henrici, comitis de Guarevico, fratris sui, conjugem daret, et paternam haereditatem restitueret. Hoc pactum cum sacramento confirmatum est, et regali concessione praemunitum est. Ivo cum uxore sua peregre profectus est, et in ipso itinere defunctus est, et haereditas ejus alienis subdita est.

Urbs Legrecestria quatuor dominos habuerat: regem et episcopum Lincoliae, Simonemque comitem, et Ivonem Hugonis filium. Praefatus autem consul de Mellento per partem Ivonis, qui municeps erat et vicecomes et firmarius regis, callide intravit, et auxilio regis, suaque calliditate totam sibi civitatem mancipavit, et inde consul in Anglia factus, omnes regni proceres divitiis et potestate praecessit, et pene omnes parentes suos transcendit. Pulchram quoque Isabel, regis neptem Franciae, uxorem habuit, quae geminam ei prolem, Gualerannum et Rodbertum, peperit, ac Hugonem, cognomento Pauperem, et filias quinque. Inter tot divitias mente caecatus, filio Ivonis jusjurandum non servavit, quia idem adolescens statuto tempore juratam feminam, haereditariamque tellurem non habuit.

L'an de l'incarnation du Seigneur 1102, Henri, roi des Anglais, ayant fait la paix avec son frère Robert, se trouva plus affermi sur son trône, et s'employa à se venger peu à peu des traîtres qui avaient abandonné son parti au moment où il avait besoin d'eux. Il appela en jugement Robert, surnommé Malet, Yves de Grandménil, Robert de Pontefract, fils d'Ilbert de Lasci, Robert de Bellême, plus puissant qu'eux tous, et plusieurs autres seigneurs: il ne les assigna pas ensemble, mais séparément, en divers temps et par plusieurs accusations de trahison. Il en condamna à de fortes sommes quelques-uns qui ne purent se justifier du crime dont ils étaient accusés; il en bannit quelques autres qui lui étaient plus suspects, après les avoir dépouillés de leurs biens sans leur laisser aucun espoir de les recouvrer.

L'année suivante, Guillaume de Varenne, fort triste, alla trouver Robert, duc de Normandie, et lui rapporta qu'il avait éprouvé à cause de lui un grand dommage, puisqu'il avait perdu le comté de Surrey qui lui rapportait annuellement mille livres d'argent; en conséquence, il assura qu'il méritait de rentrer en grâce, par son entremise, avec le Roi son frère, et de recouvrer, par son intervention, ses anciens biens. Le duc se rendit facilement à cette proposition, et passa en Angleterre. Le Roi ayant entendu la demande de Robert, entra en courroux, et parla ainsi à ceux qui l'entouraient et à ses conseillers: «Que dois-je faire de mes ennemis, qui ont osé fondre sur moi sans mon autorisation et envahir les frontières de mon royaume?» Chacun fit au Roi une réponse à sa manière. Henri envoya au devant de son frère sa propre garde pour lui faire connaître clairement sa volonté. Alors le duc mal avisé apprit, par des rapports clandestins, qu'il s'était hasardé mal à propos à pénétrer en Angleterre, et qu'à moins qu'il ne reçût prudemment de sages conseils, il ne pourrait retourner à son gré dans ses Etats, renfermé qu'il était dans une sorte d'enclos insulaire. Pendant ce temps-là, d'après les ordres du rusé monarque, il fut conduit honorablement à la cour avec ses compagnons d'armes, et on le priva de leurs utiles conseils, de peur que les étrangers ne semassent l'aigreur entre les frères. Le duc, effrayé, dissimula ses craintes sous l'apparence de la gaîté; et le Roi, de son côté, cacha sa fureur profonde sous un visage serein. Entre autres choses, le Roi blâma le duc d'avoir violé le traité, puisqu'il n'avait encore tiré aucune vengeance des traîtres publics, puisqu'il ne se servait pas de son autorité pour punir rigoureusement les révoltés, puisque, dans la même année, il avait reçu amicalement en Normandie Robert de Bellême, et lui avait donné des domaines qui appartenaient au roi leur père, savoir, le château d'Argentan, l'évêché de Séès et la forêt de Gouffern. Alors ce brigand avait passé en Normandie, et avait acquis le comté de Ponthieu au droit de Guillaume Talvas, parce que Gui, comte d'Abbeville, son beau-père, était venu à mourir. Enfin le duc, effrayé de ces reproches, promit humblement de réparer ses torts. Il remit aussi à la Reine, qui l'en pria adroitement, le tribut de trois mille livres qui avait été convenu. En conséquence, le Roi apaisé fit la paix avec son frère, renouvela l'ancien traité, et rendit à Guillaume de Varenne le comté de Surrey. Ce comte ayant recouvré les biens de son père, qu'il avait formellement perdus, bien corrigé pour son avantage, s'attacha fidèlement au Roi pendant les trente-trois ans qu'ils vécurent ensemble, et jouit d'une grande considération parmi les principaux et les plus intimes amis de ce prince.

Ensuite le duc Robert retourna en Normandie, et devint pour ses sujets plus méprisable encore qu'il ne l'avait été auparavant. En effet, de ce voyage il n'avait retiré que de la crainte, de la peine et de la honte; le roi, au contraire, heureux en toutes choses, s'éleva de plus en plus, et fut célébré parmi les plus grands potentats, dans les quatre climats du monde, par l'effet de sa renommée qui s'étendit partout. Nul monarque n'avait été plus puissant que lui sur le trône d'Angleterre, ni plus riche en possessions au-delà de son île, ni plus heureux par l'abondance de tout ce qui est utile aux mortels. C'est ce que par la suite, avec l'aide de Dieu, si nous vivons, notre récit fera connaître évidemment. Il soumit tous ses ennemis par sa sagesse ou sa valeur; il récompensa par des richesses ou par des titres ceux qui le servirent; il précipita du faîte de la puissance, à cause de leur témérité, plusieurs personnages illustres, et les condamna à la perte éternelle de leurs droits héréditaires. Par une disposition contraire, il accorda la faveur de l'anoblissement à certaines personnes qui le servirent; il les tira pour ainsi dire de la poussière, et, leur ayant donné de grands biens, les éleva au-dessus des comtes et des châtelains illustres. C'est ce que prouvent Goisfred de Clinton, Raoul Basset, Hugues de Bouchelande, Guillegrip et Rainier de Bath, Guillaume Troussebot, Haimon de Falaise, Guigan-Algazon, Robert de Bostare et plusieurs autres. Ayant acquis des richesses et bâti des maisons, ils se trouvèrent bien au-dessus de ce qu'étaient leurs pères, et se vengèrent de ceux qui les avaient opprimés par de fausses et injustes accusations. Ainsi le Roi tira de la dernière classe, pour les anoblir, ces gens-là, et plusieurs autres qu'il serait ennuyeux de nommer en détail; par son autorité royale, il les fit sortir de la bassesse, les établit au faîte de la puissauce, et les rendit redoutables même aux plus grands seigneurs de ses Etats.

Comme Henri récompensait magnifiquement ceux qui lui étaient fidèles, de même il était pour les perfides un ennemi implacable; et il ne laissait aucun crime avéré sans en punir l'auteur, soit dans son corps, soit par la privation de ses dignités, soit par des amendes. C'est ce qu'éprouvérent misérablement plusieurs criminels, qui moururent dans les fers dont ils ne purent être délivrés, ni en considération de leurs familles, ni à cause de la noblesse de leur extraction, ni par le paiement de sommes d'argent. Il appela en justice Robert de Ponte-Fract et Robert Mallet, et les bannit après les avoir dépouillés de leurs terres. Yves3, qui avait entrepris de faire la guerre en Angleterre, et qui avait ravagé par l'incendie les champs de ses voisins (ce qui est dans ce pays un crime inouï qu'on ne saurait expier sans de grandes punitions), accusé par le prince rigoureux, auprès duquel il ne put se justifier, fut condamné par lui à une forte amende, et affligé de la tribulation de plusieurs peines. C'est ce qui détermina ce chevalier à réclamer l'assistance de Robert, comte de Meulan, qui était un des principaux conseillers du Roi: contraint par plusieurs causes d'infortune, il se confia à sa protection. Il était surtout honteux des reproches moqueurs qu'on lui faisait de ce qu'il était sorti d'Antioche comme un danseur de corde en descendant du haut des murs. Plein de crainte, il était convaincu, en y réfléchissant beaucoup, qu'il recouvrerait à grand'peine, ou même jamais, l'amitié du Roi, qu'il avait perdue. C'est pourquoi il résolut de faire un nouveau pélerinage. En conséquence il fut convenu que le comte le remettrait en grâce avec le Roi; qu'il lui donnerait cinq cents marcs d'argent pour faire son voyage; qu'il retiendrait en gage toutes ses terres pendant quinze ans; que, ces conditions remplies, il donnerait au jeune Yves en mariage la fille de Henri comte de Warwick, son frère, et lui rendrait l'héritage paternel. Ce traité fut garanti par serment, et fortifié de la concession royale. Yves partit avec sa femme pour les contrées étrangères; il mourut pendant le voyage, et ses biens passèrent à des étrangers.

La ville de Leicester avait quatre maîtres, savoir: le Roi, l'évêque de Lincoln, le comte Simon, et Yves, fils de Hugues. Le comte de Meulan eut l'adresse de prendre le parti d'Yves, qui était bourgeois, vicomte et fermier du Roi, à l'aide duquel, et par sa propre habileté, il devint possesseur de toute la ville; ensuite, fait comte en Angleterre, il surpassa en richesse et en puissance tous les grands du royaume, et l'emporta sur presque tous ses parens. Il épousa Isabelle, princesse d'une grande beauté, et nièce du roi de France, de laquelle il eut deux jumeaux, Galeran et Robert, puis Hugues, surnommé le Pauvre, et cinq filles. L'ame aveuglée par tant de richesses, il manqua au serment qu'il avait fait au fils d'Yves, puisqu'au temps prescrit il ne donna pas à ce jeune homme la femme qu'il lui avait promise, et ne lui rendit pas son patrimoine.

III. Contentiones et bella inter Henricum regem et Robertum de Belismo. Hic comes sese victori subdere cogitur.

Anno ab Incarnatione Domini 1102, indictione X, Henricus rex Rodbertum de Belismo, potentissimum comitem, ad curiam suam ascivit, et XLV reatus in factis seu dictis contra se vel fratrem suum, Normanniae ducem, commissos objecit, et de singulis cum palam respondere praecepit. Diligenter enim cum fecerat per unum annum explorari, et vituperabiles actus per privatos exploratores caute investigari, summopereque litteris adnotari. Cumque Rodbertus licentiam, ut moris est, eundi ad consilium cum suis postulasset, eademque accepta, egressus, purgari se de objectis criminibus non posse cognovisset, equis celeriter ascensis, ad castella sua pavidus et anhelus confugit, et, rege cum baronibus suis responsum exspectante, regius satelles Rodbertum extemplo recessisse retulit. Tunc delusum se rex doluit; sed tempus ultionis non dubius exspectavit. Rodbertum itaque publicis questibus impetitum, nec legaliter expiatum, palam blasphemavit, et, nisi ad judicium, rectitudinem facturus, remearet, publicum hostem judicavit. Iterum rebellem ad concionem invitavit, sed ille venire prorsus refutavit; imo, castella sua vallis et muris undique munivit, et a cognatis Normannis, extraneisque Guallis, et a cunctis affinibus suis adminicula petivit. Rex autem exercitum Angliae convocavit et Arundellum castellum, quod prope littus maris situm est, obsedit, ibique castris constructis, stratores cum familiis suis tribus mensibus dimisit. Interea inducias humiliter a rege petierunt custodes munitionis, ut a domino suo exigerent vel auxilium defensionis, vel permissum reconciliationis. Annuente rege, veredarii Rodbertum in regione Merciorum quaesierunt, eique reperto intolerabilem regis oppressionem imminere sibi anxie denudaverunt. Ibi nempe Brugiam, munitissimum castrum, super Sabrinam fluvium construebat, et totis ad resistendum viribus auxiliarios frustra quaerebat. Audiens itaque defectionem suorum, ingemuit, eosque a promissa fide, quia impos erat adjutorii, absolvit, multumque moerens licentiam concordandi cum rege concessit. Redeuntibus legatis, laeti muniones castrum regi reddiderunt, et benigniter ab eo suscepti, multis muneribus honorati sunt. Unde rex ad Blidam castrum, quod Rogerii de Buthleio quondam fuerat, exercitum promovit. Cui mox gaudentes oppidani obviam processerunt, ipsumque naturalem dominum fatentes, cum gaudio susceperunt. His ita peractis, rex populos parumper quiescere permisit, ejusque prudentiam et animositatem congeries magnatorum pertimuit. Interea rex legatos in Neustriam direxit, ducique veridicis apicibus insinuavit, qualiter Rodbertus utrisque forisfecerit, et de curia sua furtim aufugerit. Deinde commonuit ut, sicut pepigerant in Anglia, utrique traditorem suum plecterent generali vindicta. Dux itaque exercitum Normanniae congregavit, et Vinacium castrum, quod Girardus de Sancto Hilario conservabat, obsedit. Oppidani autem militares assultus optabant, quia, si validus fieret impetus, reddere munitionem parati erant. Non enim sese sine violentia dedere dignabantur, ne malefidi desertores merito judicarentur. Sed quia dux deses et mollis erat, ac principali severitate carebat, Rodbertus de Monteforti, aliique seditionis complices, qui vicissim dissidebant, mappalia sua, sponte immisso igne, incenderunt, totum exercitum turbaverunt, et ipsi ex industria, nemine persequente, fugerunt, aliosque, qui odibilem Rodbertum gravare affectabant, turpiter fugere compulerunt. Castrenses vero, ut tantum dedecus Normannici exercitus viderunt, cum ululatu magno post eos deridentes vociferati sunt, minusque postmodum timentes, crudelem guerram per Oximensem pagum coeperunt. Rodbertus autem de Grentemaisnilio, et Hugo de Monte Pincionis, atque Rodbertus de Curceio, et homines eorum, quantum poterant, saevis praedonibus resistebant, patriamqne suam defendere satagebant. Verum publici hostes, praedis illecti, atrociores insurrexerunt, et Castellum Gunterii atque Furcas, Argentomumque turgide possidentes, nimis irati sunt, quod aliqui vicinorum sine duce contra eos vel latrare ausi fuerunt. Per totam ergo provinciam pagensium praedas rapiebant, et, direptis omnibus, domos flammis tradebant.

Porro rex Anglorum non otio, ut frater ejus, torpuit; sed totius Angliae legiones in autumno adunavit, et in regionem Merciorum minavit, ibique Brugiam tribus septimanis obsedit. Rodbertus autem Scrobesburiam secesserat, et praefatum oppidum Rogerio, Corbati filio, et Rodberto de Novavilla, Ulgerioque Venatori commiserat, quibus LXXX stipendiarios milites conjunxerat. Pacem quoque cum Guallis tunc ipse fecerat, et reges eorum Caducan et Gervatum, filios Resi, sibi asciverat, quos cum suis copiis exercitum regis exturbare frequenter dirigebat. Guillelmum vero Pantolium, militarem probumque virum, exhaereditaverat, et multa sibi pollicentem servitia in instanti necessitate penitus a se propulsaverat. Ille autem, a Rodberto contemptus, ad regem conversus est. Quem rex, quia vivacem animum ejus jamdudum expertus fuerat, gratanter amplexatus est. Protinus illi ducentos milites commendavit, et custodiam Stephordi castri, quod in vicino erat, deputavit. Hic super omnes Rodberto nocuit, et usque ad dejectionem consiliis et armis pertinaciter obstitit.

Consules autem et primores regni una convenerunt, et de pacificando discorde cum domino suo admodum tractaverunt. Dicebant enim: Si rex magnificum comitem violenter subegerit, nimiaque pertinacia, ut conatur, eum exhaereditaverit, omnes nos ut imbelles ancillas amodo conculcabit. Pacem igitur inter eos obnixe seramus, ut hero, comparique nostro legitime proficiamus, et sic utrumque, perturbationes sedando, debitorem nobis faciamus. Quadam ergo die, regem omnes simul adierunt, et in medio campo colloquium de pace medullitus fecerunt, ac pluribus argumentis regiam austeritatem emollire conati sunt. Tunc in quodam proximo colle tria millia pagensium militum stabant, et optimatum molimina satis intelligentes, ad regem vociferando clamabant: Domine rex Henrice, noli proditoribus istis credere. Summopere moliuntur decipere te, et regalis justitiae rigorem tibi tollere. Cur audis illos, qui suadent tibi traditori parcere, tuaeque mortis conjurationem impune dimittere? Ecce nos omnes tibi fideliter assistimus, tibique in omnibus obsecundare parati sumus. Oppidum acriter expugna, traditorem ex omni parte coarcta, nec pacem cum illo facias, donec ipsum, aut vivum aut mortuum, in manibus tuis teneas.

His auditis, rex animatus est, eoque mox recedente, conatus factiosorum annihilatus est. Deinde praefatos Guallorum reges per Guillelmum Pantolium rex accersit, eosque datis muneribus et promissis demulcens, hosti caute subripuit, suaeque parti cum viribus suis associavit. Tres quoque praecipuos municipes mandavit, et coram cunctis juravit quod nisi oppidum in triduo sibi redderent, omnes quoscunque de illis capere posset, suspendio perirent. Territi vero tanta obstinatione regis, salutis suae consilium indagare coeperunt, et Guillelmum Pantolium, qui affinis eorum erat, persuasionem ejus audituri, accersierunt. Ille autem inter eos et regem mediator accessit, et facete composita oratione ad reddendam legitimo regi munitionem commonuit, cujus ex parte terra centum librarum fundos eorum augendos jurejurando promisit. Oppidani, considerata communi commoditate, acquieverunt, et regiae majestatis voluntati, ne resistendo periclitarentur, obedierunt. Denique permissu regis domino suo legatum Rodberto destinaverunt, per quem se non posse ulterius tolerare violentiam invicti principis mandaverunt. Stipendiarii autem milites pacem nescierunt, quam oppidani omnes et burgenses, perire nolentes, illis inconsultis fecerunt. Cumque insperatam rem comperissent, indignati sunt, et armis assumptis inchoatum opus impedire nisi sunt. Oppidanorum ergo violentia in quadam parte munitionis inclusi sunt, et regii satellites cum regali vexillo, multis gaudentibus, suscepti sunt. Deinde rex, quia stipendiarii fidem principi suo servabant, ut decuit, eis liberum cum equis et armis exitum annuit. Qui egredientes, inter catervas obsidentium plorabant, seseque fraudulentia castrensium et magistrorum male supplantatos palam plangebant, et coram omni exercitu, ne talis eorum casus aliis opprobrio esset stipendiariis, complicum dolos detegebant. Rodbertus, ut munitissimum Brugiae castrum, in quo maxime confidebat, regi subactum audivit, anxius ingemuit, et pene in amentiam versus, quid ageret ignoravit. Rex autem phalanges suas jussit Huvel Hegen pertransire, et Scrobesburiam urbem, in monte sitam, obsidere, quae in ternis lateribus circumluitur Sabrina flumine. Angli quippe quemdam transitum per silvam Huvel Hegen dicunt, quem Latini malum callem, vel vicum, nuncupare possunt. Via enim per mille passus erat cava, grandibus saxis aspera, stricta quoque, quae vix duos pariter equitantes capere valebat; cui opacum nemus ex utraque parte obumbrabat, in quo sagittarii delitescebant, et stridulis missilibus vel sagittis praetereuntes subito mulctabant. Tunc plus quam LX millia peditum erant in expeditione, quibus rex jussit silvam securibus praecidere, et amplissimam stratam sibi et cunctis transeuntibus usque in aeternum praeparare. Regia jussio velociter completa est, saltuque complanato latissimus trames a multitudine adaequatus est.

His auditis, Rodbertus admodum territus est, et undique infortunio circumventum se videns, humiliatus est, invictique regis clementiam supplicare coactus est. Severus econtra rex, memor injuriarum, cum pugnaci multitudine decrevit illum impetere, nec ei ullatenus, nisi victum se redderet, parcere. Ille tandem tristis casus sui angore contabuit, et consultu amicorum, regi jam prope urbem venienti, obviam processit, et crimen proditionis confessus, claves urbis victori exhibuit. Rex itaque totum honorem Rodberti et hominum ejus, qui cum illo in rebellione perstiterant, possedit, ipsumque cum equis et armis incolumem abire permisit, salvumque per Angliam usque ad mare conductum porrexit. Omnis Anglia, exsulante crudeli tyranno, exsultavit, multorumque congratulatio regi Henrico tunc adulando dixit: Gaude, rex Henrice, Dominoque Deo gratias age, quia tu libere coepisti regnare, ex quo Rodbertum de Belismo vicisti, et de finibus regni tui expulisti.

