Ménandre traduit par Mr. Cousin

THEOPHYLACTE SIMOCATTE

 

HISTOIRE DE L'EMPEREUR MAURICE

LIVRE II

 

livre I - livre III

 

Traduction française : Mr. COUSIN

 

 

 

 

HISTOIRE

 

DE L'EMPEREUR

 

MAURICE.

 

Ecrite par Théophylacte Simocatte.

 

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LIVRE TROISIÈME.

 

CHAPITRE I.

 

1.  Priscus est nommé Général, en la place de Philippicus. 2.  Il prend possession de sa Charge, & mène à Monocarte Germain Evêque de Damas. 3. Il excite par son orgueil une sédition qui ne peut être apaisée par l'image du Sauveur. 4. Il échappe à la fureur des soldats, & fait chercher un Médecin pour le guérir de ses blessures.

1.  Philippicus ayant appris, dans le cours de son voyage, que Priscus avait été nommé Général, alla à Tarse, et manda à Héraclius qu'il se démit du commandement entre les mains de Narsès Gouverneur de Constantine, & qu'il se retirât en Arménie , qui était le lieu de sa naissance. Il lui expliqua aussi la disposition de la nouvelle Ordonnance par laquelle on retranchait aux soldats le quart des vivres qu'on avait auparavant accoutumé de leur donner, & le chargea de la publier dans l'armée : ce qu'il ne fit que par une secrète jalousie contre Priscus.

2. Au commencement du Printemps, Priscus prit possession de sa Charge , alla à Antioche, & nomma Monocarte pour le rendez-vous des troupes. Incontinent après, il alla à Edeste, où. il trouva Germain Evêque de Damas, à qui il fit de grandes caresses. Le jour suivant, il le pria à dîner, & le traita magnifiquement. Quatre jours après, il l'emmena au camp, & comme c'était le jour auquel l'Eglise Romaine célèbre la mémoire de la Passion salutaire , par laquelle le Fils unique de Dieu , qui a la même nature , & la même puissance que son père, a sauvé le monde, il ne trouva pas à propos de passer la Fête de la Résurrection dans une ville , pendant que l'armée la passerait à la campagne , & qu'elle demeurerait privée de la joie d'une si auguste solennité. Il alla pour ce sujet à Monocarte, où Germain s'était rendu avant lui, afin d'avertir l'armée de son arrivée.

3, C'était un usage reçu depuis longtemps parmi les Romains, que quand un nouveau General prenait possession de sa Charge, & que les gens de guerre venaient au-devant de lui, il descendait de cheval, les saluait, & marchait à pied avec eux. Mais Priscus, au lieu de se conformer à cet usage, le méprisa ouvertement, & irrita par ce mépris les gens de guerre. Ils ne témoignèrent rien toutefois de leur déplaisir, pendant les fêtes ; mais aussitôt qu'elles furent passées, & qu'ils eurent appris la nouvelle du retranchement de leur paye, ils se mutinèrent & coururent vers la tente du Général, les uns avec des pierres, les autres avec des épées, ou d'autres armes, selon que l'occasion, & la colère les leur avaient mise entre les mains. Priscus ayant entendu le bruit , & ayant demandé ce que c'était, on lui répondit, que c'était une sédition générale de l'armée, qui n'écoutait plus les ordres des Commandants. .Alors, tremblant, & suant de tout le corps, & ne sachant plus quel parti prendre, il découvrit une image du Sauveur, que les Romains croient n'avoir pas été faite de la main des hommes, & la donna à Ilisrede, pour la porter dans le camp,& pour essayer d'apaiser les séditieux par la vue d'un objet si digne de leurs respects.

4. Mais quand il vit que bien loin d'en être touchés, leur fureur montait à un tel excès, que de jeter des pierres contre l'image , il prit le cheval d'un de ses Gardes, & se sauva par un bonheur extraordinaire, sans tomber entre les mains des valets qui gardaient les chevaux de l'armée. Etant arrivé à Constantine , & la nouvelle de la sédition y étant arrivée en même temps , les habitants en furent extrêmement étonnés. Il manda incontinent après aux Gouverneurs des places de ne rien retrancher aux soldats, & de ne se point mettre en peine pour le tumulte qui était arrivé. Ensuite, il envoya quérir un Médecin, pour le traiter des coups de pierres, & des meurtrissures qu'il avait aux cuisses.

 

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CHAPITRE II.

 

1. Priscus envoie l'Evêque de Constantine pour apaiser les séditieux. 2. Ils contraignent Germain d'accepter le commandement. 3. Ils méprirent les remontrances de l'Evêque, & abattent les statues de l'Empereur. 4. L'Evêque d'Edesse envoie inutilement pour tacher de réprimer leur insolence.

 

1.  Cependant la sédition croissait de plus en plus. La tente du General avait été rompue, & son bagage pillé. Les Officiers s'étaient retirés , & le désordre augmentait par leur absence. Priscus envoya bientôt après l'Evêque de Constantine aux soldats pour les apaiser, en les assurant que l'Empereur avait changé de sentiment,& il leur montra même les lettres par lesquelles il rétablissait ce qui avait été retranché., & attribuait aux mauvais conseils de Priscus la faute du retranchement, bien que ce dernier fait fût avancé sans fondement.

2. Dans le même temps que l'Evêque partit à dessein de s'acquitter de l'ambassade dont il s'était chargé, les troupes qui délibéraient d'élire un Chef, mandèrent Germain, & le supplièrent d'accepter cette Charge. Sur le refus qu'il en fit, ils le menacèrent de le tuer, & par ces menaces ils vainquirent sa résistance. Avant , néanmoins, que de céder à leur violence, il leur fit promettre, avec serment, de renoncer à la sédition, de ne plus piller le bien d'aucun sujet de l'Empire, & d'aller chercher les Barbares. Muni de cette promesse comme d'une cuirasse à l'épreuve, il accepta le commandement.

3. L'Evêque étant arrivé devant ce nouveau Général, & devant l'armée, & les ayant exhortés à user de quelque forte de modération, ils méprisèrent ses remontrances, lui commandèrent de chasser Priscus hors de la ville de Constantine, & allèrent abattre les statues de l'Empereur, & effacer des tableaux qui avaient été faits en son honneur, publiant insolemment qu'ils ne voulaient plus obéir à un Prince dont la manière d'agir était aussi basse, & aussi intéressée , que celle d'un Marchand de vin.

.4. Quand Priscus eut appris toutes ces choses par le récit que lui en fit l'Evêque de Constantine, il envoya l'Evêque d'Edesse au camp; mais ce second revint comme le premier, sans avoir rien gagné , par ses remontrances, sur l'opiniâtreté des soldats. Les malheurs qui naissaient d'une si étrange confusion, étaient comme des flots furieux, qui succédant les uns aux autres inondaient tout l'Orient. Et s'il m'est permis d'emprunter quelques traits d'un Poète pour en faire la peinture.

Il n'est point de mal seul, sa nature seconde
Fait qu'un autre le suit, l'anime & le seconde.

Les-uns pillaient les maisons, les autres volaient dans les rues, & les autres ravageaient la campagne , sans que des violences si publiques, & si odieuses , fussent suivies d'aucun châtiment. Priscus n'y put apporter d'autre remède, que d'en informer l'Empereur, qui renvoya Philippicus en Orient.

 

 

 

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CHAPITRE III.

