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LÉON LE SAGE

  

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

L'EMPEREUR LÉON.

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L'EMPEREUR LÉON VI LE SAGE

(Ou LE PHILOSOPHE).

 

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INSTITUTIONS MILITAIRES.

TRADUCTION DE JOLY DE MAIZEROY.

1859.

 

L'empereur Léon (qui parvint au trône en 886) a écrit tout son livre par aphorismes, ou préceptes détachés et numérotés, comme Hippocrate et Sénèque; méthode la plus commode, en ce qu'elle dispense de lier ses pensées, et qu'on peut les écrire à mesure qu'elles viennent à l'esprit. Néanmoins dans ce genre, comme dans les autres, on doit toujours observer une certaine marche, et une suite de choses qui aient entre elles de l'analogie : c'est une attention que n'a pas toujours eu notre auteur. Son style est diffus, verbeux, et se ressent du mauvais goût de son temps. Il est minutieux, parce qu'en voulant, trop manier les objets, la subtilité de son imagination l'entraîne dans des détails superflus. Il est sujet à de fréquentes redites, soit par inattention, ou parce qu'il a cru que les préceptes ne s'inculquaient qu'à force de les répéter. Il entrecoupe ses sujets, quittant une matière avant de l'avoir épuisée, pour y revenir ensuite; et dispersant des pensées ou des descriptions qui devraient être réunies sous un seul point de vue. Tous ces défauts, qui ôtent d'un ouvrage le lustre qu'on aurait pu lui donner, ne diminuent point le mérite de celui-ci. En fait de livre didactique, quand le fond des choses est bon, on peut pardonner le manque d'agréments, parce qu'on y trouve les instructions qu'on y cherche.

Ce livre, au reste, ne dément point son titre. C'est véritablement un système général de guerre, formé sur ce qui se pratiquait dans le siècle de Léon, et sur les connaissances qu'il avait prises par la lecture des meilleurs auteurs. Tous ses ordres de bataille sont fort bien expliqués, et l'on y voit des manœuvres très fines, qui ne se trouvent dans aucun livre dogmatique ni historique. Les principes sur lesquels il établit sa tactique sont des meilleurs, ayant choisi pour l'infanterie l'ordre de la phalange, et pour la cavalerie des formes très judicieuses. Il est semé partout de préceptes et de réflexions solides; il donne, surtout dans le chapitre xv, des leçons admirables pour des dispositions d'attaque, de marche, de fourrage, et d'autres opérations indépendantes de tout système d'ordonnance. On y trouve enfin d'excellentes maximes d'ordre, de police et de conduite pour tous les cas où l'on peut être à la guerre. On reconnaît dans nos usages militaires quantité de choses qu'on n'a pu apprendre que de lui, et je ne doute pas qu'il n'ait beaucoup contribué à nous transmettre la connaissance de l'art de la guerre et de la bonne discipline.

Je ne me suis point asservi à traduire toujours article par article, un livre écrit par aphorismes et dont les idées sont souvent décousues : j'ai rapproché celles qui roulaient sur le même objet, voulant sauver par là au lecteur le dégoût des répétitions, et de certaines paraphrases fort inutiles. Pour éviter la prolixité, à laquelle cet auteur est sujet, je me contente de rendre ses pensées de la manière la plus brève, à moins qu'il ne s'agisse de descriptions où la version littérale est nécessaire. Ce qui serait un défaut dans la traduction d'un ouvrage d'un autre genre, me parait être une attention de plus dans celle-ci, où il n'est pas question de faire connaître comment l'auteur s'explique, ni la tournure de son style, mais ce qu'il a dit et pensé. Je dois cependant convenir que je n'ai pu rendre certaines choses sans circonlocution, notre langue n'ayant ni la force ni la concision de la grecque, de toutes la plus abondante et néanmoins la plus énergique.

On me reprochera peut-être de m'être servi trop souvent des termes grecs ou latins employés par l'auteur et que j'ai francisés : comme ils ne sont pas usités, on les trouvera barbares. J'ai cru devoir suivre cette méthode pour éviter les périphrases, et parce que ceux de ces termes qu'on pourrait rendre par les nôtres, ne le seraient pas toujours exactement, ce qui ne donnerait pas une idée juste des dispositifs du tacticien grec. Enlisant le chapitre iv, on en connaîtra d'abord la signification, et l'on se familiarisera dans la suite avec eux. J'ai conservé aussi quelquefois la locution de l'auteur qui parle de lui au pluriel, selon le style des rois dans leurs statuts. J'ai seulement supprimé le titre de royauté, βασίλεια, qu'il se donne souvent, et celui de votre dignité qu'il emploie pour son général en lui adressant la parole.

Comme le chapitre xx ne renferme que des maximes détachées, j'ai pris pour les exposer la voie qui pouvait le plus soulager le lecteur et le satisfaire, en rapprochant celles qui avaient entre elles de l'analogie. Deux pensées jointes immédiatement, ont souvent plus de force, et se prêtent plus de jour l'une à l'autre que si elles étaient coupées par d'autres qui n'y eussent pas de rapport. Un grand nombre de ces maximes sont tirées de Polyen, de Frontin, de Végèce, du Poliorcéticon d'Enée, d'Homère, de Polybe, de Xénophon, de Plutarque ; d'autres sont comme des ordonnances relatives à son temps, ou des préceptes qu'il a formés lui-même.

Cet ouvrage est terminé par une espèce de sommaire en forme de conclusion, divisé aussi par articles, qui, à quelques superfluités près que j'ai abrégées, est un morceau précieux. L'empereur Léon avait annoncé dans sa préface qu'il serait court, précis, et ne dirait rien de trop; mais il n'a pas toujours tenu parole. J'espère qu'on ne me saura pas mauvais gré de l'avoir corrigé, quand j'ai pu, sans le défigurer.

Comme je n'ai point dissimulé les défauts de mon auteur, et ne l'ai point vanté en charlatan, il est juste aussi que je le justifie du vice de plagiat, qu'on a voulu lui imputer, ce qui paraîtrait devoir lui laisser peu de mérite. Il est vrai qu'il a beaucoup pris dans les livres de l'empereur Maurice[1] qui avait écrit sa Tactique environ trois cents ans avant lui. Tout ce qui concerne l'ordonnance de la cavalerie, son équipement, ses armes, ses exercices, ses ordres de bataille, en est tiré, ainsi que la plupart des règlements sur la discipline, et diverses maximes touchant les marches et les opérations de guerre. L'empereur Léon a conservé ce qu'il y a vu de bon et d'utile, à quoi il joint ses propres idées. On peut dire que c'était un fondement qu'il a trouvé tout fait, sur lequel il a élevé son édifice.

Le traducteur de Végèce a eu raison de dire que le livre de l'empereur Léon ne présente qu'une faible idée de la puissance et de la milice des anciens Romains. Ce n'est point là en effet où il faut les étudier, puisqu'il n'y est pas seulement parlé de la légion, et que la plupart des principes de cet ouvrage sont, pris des Grecs, comme je l'ai déjà annoncé ; mais il n'est pas moins vrai que c'est un cours de science militaire aussi complet que celui de Végèce, et qui peut aller de pair avec lui. Le seul avantage de celui-ci est d'avoir fait connaître les sept ordres de bataille qu'on ne trouve pas détaillés de même dans l'empereur Léon : d'ailleurs ils sont égaux pour les maximes et aussi instructifs pour quiconque veut aller au grand. On peut leur reprocher à tous deux d'avoir laissé trop à désirer sur la partie des sièges, sur la fortification et sur la marine. On connaîtra mieux l'ancienne tactique des Grecs dans l'empereur Léon, que celle des anciens Romains dans Végèce ; et si l'auteur latin à l'avantage que je lui ai reconnu, le grec nous offre d'autres secrets de l'art et des connaissances qui lui sont particulières. Enfin si la science des armes était entièrement corrompue comme du temps de Végèce et de Léon, on en retrouverait également les principes dans l'un et dans l'autre.


 

PREFACE DE L’EMPEREUR LEON.

 

L'éclat du trône, le pouvoir qui y est attaché, l'étendue de la domination, toutes les choses enfin qui flattent le plus la vanité des hommes et qu'ils recherchent avec ardeur, ne satisfont point autant notre personne royale, qu'une paix solide qui fasse jouir nos peuples d'une douce tranquillité et rende cet état florissant. Rien, au contraire, ne peut nous causer une douleur plus vive que les malheurs de nos sujets et la diminution ou la ruine de leur fortune, occasionnée par quelque négligence. Si notre âme s'affecte passionnément de la prospérité ou de l'infortune d'un seul, quelle doit être notre sollicitude pour veiller à la conservation de cette multitude que Dieu a confiée à nos soins pour la garantir de toute insulte et lui procurer une heureuse tranquillité!

Si l'on commet quelques fautes dans l'administration des affaires publiques, nous ne voyons pas qu'il en résulte de grands maux : mais l'extinction de la discipline militaire a mis les affaires des Romains dans l'état le plus déplorable, comme l’expérience nous le prouve tous les jours. Les hommes faits à l'image du Créateur, qui leur a donné la raison, devraient vivre dans une concorde et une amitié fraternelle, sans armer leurs mains contre leurs semblables. Mais puisque le diable homicide, ennemi de notre espèce et auteur du péché, les a poussés à se faire la guerre, il est nécessaire de se prémunir contre les entreprises des malintentionnés. Ce n'est pas pour attaquer les nations étrangères qu'on doit se former dans l'art de la guerre; c'est pour assurer son repos en se garantissant des insultes des ennemis, et leur faisant porter la peine qu'ils auront méritée : par là les méchants apprendront à se contenir, et tous les hommes qu'ils doivent chérir la paix et la conserver.

Tant que les Romains ont gardé leur excellente discipline, leur empire, avec l'aide de Dieu, s'est maintenu dans sa force : mais depuis longtemps ayant été négligée, pour ne pas dire entièrement oubliée, ainsi que la tactique, nous voyons qu'il en est arrivé de grandes et de fréquentes disgrâces. Comme elles avaient été la cause de leurs avantages et de leur grandeur, lorsqu'elles furent tombées ils perdirent la bienveillance divine, et la victoire, qui les avait toujours suivis, leur échappa des mains. A mesure que la discipline militaire s'est perdue, le zèle et la vigueur de l'âme se sont affaiblis dans les grands : l'oisiveté et la mollesse ont succédé aux exercices qui entretenaient les forces du corps : les chefs inappliqués, toujours ignorants, négligent de s'instruire dans les anciens tacticiens qu'on regarde comme des livres obscurs et inutiles. Ayant pris à cœur de faire revivre cette utile science qui semble être bannie de notre empire, je n'ai pas hésité à en faire mon travail propre et à m'y appliquer de sorte que nos sujets puissent en retirer une utilité commune.

J'ai donc recherché soigneusement ce que les auteurs anciens et modernes ont écrit sur les devoirs d'un général et sur la science de la tactique, comme aussi ce qu'on en trouve dans les histoires; et m'étant instruit de tous les usages de la guerre, j'ai examiné ce qui pouvait être le plus convenable au temps présent et à notre situation. J'ai recueilli, le plus en abrégé qu'il m'a été possible, ce que j'ai trouvé de meilleur et de plus utile pour en former un code à l'usage de nos généraux et de tous les militaires qui désirent pousser par degré leurs connaissances jusqu'aux parties les plus sublimes traitées par les anciens tacticiens. Je ne me suis point piqué d'élégance et me suis plus attaché à l'essence des choses qu'à l'ornement du discours. J'ai tâché autant que j'ai pu de rendre ma narration simple, claire et précise. Je me suis servi tantôt des termes de tactique grecs, et tantôt des latins, sans rejeter d'autres mots qui sont maintenant usités dans les armées, afin d'être entendu facilement de tout le monde. J'ai écarté tout ce qui m'a paru superflu et inutile, afin de donner à ceux qui veulent s'appliquer à la tactique, des moyens courts et faciles de s'instruire. Je leur ai exposé la manière de se conduire dans les diverses opérations de la guerre; ce qui est appuyé non seulement sur des maximes, mais sur les faits des anciens qui ont porté l'empire romain à son période de gloire, lesquels nous ont été transmis par l'histoire ou des mémoires particuliers.

S'il y a quelque chose de bon et d'utile dans mon travail, il faut en remercier Dieu, dispensateur de toutes les grâces, qui a répandu sur lui sa bénédiction en nous accordant les lumières nécessaires. Si quelque autre réussissait mieux par ses soins et son application, qu'il en glorifie la bonté divine, et cependant qu'on nous excuse en faveur de la peine que nous avons prise.

Tous ceux qui aspirent à quelques charges militaires, soit grandes ou petites, doivent s'appliquer à l'étude de la tactique et l'art de commander : car ce n'est pas avec une multitude d'hommes que la guerre se termine heureusement, comme le croient les ignorants, mais par la science de les ranger, de les faire mouvoir et de les ménager. C'est à quoi il faut avoir bien plus d'égard qu'au nombre : l'une assure tous les projets et les coups que l'on veut porter; l'autre ne produit que de l'embarras et une affreuse disette. Comme un vaisseau ne saurait traverser les mers sans l'art du pilote, la guerre ne peut s'entreprendre ni se conduire sans une connaissance parfaite de l'art militaire. Par son moyen, non seulement on se procure, avec l'aide de Dieu, la victoire à nombre égal; mais on peut vaincre même et dissiper un nombre supérieur. Nous voulons donc que ceci soit regardé comme une ordonnance promulguée à laquelle nous prescrivons d'obéir.

Nous expliquons ce qu'est l'art militaire, ce qu'est un général, quelles doivent être ses qualités, comment il doit prendre conseil. Nous exposons ensuite la composition d'une armée en officiers et en soldats, ses divisions, l'appareil qui marche à sa suite, les armes offensives et défensives de chaque espèce de troupes, comment le général doit les exercer. Nous parlons des peines portées contre les délits, qui doivent être lues publiquement; ensuite des marches, des bagages, des camps. De là nous passons aux préparatifs pour le combat; nous disons ce qu'on doit faire la veille de l'action et le jour même. Nous traitons des sièges, puis de ce qu'il faut faire après le combat. Nous venons ensuite aux combats de mer, et nous finissons par un recueil de diverses maximes ou sentences militaires. Nous espérons qu'un général sage, d'un esprit juste, pénétrant, qui s'instruira de ces choses, se perfectionnera et se rendra beaucoup plus capable de commander.

PREMIÈRE INSTITUTION.

De la tactique et du général.

La tactique est la science des mouvements qui se font à la guerre, soit sur terre ou sur mer; c'est l'art de ranger les troupes, et de disposer les différentes armes pour les faire agir à propos ; son but est d'éviter les échecs et de saisir tous les moyens de vaincre avec le moins de perte qu'il est possible. Pour y parvenir, celui qui commande doit s'appliquer avec soin à tous les exercices, connaître toutes les manœuvres et les stratagèmes qu'on peut employer selon l'occasion.

Il y a deux sortes de préparatifs de guerre : ceux qui se font pour la mer, et les autres pour la terre. Nous parlerons des premiers sur la fin. Les armées de terre sont composées de gens destinés pour combattre, fantassins ou cavaliers, et de ceux qui sont à la suite, tels que des marchands, des valets, des médecins et autres pour les usages nécessaires. On se servait aussi autrefois de chariots armés de faux, d'éléphants qui portaient des tours remplies de soldats; comme ces choses dont on a reconnu l'embarras et l'inutilité ne sont plus d'usage, je n'en ferai aucune mention.

Le chef principal de l'armée est nommé par le prince dont il reçoit la puissance; il a sous lui d'autres généraux qui sont en partie envoyés par le prince auquel il les a désignés, ou qu'il crée lui-même. Il doit surpasser tous ceux qui lui sont subordonnés, par sa prudence, son courage, sa justice et sa tempérance; il est chargé de l'administration civile et militaire de la province où il commande, d'assembler les troupes dispersées, d'en former le corps d'armée et d'y maintenir la discipline; il les recrute ou les augmente autant qu'il peut, il s'en sert pour nuire en toutes manières aux ennemis, soit à force ouverte ou par des irruptions subites, et il prend garde en faisant ses entreprises de se garantir lui-même de celles qui peuvent se tramer contre lui. Il doit chercher à s'attirer les bénédictions du ciel et la bienveillance du prince. Comme son objet doit être de s'acquérir une grande et véritable gloire, il ne peut y réussir qu'en remplissant ponctuellement tous les devoirs de sa charge; c'est pourquoi nous allons représenter, comme dans un tableau, toutes les qualités et les vertus qui doivent orner celui qui est revêtu d'une dignité si éminente.

INSTITUTION II.

Des qualités du général.

Nous voulons qu'un chef d'armée soit continent, sobre, vigilant, frugal et tempérant dans tous ses besoins, laborieux et assidu aux affaires, circonspect et prudent; qu'il méprise l'argent et n'ambitionne que la gloire. Il ne faut pas qu'il soit trop jeune ni d'un âge trop avancé. Il doit parler en public avec facilité lorsqu'il est nécessaire. Il est bon, si cela se trouve, qu'il ait des enfants. Il ne doit s'adonner à aucune espèce de lucre et de trafic, mais il faut qu'il ait l'âme élevée et au-dessus des petites choses ; qu'il soit enfin généreux, magnanime, et, autant qu'il sera possible, sain et robuste.

Sans la continence, un général entraîné par son penchant aux voluptés négligerait le soin des choses nécessaires : par la sobriété et la tempérance, il prendra un empire absolu sur les sens qui nous portent à toutes sortes d'appétits déréglés quand on s'en laisse gouverner.

S'il aimait à dormir, il ne pourrait soutenir les veilles dans les grandes et importantes affaires, la nuit étant le temps le plus propre pour les méditer, parce que l'esprit est plus recueilli et plus en état de prendre son parti.

S'il est simple et modeste dans la dépense de sa maison et le nombre de ses domestiques, il ne dissipera point, par un faste frivole, des sommes d'argent qui doivent être employées utilement pour les expéditions.

Sa patience à supporter la peine sera pour les soldats un exemple qui les encouragera. Il serait indécent qu'il pensât à son repos avant d'avoir assuré celui des autres.

La sagacité de l'esprit et la prudence lui serviront à tout prévoir et à prendre sur-le-champ sa résolution dans les incidents inopinés qui demandent un prompt secours.

On sera convaincu qu'il méprisera l'argent quand il ne se laissera point corrompre, qu'il gouvernera les affaires noblement et sans autre but que l'honneur de les faire réussir. Combien n'y a-t-il pas de gens capables de montrer du courage devant l'ennemi, qui n'auraient pas la force de résister à l'attrait de l'or : c'est un moyen bien puissant pour tenter la cupidité; il n'est point d'armes plus terribles pour vaincre un général et le déshonorer.

Il ne doit être ni jeune ni vieux, parce que la jeunesse est inconstante et sans lumières, et que la vieillesse débile manque de force pour agir : l'une, trop fougueuse, se précipite inconsidérément dans le danger; l'autre, pesante et tardive, peut nuire aux affaires par sa lenteur : il est donc à propos de le choisir d'un moyen âge, où le corps n'a rien perdu de sa vigueur et où l'esprit est parvenu à sa maturité. Ces deux choses devant s'aider mutuellement, c'est en vain qu'on admire l'une si elle est dénuée du secours de l'autre.

Un général affectionné des troupes les gouvernera facilement et en sera bien mieux aidé : elles obéiront sans contrainte et ne se refuseront à aucun péril. Telle est la force de ce sentiment, qu'on prodigue volontiers sa vie pour celui qu'on aime.

Celui qui a des enfants doit être préféré, sans que nous rejetions cependant l'autre, s'il est capable. Le premier se livre avec plus d'ardeur aux affaires pour l'intérêt de sa famille : s'il a des fils d'un âge mûr, il peut les associer à ses délibérations : ce seront de fidèles confidents qui travailleront de concert avec lui et l'aideront dans l'administration.

L'aptitude à parler en public lui sera d'un grand secours; car l'armée étant rangée pour combative, il excitera tout le monde par ses exhortations à braver les périls et mépriser la mort. La voix du général vaut mieux que le sonde la trompette ; elle remue l'âme avec plus de force, et la pousse à rechercher la gloire, elle console et raffermit le soldat dans le malheur, elle est plus efficace pour soulager les maux de l'armée que les soins du médecin pour guérir les blessures : rarement celui-ci fait une cure parfaite; mais le général, par ses discours, relève les esprits abattus, ranime l'espérance et le courage.

Ce sera un avantage qu'il soit d'une race noble et distinguée, parce qu'on ne se voit soumis qu'avec peine à des hommes d'une naissance obscure. Personne n'applaudit au choix d'un général qu'il croit inférieur à lui. Cependant s'il s'en trouve un qui ait toutes les vertus que j'ai dites ci-devant, cet homme se sera illustré lui-même, parce qu'il n'est pas possible qu'avec de si grandes qualités il reste longtemps inconnu.

On ne doit pas le choisir à cause de ses richesses, s'il manque d'ailleurs des talents .nécessaires ; ni rejeter celui qui est indigent par la seule raison du défaut de fortune. Ce ne seront point ces motifs qui nous, décideront ; mais les vertus et le degré de mérite.

Je conviens que si tout est égal de ce côté, le riche sera autant au-dessus du pauvre, que les armures couvertes d'or et d'argent sont au-dessus de celles de fer ou d'airain. Les unes et les autres servent également; mais les premières ont l'ornement de plus. Cela n'empêche pas que l'homme indigent ne doive être employé, s'il est exempt d'avarice et incapable de se laisser corrompre.

L'illustration des ancêtres peut être de quelque poids; mais le plus beau lustre du général, sont les qualités et les talents de son emploi. Lorsqu'on fait emplette d'animaux, on ne s'informe pas seulement de leur origine, mais aussi s'ils ne sont pas vicieux, lâches, paresseux; et l'on veut savoir de quoi ils sont capables. De même on ne doit pas juger les hommes par les seules actions de leurs ancêtres; il faut les estimer selon les leurs propres. Il est injuste de mépriser de braves soldats pleins de vertus parce qu'ils sont nés de parents obscurs, et d'élever aux grandes charges des gens ineptes, qui ne peuvent se parer que du mérite de leurs aïeux.

 Heureux celui qui peut joindre à ses vertus la gloire de ses ancêtres ; mais il la citera en vain s'il n'est pas capable de la soutenir.