L'an de l'incarnation du Seigneur 1102, le roi Henri appela à sa cour le puissant comte Robert de Bellême, l'accusa de quarante-cinq crimes qu'il avait commis en actions ou en paroles, tant contre lui que contre son frère, le duc de Normandie, et lui ordonna de répondre en public sur chaque imputation. Pendant une année, le Roi l'avait fait diligemment espionner, avait fait ainsi rechercher avec soin ses actions répréhensibles, et les avait fait écrire avec exactitude. Robert ayant, suivant l'usage, demandé la faculté de se présenter au conseil avec les siens, sortit après l'avoir reçue, et reconnut qu'il ne pourrait se justifier des imputations qui lui étaient faites; aussitôt, tremblant et hors de lui-même, il monta à cheval, et s'enfuit dans ses châteaux. Comme Henri attendait avec ses barons la réponse de Robert, un officier de ce monarque rapporta aussitôt que le comte s'était enfui. Le Roi fut fâché d'avoir été pris pour dupe: il attendit, avec certitude de le trouver, le temps de la vengeance. Il déclara tout haut que Robert était coupable pour ne s'être pas légalement justifié après avoir été cité juridiquement; il le désigna comme un ennemi public, s'il ne revenait pas promptement se présenter en jugement. Il fit de nouveau sommer le rebelle; mais celui- ci refusa absolument de se présenter; au contraire il fortifia ses châteaux de retranchemens et de murailles, et demanda des secours à ses parens en Normandie, aux étrangers du pays de Galles et à tous ses voisins. Cependant le Roi rassembla l'armée anglaise; il mit le siége devant le château d'Arundel, qui est situé près du rivage de la mer; il bâtit des forts devant la place, et y laissa pendant trois mois des officiers avec des troupes. Sur ces entrefaites, les assiégés demandèrent humblement au Roi une trève pour solliciter de leur maître, ou du secours pour se défendre, ou la permission de se rendre à composition. Ce monarque y ayant consenti, des courriers allèrent chercher Robert dans le pays des Merciens; et l'y ayant trouvé, ils lui exposèrent, dans leurs anxiétés, de quels intolérables malheurs ils étaient menacés. Le comte était dans cette contrée occupé à bâtir Bridge, château très-fort sur la Saverne, et cherchait, mais en vain, des auxiliaires pour résister de toutes ses forces. Il gémit de voir l'abattement de ses partisans, et, comme il ne pouvait les secourir, il les dégagea de leurs promesses, en même temps que, profondément affligé, il leur donna la faculté de traiter avec Henri. Au retour des délégués, la garnison, pleine de joie, rendit le château au Roi, qui la reçut avec bonté, et la combla de présens. De là, le monarque fit avancer son armée au château de Blithe, qui avait appartenu autrefois à Roger de Buthley. La garnison vint au devant de lui avec joie, et, le reconnaissant pour son seigneur légitime, le reçut avec satisfaction. Après ces événemens, le roi Henri donna un peu de repos à ses peuples, et rendit sa prudence et son courage redoutables à la plupart des grands. Pendant ce temps-là, Henri envoya des députés en Normandie, et par des dépêches véridiques fit connaître au duc comment Robert de Bellême avait forfait à leur égard, et s'était furtivement enfui de la cour. Ensuite il l'engagea, d'après les conventions qu'ils avaient faites en Angleterre, à punir le traître d'une manière exemplaire. En conséquence le duc réunit l'armée normande, et assiégea le château de Vignats, dont la garde était confiée à Girard de Saint-Hilaire. La garnison desirait l'assaut, parce qu'elle était disposée à rendre la place si l'attaque était vive; car ils n'osaient capituler sans coup férir, de peur de passer à bon droit pour des déserteurs déloyaux. Comme le duc était nonchalant et livré à la mollesse, et qu'il manquait de la fermeté qui convient aux princes, Robert de Montfort et les autres complices de sa révolte, qui n'étaient point d'accord entre eux, mirent eux-mêmes le feu à leurs tentes, jetèrent le désordre dans toute l'armée, prirent la fuite sans être poursuivis, et déterminèrent à fuir honteusement les autres corps qui cherchaient à faire détester le duc Robert. La garnison, voyant le désordre qui arrivait dans l'armée normande, se mit à jeter de grands cris après les fuyards, dont elle se moqua; et, reprenant courage, fit une guerre cruelle dans l'Exmois. Robert de Grand-Ménil, Hugues de Montpinçon, Robert de Courci et leurs vassaux résistèrent autant qu'ils purent à ces brigands cruels, et firent tous leurs efforts pour bien défendre leur patrie; mais les ennemis du bien public, excités par l'amour du pillage, attaquèrent avec un grand acharnement, fiers de posséder Château-Gonthier4, Fourches et Argentan. Ils entrèrent dans un grand courroux de ce que quelques-uns de leurs voisins osaient, sans avoir le duc à leur tête, se permettre de les menacer. Ils dépouillaient tous les paysans de la province, et livraient aux flammes leurs maisons, après les avoir pillées.

Cependant le roi des Anglais, qui ne restait pas comme son frère engourdi dans l'oisiveté, réunit pendant l'automne toutes les légions anglaises, les conduisit dans le pays des Merciens, et y assiégea Bridge pendant trois semaines. Robert de Bellême s'était retiré à Shrewsbury, et avait confié la garde de la place à Roger fils de Corbat, à Robert de Neuville et à Ulger le veneur, auxquels il avait réuni quatre-vingts chevaliers qu'il avait pris à sa solde. Il avait en même temps conclu la paix avec les Gallois, et s'était attaché leurs rois Caducan et Gervat, tous deux fils de Résus, qu'il envoyait souvent harceler l'armée royale avec leurs troupes. Il avait dépouillé de ses biens Guillaume Pantoul, vaillant et preux chevalier, et l'avait même repoussé positivement lorsqu'il lui offrait ses services dans une urgente nécessité. Dédaigné par Robert, celui-ci se retourna vers le Roi: ce monarque, qui connaissait tout le mérite de Pantoul, l'embrassa en le félicitant de sa détermination. Aussitôt il lui confia deux cents chevaliers et l'envoya garder le château de Stafford, qui était dans le voisinage. Ce chevalier nuisit plus à Robert que qui que ce soit, et le poursuivit opiniâtrément par ses conseils et par ses armes jusqu'à ce qu'il l'eût renversé.

Dans cette circonstance, les comtes et les grands du royaume se réunirent, et s'occupèrent surtout de rétablir la paix entre le révolté et son Roi. Ils disaient entre eux: «Si le Roi soumet par la force cet illustre comte, et parvient, comme il le cherche, à le dépouiller avec une excessive opiniâtreté, il nous traitera désormais comme de faibles servantes. Il faut donc essayer de ramener la paix entre eux, afin de servir loyalement notre maître et notre pair; et ainsi calmant le trouble, ils nous auront l'un et l'autre de grandes obligations.» En conséquence ils allèrent un jour trouver le Roi tous ensemble: ils lui parlèrent, au milieu du camp, de la nécessité de la paix, et tâchèrent de tempérer la sévérité du Roi par de bonnes raisons. Alors, sur une colline voisine, se trouvaient trois mille chevaliers du pays, qui, se doutant bien des tentatives de ces seigneurs, criaient au Roi de toutes leurs forces: «Seigneur Henri, ne croyez pas ces traîtres; ils font tous leurs efforts pour vous tromper, et pour désarmer la rigueur de la justice royale. Pourquoi prêtez-vous l'oreille à ceux qui vous pressent d'épargner un traître et de laisser impunie une conjuration ourdie contre vos jours? Nous voici prêts à vous servir fidèlement, et à vous obéir en toutes choses. Attaquez vivement cette place, resserrez le traître de tous côtés, et ne faites pas la paix avec lui jusqu'à ce que vous le teniez dans vos mains, mort ou vif.»

Quand il eut entendu ce discours, Henri reprit sa colère, et, revenant bientôt sur ses pas, il anéantit les efforts des factieux. Ensuite il chargea Guillaume Pantoul d'aller trouver les rois de Galles, et de les détacher adroitement du parti de son ennemi, à force de présens et de promesses: il les fit ainsi entrer dans ses intérêts avec leurs troupes. Il fit venir les trois principaux de la garnison, et leur jura publiquement que si, dans trois jours, ils ne rendaient la place, il ferait pendre tous ceux qu'il pourrait attraper. Les assiégés, effrayés de la violence du Roi, prirent conseil sur ce qu'ils avaient à faire, et disposés à accueillir ce que Guillaume Pantoul, qui était leur voisin, leur conseillerait, ils s'adressèrent à lui. Celui-ci, s'établissant médiateur entre eux et le Roi, alla les trouver, et, par un discours persuasif, les engagea à rendre la place à leur roi légitime, de la part duquel il leur promit par serment que leurs biens seraient augmentés d'une terre de cent livres. Les assiégés, trouvant dans cette proposition leur commun avantage, y consentirent, et cédèrent à la volonté de la majesté royale, de peur que leur résistance ne les exposât à beaucoup de dangers. Enfin, avec la permission de Henri, ils envoyèrent à Robert de Bellême, leur seigneur, un député pour lui faire connaître qu'ils ne pouvaient plus long-temps tenir contre les violentes attaques de ce prince invincible. Quant aux chevaliers soldés, ils ignorèrent le traité que la garnison et les bourgeois, peu disposés à périr, avaient conclu sans les consulter; mais lorsqu'ils découvrirent cette chose inattendue, ils en furent indignés, et ayant pris les armes s'efforcèrent d'empêcher qu'elle n'eût d'exécution. La garnison les renferma de force dans une partie du château, et, à la satisfaction du plus grand nombre, les soldats de Henri furent reçus avec le drapeau royal. Ensuite le Roi accorda une libre sortie, avec leurs armes et leurs chevaux, à ces chevaliers qui restaient fidèles à leur seigneur, comme il était convenable. A leur sortie, au milieu des troupes des assiégeans, ils versaient des larmes; ils se plaignaient ouvertement d'avoir été indignement trahis par la perfidie des gens du fort et de leurs chefs, et, en présence de toute l'armée, découvraient la fraude de leurs camarades, de peur qu'un tel événement ne fût un sujet de honte pour les autres soldats. Aussitôt que Robert de Bellême eut appris que le château très-fort de Bridge, sur la défense duquel il se confiait principalement, s'était soumis au Roi, il gémit avec inquiétude, et tombant presque en démence, il ne sut quel parti prendre. Cependant le Roi fit passer son armée à travers Havel-Hegen5, et assiéger la ville de Shrewsbury, située sur une montagne, et qui, de trois côtés, est environnée par la Saverne. Les Anglais appellent certaines traversées de forêts Huvel-Hegen: c'est ce qu'en latin on peut nommer malus callis vel vicus (sentier impraticable ou mauvaise route). En effet, cette route, dans une longueur de mille pas, était creuse, hérissée de grands rochers, et tellement étroite qu'elle pouvait à peine contenir deux cavaliers de front. Elle était de tous côtés couverte de bois épais, dans lesquels des archers se cachaient et frappaient à l'improviste les passans à coups de traits ou de flèches. L'expédition se composait alors de plus de soixante mille hommes de pied, auxquels le Roi ordonna de couper la forêt et de construire une grande route pour lui et pour tous ceux qui y passeraient à l'avenir. L'ordre du Roi fut promptement exécuté, et le bois ayant été abattu, la multitude aplanit un vaste chemin.

Quand il connut ces événemens, Robert, excessivement effrayé, et se voyant de toutes parts enveloppé par l'infortune, s'humilia, et fut forcé d'implorer la clémence de l'invincible monarque. Mais le Roi, sévère et n'oubliant pas les injures qu'il avait reçues, prit le parti d'attaquer son ennemi avec une vaillante armée, et de ne lui faire grâce que lorsqu'il se serait rendu à discrétion. Enfin Robert, désespéré de sa déplorable position, alla, d'après le conseil de ses amis, se présenter au-devant du Roi qui s'approchait de la ville, faire l'aveu du crime de sa trahison, et remettre au vainqueur les clefs de la place. Ainsi Henri eut en ses mains tous les biens de Robert et des vassaux qui s'étaient révoltés avec lui; il lui permit de se retirer sain et sauf avec ses chevaux et ses armes, et le fit conduire en sûreté à travers l'Angleterre, jusqu'à la la mer. En voyant exiler le cruel tyran, toute l'Angleterre se livra à une grande joie, et plusieurs, pour féliciter le roi Henri en le flattant, lui dirent: «Roi Henri, réjouissez-vous, rendez grâce au Seigneur votre Dieu de ce que vous avez commencé à régner en liberté depuis que vous avez vaincu Robert de Bellême, et que vous l'avez expulsé des terres de votre royaume.»

  

IV. Robertus de Belismo in Normanniam transit, ibique plurima mala perpetrat. Adversus Robertum ducem insurgit. De quorumdam virorum morte.

Fugato itaque Rodberto, regnum Albionis in pace siluit, et rex Henricus XXXIII annis prospere regnavit, quibus in Anglia nullus postea rebellare contra eum ausus fuit, nec munitionem aliquam contra eum tenuit. Rodbertus autem, ira et dolore plenus, in Neustriam transfretavit, et compatriotas suos, qui mollem dominum adjuvare suum nisi fuerant, crudeliter invasit, caedibus et incendiis vehementer aggravavit. Nam, sicut draco ille, de quo Symmista Joannes in Apocalypsi scribit, de coelo projectus, in terrigenas rabiem suam feraliter exercuit, sic saevus lanista, de Britannia fugatus, in Normannos furibundus irruit. Rura eorum, praediis direptis, ignibus conflagravit, et milites, vel alios, quos capere valebat, usque ad mortem seu debilitationem membrorum cruciatibus afflixit. Tanta enim in illo erat saevitia, ut mallet captis inferre tormenta, quam pro redemptione illorum multa ditari pecunia.

Rogerius Pictavinus et Arnulfus, fratres Rodberti, in Anglia comites opulenti erant, comitisque Rogerii de Montegomerici, patris sui, procuratione magnis honoribus locupletes pollebant. Arnulfus enim filiam regis Hiberniae, nomine Lafracoth, uxorem habuit, per quam soceri sui regnum obtinere concupivit. Immoderata cupiditas plus quam debet quaerit; inde plerisque quod juste adipiscuntur, subito tollit. Fortis rex Anglorum, pro malignitate Rodberti, totam progeniem et parentelam ejus odio habuit, suoque de regno radicitus omnes exstirpare decrevit. Occasiones ergo contra praefatos fratres exquisivit, qualescunque invenit pertinaciter ventilavit, et exhaeredatos de finibus Britanniae propulsavit. Terram quoque, quam Rogerius senior comes dederat sanctimonialibus Almaniscarum, quoniam Emma abbatissa erat praedictorum soror comitum, impatiens vindex, ecclesiae virginum immisericorditer abstulit, et Savarico, Chamae filio, pro militari servitio concessit

His itaque fugatis de Anglia, vehemens acerbitas nequitiae crevit in Neustria, et per triennium innumera perpetravit facinora. Villae siquidem plures depopulatae sunt, et basilicae cum hominibus, qui ad illas, ut filii ad matris sinum, confugerant, concrematae sunt. Tota pene Normannia in Rodbertum surrexerat, parique conjuratione illi resistere conspiraverat; sed frustra, quoniam capite sano contra tantum praedonem carebat. Nam ipse viribus et ingenio pollebat, et congeriem divitiarum, quas jamdudum congesserat, in XXIV fortissimis munitionibus ad rebellionem olim constructis habebat. Solus paternam haereditatem penitus possidebat, nullam praefatis fratribus, pro illo exhaeredatis, partem permittebat. Rogerius itaque ad Carrofense Castrum, quod de patrimonio suae conjugis erat, secessit, ibique usque ad senectutem permansit, et vitae finem sortitus, filios sibi probos successores reliquit. Arnulfus autem, post multos labores, quos pro fratre suo incassum toleravit, indignatus ad ducem sese contulit, et castrum Almaniscarum subreptione capiens, illi tradidit, et plures de auxiliatoribus fratris sui secum contraxit. Tunc in Sagiensi territorio nimia turbatio facta est. Multi provincialium cum Arnulfo Rodbertum reliquerunt, et municipia sua fautoribus ducis reddiderunt. Rodbertus autem, qui desertus a proprio germano erat, ubique meticulosus vix in aliquo confidebat, et, quia pene cunctis terribilis erat, de illis etiam, qui sibi adhuc adhaerebant, ambigebat.

Mense Junio [1103], satellites ducis in abbatiam sanctimonialium aggressi sunt, et ad depraedandam regionem ardentes, in sacris aedibus stabula equorum constituerunt. Quo cognito, Rodbertus illuc advolavit, et injecto igne coenobium combussit. Olivarium autem de Fraxineio, aliosque plures comprehendit, quorum quosdam longo gravique ergastulo miserabiliter afflixit, reliquos vero morte, seu membrorum privatione condemnavit. Rodbertus dux cum exercitu Normanniae Oximis venit, fautoribusque suis suffragari debuit. Tunc Rogerius de Laceio magister militum erat, cujus praecepto Malgerius cognomento Malaherba praedictam munitionem servabat. Ob infortunium imminens odibili tyranno plures laetati sunt, ac ut super illum irruerent avide convenerunt. Guillelmus comes Ebroicensis, et Rotro comes Moritoniae, et Gislebertus de Aquila, et Oximenses cuncti simul in illum conspiraverant, sed congruentem malis, quae idem illis multoties intulerat, talionem exsolvere ad libitum non poterant. Verum Rodbertus de Sancto Serenico, et Burcardus dapifer ejus, et Hugo de Nonanto diutius illi restiterunt, et plus omnibus aliis Normannis eumdem damnis et injuriis contristaverunt.

Adveniente cum exercitu duce, Rodbertus acies suas praestruxit, desidemque dominum pluribus modis tentavit, et super calcetam audacter aggressus, tandem fugavit, atque Guillelmum de Conversana fratrem Sibyllae comitissae, aliosque plures comprehendit. Animosiores Normanni vehementer erubuerunt, quod illi, qui exterarum victores gentium in barbaris regionibus floruerunt, nunc in suae telluris sinu ab uno filiorum victi et fugati sunt. Rodbertus itaque, secundis eventibus admodum inflatus, ferocior surrexit, et ducem exinde floccipendens, totam undique Normanniam sibi subdere sategit. Provinciales autem, rectore carentes, nec bellicosi comitis asperam tyrannidem ferre valentes, sub jugo ejus sua colla, licet inviti, flexerunt, eique, non tam amore quam timore, penitus adhaeserunt, ejusque patrociniis fulti, contra aemulos cohabitantes atrocem guerram exercuerunt. Sic nimirum viribus ducis deficientibus, Rodbertus infestior ascendit, et collimitaneis Quiritibus ad eum deficientibus, Oximorum munitionem obtinuit. Castellum quoque Gunterii, et alia quamplurima in gyro sibi municipia mancipavit.

Concremato apud Almaniscas sanctimonialium monasterio, ut dictum est, tener virginum conventus misere dispersus est. Unaquaeque, prout facultas sibi fortuitu collata est, ad lares parentum vel amicorum regressa est. Emma vero abbatissa cum ternis sanctimonialibus Uticum confugit, ibique in capella ubi sanctus Pater Ebrulfus coelesti theoriae intentus solitarie degebat, sex mensibus habitavit. Porro, sequenti anno, ad ecclesiam suam reversa est, auxilioque Dei et fidelium ejus, diruta restaurare conata est. Haec postmodum fere X annis vixit, quibus basilicam Virginis et Matris cum regularibus officinis diligenter erexit, et dispersas ad septa monastica monachas summopere revocavit.

Qua defuncta, Mathildis, filia Philippi fratris ejus successit, iterumque repentino igne incensum cum aedibus monasterium laboriose reparavit.

Eodem tempore [1102-1103], praecipui proceres Normanniae, Gualterius Giffardus, Guillelmus Britoliensis et Radulfus de Conchis defuncti sunt, eisque juvenes successerunt. Gualterius quippe Giffardus, comes Bucchingeham, in Anglia mortuus est, et inde in Normanniam, ut ipse jusserat, translatus est. In introitu vero basilicae Beatae Virginis Mariae apud Longamvillam sepultus est. Super quem hujusmodi epitaphium in maceria, picturis decorata, scriptum est:

Stemma Gifardorum Gualterius ingenuorum,
Quae meruit vivens, busta sepultus habet.
Templi fundator praesentis et aedificator,
Hoc velut in proprio conditus est tumulo.
Qui se magnificum, patriaeque probavit amicum.
Dux virtute potens, et pietate pitens,
Religiosorum sed praecipue monachorum
Cultor, multimode profuit Ecclesiae.

Strenuum itaque baronem Cluniacenses monachi honorifice venerati sunt, et assiduis precibus animam ejus Domino Deo commendaverunt, memores beneficiorum quae apud Longamvillam in ejus eleemosyna ubertim adepti sunt. Agnes vero, uxor ejus, Anselmi de Ribothmonte soror fuit, Galteriumque puerum post XV annos desponsionis suae marito peperit, quem post mortem patris usque ad virile robur diligenter educavit, et paternum ei honorem per multos annos prudenter gubernavit. Haec, feminea cupiditate nimis accensa, Rodbertum ducem adamavit, ipsumque insidiosis retibus amoris illicite sibimet illexit. Multa ei, per se et per potentes cognatos suos, contra omnes inimicos adjumenta promisit, quibus cito socordem ad consensum pertraxit, ut dum sua conjux obiret, praefatam mulierem sibi copularet, totamque Normanniam ad regendum ei committeret. Non multo post Sibylla comitissa, veneno infecta, in lectum decidit, et Quadragesimali tempore, multis eam plangentibus, obiit. Guillelmus autem, Rothomagensis archipraesul, ejus exsequias celebravit, et in metropolitana Sanctae Dei genitricis Mariae basilica cum clero et populo decenter tumulavit. In navi ecclesiae polita de albo lapide lamina tumulum operit, in qua sculptum hoc modo epitaphium solerter intuentibus patescit:

Nobilitas, species, laus, gloria, magna potestas,
Vivere perpetuo non faciunt hominem
Nam generosa, potens, dives comitissa Sibylla
Hoc jacet in tumulo condita, facta cinis.
Cujus larga manus, mens provida, vita pudica,
Prodesset patriae, si diuturna foret.
Normanni dominam, gens Apula deflet alumnam,
Cujus in occasu gloria magna ruit.
Velleris aurati cum Titan sidus inibat,
Mortem passa ruit. Sit tibi vita Deus!