 

1. Les séditieux députent vers Priscus, & outragent leurs propres députés. 2. Non contents d'avoir chassé Priscus , ils résolvent de ne point recevoir Philippicus. 3. Les Tarses prennent avantage de ces désordres, pour assiéger Constantine , néanmoins, ils lèvent le siège. 4. Aristobule apaise un peu le séditieux.

 

1. Les soldats députèrent quarante-cinq d'entre eux à Priscus, pour l'obliger de sortir d'Edesse ; mais quand ils lui eurent expliqué l'intention de leurs compagnons , il leur apporta un si grand nombre de raisons pour sa justification , & pour les convaincre de l'injustice du traitement qu'on lui faisait, qu'ils lui promirent de tâcher d'adoucir les esprits. La vaine espérance qu'il conçut de l'accomplissement de cette promesse, l'empêcha de partir. Quand les députés furent de retour, ils rapportèrent ce que Priscus avait allégué pour sa défense,& s'efforcèrent d'apaiser la colère des séditieux. Mais au lieu de rendre ce bon office au Général, ils s'exposèrent eux-mêmes à un extrême péril, & se firent dégrader, & chasser du camp , pour récompense de leur ambassade. Voila l'arrêt que la rage dit à à ces furieux, qui résolurent à l'heure-même de faire la guerre à Priscus, & pour cet effet, ils envoyèrent à Edesse cinq mille hommes.

2. Théodore arriva dans le même temps, & assura que Philippines arriverait bientôt après, ce qui obligea Priscus de partir pour s'en retourner à Constantinople. Dès que les séditieux furent que Philippicus devait arriver, ils renouvelèrent le serment qu'ils avaient fait de ne le point reconnaître.

3. Les Perses triomphèrent des calamités des Romains, ravagèrent leurs terres , & assiégèrent Constantine. Ainsi, l'Empire fut déchire en un même temps par deux cruelles guerres , dont l'une était entretenue par la rage de ses ennemis , & l'autre par la révolte de ses sujets. Les soldats les regardaient aussi froidement que s'ils n'y eussent point eu d'intérêt. Il n'y eut que Germain qui parut, à la tête de mille hommes, aux environs de Constantine , & qui en fit lever le siège. Il assembla aussi quatre mille hommes, avec beaucoup de peine, & les envoya en Perse.

4. Aristobule Intendant de la Maison Impériale d'Antiochus, reçut ordre de l'Empereur de venir trouver les gens de guerre, & fit tant par présents par caresse & par raisons, qu'il apaisa la sédition.

 

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CHAPITRE IV.

 

1. Les Perses empêchent les Romains d'entrer dans Martyropole. 2. Ils font dé faits par les Romains, 2. Les soldats envoient à l'Empereur des étendards des ennemis. 4.. L'Empereur récompense les soldats. 5. Petits exploits contre les Perses, contre les Lombards, & contre les Maures. 6. Paix de la Colchide.

 

1.  Comme l'armée Romaine marchait vers Martyropole., sans autre dessein que d'y entrer , une partie se détacha pour faire des courses sur les Perses. Mais Marusas Général de ces Barbares, ayant paru aussitôt les obligea de se retirer par l'Arsanène , & de traverser le fleuve Nymphius.

2. Il les suivit, néanmoins, de près, & les ayant atteints proche de Martyropole, il les combattit. La mêlée fut furieuse, & les Romains curent la victoire. Trois mille Perses furent pris, entre lesquels il y avait plusieurs Officiers ; II n'y en eut que mille qui le sauvèrent, & qui se retirèrent vers Nisibe. Leur Général même y fut tué.

3. Les Romains s'en retournèrent en leur camp , chargés de dépouilles, & renonçant à
la haine qu'ils avaient eue contre l'Empereur, ils lui envoyèrent par honneur une partie du butin, & les étendards qu'ils avaient pris sur les Perses, & qu'en leur langue ils appellent. Bandes. Philippicus qui appréhendait la fureur de la sédition demeura à Jérapole, jusqu'à ce qu'elle fut éteinte. L'Hiver, par un changement ordinaire & annuel, termina la campagne, & sépara les troupes.

4. Dès que le Printemps fut arrivé, & qu'il eut donné une nouvelle face à la terre, l'Empereur envoya aux soldats l'argent qu'il avait accoutumé de leur faire distribuer dans cette saison. Comme l'on se préparait de tous cotés à la guerre, les Gètes ou Slavons firent du dégât en Thrace.

5. Quelques Perses ayant été rencontrés par des Officiers de l'armée Romaine, ils furent taillés en pièces. L'Ancienne Rome repoussa vigoureusement les incursîons des Lombards, & la nouvelle abattit de telle sorte l'orgueil des Maures, qu'ils mirent les armes bas, & qu'ils subirent le joug.

6. Les eaux du Phase n'étaient plus teintes de fang, elles étaient claires, & paisibles, & elles arrosaient doucement le pays des Colchéens, dont la paix n'était troublée par la présence d'aucun Perse.

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CHAPITRE V.

 

1. Prison de l'oubli. 2. Général des Perses tué par les Romains. 3. Grégoire Archevêque d'Antiocbe réconcilie Philippicus avec les soldats. 4 . La ville de Martyropole est prise par ruse. 5. Avantages remportés, par les Perses sur les Romains. 6. Comentiole succède à Philippicus.

 

1.  Il se passa ,dans le même temps , des choses fort remarquables, qu'il est à propos d'attacher au corps de notre Histoire , comme des ornements agréables , & capables de divertir le lecteur. Il y a dans le fond de la Perse, & dans une Province nommée Byzace auprès delà ville de Bendosabire , un fort nommé Giligerde , où il y a une prison qu'on a appelée la prison de l'Oubli , & qu'on devait plutôt appeler le temple de la Haine , puisqu'elle ne sert qu'à assouvir celle des Princes , & à enfermer les Perses & les étrangers qui ont été assez malheureux pour encourir leur disgrâce. Lorsque le Roi de Perse prit la ville de Dara , sous le règne du jeune Justin, il envoya les prisonniers qu'il y fit dans le fort dont je parle, où il y avait es auparavant , force Cadaséniens , qui sont des Sauvages de la Perse, & quelques autres misérables, qui avaient aussi été condamnés à vivre dans ce triste & déplorable séjour. Leur misère commune eut plus de force pour les unir, que la diversité de leur pays , de leur langage, & de leurs moeurs n'en eut pour les diviser. Ils conspirèrent tous ensemble, dans le dessein de se sauver, & les prisonniers de Dara travaillèrent les premiers à l'exécution .,& ayant défait la garnison qui était nombreuse, ils mirent en liberté les compagnons de leur servitude , & après avoir beaucoup fait., & beaucoup souffert, ils retournèrent en leur pays.

i. Pendant que ces Romains se signalèrent par un si mémorable exploit, la guerre durait encore à Martyropole, où les deux Chefs qui commandaient les deux ailes de l'armée des Perses, furent pris , & le General Marusas fut tué, & sa tête portée à Constantinople.

3. Comme la multitude est d'elle-même inconstante,& intraitable, les glorieux exploits par lesquels Philippicus avait signalé sa valeur prés d'Arzamon, n'avaient pu le réconcilier avec les troupes, ni le faire recevoir en qualité de General. Ce bon effet était réservé à la prudence de Grégoire Archevêque d'Antioche , qui en vint heureusement asbout, lorsque l'Empereur rappela ce Général de Cilicie, pour l'envoyer en Syrie.