Peut-être quelqu'un pensera-t-il que comme celui qui a de petites facultés est plus industrieux et plus actif pour les augmenter, que s'il était né avec des richesses, de même l'homme nouveau, dénué de l'appui d'un grand nom, sentira qu'il doit être seul l'artisan de sa fortune ; qu'il s'y livrera par cette raison avec plus d'application ; au lieu que celui qui trouve le chemin frayé par ses parents sera plus mou et plus indolent.

Tout bien examiné, on prendra, si l'on peut, un général capable, noble et riche, sans exclure toutefois l'homme de mérite pauvre et sans naissance.

Le commerce, tel qu'il soit, auquel s'adonne le menu peuple, est au-dessous d'un général, et avilirait sa dignité : il y puisera d'ailleurs l'amour du gain et l'avidité des richesses.

Finalement, il doit avoir le corps sain, l'esprit prompt et décidé, être actif, laborieux, courageux, intrépide dans les dangers, pieux, et disciple fidèle de la vraie religion.

Il doit être modéré dans les plaisirs des sens, mais insatiable de la gloire et des louanges qu'attirent les belles actions.

Il faut qu'il sache prendre son parti dans les cas difficiles et douteux; prévoir les obstacles, les écarter, ou les vaincre ; qu'il soit expérimenté à dresser, armer et ranger les troupes.

Qu'il sache relever le courage des soldats abattus, ranimer leurs espérances, et les exciter à tout entreprendre; qu'il fasse observer exactement les lois militaires; qu'il ait le discernement fin et subtil, pour ne pas se laisser surprendre par les discours adroits de ceux qui voudraient l'engager dans de fausses démarches.

Il faut qu'il soit ménager de l'argent qu'il donnera pour ses plaisirs, mais qu'il n'épargne rien pour tout ce qui peut être utile à l'état; qu'il soit affable et d'un facile accès; point si clément et si doux, qu'il se fasse mépriser, ni si rude et si sévère que la crainte aliène de lui les cœurs.

Il serait trop long de rapporter ici le détail de toutes les fonctions journalières de sa charge : nous en parlerons dans le cours de cet ouvrage, quand il sera question de l'art des opérations, et nous tâcherons de ne rien omettre d'important.

Si celui qui sera élevé à ce poste pendant notre règne a toutes les qualités que nous désirons, et qu'il y persiste, nous espérons qu'il attirera les grâces du ciel sur nos armes et sur l'état ; il s'acquerra aussi notre bienveillance avec l'estime générale. Ainsi après avoir établi l'état de perfection du capitaine général de l'armée, mettons-le à présent en activité, et comme si nous lui parlions, déclarons-lui tout ce qui est convenable aux fonctions de sa charge, et comment il doit se conduire, soit dans le gouvernement de l'armée, ou dans la manière de la ranger.

Je vous exhorte avant tout, ô général, d'être pieux et juste, d'avoir sans cesse Dieu devant les yeux, de le craindre et l'aimer de tout votre cœur, de suivre ses commandements, de gagner sa bienveillance, afin que dans l'occasion (ceci est peut-être trop hardi) étant assuré d'avoir pour ami le maître universel, vous puissiez le prier avec confiance, et de même en espérer le secours dont vous avez besoin.

Soyez bien persuadé que sans sa divine assistance rien ne vous réussira, quoique vous usiez d'une extrême prudence; que sans elle vous ne vaincrez point les plus faibles ennemis, parce que la Providence régit tout, jusqu'aux plus petites choses.

Un pilote, quoique très habile, emploie en vain son art, si les vents sont toujours contraires ; mais s'il en trouve un favorable, en y joignant son habileté, il doublera en toute assurance la vitesse de sa course. De même un bon général, qui s'attire la protection du ciel, en remplissant ses fondions avec sagacité et vigilance, conservera saine et entière l'armée qui lui sera confiée ; et réunissant sa prudence à la force, il fera échouer tous les desseins de l'ennemi. S'il veut donc que Dieu lui serve de guide, il faut que la justice et la piété soient le fondement de toutes ses actions.

Soyez honnête envers qui il conviendra. Ceux qui ont des mœurs sauvages se rendent odieux et intolérables.

Mettez une noble simplicité dans votre manière de vivre et dans vos vêtements, car le luxe entraîne nécessairement à des dépenses inutiles.

La diligence et l'adresse terminent les affaires les plus épineuses. Quand on y met de la négligence, elles vont bientôt de mal en pis.

Dans les cas importants ne faites rien sans avoir pris mûrement conseil. Exécutez sans délai et sans hésiter ce qui aura été résolu, comme le pratiquent les médecins envers les malades.

Rendez la justice exactement et sans partialité. Punissez sans différer les fautes de négligence et contre la probité, afin de paraître ami du bon ordre. Ce ne serait pas l'être, d'avoir de l'indulgence pour les méchants et les fripons. N'affectez pas cependant sans raison une sévérité implacable. Si celle-là porte au mépris, et détruit l'obéissance, celle-ci attire une juste haine.

Lorsque vous serez armé, pensez surtout que la guerre que vous entreprenez est juste, et que vous n'attaquez les ennemis que parce qu'ils auront, selon leur coutume impie, fait irruption sur notre domaine.

Nous étant appliqués à maintenir la paix, soit parmi nos sujets ou avec les étrangers, pour l'amour du Christ dominateur universel, si ces peuples se contiennent dans les limites de leurs états, ne faites sur eux aucun acte d'hostilité, et ne souillez point la terre de sang. Vous blâmeriez sans doute quiconque attaquerait des gens paisibles et sans mauvaise intention. Songez qu'ils vous jugeront de même si vous les attaquez sans qu'ils aient aucun dessein contre nous. Mais, s'ils sont les agresseurs, et qu'ils ravagent notre territoire, alors vous devez repousser une guerre injuste, et la leur porter avec confiance. Soyez assuré que Dieu vous donnera une victoire brillante, dès que vous combattrez pour la défense de vos frères : c'est pourquoi vous devez considérer que le bon droit soit toujours de votre côté.

Vous ferez donc en sorte de surpasser tous ceux qui seront sous vos ordres, en piété et dans toutes les vertus; car la multitude se règle ordinairement sur l'exemple du chef, qui, par cette raison, doit être le meilleur de tous : selon l'ancien proverbe, ce ne sont pas les cerfs qui commandent aux lions, mais les lions aux cerfs.

La brièveté de nos instituts ne permet pas d'étendre davantage ces préceptes. En lisant les maximes contenues dans les chapitres de cet ouvrage, et celles qui sont dispersées dans le livre intitulé : Parallèle des faits militaires, vous pourrez y joindre vos réflexions, et en recueillir plus d'utilité.

Faites donc beaucoup d'attention à toutes ces choses, et que vos belles actions en soient le fruit; afin de plaire d'abord à Dieu, ensuite à votre empereur, et d'en recevoir des récompenses dignes de vos travaux.

INSTITUTION III.

Comment l'on doit tenir conseil.

Il faut toujours délibérer avant d'agir. Le succès des entreprises qu'on n'a pas consultées est trop incertain, et il est bien rare que quelqu'un puisse se glorifier d'avoir réussi dans une affaire qu'il aura conduite tout seul.

Je vous ordonne donc, avant toutes choses, de former un conseil de ceux que vous jugerez les plus propres à y être admis, tels que les préfets et les turmarques, surtout quand il s'agira d'opérations de guerre. Lorsque vous aurez approuvé la résolution prise, vous donnerez tous vos soins à l'exécution j à moins qu'il ne survienne quelque incident qui l'empêche, ce qui arrive assez souvent.

Tenir conseil, c'est délibérer si l'on entreprendra ou non une chose proposée; si on l'entreprend, comment, dans quel temps, dans quel lieu on l'exécutera quelle personne en sera chargée, quels moyens on emploiera pour la faire réussir et quel avantage on en pourra retirer.

Pour délibérer avec soi-même, il faut avoir l'esprit libre, dégagé de toute inquiétude, de toute passion, surtout d'amour et de haine, qui peuvent être très nuisibles à l'affaire qu'on examine.

Ne vous arrêtez pas seulement à ce qui vous paraît facile; mais représentez-vous tous les cas possibles : sans cela, lorsque l'affaire serait entamée, vous trouveriez peut-être quelque obstacle que vous n'auriez pas prévu.

Si vous délibérez avec les autres, soyez exempt de toute espèce de prévention, comme si vous étiez seul. Prenez pour conseillers les plus expérimentés, les plus prévoyants, et qui auront le plus de ressource dans l'esprit. Qu'ils soient fidèles, incorruptibles; que l'envie de vous plaire ou à d'autres, ne leur fasse pas trahir leurs sentiments; qu'ils n'aient enfin d'autre but que le bien commun.

Rien de plus dangereux que ces gens adroits et transcendants qui ont des affections et des vues particulières, auxquelles ils sacrifient l'utilité publique en ramenant tout le conseil à leur avis.

Ne confiez vos affaires importantes qu'à des gens sages et discrets, qui ne dépendent que d'eux-mêmes ; c'est le moyen qu'elles ne soient pas divulguées.

Délibérez lentement à moins que les circonstances ne vous pressent. Lorsque vous aurez résolu s'il n'y a point d'obstacles, exécutez promptement.

Choisissez, comme je l'ai dit, le temps et le lieu le plus favorable; mais ne vous en rapportez point à vous seul : consultez aussi là-dessus ceux qui sont de votre conseil.

Vous pouvez examiner avec plusieurs ce qu'il faudra faire; mais ne communiquez vos desseins qu'à peu de personnes. Lorsque vous aurez pris ce qu'il y aura de meilleur dans les avis et formé votre résolution, gardez-vous de la faire connaître, de peur qu'elle ne transpire, et que les ennemis venant à la savoir ne vous dressent un piège.

L'exposé d'une affaire fait naître ordinairement plusieurs avis différents. S'ils viennent tous à se réunir, cela paraît rendre alors la chose évidente et devoir lever toute incertitudes

Chacun doit dire son avis en conscience, ayant pour objet la conservation de l'armée et l'honneur du chef qui l'appelle à son conseil,

La fin que vous devez vous proposer en tenant conseil est donc de savoir où, comment et quand vous agirez ou n'agirez pas, et pour quelle raison vous agissez.

Dans toutes vos délibérations, ne perdez pas de vue ces deux points : si la chose est possible, et si elle est utile ; sans quoi il est visible que vous agiriez témérairement.

Si elle est inutile, vous essuyez une perte certaine sans en retirer aucun fruit; si elle est impossible, vous faites une entreprise insensée. Il faut éviter avec soin tout ce qui ne peut causer que du dommage. Les hommes ordinaires repaissent leur esprit de vaines pensées et d'espérances brillantes, sans considérer les malheurs auxquels ils s'exposent.

Il est donc important de digérer mûrement les affaires, de telle sorte qu'on ne s'engage point avec une présomption aveugle, et que l'attrait séduisant de quelque avantage, ne jette pas dans un danger manifeste;

D'un autre côté; la crainte seule qui n'est pas accompagnée de hardiesse, est un défaut. Elle fait manquer les occasions d'agir et d'entreprendre des choses utiles. Souvent l'inaction peut être une témérité, et la trop grande peur de ne pas réussir attirer des disgrâces;

Voilà en bref ce que j'avais à vous recommander touchant la manière de prendre conseil. Parlons maintenant de la tactique et des opérations de guerre;

INSTITUTION IV.

De la division de l'armée, et de l'établissement des chefs.

Vous choisirez selon l'ancienne coutume, pour officiers et soldats, ceux que vous jugerez les plus propres à la guerre. Vous ne prendrez point pour soldats des adolescents ni des vieillards, mais des hommes faits, robustes, de bonne volonté, et qui ne soient pas pauvres, afin que lorsqu'ils seront occupés à la guerre, il reste quelqu'un dans leurs maisons pour cultiver leurs champs et avoir soin de leurs affaires domestiques, et aussi pour qu'ils puissent se fournir des armes et l'équipement nécessaire. Voulant traiter favorablement nos braves compagnons d'armes (j'appelle ainsi ceux qui exposent leur vie pour le salut de l'empire et la gloire de notre règne), leurs familles, pendant qu'ils serviront, seront exemptes de toute servitude et charge publiques à l'exception du tribut ordinaire.

Toute votre année sera divisée en différentes tagmes ou bandes, et celles-ci en décurie. Vous en formerez des chambrées qui se composent de cinq où de dix hommes. Ainsi la décurie contient une ou deux chambrées.

On établira pour chefs sur les bandes, dronges et autres divisions principales, ceux qu'on jugera les plus capables. Il faut qu'ils soient fidèles, affectionnés à l'empire romain, et qu'ils aient donné des preuves de courage. Ils n'en vaudront que mieux s'ils sont riches et d'un sang noble, pourvu qu'ils aient les vertus de l'âme. L'élévation de la naissance fera qu'ils auront le commandement ferme et seront obéis plus ponctuellement. S'ils ont du bien, ils pourront en aider les soldats de leur troupe et se les attacher par des libéralités qui les portent à exposer leur vie plus courageusement.

Les plus considérables d'entre eux seront, les uns comme les assesseurs du général et les plus honorés, les autres seront admis à sa confiance et à ses conseils les plus secrets. Chacun se prévient facilement pour ce qu'il imagine soi-même ; mais on s'assure mieux de sou utilité en le soumettant à l'examen des autres, dont on joint les lumières aux siennes.

Ainsi un général ne doit pas avoir une telle incertitude dans l'esprit, qu'il se méfie tout à fait de lui-même, ni une telle présomption qu'il croie pouvoir se passer de conseil ; étant aussi dangereux de se livrer sans réserve aux avis des autres, que de n'en vouloir écouter aucun. Il faut vous expliquera présent les noms des officiers et leurs fonctions.

Après le général qui est le chef de tout, sont les mérarques ; ensuite les drongaires, les comtes, c'est-à-dire les chefs de bandes; suivent les centurions, puis les dizainiers qui président aux décuries ; après ceux-ci les pentarques ou chefs d'escouades de cinq hommes ; les tétrarques chefs de quatre. Les ouragos sont les derniers de chaque chambrée, qui restent à la queue des files et forment le dernier rang. La dernière partie de la décurie est la queue du corps adhérente au reste. Ce sont là les noms des différents chefs. Il y a encore d'autres charges dans chaque bande, comme les porte-enseigne, les trompettes ou sonneurs de buccine, les médecins, les chirurgiens, les porteurs d'ordres, les crieurs qui par leurs discours excitent les soldats au combat, les écrivains et autres qui ont leurs fonctions séparées. Tous ces noms à présent en usage ont remplacé les anciens qui sont abolis.

On appelle général en chef (στρατήγος), le premier officier de l'armée, et lieutenant général celui qui occupe la seconde place et commande sous lui. Pour moi, j'estime que nos anciens appelaient lieutenant général (ὑποστράτεγος) celui que nous nommons à présent général; parce que le prince étant proprement le maître et le chef de toutes les armées, nommait une personne pour tenir sa place dans chacune et. la commander. Cette personne n'était donc regardée que comme vice général. Maintenant l'usage est d'appeler général celui qui est envoyé par le prince pour la commander, et qui est aidé par des lieutenants ayant chacun leur division. On ne les connaît plus actuellement que sous le nom de mérarques, c'est-à-dire chefs d'une mérie ou grande division.

Le drongaire est le chef d'une petite mérie, qui forme la troisième partie de la grande division commandée par le mérarque, autrement dit turmarque, parce que sa division se nomme turme. La turme ou grande mérie est donc composée de trois petites méries ou dronges jointes ensemble. Le dronge renferme les troupes que nous appelons tagmes ou bandes, qui sont commandées par des comtes. Ainsi le comte est le chef d'une tagme ou bande, et le centurion régit cent hommes sous les ordres du comte.

Le dizainier est le premier d'une décurie, comme le pentarque est le chef de cinq. Celui-ci est placé au milieu de la file. Le tétrarque est appelé aussi gardien; l'ouragos est celui qui est à la queue de la file. Les fréquentes divisions marquent la quantité des soldats d'élite aussi prompts à obéir qu'à faire exécuter ce qui leur est ordonné : cela fait la force de l'armée et donne une grande aisance pour les manœuvres.

Le bandophore porte l'enseigne de la bande. Le lochagos est le chef de file : il est au premier rang; ceux qui le forment se nomment protostates. Le secondaire est le second de la file, autrement dit épistate. L'ouragos est, comme je l'ai dit, le dernier de la file. Les coureurs sont ceux qui précèdent l'ordonnance de l'armée quand elle va au combat, et qui poursuivent l'ennemi lorsqu'il fuit. Les défenseurs suivent ceux-ci sans se débander comme eux, mais marchant en ordre pour les soutenir et les revancher lorsqu'ils plient, ce qui arrive toujours.

Les mesureurs ou mensurateurs sont ceux qui dressent le camp, en distribuent le terrain et tracent le retranchement. Nos anciens appelaient anti-censeurs ceux que nous confondons à présent avec les mesureurs qui n'ont point de nom déterminé. Les anti-censeurs allaient devant pour reconnaître les chemins, la disposition du pays et les lieux propres à l'assiette du camp dont ils déterminaient la figure.

Les spéculateurs sont ceux qui vont en campagne pour apprendre des nouvelles de l'ennemi.

Les gardes flancs sont des troupes placées pour garantir le flanc de la première ligne.

Les cornistites sont destinés à tourner les ailes de l'ennemi.

Les insidiateurs sont ceux qui se mettent en embuscade pour être prêts à tomber inopinément sur l'ordonnance des ennemis.

Les tergistites marchent en bataille derrière toute l'armée.

Il y a des gens qui, le jour du combat, suivent l'armée pour relever les blessés et leur mettre le premier appareil : nous les appelons à présent scriboni.

Les mandateurs sont ceux qui portent les ordres des chefs pour les faire exécuter promptement. Il faut choisir pour cet emploi des gens actifs et intelligents.

Le général aura sa chancellerie pour les expéditions des affaires, dans laquelle on peut mettre le même ordre que dans celle d'une province, en nommant un comte de la cour et les autres officiers inférieurs. Il y aura aussi un protonotaire avec un cartulaire et un préteur: celui-ci pour juger les affaires civiles et contentieuses, l'autre pour tenir un rôle de tout ce qui compose l'armée. Bien que ceux qui remplissent ces emplois doivent obéir en plusieurs choses au général, nous voulons cependant qu'ils dépendent de nous immédiatement pour la partie relative à leurs fonctions, afin que nous puissions être informés plus sûrement de l'administration civile et militaire.

 Le bagage comprend tous les ustensiles des soldats, valets, chevaux et autres animaux, et généralement ce qui est à l'usage du camp. Au défaut de valets, on tirera des soldats les plus faibles un homme pour la conduite de trois ou quatre bêtes de somme et un autre de confiance, auquel on donnera un certain signal, qui marchera à la tête de l'équipage de la bande.

Vous diviserez donc toute l'armée en différentes tagmes, sur lesquelles vous établirez des préfets sages, valeureux et propres pour les commander. Dans chacune vous choisirez ce qu'il y aura de mieux pour la naissance et le courage, afin d'en faire des centurions. S'il est possible, il faut qu'ils sachent tirer de l'arc. Après ceux-ci vous choisirez les dizainiers, les pentarques ou chefs de cinq, les tétrarques et les serre-files qui sont deux dans chaque décurie; en sorte qu'il y ait dans chaque file cinq hommes d'élite, et que les deux meilleurs soient, l'un à la tête, l'autre à la queue. Vous distribuerez ceux qui resteront de manière que les nouveaux soient mêlés avec les anciens. Ceci est important pour fortifier les uns par les autres; car les vieux n'ont pas la force des jeunes et ceux-ci n'ont pas la même expérience. Les vieux serviront donc à les conduire et les empêcheront de troubler l'ordonnance.

Après avoir réglé les files, vous marquerez celles qui doivent être à la droite, et celles qui doivent être à la gauche de la bande. Vous ferez les files de votre ordonnance de cinq, dix, quatre ou huit, comme vous le jugerez à propos selon l'occasion, de manière que ceux des mêmes décuries combattent toujours ensemble à leur ordinaire. Vous ferez même fort bien si vous réunissez les frères, parents et amis. Quand on voit le péril menacer une personne qui est chère, on se porte avec plus d'ardeur au combat; l'autre réciproquement a honte d'abandonner celui qui s'expose pour le sauver et de montrer moins de courage.

Les bandes étant distribuées chacune sous son comte, vous les ferez de trois cents hommes : quoique vous ayez une grande armée, elles ne seront pas de plus de quatre cents, ni moindre de deux cents. De toutes les tagmes ou bandes, vous en formerez des chiliarchies, autrement dites méries ou dronges.

Toutes ces méries formeront trois divisions ou turmes, dont chacune sera commandée par un turmarque appelé ci-devant mérarque. Nous choisirons et nommerons nous-mêmes ces officiers, qui doivent être prudents, braves, vertueux, sachant se faire obéir, instruits dans les lettres, surtout celui qui est à la tête de la division du centre que nous appelons lieutenant général, et qui doit dans le besoin remplacer le général en chef.

Toute la ligne sera donc divisée en trois grandes parties ou turmes, savoir, celle de la droite, celle de la gauche et celle du centre. Il ne faut pas, comme je l'ai dit, que la bande passe quatre cents hommes, ni la mérie ou dronge deux mille, ni la turme six mille. Un plus grand nombre pourrait apporter de la confusion, et nuirait à l'exécution des ordres. De ce qui excédera on en formera une seconde ligne pour soutenir la première, et l'on en placera aussi pour garder les flancs, les derrières, pour mettre en embuscade, et pour tourner l'ennemi.

Il sera nécessaire de ne pas faire les bandes égales, afin qu'on ne juge point par leur nombre de la force de l'armée, ce qui est souvent très nuisible. Si vous pouvez d'une seule bande en faire paraître deux, quand vous serez prêt de combattre, cela imprimera plus de terreur, et vous sera fort utile. Il faut tirer de chaque bande, pour le service ordinaire, deux porteurs d'ordres, actifs, prompts, et qui aient la voix forte. Il sera bon aussi qu'ils sachent plusieurs langues. Il faut encore des buccinateurs pour sonner dans l'occasion, des fourbisseurs, des armuriers pour faire des arcs et des flèches, et autres ouvriers pour fabriquer les choses nécessaires.