Post haec, tumultus bellorum, quae jamdudum incoepta sunt, subito causis quibusdam orientibus pene per totam Neustriam admodum creverunt. Quibus feraliter furentibus, dux prohibitus est uxorem ducere, et Agnes, vidua permanens, frustra concupivit principalem torum ascendere. Tunc inter Britolienses et Ebroicenses, aliosque vicinos eorum, ingens guerra exorta est. Guillelmus quippe de Britolio Adelinam, Hugonis de Monteforti filiam, uxorem duxerat, sed prolem de legali connubio non habuerat. Ipso itaque II Idus Januarii [1103] apud Beccum mortuo, sed Lirae in coenobio quod pater suus in proprio fundo construxerat, sepulto, nepotes ejus, Guillelmus de Guader, et Rainaldus de Graceio succedere illi contenderunt. Sed Normanni Eustachium, de concubina filium ejus, susceperunt, quia compatriotam nothum, quam Britonem, seu Burgundionem, liberum, praeesse sibi maluerunt. Igitur inter partes inimicas gravis guerra exorta est, et desolatio patriae nimis augmentata est. Guillelmo de Guader celeriter obeunte, Rainaldus invaluit, eique Guillelmus comes Ebroicensis ad subsidiandum cum multis aliis adhaesit. Nam Radulphus de Conchis, filius Isabel, et Ascelinus Goel, atque Amalricus de Monteforti cum viribus suis conglomerati sunt, et Rainaldo faventes, ingentia vicinis detrimenta nequiter intulerunt, patriamque suam hostiliter depopulati sunt, et illi quem juvare conabantur parum profecerunt. Eustachius enim Guillelmum Alis et Radulfum Rufum ac Tedbaldum, aliosque barones suos secum habens, fortiter restitit, quorum consilio contra tot adversarios auxilium regis Anglorum quaesivit. Rex autem Julianam, filiam suam, ei conjugem dedit, et insuperabile contra Goellum et omnes alios hostes adminiculum spopondit. Tunc etiam Rotroni, Mauritaniae comiti, aliam sobolem conjunxit, quae marito suo filiam, nomine Philippam, peperit.

Robert ainsi mis en fuite, le royaume d'Albion jouit de toute la tranquillité de la paix; Henri régna heureusement pendant trente-trois ans, durant lesquels personne n'osa plus en Angleterre se révolter, ni tenir aucune place contre lui. Au comble de la colère et de la douleur, Robert de Bellême passa en Normandie, attaqua cruellement ceux de ses compatriotes qui avaient tenté de secourir leur duc efféminé, et leur fit sentir violemment toutes les calamités du fer et de l'incendie. En effet, comme ce dragon dont parle Jean dans l'Apocalypse, qui, jeté du ciel sur la terre, y exerça cruellement sa rage contre les mortels, de même le cruel bourreau qui avait été chassé de l'Angleterre, fondit furieux sur les Normands. Il livra leurs terres aux flammes après les avoir pillées; il faisait souffrir des tourmens, jusqu'à la mort ou à la perte des membres, aux chevaliers ou aux autres personnes qu'il pouvait prendre. Il était en cette circonstance si barbare qu'il aimait mieux livrer ses prisonniers aux tortures que de s'enrichir de leurs fortes rançons.

Roger de Poitiers6 et Arnoul, frères de Robert, possédaient de riches comtés en Angleterre, et grâces aux soins du comte Roger de Mont-Gomeri leur père, ils avaient été comblés de grandes faveurs. En effet, Arnoul avait épousé la fille du Roi d'Irlande nommé Lafracoth, au moyen de laquelle il eut le desir de s'emparer du royaume de son beau-père. La cupidité sans frein cherche plus qu'elle ne doit: aussi fait-t-elle perdre subitement à la plupart des hommes ce qu'ils ont justement acquis. Le courageux roi des Anglais eut en haine tous les enfans et toute la famille de Robert, à cause de sa perversité, et résolut de les extirper de son royaume jusqu'à la dernière racine. En conséquence il chercha contre les deux frères une occasion favorable; quand il l'eut trouvée, il la saisit vivement, et les chassa de l'Angleterre après les avoir dépouillés. Impatient de se venger, il enleva sans pitié, à un couvent de filles, la terre que le vieux comte Roger avait donnée aux religieuses d'Almenêches, parce que leur abbesse Emma était sœur de ces comtes, et il donna cette propriété à Savari, fils de Chama, pour récompense de ses services militaires.

Cette famille ayant été expulsée de l'Angleterre, un violent accès de perversité se développa en Normandie, et, pendant trois ans, y fit éclater d'innombrables attentats. En conséquence plusieurs villes furent dépeuplées, on brûla plusieurs églises avec les personnes qui s'y étaient réfugiées, comme des enfans dans le sein de leurs mères. Presque toute la Normandie s'était révoltée contre le comte Robert, et, d'accord dans les conspirations, les conjurés lui résistaient; mais leurs tentatives furent vaines, puisqu'on manquait d'un bon chef contre un si grand brigand. Ses forces et les ressources de son esprit étaient grandes; et il avait placé la masse de richesses qu'il avait autrefois recueillies dans quarante-quatre châteaux forts construits pour soutenir sa révolte. Il possédait à lui seul presque tout l'héritage de son père, dont il ne cédait rien à ses frères, qui pourtant avaient été dépouillés à cause de lui. C'est pourquoi Roger se retira au château de Charost, qu'il tenait du patrimoine de sa femme. Il y resta jusqu'à la vieillesse; et y ayant terminé sa carrière, il laissa pour successeurs des fils d'un grand mérite. Quant à Arnoul, il se rendit indigné auprès du duc de Normandie. Après plusieurs malheurs qu'il avait endurés en pure perte pour son frère Robert, il livra au duc le château d'Almenêches, dont il s'était emparé par surprise, et emmena avec lui plusieurs des partisans de son frère. Il y eut alors des troubles très-violens dans le territoire de Séès. Beaucoup de gens du pays, se liant à Arnoul, abandonnèrent Robert de Bellême, et remirent leurs places fortes aux partisans du duc. Robert, qui se trouvait abandonné par son propre frère, éprouvait de tous côtés de telles craintes qu'il ne se fiait à personne; et comme il était redouté de presque tout le monde, il soupçonnait la fidélité de ceux mêmes qui lui étaient encore attachés.

Au mois de juin, l'armée du duc se réunit à l'abbaye d'Almenêches, et, disposée à ravager le pays, elle fit des saints lieux des écuries pour ses chevaux. Dès qu'il le sut, Robert de Bellème y vola, et mit le feu au monastère. Il prit Olivier de Frênai et plusieurs autres, dont il condamna les uns aux afflictions misérables d'une longue et dure prison, et les autres à la mort ou à la mutilation. Le duc Robert se rendit avec une armée à Exmes pour protéger ses partisans. Alors Roger de Lasci commandait cette armée: il confia la garde de cette place forte à Mauger, surnommé Malherbe. Beaucoup de personnes se réjouirent des calamités qui menaçaient l'odieux tyran, et se réunirent avec empressement pour fondre sur lui. Guillaume, comte d'Evreux, Rotrou, comte de Mortagne, Gislebert de L'Aigle, et les Exmois tous ensemble conspirèrent contre lui; mais ils ne pouvaient à leur gré lui faire payer, par un juste talion, tout le mal qu'il leur avait fréquemment causé. Cependant Robert de Saint-Ceneri, Burchard son sénéchal, et Hugues de Nonant lui résistèrent long-temps, et plus que tous les autres Normands, lui firent essuyer des dommages et des affronts.

A l'arrivée du duc avec une armée, Robert disposa ses troupes, fit plusieurs fausses attaques contre son maître nonchalant; et l'ayant chargé hardiment à Chailloué7, il le mit en fuite, et prit Guillaume de Conversano, frère de la duchesse Sibylle, et plusieurs autres personnages. Les courageux Normands ressentirent une grande honte de ce que, vainqueurs éclatans des nations étrangères dans les contrées barbares, ils se trouvaient, au sein de leur propre pays, vaincus et mis en fuite par un de ses enfans. Robert de Bellême, enflé d'un excessif orgueil pour cette victoire, se montra plus fier que jamais, et, méprisant le duc à cause de cet événement, essaya de faire la conquête de toute la Normandie. Les habitans manquant de guide, et ne pouvant d'ailleurs supporter la dure tyrannie du comte, se virent, quoique malgré eux, forcés de fléchir la tête sous son joug, et prirent entièrement parti pour lui bien moins par amour que par terreur; soutenus de son pouvoir, ils firent une guerre cruelle à leurs rivaux. C'est ainsi que les forces du duc s'étant affaiblies, Robert de Bellême s'éleva plus redoutable, et que les seigneurs d'alentour ayant quitté le duc pour lui, il s'empara de la place d'Exmes et soumit à son pouvoir Château-Gonthier, et plusieurs autres forteresses des environs.

Le monastère des religieuses d'Almenêches ayant été brûlé, comme nous l'avons dit, la faible troupe des vierges fut misérablement dispersée. Chacune d'elles, selon que le hasard lui en fournit les moyens, se retira chez des parens ou des amis. L'abbesse Emma, avec trois religieuses, s'enfuit à Ouche, et demeura six mois dans la chapelle, où le saint père Evroul, appliqué aux célestes contemplations, menait une vie solitaire. L'année suivante, elle retourna à son église, et, avec l'aide de Dieu et des fidèles, elle travailla à rebâtir ce qui avait été détruit. Elle y vécut encore près de dix ans, pendant lesquels elle ériga avec célérité l'église de la Vierge-Mère, avec les édifices propres à l'observation des règles, et rappela avec soin dans le cloître les religieuses dispersées.

A sa mort, Mathilde, fille de son frère Philippe, lui succéda, et répara avec beaucoup de peine le couvent et les autres édifices qui avaient été de nouveau la proie d'un incendie imprévu.

Dans le même temps, plusieurs seigneurs illustres de la Normandie, Gaultier-Giffard, Guillaume de Breteuil et Raoul de Conches vinrent à mourir, et eurent pour successeurs des jeunes gens.

Gaultier-Giffard, comte de Buckingham, mourut en Angleterre, d'où son corps fut, comme il l'avait ordonné, transporté en Normandie. Il fut inhumé à Longueville, à l'entrée de l'église de la bienheureuse Vierge-Marie. On écrivit l'épitaphe suivante qui le concerne sur la muraille que l'on décora de peintures:

«Gaultier, l'honneur des illustres Giffard, occupe ici, mort, la brillante tombe qu'il mérita vivant. Il fonda et bâtit ce temple dans lequel il repose comme en son propre tombeau. Il se montra magnifique et ami de sa patrie, ce duc puissant par la valeur et resplendissant par la piété; il se signala surtout par sa tendresse respectueuse pour les moines, et servit l'Eglise de toutes les manières.»

Les moines de Cluni rendirent de grands honneurs à ce vaillant baron; par des prières assidues ils recommandèrent son ame à Dieu, reconnaissans qu'ils étaient des biens qu'il leur avait prodigués à Longueville. Agnès sa femme était sœur d'Anselme de Ribemont. Au bout de quinze ans de mariage, elle donna à son mari un fils nommé Gaultier, qu'après la mort de son père elle éleva avec beaucoup de soin pendant sa jeunesse, et qui gouverna sagement un grand nombre d'années son héritage paternel. Cette femme, trop enflammée de l'ambition de son sexe, aima le duc Robert, et se l'attacha d'une manière illicite, en l'enchaînant dans les filets insidieux de l'amour. Elle lui promit de grands secours contre tous ses ennemis, et par elle-même, et par sa puissante famille: ce qui ne tarda pas à séduire ce prince indolent, à tel point que lorsque la mort lui eut enlevé sa femme, il épousa Agnès et lui confia la régence de toute la Normandie. Peu de temps après sa liaison avec Agnès, la duchesse Sibylle, attaquée par le poison, tomba malade, et, à la grande douleur de tout le monde, mourut pendant le Carême. Guillaume, archevêque de Rouen, célébra ses funérailles et l'inhuma honorablement en présence du clergé et du peuple dans la basilique métropolitaine de Sainte-Marie mère de Dieu. Une table polie de pierre blanche couvre son tombeau, dans la nef de cette église, où l'épitaphe suivante se présente aux regards gravée avec éclat:

«La noblesse, la beauté, les éloges, la gloire ni la grande puissance ne font vivre l'homme éternellement; car tout illustre, puissante et riche qu'était la duchesse Sybille, elle repose en ce tombeau, convertie en une simple cendre. Sa main libérale, son esprit prudent, sa vie pudique eussent été utiles à son pays, si elle eût vécu plus longtemps. Les Normands pleurent en elle une maîtresse, et les Apuliens une élève tombée avec une grande gloire. Comme le soleil entrait dans la constellation de la Toison d'or, Sibylle succomba sous les souffrances de la mort. Que Dieu soit pour elle la vie!»

Après ces événemens, le fracas des guerres, depuis long-temps commencées, s'accrut soudain effroyablement par toute la Normandie, à la suite de certaines causes qui alors prirent naissance. Pendant leurs mortelles fureurs, le duc ne put se marier, et Agnès restée veuve desira vainement monter au lit du prince. Alors s'éleva une grande guerre entre les peuples de Breteuil et d'Evreux, et d'autres lieux voisins. Guillaume de Breteuil avait épousé Adeline, fille de Hugues de Montfort; mais il n'avait point d'enfans de ce mariage légitime. Ce seigneur mourut au Bec le 2 des ides de janvier (12 janvier); il fut inhumé dans le couvent de Lire, que son père avait bâti sur ses propres terres. Ses neveux, Guillaume de Guader et Rainauld de Draci, eurent la prétention de lui succéder; mais les Normands préférèrent Eustache, que Guillaume de Breteuil avait eu d'une concubine, parce qu'ils aimèrent mieux obéir à un bâtard, qui était leur compatriote, qu'à un Breton ou à un Bourguignon, tout légitimes qu'ils étaient. En conséquence il s'éleva une guerre violente entre les partis ennemis, et la désolation du pays s'en accrut grandement. Guillaume de Guader étant accouru promptement, Rainauld prit les armes, et fut secouru par Guillaume, comte d'Evreux, et par plusieurs autres seigneurs. En effet, Raoul de Conches, fils d'Isabelle8, Ascelin Goël, et Amauri de Montfort se réunirent avec leurs forces; puis, favorables à Rainauld, ils firent méchamment beaucoup de mal à leurs voisins, ravagèrent leur patrie, et servirent de peu à celui qu'ils voulaient seconder; car Eustache ayant avec lui Guillaume Alis, Raoul-le-Roux, Thibauld et d'autres barons de sa dépendance, résista courageusement: de leur avis, il rechercha l'assistance du roi des Anglais contre tant d'adversaires. Le Roi lui donna pour femme sa fille Julienne, et lui promit un secours efficace contre Goëlet tous ses autres ennemis, en même temps qu'il maria à Rotrou, comte de Mortagne, son autre fille, qui donna à son mari une fille nommée Philippine.

 

V. Yvo Carnotensis episcopus.--Adelae comitissae Carnotensis soboles. Eventus varii in Anglia et in Normannia.

Anno ab Incarnatione Domini [1103] Paschalis papa in Gallias venit, et a Gallis honorifice susceptus, divinam servitutem fideliter exercuit. Tunc venerabilis Ivo, Carnotenae urbis episcopus, inter praecipuos Franciae doctores eruditione litterarum tam divinarum quam saecularium floruit; a quo invitatus papa solemnitatem Paschae apud Carnotum celebravit. Adela quoque comitissa largas ad ministerium papae impensas contulit, et benedictionem sibi, domuique suae in aeternum a sede apostolica promeruit. Laudabilis hera, post peregrinationem mariti, consulatum illius honorifice gubernavit, tenerosque pueros ad tutamen Ecclesiae sanctae solerter educavit.

Guillelmus enim, qui major natu erat, filiam Gilonis de Soleio uxorem duxit, et soceri sui haereditatem possidens, diu pacifice vixit, laudabilemque sobolem, Odonem et Raherium, genuit. Tedbaldus autem, palatinus comes, militia claruit, pacis amator justitia viguit, et inter praecipuos Franciae principes divitiis et virtute maximus enituit. Mathildem vero, Ingelberti ducis filiam, uxorem duxit, atque post mortem Henrici regis, avunculi sui, ducatum Normanniae suscepit, et furentes dyscolas necessariae virga disciplinae feriens coercuit (46) . Porro Stephanus, Stephani Blesensis tertia proles, ab avunculo rege arma militiae accepit, et capto apud Tenerchebraicum Guillelmo, comite Moritolii, comitatum ejus dono regis obtinuit. Eustachii quoque Boloniensis consulis filiam, de matre Maria, Mathildem, uxorem duxit, et totum honorem ejus haereditario jure possedit. Denique Henrico rege in castro Leonis IV Nonas Decembris defuncto, Stephanus mare transfretavit, et incipiente anno Dominicae Incarnationis 1136 Angliae sceptra suscepit. Deinde Henricus, aetate minimus, a pueritia Cluniacensis monachus, in adolescentia vero Glastoniensis abbas in Anglia sublimatus est, et inde, post Guillelmum Gifardum, ad Guentoniensem praesulatum promotus est.

Denique genitrix tantae prolis, ut pallida tenebrosae mortis tempora medullitus meditari coepit, post multas divitias atque delicias, in quibus peccatorum copia foedat animas et perimit, lubrica saeculi blandimenta, turgidosque fastus sponte deseruit, ac sanctimonialis apud Marcilleium effecta, sub Cluniacensium rigido regimine, regi Sabaoth militavit. Haec per anticipationem de generosa matre et fortunata sobole dicta sunt. Nunc autem ad narrationis seriem, unde paulisper digressus sum, libet reducere calamum.

Rex Anglorum Rodbertum, comitem de Mellento, ad sedandas lites intestinas in Normanniam destinavit, et Rodberto duci, aliisque proceribus mandavit ut genero suo parcerent, et contra hostes illius dimicarent; alioquin regiae virtutis inimicitiam sentirent. Benevolentiam itaque regis erga Eustachium advertentes, multi siluerunt, et qui antea nocebant illi, summopere suffragari studuerunt. Rainaldus tamen et Goellus, aliique temerarii pertinaciter nequitiis institerunt, nec pro regalis reverentiae precatu ab infestatione generi ejus cessaverunt, sed nefaria temeritate caedes et incendia perpetrarunt. Nam inter caetera, quae praefatus Rainaldus crudeliter peregit, quoddam municipium hostile pertinaciter invasit, et omnes qui intus erant, dum exirent, cepit, et proprio ense in visceribus infixo veluti bruta animalia immisericorditer peremit. Omnibus hac maxime pro causa odibilis factus est, et Eustachio insigniter invalescente, totumque patris honorem nanciscente, de Neustria expulsus est. Reversus autem ad natale solum, Guillelmo fratri suo, majori se, insidiari coepit; sed justo Dei judicio, inter tumultus quos machinabatur, in manus fratris incidit, et in ejus carcere debitas pro nefariis actibus poenas luit.

Tunc etiam Goellus Joannem, filium Stephani, de Mellento, exploravit, et venientem de colloquio comitis domini sui, qui apud Bellummontem in Normannia consistebat, comprehendit, et fere quatuor mensibus avarum feneratorem in carcerem coercuit. Unde praefatus comes obnixe laboravit ut burgensem suum, qui ditissimus erat, erueret, nec eum de ore lupi liberare potuit, nisi plures placaret. Ingeniosus ergo comes Rodbertus cum Guillelmo, Ebroicensi comite, pacem fecit, et Amalrico, nepoti ejus, filiam suam, quae unius anni erat, pepigit, et in illa concordia Radulfum de Conchis, et Eustachium, atque Goellum, aliosque belligerantes marchisos collegit. Hac itaque pace facta, Joannes redditus est, aliis pluribus securitas et serenitas pacis exhibita est.

Sequenti anno , geminam prolem, Gualerannum et Rodbertum, Isabel, uxor Mellentici comitis, enixa est, et, causis quibusdam intervenientibus, Amalricus promissam sibi puellam desponsare prohibitus est.

Somnolentus dux, ut nimiam desolationem patriae vidit, nec contra Rodbertum de Belismo ducatus sui regionem defendere potuit, transgressor pacti quod cum rege fecerat, sine consilio ejus concordiam cum praedicto Rodberto fecit, eique dominia patris sui, episcopatum scilicet Sagiensem et caetera, quae superius memorata sunt, annuit. Venerandus igitur Serlo, Sagiensis episcopus, tyrannidem Rodberti ferre indignum duxit, ideoque potius ab episcopatu recedere, quam sub eo degere maluit. Propria sede relicta, per extera vagatus est, et Rodbertum cum adjutoribus suis anathemate feriens exsecratus est.

Saepedictus quoque vir Radulfum, Sagiensium abbatem, jucundum et facetum, amabilemque virum, pluribus modis contristavit, hominesque sancti praesulis Martini indebitis exactionibus oppressit, ipsumque per immeritam subjectorum afflictionibus fugavit. Sic praesul et abbas, tyranni jugo fatigati, in Angliam fugerunt, et a rege Henrico refrigerandi benigniter suscepti sunt.

His temporibus venerabilis Gundulfus, Rofensis episcopus, defunctus est, cujus in loco Radulfus abbas ecclesiastica electione subrogatus est. A reverendo Cantuariorum archipraesule, Anselmo, praesul Rofensis consecratus est; cujus etiam, post aliquot annos, in sede Dorobernensi successor factus est.

L'an de l'incarnation du Seigneur 1103, le pape Pascal vint en France, et, reçu par les Français avec de grands honneurs, célébra pieusement le service divin. Alors le vénérable Yves, évêque de la ville de Chartres, florissait parmi les principaux docteurs de la France par son érudition dans les lettres, tant divines que séculières. Invité par ce prélat, le pape célébra à Chartres la solennité de Pâques. La comtesse Adèle offrit au pontife, pour son service, de grandes sommes d'argent, et mérita du siége apostolique une éternelle bénédiction pour elle et sa maison. Cette princesse, digne d'éloges, gouverna honorablement le comté de Chartres après le départ de son mari pour la Terre-Sainte, et éleva habilement ses jeunes enfans dont elle fit des protecteurs à la sainte Eglise.

Guillaume, qui était leur aîné, épousa la fille de Gilon de Sully, et ayant obtenu la possession des héritages de son beau-père, il vécut long-temps en paix et devint le père d'Odon et de Rahier....., tous deux dignes d'éloges9. Thibault, comte palatin, se distingua dans la carrière militaire: ami de la paix, il se montra très-équitable, et brilla au premier rang des principaux seigneurs de France par ses richesses et son courage. Il épousa Mathilde, fille du duc Ingelbert, et, après la mort du roi Henri son oncle, il obtint le duché de Normandie, et réprima les fureurs de la discorde en frappant les rebelles de la verge d'une rigueur nécessaire. Quant à Etienne, troisième fils d'Etienne de Blois, il reçut du Roi son oncle l'armure de chevalier; et ayant devant Tinchebrai fait prisonnier Guillaume, comte de Mortain, il obtint son comté de la munificence royale. Il épousa Mathilde, fille d'Eustache, comte de Boulogne, et dont la mère s'appelait Marie: il posséda son comté par droit héréditaire. Enfin le roi Henri étant mort le 4 des nones de décembre (2 décembre), au château de Lions10, Etienne passa la mer, et prit le sceptre d'Angleterre au commencement de l'an 1136 de l'incarnation du Seigneur. Ensuite Henri, le plus jeune des enfans d'Etienne, devenu dès son enfance moine de Cluni, fut, en Angleterre, à l'époque de son adolescence, élevé à la dignité d'abbé de Glaston, et depuis succéda à Guillaume Giffard sur le siége épiscopal de Winchester.