4. Les Perses prirent alors Martyropole, non de bonne guerre, mais par un de ces mauvais artifices auxquels on a accoutumé d'avoir recours quand la force manque. Sittas fut l'auteur de cette ruse. Ce fourbe alla proposer aux Perses d'envoyer à cette ville quatre cents hommes qui feignissent de se rendre aux Romains, & à l'heure même il alla conseiller aux habitants de recevoir ces transfuges. Ils ne furent pas plutôt dedans , qu'ils s'en rendirent maîtres. Philippicus en ayant eu avis, vint les invertir. Le Roi de Perse y envoya aussi du secours sous la conduite de Mébode fils de Surinas , & ensuite , un renfort considérable , commande par Aphratés General de la milice d'Arménie.

5. Les deux partis en étant venus aux mains, les Romains se trouvèrent les plus faibles , & furent contraints d'abandonner la victoire à leurs ennemis, qui renforcèrent la garnison de la place, & la gardèrent avec une vigilance extraordinaire.

6. Ce mauvais succès obligea Philippicus à se démettre du commandement entre les mains de Comentiole , que l'Empereur avait choisi pour cette Charge.

 

 

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CHAPITRE VI.

 

1. Fuite de Comentiole, valeur d'Héraclius, défaite des Perses. 2. Jeux publics à Constantinople. 3. Irruption des Perses dans la Suanie. 4.. Leur luxe. 5. Romain en envoie dans la Colchide pour y commander.

 

1.  Comentiole ayant été nommé Général, s'avança vers les frontières de la Perse , & vers Nisîbe , qu'on appelait autrefois Antioche de Mygdonie, & en vint aux mains avec les Barbares, près d'un lieu nommé Sisarbane. Le combat s'étant opiniâtre , il lâcha le pied, puis s'enfuit jusqu'a Theodosiopole. Héraclius père de l'Empereur répara , en cette occasion, la gloire du nom Romain, & y donna d'illustres preuves de son courage. Aphratés y fut tué , & Mébode l'avait été dés auparavant. Les Perses tournèrent le dos , & abandonnèrent le champ de bataille.

2. Le jour suivant } les vainqueurs pillèrent le camp des vaincus , & pour marque de leur victoire, ils envoyèrent à l'Empereur des épées garnies d'or, des tiares, des ceintures enrichies  de pierreries , & des enseignes. Maurice fort réjoui de ces présents, donna au peuple des combats & des jeux.

3. Puisque nous avons parlé d'Aphratès, ajoutons, ce qui regarde la Suanie , & ce sera comme une fleur que nous sèmerons dans le parterre de nôtre Histoire. Nous imiterons en cela les peintres , qui après avoir fait les parties les plus apparentes de leurs tableaux , ne quittent point le pinceau , qu'ils n'aient achevé les derniers traits. Dans la huitième année du règne de Maurice , Varame fut envoie par Ormisdas Roi de Perse, pour faire le dégât dans la Suanie. Son arrivée, qui n'avait point été prévue, réveilla les peuples , qui étaient comme endormis ,& les obligea de veiller à leur défense. La Suanie fut entièrement ruinée, parce qu'il n'y avait point de Commandants pour donner les ordres nécessaires, & que les troupes étaient occupées en Orient.

4. Les Huns qui habitent du côté de Septentrion, & que les Perses appellent Turcs, ayant été subjugués, Varame porta la guerre dans la Colchide. La puissance des Perses s'était alors tellement accrue, qu'ils avaient imposé aux Turcs un tribut de quarante mille écus d'or par an , au lieu qu'ils le leur payaient auparavant. Pendant que les Turcs en avaient joui , ils avaient amassé des richesses si immenses, qu'ils se servaient de vases, de sièges, de tables, & de lits d'or, & de tout ce que la fureur du luxe peut inventer de plus précieux. Mais comme la prospérité est insolente, ils voulurent dans la fuite du temps augmenter le tribut ; ce que les Perses n'ayant pu souffrir, la guerre s'alluma ente eux, & la fortune se déclarant en faveur de ces derniers , fit passer la victoire de leur côté, & avec la victoire les trésors, les riches meubles, les lits d'or, les tables, les trônes, & les équipages les plus superbes, qui servent si fort à relever la magnificence des Princes. Après que les armes de Varame eurent eu un succès si heureux contre les Turcs, il les tourna contre la Suanie, & y entra tout comblé de prospérité, & de gloire. Il envoya à Babylone ce prodigieux amas de richesses, qu'il avait enlevées, & s'approcha de l'Araxe, que les Barbares appellent Eras.

5. Quand Maurice eut appris cette nouvelle, il nomma Romain, General, qui étant arrivé dans la Colchide, que les habitants appellent Lazique, conféra avec l'Evêque du lieu , & de là passa en Albanie.

 

 

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CHAPITRE VII.

 

1. Varame tache d'engager le combat. 2. Romain l'évite malgré les murmures des soldats. 3. Les Romains sont trompés, par les espions des Perses. 4.. Varame ravage les terres de l'Empire. 5. Défaite d'une partie de ses troupes. 6. Bataille générale, & victoire entière des Romains.

 

1. Arame fut bien aise d'apprendre que Romain était proche , & souhaita de l'engager au combat dans l'espérance d'avoir toujours la fortune favorable. Il passa , pour cet effet, une rivière, à dessein de l'attirer encore plus avant dans la Perse.

2. Mais ce sage Général se retira , après avoir pris les provisions dont il avait besoin pour sa marche. Et comme les soldats se fâchaient de ce qu'il ne les menait pas dans le pays ennemi, il rabattit, par la prudence de ses remontrances, la vaine enflure de leur hardiesse.

3. Il envoya ensuite cinquante hommes bien armés pour découvrir la contenance , & les desseins des ennemis. Ils rencontrèrent deux espions vêtus en Romains, & les prirent ; mais ceux-ci pour sauver leur vie, assurèrent qu'ils étaient de leur parti, & leur promirent de les mener, pendant la nuit, par un chemin détourné, à un endroit où ils trouveraient les Perses couchés sur l'herbe. Les cinquante Romains les crurent, & se laissèrent mener dans une embuscade, où ils furent tous faits prisonniers à la réserve de trois qui s'échappèrent pour porter à leur Général cette fâcheuse nouvelle.

4. Varame traversa la rivière, & vint faire le dégât sur les terres de l'Empire, voyant de loin les Romains qui s'enfuyaient devant lui.

5. Le Gouverneur de la Colchide assembla toutefois ses soldats , & leur demanda, s'ils se sentaient assez courageux pour donner bataille. Comme ils lui en témoignèrent un grand désir, il sépara dix mille hommes capables de combattre, d'avec les autres qu'il laissa à la garde du bagage. Il en envoya deux mille au devant, qui ayant rencontré une Phalange de Perses, les chargèrent rudement , & les défirent, à la faveur d'un précipice qui leur ôta le moyen de se sauver. Les Romains les poursuivirent jusqu'au fossé de leur camp , avec une telle ardeur , que Varame qui en fut témoin, en fut aussi admirateur.