Vous établirez aussi quelqu'un pour ramasser les effets perdus et les rendre à leurs maîtres.

Comme il y aura des vaguemestres pour conduire et régler les équipages de la cavalerie, il faut qu'il y en ait de même pour l'infanterie. Ils seront subordonnés aux chefs du charroi. Celui-ci est composé de voitures qui portent les machines et les munitions de guerre. Il y aura dans chaque turme un vaguemestre, et un signal distinctif pour la division, qui se mettra sur les chevaux et les bœufs, afin qu'ils soient facilement reconnus par la différence des couleurs. Puisque je me suis souvenu de l'infanterie, il est à propos d'en détailler l'ordonnance et la composition, telles que les anciens tacticiens les ont décrites, et qui nous ont été transmises par des écrivains plus modernes.

Les anciens avaient un grand nombre de cette espèce de soldais appelés hoplites, que nous nommons à présent porte boucliers; quoique ce terme soit presque ignoré de tout le monde, par la profonde ignorance où l'on est à présent de l'art militaire. Les tagmes, donc, des hoplites se formaient de seize files qui étaient chacune de seize hommes, ce qui composait un nombre de deux cent cinquante six hommes en forme carrée. On trouve que la phalange des gens de pied était de quatre mille quatre-vingt seize commandée par un général. Le corps complet de l'infanterie d’une armée comprenait soixante-quatre tagmes, mille vingt quatre files, et seize mille trois cent quatre-vingt quatre hommes. L'armure légère, savoir les archers, les frondeurs et les jaculateurs, était de huit mille cent quatre-vingt-douze, c'est-à-dire la moitié des hoplites ou pesamment armés ; et la cavalerie qu'on y joignait était de quatre mille quatre-vingt-seize.

L'armée se rangeait de cette manière. Toutes les turmes des hoplites formaient un front divisé en quatre parties égales. Les armés à la légère, appelés psilites, gens prompts et agiles, se plaçaient devant la ligne pour harceler l'ennemi, ou sur les flancs en oblique ou bien derrière, ou enfin de telle manière que la circonstance l'exigeait, comme je le dirai dans son lieu.

La cavalerie se divisait en deux parties qui se plaçaient sur l'un et l'autre côté de la phalange, pour la soutenir, et de là charger rapidement l'ennemi.

J'ai passé sous silence plusieurs autres divisions, dont les noms ainsi que ceux des chefs qui les commandaient, ne sont plus de mode. Je me suis seulement attaché aux choses les plus utiles et qu'il nous est plus nécessaire de connaître. Il paraît que les anciens s'étaient fixés à ce nombre, parce qu'ils comptaient pouvoir le remplir entièrement d'hommes braves.

Pour nous, qui avons moins de soldats, et qui n'employons pas des nombres justes comme les anciens, il serait difficile de réduire toutes les tagmes d'infanterie ou de cavalerie au nombre de deux cent cinquante six. Vous les ferez donc à proportion de la quantité des soldats que vous aurez en état d'y servir. Vous aurez d'ailleurs attention que toutes les files de l'infanterie soient composées de seize bons hommes.

De tel nombre de files et de bandes que ce corps soit composé,  vous le diviserez en quatre grandes parties ou turmes sur un même front; l'une sera placée à la droite, l'autre à la gauche, chacune commandée par un turmarque, et deux au milieu où sera la bande du général.

Vous garderez quelques pesamment armés pour être en réserve, et des psilites dont le chef se portera en dehors des ailes de la cavalerie, où entre les chariots des flancs, ou dans tout autre lieu où ils seront utiles;

Si votre corps d'infanterie est au-dessous de vingt-quatre mille hommes vous n'en ferez que trois turmes ou grandes divisions, et la bande du général, sur laquelle les autres doivent se régler, sera placée dans celle du milieu.

Vous choisirez pour psilites les plus habiles à tirer de l'arc, jeunes, vigoureux, et assez lestes pour courir et sauter en tous lieux. S'il y a vingt quatre mille hommes, vous en prendrez la moitié, le tiers s'il y en a moins. Vous les diviserez en décuries ; comme il est dit ci-devant, avec leurs dizainiers; et vous leur donnerez un chef qui se nommera maître des archers.

Des deux autres parties vous en formerez des files de dix-huit, composées d'anciens et de nouveaux soldais. De ces dix-huit hommes vous séparerez les deux moindres pour la garde des bagages. Les seize restants formeront la file; vous en tirerez les huit meilleurs hommes pour être les premiers et les derniers : savoir, quatre à la tête, premier, deuxième, troisième, quatrième ; et quatre à la queue, en comptant par le dernier, seizième, quinzième, quatorzième, treizième. Les huit moindres seront placées au milieu; de cette sorte le front et la queue seront également renforcés.

En outre vous désignerez ces seize hommes par premier et second, ou bien protostate et épistate; et ainsi depuis le commencement jusqu'à la fin de la file. Par ce moyen il y en a deux qui auront chacun deux noms, savoir le chef de file appelé lochagos, qui sera aussi protostate, et l’ouragos, ou serre-file, qui sera épistate.

Pour qu'on puisse mieux gouverner ces seize hommes et les faire vivre ensemble, on les séparera en deux chambrées, l'une composée des protostates, qui sera sous le lochagos, l'autre des épistates, sous le dizainier. Cette division n'empêchera pas qu'ils ne soient toujours soumis au lochagos, quand ils seront rassemblés dans l'ordonnance.

Il sera bon, s'il est possible, de les ranger, non seulement selon leur force, mais aussi par rang de taille, de manière que les plus grands étant devant donnent à l'ordre de bataille un air plus formidable : si l'on ne trouve pas à concilier dans les premiers la taille avec la valeur, on suivra l'ordre accoutumé, qui est de mettre les hommes de confiance à la tête et à la queue.

Les anciens avaient adopté pour l'infanterie le nombre de seize, parce qu'étant carré il se partage par égale portion jusqu'à l'unité, et convient parfaitement pour former toutes les divisions et subdivisions de l'armée, en les coupant, soit dans la longueur ou dans la profondeur.

INSTITUTION V.

Des préparatifs des armes.

Nous vous ordonnons de veiller à ce que l'armement, tant des gens de pied que de cheval, soit dans le meilleur état et convenable pour toutes les occasions. Vous vous ferez aider dans cette partie par les officiers supérieurs et inférieurs qui seront sous vos ordres.

Vous ferez provision d'arcs avec leurs étuis, de flèches avec des carquois, d'épées acérées et tranchantes, de grands boucliers appelés targes, et de petits appelés peltes, à l'usage des gens de pied ; et aussi d'autres ronds couverts d'un fer émoulu, de piques longues de huit coudées. Celles des Macédoniens étaient de seize, ce qui ne nous convient pas actuellement, cette arme devant être d'un usage aisé, et proportionnée à la force de chaque soldat. Il faudra des armes de trait, comme des pilum et des javelots, des haches et des haches d'armes, ayant d'un côté un fer pointu comme celui d'une lance, et de l'autre un tranchant, avec leurs étuis de cuir et leurs courroies. Il faut aussi de larges épées à un tranchant qui se portent sur la cuisse.

Il faut des armures qui descendent jusqu'au cou-de-pied, dont on attache les différentes pièces par des courroies et des anneaux, avec leurs étuis de cuir. Il serait bon qu'elles fussent toutes de mailles de fer, sinon on les fera de corne ou de peau de buffle sèche. On aura des soubrevestes pour mettre sous les cuirasses. Les corselets seront de fer, ou d'autre matière comme il a été dit. On aura des casques entiers, des bottines et des gantelets de fer, ou d'autre matière pour ceux qui en manqueront ; des colerins de mailles de fer garnis en dedans de feutre, et en dehors de lin. Au défaut de cuirasses de fer on y suppléera par d'autres de nerfs qui seront garnies d'un double feutre. On pourra faire aussi des casques de tissu de nerfs. On aura des casaques que le soldat endosse par-dessus ses armes ; des fers à hameçon pour de petites flèches, avec leurs étuis; des malettes, des frondes, des grandes sacoches, des tubes à jeter du feu, des mèches, des longes de cuir, des fers pour les pieds des chevaux, avec leurs clous, des alènes, des limes, des fronteaux, des poitrinals et des colerins de fer ou de cuir pour les chevaux.

Il faut de grandes et de petites flammes diversement colorées, de grandes et de petites buccines, des faux, des faucilles, des doloires, des haches et des tripèdes avec leurs verges de fer.

On aura de petits moulins à bras, des scies, des pics, des pelles, des marteaux, des corbeilles pour porter la terre, des toiles, des crins, ou d'autres tissus qui servent à se couvrir, ainsi que toutes les choses propres aux travaux et à la défense du camp. Cela sera porté sur des chariots légers faits pour cet usage.

Il faudra des chariots plus solides pour le transport des toxobalistes, des mangonneaux, des forges et de tous les ustensiles destinés à leur service. On en aura pour se remparer, d'autres pour porter des vivres et des armes de rechange autant qu'il sera nécessaire, avec divers instruments et matériaux dont on a besoin pour les retranchements. Vous penserez en même temps à vous assurer de chevaux, et autres bêtes de trait.

Il faudra pour les sièges différentes sortes de mangonneaux, des échelles de bois toutes préparées qui puissent s'emboîter ensemble, et les autres machines qu'on jugera nécessaires.

Vous vous pourvoirez de barques et de petits bateaux pour traverser les lacs et les rivières : on les fait de peaux de bœufs ou de bois ordinaire. Vous préparerez aussi des tentes avec leurs agrès pour se garantir de la chaleur et des pluies.

Le chef de la .marine préparera des vaisseaux, soit de guerre ou de transport, pour les chevaux, les bagages et tout ce qui concerne l'armement.

Vous aurez donc soin de tout cet appareil auquel il doit être pourvu en partie par vous, en partie par vos préfets; que l'on ne manque ni d'armes offensives ni défensives, ni de rien qui soit nécessaire. Vous veillerez à ce que les armes soient luisantes et bien acérées, ce qui ne contribue pas peu à inspirer de la terreur aux ennemis. Il faut que tout cela soit prêt à propos, et ne pas attendre le moment où l'on en aura besoin : ce n'est plus le temps d'y penser lorsqu'on est en présence de l'ennemi et prêt à combattre. Vous y ajouterez ce que je puis avoir oublié, et si vous imaginez quelque nouveauté qui soit utile, vous en rendrez grâces à Dieu, auteur de votre industrie. Avant toutes choses, ayez sa crainte, devant les yeux. Que votre esprit soit prompt, appliqué en tous temps et en tous lieux, pour que vous ne soyez jamais pris au dépourvu.

Voilà ce que la mémoire a pu me fournir touchant les préparatifs des armes. Nous parlerons dans la suite de l'ordonnance de l'infanterie, et d'une armée mêlée de gens de pied et de cheval : mais auparavant il faut expliquer en détail comment chacun d'eux doit être armé.

INSTITUTION VI.

De l'armure des fantassins et cavaliers.

Il faut donc que les soldats soient pourvus d'armes par leurs chefs, et de tout ce qui leur est nécessaire, soit pour le temps de la campagne, ou pour le quartier d'hiver : de même les officiers, depuis le turmarque jusqu'au centurion et quintenier, chacun selon ses facultés, et comme vous l'aurez ordonné.

Chaque archer portera la cotte de maille entière descendant jusqu'au cou de pied, avec les anneaux et courroies pour l'attacher, et leurs étuis de cuir. Il aura un casque de fer poli, orné au sommet d'une petite crête, un arc plus au-dessous qu'au-dessus de ses forces, un étui large et commode pour le porter; provision de corde de nerfs dans ses bougettes, une trousse avec sa couverte tenant trente ou quarante flèches, une lime et une alène dans la ceinture de son arc, une lance de moyenne grandeur, à l'usage de la cavalerie, ayant dans le milieu des courroies pour attacher une petite flamme ; une épée à la manière romaine suspendue à un baudrier, et un poignard à la ceinture.

Les jeunes cavaliers qui ne sauront pas tirer de l'arc auront des javelots avec un grand bouclier; il sera bon qu'ils aient des gantelets de fer. Il y aura de petites houppes aux housses de leurs chevaux et de petites flammes pour ornements sur les épaules de leurs casaques.

Plus le soldat est armé et vêtu proprement, plus cela relève son courage et intimide les ennemis.

Autant qu'il sera possible, qu'ils aient des cuirasses ornées et brillantes, avec une chaussure armée, que nous appelons à présent podopselle; et une soubreveste, pour la meure quand il faudra.

 Tous les jeunes Romains, jusqu'à l'âge de quarante ans, seront obligés d'avoir un arc et une trousse, de flèches pour apprendre à les tirer, s'ils ne le savent point encore. On peut remarquer que la négligence de cet exercice nous a été très préjudiciable.

Il faut que chaque cavalier ait deux dards pour les lancer contre l'ennemi, et afin que, si l'un manque, il ait recours à l'autre.

A l'égard des chevaux, ceux des chefs, surtout, auront des gardes poitrails et des fronteaux de fer, ou de gros feutre, ou d'un tissu de nerfs.

On leur donnera aussi des gardes cou, et s'il est possible des gardes ventre qui s'attachent à l'arçon de la selle. Cela les garantit très souvent et sauve le cavalier : ceci est particulièrement pour tous ceux qui combattent aux premiers rangs.

Les mors des chevaux seront forts et convenables ; les selles seront couvertes de poil, et auront de grands sièges; à chacune seront attachés deux étriers, des courroies de valise, une sacoche dans laquelle on puisse porter des vivres pour trois ou quatre jours. La housse doit être ornée de quatre houppes; il y aura une aigrette sur la têtière, et une houppe aussi sous la ganache. Le cavalier doit avoir une hache tranchante d'un côté et de l'autre, armée d'un fer long et pointu. Elle se portera dans un étui pendant à l'arçon de la selle.

Le vêtement du cavalier sera de lin, de laine ou d'autre étoffe; il doit être assez large et long pour couvrir les genoux et avoir meilleure grâce.

Il faut que les casaques soient amples et leurs manches larges, pour que l'arc et le baudrier n'embarrassent point dessous. Elles les couvriront dans les temps de pluie, ainsi que la cuirasse, et lorsque le cavalier voudra se servir de l'arc ou du bouclier, il ne sera point gêné. Ces casaques sont encore utiles dans les gardes et les découvertes. Elles empêchent qu'on ne voie de loin l'éclat des cuirasses, et résistent même aux coups de flèches.

Il y aura par chambrées des faux et des haches pour les usages ordinaires.

Les chefs de turmes et les cavaliers les plus aisés auront des valets libres ou esclaves pour avoir soin de leurs équipages, lesquels seront enregistrés ainsi que les chariots. Comme la plupart n'auront point les facultés suffisantes, ils se joindront trois ou quatre ensemble pour avoir un goujat; cela fera qu'un jour de combat on ne sera pas obligé de détacher des soldats pour la garde des équipages, ce qui diminue le nombre des combattants et affaiblit toujours, bien qu'on ne choisisse que les moindres. On aura le même soin de prendre une liste des bêtes de somme qui portent leurs cuirasses et leurs tentes.

Les enseignes des tagmes serons d'une seule couleur, et celles des luîmes et des dronges, d'une couleur qui leur sera particulière. Mais pour que chaque tagme reconnaisse la sienne, on y joindra des signes qui lui seront affectés; et de même à celles des turmes et dronges, qui doivent avoir chacune un signe différent, et qui puisse s'apercevoir de loin.

Outre; l'étui de cuir de bœuf pour renfermer la cubasse, chaque cavalier aura une couverte légère de peau, qu'il portera attachée au derrière de l'arçon. Comme il peut arriver souvent que dans les expéditions et dans les courses ils soient obligés de forcer de marche, ou de rétrograder (ce qu'à Dieu ne plaise), ils s'en serviront pour couvrir leurs armures afin qu'elles ne se gâtent point, et aussi qu'ils ne se fatiguent point en portant toujours la cuirasse sur le dos.

Vous devez connaître à présent comment les cavaliers doivent être équipés, ainsi que l'espèce et la forme de leurs armes. Il ne faut pas omettre ici que les chefs des bandes doivent s'informer exactement, soit pendant le quartier d'hiver, ou autre temps de repos, si les soldats ont tout ce qui leur est nécessaire, et de la quantité de chevaux à remplacer. Vous en ordonnerez l'emplette de manière que les habitant du pays n'en souffrent point, et que les soldats soient pourvus à point nommé de ce qui leur manque.

Après avoir détaillé ce qui convient à la cavalerie, il est à propos de parler maintenant de quelle manière il faut armer les gens qui combattent à pied.

Les anciens nous apprennent qu'il y avait autrefois trois sortes d'infanterie : les hoplites que nous appelons à présent porte boucliers ; les psilites qui conservent encore le même nom, et les peltastes qui n'ont plus chez nous aucune fonction. Il me paraît qu'ils étaient peu différents des psilites dont ils tenaient lieu : c'est pourquoi il suffira de nous rappeler que l'infanterie se divisait en hoplites et en psilites.

Formant donc la nôtre sur ce modèle, vous armerez les porte boucliers, dits anciennement hoplites, d'une grande targe tout à fait ovale. Celles de chaque bande seront de la même couleur. Ils porteront le casque avec une petite crête, une hache d'arme à un tranchant et un pointant dans un étui de cuir, ou bien à un tranchant et un marteau, ou bien à deux tranchants, avec une large épée : ils auront tous des cuirasses y s'il est possible, mais du moins les deux premiers de chaque file. Elles seront ornées sur les épaules d'une petite frange. Il leur faut des gantelets de fer ou d'autre matière, des bottines armées, surtout à ceux qui seront à la tête ou à la queue des files.

Voilà pour les hoplites. A l'égard des psilites, ils porteront une trousse fournie de trente ou quarante flèches qui se tirent avec l'arc de très loin et sont inutiles aux ennemis. Ceux qui ne seront pas instruits à tirer de l'arc se serviront de petits javelots ou dards pour lancer. Ils auront un petit bouclier rond, des frondes et des haches dans leurs étuis comme celles dont j'ai parlé.

Tous les fantassins seront vêtus d'une robe courte qui ne descendra que jusqu'aux genoux, et auront, s'il est possible, la soubreveste par dessus la cuirasse. La chaussure ne sera pas d'une forme pointue : il est à propos que la semelle soit garnie de clous, ce qui est fort utile, surtout pour les marches. On ne leur permettra pas de porter la chevelure entière; mais on les tondra, en ne leur laissant que des cheveux très courts.

Il y aura pour le service de chaque décurie ou chambrée un chariot léger, sur lequel on portera un maillet, un tailloir, une hache, une scie, deux pioches, une corbeille, une peau de bouc, une faux, une serpe, un marteau, toutes choses nécessaires aux soldats. Il faut aussi porter des tripèdes attachés à une cheville de fer, pour qu'on puisse facilement les assembler. D'autres chariots porteront des toxobalisles avec leurs traits, et des balistes ou mangonneaux, appelés alacatia, qui se bandent par des treuils. Il y aura à leur suite des charpentiers, serruriers et tous les gens destinés pour ce service.

Il faudra encore d'autres chariots, à proportion du nombre de vos soldats, qui seront chargés de farine, de biscuits, d'arcs et de flèches en abondance.

Il sera bon qu'il y ait, autant qu'il se pourra, une bête de charge par chambrée, ou du moins de deux en deux, afin que dans le cas où on laisserait les chariots en arrière pour aller plus vite, elles pussent porter des vivres pour huit ou dix jours, jusqu'à ce que les chariots aient rejoint.

Il ne sera pas inutile d'exposer en peu de mots la manière dont les anciens armaient leur cavalerie et leur infanterie, comme nous l'avons apprise d'Élien et des autres qui ont écrit sur la lactique.

La cavalerie était de deux sortes, l'une appelée cataphracte, l'autre non cataphracte. Dans la première, le cavalier était armé de pied en cap, portant le casque de fer et toute l'armure du corps, des bras et des jambes de fer ou de corne. Le cheval était aussi entièrement couvert. La têtière, le fronteau, les gardes flancs, garde cou étaient de mailles de fer ou d'autre matière.

Tous ces cavaliers cataphractaires portaient une longue lance avec laquelle ils joignaient l'ennemi. D'autres, appelés acrobolistes, se servaient de javelots qu'ils jetaient de loin. Des lanciers, les uns avaient de grands boucliers oblongs, d'autres n'avaient que la lance sans bouclier : ceux-là se nommaient thirophores, ceux-ci dori-phores.

Les acrobolistes comprenaient tous ceux qui combattaient de loin et à coups de traits. Les uns se servaient de javelots, les autres d'arcs : ceux qui portaient le javelot le lançaient en allant droit à l'ennemi, ou en tournant et caracolant ; c'est ce qu'on nommait jaculateurs. Ceux qui étaient armés d'arcs s'appelaient archers à cheval. Une partie des jaculateurs, lorsqu'ils avaient lancé un ou deux javelots, couraient sur l'ennemi pour le combattre avec un autre javelot de réserve ou avec l'épée; quelques-uns se servaient de petites massues armées de tous côtés de leurs dents de fer très aiguës.

Voilà pour ce qui regarde la cavalerie. A l'égard de l'infanterie, elle se divisait, comme je l'ai dit, en trois parties : les hoplites, les peltastes et les psilites. Les hoplites étaient les plus pesamment armés, comme Alexandre voulait que fussent les Macédoniens. Ils avaient un grand bouclier oblong, une épée qui se portait sur la cuisse, une cuirasse de corne ou de mailles de fer, un casque, des gantelets, des bottines garnies d'airain et une longue pique. Une partie de cette infanterie a porté aussi l'écu ou bouclier macédonien, rond et très peu concave, ayant trois palmes de diamètre, avec une pique longue seulement de huit coudées, qu'un homme pouvait manier fort aisément.

Les psilites étaient armés plus légèrement, ils n'avaient ni casque, ni cuirasse, ni bottines, ni le grand bouclier. Ils combattaient de loin, les uns en tirant de l'arc, d'autres en lançant des javelots, ou avec la fronde, et même en jetant des pierres à la main. Leur habillement était une camisole ou veste épaisse et très solide qui leur tenait lieu de cuirasse.