Enfin la mère de cette noble lignée, ayant médité au fond de son cœur sur les sombres approches des ténèbres de la mort, après avoir joui de grandes richesses et des délices dans lesquelles la foule des pécheurs souille et perd son ame, abandonna volontairement les biens périssables du siècle et l'orgueil de ses pompes; elle se fit religieuse à Macilli, et combattit pour le roi Sabaoth sous le poids des règles de Cluni. Nous avons donné par anticipation ces détails sur cette noble mère et ses enfans dont l'histoire douteuse m'est encore peu connue. Maintenant je crois qu'il est à propos de ramener ma plume à la suite de la narration dont je me suis un peu écarté.

Le roi des Anglais envoya Robert, comte de Meulan, en Normandie, pour y apaiser la guerre intestine, et manda au duc Robert et aux autres seigneurs de favoriser son gendre et de combattre ses ennemis, sinon de s'attendre à encourir son inimitié royale. En conséquence, connaissant la bienveillance du roi Henri pour Eustache, plusieurs seigneurs restèrent tranquilles, et ceux qui auparavant lui étaient opposés s'appliquèrent de tous leurs efforts à le seconder. Cependant Rainauld de Draci, Goël et quelques autres téméraires persistèrent opiniâtrément dans leur méchanceté; sans égard pour l'invitation du Roi, ils continuèrent de poursuivre son gendre, et, dans l'impudence de leurs attentats, commirent des meurtres et des incendies. Et effet, entre autres crimes que Rainauld consomma cruellement, il attaqua vigoureusement une place de ses ennemis, la prit, et, saisissant tous ceux qui étaient dedans à mesure qu'ils sortaient, il leur plongea sans pitié sa propre épée dans le corps, et les égorgea comme de vils animaux. Il se rendit, surtout par cette action, odieux à tout le monde, et fut chassé de la Normandie, lorsqu'Eustache eut repris brillamment des forces, etobtenu tout l'héritage de son frère. Retourné chez lui, Rainauld tendit des piéges à Guillaume de Guader son frère aîné; mais, par un équitable jugement de Dieu, il tomba aux mains de ce frère au milieu des entreprises qu'il tramait, et fut puni par la prison, comme il le méritait pour ses criminels attentats.

A cette même époque, Goël guetta Jean, fils d'Etienne, bourgeois de Meulan, le fit prisonnier à son retour d'une entrevue avec le comte11 son seigneur, qui était alors à Beaumont12, en Normandie, et pendant près de quatre mois retint en prison cet avare usurier. Le comte dont il s'agit travailla de toutes ses forces à délivrer son bourgeois, qui était très-riche; mais il ne put le tirer de la gueule du loup sans apaiser d'abord beaucoup de seigneurs. En conséquence, l'adroit comte Robert fit la paix avec Guillaume comte d'Evreux, et promit à son neveu Amauri sa fille, qui n'était encore âgée que d'un an. Dans ce traité, il réunit Raoul de Conches, Eustache, Goël et quelques autres seigneurs belligérans. La paix ainsi faite, Jean fut rendu à la liberté, et plusieurs autres recouvrèrent la sécurité et la sérénité de la paix.

L'année suivante13, Isabelle, femme du comte de Meulan, mit au monde deux jumeaux, Galeran et Robert; et quelques causes d'empêchement étant survenues, Amauri ne put épouser l'enfant qui lui avait été fiancée.

Quand le duc, engourdi dans la mollesse, vit l'excès de la désolation où se trouvait sa patrie, et qu'il ne pouvait défendre ses Etats contre Robert de Bellême, il viola le traité qu'il avait fait avec le Roi, et, sans sa permission, fit alliance avec Robert, auquel il remit le patrimoine de son père, c'est-à-dire, l'évêché de Séès, et les autres terres dont nous avons parlé plus haut. Le vénérable Serlon, évêque de Séès, crut indigne de lui de supporter la tyrannie du comte de Bellême. Il aima mieux quitter son évêché que de demeurer sous ses lois. Ayant abandonné son siége, il erra dans les pays étrangers, et, frappant de l'anathême Robert et ses adhérens, il le dévoua à l'exécration.

Ce comte tourmenta de plusieurs manières Raoul, abbé de Séès, homme gai, enjoué et aimable; il opprima par des exactions injustes les vassaux du saint prélat Martin14, et força Raoul de prendre la fuite à la vue des afflictions auxquelles ses hommes étaient indûment exposés. Ainsi l'évêque et l'abbé, fatigués du joug du tyran, se retirèrent en Angleterre, et y furent bien reçus par le roi Henri, qui les réconforta.

A cette époque, le vénérable Gondulfe, évêque de Rochester, quitta la vie: l'abbé Raoul lui fut substitué par élection ecclésiastique, et consacré évêque de Rochester par le révérend Anselme, archevêque de Cantorbéry, auquel, quelques années après, il succéda.

VI. Magnus Nortwigenarum, rex in expeditione occidit.

Ea tempestate, Magnus, Nortwigenarum potentissimus rex, insulas Britanniae circumivit, et desertas cum ingenti classe insulas usque in Hiberniam introivit, ibique colonis callide constitutis, oppida et villas aliarum more gentium construi praecepit. Irenses igitur ei nimis inviderunt, et totis nisibus infestare conati sunt, doloque seu vi pessundare hostes machinati sunt. Magnanimus autem rex contra Irenses surrexit, et cum sua classe littoribus Hiberniae applicuit. Illi vero, tanti regis terrore perterriti, Normannos accersierunt; quibus Arnulfus et auxiliarii ejus suppetias laturi advolarunt. Porro, congregati omnes formidabilem Magnum veriti sunt, nec praeliari cominus cum illo praesumpserunt; sed de proditione nefaria in ipsum machinari studuerunt.

Denique quidam faceti et eloquentes ad eum in dolo venerunt, et frivolis sponsionibus eumdem deceperunt, et de navibus egredi, ut provinciam viseret atque ad subjectionem sui reciperet cum paucis, persuaserunt. Ille vero, perfidis male credulus, ferratos in littore cuneos reliquit, et usque ad duo milliaria seductores secutus, perniciem suam quaesivit. Ibi enim ingentes inimicorum catervas latitantes invenit, quibus de latebris prosilientibus, audax Nordwigena, fugere dedignatus, praeliari fortiter coepit. Pauci contra innumeros resistere nequiverunt. Magnus rex dorsum ad arborem stans convertit, et clypeo protectus, missilibus plures sauciavit; sed, multitudine oppressus, proh dolor! interiit.

Quidam locuples Lincoliae civis thesaurum Magni regis servabat, eique ornamenta et vasa, vel arma, vel utensilia, vel alia regalibus ministeriis necessaria suppeditabat. Qui mortem regis comperiens, ad domum suam festinavit, et, de regali thesauro negociatus divitiis admodum exuberavit.

Anglorum autem rex, ut saepefati regis occasum audivit, quasi onere ingenti alleviatus exsultavit, et, post aliquod tempus, a Lincoliensi cive praedicti principis aerarium exquisivit. Denique civis veritatem commissi primo celavit; unde illum repente convictum rex comprehendit, et plus quam XX millia, ut fertur, libras argenti abstulit. Irenses, sanguine Magni regis, sociorumque ejus gustato, truculentiores effecti sunt, et ex improviso ad interimendos Normannos conversi sunt. Rex siquidem eorum filiam suam Arnulfo abstulit, ipsamque petulantem cuidam consobrino suo illicite conjunxit. Arnulfum vero ipsum interficere pro affinitatis remuneratione decrevit. Sed ille, barbarae gentis exsecrandas fraudes comperiens, ad suos aufugit, et fere XX annis sine certa sede postmodum vixit. Tandem jam senex, specietenus regi reconciliatus, uxorem duxit, et nuptiis factis, in crastinum post comestionem obdormivit, extremumque diem sortitus, paranymphis pro fescenninis lugubres threnos dereliquit.

Hostibus undique variabili fortuna illudente pessundatis, Henricus rex invaluit, et maxime Magni regis occasu tutior exstitit, ingentique censu ditatus intumuit.

Dans ce temps-là, Magnus, puissant roi des Norvégiens, fit le tour des îles Britanniques, et aborda avec une grande flotte dans celles qui étaient désertes, même en Irlande. Il y établit habilement des colonies, et y fit bâtir, à la manière des autres nations, des places fortes et des villages. C'est ce qui fit que les Irlandais conçurent contre lui une excessive jalousie, employèrent tous leurs efforts pour lui nuire, et tentèrent de perdre leurs ennemis, soit par la ruse, soit par la force. Le magnanime roi de Norwège attaqua les Irlandais, et vint avec sa flotte débarquer sur leurs rivages. Ceux-ci, qu'effrayait un roi si puissant, s'adressèrent aux Normands: Arnoul et ses auxiliaires volèrent à leur secours. Toutefois, s'étant réunis, ils redoutèrent le formidable Magnus, et n'osèrent entreprendre de le combattre de près; ils préférèrent employer contre lui une criminelle trahison.

Quelques hommes enjoués et éloquens allèrent perfidement trouver ce prince, le trompèrent par de vaines promesses, et lui persuadèrent de descendre de ses vaisseaux avec un cortége peu nombreux pour visiter la province et la recevoir à composition. Ce monarque, trop confiant dans ces hommes perfides, laissa sur le rivage ses bataillons armés, et, suivant ses ennemis jusqu'à deux milles dans les terres, marcha de lui-même à sa perte. En effet, il se trouva au milieu des corps nombreux de ses ennemis, qui s'élancèrent de leurs embuscades: l'intrépide Norvégien, dédaignant de fuir, se mit à combattre vaillamment. Une poignée d'hommes ne put résistera d'innombrables assaillans. Le roi Magnus leur fit face en s'adossant à un arbre, et, couvert de son bouclier, en blessa plusieurs avec les traits qu'il leur lança; mais, accablé par le nombre, il tomba mort misérablement.

Un riche habitant de Lincoln gardait le trésor du roi Magnus, et lui fournissait les ornemens, les vases, les armes, les meubles et les autres objets nécessaires à la maison du prince. Quand cet homme connut la mort de Magnus, il se rendit en toute hâte chez lui, et s'emparant du trésor royal, il devint extrêmement riche.

Cependant le roi des Anglais, ayant appris la mort du roi de Norwège, fut comblé de joie, comme s'il eût été délivré d'un énorme fardeau: quelque temps après, il réclama le trésor de ce monarque auprès de l'habitant de Lincoln. Cet homme commença par nier le dépôt: ce qui détermina le Roi à le faire arrêter aussitôt après l'avoir convaincu de mensonge, et il lui enleva, dit-on, plus de vingt mille livres d'argent. Les Irlandais ayant goûté du sang du roi Magnus et de ses compagnons, devinrent plus cruels, et se tournèrent à l'improviste vers les Normands pour les égorger. Le roi d'Irlande enleva à Arnoul sa fille, et maria illégitimement cette princesse à un de ses cousins. Il résolut de faire tuer Arnoul pour le récompenser de son alliance; mais celui-ci, découvrant l'exécrable perfidie de ce peuple barbare, s'enfuit vers ses compatriotes, et vécut ensuite pendant près de vingt années sans avoir d'asile certain. Enfin, devenu vieux, il se réconcilia avec le Roi, pour la forme seulement, se maria, et, après les noces, le lendemain il s'endormit à la suite du repas; puis, terminant sa carrière, laissa à l'assemblée de lugubres cantiques à chanter au lieu de chansons joyeuses.

Le roi Henri triompha de ses ennemis, accablés de toutes parts par divers accidens; il fut surtout fort rassuré par la mort du roi Magnus, et eut sujet de s'en féliciter, car il s'enrichit de grandes sommes d'argent.

 

VII. Ludovicus de Francia filius Philippi regis in Angliam transfretat. Bertrada ejus noverca in eum machinatur.--Henricus rex in Normanniam transit et Robertum ducem fratrem suum visitat.

Eodem tempore (49) , Ludovicus juvenis, permissu patris sui, cum paucis, sed sapientibus viris, in Angliam transfretavit, et regi Henrico spectabilis tiro serviturus, ad curiam ejus accessit; a quo, ut filius regis, honorifice susceptus est, et in omnibus apud illum benigniter habitus est. Porro, nuntius Bertradae, novercae illius, pedetentim illum secutus est, et apices sigillo Philippi, regis Francorum signatos, Henrico regi largitus est. Litteratus vero rex epistolam legit; qua perlecta, suos consiliarios advocavit, et cum eis diutius satis alacriter tractare coepit. In epistola quippe legerat quod Philippus, rex Franciae, sibi mandabat, ut Ludovicum, filium suum, qui ad curiam ejus accesserat, comprehenderet, et in carcere omnibus diebus vitae suae coerceret. Sapiens sceptriger, quam absurdum et inconveniens praeceptum per femineam procacitatem, Gallorum rex sibi mandaverit, cum legitimis baronibus solerter discussit, et tam scelestam, regique omnimodis incongruam factionem a se et suis omnibus repulit. Guillelmus autem de Buscheleio, sapiens miles, qui cum Ludovico erat, rem adhuc latentem animadvertit; unde, quasi jocaturus, ad concionem magnatorum non vocatus accessit. Protinus per illum rex Ludovico, ut pacifice recederet, benigniter mandavit, et tam ipsum quam socios ejus, multis honoratos muneribus, in Gallias remisit. Ludovicus itaque, novercae suae comperta fraude, patrem iratus adiit, et quod tam dira per apices suos in extera regione sibi procurasset, convenit. Ignarus nefariae proditionis, rex omnia denegavit, juvenisque in ira fervens, novercam interimere optavit. Porro, illa morte ipsum praeoccupare pluribus modis sategit, et, accersitis tribus de numero clericorum maleficis, pro perniciei ejus procuratione ingens pretium pepigit. Malefici quaedam nefaria secreta per aliquot dies agere coeperunt, et usque ad IX dies, si coepta peragerent, Ludovici lethum crudeli adulterae spoponderunt. Interea unus ex illis praestigia sociorum detexit, et, duobus captis, machinatio imperfecta, volente Deo, deperiit. Deinde procax noverca veneficos adhibuit, magnorumque pollicitationibus praemiorum sollicitavit, et regiam sobolem veneno infecit. Praeclarus itaque juvenis in lectum decidit, et per aliquot dies nec manducare, nec dormire potuit. Pene omnes Galli contristabantur, quod regis genuinus haeres periclitaretur. Tandem, cunctis Francorum archiatris fatiscentibus, quidam hirsutus de Barbarie venit, et apodixen medicinalis peritiae super desperatum juvenem exercere coepit, Deoque volente, indigenis medicis invidentibus, profecit. Haec nimirum inter ethnicos diu conversatus fuerat, et profunda physicae secreta subtiliter a didascalis indagaverat, quos diuturna investigatio philosophiae super omnes barbaros sophistas notitia rerum sublimaverat. Denique regia soboles convaluit, sed omni postmodum vita sua pallidus exstitit. Convalescente privigno, noverca ingemuit. Metus enim, pro malis quae olim illi procuraverat, odium pariebat, et quotidie multipliciter augebat. Quapropter exitium illi magnopere peroptaverat, et multis conatibus per plurimos iniquitatis complices procuraverat, ut et ipsa, de timore ejus, quem nimis offenderat, liberata, in principatu gloriaretur, et filios suos, Philippum et Florum, si ille moreretur, in regni solio securior intronizare moliretur. Supplex tandem pro venefica pater accessit, a filio culpabili novercae reatuum remissionem poposcit, emendationem promisit, et Pontisariam, totumque Vilcassinum pagum pro reconciliatione concessit. Ludovicus, consultu praesulum et baronum, quos sibi faventes satis agnovit, et pro reverentia paternae sublimitatis, facinus indulsit. Illa vero ad nutum ejus pro detecto scelere contremuit, et, rubore perfusa, ejus ancilla facta, indulgentiam obtinuit, atque ab illius infestatione, quem tot molestiis tentaverat, invita cessavit. Ludovicus autem, post quinque annos, patre defuncto, regnum Galliae obtinuit, et XXVII annis regnavit. Henricum vero, regem Anglorum, in quo magnam fidem, ut dictum est, invenerat, semper dilexit, nec unquam, nisi invitus, et per maledicos proditores, contra eumdem litigavit.

Radulphus de Conchis post obitum patris mare transfretavit, et a rege benigniter susceptus, paternos fundos recepit, atque Adelizam, Guallevi comitis et Judith, consobrinae regis, filiam, conjugem accepit, quae Rogerium et Hugonem et plures filias peperit. Sic alii proceres cordati socordem dominum dereliquerunt, et sensatum regem utiliter expetierunt, ac ut languenti Ecclesiae Dei, miseraeque regioni suffragaretur, lacrymabiliter postulaverunt. Multorum itaque Normannorum petitione benigniter pulsatus est, et a pluribus, tam clericalis quam laicalis ordinis, honorabilibus personis obnixe rogatus est ut paternam haereditatem, quae miserabiliter devastabatur, visitaret, suaque praesentia provinciam, quae rectore carebat, laetificaret, atque ad defensandum contra profanos praedones virga justitiae reciperet.

Anno ab Incarnatione Domini 1104, Henricus, Anglorum rex, cum magna classe in Normanniam transfretavit, et Danfrontem, aliaque oppida, quae ditioni ejus subdita erant, cum ingenti apparatu visitavit. A proceribus suis honorifice susceptus est, et copiosis muneribus regio ritu honoratus est. Rodbertus enim comes de Mellento et Richardus Cestrensis, Stephanus comes Albemarlae et Henricus Aucensis, Rotro Mauritoniensis et Eustachius Britoliensis, Radulfus de Conchis et Rodbertus filius Haimonis, Rodbertus de Monte Forti et Radulfus de Mortuomari, aliique plures magnos in Anglia de illo fundos tenebant, et in Neustria jam cum suis optimatibus ad illum conversi fuerant, et cum eodem contra omnes terrigenas dimicare parati fervebant. Deinde rex, post aliquot dies, fratrem suum ad colloquium accersiit, praesentem cum coessentibus parasitis convenit, redarguens quod pactum inter eos in Anglia foedus irritum fecerit, dum pacem cum Rodberto de Belismo, utriusque proditore, sine regis consilio compaginaverit, eique dominia patris sui contra jus et statutum dederit; quod latrunculis et raptoribus aliisque malefactoribus, segnitie torpens, deservierit ; quod, impudicis nebulonibus parens, totam illis Normanniam impune dimiserit; quod pastoris seu principis locum frustra occupaverit, dum rectoris officium ad commoditatem Ecclesiae Dei et inermis populi non exercuerit, quos indisciplinate persequentibus, velut oves lupinis in dentibus, ultro reliquerit. Rationabiliter et multum sapienter concio regis causam suam deprompsit, et multis, gravibusque reatibus ducem fraternum foedus violasse asseruit, quos ille, per vituperabiles collegas suos sese purgando, denegare non potuit. Sensu quippe et amicis destitutus erat, quia bonorum consortia et sapientum consilia parvipendebat, sed quae contraria erant, ad sui, multorumque detrimenta, miserabiliter appetebat. Variis itaque dux perplexitatibus causarum irretitus, cum suis consilium iniit, ac, ut debiliorem decebat, amicitiam potentioris petiit, eique Guillelmum, consulem Ebroarum, cum comitatu suo et omnibus sibi subjectis, concessit. Metuebant enim, tam ipse quam fautores sui, ne manifesto examine deprehenderetur, atque ducatu, quem nomine, non actione, gestabat, merito spoliaretur, aut formidabilem guerram per arma sceptrigeri fratris ad irreparabilem usque dejectionem pateretur. Praeclarus comes, ut se quasi equum vel bovem dandum audivit, frugalitatem suam, vel fidem servare volens, palam omnibus dixit: Omni vita mea patri vestro fideliter servivi, nec unquam ei promissam fidem in aliquo contaminavi; quam nihilominus haeredi ejus usque hodie servavi, et semper omni conatu servare decrevi. Sed, quia impossibile est, ut ipse Deus in Evangelio dicit, prout saepe a sophistis audivi, duobus dominis a se discrepantibus placide famulari, unius ditioni peropto mancipari, ne, geminis occupatus obsequiis, neutro possim gratus haberi. Regem et ducem diligo. Ambo enim sunt filii regis domini mei, et ambos appeto venerari; sed uni hominium faciam, eique, ut domino, legaliter serviam. Hoc dictum liberalis viri omnibus placuit.

 Tunc Rodbertus dux ipsum regi per manum porrexit, et, facta pace inter fratres, ante hiemem rex in Angliam remeavit. Mox vesani praedones guerram iterarunt, et quidquid rex ac patricii pro regionis communi salute constituerant, temere praevaricati sunt. Rodbertus enim de Belismo, regis, quem hostiliter oderat, profectui nimis invidens, contristatus est, et cum Guillelmo, nepote suo, Moritoliensi comite, et omnibus aliis, quos seducere poterat, regios fautores bello urgere conatus est. Tunc pestilentes indigenae plus quam dici potest, efferati sunt. Mox caedibus et rapinis provinciam maculaverunt, raptisque praedis et hominibus occisis, domos passim concremaverunt. Coloni vero cum uxoribus et liberis in Gallias fugerunt, et ingentes aerumnas in exsilio perpessi sunt. Sic nimirum Normanni, qui se Anglos et Apulos vicisse in suis sedibus gloriabantur, nunc lugubres et miseri Gallicis in arvis laborabant et lamentabantur. In hortis vero suis, qui, cultore carentes, in solitudine redigebantur, cardui et urticae, cum aliis inutilibus herbis, omnia replebant, nimiumque multiplicabantur.