6. Ils rejoignirent, après cela, leurs compagnons, qui animés & par leur exemple, & par leur propre vertu, brûlaient d'envie d'attaquer les Barbares. Bien que le Général appréhendât le nombre des ennemis, il fut obligé de céder à l'ardeur de ses soldats, & de les ranger en bataille. Les Perses s'avancèrent de leur côté, & les deux armées se rencontrèrent dans l'Albanie, si proche l'une de l'autre qu'elles se pouvaient aisément parler , & qu'elles n'étaient séparées que par un bras du fleuve Araxe. Trois jours après, les Perses envoyèrent demander le combat par un Héraut, & que pour cet effet les Romains passassent le fleuve, ou qu'ils leur permissent de le passer. Le Général ayant pris avis de l'armée sur ce sujet, on lui conseilla de laisser passer les Perses, ce qu'il fit le jour suivant. Les deux armées se rangèrent dans le même ordre, & se séparèrent chacune en trois. Le corps de bataille des Romains pressa vigoureusement le corps des Perses qui lui était opposé. Varame tira un renfort de l'aile gauche pour le soutenir, & cette aile ayant été affaiblie, & à l'heure même attaquée par les Romains, elle fut contrainte de plier. Alors la poursuite fut opiniâtre , & le carnage furieux. Alors, la prospérité de Varame fut détruite , & son insolence réprimée. La déroute des vaincus redoubla l'ardeur des vainqueurs, qui dépouillèrent les morts ,& les laissèrent sans sépulture , pour servir de pâture aux bêtes.

 

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CHAPITRE VIII.

 

1. Varame outragé par Ormisdas, repousse l'outrage avec insolence. 2. Révolte des Arméniens. 3. Apaisée par Comentiole. 4. Clémence de l'Empereur. 5. Réflexions sur les changements que le temps produit. 6. Commencement d'une guerre civile entre les Perses.

 

1.  Ormisdas ayant appris la triste nouvelle de cette défaite, & ne pouvant supporter l'extrême douleur qu'elle lui causait, traita Varame avec le dernier outrage, lui envoya des habits de femme pour lui reprocher sa lâcheté, & lui ôta par un Edit public le commandement de l'armée. Ce fut là le sujet d'une guerre civile entre les Perses ; car Varame eut l'insolence de mépriser ouvertement l'autorité d'Ormisdas son légitime Souverain, & de venger l'injure qu'il avait reçue de lui par une autre injure plus atroce, car il l'appela en l'inscription de sa lettre, non fils, mais fille de Cosroès.

2. Les Arméniens voisins de la Perse furent, un peu auparavant, débauchés par des Romains mécontents, & engagés dans la révolte, de sorte qu'ils prirent le parti des Perses, & tuèrent Jean leur Gouverneur.

3. Maurice envoya Comentiole , un de ses intimes amis , & des premiers du Sénat, pour étouffer ce désordre dans sa naissance, ce que cet illustre personnage fit fort heureusement, en arrêtant Symbatius qui en était l'auteur, & en l'envoyant chargé de chaînes à. Constantinople.

4. L'Empereur, qui ne voulait pas qu'il fut condamné sans connaissance de cause, donna son affaire à examiner aux Juges de l'Eglise, par lesquels, après qu'il eut été interrogé , & qu'il eut avoué les faits dont il était accusé , il fut prononcé que ceux qui étaient coupables de pareils crimes , méritaient d'être exposés aux bêtes , pour en être dévorés. Comme le théâtre était plein de monde, qui attendait l'exécution, l'humanité de Maurice prévint les acclamations du peuple, & donna au condamné la grâce qu'il n'espérait pas.

5. Le temps, qui est le père des nouveautés, & des changements, qui donne à chaque moment une nouvelle face aux choses, & qui roulant par un mouvement continuel , emporte avec rapidité tout ce qui qui paraît le plus stable, & le mieux affermi dans le monde, produisit, dans le Royaume des Perses, des mouvements dont je me persuade que la narration ne sera pas désagréable.

6. Varame , bien loin de perdre la haine qu'il avait conçue contre Ormisdas la conservait dans son cœur comme dans une source empoisonée, ce qui porta ce Prince à commander à un Grand nommé Séramis d'aller lui ôter sa Charge , de lui mettre les fers aux pieds., & de l'amener au Palais. Mais ce Séramis fut pris lui-même par Varame , & jetè aux pieds d'un Eléphant, qui l'écrasa , & le fit mourir d'un genre de mort tout-à-fait cruel, & pitoyable. Depuis qu'Ormisdas eut été attaqué par Varame, & dépouillé de son Royaume, & que Cosroès son jeune fils se vit troublé par plusieurs conspirations formées dans le temps même de sa proclamation , il fit amitié avec les Romains, & mit fin à la guerre qui avait duré vingt ans entre les deux nations.

 

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CHAPITRE IX.

 

1. L'auteur remonte au règne du jeune Justin. 2. Il déteste les maux que la guerre produit. 3. Il rapporte les raisons par lesquelles tant les Romains que les Perses prétendaient n'en être point les auteurs.

 

1. Avant que de décrire les exploits de Varame, & la réconciliation du jeune Cosroès avec les Romains, remontons jusqu'au règne du jeune Justin, pour y voir les véritables causes de cette longue & cruelle guerre, afin que les tableaux de nôtre Histoire soient plus achevés, & que nous n'oubliions rien de ce qui peut contribuer à les embellir. Quand Justinien., après avoir régné trente-neuf ans, passa à une vie immortelle, Justin fils de sa sœur lui succéda, & dans la septième année de son règne suscita la guerre par son inconstance.

2. Quand je parle de la guerre, je parle de l'amas & de l'assemblage de tous les maux, de la cause & de la source de nos disgrâces, du modèle & de l'exemplaire de la vie des voleurs, de la ruine & de la peste de la société humaine.

3. Les Romains accusaient les Perses d'en être les auteurs , d'avoir sollicité à la révolte les Omerites peuples des Indes, & après n'avoir pu corrompre leur fidélité, de s'être vengé d'eux à force ouverte. De plus, ils les chargeaient d'avoir offert de l'argent aux Alains, pour assassiner les Ambassadeurs des Turcs, lorsqu'ils passeraient par leur pays, pour venir à Constantinople. Il faut , néanmoins , avouer ingénument, qu'il n'y avait que l'envie dont les Romains brûlaient de prendre les armes , qui leur fît rechercher ces faibles & légers sujets de plainte , & qu'en s'engageant dans la guerre, ils s'engagèrent dans un déluge de malheurs. Les Perses soutenaient aussi que c'étaient les Romains qui avaient rompu la trêve , & ils le prouvaient, en faisant voir qu'ils avaient fomenté la rébellion de l'Arménie , en protégeant les rebelles, & en tuant Surenas Climatarque que le Roi de Perse, avait envoyé pour y maintenir son autorité. Ils ajoutaient, qu'ils avaient refusé de payer les cinquante livres d'or que Justinien avait promises, & qu'ils avaient témoigné que c'était une chose indigne d'eux que de payer un tribut. Il est vrai aussi que les Romains ne devaient point de tribut aux Perses, & que l'or qu'ils payaient était employé au bien commun des deux nations, & à la défense des forteresses qui servaient comme de digue à l'inondation des peuples voisins.

 

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CHAPITRE X.