A l'égard des peltastes dont les tacticiens modernes n'ont point parlé, je pense, comme je l'ai dit ci-devant, qu'ils les ont confondus avec les psilites. Ils avaient l'armure comme les hoplites, mais moins complète et moins pesante, et le bouclier, nommé pelte, plus petit. Les piques des phalangistes, qu'on appelait sarisses, ont été tantôt de quatorze coudées et tantôt de seize. Tel était le système de l'ordonnance macédonienne, dans laquelle les peltastes tenaient le milieu entre les hoplites et les psilites; étant armés plus pesamment que les psilites, et plus légèrement que les hoplites.

La phalange macédonienne étant en bataille paraissait inexpugnable par sa disposition. L'ordonnance étant serrée pour combattre, chaque homme occupait l'espace de deux coudées, tenant sa pique, autrement dit sarisse présentée. Des quatorze, ou selon d'autres, des seize coudées qu'elle avait de longueur, les mains en occupaient quatre vers l'arrière; tout le reste portait en avant du corps. Voilà donc la manière dont chaque soldat était armé : nous l'avons recueillie des anciens et nouveaux tacticiens, afin que, l'ayant devant les yeux, vous en fassiez votre profit.

INSTITUTION VII.

De l'exercice de la cavalerie et de l'infanterie.

Maintenant, je vous parlerai des exercices qui doivent précéder les vrais combats dont ils sont l'image, et accoutumer les soldats aux dangers où l'ignorance aveugle se livre inconsidérément.

En hiver, ou lorsqu'on a quelque repos pendant la campagne, il faut employer ce temps à des exercices, pour tenir les troupes en haleine et les empêcher de se corrompre par l'oisiveté : car la paresse et la fainéantise énervent, après un certain temps, les plus robustes, qui ne peuvent plus soutenir le travail et ne s'y livrent qu'à regret. Leur courage s'affaiblit de même; ils craignent les périls et les fuient comme la fatigue. C'est pourquoi je pense qu'un bon général doit employer utilement pour la guerre ses moments de loisir. Vous formerez donc vos troupes selon ces institutions.

Premièrement, chaque soldat doit être instruit selon son genre. Les hoplites, c'est-à-dire ceux qui portent l'armure entière, s'exerceront entre eux avec leurs boucliers et des baguettes. On les exercera encore à jeter de loin des dards et des martiobarbules.

L'armure légère sera exercée à viser des flèches contre un but attaché à une pique, à lancer des javelots et à tirer de la fronde, ainsi qu'à courir et sauter dans toutes sortes de terrains. Les cavaliers, à tirer de même des flèches contre un blanc, et aussi en courant devant, derrière, à droite et à gauche; à sauter légèrement à bas de cheval et à y remonter ; à courir l'arc tendu, le remettre promptement dans l'étui ; prendre aussitôt la lance pendue à leurs épaules, la remettre, et reprendre l'arc avec célérité. On en fera courir deux l'un contre l'autre, qui se chargeront alternativement, se retireront et reviendront à la charge. Le soldat ne doit être oisif dans aucun temps; il faut qu'il soit toujours occupé, soit comme je viens de dire, ou à des exercices plus généraux, ou à fourbir et nettoyer ses armes. Quand il est habitué à des travaux volontaires, il supporte plus aisément ceux qui sont nécessaires.

On exercera les soldats, non seulement séparément, mais ensemble, pour qu'ils apprennent à connaître leur poste, leurs compagnons de file, leurs chefs et leur division. On les mettra au fait des commandements du préfet pour les diverses manœuvres qu'il voudra faire exécuter, soit pour étendre le front ou pour augmenter la hauteur, serrer les rangs et les files ou les ouvrir, faire à droite ou à gauche, changer le front, faire la phalange antistome, c'est-à-dire à double front, les demi files de la queue faisant face en dehors contre l'ennemi qui les aura tournées. Ceux qui sont stylés aux mouvements les exécutent machinalement et promptement; les autres sont embarrassés, et il est dangereux de les employer.

Vous diviserez vos troupes en deux partis pour combattre l'un contre l’autre. Elles auront des bâtons et des longues cannes au lieu de lances et d'épées. S'il y a des mottes de terre sur le terrain, vous leur ordonnerez de se les jeter réciproquement.

Vous commanderez aux uns d'aller occuper une colline et aux autres de les en chasser. Vous les exercerez alternativement. Quand les premiers l'auront été, ils donneront leurs armes de bois à d'autres, et vous les renverrez. Vous louerez ceux qui auront montré de la vigueur, et vous ferez honte aux autres de leur mollesse, pour les exciter à mieux faire. Ces exercices, en instruisant les troupes, contribuent aussi à la santé, et augmentent les forces. Ils les habituent au chaud, au froid, et leur font trouver leur nourriture agréable, toute simple et grossière qu'elle soit.

Vous formerez la cavalerie par de semblables simulacres, à se charger, voltiger, et à se jeter des flèches. Je pense, ainsi que nos ancêtres, qu'il est à propos que les cavaliers soient habitués à courir, non seulement dans la plaine, mais sur les pentes des collines, à traverser toutes sortes de terrains âpres et difficiles, séparément et en escadrons., soit en montant ou en descendant. Ceux qui veulent épargner ces exercices à leurs chevaux se trahissent eux-mêmes, et hasardent leur propre salut. Il faut s'habituer aux difficultés pour qu'elles ne paraissent pas nouvelles.

N'accoutumez pas les chevaux à boire beaucoup en été ; c'est pourquoi il est bon qu'ils ne campent pas si près des rivières.

Il faut vous expliquer en raccourci les manœuvres des anciens et leurs commandements, pour vous en servir dans les exercices que vous ferez faire à votre armée : car, après que chaque soldat aura été instruit séparément, vous les réunirez pour les exercer par bandes ou tagmes.

Une bande de cavaliers étant en bataille disposée par files, l'adjudant fera les commandements suivants de cette manière : « Quand on chargera, que personne ne soit tardif ou ne s'avance trop avant la poursuite; que chacun garde son rang et observe son enseigne ; qu'il la suive en brave soldat. Si vous passez le front de l’armée, ne courez pas trop vite pour ne pas rompre votre ordre. »

Il y a différents mouvements auxquels on exerce une tagme de cavalerie.

Premièrement à marcher ou à courir en escadron jusqu'à un lieu marqué. On lui donne ordre de se mettre en mouvement, par la voix, par la buccine ou en frappant sur un bouclier, ou par le signe d'un drapeau : de même quand on veut qu'elle s'arrête.

Un autre mouvement est de marcher de front, les files ouvertes ; ce qui se commandera par ces mots : « Marchez également. ».

Un autre est de se serrer sur un côté ou vers le milieu de l'enseigne, c'est-à-dire que les cavaliers se rapprochent jusqu'à se toucher par le côté. Les dizainiers joignent les dizainiers, les quinteniers, les quinteniers; ainsi du reste. On dit pour cela : « Serrez-vous. » Quand le mouvement est fini, tous les dizainiers forment un rang bien aligné à la tête de l'escadron, et les autres jusqu'au dernier sont serrés de même.

On se serre aussi, non pas quant à l'étendue, mais à la profondeur, savoir en joignant les rangs.

 Quand, après s'être serré sur le côté, on veut jeter des flèches, on commande : « Tirez ; » alors ceux des premiers rangs s'inclinent sur le cou de leurs chevaux, se couvrant la tête et les épaules de leurs boucliers. Ils marchent lentement pour ne pas rompre leur ordonnance avant d'avoir joint l'ennemi. Cependant ceux des derniers rangs tirent leurs flèches.

On fera faire à une tagme alternativement la manœuvre des coureurs et des défenseurs. Si c'est la première, elle courra en avant l'espace d'un mille. Si c'est la seconde, on lui commandera: « Suivez en ordre de bataille. »

Une autre manœuvre est de faire retirer les coureurs un peu en arrière, ensuite faire face. Pour cet effet, on commandera: « Tirez, et retirez-vous. » Ils marcheront un certain espace vers les défenseurs, et l'on dira : « Volte-face et en avant, » pour qu'ils se retournent comme si l'ennemi était présent. Ils feront la même chose plusieurs fois, non seulement de front; mais en se présentant aussi vers la droite et vers la gauche, ils escadronneront, comme pour se retirer sur la seconde ligne. Ils feront mine de charger, soit en pelotons ou en escadrons rangés ; et pendant ces mouvements ils auront la lance haute pour qu'ils n'en soient point embarrassés.

Un autre mouvement est de se porter en ordre sur la droite ou sur la gauche. Ceci convient à ceux qui sont sur les ailes pour investir l'ennemi. On commandera donc : « Portez-vous à droite; » ou si c'est à l'aile gauche : « Portez-vous à gauche. »

Il y a aussi une manière de se tourner ou de changer de front dans tel lieu que l'on soit. Si, par exemple, l'ennemi paraissait subitement sur les derrières, vous commanderiez seulement à ceux de la queue de se tourner, en disant : « Changez de forme. » S'il était trop en force, on ferait tourner tous les rangs de la bande par ce commandement : « Changez de front. »

On les exercera non seulement à marcher en colonne par le flanc, mais de front en ordre serré, à faire différentes caracoles en escadrons, et en pelotons, à courir en ligne droite ou en tournoyant, et à toutes les conversions nécessaires pour s'opposer à l'ennemi, ou porter promptement du secours. Les tagmes de la cavalerie étant ainsi formées aux manœuvres des coureurs et à celles des défenseurs, on pourra les employer à l'un et à l'autre usage.

Tels sont les exercices qu'on doit apprendre aux troupes séparément, et en détail. Lorsqu'on les y aura formées, elles seront propres à exécuter toutes sortes de manœuvres, comme celles des gardes flancs, des cornistites, et autres semblables qu'il ne faut pas rendre publiques.

On réunira les bandes pour en former l'ordre général de bataille où elles doivent se mouvoir de concert. Mais de peur que vos desseins ne soient éventés, n'assemblez pas toutes les troupes de l'armée en les rangeant comme vous voulez qu'elles soient le jour du combat : savoir, celles de première ligne, de seconde ligne, des ailes, des flancs et des embuscades.

Il est inutile de mettre en évidence, dans un exercice, des dispositions qu'il faut tenir secrètes pour s'en servir dans l'occasion. Il suffira de faire séparément un simulacre de chaque manœuvre comme je l'ai dit ci-après.

Quelque division que vous exerciez, vous la séparerez en trois parties comme si c'était toute l'armée. Si c'est une bande, la meilleure partie sera désignée pour représenter les coureurs. Vous marquerez des files de çà et de là, à même hauteur pour être défenseurs. Vous porterez aussi une dizaine de cavaliers qui représenteront les ennemis, comme si l'on allait combattre contre eux.

Au signal donné, les coureurs se détacheront des défenseurs et s'avanceront rapidement. Lorsqu'ils auront couru directement devant eux un ou deux milles, ils retourneront sur leurs pas jusqu'à la moitié de cet espace et feront face trois ou quatre fois en caracolant tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche; puis s'étant arrêtés quelques moments, ils feront une demi conversion par une marche circulaire et reviendront se rejoindre aux défenseurs qui les suivaient. Ainsi réunis, ils marcheront tous ensemble en bataille à l'ennemi.

Lorsque vous exercerez un dronge, vous le séparerez de même en coureurs et en défenseurs, qui feront alternativement l'une et l'autre fonction, pour qu'ils soient formés également à toutes les deux.

Vous ferez de même quand vous exercerez une turme, dont vous composerez une première et seconde ligne. Lorsque vous aurez plusieurs bandes réunies dans une division, les coureurs qui occuperont le milieu, étant alors nombreux, vous aurez soin de les couper en deux brigades qui, dans leurs caracoles et conversions circulaires, déclineront l'une vers la droite, l'autre vers la gauche. Chaque brigade sera même coupée en deux escadrons, dont l'un tournera en dedans, l'autre en dehors, afin de ne pas se confondre, et pour que les chevaux ne se heurtent point dans les courses.

Ceux qui sont destinés à garder les flancs et ceux qui doivent être postés sur l'aile droite pour tourner l'ennemi seront exercés séparément pour les instruire de leurs manœuvres. Mais que cela se fasse secrètement par la raison que j'ai dite ci-dessus.

Quand vous formerez un simulacre d'armée ennemie contre laquelle vous voudrez faire combattre les vôtres, égalez-lui votre front, de sorte qu'il ne soit point débordé. Vous détacherez quelques files de cavaliers, dont vous formerez une ou deux bandes qui représenteront les garde flancs ou les troupes d'ailes de l'ennemi : les vôtres s'exerceront contre eux en tâchant de leur gagner le flanc et de les tourner; puis tout à coup, se réunissant et se serrant en un gros, ils se jetteront rapidement sur les derrières de l'ennemi.

Toutes ces manœuvres sont simples et peuvent cependant s'appliquer à plusieurs tagmes comme à une seule sans rien découvrir à l'ennemi. Elles doivent être données par écrit à vos turmarques. On les fera non seulement en plaine, mais dans les lieux inégaux et difficiles, en montant comme en descendant, et pendant les chaleurs de l'été. Personne ne sait quand il faudra combattre et dans quel ordre : c'est pourquoi il faut y être préparé. Rien n'est plus utile que ces sortes de simulacres qui fortifient les soldats et les accoutument aux dangers.

Après avoir parlé de l'exercice de la cavalerie, il est à propos de vous instruire de celui de l'infanterie, comme nous l'avons appris des anciens et des nouveaux tacticiens.

Les décuries d'une bande se rangeront en files comme nous l'avons dit ci-devant, les uns à la droite, les autres à la gauche de l'enseigne ou du préfet. Quand celui-ci marchera accompagné du porte-enseigne, de l'adjudant et du trompette, les files suivront : premièrement, les protostates de la gauche, ensuite ceux de la droite. Lorsqu'ils seront arrivés au lieu de l'exercice, le préfet prendra sa place et avec lui le porte-enseigne. Les décuries viendront après se ranger sur seize de profondeur de l'un et de l'autre côté, comme il a été expliqué, gardant entre elles des espaces pour ne pas être gênées. Les psilites se tiendront derrière. On portera les piques hautes afin qu'elles n'embarrassent point. En avant du front marcheront l'adjudant et le fourrier ; celui-ci pour reconnaître le chemin et le marquer, celui-là pour rendre les ordres du préfet.

Si c'est une bande qu'on exerce, le préfet marchera à la tête avec le fourrier et l'adjudant. Si c'est une turme, nul ne marchera hors du front, sinon le turmarque à cheval, deux adjudants, deux fourriers, l'écuyer du turmarque qui porte ses armes jusqu'au moment du combat, et son palefrenier. Alors il doit se retirer à son poste qui est à la tête de sa bande. Bien qu'il y ait dans la turme plusieurs méries, la seule buccine du turmarque sonnera pour que le bruit n'empêche pas d'entendre les commandements. Voilà pour les pesamment armés.

Les psilites, qu'on nomme à présent sagittaires et dardeurs, se disposent de plusieurs manières. On place une file de quatre psilites derrière chaque file d'hoplites. D'autres fois, on joint à chaque file d'hoplites quatre archers, de manière qu'il y en a un derrière chaque quart de file.

Par ce moyen si l'on dédouble ou sous dédouble la phalange, il y aura toujours un rang de psilites derrière quatre rangs de pesamment armés. On les met encore aux extrémités de la ligne, c'est-à-dire entre l'infanterie et la cavalerie. Souvent on les mêle avec quelques hoplites et on les place en dehors de la cavalerie à une petite distance. Cela se pratique quand on en a beaucoup. On pourra placer les jaculateurs aux ailes ou les insérer dans les files d'hoplites. Pour les frondeurs, ils se placeront aux extrémités de la ligne, et jamais on ne les insérera dans le milieu des files des hoplites. On mettra tout à fait derrière ceux-ci le surplus des archers et des jaculateurs, ou bien on les emploiera comme le besoin le requerra.

La cavalerie sera postée sur les flancs de la ligne d'infanterie. Les meilleures tagmes seront aux extrémités en dehors. Si l'on a plus de douze mille chevaux, on les mettra sur dix de profondeur; si l'on en a moins, sur cinq. L'ordre de bataille formé, de l'excédent on fera une réserve qui se postera derrière en dehors des chariots, au cas où l'ennemi viendrait à paraître de ce côté; ou bien ils se tiendront sur les flancs.

On les rangera d'abord à files ouvertes, afin que, s'il faut changer l'ordre, on ait plus de facilité.

La cavalerie ne suivra pas l'ennemi avec trop d'impétuosité, de peur qu'il n'y ait quelque piège dressé, et que l'infanterie étant découverte ne reçoive un échec, si les escadrons venaient à être maltraités et dissipés. En cas qu'ils soient repoussés vivement par l'ennemi, ils se retireront vers les chariots qui doivent être rangés derrière l'infanterie pour la garantir de ce côté; et s'ils ne sont pas encore en sûreté, ils mettront pied à terre pour combattre en fantassins. Si vous avez éprouvé que votre cavalerie ne puisse soutenir celle des ennemis, elle ne restera point sur les ailes, alignée à l'infanterie, mais elle se placera en arrière et appuyée aux extrémités de la ligne des chariots : elle aura devant elle un plus grand espace et sera moins exposée aux flèches des ennemis.

Que toutes ces choses se fassent dans les exercices pour les exécuter quand il faudra dans le temps du combat.

Maintenant pour ce qui regarde l'infanterie lorsque les différentes divisions de l'armée seront en bataille pour l'exercice, l'adjudant fera ces commandements : « Qu'on garde le silence : tenez-vous en bon ordre : conservez vos rangs, que personne ne quitte la bande : marchons aux ennemis. » Alors on se mettra en mouvement à pas modéré, sans souffrir que personne parle même à l'oreille.

On se servira de la voix ou du geste, ou de quelque signal, ou de la buccine pour marquer les commandements, soit qu'on veuille faire marcher de front ou défiler, ou arrêter, ou doubler la hauteur ou la longueur, et le tout de la manière qu'on le ferait devant l'ennemi. On fera faire un quart de conversion à droite par diphalangie, marcher en avant, se remettre comme on était, former un double front, se reformer en ligne, marcher par la droite, par la gauche, allonger les files ou bien ouvrir les rangs, ce qui se fait en arrière; les resserrer; toutes ces manœuvres étant utiles selon l'occasion. Il est à propos que les troupes soient exercées par les signaux comme à la voix, soit à cause du grand bruit des chariots, ou de la poussière, ou du brouillard:

Les files étant de seize, si vous voulez augmenter votre front, soit pour égaler celui de l'ennemi ou quelquefois pour une plus belle parade vous ferez ce commandement : « Sortez. » Aussitôt les hommes pairs se déplaceront tous ensemble et formeront une seconde file à côté de la première. La hauteur ne sera plus alors que de huit hommes. Si vous voulez la réduire à quatre, vous ferez encore le même commandement, et par ce moyen vous augmenterez beaucoup l'étendue. Avant de faire cette manœuvre, il faut allonger votre front pour séparer les files qui sont jointes, ce qui se fait en s'allongeant sur l'un et l'autre flanc.

Quand vous verrez que le front est inégal et que les uns devancent les autres, vous direz : « Alignez le front. » Ceux qui sont au dernier rang et les autres qui sont à la queue pousseront les paresseux et veilleront à ce que personne ne reste derrière.

On se resserre lorsque étant à deux ou trois jets de flèches de l'armée ennemie, on doit commettre tout son front contre elle. On commande : « Joignez-vous. » Alors toute la ligne, depuis les flancs, se resserre vers le milieu, de sorte qu'elle n'outrepasse pas les chariots. Celle manœuvre peut se faire de pied ferme ou en marchant, ainsi que celle de faire serrer les rangs.

Lorsque les deux armées étant en présence, on commence à tirer des flèches, si ceux qui sont sur le front n'ont point de cuirasse, vous ordonnerez de faire la tortue; alors ceux du premier rang tenant leurs boucliers droit devant eux, et près les uns des autres, seront couverts jusqu'aux genoux. Ceux qui sont derrière, élevant le bouclier au-dessus de leur tête, penchés en avant, auront le visage garanti ainsi que la poitrine, et combattront de cette manière.

Lorsqu'on sera à la portée d'un jet de flèche de l'ennemi, et près d'en venir aux mains, on dira : « Préparez-vous. » Un autre criera : « A l'aide. » En même temps tous jetteront un cri général : « O Dieu ! » Alors les armés à la légère tireront leurs flèches en haut. Les portes boucliers, qui sont sur le front, lanceront leurs dards ou javelots, et immédiatement après, mettant l'épée à la main, ils chargeront l'ennemi qui ne manquera pas de reculer, ce qui ne doit pas les porter à quitter leur rang. Ceux des rangs qui suivent, couvrant leurs têtes des boucliers, aideront les premiers avec leurs piques.

Former la diphalangie, c'est lorsque marchant droit aux ennemis qui sont en présence, et les files étant de seize, on veut faire une seconde ligne. On commande aux huit premiers de ne pas bouger. Les huit autres font demi-tour, et se mettent en mouvement, marchant jusqu'à une distance marquée, assez grande pour que les flèches de l'ennemi, tirées de l'un et de l'autre côté, ne puissent frapper à dos aucune des lignes ; mais qu'elles tombent dans le vide qui est entre elles. On commande ensuite : « Demi-tour; » alors vous les ferez remettre, s'il le faut, dans la première situation. La diphalangie se fait quand on peut être attaqué par derrière, et que les chariots ne suivent point, ou qu'ils sont forcés par les ennemis : il est alors nécessaire de présenter un front de ce côté, à moins que la cavalerie, ayant été obligée de mettre pied à terre, ne serve pour la garde des chariots.

La phalange amphistome se fait lorsque n'étant point en diphalangie, c'est-à-dire n'ayant point une seconde ligne, les ennemis paraissent inopinément devant et derrière : on commande aux demi files de la queue de faire le demi-tour pour se présenter à l'ennemi de ce côté.

On décline sur la droite ou sur la gauche, soit pour étendre la ligne, ou de peur d'être enveloppé, ou pour traverser un passage étroit en marchant par le flanc.