Dans le même temps, le jeune Louis passa en Angleterre de l'aveu de son père avec un petit nombre de personnes sages, et se rendit à la cour du roi Henri, pour le servir en débutant brillamment dans la carrière militaire. Ce jeune prince fut reçu honorablement comme fils de roi par Henri, et fut par lui traité avec bonté dans toutes les circonstances. Cependant un courrier de Bertrade, belle-mère de Louis, le suivit à la piste, et remit au Roi des dépêches signées du sceau de Philippe, roi des Français. Henri, qui était lettré, en prit lecture; puis convoqua son conseil, et s'y occupa long-temps de cette affaire avec beaucoup de soin. En effet, il avait lu que le roi de France lui mandait de faire arrêter son fils Louis, qui s'était rendu à la cour d'Angleterre, et de le garder en prison toute sa vie. Le sage Henri discuta habilement avec ses fidèles barons tout ce qu'il y avait d'absurde et d'inconvenant dans la lettre que le roi des Français lui adressait à l'instigation d'une femme insolente, et repoussa bien loin de lui et de tous les siens une action si criminelle à tous égards. Guillaume de Buschelei, chevalier prudent qui accompagnait Louis, découvrit la chose qui était encore secrète. En conséquence, comme par plaisanterie, il se présenta, sans y être appelé, au milieu du conseil. Aussitôt le roi Henri le chargea d'engager Louis tout doucement à se retirer en paix, et le fit reconduire en France, lui et sa suite, après les avoir honorés de grands présens. Louis, ayant ainsi découvert la perfidie de sa belle-mère, se rendit en courroux auprès de son père, et lui rapporta les choses cruelles qu'il avait découvertes dans le pays étranger par ses dépêches. Le Roi, ignorant cette criminelle trahison, nia toute cette affaire, et le jeune prince enflammé de colère conçut le desir de tuer Bertrade; mais elle s'occupa par divers moyens à le prévenir dans cette tentative. Ayant fait venir trois sorciers qui appartenaient au clergé, elle leur donna une grande récompense pour qu'ils fissent périr le prince. Ils commencèrent à se livrer pendant quelques jours à des maléfices secrets, et promirent à cette adultère cruelle la mort de son ennemi, s'ils pouvaient terminer leurs coupables opérations d'ici à la neuvième journée. Sur ces entrefaites, l'un d'eux révéla les maléfices de ses complices: tous deux furent arrêtés, et, par la volonté de Dieu, leur manœuvre imparfaite avorta. Ensuite l'audacieuse marâtre employa des empoisonneurs, les tenta par la promesse de grandes récompenses, et fit donner du poison au fils du Roi. Il en résulta que l'illustre jeune homme tomba malade, et pendant quelques jours, ne put ni manger ni dormir. Presque tous les Français étaient désolés du danger que courait l'héritier naturel de leur Roi. Enfin les médecins de la France ayant épuisé leurs talens, un certain homme, à demi sauvage, se présenta, et se mit à exercer, sur le malade désespéré, tous les moyens de son habileté médicale: avec la permission de Dieu, il réussit malgré la jalousie des médecins du pays. Cet homme avait demeuré long-temps parmi les Païens; il y avait subtilement appris les profonds secrets de la physique de quelques maîtres qu'une longue étude de la philosophie avait élevés, dans la connaissance des choses, au-dessus de tous les sophistes barbares. Enfin le fils du Roi se rétablit; mais il resta pâle tout le reste de sa vie. La marâtre gémit beaucoup de voir la convalescence de son beau-fils: la crainte qu'elle éprouvait à cause des maux qu'elle lui avait autrefois suscités, excitait sa haine, qui chaque jour s'aigrissait davantage. C'est pourquoi elle avait vivement travaillé à la perte du prince, et s'en était occupée avec une grande ardeur, en employant plusieurs complices de son iniquité, afin que, délivrée de la crainte de celui qu'elle avait trop offensé, elle triomphât sur le trône, et s'occupât, s'il venait à mourir, à y placer avec plus de sécurité ses fils Philippe et Florus. Le Roi suppliant implora son fils en faveur de Bertrade, lui demanda le pardon des crimes commis par cette coupable marâtre, promit qu'elle se corrigerait, et pour gage de la réconciliation lui céda Pontoise et tout le Vexin. D'après l'avis des prélats et des barons qu'il reconnut assez lui être favorables, et par respect pour la majesté paternelle, Louis accorda le pardon. Bertrade, voyant ainsi son crime découvert, trembla d'effroi; couverte de honte et se soumettant comme une servante, elle obtint son pardon, et bien malgré elle cessa de nuire au prince, auquel elle avait suscité tant de maux. Au bout de cinq ans, Philippe étant mort, Louis monta sur le trône de France, et régna vingt-sept ans. Il aima toujours Henri, roi des Anglais, dans lequel, comme nous l'avons dit, il avait trouvé beaucoup de bonne foi; et il n'eut jamais de querelles avec lui que contre son gré, et par la suggestion de traîtres calomniateurs.

Raoul de Conches, après la mort de son père, passa en Angleterre, et, bien accueilli par le Roi, obtint l'héritage paternel; puis il épousa Adelise, fille du comte Guallève et de Judith, cousine de ce monarque, de laquelle il eut Roger, Hugues et plusieurs filles. C'est ainsi que plusieurs autres seigneurs, pleins de cœur, abandonnèrent leur duc qui en manquait, se rendirent sagement auprès d'un monarque prudent, et le prièrent, les larmes aux yeux, de venir au secours de l'Eglise de Dieu qui souffrait, et du pays qui était malheureux. Henri fut donc invité par un grand nombre de Normands, et prié instamment par les plus honorables personnages, tant du clergé que de l'ordre laïque, devenir visiter l'héritage de ses pères, qui était misérablement ravagé, d'accorder la satisfaction de sa présence à cette province qui manquait de guide, et de la recevoir pour la défendre avec la verge de l'équité contre de profanes brigands.

L'an de l'incarnation du Seigneur 1104, Henri, roi des Anglais, passa en Normandie avec une flotte considérable, et visita en grande pompe Domfront et les autres places qui lui appartenaient. Reçu avec de grands honneurs par les seigneurs de la contrée, il fut comblé de magnifiques présens, comme on en use avec les rois. Robert, comte de Meulan, Richard, comte de Chester, Etienne, comte d'Aumale, Henri, comte d'Eu, Rotrou, comte de Mortagne, Eustache, comte de Breteuil, Raoul de Conches, Robert, fils d'Haimon, Robert de Montfort, Raoul de Mortemer, et plusieurs autres, tenaient de lui des terres considérables en Angleterre; ils avaient, avec leurs vassaux, embrassé son parti en Normandie, et ils étaient tous prêts à combattre sous lui avec ardeur contre tous les habitans. Quelques jours après, le roi appela son frère à une entrevue; il s'aboucha avec lui en présence de ses parasites; il le blâma d'avoir rendu inutile le traité qu'ils avaient conclu en Angleterre, puisqu'il avait, sans son avis, fait la paix avec Robert de Bellême, qui les trahissait tous deux; de lui avoir donné les domaines de leur père, contre le droit et les lois; de s'abandonner, engourdi de mollesse, aux brigands, aux ravisseurs, et aux autres bandits; de laisser impunément toute la Normandie sous la main des libertins dont il était l'esclave; d'occuper inutilement la place de pasteur et de prince, puisqu'il ne gouvernait pas pour l'avantage de l'Église de Dieu et du peuple désarmé, qu'il laissait persécuter sans mesure, comme les brebis livrées à la dent des loups. Le Roi s'expliqua dans un discours plein de raison et de sagesse: il dit que le duc avait violé le traité fraternel par des infractions graves et nombreuses qu'il ne pouvait nier, et dont il ne pouvait se justifier par ses méprisables associés. En effet, le duc était privé de raison et d'amis, parce qu'il faisait peu de cas de la société des gens de bien et de l'avis des sages, et recherchait follement ce qui lui était contraire, au grand détriment de ses intérêts et de ceux de beaucoup de personnes. Le duc, embarrassé dans ses affaires, prit conseil de ses amis, et, comme il convenait au plus faible, implora l'amitié du plus puissant: il lui céda Guillaume, comte d'Evreux, avec son comté et tous ses vassaux. Il y fut déterminé, parce qu'il craignait, ainsi que ses adhérens, d'être vaincu, à force ouverte, de se voir justement dépouillé du duché qu'il ne gouvernait que de nom, et d'avoir à soutenir une formidable guerre contre les armes de son frère, qui l'anéantiraient d'une manière irréparable. L'illustre comte, entendant qu'on le donnait comme un cheval ou comme un bœuf, voulant rester fidèle à ses vertus et à sa parole, dit publiquement: «J'ai toute ma vie servi fidèlement votre père; je n'ai jamais, en quoi que ce soit, violé la foi que je lui ai jurée; je l'ai aussi conservée jusqu'à ce jour à son héritier, et j'ai résolu d'y tenir toujours de tous mes efforts. Ainsi que Dieu le déclare dans l'Evangile, et que je l'ai souvent entendu dire aux gens sages, comme il est impossible de bien servir deux maîtres qui ne sont point d'accord, je veux ne me soumettre qu'à une puissance, de peur qu'occupé d'une double obéissance, je ne puisse plaire à aucune des deux. J'aime le roi et le duc, car tous deux sont fils du Roi mon maître; je desire leur témoigner mon respect à l'un et à l'autre, mais je ne rendrai hommage qu'à un seul, et je n'obéirai loyalement qu'à lui comme à mon seigneur.» Ce discours d'un homme généreux convint à tout le monde.

Alors le duc Robert présenta le comte par la main au Roi; et la paix étant conclue entre les deux frères, Henri repassa en Angleterre avant l'hiver. Bientôt des brigands insensés recommencèrent la guerre, et contrevinrent témérairement à tout ce que le Roi et les grands avaient fait pour le salut commun du pays. En effet, Robert de Bellême, portant une excessive envie aux avantages qu'avait obtenus le Roi, qu'il haïssait violemment, en éprouva une grande affliction, et, de concert avec Guillaume son neveu, comte de Mortain, et tous ceux qu'il put séduire, s'efforça de faire la guerre avec acharnement aux partisans du Roi. Alors les mauvais sujets du pays se portèrent à des excès plus grands qu'on ne peut dire: bientôt ils souillèrent le pays de meurtres et de brigandages, et livrèrent partout les habitations à l'incendie, après les avoir pillées et avoir massacré les habitans. Les cultivateurs s'enfuirent en France avec leurs femmes et leurs enfans, et souffrirent de grandes peines pendant cet exil. C'est ainsi que les Normands, qui se glorifiaient d'avoir vaincu les Anglais et les Apuliens dans leur propre pays, maintenant attristés et malheureux, travaillaient et gémissaient dans les campagnes de la France. Dans leurs jardins, qui, faute de culture, étaient réduits en déserts, les chardons et les orties, ainsi que les autres plantes sans utilité, couvraient le sol et se multipliaient à l'excès.

 

VIII. Ecclesiae tribulationes. Serlo Sagiensis episcopus Henricum regem et ejus proceres ad barbam et capillos tondendos incilat.

Inter haec sancta Ecclesia vehementer opprimebatur, et, dum funera innocuae prolis, irreparabilesque ruinas animarum frequenter contemplaretur, levatis cum corde puris manibus, Sponsum suum, qui coelis praesidet, ad auxilium suimet deprecabatur. Lacrymabilis planctus lugubris Normanniae trans fretum diffusus est, et querimoniis desolatorum rex Anglorum accitus est. Gunherius de Alneio, qui Baiocas servabat, et Rainaldus de Guarenna, qui partibus ducis favebat, aliique satellites ducis foedera pacis ruperunt, et Rodbertum, Haimonis filium, aliosque nonnullos de familia regis ceperunt, et in carcere diutius, tam pro cupiditate redemptionis, quam pro contemptu et odio domini eorum, coarctaverunt. Unde impiger rex, ut haec audivit, classem parari praecepit. In Neustriam vere transfretavit, et in ultima Quadragesimae septimana [1105], portum qui Barbaflot dicitur applicuit, et Sabbato Paschae super vada Virae, in vico qui Carentomus vocatur, hospitatus quievit.

Tunc venerabilis Serlo, Sagiensis episcopus, illuc advenit. Primus Normannorum suum regi servitium exhibens, occurrit, ibique Regi regum initiata Paschae solemnia celebravit. Cumque, sacris indutus vestibus, in ecclesia cum rege consisteret, et sacrum officium jam inchoare vellet, sed conventum plebis et familiae regis patienter exspectaret, basilicam archis pagensium cum variis utensilibus et multimoda supellectili occupatam perspexit, et longo trahens cum moerore suspiria, regi, qui satis humiliter inter cistas rusticorum in imo loco sedebat cum quibusdam magnatis, dixit: Omnium corda fidelium merito lugere debent, qui sanctae matris Ecclesiae conculcationem, moestaeque plebis dejectionem vident. Ecce satis apparet in hac domo quod miserabiliter depopulatur Constantini regio! Imo tota Normannia, profanis subdita praedonibus, rectore caret idoneo. Domus orationis olim dicta est basilica Dei, quam nunc potestis cernere turpiter impletam immunda supellectili; et aedes, in qua solummodo divina sacramenta debent peragi, pro penuria justi defensoris, facta est apotheca populi. Convenientes nequeunt ante aram genua reverenter flectere, nec delectabiliter et devote, ut decet, ante divinam majestatem astare, pro multimodis speciebus, quas inerme vulgus huc in domum Domini contulit, pro sceleratorum timore. Praesidium itaque vulgi facta est ecclesia, quamvis nec in ipsa sit ei securitas perfecta. Hoc enim in anno, Rodbertus de Belismo ecclesiam de Tornaco, in mea scilicet dioecesi, concremavit, et in eadem XLV promiscui sexus homines exstinxit. Haec gemens in conspectu Dei recolo. Haec etiam, domine rex, ideo in auribus tuis enarro, ut animus tuus zelo Dei accendatur, et Phinees (Num. XXV, 7) atque Mathatiam (I Mach. II, 24) , ejusque filios imitari conetur. Haud segnis in nomine Domini exsurge, paternam haereditatem justitiae gladio tibi nanciscere, et de manu pessimorum avitam possessionem, populumque Dei erue. Frater quippe tuus Normanniam non possidet, nec ut dux principatur populo suo, quem per rectitudinis callem ducere deberet, sed segnitie torpet, atque Guillelmo de Conversana et Hugoni de Nonanto, qui Rothomago praesidet, et Gunherio, nepoti ejus, aliisque indignis subjacet. Proh dolor! quia magni ducatus divitias in nugis et vanitatibus dissipat, ipse pro penuria panis ad nonam usque multoties jejunat. Plerumque de lecto surgere non audet, nec pro nuditate sui ad ecclesiam procedere valet, quia femoralibus, caligisque et subtolaribus caret. Scurrae nimirum et meretrices, quae illum frequenter comitantur, vestes ejus, dum ebrietate madens stertit, noctu furantur, et cum cachinnis sese ducem spoliasse gloriantur. Sic languente capite, totum corpus infirmatur, et principe desipiente, tota regio periclitatur, et misera plebs omnimodis desolatur. A temporibus Rollonis, qui Normannorum primus Neustriae praefuit, et de quo vestra propago prodiit, usque ad hunc defectivum, strenuis ducibus Normannia subjacuit. Pro tanta natalis soli aerumna, probe rex, utiliter irascere, et, sicut David propheta et rex commonet, noli peccare (Psal. IV, 5) , arma sumens pro defensione patriae, non pro terrenae potestatis augendae cupiditate.

His episcopi dictis rex animatus est, et audita optimatum, qui aderant, sententia, sic locutus est: In nomine Domini, pro pace ad laborem exsurgam, et quietem Ecclesiae, vobis adjuvantibus, summopere perquiram.

Ad hoc consilium corroborandum Mellenticus comes adfuit, nec inde aliorum, qui aderant, nobilium consensus abhorruit; quinimo communem patricium pro generali tutela Neustriae in devoratores populi bellum inire vivaciter hortatus incitavit.

Rursus eloquens praesul praedicationi sacrae institit, et sui salubriter memor officii, adjunxit: Indesinenter quotidie debemus vitae viam investigare, et in omnibus divinae legi, quae irreprehensibilis est, obsecundare; et, quamvis omnia, quae culpabiliter in occulto aguntur, non possimus ad purum emendare, ea saltem, quae in propatulo contra Deum fiunt, gladio spiritus decet resecare, et a nobis, secundum mandata Dei et sanctorum instituta Patrum, omnimodis amputare. Omnes femineo more criniti estis, quod non decet vos, qui ad similitudinem Dei facti estis, et virili robore perfrui debetis. Viros quippe cirritos esse, quam incongruum et detestabile it, Paulus apostolus, vas electionis et doctor gentium, Corinthiis sic ait: « Vir quidem non debet velare caput suum, quoniam imago et gloria est Dei; mulier autem gloria est viri (I Cor. XI, 7) . » Et paulo post: « Vir quidem si comam nutriat, ignominia est illi; mulier vero si comam nutriat, gloria est illi, quoniam capilli pro velamine ei dati sunt (ibid. 15) . » Poenitentibus non pro decore seu delectamine injungitur ut non radantur, nec tondeantur; ut, sicut criminibus hirsuti et interius incompti ante Deum apparent, sic exterius hispidi et intonsi coram hominibus ambulent, et deformitatem interioris hominis per exteriorem ignominiam demonstrent. In barba prolixa hircis assimilantur, quorum petulantiae sordibus fornicarii et catamitae turpiter maculantur, et impudicitiae detestabili fetore honestis abominabiles jure judicantur. In nutrimento autem comarum mulierum sequaces aestimantur, quarum mollitie a virili fortitudine ad nefas pertrahuntur, et plerumque in detestabilem apostasiam misere devolvuntur. Proh dolor! Ecce felix medicamentum quod doctores Ecclesiae, qui spirituales archiatri sunt, pro salute animarum, instinctu divino, jamdudum provide constituerunt, filii perditionis, ad cumulum suae damnationis, instigante Satana, usurpaverunt, jamque longo usu violenter in consuetudinem permutaverunt. Romani pontifices, aliique antistites, temerariam usurpationem prohibuerunt, et in synodis suis ex auctoritate divina condemnaverunt; sed transgressores indurati pravitatibus male desipiunt, et scutum malitiae stimulo sanctae praedicationis obnixe objiciunt. Barbas suas radere devitant, ne pili suas in osculis amicas praecisi pungant, et setosi Sarracenos magis se quam Christianos simulant. Ecce squalorem poenitentiae converterunt in exercitium luxuriae! Pervicaces nempe filii Belial capita sua comis mulierum comunt, et in summitate pedum suorum caudas scorpionum gerunt, quibus se per mollitiem femineos, et per aculeos nempe serpentinos ostendunt. Hoc genus hominum in specie locustarum Symmista Joannes ante mille annos prospexit, et in Apocalypsi sua, quam in Pathmos insula edidit, evidenter nobis enucleavit. Multi nimirum tantae pravitatis usum sequuntur, nescientes tantum esse nefas in capillatura qua gloriantur. Unde, gloriose rex, obsecro te ut exemplum subjectis praebeas laudabile, et in primis videant in te qualiter debeant praeparare se.

His itaque dictis, rex cum optimatibus cunctis exsultans acquievit, et alacer episcopus continuo de mantica forcipes extraxit, et prius regem ac postmodum comitem, proceresque plurimos propriis manibus totondit. Omnis familia regis et convenientes undecunque certatim attonsi sunt, et, edictum principale formidantes, pretiosos olim capillos praesecuerunt, et amicam dudum caesariem, ut viles quisquilias, pedibus conculcaverunt. Celebrata Paschali festivitate, rex Anglorum legatos Philippo, regi Francorum, destinavit, et Goisfredum Martellum, comitem Andegavorum, accersiit, ultionemque super inimicos Ecclesiae Dei viriliter exercuit.

Au milieu de ces calamités, la sainte Eglise était violemment opprimée, et, contemplant fréquemment la mort des enfans innocens et la perte irréparable des ames, élevant vers le Ciel un cœur et des mains pures, elle invoquait l'assistance de son époux, qui préside au firmament. Les pleurs et les gémissemens de la Normandie en deuil passèrent le détroit, et le roi des Anglais se rendit aux plaintes de tant de malheureux désolés. Gunhier d'Aunai, qui avait la garde de Bayeux, Rainauld de Varenne, qui tenait au parti du duc, et les autres satellites de ce prince rompirent le traité de paix, prirent Robert, fils d'Aimon, et quelques autres des gens du Roi, qu'ils gardèrent longtemps en prison, autant pour le desir de la rançon que par mépris et par haine pour le Roi leur maître. Aussitôt que ce monarque vigilant eut appris ces choses, il fit équiper une flotte; au printemps, il passa en Normandie, et, dans la dernière semaine du Carême15, aborda au port que l'on appelle Barfleur16: le samedi de Pâques, il prit ses logemens, et se reposa dans un bourg que l'on nomme Carentan17, sur les gués de la Vire18.