 

1. Marcien est élu Général par l'Empereur. 2. Il fait ravager l'Arsanène par trois mille hommes. 3. Les Romains vainquent les Perses en une rencontre, assiègent le fort de Thebote , & la ville de Nisibe. 4. Cosroès entreprend une grande expédition contre les Romains , ravage la campagne, ruine les faubourgs d'Antioche, & brûle Apamée.

 

1. La paix ne fut pas plutôt rompue, que le jeune Justin envoya Marcicn en Orient, pour y commander les troupes. Ce Marcien était un excellent homme , d'une naissance illustre , & était allié de la famille royale.

2. Il entra dans l'Osroène, sur la fin de l'été, en un temps où les Perses n'appréhendaient point la guerre, & détacha trois mille hommes qu'il envoya dans l'Arsanène où ils commirent d'horribles cruautés, & où ils firent voir aux Perses l'image funeste de tout ce que la fureur de la guerre peut produire de plus sanglant. Il n'est pas possible d'exprimer combien ils ravagèrent de pays, & combien ils enlevèrent de butin.

3. L'année suivante , Marcien ayant amassé ses troupes, & étant parti de Dara , rencontra les Perses proche de Nisibe, en un endroit nommé Sargate , & remporta sur eux une victoire considérable. Les Romains assiégèrent ensuite le fort de Tébote, & n'ayant pu le réduire ils s'en retournèrent a Dara, & assiégèrent la ville de Nisîbe, selon l'ordre qu'ils en avaient.

4. Cosroès, étant parti de Babylone, à la tête de son armée , traversa le Tigre, & passa dans la solitude, à dessein de faire accroire qu'il ne songeait pas à attaquer les Romains , & il arriva à Abare , qui est une ville à cinq journées de celle de Circesion. Il commanda, ensuite, à Adormane., de traverser l'Euphrate avec six mille hommes, & pour lui , il traversa le neuve Aborras, dans l'espérance de surprendre les Romains qui étaient occupés au siège de Nisibe. Adormane s'avança jusqu'à la ville de Circesion , ravagea la campagne , & ne trouvant rien qui s'opposât au progrès de ses armes, il ruina les belles maisons des environs d'Antioche, & entra en Célosyrie. Les habitants d'Apamée lui envoyèrent de magnifiques présents , & lui promirent de grandes sommes d'argent, pour se racheter du pillage ; mais ce Barbare trompa par la plus odieuse de toutes les perfidies, car s'étant retiré , il revint trois jours après, & mit le feu dans leur ville.µ

 

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CHAPITRE XI.

 

1. Déposition de Marcien. 2. Prise de la ville de Dara. 3. Trêve entre les Romains & les Pertes. 4. Exhortation de Tibère a l'Empire. 5. Exhortation de Justin à Tibère.

 

1 Cette guerre ayant eu des préludes si désavantageux aux Romains , l'Empereur Justin fut sensiblement inquiété des prospérités des Barbares, & des malheurs que l'imprudence des Chefs avait attirés sur ses armes. C'est pourquoi il envoya à Nisibe  Acace fils d'Archelaus pour ôter le commandement à Marcien, qui défera à cet ordre, & partit à l'heure-même.

2. Pendant que l'armée Romaine était à Mardese, le Roi de Perse fondant comme un tourbillon violent sur la ville de Dara , fit de profonds retranchements à l'entour, détourna les eaux qui l'arrosaient, éleva des tours, dressa des machines , & enfin , après six mois de siège, la réduisit sous sa puissance.

3. Justin étonné de cette perte , & frappé en même-temps de quelque aliénation d'esprit, fit une trêve avec les Perses pour le reste de l'année.

4. Mais quand il sentit que sa maladie s'augmentait notablement, il adopta Tibère , & le déclara César , & son compagnon à l'Empire. Il était auparavant Capitaine des Gardes du corps, que l'on appelé Comte des Excubiteurs. Je mettrai en cet endroit les avis que Justin lui donna, lorsqu'il fut déclaré son successeur , & je rapporterai fidèlement ses propres paroles, sans rien changer de ce qui peut blesser l'élégance , afin que la postérité les lise telles qu'elles ont été prononcées. Ayant donc mandé le Sénat, & le Clergé , à la tête duquel était l'Evêque, il parla de cette sorte à Tibère.

5. Voila que Dieu vous fait un grand présent. C'est lui, & non pas moi, qui vous donne ces habits ; faites-leur de l'honneur, afin qu'ils vous en fassent. Respectez votre mère , qui était aussi votre Reine. Vous êtes maintenant son fils, au lieu que vous n'étiez que son sujet. Ne vous plaisez point au meurtre, & ne trempez point vos mains dans le sang. Ne rendez point le mal pour le mal, & n'excitez pas comme moi la haine des peuples. Car je suis parvenu à l'Empire avec les défauts des autres hommes, & j'y ai reçu le châtiment de mes fautes. Je ne laisserai pas de demander justice au tribunal du Sauveur, contre les auteurs des maux que j'ai soufferts. Que cet habit ne vous enfle point d'orgueil, comme il m'en a enflé. Ayez autant de soin de chacun de vos sujets , que de vous même. Considérez qui vous étiez , & qui vous êtes. N'ayez point de vanité, & vous ne pécherez point. Vous savez ce que j'étais, & vous voyez ce que je suis devenu. Tous ceux qui sont devant vos yeux sont vos sujets , & vos enfants. Vos n'ignorez pas que je vous ai aimé plus que mes propres entrailles. En voyant cette assemblée vous voyez tout l'Etat. Pourvoyez au besoin des soldats. N'écoutez point les dénonciateurs , & ne souffrez point qu'on vous dise qu'avant votre règne on en usait de telle, ou de telle sorte. J'ai appris à mes dépens cet avis que je vous donne. Faites que ceux qui ont du bien en jouissant paisiblement, & en donnez à ceux qui en manquent.

Après que le Patriarche eut fait la prière, & que l'assemblée eut répondu Amen, le César se prosterna aux pieds de l'Empereur, qui lui dit: Je vis si vous le voulez, & si vous ne le voulez pas je ne vis plus. Que Dieu qui a fait le ciel & la terre mette dans votre cœur ce que j'ai oublié de vous dire. Ce discours fut prononcé au mois de Décembre , le sixième jour de la semaine en la neuvième indiction.

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CHAPITRE XII.

 

1. Joie publique de la proclamation de Tibère. 2. Il en donne avis au Roi de Perse, &  lui demande la paix. 3. Sa libéralité envers les soldats. 4. Justinien est nommé Général. 5. Trêve en Orient. 6. Frayeur des Romains en Arménie.

 

1.  Les peuples applaudirent à ce discours.& versèrent sur l'Empereur comme une pluie de bénédictions, &: de louanges. En effet, quelque grand que fût l'honneur que recevoir Tibère, il n'était pas au dessus de son mérite.

2. Il écrivit d'abord au Roi de Perse, pour lui donner avis de sa proclamation , & au commencement du Printemps , il lui envoya une ambassade solennelle , pour lui demander la paix. Y a t-il une demande plus civile ,& plus honnête ? Y a-t-il rien de plus souhaitable aux personnes qui ont de l'esprit , & qui font une sérieuse réflexion sur la nécessité de la mort, & sur la breveté de la vie?

3. Il ne laissa pas , toutefois , de lever des troupes, & de leur distribuer de l'argent , pour leur inspirer le mépris des bazars par la grandeur des récompenses. La magnanimité du jeune César éteignit de la forte la fureur des Barbares, & éloigna les pertes , les périls, & les malheurs qui ont accoutumé de suivre la guerre.