Si vos files étant à quatre de hauteur, vous voulez les doubler pour avoir plus de force, vous ferez ce commandement à tous ceux qui sont sortis : « Rentrez. » Si ensuite vous voulez mettre les files à seize, vous direz encore aux huit épistates ou seconds : « Rentrez. » Si vous voulez que la profondeur soit de trente-deux, ce qui n'est pas fort nécessaire, vous commanderez : « File de droite ou de gauche, doublez sur l'autre file. »

Changer de front, c'est lorsque les ennemis paraissant sur les derrières, on veut faire passer les chefs de file, et successivement les autres, de la tête à la queue. Le commandement se fera ainsi : « Changez de place. » Le premier protostate ayant fait demi-tour passe dans toute la hauteur de la file suivi des autres, et vient se placer au lieu où était l'ouragos, autrement le serre-file, qui va prendre sa place en faisant face vers le côté qui était auparavant la queue.

Je n'ignore pas qu'il y a d'autres commandements d'exercices, et d'autres mouvements qui ont été décrits par les anciens, surtout par Arrien et Élien qui rapportent les mêmes choses. Pour ne pas être trop prolixe, je les renfermerai dans un seul article. J'omettrai les autres, soit pour en avoir déjà parlé, soit à cause de leur inutilité.

Voici les mouvements et les noms qu'on trouve dans Élien :

Κλισίς, déclinaison, c'est-à-dire se tourner à droite ou à gauche; à droite du côté de la pique, à gauche du côté du bouclier.

Μεταβολή, changement de front.... Il se fait au moyen du demi-tour à droite ou à gauche par chaque homme.

Επιστροφή, conversion.... C'est ce que nous appelons quart de conversion d'un corps entier par la droite ou la gauche, le chef de file du flanc faisant le pivot.

ναστροφή, Ἀντιστροφή, reversion.... C'est le mouvement contraire au premier, pour revenir sur le terrain que l'on a quitté.

Περισπασμός, double conversion.... Savoir deux quarts de conversion de suite sur le même côté.

Εκπερισπασμός, triple conversion.... Par lesquelles on revient sur son premier terrain. Ces trois mouvements de suite peuvent s'appeler le moulinet.

Δεκαζέιν, décimer.

πὶ ὀρθα ἀποδοῦναι, se diriger droit.

ξελλίσειν, faire évolution.

Δἰπλασίαζειν, se doubler.

Στυχέιν, c'est lorsque la file est étendue dans toute sa hauteur, chaque homme faisant face vers son chef de file.

Zυγείν, c'est lorsqu'on a fait faire à droite ou à gauche à une phalange, les rangs deviennent files et les files rangs.

Πλαγία φάλαγξ, phalange transverse.

ρθὴ φάλαγξ, phalange droite.... Qui marche ou se présente par le flanc.

Δοξὴ φάλαγξ, phalange oblique... Qui approche une de ses ailes de l'ennemi, avec laquelle elle combat, l'autre restant éloignée.

παγωγή, c'est lorsque la phalange marche par syntagmes, ou telles autres divisions que ce soit, qui se suivent les unes les autres, comme quand nos bataillons marchent par compagnies ou par pelotons, les chefs à la tête.  

Παρεμβολή, interposition.

Πρόταξις, préposition.... C'est lorsque les psilites sont en avant.

Επίταξις, postposition.... Lorsque les psilites sont derrière.

Πρόσταξις, apposition.... Lorsqu'on les met sur l'un ou l'autre flanc, ou sur tous les deux, faisant un front aligné à celui de la phalange.

Ψποταξις, subjonction.... Lorsqu'on les place en potence

Εὐταξις, imposition.... Lorsqu'on les met dans les intervalles de la phalange pour les remplir.

Παράταξις, ligne, ordre de bataille.

Ce sont là les noms des mouvements ou dispositions ; et voici les commandements :

A vos armes.

Préparez-vous.

Que personne ne quitte la phalange.

Silence, attendez le commandement.

Haut les piques.

Reposez les piques.

Que l'ouragos dresse sa file.

Gardez vos distances.

Tournez vers la pique.... à droite.

Tournez vers le bouclier.., à gauche.

Marche.

Halte.

Marchez devant vous.

Doublez la profondeur.

Remettez-vous.

Faites la laconique vers la pique.

Remettez-vous.

INSTITUTION VIII.

Des délits et peines militaires.

Si un soldat désiste à son chef d'escouade, celui-ci à son dizainier, le dizainier à son centurion, ils seront châtiés; si quelqu'un de la bande résiste de même à son comte, il sera puni de mort. Tout officier qui n'exécutera pas les ordres de son supérieur sera puni selon la gravité de la faute.

Si quelqu'un a reçu une injure, il en demandera justice à son préfet ; si celui-ci lui a fait tort, il aura recours à un chef supérieur; si quelqu'un est assez osé d'exercer la magie, il sera banni et chassé des troupes.

Ceux qui conspireront contre leur préfet, pour telle raison que ce soit, seront punis de mort, surtout les chefs du complot. Celui qui, étant de garde dans une ville ou un château, trahira son devoir et quittera son poste, sans la permission de son chef, sera puni de mort.

 Le déserteur sera puni du dernier supplice, non seulement lui, mais ceux qui, ayant su son dessein, ne l'auront pas découvert au préfet.

On punira le soldat qui n'exécutera pas l'ordre de son dizainier ; mais s'il manque par ignorance, le dizainier sera puni lui-même pour ne l'avoir pas instruit.

Celui qui trouvera une bête échappée ou telle autre que ce soit, et ne l'accusera pas à son préfet, sera châtié ainsi que celui qui en aura eu connaissance et qui sera regardé comme complice.

Quiconque aura causé du dommage à son hôte, et ne l'aura pas réparé de son gré, sera condamné à lui payer le double de sa valeur.

Si lorsqu'il y a du loisir, un soldat néglige de réparer ses armes, et que son dizainier ne l'y ait point obligé ou ne l'ait point déclaré à son commandant, le soldat et le dizainier seront punis.

Si un soldat désobéit à son propre préfet, il sera puni selon l'exigence du cas.

Tel officier ou soldat qui, en quartier d'hiver ou bien en route, aura fait du dommage à un habitant, et ne l'aura pas satisfait, sera condamné à lui payer le double de sa valeur. L'officier qui aura fait tort à un soldat en lui retenant quelque chose sera condamné de même.

Pendant que l'armée sera assemblée, si quelque chef permet à un soldat de s'en aller chez lui, il paiera une amende de trente écus. Lorsque les troupes seront en quartier d'hiver, on pourra donner des congés pour un certain temps.

Si celui à qui on aura confié la garde d'une ville ou d'un château machine quelque trahison ou abandonne sa place sans nécessité, lorsqu'il pouvait la défendre, il sera puni de mort.

L'armée étant en bataille, ou pendant le combat, si un soldat abandonne sa troupe, s'enfuit ou quitte son poste, ou se détourne pour dépouiller un mort, où pour courir au camp, au bagage de l'ennemi, il sera puni de mort; et ses effets seront distribués à sa bande, à qui il a donné un exemple pernicieux, capable d'y mettre le désordre.

Si, dans une occasion semblable, une tagme ou une bande tournait le dos sans aucune raison valable, elle sera décimée, et ceux sur qui le sort tombera seront tués à coups de flèches par les soldats des autres bandes : si dans ce nombre il s'en trouve de blessés, ils seront pardonnés.

Si une enseigne est enlevée par les ennemis, ayant pu l'éviter, ceux qui auront été commis à sa garde seront punis, dégradés et mis les derniers de la bande, soumis à tous les autres : s'il y en a de blessés, ils seront exempts de châtiment.

Le camp étant posé et fermé, s'il arrive qu'étant attaqué, une troupe ne se porte point à la défense, ou se retire dans quelque lieu à l'écart, elle subira la même peine que les traîtres.

Si un soldat jette ses armes dans le combat, il sera puni comme un lâche qui se dépouille pour armer l'ennemi.

Si un officier qui aura employé un soldat à son service ou pour ses affaires particulières l'a empêché de se rendre au jour marqué au quartier d'assemblée, ou s'il est cause qu'il y soit venu avec des armes en mauvais état, il sera condamné à une amende; savoir, pour le général, d'une livre d'or; le turmarque, trente-six écus; le drongaire vingt-quatre, et le comte douze.

Ces ordonnances doivent être lues et publiées à la tête des troupes assemblées, soit qu'il n'y ait qu'une bande, une turme ou toute l'armée, non seulement lorsqu'on va aux ennemis, mais dans les temps d'exercices et autres occasions où cela sera jugé nécessaire.

INSTITUTION IX.

De la marche de l'armée.

Lorsque vous marcherez avec l'armée sur votre terrain, vous défendrez expressément le pillage et la maraude: quand on ne tient pas là-dessus la bride aux troupes, elles se livrent à l'attrait du butin, et se jettent sur tout ce qu'elles voient; d'où il arrive que vos propres soldats deviennent vos plus grands ennemis. Vous pourvoirez à la sûreté du transport des vivres et des marchandises, soit par terre ou par mer, afin de procurer à l'armée une abondance de toutes choses.

Lorsque toutes vos troupes sont assemblées, si votre dessein est d'entrer dans le pays ennemi, il faut le faire le plus tôt possible, pour ne pas manger le vôtre et le surcharger, surtout si vous savez que celui où vous devez aller est fertile et abonde en vivres.

Ne tenez pas longtemps votre armée dans le même lieu, à moins que la position des ennemis ne vous y oblige; dans ce cas, vous aurez attention de l'occuper à des exercices militaires, rien n'étant plus nuisible que l'oisiveté, qui corrompt le soldat et lui remplit l'esprit de vaines pensées.

Si vous vous attendez à combattre dans la marche, vous la ferez ou par dronge, ou par turme, ou tout à fait en ordre de bataille; ce qui rend les soldais plus fermes et plus prompts à manœuvrer. Vous observerez ceci, soit que vous marchiez dans le pays de l'ennemi ou sur le vôtre.

Les équipages de chaque dronge marcheront immédiatement à sa suite avec leurs bannières, et ne se mêleront point avec les autres.

Si vous êtes dans votre pays et que vous n'ayez point d'ennemis à craindre, vous ferez marcher vos troupes sur plusieurs colonnes, qui logeront en différents lieux, pour qu'elles trouvent plus facilement des subsistances. Cela fera aussi que les espions auront plus de difficulté à les compter.

Lorsque vous êtes encore éloigné de l'ennemi, comme de huit ou dix journées, si vous ne connaissez point les lieux et que vous n'ayez point de guides du pays, vous vous ferez précéder d'un jour par les mesureurs, qui traceront la circonférence du camp, et marqueront l'emplacement de chaque mérie. Les anti-censeurs iront aussi devant pour reconnaître les lieux, les fourrages et autres subsistances dont l'armée a besoin.

Quand vous devrez traverser des lieux fourrés, ou passer par des chemins rudes et rompus, vous enverrez devant des pionniers, qui ouvriront les uns et aplaniront les autres ; ces gens seront exempts de tout autre service.

Votre devoir étant de rassurer tout le monde, vous marcherez à la tête avec votre suite, comme au poste d'honneur; mais vos équipages seront à la queue de tous les autres. De même chaque turmarque et autre officier principal doit être à la tête de sa division, soit qu'on marche ensemble, ou séparément. Quand il faudra passer des rivières ou autres lieux inconnus, on y enverra les anti-censeurs pour les examiner et en faire leur rapport. Vous ferez partir aussitôt quelque officier intelligent pour choisir un passage commode et s'en assurer. Si ces lieux sont périlleux et d'un accès difficile, vous irez vous-mêmes des premiers, et vous y resterez jusqu'à ce que tout soit passé. C'est ainsi que se comporta notre illustre Père Basile, lorsqu'il marcha à Germanicie, ville de Syrie, et qu’il fit passer à son armée le fleuve Paradisus. Au moyen des flambeaux qui furent placés au milieu et sur les bords, on aida aisément ceux qui étaient en danger : il y en eut même plusieurs de sauvés par le secours qu'il leur donna de sa propre main.

Voilà ce que vous ferez si les ennemis sont loin de vous; s'ils sont proches, vous demeurerez à votre division, ainsi que chaque chef à la tête de la sienne, pour en prendre soin jusqu'à ce qu'elle soit entièrement passée. Il aura attention qu'on ne se presse pas et qu'on ne s'embarrasse pas les uns les autres dans le passage, ce qui occasionne beaucoup d'accidents.

Dans les marches qui se feront sur les terres de notre domination, vous défendrez de traverser les lieux cultivés, soit champs, vignes ou jardins, conformément aux lois que nous avons établies.

Vous marcherez autant que vous pourrez par des lieux incultes; sinon chaque préfet répondra du bon ordre de sa troupe, et se tiendra à portée de veiller sur elle tant qu'elle passera près du lieu où elle pourrait faire du dégât.

S'il paraît quelques bêtes fauves, on empêchera les soldats de leur courir sus, et de se débander en criant comme il arrive en pareil cas. Cela peut être dangereux si l'on est sur le théâtre de la guerre; d'ailleurs, ces courses fatiguent les hommes et les chevaux inutilement.

Si vous avez une petite armée et que vous la conduisiez vers l'ennemi, vous prendrez des chemins inconnus et détournés, pour éviter autant qu'il se pourra la rencontre de ses découvreurs.

Lorsque vous entrerez dans son pays, vous y ferez le dégât en dévastant et brûlant les habitations ; par là vous le réduirez à la disette, et lui ôterez une partie des moyens de soutenir la guerre. Néanmoins si vous devez y séjourner longtemps, vous ne ruinerez que les lieux qui vous seraient inutiles, et vous conserverez ceux d'où vous pourrez tirer des subsistances pour votre armée.

Vous prendrez les mesures convenables pour que les marchands et les vivandiers puissent vous suivre sans risque, soit par terre ou par mer, afin que l'armée se trouve autant qu'il se pourra dans l'abondance des choses nécessaires.

Vous ne permettrez pas à vos soldats de se répandre dans le pays pour chercher des vivres ; mais vous les y enverrez en ordre, sans quoi les ennemis pourraient vous en faire repentir.

Quand vous devrez passer par des défilés ou dans des gorges de montagnes, vous enverrez des détachements occuper les issues et les hauteurs voisines, de peur que l'ennemi venant à s'y placer ne vous ferme le passage ou ne le rende du moins très périlleux.

Cela vous indique ce qu'il faudra faire quand vous craindrez une invasion dans votre pays. Vous ferez de même garder les détroits et tous les passages pour en défendre l'entrée aux ennemis, ce qui leur préparera beaucoup de mal.

Si vous avez une longue marche à faire, partie dans votre pays et partie dans celui de l'ennemi, vous obligerez dès le premier jour vos troupes de marcher en bon ordre, gardant leurs files et leurs rangs, et chaque division suivant son chef. Cette habitude prise fera qu'en arrivant sur le pays ennemi, si l'on était attaqué inopinément, il n'y aurait point de trouble ni de confusion ; chacun étant à son poste et sous son enseigne, on serait tout prêt à combattre et à se disposer comme on le voudrait.

Évitez, autant qu'il sera possible, de passer par des lieux étroits et serrés : choisissez plutôt ceux qui sont larges et ouverts, où l'on peut s'étendre sur ses flancs. Lorsqu'on est engagé dans les premiers, si l'ennemi survient tout à coup, l'on court risque d'y être accablé sans pouvoir faire aucun acte de vigueur : car, s'il attaque en tête, il le fera sur un front beaucoup plus étendu que celui où seront vos troupes, qui seront enveloppées et facilement battues. S'il se présente en force sur un des côtés, il percera et coupera votre colonne de marche : si pour lui faire face, l'une ou l'autre partie veut former la conversion, le terrain lui manquera, et le combat sera toujours à votre désavantage. Soit que vous soyez chargé en tête ou en queue, vous courez les mêmes dangers ; et si vous voulez porter du secours de l'une à l'autre, il arrivera trop tard et sera inutile.

Un ordre de marche serré et à quatre faces, ou bien oblong, sans être trop étendu, est la disposition la plus sûre et la plus propre à tout événement. On mettra les valets, les bagages, les vivres et les munitions dans le milieu. Si vous êtes attaqué en queue, ceux de ce côté seront fermes : vous ordonnerez en même temps que ceux de la tête s'arrêtent pour ne pas se séparer, et se tiennent prêts au besoin.

Quand les troupes passent par des lieux rudes et raboteux où elles ne peuvent marcher serrées, comme elles sont dispersées et séparées, il arrive souvent que les premiers, qui ont descendu une montagne, étant arrivés dans la plaine, prennent celles qui les suivent pour des ennemis, et réciproquement celles-ci.

Ces sortes de méprises peuvent être dangereuses.

Dans le pays plat, on découvre de loin : la poussière ou les feux que l'ennemi allume peuvent l'annoncer. Les collines, les montagnes et les bois étant très propres pour des embuscades, vous aurez attention de les faire reconnaître avant de vous y engager.

Quand vous marcherez pour combattre, vous avancerez d'un pas égal et modéré; mais, dès que vous serez en présence, vos troupes étant formées, vous fondrez sur l'ennemi avec rapidité. Il faut profiter de la première pointe de courage, qui s'émousserait par le retardement. Celui-ci occasionne des réflexions qui consomment la vigueur de l'âme, et cette inquiétude détruit les forces du corps.

Évitez les défilés autant qu'il sera possible, surtout quand ils sont très longs, à moins de vous être emparé auparavant des hauteurs, et d'être sûr que les ennemis en sont tout à fait chassés.

On trouve souvent des chemins étroits et difficiles où l'infanterie peut néanmoins marcher sans incommodité : c'est pourquoi s'ils ne sont pas plus longs que d'un mille, on ne permettra pas à la cavalerie de prendre le large dans la campagne, surtout au cœur de l'été; mais on lui fera mettre un pied à terre pour marcher plus librement.

J'appelle détroits et passages difficiles, lorsqu'il n'y a qu'un chemin resserré : quand il y en a plusieurs, et qu'on peut les y pratiquer, le passage est réputé assez libre.

Quand vous aurez traversé de semblables lieux, et que vous deviez y repasser, vous y laisserez de l'infanterie, commandée par des chefs qui sachent s'y placer; vous y joindrez même de la cavalerie, si l'endroit en est susceptible. Si ce sont des bois épais et qui ne soient pas d'une grande longueur, on y pratiquera de larges ouvertures, afin d'y marcher sur un certain front : si les chemins sont étroits, raides et pleins de précipices, vous les ferez élargir et aplanir autant qu'il se pourra.

En pareil cas, quand on mène avec soi du bagage ou du butin, on se divise en deux phalanges ou lignes qui marchent par l'aile, et l'on place le bagage entre elles. La diphalangie ou double front est une disposition également forte de l'un ou de l'autre côté, comme le double tranchant d'une épée. Ce qui restera, les deux lignes étant formées, sera placé sur les quatre côtés, tant pour la conservation du bagage que pour écarter les coureurs ennemis, qui viendraient troubler l'ordre de bataille.

Si dans cette occasion l'on a fait mettre pied à terre à la cavalerie, et qu'il n'y ait pas aussi de l'infanterie avec elle, on mettra les chevaux tout à fait dans le milieu, parce que s'ils étaient proches, et qu'il survînt une alarme, les cavaliers y courraient aussitôt pour monter dessus, et pourraient s'enfuir, ce qui ne se ferait pas sans désordre.

Si vous êtes poursuivi et vivement pressé par l'ennemi, vous mettrez en dehors les bestiaux pris et les captifs que vous aurez bien liés ensemble ; cela vous servira comme de bouclier : les ennemis n'oseront tirer à cause d'eux, ou s'ils le font, ils les frapperont plutôt que vous.

Si vous voyez que vous .ne pouvez conserver votre proie sans danger, vous en abandonnerez une partie, ou le tout s'il est nécessaire, afin de vous dégager plus aisément. Si les ennemis vous tiennent resserré en gardant toutes les issues, et ne veulent entendre à aucune condition, vous tuerez les prisonniers, et vous ravagerez leur pays sans miséricorde, ou plutôt vous tâcherez de vous ouvrir le passage.

Dans les marches en plaine, vous aurez des avant-gardes et des arrière-gardes de cavalerie, au-delà desquelles on ne souffrira aucune troupe d'infanterie.

Si les ennemis sont proches, les soldats seront munis de toutes leurs armes, et ne les laisseront point dans les chariots : il faut qu'ils marchent en ordre, et soient prêts à combattre comme si l'armée était en bataille.

Les traites ne doivent pas être trop longues, afin de ne pas fatiguer l'infanterie : les chariots qui portent ses bagages marcheront à la suite de la mérie dont ils dépendent.

Si vous voulez faire une course dans le pays ennemi avec un corps d'infanterie, et que vous deviez passer par des lieux raboteux, d'un accès difficile, il ne faut pas laisser suivre beaucoup de bagages, ni vous charger d'armures pesantes, comme des casques et des cuirasses, mais que vos soldats aient seulement des boucliers avec des piques. Les psilites, qui forment l'infanterie légère, auront des boucliers, des javelots, des dards et autres armes les plus propres à l'occasion. On ne manquera pas de se pourvoir de beaucoup de haches. On mènera peu de cavalerie ainsi que de bagages.

L'infanterie portant le bouclier ne s'étendra pas sur un front contigu, comme dans un terrain uni et découvert; mais .vous la séparerez en deux ou quatre parties. Chaque division sera sur quatre files de hauteur plus ou moins, selon le nombre d'hommes que vous aurez, et l'usage auquel on les destinera. Elles laisseront entre elles l'espace d'un jet de pierre. Votre cavalerie marchera après cette infanterie; elle sera suivie des bagages que vous ferez couvrir par quelque infanterie légère armée de boucliers, pour faire l'arrière-garde du tout, et soutenir la queue si elle était attaquée. Une autre partie des psilites fera l'avant-garde avec quelques chevau-légers ; d'autres seront jetés de droite et de gauche pour fouiller et reconnaître les lieux où l'ennemi pourrait être embusqué. On abattra les arbres des environs, afin de retarder l'ennemi, en lui opposant ces obstacles dans les passages étroits. Si le pays est tout à fait découvert, ce seront les coureurs qui se répandront et s'éloigneront le plus ; si au contraire, il est montueux et serré, ce seront les psilites qui feront la découverte. Ils ne doivent pas former un front comme les porte boucliers, mais marcher par petits pelotons pour lancer facilement leurs traits. A chacune de ces petites troupes de trois ou quatre, on joindra un archer qui sera d'un grand secours. Ces armés à la légère ne s'éloigneront point au-delà de la portée du son de la buccine, afin de les faire rejoindre quand on voudra les rappeler et de leur donner du secours s'ils en ont besoin.