Alors le vénérable Serlon, évêque de Séès, arriva en ce lieu. Il accourut le premier de tous les Normands offrir ses services à Henri, et célébra, pour le Roi des rois, les solennités pascales. Comme il entrait dans l'église, revêtu de ses habits pontificaux, qu'il se trouvait auprès du Roi, et voulait commencer l'office, en attendant patiemment la réunion du peuple et des gens du prince, le prélat s'aperçut que l'église était encombrée des meubles des paysans, de divers ustensiles, et de toutes sortes d'effets. Alors poussant avec douleur de longs soupirs, il dit au roi Henri, qui était assis avec quelques grands dans un endroit peu convenable, au milieu des paniers de ces laboureurs: «Les cœurs de tous les fidèles ont bien raison de s'affliger de voir l'avilissement de l'Eglise leur sainte mère, et l'abattement de ce peuple affligé. Il est assez évident ici que le Cotentin est misérablement dévasté, et que même toute la Normandie, subjuguée par des brigands profanes, est privée d'un chef habile. La maison de la prière était autrefois appelée la basilique de Dieu, et vous la pouvez voir aujourd'hui honteusement remplie de cet immonde attirail; les édifices dans lesquels on ne doit célébrer que les divins sacremens sont devenus les magasins du peuple privé d'un juste défenseur. Les assistans ne peuvent fléchir le genou devant l'autel, ni se présenter devant la majesté divine avec la satisfaction et la dévotion convenables, à cause de cet encombrement d'objets de toute espèce que le peuple sans défense apporte dans la maison de Dieu, pour les soustraire aux scélérats qui le remplissent d'effroi. Ainsi l'Eglise est devenue la sauvegarde du peuple, quoiqu'elle-même ne goûte pas une sécurité parfaite. Dans cette année même, Robert de Bellême a brûlé dans mon diocèse l'église de Tournai19, et il y a fait périr quarante-cinq personnes des deux sexes. C'est en gémissant que je rapporte ces détails en présence de Dieu. Seigneur Roi, je fais parvenir ces choses à votre oreille, afin que votre esprit s'enflamme du zèle de Dieu et s'efforce d'imiter Phinée, Matthathias et ses fils. Levez-vous avec ardeur au nom du Seigneur; faites, avec le glaive de la justice, l'acquisition de l'héritage paternel; arrachez de la main des méchans les possessions de vos aïeux et le peuple de Dieu. En effet, votre frère ne possède pas la Normandie; il ne commande pas comme doit le faire un duc à son peuple, qu'il devrait conduire par les sentiers de l'équité; il est engourdi dans la nonchalance, et subjugué par Guillaume de Conversano, par Hugues de Nonant, qui gouverne Rouen, par Gunhier, neveu de Hugues, et par d'autres indignes personnages. Quelle douleur! comme il dissipe en bagatelles et en frivolités les richesses de son puissant duché! il est souvent, faute de pain, obligé de jeûner jusqu'à nones. La plupart du temps il n'ose se lever de son lit, et, faute de vêtemens, il ne peut aller à l'église, parce qu'il manque de culottes, de bottines et de souliers. Les bouffons et les courtisanes qui l'accompagnent fréquemment, lui dérobent la nuit ses vêtemens pendant qu'il dort cuvant son vin, et se font gloire en riant d'avoir dépouillé le duc. C'est ainsi que quand la tête souffre, tout le corps est malade: sous un prince insensé, tout le pays est en péril, et le peuple, en son malheur, est désolé de toutes manières. Depuis le temps de Rollon, qui le premier des Normands commanda à la Neustrie, et dont vous tirez votre origine, jusqu'à ce prince vicieux, la Normandie a toujours eu des chefs courageux. Dans cette grande affliction du sol natal, généreux monarque, livrez-vous à un utile courroux, et, comme le roi prophête David nous le dit, ne péchez pas, et prenez les armes pour la défense de la patrie, et non pour l'ambition d'accroître votre puissance terrestre.»

A ce discours de l'évêque, le Roi fut enflammé d'ardeur, et ayant pris conseil des grands qui l'entouraient, il parla en ces termes: «Au nom du Seigneur, je m'exposerai aux fatigues pour obtenir la paix, et, avec votre aide, je chercherai soigneusement les moyens de rendre le repos à l'Eglise de Dieu.»

Le comte de Meulan appuya cette détermination, et aucun des autres seigneurs présens ne fut d'un avis différent: au contraire, ils exhortèrent vivement et engagèrent le père commun à faire pour l'avantage général de la Normandie une guerre vigoureuse a ceux qui dévoraient le peuple.

L'éloquent prélat reprit sa sainte prédication, et, se souvenant sagement de ses devoirs, il ajouta: «Nous devons tous les jours chercher la bonne route de la vie et obéir en toutes choses à la loi divine, qui est infaillible. Quoique nous ne puissions prévenir tout ce qui se fait de coupable en secret, du moins, pour ce qui se fait contre Dieu en public, il convient de le frapper du glaive de l'esprit, et de le retrancher de nous par tous les moyens, selon les préceptes divins et les institutions des saints Pères. Tous, comme les femmes, vous portez de longs cheveux; c'est ce qui ne peut vous convenir à vous qui êtes faits à la ressemblance de Dieu, et devez jouir d'une force virile. L'apôtre Paul, ce vase d'élection, ce docteur des nations, fait voir ainsi aux Corinthiens combien il est inconvenant et détestable que les hommes portent de longs cheveux. L'homme ne doit pas voiler sa tête, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu; quant à la femme, elle est la gloire de l'homme.» Il ajoute un peu après: «Si l'homme entretient sa chevelure, c'est une honte pour lui; tandis que si la femme prend soin de ses cheveux, c'est un honneur pour elle, puisqu'ils lui ont été donnés pour lui servir de voile. Ce n'est pas pour leur ornement ou leur plaisir que l'on ordonne aux pénitens de ne pas se raser la barbe, et de ne pas couper leurs cheveux. En effet, comme ils se montrent devant Dieu les cheveux hérissés et l'intérieur négligé, de même ils marchent devant les hommes dans cet état extérieur, et manifestent par l'ignominie du dehors difformité du dedans. Par leur longue barbe, ils ressemblent à des boucs dont les libertins et les courtisanes imitent honteusement l'infâme lubricité; et les honnêtes gens les regardent à bon droit comme abominables à cause de la détestable odeur de leurs débauches. Quant à ceux qui soignent leur chevelure, ils se font imitateurs des femmes dont la mollesse les conduit au crime en les éloignant de la force virile, et souvent les précipite misérablement dans une exécrable apostasie. Quelle douleur! Voici; l'heureux remède que les docteurs de l'Eglise, qui sont les médecins spirituels, ont dès long-temps établi avec prudence d'après l'inspiration de Dieu pour le salut des ames, les enfans de la perdition, à l'instigation de Satan, s'en sont servi pour mettre le comble à leur damnation, et, par un long usage, l'ont changé en habitude. Les pontifes romains et les autres prêtres se sont opposés à cette téméraire usurpation, et l'ont condamnée dans leurs conciles d'après l'autorité divine; mais les prévaricateurs endurcis persistent follement et opposent opiniâtrément le bouclier de la malice aux traits de la sainte prédication. ils évitent de se raser de peur que leur barbe coupée ne blesse les maîtresses auxquelles ils donnent des baisers, et, couverts de soie, ils imitent beaucoup plus les Sarrasins que les Chrétiens. Voilà qu'ils ont tourné l'extérieur négligé du pénitent en appareil de luxure. En effet, ces fils obstinés de Bélial se couvrent la tête de la chevelure des femmes, tandis qu'ils portent au bout de leurs pieds des queues de scorpion, se montrant ainsi femmes par la mollesse, et serpens par l'aiguillon. Cette espèce d'hommes a été désignée sous la forme de sauterelles, il y a mille ans, par Jean dans l'Apocalypse qu'il publia à Patmos, et dans laquelle il nous donne à cet égard des détails évidens. Beaucoup de personnes suivent l'habitude d'une si grande perversité, ignorant combien est criminelle la chevelure dont ils se parent. C'est pourquoi, glorieux monarque, je vous prie de donner à vos sujets un louable exemple; que surtout ils voient par vous-même comment ils doivent se coiffer.»

A ces mots, le Roi et tous les grands obéirent avec joie, et l'expéditif prélat tira aussitôt de sa manche des ciseaux, et tondit de ses propres mains d'abord le Roi, puis le comte de Meulan, et plusieurs autres seigneurs. Toute la suite du Roi et les assistans se firent de tous côtés tondre à l'envi, et, craignant les édits du prince, coupèrent leurs cheveux, qui leur semblaient si précieux naguères, puis foulèrent aux pieds comme de viles ordures cette chevelure qu'ils avaient chérie long-temps. Après avoir célébré les fêtes de Pâques, le roi des Anglais envoya des ambassadeurs à Philippe, roi des Français; il manda Geoffroi-Martel, comte des Angevins, et déploya virilement sa vengeance contre les ennemis de Dieu.

IX. Buamundus Antiochiae dux in Franciam venit. Eventus varii.--Henricus rex et Robertus frater ejus de pace ineunda frustra laborant.

Anno ab Incarnatione Domini 1106, mutationes principum in orbe factae sunt, et plures passim memorandae res contigerunt. Nam in ultima Februarii hebdomada mirabilis cometes in Hesperiae partibus apparuit, longissimosque crines in Eoas partes emittens, multorum corda terruit, et per tres septimanas sero rutilans, multa de secretis hominum verba elicuit.

Mense Martio, Buamundus dux, sicut in carcere Dalimanni Domino voverat, in Gallias venit, et in pago Lemovicensi votum ad Sancti Leonardi confessoris tumulum celebre complevit. Qui, antequam Gallias attingeret, legatos suos in Angliam direxerat, et de adventus sui causa in Ausoniam regi mandaverat, et quod ad curiam ejus transfretare vellet insinuaverat. At contra providus rex, metuens ne sibi electos milites de ditione sua subtraheret, mandavit ei ne discrimen hibernae navigationis subiret; praesertim cum ipse rex in Neustriam ante azymorum celebria transfretaret, ibique satis secum colloqui valeret. Quod et ita factum est.

Buamundus itaque, postquam Nobiliacum, ubi confessoris almi mausoleum est, peractis orationibus, deseruit, Quadragesimali tempore Galliarum urbes et oppida peragravit, et ubique tam a clero quam a plebe venerabiliter susceptus, referebat varios eventus quibus ipse interfuit. Reliquias vero et pallas olosericas et alia concupiscibilia sanctis altaribus reverenter exhibuit, et ipse, in monasteriis ac episcopatibus favorabiliter exceptus, tripudiavit, ac pro benignitate Occidentalium Deo gratias retulit. Filium Diogenis Augusti, aliosque de Graecis seu Thracibus illustres secum habebat; quorum querela de Alexio imperatore, qui per proditionem illis antecessorum stemmata suorum abstulerat, magis ad iram contra eum feroces Francos incitabat. Multi nobiles ad eum veniebant, eique suos infantes offerebant, quos ipse de sacro fonte libenter suscipiebat, quibus etiam cognomen suum imponebat. Marcus quippe in baptismate nominatus est; sed a patre suo, audita in convivio joculari fabula de Buamundo gigante, puero jucunde impositum est. Quod nimirum postea per totum mundum personuit, et innumeris in tripartito climate orbis alacriter innotuit. Hoc exinde nomen celebre divulgatum est in Galliis, quod antea inusitatum erat pene omnibus Occiduis.

Saepefatus heros cum Philippo rege colloquium habuit, et Constantiam, ejus filiam, sibi conjugem requisivit. Tandem post Pascha Carnoti eam desponsavit; quibus Adela comitissa convivium abundans omnibus praeparavit. Ibi rex Francorum cum magna multitudine suorum adfuit, et filiam suam, quam Hugoni, Trecassino comiti, nescio quam ob rem, abstulerat, Buamundo porrexit. Tunc idem dux, inter illustres spectabilis, ad ecclesiam processit, ibique ante aram Virginis et Matris in orcistram conscendit, et ingenti catervae, quae convenerat, casus suos et res gestas enarravit, omnes armatos secum in imperatorem ascendere commonuit, ac approbatis optionibus urbes et oppida ditissima promisit. Unde multi vehementer accensi sunt, et, accepta cruce Domini, omnia sua reliquerunt, et quasi ad epulas festinantes, iter in Jerusalem arripuerunt. Radulfus enim de Ponte Erchenfredi, qui cognominatus est Rufus, et Guascelinus, frater ejus, Simon de Aneto et Rodbertus de Manlia, cum Hugone Sine-habere, consobrino suo, et multi alii profecti sunt, quorum nomina nequeo sigillatim litteris assignare.

Eodem anno [1105] res in Normannia contigit hujusmodi. Rodbertus de Stotevilla, vir fortis et potens, duci admodum favebat, et familias ejus ac munitiones in Caletensi regione providebat. In die siquidem Paschae, dum capellanus ipsum et familiam ejus communicaret, et quidam miles Eucharistiam percepturus ad aram rite accederet, presbyter panem coelestem accepit, in os hominis apertum mittere voluit, sed nullatenus manum desuper ara movere potuit. In hujusmodi difficultate vehementer uterque perterritus est. Tandem sacerdos dixit ei: Si potes, accipe. Ego enim nullatenus valeo manum movere, nec Dominicum corpus tibi porrigere. At ille super aram collum extendit, obnixe ad calicem appropinquavit, et hianti ore oblatam de manu presbyteri assumpsit. Pro insolito eventu eques erubuit: futurorum nescius, infortunia pertimuit; unde plura de vestibus, aliisque rebus suis, clericis et pauperibus distribuit. Deinde in prima congressione, quae post Pascha facta est, idem Marronae, in vicinio Rothomagi, occisus est. Hoc idem capellanus, nomine Rodbertus, mihi retulit, quod in vivificis, ut dictum est, mysteriis sibi et infortunato militi contigit.

Tunc Fulco, Divensium abbas, III Nonas Aprilis [1105] apud Guentam in Anglia defunctus est, et Rodbertus, quidam miserabilis homuncio, datis duci CXL marcis argenti, ejus in loco intrusus est. Hic autem, professione monachus Sancti martyris Dionysii, non pastor, sed dispersor factus est gregis Dominici, et multis noxius, utpote sectator Simonis Magi. Coenobitae siquidem a facie lupi devoratoris fugerunt, et in aliis monasteriis, animas suas salvare cupientes, dispersi sunt. Ipse vero supra Divam in coenobio castellum construxit, familiamque militum aggregavit, et sic Dei templum speluncam latronum effecit. Ecclesiastica quoque ornamenta, quae fideles sollicite procuraverant, vendidit, et simonialis munio ad subsidium satellitum suorum distraxit.

Mense Maio, phlegmatica pestis per totum Occidentem discurrit, et, catarrho graviter molestante, omnis oculus ploravit, et per omnem Galliam, ubi tunc eram, omnium maxilla lacrymis maduit. Aestas, calore asperrima, messes ad maturitatem perduxit, cui similis autumnus pedetentim successit. Causon et febres, aliaeque infirmitates terrigenas valde afflixerunt, et multos languentes in lectum prostraverunt.

Eodem mense, Goisfredus Martellus, Andegavorum comes, Condatum oppidum super Normannum de Monte Revelli obsedit, et viriliter expugnavit. Erat enim idem strenuus et fortis justitiarius, et cum virga disciplinae acriter imminebat furum atque praedonum cervicibus, quibus pater ejus parcere jamdudum erat solitus, quia in praedis eorum et latrociniis cum eisdem laetabatur crebrius, acceptis inde sibi portionibus. Deinde, postquam adolescens crevit, et ingentem nequitiam per patris sui detestabilem incuriam in Andegavensi provincia ebullire prospexit, zelo Dei compunctus, miserae regioni, quae omnibus bonis abundaret, si pace potiretur, condoluit.

Tandem ipse, jussu Goisfredi, patrui sui, qui legitimus haeres erat (sed perjurus ei Fulco dignitatem consulatus abstulerat, ipsumque apud Chinonem castrum fere XXX annis in carcere reclusum tenuerat, unde, venerabili Urbano papa praesente et imperante, vix absolutus exierat), annuente nihilominus patre, Andegavensem comitatum accepit, summoque conatu rectitudinem simplicibus et egenis exercuit, Ecclesiaeque Dei sinceram pacem laudabiliter servavit. Auxiliante Deo, totam in brevi provinciam pacavit, et pene omnes antecessores suos virtute et justitia gloriose praecessit; sed consummatus in brevi tempora multa explevit. Post triennium principatus sui Condatum, ut supra dixi, obsedit, et rebelles inclusos militari probitate insigniter coercuit. Cumque primores castelli ad eum egressi fuissent, et de pace cum eo facienda et de crastina oppidi deditione tractarent, subito balistarius, instinctu diaboli, de munitione pilum direxit, et strenuissimum juvenem, ad colloquium inter magnates discernentem, percussit, bonumque justitiarium in brachio lethaliter sauciavit. In crastinum vero, patriae legitimus defensor defunctus est, et cum luctu multorum in coenobiali basilica Beati Nicolai praesulis, sepultus est.

Quo defuncto, Philippus, rex Francorum, Fulconi, privigno suo, Andegavorum comitatum concessit, ipsumque imberbem Guillelmo, Pictavensium duci, qui tunc forte ad curiam erat, commisit, ut eum in itinere tutaret, salvumque ad patrem suum perduceret. At ille commendatum sibi usque ad terrae suae limitem deduxit, ibique, legalitatis et futurae derogationis immemor, comprehendit, et plus quam unius anni spatio in carcere tenuit. Corpulentus autem rex Franciae, hoc audito, valde contristatus est, puerumque de ergastulo precibus et minis eripere conatus est. Bertrada quippe, mater praefati adolescentis, uxor regis erat, quae ipsum jugiter stimulabat, et plurimos ad subventionem vincti frustra inquietabat. Porro rex, crebris aculeatus punctionibus, tantum nefas terrore minarum punire voluit. Sed turgidus dux, ponderosum regem parvipendens, adolescentem diutius retinuit, donec oppida, quae in confinio utriusque comitatus erant, a patre pro ereptione filii obtinuit. Deinde non multo post senex genitor obiit, juvenisque comes Eremburgem, filiam Heliae Cenomanorum comitis, uxorem duxit, quae generosam ei utriusque sexus sobolem peperit.

Eodem anno [1105-1106], Henricus rex, ut supra dictum est, vere in Neustriam navigavit, et paternam haereditatem, quam perjuri et raptores ac nebulones conculcabant, vindicare sategit. Heliam Cenomanensem cum viribus suis conduxit, urbemque Bajocassinam, quam Gunherius de Alneio conservabat, obsedit. Gunherius vero ad regem exivit, eique Rodbertum Haimonis filium, qui captus olim ab eodem fuerat, pro gratia ejus liberum reddidit, sed urbem imperiose poscenti reddere contempsit. Protinus igitur rex urbem expugnavit, et injecto igne penitus combussit, et praefatum municipem cum pedissequis ac commilitonibus suis cepit.

Audita itaque tantae civitatis destructione, reliqui municipes valde contremuerunt, et properantem cum tanta obstinatione regem proterve praestolari timuerunt. Cadomenses ergo, comperta clade Bajocensium, metuentes simile perpeti excidium, ad regem, qui jam ad illos cum magna feritate festinabat, miserunt, et pacem cum illo ad voluntatem ejus fecerunt. Mox enim Engerrannum municipem, Ilberti filium, cum suis expulerunt, et munitionem regi reddiderunt. Rex autem quatuor primoribus Cadomi Dalintonam in Anglia dedit, quae LXXX libras per singulos annos reddit, et Villa Traditorum usque hodie nominatur, licet illis nunc subjecta non sit. Deinde rex Falesiam perrexit, sed eam non expugnavit, quia comes Helias, a Normannis rogatus, recessit. Illic tamen exercitium militare peractum est, in quo Rogerius de Gloucestra, strenuus miles, occisus est.

Germani principes, rex et dux, in septimana Pentecostes Sanctellis convenerunt, et biduo de pace facienda locuti sunt. Sed, quia seditiosi dissidentes perturbabant, cunctis foederibus ruptis discesserunt. Totis postmodum viribus coeperunt guerram passim agere, et proceres, probique tirones, quibus inhaererent, partes eligere, et incendiis atque rapinis a Pentecoste usque ad festivitatem Sancti Michaelis insistere.

Tunc Henricus, imperator Alemannorum, VII Idus Augusti [1107] exspiravit; sed, quia pro multis reatibus suis Ecclesiae, teste Deo, non satisfecerat, terra caruit, nec per multos annos humano ritu sepeliri meruit. Carolus Henricus V, filius ejus, post eum imperavit, qui post tres annos Mathildem, filiam Henrici I regis Anglorum, uxorem duxit; sed legitimum sibi de ea successorem non habuit.

L'an de l'incarnation du Seigneur 1106, il se fit dans l'univers plusieurs changemens de princes, et il arriva en divers lieux plusieurs événemens mémorables. Dans la dernière semaine de février, une merveilleuse comète parut du côté de l'Hespérie, et, projetant sa longue chevelure vers les contrées orientales, épouvanta le cœur d'un grand nombre de mortels; et, durant trois semaines, brillant le soir avec un vif éclat, força les hommes à révéler beaucoup de secrets.

Au mois de mars, le duc Boémond, ainsi qu'il l'avait promis au Seigneur dans les prisons de Daliman, se rendit en France, et accomplit son vœu dans le Limousin, au célèbre tombeau du saint confesseur Léonard. Avant d'entrer en France, il avait envoyé des ambassadeurs en Angleterre; il y avait mandé au roi Henri la cause de son arrivée en Italie, et lui avait fait entendre qu'il avait le projet de passer la mer pour se rendre à sa cour. Le prudent monarque, craignant que Boémond ne parvînt à enlever de ses Etats ses chevaliers d'élite, l'engagea à ne pas s'exposer aux dangers de la navigation pendant l'hiver, surtout ayant le projet, avant la célébration de la Pâque, de passer en Normandie, où ils pourraient avoir ensemble une entrevue convenable. C'est ce qui eut lieu.

En conséquence, quand Boémond eut quitté Saint-Léonard-le-Noblet20, où se trouve le tombeau du pieux confesseur, et qu'il y eut terminé ses prières, il parcourut pendant le Carême les villes et places fortes de France, et partout accueilli avec vénération, tant par le clergé que par le peuple, il racontait les divers événemens auxquels il avait assisté. Il offrit respectueusement aux saints autels des reliques, des manteaux de pure soie ainsi que d'autres objets précieux; il eut même sujet de se réjouir beaucoup dans les monastères et les évêchés, où il fut reçu avec empressement, et rendit grâces à Dieu de la bienveillance des Occidentaux. Il était accompagné du fils de l'empereur Diogène, ainsi que de plusieurs autres personnages illustres de la Grèce et de la Thrace: leurs plaintes contre l'empereur Alexis, qui, par trahison, les avait privés de la couronne de leurs ancêtres, disposaient les Français naturellement fiers a l'irritation contre ce prince. Beaucoup de nobles personnages venaient le trouver, et lui présentaient leurs enfans qu'il tenait de bon cœur sur les fonts baptismaux, et auxquels même il donnait son nom21. En effet, il avait été appelé Marc au baptême; mais son père ayant entendu raconter dans une conversation enjouée le conte du géant Boémond, donna ce nom par plaisanterie à son fils. Ce nom retentit ensuite par tout le monde, et fut honorablement connu par d'innombrables personnes dans les trois climats du monde; il devint célèbre en France après avoir été presque inconnu à tous les Occidentaux.