4. Dans la même année , Justinien fils de Germain, un des premiers de l'Etat, fut déclaré General, & s'appliqua à l'heure-même à retrancher les désordres qui s'étaient glissés dans la discipline militaire. L'Empereur continua toujours à lever des troupes, & comme il savait que par une sage dispensation de ses biens il pouvoir aisément réparer les fautes qu'il avait commises ,il employa de grandes sommes à faire venir des soldats des pays étrangers.

5. A la fin de la Trêve , Tancosro Général des Perses , mena ses troupes aux environs de Dara, où les Romains se trouvèrent au même moment. Les deux armées se regardèrent longtemps,, puis, au lieu de commencer le combat, elles convinrent de n'exercer aucun acte d'hostilité en Orient, mais seulement en Arménie.

6. Le Général des Romains s'approcha, incontinent après, de la ville d'Amide, & entra en Arménie, où le Roi de Perse entra bientôt après à la tête d'une formidable armée. Sa présence jeta la frayeur dans le cœur des Romains, & contribua merveilleusement à l'heureux succès de ses desseins, & à la ruine de ses ennemis. Cela obligea le Général de l'armée Romaine à monter sur une hauteur, & à parler de cette sorte.

 

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CHAPITRE XIII.

 

Harangue du Général de l'armée Romaine.

 

Mes Compagnons, voici le jour qui sera le commencement de votre bonheur, pourvu que vous suiviez mes conseils. Armez vos esprits, avant que d'armer vos corps, & combattez du cœur, avant que de combattre des mains. Le moyen assuré d'éviter le péril , c'est de vous y exposer généreusement les uns pour les autres. Philosophes ( je vous appelle plus volontiers Philosophes que soldats , parce que votre profession est une méditation continuelle de la mort ) faites paraître une vigueur immortelle, montrez-vous intrépides ,& si les ennemis vous font des blessures, faites en forte que l'on voie que vous ne les recevez que dans un corps emprunté. Que les ennemis vaincus soient les témoins de votre valeur, & qu'ils publient votre gloire, même après leur mort. Mes Compagnons, la bataille est la véritable épreuve du courage, & de la lâcheté. Elle fera voir aujourd'hui, si vous avez une faiblesse de femmes, ou une force d'hommes. Et si vous avez cette force, elle vous acquerrera des couronnes , & des triomphes. Que l'amour de la vie ne vous fasse point tourner le dos. La mort, dont l'image est toujours présente à votre esprit n'est qu'un sommeil plus long que le sommeil ordinaire , mais qui ne laissez pas d'être court, quand il est comparé au grand jour que nous attendons. Appréhendez une vie de laquelle vous ne pourriez jouir qu'avec infamie : une vie qui ne serait pour vous qu'une mort, & qu'un tombeau, que votre lâcheté aurait creusé pour couvrir votre nom sans couvrir votre honte. Ne vous étonnez pas de la vanité avec laquelle le Roi de Perse publie que son armée est invincible, & avec laquelle il s'élève extraordinairement, selon l'humeur de cette nation orgueilleuse , & insolente , qui croit augmenter sa puissance par l' excès monstrueux des éloges quelle se donne. Oubliez vos malheurs , & souvenez-vous des généreux efforts de vos alliés. Effacez de votre mémoire les disgrâces que l'imprudence du General a causées, & que le mauvais ordre des soldats a fait éclore. Il n'y a rien de terrible pour les gens de cœur. Ils regardent le fer comme la paille. Les blessures qu'ils reçoivent ne font qu'allumer leur colère. Ne vous montrez non plus par derrière aux ennemis, que l'on ne montre les mystères aux profanes. Les blessures d'où le sang coule en abondance sont les sources des triomphes. On ne se fauve pas en fuyant, on perd la liberté. Combattez de tout le corps. Joignez vos boucliers avec tant de justesse que vous en soyez tous couverts. Fortifiez les phalanges avec la cavalerie, & serrez si bien vos rangs, que vous soyez fermes comme une muraille. Ne quittez jamais votre lance, & ne jetez point de trait qui ne porte. Les Perses ne sont pas d'une nature immortelle. Leur fortune n'est pas immuable. Ils n'ont que deux mains qui se lassent aussi bien que les vôtres, dans le travail. Leurs corps ne sont pas de diamant. Ils n'ont qu'une vie à & une vie sujette à la mort. La guerre garde l'équité en ce point, quelle ne fait pas combattre des hommes contre des Dieux. La justice est de notre côté. La paix que nous avons recherchée, combattra en notre faveur, contre les barbares à qui la fureur des armes tient lieu de divinité. Nous sommes dans la véritable Religion; & nous n'attendons point notre protection des faux Dieux. Nous n'adorons pas un cheval qu'on frappe avec le fouet. Nous ne reconnaissons point un Dieu qu'on réduit en cendres, & qui après avoir été brûlé un peu de temps , ne paraît plus. Le bois , & la fumée ne sont pas les objets de notre piété, & de nos respects. La corruption si prompte de ces matières fait voir trop clairement la vanité de ceux qui les adorent. Quelque assurance que témoignent ces Barbares la prospérité de leurs armes ne peut subsister avec l'impiété de leurs sacrifices. L'injustice peut quelquefois se maintenir pour un temps ; mais, à la fin, il faut quelle s'affaiblisse, & qu'elle se détruise. Allez au combat avec un courage digne de vôtre nom, de peur de le perdre, en perdant le courage. Gardez vos boucliers comme vous garderiez une personne que vous aimeriez pour sa beauté, & les défendez comme les compagnons fidèles de votre voyage. Imitez la valeur des Lacédémoniens. Que chacun de vous soit un Cynégire, bien que vous ne soyez pas comme lui attaché à un vaisseau. Il n'y a rien de si lâche que de fuir, ni rien de si fort à éviter que d'être pris. Ainsi, il ne reste qu'à vaincre, ou à mourir. Que les dernières expéditions de Tibère vous servent comme de miroir. Vous ne verrez pas un homme de rebut dans ses troupes, ni le moindre désordre dans leur discipline. C'est une louable ambition qu'a eue ce jeune Prince. Je commencerai le combat. Je vous animerai par mon exemple, & je n'appréhenderai rien que de me ménager. J'aurais beaucoup d'autres choses à dire., mais l'impatience d'agir m'ôte la parole, & l'ardeur qui me transporte passe au dessus des règles ordinaires. Si nous mourons les Anges nous enrôleront dans leur milice, & non contents de nous donner une récompense proportionnée à nos travaux , ils nous mettront en possession d'une gloire immortelle. Que ceux qui sont plongés dans la volupté, & qui se reposent agréablement dans la jouissance de leurs richesses, ne viennent point avec nous ; car il ne nous faut que des gens qui chérissent le danger, finirons notre discours par nos actions, & réduisons nos méditations en pratique.

 

 

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CHAPITRE XIV.

 

1. Effet de ce discours sur l'esprit des Romains. 2. Généreuse résolution des Perses. 3. Disposition des deux armées. 4. Bataille célèbre. 5. Défaite des Perses. 6. Loi publiée pour défendre aux Rois de se trouver à une bataille contre les Romains.

 

1.  Les soldats, animés par la force de ce discours , suivent l'ardeur que le Général leur inspire , & témoignent une noble impatience d'affronter le danger , & de signaler leur courage.