Ces sortes de camps volants ne marcheront donc point en bataille sur un seul front, mais en colonne, les différents corps se suivant les uns les autres. S'il arrivait que les premiers fussent arrêtés par la difficulté des lieux et par les ennemis, les suivants feraient en sorte de les tourner, et de gagner les hauteurs sur eux. Il faut aussi prescrire aux psilites de s'emparer des lieux les plus élevés pour dominer l'ennemi.

Lorsque les quatre divisions marchent de front, si elles ne peuvent passer ainsi, elles se doubleront et se réduiront en deux parties, comme une diphalangie; si le lieu est si étroit qu'il ne puisse contenir deux divisions de front, celles-ci se doubleront encore. Lorsque le défilé sera passé, elles reprendront leur première disposition, les armés à la légère tenant l'ordre que j'ai dit ci-devant.

Si les ennemis paraissent, vous observerez par quel côté ils veulent vous attaquer, afin d'y présenter un front. Si, par exemple, ils se présentent sur votre gauche, l'une des divisions étant déjà de ce côté, les trois autres feront leurs mouvements pour s'y porter et y prendre leur poste : de même si c'est vers la droite.

Si l'ennemi ne se présente que devant une ou deux des divisions du centre, elles se développeront pour se mettre en bataille : celles des ailes feront de même, et formeront la ligne. Les psilites se répandront pour charger l'ennemi, et la cavalerie tâchera de l'envelopper, si l'étendue du lieu le permet.

Les porte boucliers auront leurs files très ouvertes et sur beaucoup de profondeur, quand ils passeront dans des bois clairs ou autres lieux où il y aura beaucoup d'arbres, afin de faciliter leur passage, et qu'ils se resserrent ensuite aisément; mais si le passage était intercepté, l'ordonnance demeurerait serrée, et l'on pousserait en avant une partie des armés à la légère pour écarter les ennemis : on les ferait soutenir par quelques détachements de porte boucliers et de la cavalerie.

Comme on jette ordinairement des cris du côté où l'ennemi aborde, vous prendrez garde que les troupes ne courent dans cette partie, et qu'il n'y ait de la confusion. Les seuls armés à la légère iront au cri de l'ennemi : tous les autres resteront à leurs postes, et personne ne bougera sans l'ordre des commandants.

Ainsi vous assurerez votre marche en la réglant comme je l'ai dit; savoir, en colonnes dans les terrains resserrés, soit sur une seule colonne ou sur deux divisions, ou sur quatre, selon que les lieux pourront les contenir. Quant ils seront plus spacieux, alors on pourra s'étendre et marcher en bataille, à moins que pour diminuer le front on ne veuille faire les files plus hautes.

Remarquez que dans le pays fourré et couvert de bois, les jaculateurs qui lancent des dards à la main sont préférables aux archers et aux frondeurs ; c'est pourquoi il faut avoir beaucoup de psilites exercés à s'en servir. Au contraire, les archers sont plus utiles en pleine bataille dans les lieux nus et montagneux où ils rendent de grands services.

Lorsque vous serez arrivé au lieu du campement, vous ne romprez point l'ordre de bataille, ni ne congédierez les troupes que le camp ne soit assuré, et les gardes posées.

Vous aurez attention que l'on connaisse parfaitement les divers signaux donnés par le son de la buccine, afin qu'on s’arrête quand on l'ordonnera, qu'on marche de même, et qu'on fasse tous les mouvements comme ils seront désignés.

INSTITUTION X.

Des bagages.

Vous prendrez un soin particulier des équipages de votre armée, qui doivent être en sûreté partout où vous les laisserez; il serait imprudent de les mener avec vous lorsque vous marchez pour combattre, à cause de l'inquiétude qu'auraient les soldats sur le sort de leurs domestiques, de leurs femmes et de leurs enfants qui restent avec le bagage. Quand, au danger que l'on court soi-même, se joint encore la crainte de perdre ce qu'on a de plus cher, on ne se présente au combat qu'avec répugnance et en tremblant.

Soit donc que vous comptiez combattre dans le pays ennemi ou sur votre frontière, vous laisserez le gros des bagages et la plus grande partie des valets à trente ou quarante milles sur les derrières, dans un lieu fortifié, où il y ait de l'eau et de la pâture : vous ne mènerez de ceux-ci que ce qu'il en faudra pour avoir soin des chevaux qui suivent les décuries. Vous éviterez, par ce moyen, les embarras et toutes les incommodités qu'occasionne en pareil cas la multitude des bagages; vous vous épargnerez aussi l'inquiétude de trouver de la subsistance, qui est souvent fort rare.

Les troupes pourront garder avec elles les menus équipages jusqu'au jour du combat ; pour lors on les fera demeurer dans le camp avec le reste de l'attirail, de peur qu'il n'y ait quelques valets pris, ce qui suffirait pour alarmer tous les esprits.

Dans les courses qui se feront sur le pays ennemi, les troupes mèneront de même avec elles leurs menus bagages, et les garderont jusqu'au jour de l'action.

Entre le lieu du combat et celui où sont les bagages, vous placerez des gens prudents et d'une fidélité à l'épreuve, que vous ferez connaître au vaguemestre général ; leur charge sera d'annoncer l'issue du combat, et d'indiquer si les bagages doivent se retirer plus loin, ou rejoindre l'armée.

Ceux qui marcheront pour une expédition prendront avec eux leurs valises ou chevaux de bât, avec leurs cantines, et leurs tentes doubles (s'ils en ont besoin) dont une partie sert comme de toit ou de surtout à l'autre. Chacun fera aussi provision de vingt ou trente livres de biscuit ou d'autre espèce de vivres aisés à porter. Chaque bande, se munira de foin ou de paille pour un ou deux jours, afin qu'à tout événement, si l'armée était arrêtée par les ennemis, elle pût avoir du fourrage, du moins pour ce temps-là, sans sortir de son camp; en pareil cas, il est très dangereux d'envoyer au fourrage, et de permettre aux troupes de courir les campagnes. Comme l'ennemi est partout aux aguets, on les expose à mille hasards; et si on les retient, on a la douleur de voir les animaux mourir de faim.

Lorsque l'armée lèvera son camp, si elle n'a besoin de rien, vous brûlerez le fourrage que vous laisserez, et vous ferez le dégât dans les environs, pour que l'ennemi, qui vient après vous, ne trouve rien.

Dans toutes les marches, lorsque les ennemis vous suivent de près, il faut ordonner que les bagages soient au milieu des troupes, afin qu'ils ne courent pas risque d'être enlevés par quelque côté où ils seraient découverts.

On doit avoir attention, comme je l'ai déjà dit, que les menus équipages qui suivent les troupes ne marchent point pêle-mêle avec elles, mais séparément, à la suite de chaque turme, avec un chef pour les diriger. A l'égard des gros bagages, qui doivent être aussi sous la direction d'un chef, ils marcheront devant l'armée, si elle se retire du pays ennemi, ou derrière si elle s'avance pour y entrer, ou sur un des côtés si l'autre peut être exposé; on aura soin d'y mettre toujours une escorte. Quand il y a des risques partout, on forme deux colonnes de troupes, et les bagages marchent dans le milieu avec une garde à la tête et à la queue.

Voilà ce que j'avais à vous dire touchant la conduite des bagages et leur conservation, soit à l'égard des chariots ou des bêtes de somme, en sorte que pour chaque cas vous ayez un règlement.

 

INSTITUTION XI.

Des Camps.

Vous fortifierez toujours votre camp le plus qu'il vous sera possible ; cela est indispensable si vous le placez dans un lieu spacieux et ouvert. Vous ne devez pas non plus le négliger dans un autre terrain, quelque avantageux qu'il soit; surtout évitez de vous placer près de quelque hauteur dont l'ennemi pourrait s'emparer à la dérobée, et d'où il vous incommoderait beaucoup par ses traits. Quand vous serez dans le pays ennemi, vous ne manquerez pas de faire un fossé autour de votre camp, ne dussiez-vous demeurer qu'un seul jour; cette méthode rassure les troupes et met à l'abri de toute insulte. Vous établirez aussi des gardes en tous temps ; bien que vous sachiez l'ennemi éloigné, vous prendrez les mêmes précautions que s'il était proche.

Quand vous devrez séjourner quelque temps, vous choisirez un lieu commode, qui ne soit ni humide ni marécageux : ces sortes d'endroits étant malsains, causent par leurs exhalaisons des maladies qui ruinent une armée.

Vous ferez bien de ne pas rester longtemps dans le même endroit, à moins que ce ne soit pour hiverner, ou que de fortes raisons ne vous y obligent : les immondices qui s'accumulent occasionnent à la fin des vapeurs infectes qui corrompent la salubrité de l'air. Un camp d'hiver sera construit et retranché comme une ville; vous y exercerez les troupes aux évolutions et aux travaux militaires, pour qu'elles n'en perdent point l'habitude et ne s'énervent pas dans l'oisiveté.

Ce n'est pas assez que le camp soit sain, il faut aussi qu'il soit abondamment pourvu de toutes les choses nécessaires ; que les marchands et ceux qui y apportent leurs denrées y abordent facilement et sans risques.

Vous poserez des stations en dehors, après avoir formé une enceinte de chariots, si vous en avez suffisamment, sinon vous emploierez des arbres entiers ou bien des palissades qu'on posera près à près autant qu'il se pourra. Le camp doit être toujours fortifié et assuré, à moins que ce ne soit dans notre pays, et que, n'ayant rien à craindre, on se propose de le changer pour quelque raison.

Vous veillerez à ce que les pays de notre domination, voisins du théâtre de la guerre, ne soient point foulés par les troupes, surtout les agriculteurs, dont les travaux doivent être protégés ; cet art et celui de la guerre sont les deux plus utiles à la conservation de l'état, et tous les autres paraissent leur être inférieurs; c'est pourquoi ils méritent une attention particulière. Le soldat, bien entretenu, se portera avec zèle à la défense du laboureur, qui, se voyant ménagé, fera des vœux continuels pour lui.

Lorsque vous aurez posé et assuré votre camp, si vous savez que les ennemis s'approchent, vous ordonnerez qu'on fasse une provision de foin, de paille et d'orge pour deux ou trois jours. Si vous vouliez transporter votre camp ailleurs, on s'en, pourvoirait du moins pour un jour ; il serait même bon que chacun en ramassât chemin faisant, parce que, si les ennemis sont près et que leur cavalerie soit nombreuse, la pâture sera interceptée, et les valets ne pourront sortir sans risquer d'être pris. Il faut prévoir tous les cas qui peuvent arriver et peser toutes choses, pour ne pas s'exposer au repentir. Après avoir fait vos observations sur la subsistance que les lieux doivent vous fournir, du moins pour quelques jours, vous remarquerez les situations dont vous pourrez tirer le meilleur parti pour la défense du camp, comme des hauteurs, la proximité d'une rivière ou celle d'un ravin : vous aurez aussi attention de vous poster de manière à ne pas manquer d'eau, et à la défendre.

Si le péril est pressant, soit que votre armée soit tout infanterie ou cavalerie, ou mêlée de l'une et de l'autre, vous emploierez vos chariots pour fermer votre camp, comme je l'ai dit ci-dessus. Vous ferez en dehors de cette enceinte un fossé large et profond de sept ou huit pieds, dont on jettera la terre en dedans. Au-delà de ce fossé, vous mettrez des chausse-trappes, et vous ferez de petites fosses recouvertes, dans chacune desquelles on fichera un pieu aiguisé : cela doit être connu de toute l'armée, pour que personne n'aille s'y jeter.

Le périmètre du camp aura quatre grandes portes publiques et en outre plusieurs petites; un préfet sera chargé d'y poser les gardes. Les tentes des psilites, c'est-à-dire de tous les gens de traits, seront placées en dedans des chariots, près du retranchement. Entre celles-là et les autres, il y aura une distance, de trois ou quatre cents pieds, afin que les flèches des ennemis ne puissent pas y porter.

Deux grandes rues, larges de quarante à cinquante pieds, se couperont à angles droits au milieu du, camp. De côté et d'autre, on alignera les tentes, qui seront placées selon l'ordre des décuries, avec un petit intervalle de l'une à l'autre. Chaque turmarque campera au centre de sa division.

Le logement du général ne sera point au milieu du camp, mais dans un endroit où il n'empêche point le passage et n'en soit point incommodé. La cavalerie sera mieux placée dans le milieu qu'aux extrémités.

Les officiers de garde aux portes ne laisseront entrer ni sortir personne après la retraite, sans un ordre signé du général.

Les gardes de cavalerie intérieures se feront exactement. Chaque turmarque enverra un homme d'ordonnance près du général; et de même chaque drongaire et chaque comte enverront le leur auprès du turmarque, afin que les ordres soient reçus promptement.

Le général aura près de lui des gens qui sonnent de la grande et de la petite buccine; au son de celle qui indique la retraite, les travaux cesseront, et après le souper, on chantera l'hymne saint.

Vous préposerez des personnes fidèles pour faire la ronde, visiter les stations, et faire observer un grand silence : c'est souvent un moyen de prendre les espions qui se sont glissés dans le camp.

Vous ne permettrez ni danses ni jeu pendant la nuit, ce qui serait indécent et contraire au bon ordre.

Si vous voulez décamper à l'insu des ennemis, pour changer votre position, ou les prévenir en occupant un poste avantageux, ou pour éviter le combat, tenez beaucoup de feux allumés; les ennemis, qui les verront, penseront que vous restez dans votre camp; c'est ce que pratiqua Nicéphore, notre général, lorsqu'il fut envoyé avec une forte armée en Syrie. Ayant fait le dégât dans cette province et un très grand butin, comme il se trouvait pressé par une grosse armée de barbares, au moyen de ce stratagème, il échappa avec toute sa proie.

Le même, dans une expédition contre les Bulgares, se servit d'une chose fort utile, dont voici la description. Deux piquets, égaux et longs de trois palmes, représentaient un L. Un troisième piquet, long de cinq à six palmes, semblable à un javelot, se joignait à ce bipède, et formait ainsi un tripède bien affermi sur ses jambes au sommet du tripède et de cette espèce de javelot, s'élevait une forte lame pointue comme celle d'une épée, longue de deux palmes ou un peu plus, Ces machines, lorsqu'on le voulait, se joignaient près à près pour se remparer et se fortifier contre la cavalerie, qui venait s'y enferrer; elles étaient très commodes par la facilité de les transporter et de les faire servir d'armes au besoin. Quand on n'avait pas le temps de faire un fossé autour du camp, ou lorsque le terrain, étant trop pierreux, ne pouvait se creuser, on ne laissait pas, au moyen de cette invention, de se procurer quelque sûreté.

Quand vous décampez ouvertement, sans crainte de l'ennemi, vous donnez l'ordre le soir de la veille du départ; à la pointe du jour, la buccine sonne trois fois; au dernier signal toutes les troupes se mettent en mouvement, et sortent du camp ainsi que les bagages, selon leur ordre de marche.

On trouve chez les anciens la description de diverses sortes de camps pour la situation et pour la forme, Le carré oblong est celui que je préfère, comme plus propre pour y camper régulièrement.

Si vous voulez faire montre de vos forces, campez-vous sur un lieu élevé, qui soit un peu en pente, pourvu que l'on puisse y transporter toutes les choses nécessaires,

Vous ne ferez point les latrines dans l'intérieur du camp, mais en dehors, à cause de la mauvaise odeur, surtout si vous devez y demeurer quelque temps.

Quand vous le jugerez nécessaire, vous ferez passer un ruisseau au milieu de votre camp, de manière cependant qu'on puisse le traverser aisément.

Si vous pouvez disposer d'une grosse rivière, en vous y appuyant, vous la ferez servir de retranchement pour un côté. Si elle est d'une médiocre largeur, vous défendrez de mener boire les chevaux dans la partie supérieure, parce qu'ils rendraient l'eau bourbeuse ; on les abreuvera dans la partie au-dessous du camp. Si même elle était fort petite, on ne laisserait point entrer les chevaux dedans, mais on y puiserait de l'eau pour les abreuver.

Lorsque l'ennemi sera éloigné, l'on pourra se dispenser de faire entrer la cavalerie dans le retranchement avec l'infanterie; la première, restant dehors, sera plus au large, et moins exposée à être comptée par les espions; il suffira de lui marquer son emplacement, qu'elle viendra occuper quand ennemi s'approchera.

Si vous êtes dans une plaine, et que, vous sortiez de votre camp pour donner bataille, vous y laisserez une garde assez forte pour s'y soutenir et le conserver si l'ennemi faisait un détachement pour l'attaquer, et les chariots vous suivront. Si, au contraire, le pays est rude et inégal, et que votre camp soit d'un abord difficile, vous y laisserez les chariots et tous les bagages, avec la garde ordinaire qui y est attachée. Vous rangerez l'armée en bataille dans un poste convenable, qui ne soit point éloigné du retranchement. Dans cette occasion, les chariots vous seraient inutiles et ne feraient que vous embarrasser. Dans le cas que vous les meniez avec vous, il ne faut pas les ranger trop près de l'infanterie. On mettra des entraves aux bœufs, de peur que venant à s'effrayer du bruit et du jet des traits, ils ne causent du désordre dans l'armée.

Si vous avez beaucoup de cavalerie et peu d'infanterie, lorsque vous sortirez de votre camp en y laissant les bagages, il ne faudra pas moins laisser quelque infanterie, dont une partie pour la défense du fossé, et l'autre pour garder les portes. Ceux-ci se posteront en dehors près du fossé, soit pour soutenir la cavalerie si elle est repoussée jusque-là, et appuyer son ralliement, ou pour favoriser sa retraite dans le camp et l'empêcher d'y rentrer en désordre.

S'il faut secourir un lieu attaqué par les ennemis ou bien occuper promptement un poste avantageux, comme les chariots pourraient vous retarder, on les laissera avec le bagage dans un lieu sûr et retranché. L'infanterie prendra avec elle les vivres nécessaires, et on laissera suivre seulement les chevaux qui portent les menus équipages. On ne manquera pas de mener aussi avec soi les tripèdes si l'on est dans le cas de camper : on se remparera d'un fossé, et l'on rangera les tripèdes sur le bord, ou bien on fera en dedans un retranchement avec des bois joints ensemble, qui sera aussi bon que si les chariots y étaient. Ces chariots, que nous appelons caragon, sont ceux qui servent pour le retranchement.

Lorsque vous ferez prendre aux troupes leurs quartiers d'hiver, vous ordonnerez aux turmarques et aux préfets de vous donner un état juste des réparations nécessaires, soit d'armes ou de chevaux, que vous ferez fournir en temps et lieu. On prescrira aussi aux archers qui retournent chez eux de s'y pourvoir d'arcs. La négligence sur ce seul article a causé, comme vous le savez, des maux funestes à l'armée romaine. Voilà pour les camps. Je vous parlerai maintenant des préparatifs de guerre qui doivent se faire ou la veille, ou plusieurs jours avant le combat; de ce que vous devez entreprendre ou éviter, et de ce qu'il faut prescrire aux officiers et aux soldats.

INSTITUTION XII.

Des Préparatifs pour le Combat.

Lorsque le temps de la campagne sera venu, vous assemblerez votre armée dans un même endroit. Si vous avez un nombre convenable de troupes, il ne faudra pas les former sur une seule ligne : sa trop grande étendue causerait du trouble, et vos ordres seraient moins bien suivis; mais vous en séparerez une partie, dont vous composerez une seconde ligne.

Quiconque a beaucoup de cavalerie, et la met toute en un seul front contre l'ennemi, sans se ménager des réserves pour parer aux accidents inopinés ; cet homme, dis-je, me paraît très ignorant, et se précipite dans un danger manifeste.

Ce n'est ni par le grand nombre des combattants, ni par une ardeur fougueuse qu'on se procure d'heureux succès à la guerre, comme le pensent les ignorants : on ne doit compter que sur la sagesse des conseils et les règles de l'art. Une conduite adroite et raisonnée inspire de la confiance et de l'allégresse aux troupes, ce qui ne peut manquer, avec l'aide de Dieu, de donner la victoire.

Vous devez donc diriger vos entreprises avec prudence, savoir choisir le temps le plus propre pour l'exécution, comme le jour ou la nuit, quand l'air est serein ou nébuleux ; observer la situation des lieux et l'avantage que vous pouvez en tirer, soit pour dresser des embuscades, pour favoriser une attaque, ou pour tel autre dessein qu'on peut avoir à la guerre: Vous devez enfin surpasser l'ennemi par vos lumières et votre adresse, autant que par la grandeur de courage.

Vous agirez donc prudemment, si vous divisez votre armée en différentes parties, qui puissent se séparer ou se rejoindre, et qui exécutent ces mouvements en marchant bien ordonnées : car ce ne sera pas assez de vous garantir des pièges et des attaques de l'ennemi ; il faudra que vous fassiez sur eux des entreprises, ce qui ne peut se bien exécuter qu'au moyen d'un grand ordre. Voilà pourquoi l'armée est divisée en dronges, turmes, tagmes ou bandes, centuries, décuries et autres parties propres aux usages militaires.

Si toutes vos troupes étaient sur une seule ligne, comment pourriez-vous les diriger, et régler dans un instant leurs manœuvres, comme cela doit être? Combien d'autres inconvénients ne se rencontrent-ils pas dans une pareille disposition, surtout si l'armée est nombreuse. L'étendue immense de votre cavalerie, celle de vos piquiers ne permettent pas de marcher alignés ; et l'inégalité des lieux, qui se rencontrent à tout instant, coupent et séparent les parties de la ligne, qui se trouve ainsi rompue et désordonnée avant que le combat soit commencé. D'ailleurs si l'ennemi fait des mouvements pour tourner vos ailes et les envelopper, vous ne pourrez éviter votre perte entière, dès que vous n'aurez réservé aucune troupe pour garantir vos flancs et vos derrières.

Souvent dans un front trop étendu, l'on a vu des bandes entières s'enfuir et déserter sans qu'on s'en aperçût d'abord. Cet exemple ne manquait pas d'en entraîner bientôt d'autres, et les fuyards ne trouvant rien qui les arrêtât, on n'avait aucun espoir de les rallier, et de les ramener à leur poste.