Le héros dont nous venons de parler eut une entrevue avec le roi Philippe, et lui demanda en mariage sa fille Constance. Il épousa cette princesse après Pâques, à Chartres, où la comtesse Adèle donna un magnifique banquet à toute l'assistance. Là, le roi des Français se trouva avec une grande multitude de ses officiers; il y présenta à Boémond sa fille, que je ne sais pour quelle cause il avait enlevée à Hugues, comte de Troyes. Alors le duc d'Antioche, remarquable parmi les plus illustres, se rendit à l'église, et là, devant l'autel de la Vierge-Mère, il monta sur les gradins, et raconta à l'assemblée nombreuse qui s'y était réunie ses aventures et ses exploits; il fit approcher tous ceux qui prenaient les armes contre l'Empereur, et promit à ces preux chevaliers d'élite des villes et des places d'une grande. richesse. Il en résulta que beaucoup de personnes s'enflammèrent d'une vive ardeur, prirent la croix du Seigneur, abandonnèrent tous leurs biens, et, courant comme au festin, prirent le chemin de Jérusalem. Ainsi partirent Raoul-du-Pont-Echenfrei, surnommé le Roux, Gauscelin son frère, Simon d'Anet, Robert de Maulle, Hugues-Sans-Avoir son cousin, et plusieurs autres dont je ne puis mettre par écrit tous les noms en particulier.

La même année, les événemens suivans se passèrent en Normandie. Robert d'Estouteville, homme brave et puissant, tenait fortement au parti du duc Robert, et veillait dans le pays de Caux au bon état de ses troupes et de ses places fortes. Il arriva que le jour de Pâques, lorsque le chapelain faisait communier ce seigneur et ses gens, et qu'un chevalier s'avançait suivant l'usage vers l'autel pour y recevoir l'Eucharistie, le prêtre prit le pain céleste, voulut le mettre dans la bouche ouverte du communiant, mais ne put en aucune manière lever la main de dessus l'autel. Dans un tel embarras, l'un et l'autre furent grandement effrayés. Enfin le prêtre dit à ce chevalier: «Prenez, si vous pouvez; car je ne saurais nullement remuer la main ni vous offrir le corps du Seigneur.» Cet homme avança la tête vers l'autel, s'approcha avec peine du calice, et de sa bouche ouverte prit l'hostie de la main du prêtre. Cet événement extraordinaire fit rougir le chevalier; ne sachant ce que présageait l'avenir, il redouta de grands malheurs: c'est ce qui le détermina à distribuer au clergé et aux pauvres une partie de ses vêtemens et de ses autres effets. Ensuite il fut tué à Marrone, dans le voisinage de Rouen, au premier combat qui eut lieu après Pâques. Le chapelain nommé Robert m'a raconté ce qui lui était arrivé, comme nous l'avons dit, à lui et à l'infortuné chevalier, pendant la célébration des mystères vivifians.

Alors Foulques, abbé de Saint-Pierre-sur-Dive, mourut en Angleterre à Winchester le 3 des nones d'avril (3 avril); et un certain Robert, homme de rien, ayant donné au duc cent quarante marcs d'argent, lui succéda par intrusion. Il avait fait sa profession à Saint-Denis: au lieu d'être le pasteur du troupeau du Seigneur, il le dispersa, et se rendit nuisible à beaucoup de personnes, comme un vrai sectateur de Simon-le-Magicien. Aussi les moines s'enfuirent-ils loin de ce loup dévorant, et se dispersèrent pour trouver le salut de leur ame dans d'autres monastères. Il bâtit sur le bord de la Dive une forteresse dans le couvent même; il y réunit une troupe de soldats, et fit du temple de Dieu une caverne de brigands. Il vendit les ornemens ecclésiastiques que les fidèles avaient mis beaucoup de soin à procurer à l'Eglise, et ce châtelain simoniaque en employa le prix à soudoyer ses satellites.

Au mois de mai, un fléau pestilentiel ravagea tout l'Occident; et la fluxion faisant des progrès très-graves, tous les yeux se remplirent de larmes, et dans toute la France, où je me trouvais alors, on voyait toutes les joues mouillées de pleurs. L'été, par la violence de ses chaleurs, accéléra la maturité des moissons, et à l'été succéda sans relâche une automne semblable. La fièvre ardente, d'autres fièvres et différentes infirmités affligèrent cruellement les mortels, et en força beaucoup de s'aliter.

Dans le même mois, Geoffroi-Martel22, comte des Angevins, assiégea, sur Normand de Montrevaud, le château de Condé23, qu'il attaqua vigoureusement. Ce prince était vaillant et ferme dans son équité, et il frappait sévèrement de la verge de la discipline la tête des voleurs et des brigands que son père avait eu long-temps l'habitude d'épargner, parce qu'il se réjouissait avec eux d'un butin et d'un pillage dont il avait fréquemment sa part. Quand Geoffroi fut parvenu à l'adolescence, et qu'il vit l'Anjou en proie à l'effervescence d'une grande iniquité, à cause de la détestable négligence de son père, animé du zèle de Dieu, il eut pitié de son misérable pays, qui eût été dans l'abondance de toutes choses s'il eût joui de la paix.

Par l'ordre de Geoffroi son oncle, Foulques, qui était son héritier légitime, mais qui se montra parjure24, avait enlevé le comté à son frère25, et l'avait tenu prisonnier pendant près de trente ans dans le château de Chinon, d'où, en présence et par l'ordre du vénérable pape Urbain, il était sorti à grand'peine. Avec le consentement de son père, Geoffroi-Martel prit le gouvernement du comté d'Anjou, se donna beaucoup de peine pour rendre la justice aux simples et aux pauvres, et conserva louablement une paix solide à l'Eglise de Dieu. Avec l'aide du Seigneur, il ne tarda pas à pacifier toute sa province, surpassa glorieusement presque tous ses prédécesseurs en courage et en équité; mais terminant promptement sa carrière, il fit beaucoup en peu de temps. Trois ans après son avénement, Geoffroi-Martel assiégea Condé, comme nous l'avons dit ci-dessus, et pressa vivement, avec un grand courage, les rebelles qui y étaient renfermés. Les principaux des assiégés étant sortis pour se présenter à lui, traiter de la paix et rendre la place pour le lendemain, aussitôt un balistier, inspiré par le diable, tira du haut des murs un trait, frappa le jeune guerrier qui discutait cette affaire avec ses principaux officiers, et blessa mortellement au bras ce vertueux prince. Le lendemain, ce légitime défenseur de la patrie mourut, et, au milieu du deuil général, fut inhumé dans l'église du couvent de Saint-Nicolas, évêque de Myre.

A sa mort, Philippe, roi des Français, confirma le comté d'Anjou à Foulques son beau-fils, et, comme il était encore fort jeune, il le confia à Guillaume, duc de Poitiers, qui se trouvait alors par hasard à la cour, afin qu'il le protégeât pendant la route, et le remît sain et sauf à son père. Ce duc conduisit l'enfant qui lui était confié jusqu'aux limites de ses terres; et là, manquant à la loyauté, et sans prévoir les suites de cette infraction aux traités, il se saisit de Foulques et le retint plus d'un an en prison. Cependant le roi de France, qui était très-replet, ayant appris cet événement, fut profondément affligé, et employa les prières et les menaces pour tâcher de délivrer l'enfant, parce que Bertrade sa femme était la mère du jeune prince, qu'elle l'excitait fortement, et qu'elle pressait tout le monde de secourir le prisonnier. Enfin le Roi, aiguillonné par de fréquentes instances, résolut de punir un si grand crime par la terreur des menaces; mais le duc orgueilleux, faisant peu de cas d'un roi peu dispos à cause de sa corpulence, retint l'enfant en prison pendant long-temps jusqu'à ce que, pour sa rançon, il eût obtenu du père les places qui se trouvaient sur les confins de l'Anjou et du Poitou. Peu de temps après, Guillaume, qui était avancé en âge, vint à mourir, et le jeune comte épousa Eremburge, fille d'Hélie, comte du Maine, de laquelle il eut une généreuse lignée de l'un et de l'autre sexe.

La même année, comme nous l'avons dit, le roi Henri vint au printemps en Normandie, et réclama l'héritage paternel que des parjures, des brigands et des hommes sans aveu opprimaient outre mesure. Il conduisit avec lui le comte Hélie avec ses troupes, et assiégea la ville de Bayeux, qui était gardée par Gunhier d'Aunai. Ce Gunhier sortit pour aller au devant du Roi, et, par égard pour ce monarque, lui rendit Robert, fils d'Haimon, qu'il avait autrefois fait prisonnier; mais il refusa de lui remettre la place malgré l'ordre qu'il en recevait. En conséquence, sans nul retard, le Roi attaqua cette ville, et, y ayant jeté des feux, il la brûla de fond en comble, et prit Gunhier avec ses gens et ses soldats.

Ayant appris la destruction de cette importante cité, les autres garnisons furent saisies d'effroi, et craignirent de résister insolemment à un prince si actif et si opiniâtre. Aussi les gens de Caen, connaissant le désastre de ceux de Bayeux, et craignant d'avoir à souffrir une pareille calamité, députèrent vers le Roi, qui déjà marchait sur eux en toute hâte et avec un grand courroux, et se rendirent à discrétion. En conséquence, ils chassèrent aussitôt le châtelain Engerran, fils d'Ilbert, et remirent la place entre les mains du Roi. Ce prince fit don, aux quatre principaux habitans de Caen, de Darlington, en Angleterre, qui rapporte quatre-vingts livres de revenu annuel, et qui, jusqu'à ce jour, a porté le nom de faille des Traîtres, quoiqu'elle ne leur ait pas été soumise. De là Henri marcha sur Falaise; mais il ne l'attaqua pas, parce que le comte Hélie, d'après l'invitation des Normands, se retira. Il y eut toutefois là un engagement militaire dans lequel Roger de Glocester, vaillant chevalier, perdit la vie.

Les deux frères, Henri et Robert, se réunirent dans la semaine de la Pentecôte à Cintheaux26, et pendant deux jours s'y entretinrent de la paix; mais, comme des séditieux turbulens y mirent obstacle, les princes se séparèrent après avoir rompu toute négociation. Ils se remirent à faire la guerre de toutes leurs forces; les grands et les jeunes chevaliers choisirent le parti auquel ils voulaient s'attacher; et, de la Pentecôte à la fête Saint-Michel, ils brûlèrent et pillèrent le pays.

Alors Henri, empereur des Allemands, mourut le 7 des ides d'août (7 août); mais, comme il n'avait point satisfait à l'Eglise, en présence de Dieu, pour ses crimes nombreux, il n'eut point de tombeau et n'obtint pas les honneurs de la sépulture pendant un grand nombre d'années. Henri V, son fils, régna après lui, et, au bout de trois années, épousa Mathilde, fille de Henri Ier roi des Anglais, de laquelle il n'eut point d'enfans.

X. Discordia inter duos fratres a quibus malignis concitatur. Henricus rex cum Roberto duce manus conserit et eum apud Tenchebraium debellat atque comprehendit.

[Anno 1106.] Rodbertus, invasor Divensis abbatiae, inter reliqua mala quae gessit, Simonis nequitiae nefarium Judae facinus adjunxit. Cum Rodberto duce et optimatibus ejus placitum fecit Falesiae, quod eis regem cum paucis adduceret repente, et ipsi parati essent eumdem suscipere. Disposita itaque proditione, Rodbertus Cadomum perrexit, et invento regi familiariter dixit: Municipium, quod supra Divam habeo, si mecum venire placet, tibi reddo. Cumque regi hoc placuisset: Magnum, inquit ille, exercitum ducere modo necesse non est, ne strepitus multitudinis audiatur, et conatus noster impediatur. Intus pauci clientuli sunt, et mihi penitus obediunt.

Rex igitur noctu surrexit, et tota nocte cum DCC militibus equitavit, et apparente aurora loco proximus constitit. Interea Rainaldus de Guarenna, et, Rodbertus juvenis de Stotevilla, cum aliis CXL militibus, Divense municipium praeoccupaverunt, et, aurora surgente, cum cachinnis et exprobrationibus, dum rex appropinquaret, vociferati sunt. Multi quoque alii milites secuti sunt de Falesia et de aliis in gyro municipiis, ut cominus dimicarent cum rege et ejus asseclis. Ille autem, ut dolos advertit, iratus assultum in castrenses suis mox facere praecepit. Ferocem igitur assultum regii milites protinus fecerunt, et injecto igne castrum et coenobium combusserunt. Tunc Rainaldus et Rodbertus, probi tirones, aliique plures capti sunt. Multi quoque, qui in turrim ecclesiae confugerant, concremati sunt. Porro sequaces, qui subvenire illis festinabant, ut ingentem pyram prospexerunt, confestim fugientes Falesiam remeaverunt. Victor autem rex pedetentim eos persecutus est; sed nullus contra eum egredi ausus est. Merito illis male contigit, juxta illud quod Apostolus dicit: Si quis templum Dei violaverit, disperdet illum Deus (I Cor. III, 17) . Ecce isti domum Dei speluncam latronum temere fecerunt, et turpibus immunditiis hominum et equorum irreverenter polluerunt, meritoque ferro vel edacibus flammis interierunt!

Tunc Rodbertus traditor captus est, et transversus super equum, sicut saccus, coram rege adductus est. Cui rex ait: Perfide, de terra mea fuge. Nisi pro reverentia sacri ordinis, cujus habitum exterius fers, miserrime facerem te continuo membratim discerpere. Dimissus itaque apostata protinus ad Francos, unde erat, cum dedecore aufugit, et praeposituram Argentolii, quia monachatus quietem cum paupertate in claustro ferre negligebat, obtinuit. Cumque in eodem anno quemdam Joannem placitis constringeret, et nescio quas consuetudines ab eo violenter exigeret, ira furente, a praefato pagense percussus est, et ita, exigentibus culpis, sine poenitentia miser trucidatus est.

Autumnus tunc in Normannia tonitruis et imbribus atque bellis tempestuosus fuit, et praeliorum fomes, multiplicibus causis fotus, palam prorupit. Rodberto siquidem duci Rodbertus de Belismo et Guillelmus, comes Moritolii, aliique plures obnixe adhaerebant, quia regem formidantes, illius jugo subjici omnino recusabant, eique totis nisibus resistebant. Unde rex, congregata suorum multitudine, castrum contra Tenerchebraicum construxit, ibique Thomam de Sancto Joanne, cum multis equitibus et peditibus, ad arcendos castrenses constituit. Porro Guillelmus, Moritolii comes, cujus oppidum obsidebatur, ut hoc audivit, militum nobilem coetum aggregavit, et ingentem ciborum, aliarumque rerum, quibus obsessos indigere noverat, apparatum conduxit, regiisque satellitibus id cum moerore contemplantibus, introduxit. Virides etiam per agros messes secari fecit, et oppidanis suis ad pabulum equorum subministravit. Tantae nimirum strenuitatis praefatus juvenis erat, et militarem tam magnae virtutis copiam habebat, ut regii excubitores de munitione nullatenus progredi, seu calumniando introitum cum illis auderent congredi. Hoc audito, rex nimis iratus est, et acrius in hostes insurgere conatus est. Congregato enim exercitu, Tenerchebraicum venit, et aliquandiu obsidione coercuit.

Interea Guillelmus comes ducem et Rodbertum de Belismo et alios amicos suos requisivit, auxiliumque contra regem summopere procuravit. Dux ergo exercitum adunavit, fratrique suo in terra sua obsidionem dissolvere praecepit; alioquin praelium indixit. At ille obstinato corde in obsidione perduravit, et bellum plus quam civile futura pro pace suscepit. Quatuor siquidem comites habuit secum, Heliam Cenomanorum, Guillelmum Ebroicensium, Rodbertum de Mellento, et Guillelmum de Guarenna; aliosque praecipuos barenes, Ranulfum scilicet Bajocensem, et Radulfum de Conchis, Rodbertum de Monteforti et Rodbertum de Grentemaisnilio, aliosque plures cum suis clientibus. Econtra Rodbertus dux secum habebat Rodbertum Belesmensem, et nepotem ejus Guillelmum Moritoliensem, Rodbertum de Stotevilla et Guillelmum de Ferrariis, aliosque plures cum suis viribus. Milites quidem non tantos ut frater ejus, habuit; sed peditum numerosiorem catervam produxit. In armis ex utraque parte fratres et cognati consistebant, et nonnulli eorum mutua sibimet vulnera parabant. Fraudulenti quoque desertores spicula gestabant; sed non firmo corde suo principi adhaerebant, fugaeque magis quam conflictui pro malevolentia inhiabant.

Plures equidem religiosi viri tantum nefas impedire conati sunt, fraternique sanguinis effusionem videre nimis timuerunt. Vitalis autem eremita, qui tunc inter venerabiles personas erat praecipuus, caeteris ferventior, sequester inter germanos dissidentes factus, audacter interdixit ne certarent cominus, ne viderentur imitari detestabile omnibus saeculis Oedipodarum facinus, meritoque subirent Ethioclis et Polinicis nefarios et horribiles eventus

Denique rex multiplices casus solerter inspexit, verbisque sophistarum animo perceptis, diversos consultus subtiliter revolvit. Unde hujuscemodi legationem fratri suo mandavit: Ego, inquit, frater mi, non pro cupiditate terreni honoris huc accessi, nec tibi jura ducatus tui adimere decrevi; sed lacrymosis questibus pauperum invitatus, Ecclesiae Dei opto suffragari, quae, velut navis sine gubernatore, periclitatur inter procellas pelagi. Tu enim terram ut arbor infructuosa occupas, nullumque justitiae fructum Creatori nostro sacrificas. Dux quidem nomine tenus vocaris; sed a clientibus tuis palam subsannaris, nec tui contemptus injurias ulcisceris. Crudeles ergo iniquitatis filii sub umbra tui nequiter opprimunt plebes Christianas, jamque plures pene hominibus vacuas in Normannia fecerunt parochias. Haec videns, zelo Dei, qui nos regit, inardesco, animamque meam pro salute fratrum et dilectae gentis, patriaeque ponere efflagito. His itaque perspectis, quaeso, meis consiliis utere, et me ista moliri non pro cupiditate, sed pro bona voluntate, palam poteris comprobare. Omnes munitiones, totamque justitiam et procurationem totius Normanniae et medietatem ducatus mihi dimitte, aliamque medietatem sine labore et cura tibi posside, et aequipollentiam alterius medietatis de meo singulis annis in Angliae aerario recipe. Dapibus et ludis et cunctis postea securus oblectamentis frui poteris. Ego autem imminentes pro pace labores tolerabo, tibique promissa quiescenti sine defectione procurabo, rabiemque malignantium, ne populum Dei suggillent, auxilio ejus juste coarctabo.

Haec audiens, dux consiliarios suos accersiit, eisque mandata regis retulit. Protinus illi mandata regis abhorruerunt, et contumacibus dictis ducem, ne sermonibus pacis obsequeretur, averterunt. Renuntiantibus legatis quod dux, suique fautores non pacem, sed bellum omnimodis optarent, rex, Deo sese commendans, ait: Novit omnipotens Deus, in quem credo, quod pro desolatae plebis subventione hoc certamen ineo. Ipsum factorem nostrum intimo corde deposco ut illi det victoriam in conflictu hodierno, per quem suo tutelam et quietem decrevit dare populo.

His dictis, magistratus familiae suae convocavit, ad praelium omnes instruxit, breviterque commonuit, prout opportunitas loci et temporis exegit. Rainaldum vero de Guarenna, et omnes alios qui in Divensi basilica capti fuerant, absolvit, et ecclesiam quae combusta fuerat sese restauraturum Deo devovit. Deinde ferratae acies ordinatae sunt, et disciplinabiliter stipatae processerunt. Primam aciem rexit Rannulfus Bajocensis; secundam Rodbertus comes Mellentensis; tertiam vero Guillelmus de Guarenna. Hic nimirum pro absolutione fratris sui valde laetatus est, cunctosque sodales, ut invincibiliter dimicarent, audacter exhortatus est. Rex autem Anglos et Normannos secum pedites detinuit; Cenomanos autem et Britones longe in campo cum Helia consule constituit.

Ex adversa vero parte Guillelmus comes Moritoliensis aciem duxit primam, et Rodbertus Belesmensis extremam. Cumque simul exercitus convenissent, et turmae Guillelmi comitis coetus Ranulfi ferire satagerent, tanta densitate constipati erant, et in armis indissolubiliter stabant, ut nihil eis obesse possent, sed alterni conatus impenetrabiles obstare studerent. Ululantibus utrinque et vociferantibus, Helias cum suis subito irruit, et e latere inermes ducis pedites percussit, et CCXXV mox interfecit. Quod videns, Rodbertus Belesmensis fugam iniit, et dissolutum ducis agmen victoribus cessit.

Tunc Gualdricus ducem comprehendit, et regali custodiae mancipavit. Is nimirum capellanus regis, qui militibus sociatus in certamine constitit, non multo post Laudunensis pontifex factus, parochianos nimis aggravavit; unde a civibus suis in quodam viridiario, feria VI Parasceve, cum septem majoribus ecclesiae ministris, percussus occubuit.

Britones autem Guillelmum comitem ceperunt, quibus rex et amici ejus vix abstulerunt. Rodbertus de Stotevilla et Guillelmus de Ferrariis, aliique plures capti sunt; quorum quidam, gratia regis absoluti, pro impetrata libertate tripudiaverunt, alii vero, promerentibus culpis, usque ad mortem vinclis irretiti sunt.