2. Cette généreuse résolution servit d'exemple aux Barbares pour se préparer au combat. Leur cavalerie prit le casque, & l'infanterie prit l'épée. La cavalerie s'avança lentement, & fièrement vers les Romains, qui levèrent leurs étendards à l'heure-même , & commandèrent aux trompettes de sonner. L'air fut couvert de poussière en un moment, & la voix des hommes , le hennissement des chevaux , & le mouvement des armes , formèrent un bruit dans lequel on ne pouvoir rien distinguer.

3. L'armée des Perses était disposée sur une ligne pour paraître plus nombreuse ,& pour effrayer les ennemis par sa multitude. Celle des Romains était profonde, & les rangs en étaient si bien serrés, qu'elle semblait inébranlable. Les soldats dont elle était composée, paraissaient immobiles, & sans le feu qui étincelait dans leurs yeux, on les eût pris pour des statues.

4. Ce spectacle jeta la terreur , & l'épouvante dans le cœur des Barbares. Ils tirèrent, néanmoins une telle quantité de traits, que l'air en fut obscurci, que le Soleil en parut comme éclipsé , & que les plumes, & les aigrettes des casques, en furent emportées de côté .,& d'autre. Les Romains qui voulaient combattre de pied ferme, se servirent de la lance, & de l'épée, arrêtèrent la grêle des flèches , & commencèrent à avoir de l'avantage. La bataille fut une des plus célèbres , & des plus mémorables qui ait jamais été donnée entre ces deux nations.

5. Mais comme l'armée des Perses n'étant pas profonde, l'arrière-garde ne soutenait pas le choc, que les Romains donnaient avec la dernière violence, les Perses désespérèrent du gain de la bataille , & apprirent par expérience à ne point tirer de vanité de l'injustice. Les Romains les poursuivirent vivement, & en tuèrent un grand nombre, pillèrent le camp , saccagèrent la tente du Roi, enlevèrent le bagage , & les ornements exquis de cette nation plongée dans le luxe , & prirent un Eléphant, qu'ils envoyèrent à. l'Empereur.

6. Le Roi de Perse fit une retraite honteuse, dans le cours de laquelle il ne laissa pas de brûler une partie de la ville de Melitene. Il traversa l'Euphrate, & s'en retourna par l'Arzanène, ou pour laisser un monument éternel de sa défaite, il publia une Loi , par laquelle il ordonna que les Rois de Perse ne marcheraient plus à l'avenir, contre les Romains, & par laquelle il prétendit triompher de son malheur.

Chapitre XV.

/. Les Romains ravagent laTerse >Ç$tiennent la mer d'Hyrcanie. 2. De quelle manière les Perses font subjister leurs armées. 3. *dmbassades envoiées par les deux partis pour la paix. 4. Les PerÇes la refufent à -cause des avantages qu'ils avaient remportez^ en -Arménie, s- Maurice y ef envoie, &y fait plufîeun petites expéditions.

r. Y Es Romains poursuivirent leur victoire , 1. j & tirant tout l'avantage poflible de la diH- grâce de leurs ennemis, entrèrent bien-avant dans le païs, & y prirent tout ce qui se pût emporter. Ils montèrent, ensuite, sur la mer d'Hyrcanie , où l'hiver ne les retint que pour augmen- Tome IIL H h

ter le nombre de leurs conquêtes, & pour les faire retourner au commencement du Prin* temps, chargés d'un plus riche butin.

z. Les Perses ne pouvant supporter la grandeur de leur perte, en aceufaient ouvertement la conduite de leur Prince , & se fâchaient de la continuation & de la guerre, & de leurs malheurs. Pendant qu'ils fervent dans les armées, ils n'ont point de prytanée d'où ils tirent du blé jilsnesubsistent que du peu que leur donne le Roi, jufqu'à ce qu'ils {aient dans le païs ennemi.

3. Ces plaintes donnèrent de l'inquiétude au Roi, de forte que pour éviter les defofdres qui en pouvaient naître, il se refolut de traiter de la paix , & pour cet effet, nomma des premiers de fon Etat, & entre-autres, Sarnacor- gane ; & Tibère, qui était dans le même def. iein , nomma de sa part Jean & Pierre, Patrices, & Théodore, qui était Maître.

4. Sur ces entrefaites, Tancofro & Justinien en vinrent, en Arménie, à une furieufe bataille , dont le succés ayant été avantageux aux Barbares , ils en conçurent une telle fierté, qu'ils rompirent les conférences, & obligèrent les AmbaflTadeurs à s'en retourner sans rien faire,

j. Tibère envoya en Arménie Maurice Capitaine de ses Gardes, au même temps que Sarna- corgane viola, par la plus odieufe de toutes les persidies, la trêve de trois ans qui durcit encore,

efî ravageant les environs de Constantine, & de Theodosiopole. Tancofro quitta l'Arménie, quand il vit que Tes troupes étaient inférieures en nombre aux Romaines -, il pasta le long du fortdeCitarife,fit le dégât aux environs d'A- midc, & s'en retourna par l'Arzanene. Maurice voyantque les Barbares avaient quitté l'Arménie , pour aller ravager l'Orient, mena ses troupes en Prefe,où l'excès de la chaleur lui caufa une maladie dangcreufe. Ses troupes rirent irruption dans l'Arzanene,prirent le fort d'Afumos sans y trouver de refistancc, mirent tout à feu & à fang, & emmenèrent dix nulle quatre-vingts-dix Per- fes, dont ils offrirent le tiers à Maurice. Mais ce General écrivit à l'Empereur Justin, pour favoir ce qu'il defiroit qu'on fît de ces prifonniers, & il ordonna de les disperser en divers endroits de J'île de Cypre,

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Chapitre XVI.

/. Les Romains font le dégât en plujteurs fats. 2. Tibère succede à Justin ;Jon Eloge. 3. Ormifdas succede a Cofroes ; fin humeur. 4. Vanité & fausseté des pré- dtâions.

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Orsquc les Romains eurent ravagé toute l'Arzanene, leur General fit irruption'en

Arabie aux environs deNifibe, & s'étant avancé jufqu'au bord du Tygrc, il envoya CuiTe & Romain faire le dégât de l'autre côté. Pour lui, comme l'hiver approchoit, il le contenta de prendre le fort deSingare, & il se retira.

^. Dans ce temps-là, Justin fut confumé par une maladie lente, & alla recevoir la recom- penfe de ses œuvres. Un peu avant que de quitter le monde, il avait déclaré pour fon succef- feur, Tibère , Prince rempli de douceur , & d'humanité, élevé au deflus de l'avarice, & de l'intérêt,& qui mettoitfon trefor, & sa gloire dans l'abondance, & dans la prosperité des peuples. Il haiflfoit lefaste delaroyauté, & aimoie mieux partager avec ses sujets la peine du gouvernement, que de les gouverner feul avec un pouvoir absolu. Il fouhaitoit d'être appelé leur père , plutôt que leur maître. La prudence avec laquelle il conduifit l'Etat rendit le cours de la guerre plus hureux , aussi-bien- que celui des autres affaires. -

3. Cofroés Roi de Perse mourut au Printemps de la mefmc année, & laista fon Roiaume à fon fils Ormiiclas, qui le furpassa en toute forte de méchancetez. Il était avare, impitoiabie,cruel,

Eerside, injuste, & violent. Il était animé d'une aine implacable contre ses sujets. Il en chargea quelques-uns de chaînes , & les fit languir toute leur vie dans une miferable captivité. Il en fit périr d'autres par le fer. Il en noia d'autres
dans le Ty gré, qui leur fervit de tombeau , fans, néanmoins, couvrir la honte de leur mort.