Mais je veux que l'ennemi fuie devant cette seule ligne qui se désordonne pour le suivre, si tout à coup la réserve paraît ou que des troupes sortent d'une embuscade, ceux qui poursuivent, n'étant soutenus par aucun corps en état de faire tête aux nouvelles forces ennemies, prendront aussitôt la fuite.

Le seul avantage qu'on puisse retirer de cet ordre de bataille, est d'avoir plus de facilité d'embrasser l'ennemi par ses flancs, si l'on s'y prend avec une certaine adresse. On fait aussi une plus belle montre de ses troupes dont le nombre grossit encore aux yeux dans l'éloignement ; mais ceci n'a que l'apparence de l'utilité et non pas le réel.

Il est donc nécessaire de former deux lignes, dont l'une serve d'appui et de secours à l'autre. On tire de cette disposition les plus grands avantages. La première se sentant soutenue a bien plus de confiance et de courage. Ceux qui sont vers les extrémités des ailes, défendus par les gardes flancs, n'ont aucune inquiétude. La seconde ligne contient encore ceux de la première qui seraient tentés de tourner le dos, et qui n'oseraient, ne voyant point de jour à la fuite.

Si celle-ci est ébranlée, comme il arrive souvent, elle se reforme et retourne au combat. Si l'ennemi qu'elle aura mis en fuite vient à se rallier, la seconde qui la suit est à portée de la secourir; et si malheureusement elle venait à être entièrement rompue, sans qu'on pût la ramener, on aurait une ressource dans l'autre ligne, qui étant toute fraîche et en bon ordre, rétablirait le combat On peut d'autant plus y compter que celle de l'ennemi serait nécessairement fatiguée et dans un grand désordre.

Quand même vous seriez inférieur en nombre à l'ennemi, il ne serait pas moins nécessaire de former deux lignes. Si quelqu'un vous dit que cela est inutile, parce que la première étant rompue troublera la seconde et l'entraînera dans sa fuite, n'ayez point égard à ce faux raisonnement. Si avec une armée sur deux lignes l'issue du combat est encore douteuse, que ne sera ce point lorsqu'on n'en aura qu'une qui, venant à être pliée, vous laissera sans la moindre ressource. Si l'on objecte encore que l'ordonnance de l'armée, ainsi séparée, en est plus mince et plus faible, on peut répondre qu'on ne divise point la force de l'armée, mais qu'on en change seulement la forme ; que par la disposition des deux lignes, qui ne sont point trop éloignées l'une de l'autre, l'ordonnance générale n'est point affaiblie, qu'au contraire elle est rendue plus ferme et plus assurée dans toutes ses parties.

Soit que vous ayez peu ou beaucoup de cavalerie, il ne faut pas moins la diviser en différentes parties, pour faciliter vos dispositions. Il importe toujours d’y mettre beaucoup d'ordre et de clarté, surtout quand on combat contre une nation qui a de l'expérience dans l'art de la guerre.

Si vous n'avez que de l'infanterie, vous la rangerez comme je le dirai lorsqu'il sera question de cette armée, ou d'une armée mêlée de l'une et de l'autre. Si ce n'est que de la cavalerie, et que vous ayez à combattre de la cavalerie, vous formerez la vôtre sur trois lignées. La première sera divisée en trois grandes parties, dont chacune sera subdivisée en trois autres, savoir : chaque turme en trois dronges. Votre lieutenant général se placera à la tête de celle du milieu : dans les deux de la droite et de la gauche, le turmarque qui commande aux tribuns ou préfets sera posté à la division du centre.

Les trois parties de cette première ligne seront composées des coureurs, que nous appelons à présent proclastes, et des défenseurs qui doivent recevoir les coureurs lorsqu'ils sont repousses, les soutenir et les revancher; en sorte que les coureurs formeront la troisième partie de chaque turme, et seront tous des archers. La dimérie qui est dans le milieu sera composée de défenseurs.

À la gauche de cette ligne, qui est surtout la partie que l'on cherche à envelopper, et qui court le plus de risque, vous placerez deux ou trois bandes pour servir de gardes flancs. A la droite vous mettrez une ou deux bandes d'archers, qui seront destinés à tourner le flanc des ennemis. C'est ainsi que vous disposerez votre première ligne.

La seconde ligne qu'on appelle auxiliaire, et qui doit faire la troisième partie de toute l'armée, sera divisée en quatre méries. Elles seront séparées l'une de l'autre par des intervalles d'environ un jet de flèche. On les rangera en double front, de manière que ceux des premiers rangs soient prêts à combattre devant eux, et les autres sur le derrière. Si les ennemis faisaient une incursion dans cette partie, ils se tourneraient et se présenteraient pour leur résister.

Aux deux extrémités de cette ligne, derrière chaque pointe, à la distance d'un jet de flèche, vous placerez une bande, comme si vous vouliez commencer une troisième ligne. Cela servira pour garder le derrière des ailes.

Pour que la seconde ligne ne paraisse qu'un seul corps, et que ses quatre parties ne se déjettent point en marchant, il est à propos d'en remplir les intervalles, et d'employer pour cet effet une bande à chacun. Les cavaliers s'y rangeront à deux de hauteur, ou bien à quatre si l'armée est nombreuse. Ces intervalles servent à donner des passages aux corps rompus de la première ligne. Les trois bandes se retirent à propos pour les laisser libres, en donnant aux fuyards un espace raisonnable. Elles les reçoivent, les font rallier, et retiennent ceux qui voudraient fuir plus loin; ou bien elles se resserrent, se formant en escadrons ; ensuite, se joignant aux tergistites qui sont à la troisième ligne, elles fortifient la seconde, et repoussent les ennemis qui s'avancent pour la rompre.

Si vous n'avez qu'une armée médiocre, comme depuis cinq jusqu'à douze mille hommes, vous ne ferez la seconde ligne que de deux méries avec un seul intervalle. Si elle est au-dessous de cinq mille hommes, il n'y aura point de division à la seconde ligne, mais un seul corps sans intervalle.

Je vous prescris surtout de réserver trois ou quatre bandes pour placer en embuscade sur les flancs de l'armée, si la situation des lieux le permet. Ce qui sera mis à la gauche, servira pour empêcher les approches que l'ennemi tenterait de ce côté. Ce qui sera sur la droite se tiendra aussi couvert et prêt à débusquer pour courir sur l'ennemi.

Vous désignerez dans ce nombre ceux qui doivent se replier sur les flancs de l'ennemi et ceux qui doivent faire une course pour tomber sur les derrières. S'ils sont bien disposés, et qu'ils agissent à propos, ils secondent très efficacement l'attaque du front. Bien qu'ils ne soient qu'en petit nombre, comme ils chargent à l'improviste et avec avantage, ils doivent non seulement se battre à force égale ; mais la surprise et la crainte, les faisant paraître plus nombreux qu'ils ne sont, répandent le trouble dans toute une armée.

Avant de livrer bataille aux ennemis, il faut avoir pris une connaissance exacte de leurs forces. Si vous êtes inférieur en nombre, vous éviterez de vous commettre avec eux ouvertement, sans une extrême nécessité. Il serait trop dangereux de les attaquer de front et en plein jour; mais vous tâcherez de dérober votre marche pour les prendre en flanc ou par derrière.

Vous diviserez donc toute votre cavalerie, surtout si elle est nombreuse, en première et seconde ligne (la première, comme je l'ai dit, en coureurs et en défenseurs), en gardes flancs, en cornistites pour tourner l'ennemi, en insidiateurs, c'est-à-dire qui sont en embuscades, en auxiliaires, savoir ceux qui sont destinés à arrêter les fuyards, et en tergistites qui gardent tout à fait les derrières de l'armée.

Si vous avez une armée plus forte que celle des ennemis, formez-en non seulement deux lignes, mais trois et même davantage, de sorte que vous paraissiez plus faible qu'eux. S'ils attaquent tous ensemble sans précaution votre première ligne, les autres serviront à les envelopper.

Les anciens nous ont appris que chaque escadron ne devait pas se former sur plus de quatre rangs, parce que le surplus serait inutile. Car les rangs de chevaux ne se pressent point comme ceux des fantassins, pour faire effort par leur profondeur. Les derniers ne poussent point les premiers comme dans l'infanterie; et soit archers ou lanciers, ils ne sont pas d'un grand secours à ceux du front de. l'escadron ; car les lances, au-delà du quatrième rang, ne peuvent atteindre en avant du front, et les archers sont obligés de tirer leurs flèches en haut, à cause de ceux qui les précèdent; ce qui les rend inutiles, comme l'expérience l'a prouvé.

Quoique le nombre de quatre rangs me paraisse suffisant, cependant comme il se trouve souvent peu de cavaliers assez vigoureux et assez formés pour combattre aux premiers rangs, il faut y suppléer en augmentant la hauteur à proportion du peu de valeur des escadrons et des postes qu'ils occupent.

Les tagmes, vers le milieu de la première ligne étant les meilleures, on ne fera les files que de cinq cavaliers avec leur valet. A la gauche de la même ligne, où l'on place celles de la seconde classe en valeur, ainsi qu'à la droite, les files seront de sept. Dans les autres parties où se mettent les bandes qui valent moins, les files seront de huit ou de dix.

Si vous avez de vos plus mauvais escadrons en première ligne, vous les formerez donc sur huit ou dix de hauteur. Ceux de la seconde ligne seront sur dix, mais les cinq derniers seront tirés pour les mettre à la garde des chariots.

La profondeur de vos tagmes ne doit jamais être au-dessus de dix, ni au-dessous de cinq, bien que ce soient des hommes d'élite. Cela est nécessaire pour ne point trop diminuer, votre étendue, ni le nombre de vos protostates.

Si toutes les tagmes de votre ligne étaient sur dix de profondeur, les ennemis, en comptant les hommes du premier rang, connaîtraient facilement la force de l'armée, ce qu'il est important de leur cacher autant qu'il est possible. C'est aussi pour cela que les tagmes plus fortes que les autres auront deux enseignes, celle du comte et celle du centurion; mais en ordre de bataille, on ne montrera que celle du comte.

Les proportions que je viens de vous donner étant gardées, et l'excédent rejeté à la seconde ligne, vous aurez attention de mêler les anciens et nouveaux soldats dans les décuries. Les plus vieux qui ont perdu de leurs forces seraient mal ensemble, ainsi que les jeunes qui sont sans expérience.

Le chef de file, celui qui le suit, le troisième et le serre-file, porteront la lance avec l'armure telle qu'ils doivent l'avoir. Les autres qui savent tirer de l'arc, n'auront ni lance ni bouclier ; le cavalier aurait trop de peine à manier l'arc sur son cheval, tenant encore le bouclier de la main gauche. Néanmoins s'ils y sont exercés, ils jetteront le bouclier derrière eux, lorsqu'ils voudront tirer des flèches, ce qui ne sera point inutile.

Lorsque votre armée sera en bataille, vous placerez, environ cent pas derrière chaque bande, sept ou huit hommes destinés à recueillir les blessés et les cavaliers tombés de cheval, pour qu'ils ne soient pas foulés aux pieds par la seconde ligne, et conserver de braves soldats. Afin de les encourager à bien faire leur devoir, ils recevront un écu par chaque blessé qu'ils auront relevé. Pour qu'ils puissent les monter avec eux sur leurs chevaux, il y aura deux étriers attachés à la partie gauche de la selle, l'un à l'arçon de devant, l'autre à celui de derrière. Ils porteront de l'eau dans des flacons pour faire revenir les blessés qui tombent souvent en défaillance. Ces mêmes hommes, si l'ennemi est mis en fuite, ramasseront les dépouilles, lorsque la seconde ligne aura passé : ils les remettront à tous les protostates qui ont essuyé les plus grands périls du combat : c'est pourquoi cette prérogative paraît leur être due comme une juste récompense. Cela fera aussi qu'aucun cavalier ne descendra de cheval et ne quittera son rang pour dépouiller les morts.

On ôtera pour le combat les banderoles des lances, qui ne sont qu'un ornement de parade inutile à la guerre. D'ailleurs elles peuvent causer de l'embarras pour le jet des flèches et des dards, ainsi que dans les courses et les évolutions. Toutefois comme elles donnent beaucoup d'éclat à une troupe dans l'éloignement, on peut les garder tant que l'ennemi ne sera pas plus près d'un mille. Alors on les détachera et on les mettra dans leurs étuis.

Ne manquez pas de détacher huit ou dix cavaliers par turme, même par chaque tagme, si elles sont fortes, qui se tiendront à quelque distance pour observer avant le combat, et même pendant le combat, les mouvements des ennemis. Ils avertiront leur troupe de ce qui se passera, afin qu'elle se précautionne contre les ruses et les pièges qui seraient tendus. Il faut choisir pour ces vedettes des gens fermes, intelligents, et qui aient la vue bonne.

Vous disposerez les parties de votre première ligne, de manière qu'il y ait de l'une à l'autre un intervalle raisonnable, pour qu'elles ne se pressent point dans la marche. Les gardes flancs marcheront appuyés à la pointe gauche de la première ligne. Les parties de la seconde marcheront aussi en bataille dans l'ordre que j'ai dit, observant leurs intervalles. Jusqu'à ce qu'on soit à un mille des ennemis, la seconde ligne pourra se tenir assez éloignée de la première pour n'être point aperçue; mais lorsqu'on viendra en présence, elle se rapprochera pour en être à portée pendant le combat. La distance de l'une à l'autre doit être telle que la première ne reste pas sans secours, et que la deuxième ne se confonde point avec elle dans les tourbillons de poussière qui s'élèvent.

Les enseignes des tagmes ou escadrons seront les plus petites et les plus légères. Celles des dronges domineront sur elles, et celles des turmarques seront encore plus élevées. Votre lieutenant général aura la sienne très distinguée des autres, et la vôtre doit être la plus frappante, afin que tout le monde la connaisse, et que dans le trouble de l'action elle serve de point de ralliement aux officiers et aux soldats. Toutes les enseignes, placées également sur le front, doivent être gardées chacune par quinze ou vingt hommes d'élite.

Les enseignes des turmarques doivent porter chacune un symbole particulier et différent des autres, que les soldats soient accoutumés de connaître. Non seulement cela aidera les tagmes à bien garder leurs postes; cela leur servira aussi à se retrouver aisément, si elles venaient à s'égarer. Ces enseignes doivent encore être employées à donner des signaux par leurs divers mouvements et situations : comme de les tenir hautes ou baissées, de les pencher à droite ou à gauche, de les tenir toujours inclinées, ou de les élever et baisser fréquemment, pour que dans le trouble et la confusion, les signaux soient bien vus et répétés par les autres enseignes.

Les officiers généraux ne doivent pas se jeter tête baissée dans le péril. La mort d'un simple préfet n'est connue que de sa bande; mais la perte d'un chef principal peut causer du désordre dans sa division et décourager tous les soldats. Jusqu'à ce qu'on soit à la portée du trait, ils se tiendront sur le front, observeront et régleront la marche de la ligne : mais alors ils se feront escorter par une petite troupe des plus braves cavaliers. Jusqu'au moment du choc vous disposerez tout, et vous instruirez un chacun de son devoir. Dès qu'on en viendra aux mains, vous vous mettrez à la tête de votre escadron, qui sera dans le milieu de la seconde ligne, non pas pour y combattre, mais pour tout observer et vous porter où il sera nécessaire.

Je ne conseille pas de faire sonner beaucoup de buccines au moment du choc ; cela ne cause que de la confusion et peut empêcher de bien entendre les commandements. Il suffira d'en faire sonner une au centre de chaque ligne. Cependant, si le terrain était inégal, ou bien que le vent ou le murmure des eaux interceptât le son, on ferait sonner une buccine dans chaque mérie, c'est-à-dire trois sur tout le front. Plus il y a de silence, mieux on tient en ordre les nouveaux soldats, et plus l'aspect de l'armée paraît terrible aux ennemis. On sortira donc du camp sans aucun bruit, et on ne souffrira pas que personne parle sans nécessité.

Lorsqu'on se met en mouvement pour charger, il faut être serré convenablement; on jette en partant le cri des chrétiens, crucis victoria. Et lorsqu'on vient aux mains, il est aussi fort utile de pousser de grands cris, surtout ceux qui sont derrière, tant pour encourager les siens que pour étonner les ennemis.

Il ne faut pas non plus négliger d'avoir des hérauts qui excitent par leurs discours au combat. Il serait bon que ce fussent des préfets ou des officiers éloquents qui fissent cette fonction. Ils doivent mettre devant les yeux des soldats le prix réservé à leur fidélité et à leur valeur ; les bienfaits qu'ils ont déjà reçus du prince, la justice de leur cause, le salut de leurs enfants, de leur patrie, et la faveur du ciel qui les aidera contre les infidèles. Ces discours, dits à propos, feront plus d'effet qu'une distribution d'argent.

Quelques jours avant le combat, chaque turmarque assemblera ceux qui sont sous ses ordres. Il leur représentera que les règlements, les exercices et les évolutions institués par nos ancêtres ou par les derniers généraux, et auxquels on les a formés, ont pour objet de leur assurer la victoire; que si les bêtes fauves rusent pour éviter la poursuite des chasseurs, à plus forte raison les hommes, doués d'intelligence, doivent s'instruire, soit à poursuivre l'ennemi, soit à le surprendre ou l'éviter adroitement, selon l'occurrence; qu'il ne faut pas se laisser entraîner comme un torrent, mais que l'on doit modérer son impétuosité, et se conduire avec prudence dans l'attaque et dans la défense. On leur fera comprendre que le succès du premier choc ne décide pas toujours la victoire, que ce n'est pas assez de vaincre un moment, qu'il ne faut cesser de combattre avec courage et avec ordre jusqu'à l'entière défaite des ennemis.

Pour vous, lorsque l'armée sera rassemblée, vous ferez aussi votre exhortation, et vous animerez tout le monde par vos discours comme par votre exemple.

Vous recommanderez à la première ligne de se régler sur la partie du milieu où est votre lieutenant général, et de marcher de front avec elle.

Si les ennemis sont mis en fuite, les coureurs les poursuivront vivement jusqu'à leur camp. Les défenseurs suivront en ordre de bataille, pour soutenir les coureurs s'ils étaient ramenés. Il faut bien inculquer aux soldats qu'ils ne doivent pas penser à dépouiller les morts que l'affaire ne soit entièrement terminée.

Si quelque partie de la première ligne est rompue, elle se retirera vers la seconde, se ralliera derrière, et retournera au combat en jetant les cris accoutumés.

Si vous voyez que les ailes de l'ennemi vous débordent, vous ordonnerez aux gardes flancs de s'avancer sur la gauche et de s'y étendre, pour garantir cette partie de l'enveloppement. Si, au contraire, notre front est plus étendu que celui de l'ennemi, ces mêmes gardes flancs feront une course en demi-cercle pour l'envelopper, avant que la ligne n'en vienne aux mains. En cas que les deux fronts soient égaux, ils demeureront dans leur première position, couvrant leur mérie.

Les cornistites suivront l'aile droite sans se montrer jusqu'à ce qu'on soit à environ deux jets de flèche des ennemis. Pour cet effet, ils tiendront leurs enseignes baissées. Lorsqu'ils déboucheront, le premier escadron, s'il est composé de bons cavaliers, ne sera qu'à cinq de hauteur; l'autre suivra, les rangs serrés et bien ensemble.

Si l'on s'aperçoit qu'on est débordé de beaucoup par une des ailes ennemies, celle qui lui sera opposée s'arrêtera, et déclinera sur son flanc pour s'égaler à elle; après quoi l'on commandera aux tagmes en interligne sur l'aile de sortir. Elles débusqueront vivement, et feront leur mouvement avec légèreté pour tourner sur le flanc de l'ennemi. Si notre aile était un peu plus allongée que la sienne, ils n'auraient à décrire en marchant qu'une portion de cercle. Si les deux fronts étaient égaux, ils gagneraient un peu de terrain sur le côté, pour faire ensuite plus aisément leur conversion.

Si les ennemis font sortir aussi leurs cornistites pour exécuter une manœuvre semblable, il faut les prendre sur le temps, et les charger alors même qu'ils font leur conversion ; car ils présentent leur flanc droit, qui est découvert, et leur ordonnance n'est plus serrée.

Le turmarque, ou tout autre officier qui commande à la droite, doit se régler sur les mouvements des cornistites, de manière que dans le moment où ceux-ci arrivent sur le flanc de l'ennemi, toute cette mèrie s'avance aussi sur eux, et profite du trouble qui commence à s'y mettre. Ces troupes d'aile sont surtout très utiles dans les lieux plats et découverts, où elles manœuvrent facilement.

La seconde ligne observera d'être à la distance d'un jet de flèche de la première, pour la soutenir si elle est rompue. Si les ennemis sont mis en fuite, elle suivra en bon ordre la première, qui doit les poursuivre.

Si le combat est douteux dans la première ligne, et qu'il y ait des troupes repoussées, on redoublera les cris pour les ranimer et intimider les ennemis. La seconde ligne attendra l'événement, et ne chargera point qu'elle ne voie le désordre sans remède. Si elle-même est repoussée, elle se retirera vers les tergistites, qui la recevront

Au cas que des troupes détachées de l’armée ennemie tombent tout à coup sur la queue de votre bataille, si elles ne sont pas en grand nombre, la réserve suffira pour les combattre. Si celle-ci n'est pas assez forte, la seconde ligne se mettra en double front, et celui de la queue combattra l'ennemi, qu'on fera poursuivre, lorsqu'il sera rompu, par les tergistites en forme de coureurs. Mais si les ennemis étaient en état de faire un grand effort dans cette partie, toute la seconde ligne se tournerait par ce commandement : changez de front.

Les dizainiers ou chefs de files viendraient à la queue, qui serait alors le front.

Vos insidiateurs, qui sont cachés pour tomber à l'improviste sur les flancs ou sur la queue de l'ennemi, enverront quelques découvreurs pour observer ce qui se passe, afin de ne pas se montrer mal à propos; s'il est rangé sur deux lignes, comme il arrive souvent, il est certain qu'il vaut mieux faire une incursion sur l'une ou l'autre pointe, que sur le derrière. Le moment où ils doivent sortir de leur embuscade est lorsque les deux armées sont encore à la distance de deux ou trois jets de flèche. Ceci ne se représentera jamais dans les exercices; il sera réservé pour le jour du combat.