Rex itaque, victoria gaudens, coetus suos convocavit, res suas prudenter disposuit, et captos hostes solerter custodiri praecepit. Cui dux ait: Proditores Normanni fraudulentiis suis me seduxerunt, et a consiliis tuis, frater mi, quae vere mihi salubria fuissent, si sectatus ea fuissem, me subtraxerunt. Falesienses conjuravi, dum ab eis recessissem, ne ulli redderent Falesiae munitionem, nisi mihi, sive Guillelmo de Ferrariis, quem in omnibus comprobavi fidelem. Nunc igitur, frater mi, festina, et Guillelmum ad recipiendam firmitatem destina, ne Rodbertus de Belismo te subreptione praeveniat aliqua, et firmissimam munitionem praeoccupans, per nonnulla tibi resistat tempora. Rex autem amicabiliter et caute fratrem secum adduxit, et praefatum militem ad nanciscendum oppidum celeriter transmisit. Quem ipse protinus secutus, Falesiam properavit, jussuque ducis munitionem et fidelitatem burgensium recepit. Tunc regi Guillelmus puer, qui nutriebatur ibidem, allatus est. Quem, prae timore trementem, rex contemplatus est, variisque in tenera aetate infortuniis impetitum dulcibus promissis consolatus est. Deinde, ne aliqua sibi occasio derogationis oriretur, si puer in manu ejus quolibet infesto casu laederetur, peculiari sub tutela eum retinere noluit, sed Heliae de Sancto Sidonio ad educandum commendavit. Eidem quippe militi jampridem dux filiam, de pellice sibi natam, dederat, et Arcacensem comitatum concedens, inter praecipuos Normanniae barones illum promoverat.

Auditis rumoribus de victoria regis, religiosi quique laetati sunt. Exleges autem et malignitatis amatores contristati luxerunt, quia jugum indomitae cervici suae divinitus impositum pro certo noverunt. Nam seditiosi praedones, ex quo sceptrigerum, quem fortem justitiarium olim comprobaverunt, adminiculante Deo, superiorem hostibus in bello comperierunt, agnita viri virtute per diversa statim loca diffugerunt, et solo timore illius a solitis infestationibus cessaverunt. Nefariis ergo collegiis hac et illac dispersis, schemata mutaverunt, quia reperiri, seu cognosci ab his quos protriverant, admodum timuerunt.

Rex siquidem cum duce Rothomagum adiit, et a civibus favorabiliter exceptus, paternas leges renovavit, pristinasque urbis dignitates restituit. Hugo autem de Nonanto, duce jubente, regi arcem Rothomagi reddidit, propriumque honorem, quem Belesmensis herus ei abstulerat, regia vi recuperavit, et omni vita sua postmodum in pace possedit. Alii quoque municipes per totam Normanniam a duce absoluti sunt, eoque annuente, omnia reddentes municipia, triumphatori reconciliati sunt.

In medio Octobri [1106] rex Lexovium venit, cunctos optimates Neustriae convocavit, et utillimum Ecclesiae Dei concilium tenuit. Ibi statuit regali sanctione ut firma pax per omnes teneatur fines Normanniae: ut, latrociniis omnino compressis cum rapacitate, omnes ecclesiae possessiones, sicut eas die qua pater ejus defunctus est tenebant, aliique nihilominus legitimi haeredes possideant. Omnia quoque dominia patris sui suae proprietati mancipavit, judicioque sapientum irrita esse censuit quae frater suus ingratis per imprudentiam permiserat. Hostes autem, quos in bello ceperat, in Angliam destinavit, et perenni ergastulo Guillelmum Moritoliensem ac Rodbertum de Stotevilla, aliosque nonnullos condemnavit. Inflexibilis erga eos perduravit, et quamvis multorum precibus ac promissis, muneribusque pulsatus fuisset, nunquam emolliri potuit.

suite

Robert, abbé intrus de Saint-Pierre-sur-Dive, joignit aux autres crimes dont il était coupable l'attentat pervers de Simon Judas. Il convint à Falaise, avec le duc Robert et ses seigneurs, qu'il leur amènerait bientôt le roi Henri avec un petit nombre des siens, et dit qu'il fallait se tenir prêt à le recevoir. Ayant ainsi disposé sa trahison, l'abbé Robert se rendit à Caen, alla trouver le Roi, et lui dit avec les apparences de l'amitié: «Si vous voulez venir avec moi, je vous rends la place que je possède sur la Dive.» Le Roi ayant accepté sa proposition avec plaisir, il ajouta: «Il n'est pas nécessaire de mener avec vous une grande armée, de crainte que l'on n'entende le bruit de la multitude, et qu'on ne mette des obstacles à notre entreprise. J'ai dans la place un petit nombre de vassaux qui me sont entièrement dévoués.»

Le Roi se leva donc nuitamment avec sept cents chevaliers, courut à cheval toute la nuit, et, dès l'aube du jour, se trouva près de Saint-Pierre-sur-Dive. Sur ces entrefaites, Rainauld de Varenne et le jeune Robert d'Estouteville, fils de Robert, dont nous venons de parler, s'étaient d'avance établis dans la place avec cent quarante chevaliers; au lever de l'aurore, ils accueillirent, avec des moqueries et des injures, le Roi qui s'approchait. Beaucoup d'autres chevaliers les suivirent de Falaise et d'autres places des environs, pour se mesurer de près avec le Roi et ses partisans. Henri, voyant le piége, ordonna, dans son courroux, de livrer aussitôt l'assaut à la garnison. Les chevaliers du Roi firent à l'instant même une attaque vigoureuse, et ayant lancé du feu, brûlèrent le château et le couvent. Alors Rainauld et Robert, jeunes chevaliers pleins de bravoure, et plusieurs autres guerriers furent faits prisonniers. Beaucoup d'autres, qui s'étaient réfugiés dans la tour de l'église, y furent brûlés. Leurs partisans, qui se hâtaient devenir les secourir, voyant ce vaste incendie, s'enfuirent au plus vite à Falaise. Le Roi, vainqueur, s'attacha à leur poursuite; mais aucun d'eux n'osa sortir de cette ville contre lui. C'est à bon droit qu'il arriva malheur à ces perfides, selon les paroles de l'apôtre: «Si quelqu'un viole le temple de Dieu, Dieu le fera périr.» Voilà que ces gens avaient fait témérairement de la maison divine une caverne de voleurs, et l'avaient souillée, sans respect, des infâmes ordures des hommes et des chevaux. Ils méritèrent de périr par le fer ou les flammes dévorantes.

Alors on prit le traître abbé Robert, et l'ayant, comme un sac, jeté en travers sur un cheval, on le conduisit en présence de Henri, Ce monarque lui parla en ces termes: «Perfide, quittez mes terres. Si je ne respectais l'ordre sacré dont vous portez l'habit extérieur, je vous ferais à l'instant même déchirer par morceaux.» Cet apostat ayant été relâché, s'enfuit honteusement aussitôt en France, d'où il était originaire, et obtint d'être prévôt d'Argenteuil, parce qu'il ne pouvait supporter dans le cloître la pauvreté ni le repos monastique. La même année, cet homme ayant poursuivi en jugement un certain Jean, et ayant exigé de lui violemment je ne sais quelle contribution, fut frappé à mort par ce paysan. Ainsi le malheureux fut tué sans avoir fait pénitence pour ses péchés, qui en avaient grand besoin.

L'automne de cette année fut signalé en Normandie par les tempêtes de la foudre, de la pluie et des guerres; et le foyer des combats, favorisé par beaucoup de causes, s'enflamma avec éclat. En effet, Robert de Bellême, Guillaume, comte de Mortain, et plusieurs antres seigneurs tenaient opiniâtrement au parti du duc Robert, et, comme ils redoutaient le Roi, ils refusaient absolument de se soumettre à son joug, et lui résistaient de tous leurs efforts. C'est pourquoi le roi Henri, ayant réuni un grand nombre de ses partisans, fit construire un château devant Tinchebrai; il y plaça, pour contenir les assiégés, Thomas de Saint-Jean27, avec beaucoup de chevaliers et d'hommes de pied. Cependant Guillaume, comte de Mortain, dont on assiégeait la place, ayant eu connaissance de cette construction, réunit une noble troupe de chevaliers, conduisit à Tinchebrai un convoi considérable de subsistances et de tout ce qu'il savait manquer aux assiégés, et l'introduisit dans la place à la vue des troupes royales, qui en furent fort affligées. Il fit couper dans les champs les moissons vertes encore, et les procura à la garnison pour le fourrage des chevaux. Ce jeune guerrier était si habile, et avait un si grand fond de valeur, que les troupes du Roi n'osaient devant lui sortir de leurs retranchemens, ni s'avancer contre lui pour lui interdire l'entrée de la place. Le Roi ayant appris ces choses, éprouva un violent courroux, et fit tous ses efforts pour attaquer plus vivement ses ennemis. En effet, ayant réuni son armée, il se rendit devant Tinchebrai, et en pressa le siége pendant quelque temps.

Dans ces conjonctures, Guillaume, comte de Mortain, réclama l'assistance du duc Robert, de Robert de Bellême, ainsi que de ses autres amis, et se procura ainsi, avec beaucoup de zèle, des forces contre le Roi. Le duc, ayant donc réuni son armée, ordonna à son frère de lever le siége qu'il avait mis devant une place qui lui appartenait, et lui déclara que, faute de se retirer, il l'appelait au combat. Henri persista dans son entreprise avec opiniâtreté, et pour obtenir une paix future, accepta la guerre plus que civile où il se trouvait engagé. Il avait avec lui quatre comtes, Hélie du Mans, Guillaume d'Evreux, Robert de Meulan, Guillaume de Varenne, ainsi que quelques autres illustres barons, tels que Ranulfe de Bayeux, Raoul de Conches, Robert de Montfort, Robert de Grand-Ménil, et plusieurs autres avec leurs vassaux. Dans l'autre armée, le duc Robert avait avec lui Robert de Bellême, et son neveu Guillaume de Mortain, Robert d'Estouteville, Guillaume de Ferrières, et plusieurs autres seigneurs avec leurs troupes. Toutefois il n'avait pas, comme le Roi, beaucoup de chevaliers de marque avec lui; mais il avait une plus nombreuse troupe d'hommes de pied. Dans les armées qui étaient en présence se trouvaient des frères et des parens dont quelques-uns se disposaient à se frapper mutuellement. Quelques déserteurs fallacieux étaient sous les armes; mais ce n'était pas d'un cœur courageux qu'ils s'attachaient à leur duc, et, dans leur malveillance, ils aspiraient plutôt à fuir qu'à combattre.

Plusieurs religieux essayèrent de prévenir un si grand attentat, et craignirent beaucoup de voir l'effusion du sang fraternel. C'est ainsi que l'ermite Vital, qui était alors au premier rang parmi les personnages vénérables, plus ardent que les autres à s'interposer comme arbitre entre les frères divisés, leur défendit hardiment d'en venir aux mains, de peur que l'on ne vît reproduire le forfait détestable des enfans d'OEdipe, et que les combattans n'éprouvassent à bon droit l'horrible et criminelle destinée d'Etéocle et de Polynice.

Enfin le Roi considéra avec habileté la complication de ces événemens, et, ayant recueilli dans son esprit les avis des sages, pesa habilement leurs diverses propositions. En conséquence il adressa à son frère le message suivant: «Mon frère, dit-il, ce n'est point par cupidité des biens terrestres que je suis venu en ces lieux, et je n'ai point résolu de vous ravir les droits de votre duché; mais, appelé par les plaintes et les larmes des pauvres, je desire se courir l'Eglise de Dieu, qui est comme un vaisseau sans pilote, courant les plus grands dangers au milieu des tempêtes de la mer. Quant à vous, vous n'occupez la terre que comme un arbre stérile, et vous n'offrez en sacrifice à notre Créateur aucun fruit d'équité. A la vérité, vous portez le nom de duc; mais vous êtes ouvertement l'objet des railleries de vos sujets, et vous ne vengez pas l'affront des mépris auxquels vous êtes en butte. Aussi les cruels enfans de l'iniquité oppriment méchamment, à l'ombre de votre nom, le peuple chrétien; ils ont déjà dépeuplé en Normandie plusieurs paroisses. A l'aspect de ces calamités, je ressens l'ardeur du zèle du Dieu qui nous gouverne, et je demande à exposer ma vie pour le salut de mes frères, d'une nation que j'aime, et de ma patrie. En considération de ces choses, profitez, je vous prie, de mes conseils, et vous éprouverez avec évidence que ce n'est point par ambition que j'agis ainsi, mais bien avec de bonnes intentions. Abandonnez-moi toutes vos places fortes, toute la justice du pays, le gouvernement de la Normandie et la moitié du duché, et possédez sans soin et sans travaux l'autre moitié: je vous paierai sur le trésor de mon royaume chaque année le revenu de l'autre année. Ensuite vous pourrez, en tonte sûreté, vous livrer aux banquets, aux jeux et à tous les plaisirs. Quant à moi, pour le maintien de la paix, je supporterai le pénible fardeau qui me menace, je m'acquitterai sans faute envers vous de mes promesses pendant que vous goûterez le repos; et je contiendrai justement, avec l'aide de Dieu, la rage des méchans, pour les empêcher d'opprimer son peuple.»

D'après ce message, le duc convoquases conseillers, et leur fit part de ce que le Roi lui mandait. Ils manifestèrent aussitôt leur horreur pour de pareilles propositions, et détournèrent par des discours violens le duc Robert d'accepter ces conditions de paix. Les ambassadeurs de Henri lui ayant annoncé que le duc et ses partisans ne voulaient nullement de la paix, et qu'ils préféraient la guerre, le Roi, se recommandant à Dieu, s'écria: «Le Seigneur tout-puissant, en qui je crois, sait que je ne marche au combat que pour secourir ce peuple désolé. J'implore du fond du cœur ce Créateur de toutes choses, pour que, dans la bataille d'aujourd'hui, il donne la victoire à celui par lequel il a résolu de procurer à son peuple la protection et le repos.»

A ces mots, il réunit les officiers de ses troupes; il leur donna ses ordres pour le combat, et les harangua en peu de mots selon les convenances des lieux et des temps. Il rendit la liberté à Rainauld de Varenne et à tous ceux qu'il avait pris dans l'église de Saint-Pierre-sur-Dive, et fit vœu de rebâtir cette basilique, qui avait été brûlée. On mit ensuite en bataille les corps d'armée qui s'avancèrent rangés en ordre. Le commandement du premier corps fut donné à Ranulfe de Bayeux; le second, à Robert, comte de Meulan; et le troisième, à Guillaume de Varenne. Ce dernier était surtout satisfait de la mise en liberté de son frère, et il engagea hardiment tous ses compagnons à combattre vaillamment. Le Roi garda avec lui l'infanterie anglaise et normande; puis plaça à l'écart dans la campagne les Manceaux et les Bretons sous les ordres du comte Hélie.

Dans l'armée opposée, Guillaume de Mortain commanda le premier corps, et Robert de Bellême le dernier. Quand les deux armées furent en présence, comme les troupes du comte Guillaume pressaient vivement le corps de Ranulfe, il se fit une si épaisse mêlée, et les soldats étaient tellement confondus, qu'ils ne pouvaient se frapper les uns les autres, et que chacun rendait sans effet les coups de son adversaire. Pendant que, de part et d'autre, on poussait des cris et des hurlemens affreux, le comte Hélie chargea soudain avec ses troupes, prit en flanc la cavalerie à découvert du duc Robert, et lui tua bientôt deux cent vingt-cinq hommes. A la vue de cet échec, Robert de Bellême prit la fuite, et abandonna aux coups des vainqueurs les troupes en déroute de son prince.

Alors Gauldri se saisit de la personne du duc, et le livra aux gardes du Roi. Ce Gauldri était chapelain de Henri; réuni à quelques chevaliers, il se trouva à la bataille; peu après, il fut fait évèque de Laon, et vexa beaucoup ses diocésains. Aussi un vendredi, veille d'une fête, fut-il tué par eux dans un verger avec sept des principaux ministres de son église.

Les Bretons, de leur côté, prirent Guillaume, comte de Mortain. Le Roi et ses amis eurent beaucoup de peine à l'arracher de leurs mains. Robert d'Estouteville, Guillaume de Ferrières, et plusieurs autres furent pris aussi; quelques-uns d'eux, mis en liberté par ordre du Roi, éprouvèrent une grande joie; tandis que d'autres, à cause des crimes qu'ils avaient commis, furent condamnés à une prison perpétuelle.

Le Roi, triomphant ainsi, rassembla avec joie son armée, mit prudemment ordre à ses affaires, et confia à des mains sûres les ennemis qu'il avait faits prisonniers. Le duc Robert lui parla en ces termes: «Quelques traîtres normands m'ont égaré par leurs perfidies, et m'ont empêché de profiter, mon cher frère, de vos avis, qui m'eussent été bien salutaires si je les avais suivis. J'ai conjuré les gens de Falaise, en les quittant, de ne rendre la place à personne qu'à moi ou à Guillaume de Ferrières, dont j'ai toujours éprouvé la fidélité en toutes choses. Maintenant, mon frère, ne perdez pas de temps; envoyez Guillaume pour qu'on lui remette cette place, de peur que Robert de Bellême ne vous prévienne par quelque ruse, et, s'emparant de cette place très-forte, ne vous y résiste quelque temps.» Le Roi emmena avec lui son frère, d'une manière amicale, mais avec précaution; et envoya promptement Guillaume de Ferrières pour se faire remettre Falaise. Il le suivit aussitôt, se rendit en cette ville sans tarder, et, par l'ordre du duc même, reçut la place et la foi des bourgeois. Alors on amena au Roi le jeune Guillaume28, que l'on élevait dans cette ville. Le Roi regarda cet enfant, qui tremblait de peur, et consola par de douces promesses celui qui, dans un âge si tendre, était déjà en butte aux coups de l'infortune. Ensuite, de crainte qu'il ne se présentât quelque motif de calomnie, si l'enfant venait à éprouver quelque malheur dans ses mains, Henri ne voulut pas le retenir sous sa garde particulière; il confia son éducation à Hélie de Saint-Saens. Le duc Robert avait depuis long-temps marié à ce chevalier une fille qu'il avait eue d'une courtisane, et, lui donnant le comté d'Arques, il l'avait élevé au premier rang des barons de la Normandie.

Le bruit de la victoire du Roi s'étant répandu, tous les religieux furent comblés de joie. Les hommes sans loyauté, et les partisans du crime, gémirent attristés, parce qu'ils s'aperçurent bien que Dieu permettait enfin qu'un joug fût imposé sur leur front indompté. En effet, les brigands séditieux voyant que le Roi, qu'ils avaient jadis trouvé courageux justicier, était, avec l'aide de Dieu, vainqueur de ses ennemis dans les batailles, et ne pouvant douter des vertus de ce grand homme, s'enfuirent aussitôt en divers lieux, et, par la seule crainte de sa puissance, s'abstinrent des forfaits qui leur étaient ordinaires. Ainsi, les attroupemens criminels ayant été dispersés çà et là, les brigands changèrent d'habits, parce qu'ils craignirent grandement d'être rencontrés et reconnus par les malheureux qu'ils avaient opprimés.

Le Roi se rendit à Rouen avec le duc son frère; il y fut favorablement accueilli par les citoyens; il renouvela les lois de Guillaume-le-Conquérant, son père, et rendit à la ville ses anciennes prérogatives. Par l'ordre du duc, Hugues de Nonant remit au Roi la citadelle de Rouen; il recouvra, grâce à l'autorité royale, ses propres fiefs que le comte de Bellême son seigneur lui avait enlevés, et les posséda tranquillement toute sa vie. D'autres châtelains furent aussi déliés de leur serment par le duc dans toute la Normandie; et, d'après son consentement, remettant leurs places, se réconcilièrent avec le vainqueur.

Au milieu d'octobre, le Roi vint à Lisieux, convoqua tous les grands de la Normandie, et tint un concile très-avantageux à l'Eglise de Dieu. Il y décida, de son autorité royale, que la paix serait immuablement observée dans toutes les terres du duché; que, le brigandage étant comprimé, les églises, ainsi que tous les autres propriétaires légitimes, auraient la possession de tous leurs biens comme ils les tenaient le jour de la mort de Guillaume son père. Il rattacha à ses domaines ceux dont son père avait été le maître; et, de l'avis des sages, annula les donations que son frère Robert avait faites par imprudence, et tout ce que, malgré lui, par faiblesse, il avait promis ou permis. Le Roi envoya en Angleterre les ennemis qu'il avait pris pendant la guerre, et condamna à une prison perpétuelle Guillaume de Mortain, Robert d'Estouteville et quelques autres. Il resta inflexible à leur égard, et, quoique pressé par les prières, les promesses et les présens de plusieurs personnes, il ne voulut jamais se laisser attendrir.

suite

(1 Pelles ovinas.

(2) Ce début est en vers hexamètres.

(3) De Grand-Ménil.

(4 Château-Gaultier au Houlme, forteresse aujourd'hui détruite, dans la commune de La Courbe, arrondissement d'Argentan; et non pas la ville de Cbâteau-Gontier, dans le département de la Sarthe.

(5) Et non pas Hunel-Hegem, ni Hunelge-Hem, comme le porte l'imprimé en deux endroits.

(6 Ou Roger-le-Poitevin, ainsi surnommé parce qu'il avait épousé l'héritière du comté de la Marche (Almodie, sœur de Boson IV, mort en 1091).

(7 Calceta, à peu de distance de Séès, sur la route de Nonant.

(8 Fille de Simon de Montfort.

(9Le manuscrit de l'abbaye de Saint-Evroul offre une lacune d'un mot après Rahier. Cette lacune n'est pas indiquée dans l'imprimé.

(10) Suivant d'autres, le 1er décembre 1135, à Saint-Denis-le-Thibout.

(11 Robert, comte de Meulan.

(12) Beaumont-le-Roger.

(13 1104.

(14L'abbaye de Saint-Martin-de-Séès.

(15 En 1105.

(16) Barbaflot.

(17) Carentonus.

(18) Vada Virœ, aujourd'hui les Vais ou Vés.

(19) Arrondissement d'Argentan.

(20) Nobiliacum.

(21 Cognomen.

(22) Fils de Foulques III, surnomme Nerra. [erreur: Il est le fils de Foulques IV le Réchin, petit fils de Foulques Nera]

(23 Condatum.

(24Foulques IV, surnommé Rechin.

(25 Gcoffroi III, dit le Barbu.

(26Sancella.

(27) Saint-Jean-le-Thomas, arrondissement d'Avranches.

(28) Guillaume Cliton, fils du duc Robert.