4. On dit que les Mages lui avoienc prédit, qu'il feroit dépouillé de la souverainc puifl'ancc par la rébellion de ses sujets. C'est une pitoia- blefoibleste, & une horrible impiété, que d'ajouter foi aux prédictions que les esprits de menfonge font aux âmes crédules pour les faire tomber dans le crime, par l'apprchenfîon de quelque malheur. Ce fut ce qui obligea Or- mifdas à. tirer l'épée contre scs sujets, à en maC facrcr un nombre innombrable , à retrancher les vivres des gens de guerre, & à les précipiter sans fu jet, au milieu des périls les plus vifibles, & les plus inévitables.

Chapitre XVIL

/. L'orgueil d'Ormifdas cause une notrvele guerre. 2. Les Romains ravagent la Per- fe. 3. Maurice passe l'hiver a Cefarée. 4. Il est trahi par dlamoûdare. j. Il revient, & en revenant, il défait les Pcr- ses attp res de Calliniqtte.

i.T 'Orgueil de la royauté gâta tellement l'cA t jprit d'Ormifdas, qu'il viola une coutume , qui jufques à lors avait été constamment observée , dAinformer l'Empereur de fon ex*ltation. Tibère , bien-loin de s'offenfer de ce qu'il semblait, le juger indigne d'un honneur qu'on avoir rendu à tous ses predecesteurs, lui envoyauneamba{Tade,pourle supplie-r d'accorder la paix aux deux nations ; mais cette déscreni- cene fervant qu'à accroître sa vanité, il demanda , que les Romains lui païastent un tribut, qu'ils confentissent que les Arméniens , & les Ibères, le reconnurent pour leur souverain, & qu'on lui laiflat la ville de Dara , bien que Cofroésfon père eût promis folermellement de la rendre.

z. Tibère irrité de l'infolence de ces demandes , envoya Maurice en Perse, au commencement de l'été. Ce général se campa sur le bord du Tygrc, & donna ordre à Romain , à Theo- doric, '& à Martin de le traverser, & d'avancer dans le païs. Ceux.-ci ayant mené la plus grande partie des troupes enlevèrent la dépouille de l'année, & les fruits dont la terre étoi't chargée, s'acharnèrent au pillage , & firent un ample butin.

3. Maurice pasta l'hiver à Cefaréede Cappa- doce, & au commencement de l'été suivant,, il mena ses troupes en Orient , & s'approcha de Circefion ville de l'obeiflancc de l'Empire. Après cela, iltraversa l'Arabie déserte à deflcin de fur, prendre les Barbares.

4. Il était suivi par Alamondare Capitaine des Nomades, qui fut accusc d'avoir donne avis au Roi de Perse de la marche des Romains A& cette accufation avait un fondement d'autant plus probable, qu'il est confiant qu'il n'y a point cic nation plus infidèle , ni plus inconstante, que les Sarrasîns. Le Roi de Perse avait alors porté la guerre vers Callinique , & donné le commandement de ses armées à un excellent homme nommé Adormane.

5. Après qu'Alamondare eût gâté comme un bourdon le travail des abeilles, & qu'il eût ruiné les desteins de Maurice j en les découvrant, ce General s'en retourna sur les terres de l'Empire, en intention de réparer les pertes que les Barbares y avaient caufées. Il brûla pour ceteffetles vaisseaux qu'il avaitfur l'Euphrate, & ayant choifiles plus lestes de ses gens, il marcha en diligence vers Callinique, où il remporta sur les Perses un avantage considérable, fans, néanmoins j vouloir continuer de les charger, dés qu'ils commencèrent à fuïr.

Chapitre XVIII.

/. Défaite des Perses prés de Conflantine. 2. Aîaurice parvient à l'Empire, j. Les affaires des Perses font entre les mains de fept familles. 4*. Divers degrés de la fortune de Varame.

i, rTr"* Ancofro parut Tannée suivantc , à la \^ tête d'une puissante armée aux en virons de Constantinc, où l'on donna une bataille, dans laquelle ce General fut tué , & les Per* ses joignirent la honte de la fuite à laperte dç la bataille.

z. Dés que Maurice eut pourvu aux réparations des places, il revint à Constantinople, ou il reçut la souveraine puiiTance , comme la justerccompenscde sa vertu, après que Tibère l'eut quittée en subiflant la loi commune de tous les hommes. Comme j'ai décrit dans les livres precedens ce qui se pasta entre les Romains & les Perses, immédiatement après qu'il eut pris pof- sciïion de l'autorité royale , il faut finir la di- greflïon où je me fuis trop étendu, & reprendre lafuitederHistoire, pourvoir ce qui concerne Varame. Mais pour rendre plus exact le récit que j'en ferai, je remarquerai quelque chofe de fon paï's, de sa naiflancc, des divers degrezde

fa sa fortune, & des principales a&ions de sa vie.

3. J'ai oui dire à un Babylonien qui était fort versé dans la lecture des lettres & des dépêches des Rois,& qui avaitune grande con- noiflancedes titres qui concernent les droits de la couronne des Perses , que Varame, qui ruina la puhTance d'Ormifdas, était né dans l'Arzanc. ne , de la royale famille de Mirrame. Il ajoû- toit, que l'administration des affaires importantes était distribuée à fept tribus, ou familles, par une loi ancienne du paï's. Que la tribu d'Ar- tabideavait le droit delà couronne, une autre le foin de la guerre, une autre le gouvernement du dedans ; qu'une autre jugeoitlesprocez, que la cinquième dressoit & conduifoit la cavalerie, que la fixiéme levoit les impôts, &manioitles finances, & que la dernière a voit l'artillerie, & les vivres. Darius fils d'Hy stape, fut le premier qui établit cet ordre dans fon Etat.

4. On dit que ce Varame qui était de la royale maifondeMirrame,&delafamilledesArsacides, fut d'abord Garde du corps du Roi de Perse.Que bien-tôt après, il eut une compagnie, & qu'il fervit CofroésfilsdeCavadej au ficge de Dira, lous le règne du jeune Justin. Qu'ayant depuis fervi ce Roi en plusieurs gueres, il aquit une telle réputation, qu'il devint General d'armée. La fortune l'élevant de la forte comme pardegrez, le fit Darigmede qui est le même parmi les Perses, que le Maître du Palais parmi les Ro-

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mains. Dans une si haute élévation , il commença à ne se plus connoître, & s'étant extra- ordinaircment enorgueilli pour les victoires qu'il avait remportées sur les Turcs , il forma le premier defleindelatirannie. Il le diflimula, toutefois,avec beaucoup d'artifice, & il le tint comme un feu caché fous la cendre. Il corrompit les soldats en leur faifant accroire qu'Ormif- clas vouloit les rendre coupables des mauvais succés que leurs armes avaient eus dans la Sua- nie. Il contrefit des lettres, par lefquelles on leur retranchoit une partie de leurs vivres, & par cette suppofîtion, il débaucha leurs esprits, & excita la fedition.