Vous ferez connaître à chaque turmarque les mouvements qu'il devra exécuter et tout ce qu'il faudra observer dans la partie où il commandera. Vous donnerez, s'il est nécessaire, vos ordres par écrit. Il faut aussi que les troupes soient instruites, peu de temps avant le combat, des principales choses qu'elles auront à faire. Si on le leur disait longtemps avant, cela pourrait s'oublier. Quant à celles de menu détail, sans les prévoir, on voit dans le moment même ce qu'il faut dire selon l'occasion.

Quand l'armée marchera en bataille à l'ennemi, on enverra des aides de camp visiter tous les lieux en avant du front, crainte que les ennemis n'aient placé quelques troupes dans des fossés, des ravins, ou dressé quelque sorte de piège. On prendra les mêmes précautions sur les flancs et sur le derrière, pour éclairer ses mouvements et sa position de toutes parts.

On fera, quelques jours avant la bataille, une recherche exacte de tous les étrangers de la nation ennemie qui seront dans l'armée. On les traduira dans un autre lieu sous quelque prétexte. Les turmarques, les dronges, les comtes auront cette attention, et ne négligeront rien de ce qui peut être utile à la sûreté générale.

Chaque bande ou tagme, soit qu'elle campe dans le retranchement ou autre part, chantera tous les matins, à la pointe du jour, l'hymne saint, avant toute fonction. Elle fera la même chose le soir après le souper et les messes.

Le jour du combat, chaque cavalier portera, dans des sacoches attachées à l'arçon de sa selle, des flacons d'eau, du biscuit et une ou deux livres de farine; cela lui servira pour se repaître dans le besoin, et se soulager s'il venait à se trouver mal. Comme on ne sait pas le moment où commencera l'action, qui peut être retardée, ou bien pouvant arriver qu'après la victoire on suivra les ennemis qui se retireront dans quelque lieu fort, il est nécessaire d'avoir dans cette occasion des vivres au moins pour vingt-quatre heures.

Il y a certaines entreprises périlleuses dans lesquelles il ne faut pas vous exposer en les exécutant vous-même; si vous y demeuriez, le trouble et la terreur gagneraient toute l'armée, au lieu que si vous en chargez quelqu'un de confiance, telle qu'en soit l'issue, le salut de l'armée ne sera point hasardé, et vous pourrez remédier à ce qui pourrait arriver de fâcheux.

Le général prudent et circonspect n'entreprend rien qu'après un mûr examen. Il doit considérer la situation des ennemis et la nature de leurs forces : s'ils ont beaucoup plus de cavalerie que vous, il faut tâcher de leur ôter les fourrages : s'ils sont très nombreux en hommes, vous ferez en sorte de leur couper les vivres, ou de les leur enlever.

Si c'est une armée composée de diverses nations, on tâchera d'en corrompre une partie par des présents ou des promesses : si elles professent des religions différentes, vous solliciterez ceux qui ont la même croyance que vous.

Si les ennemis se servent de lances, attirez-les dans des lieux difficiles : si ce sont des archers, attirez-les dans des plaines, où l'on puisse se joindre et mener les mains : si vous voyez qu'ils marchent, soit de nuit ou de jour, sans précaution, dressez-leur quelque embuscade. S'ils commencent la guerre avec beaucoup d'ardeur et d'impétuosité, sans paraître les fuir, évitez de vous commettre; tirez la campagne en longueur, ne pensez à les combattre qu'après les avoir fatigués, et que ce premier feu sera calmé. Finalement, si vous êtes supérieur en infanterie et en cavalerie, cherchez le pays ouvert où vous puissiez envelopper l'ennemi.

Figurez-vous que les manœuvres de la guerre ressemblent à celles de la chasse : on tâche d'y prendre les bêtes fauves par le moyen des postes qu'on occupe, par des enceintes pour les envelopper, des circuits pour les couper, enfin par toutes sortes de ruses plutôt que par la force. On se conduit de même contre les ennemis en tel nombre qu'ils soient. Il ne faut pas, sans un besoin pressant, se livrer au risque d'une défaite, par un trop grand désir de vaincre. Rechercher une victoire où le danger est manifeste, est une témérité impardonnable que le succès même ne peut justifier.

Après ces réflexions, il faut vous dire ce qu'on doit faire la veille d'une bataille, si les circonstances vous obligent de la donner.

INSTITUTION XIII.

Du jour qui précède le combat.

Un ou deux jours avant le combat, les turmarques feront bénir les enseignes par les prêtres; chaque comte formera les décuries de sa bande, et complétera celles qui ne le sont point.

Vous lâcherez des espions et des découvreurs, pour être instruit exactement de la situation des ennemis, de leur nombre et de leur ordonnance ; et vous prendrez toutes les mesures convenables pour n'être point surpris.

Dans une heure de loisir, vous assemblerez les troupes par dronges et par turmes en différents lieux, pour les exhorter par vous-même ou par vos préfets. On leur rappellera les anciennes victoires et les derniers succès; la largesse du prince et les prix qu'il doit accorder à leur valeur. On les animera par ces motifs, et on leur répétera aussi les ordres qui auront été donnés précédemment.

En cas que vos patrouilles ou vos partis fassent quelques prisonniers, si ce sont des gens d'une haute taille, qui paraissent forts, et soient bien armés, on ne les montrera point aux troupes ; mais s'ils sont mal équipés et d'une figure chétive, on les laissera voir à tout le camp, en les exhortant de demander grâce aux soldats, afin qu'ils ne les tuent point; ce qui donnera aux vôtres du mépris pour les ennemis.

On ordonnera aux préfets de ne point fatiguer leurs soldats mal à propos et de veiller à ce que nul ne s'écarte. S'il y en a qui marquent de la crainte et de l'inquiétude, il faudra les rassurer ; si l'on ne peut y réussir, on les séparera en les envoyant autre part sous quelque prétexte, de peur qu'ils ne désertent et n'aillent donner des avis contre vous. Gardez-vous bien d'armer les déserteurs et de les faire combattre pour vous; rien n'est plus dangereux, comme je l'ai dit ci-devant.

Repassez dans votre esprit tous les incidents et les cas fâcheux qui peuvent arriver : prenez des mesures pour les éviter autant que vous pourrez. Il est prudent de prendre toujours conseil, mais surtout dans cette occasion où le moment d'une action décisive approche vous tiendrez auprès de vous les turmarques et les autres officiers dont vous croirez que les lumières pourront vous être utiles. Vous consulterez avec eux sur le lieu à prendre pour champ de bataille, sur les dispositions, et sur tout ce qui sera relatif au moment présent

Vous aurez soin de faire repaître l'armée selon l'heure à laquelle vous aurez résolu de combattre : si elle est incertaine, les troupes prendront leur repas le matin, afin que le soldat ait des forces pour toute la journée, Les préfets auront ordre d'envoyer la nuit qui précède le jour du combat tous les chevaux à l'abreuvoir, ce qui se fera au premier son de la buccine,

Si vous avez en tête une nation brave et belliqueuse, dont la réputation ait répandu la terreur dans votre armée, il faut éviter une bataille jusqu'à ce que vous ayez dissipé la crainte et relevé les courages. Vous y parviendrez en attaquant quelque partie des ennemis par surprise, ou avec beaucoup de supériorité. Si vous réussissez à la défaire ou à gagner des prisonniers, vos troupes se rassureront, en voyant que ceux qu'elles redoutaient ne sont pas invincibles,

Si les ennemis vous tombaient inopinément sur les bras dans des circonstances où notre usage est de ne pas chercher à combattre, comme s'il faisait un froid excessif, ou de très grandes chaleurs; ou bien si les lieux ne vous paraissaient point favorables, vous retireriez votre armée dans un bon poste, vous fortifieriez bien votre camp et attendriez des circonstances plus avantageuses pour combattre. Ceci n'est pas fuir devant l'ennemi, mais éviter prudemment l’inconvenance du temps et des lieux.

On défendra expressément que nul ne soit assez hardi de quitter son rang pour dépouiller les morts, quand même l'ennemi serait plié et mis en déroute. Il faut avant de butiner que le succès de la journée soit pleinement décidé, et s'assurer que les ennemis ne peuvent plus se rallier ; souvent des armées se sont vu arracher la victoire des mains, pour n'avoir pas observé ce point de discipline. Les vaincus ralliés sont revenus à l'improviste, et trouvant les victorieux dans la sécurité et le désordre, les ont taillés en pièces.

Soit que votre armée reste dans son camp, ou qu'elle en sorte pour en prendre un autre, vous ordonnerez, comme je l'ai dit ci-devant, de faire provision de paille, de foin et d'orge pour un ou deux jours ; car les ennemis étant sur vous, et le moment d'une action étant prochain, ce ne sera plus le temps d'aller fourrager : d'ailleurs les valets ne pourraient sortir, soit pour amasser du fourrage, ou faire paître les bestiaux, sans tomber entre les mains des ennemis.

INSTITUTION XIV.

Du jour du Combat.

Il faut penser avant tout à sanctifier votre armée par des prières qui se feront le soir, veille de l'action. C’est un moyen de s'attirer la protection du ciel. Un chacun, s'étant recommandé sincèrement à Dieu, aura aussi l'âme plus gaie et plus rassurée.

Ne vous fatiguez, le jour du combat, ni le corps ni l'esprit par des soins minutieux, qui vous feraient oublier les choses importantes; mais montrez-vous aux troupes avec un air tranquille et serein, rassurant tout le monde par vos discours.

Votre devoir n'est pas de combattre de votre personne; c'est de pourvoir à tout et de vous tenir dans un lieu commode d'où vous puissiez découvrir aisément ce qui se passe et envoyer du secours où il est nécessaire.

Si vous faites la guerre contre un peuple qui se bat avec l'arc, évitez les lieux âpres et montueux. Ne vous portez pas non plus aux pieds des montagnes, dont l'ennemi venant à gagner les sommets vous incommoderait beaucoup. Il faut ou s'en emparer vous-même, ou s'en éloigner tout à fait en vous retirant dans la plaine.

N'engagez pas le combat, et ne vous montrez même point en bataille à l'ennemi, sans avoir bien reconnu son ordonnance, et découvert toutes ses dispositions.

Si le terrain où vous devez combattre est une plaine vaste et unie, où vous ne puissiez pas lui cacher aisément votre seconde ligne en marchant, faites-la joindre à la première, de sorte que les deux n'en paraissent qu'une seule. Quand vous ne serez plus éloigné de lui que d'environ un mille, la seconde ralentira son pas pour laisser avancer la première, et reprendre la distance convenable.

Méfiez-vous des mouvements de retraite et de la fuite des ennemis, qui est souvent simulée pour attirer dans un piège. Ne les suivez pas inconsidérément, mais en ordre de bataille, même quand vous aurez le plus de confiance dans la victoire.

Si, malgré les gardes flancs et vos insidiateurs, l'ennemi ne laisse pas de vous tourner et de tomber sur votre première ligne, vous la ferez soutenir par les dernières troupes des extrémités de la seconde, soit de la droite ou de la gauche, ou de l'une et de l'autre, si les deux flancs sont attaqués. Si l'incursion se fait sur le derrière, on se servira des mêmes troupes pour renforcer les tergistites, au cas qu'ils ne suffisent point. Le reste de la seconde ligne continuera de soutenir la première.

Si l'armée ennemie est très nombreuse, évitez de conduire la vôtre par des hauteurs d'où vos soldats, découvrant cette multitude, en seraient effrayés. Menez les plutôt par des lieux bas, où ils ne puissent ni voir ni être vus, jusqu'à ce qu'on soit à la portée du son de la buccine. Alors gagnez une élévation, s'il y en a, et faites charger avant qu'ils aient pu rien connaître qui soit capable de les décourager. Si le local ne permet pas de prendre ces précautions, persuadez leur que dans ce qu'ils voient, il y a moins de combattants que de chevaux et de bagages.

Si vous pouvez joindre les ennemis avant qu'ils soient tout à fait formés, il est certain que vous leur causerez bien du dommage.

Si vous n'avez point, ou que très peu d'infanterie, vous laisserez dans le camp tous les valets qu'on armera de dards, de flèches ou de frondes. On leur fera border le retranchement, et il restera une bande pour les soutenir et garder les portes. Il faut qu'elle soit commandée par un préfet sage et intelligent.

Autant que vous pourrez vous empêcherez qu'aucun bagage ne suive, ce qui ne servirait que d'appât à l'ennemi. Si cependant vous ne le croyez pas en sûreté dans le camp que vous n'auriez pas eu le temps de fortifier, on pourra le conduire et s'en servir à couvrir le flanc droit de la seconde ligne. On l'y placera en potence, et l'on détachera pour le garder, une ou deux bandes qui seraient superflues ailleurs.

Tandis que vous mettrez l'armée en bataille, ayez une ou deux bandes en avant pour empêcher l'ennemi de venir reconnaître vos dispositions.

Lorsqu'on va combattre, s'il n'y avait dans le camp aucune provision de fourrage, les valets pourraient fourrager ce jour même sur les derrières de l'armée. On leur marquera un signal qui sera donné d'un endroit élevé pour les rappeler dans le camp, s'il arrivait qu'on reçût un échec. On trouverait, par ce moyen, de quoi repaître les chevaux et leur rendre des forces, soit pour recommencer le combat, ou se retirer entièrement, si l'on y était obligé. Sans cette précaution, les bêtes, n'ayant point mangé, tomberaient d'inanition pendant la marche.

Si vous avez eu du désavantage dans une action, il n'est ni prudent ni convenable de vous rengager le même jour à un nouveau combat. Quoique vous n'eussiez pas fait une grande perte, je ne vous le conseillerais point, sans une nécessité absolue ; parce que les troupes, découragées de ce premier échec, peuvent le regarder comme un fâcheux augure de l'avenir. Au lieu de vous piquer de prendre votre revanche à force ouverte, tâchez plutôt de surprendre l'ennemi, et de ranimer vos soldats par quelque occasion où vous soyez assuré de vaincre sans rien hasarder. Si cependant vous prenez le parti de recommencer le combat, faites passer la deuxième ligne à la tête, renforcée de quelques troupes de la première qui prendra sa place.

 Après un événement malheureux, il ne faut pas différer sa retraite, à moins que l'on n'espère un prompt secours, ou que l'on n'attende une réponse de l'ennemi à quelque proposition qu'on lui aura faite. Si ses conditions peuvent s'accepter, on s'en assurera par le serment ou par un traité. Si elles sont dures et trop humiliantes on les divulguera par toute l'armée. Elles ne manqueront pas de révolter les esprits et d'exciter l'indignation. Le courage du soldat, ranimé par le désespoir, augmentera ses forces, et le rendra plus soumis à ses chefs. Vous ferez encore exciter les troupes par les principaux officiers, qui leur représenteront la nécessité de combattre et de vaincre pour réparer l'affront qu'elles ont reçu.

Si votre infanterie est battue, vous soutiendrez la retraite avec la cavalerie qui se retirera aussi en bon ordre jusqu'au camp. Si au contraire c'est la cavalerie, on abandonnera les bagages les plus incommodes, et l'infanterie se formera en deux phalanges, ou bien en un plinthion quadrangulaire, au milieu duquel on mettra les bêtes de somme et autres équipages. En dehors on placera des archers, et se maintenant dans cet ordre pendant toute la marche, elle se fera avec sûreté.

Si Dieu vous donnait la victoire ne vous arrêtez point à cette mauvaise maxime : vince, sed ne nimis vincas. Ce serait vous préparer de nouvelles affaires et peut-être des retours fâcheux. Profitez de votre avantage et poussez l'ennemi jusqu'à sa ruine totale. S'il se retire dans quelque endroit fort, il faut l'y attaquer, ou l'y resserrer par toutes sortes de moyens. Ne vous rebutez ni des peines ni des dangers dont vous recueillerez le fruit avec de la patience. A la guerre comme à la chasse, c'est n'avoir rien fait de ne pas achever ce qui était commencé.

Sachez vous servir habilement du temps et des lieux. Vous devez connaître le pays devant vous à droite, à gauche et sur les derrières, à la distance de deux ou trois journées. Il ne faut pas moins faire examiner scrupuleusement tous les environs du champ de bataille, s'il n'y a pas de ravins, des fossés naturels ou artificiels, des fondrières ou autres lieux propres à dresser des pièges.

Ceux que vous enverrez à la pointe du jour pour découvrir à deux ou trois milles sur tous les côtés, serviront non seulement à éclairer votre marche, et à épier les desseins de l'ennemi, mais ils arrêteront aussi les déserteurs de votre armée, et favoriseront la fuite de ceux qui viendront se rendre à vous. Les découvreurs en avant du front de votre bataille s'avanceront jusqu'à un jet de flèche près des ennemis, afin d'examiner tout le terrain entre les deux armées.

Dans les temps critiques et les lieux exposés, les sentinelles ou vedettes simples ne suffisent pas: il faut les poser doubles, afin que l'une découvre ce que l'autre ne verrait pas. A l'égard des stations de nuit, on les renforcera, et on les divisera chacune en deux parties, dont l'une dormira tandis que l'autre veillera. On fait tenir les stationnaires debout pour qu'ils ne s'endorment point; mais cette situation n'est pas soutenable une nuit entière, et si on leur permet de s'asseoir, ils cèdent au sommeil qui les provoque. Il est donc plus sûr qu'ils se relèvent en veillant alternativement.

Votre armée étant en bataille, si le terrain est convenable, n'attendez pas que les ennemis viennent vous attaquer, et ne leur donnez pas le temps ni de machiner quelque ruse contre vous : marchez à eux et chargez-les avec impétuosité. Si cependant par votre position vous croyez qu'il soit plus avantageux de les recevoir, cachez-leur du moins votre seconde ligne, en la plaçant dans un terrain où elle soit couverte.

Après l'action, vous ferez donner aux blessés les secours nécessaires; les morts seront enterrés honorablement et préconisés. Cela est dû à de braves gens qui ont sacrifié leur vie pour la religion et le service de l'état. Cette attention pour les morts satisfait et encourage les vivants.

Si les défunts laissent des femmes et des enfants, il faudra leur donner des consolations et les secours qu'on pourra, autant toutefois que les pères auront été tués en combattant vaillamment.

Nous voyons que les Romains et les autres nations s'attachent encore plus à étonner les ennemis par l'air féroce et barbare de leurs figures, qu'à les éblouir par l'éclat des armes. L'un et l'autre ne sont que des fantômes qui s'évanouissent bientôt; l'heureuse issue des batailles vient de Dieu, de la valeur des troupes et de l'habileté du général. Onosander prétend que rien n'est plus propre à consterner l'ennemi, que l'aspect de l'armée en bataille et de l'éclat des armes : les plus habiles des modernes sont d'un avis contraire, et pensent qu'il vaut mieux lui cacher cet éclat jusqu'à ce qu'on en soit près. Ce serait aussi mon sentiment. Ainsi, supposé que les lieux soient unis et découverts, les soldats tiendront leurs casques; à la main, mettront leurs boucliers à dos et baisseront les fers des lances, pour que ces armes ne brillent point dans l'éloignement. Mais lorsqu'on ne sera plus qu'à la distance d'un ou deux signaux, en les faisant paraître tout à coup, l'aspect et la surprise intimideront les .ennemis, qui auront cru longtemps avoir affaire à une armée mal en ordre, et qui, frappés de ce spectacle, n'auront pas le temps de se rassurer.

Je vous ai fait connaître que les embuscades bien dressées étaient d'une grande utilité, et que par ce moyen on pouvait défaire de grandes forces avec peu de troupes. Car s'il y a des bois, des ravins, des cavités, des vallées et des hauteurs à portée de l'ennemi, les troupes que vous y cacherez fondront inopinément sur ses flancs ou à dos, et pourront le mettre en déroute, avant que le corps de bataille en soit venu aux mains.

Il y a des généraux qui, ne trouvant point de lieux propres à cacher des troupes, les ont couvertes par la seule adresse des dispositions, les mettant en oblique sur le derrière, ou en plaçant de même une partie de leur ligne, en sorte que la plus grande portion de l'armée n'était pas vue, et que la moindre formait le front de bataille.

D'autres ont présenté la plus petite partie de l'armée et mis l'autre en embuscade. La première avait ordre de se retirer par une fuite simulée, pour attirer l'ennemi sous les mains de la seconde. A un signal convenu, ceux qui paraissaient fuir faisaient volte-face, ceux qui étaient cachés débusquaient, et tous ensemble fondaient sur l'ennemi. Cela se pratique surtout contre les nations Scythes, comme les Turcs et autres semblables, qui poursuivent confusément et en désordre.

Voici une ruse dont on pourrait se servir : on ferait un fossé assez profond et large de huit ou dix pieds, recouvert de claies ou de bois léger, avec un peu de terre par, dessus ou des galons, de manière qu'il ne parût aucune différence de cet endroit aux lieux voisins. Vers le milieu on laissera de la terre ferme pour certains passages qu'on fera connaître à l'armée en temps et lieu. Deçà et delà près du fossé, on dispersera une partie des troupes dans des endroits où elles ne soient point vues. Le reste se présentera en bataille au-delà du fossé devant les débouchés. Après quelques escarmouches, l'ennemi s'approchant pour charger, on les fera retirer par ces passages qui leur seront connue. Comme les ennemis les suivront avec impétuosité; les uns se précipiteront dans le piège, les autres, qui auront passé au-delà seront chargés par les troupes cachées et par celles qui se retiraient. Ainsi, à moins qu'ils n'aient été avertis, ils ne pourront éviter leur ruine entière.

On peut, au lieu de fossé, planter des pieux, en y laissant deux ou trois passages pour retirer l'armée qui sera devant en bataille. Le combat étant entamé, elle fera semblant de fuir, pour attirer les ennemis et les faire tomber dans les pieux. En même temps des troupes embusquées les chargeront par les flancs.

La même manœuvre se fera encore en employant, au lieu de fossés ou de pieux, des chausse-trappes de fer qui se tiendront plusieurs ensemble, au moyen de cordelettes, afin qu'on puisse les retirer quand on voudra. On les répandra sur tout le front de l'armée dans un espace de cent pieds de largeur. On y ménagera quatre ou cinq passages, qui seront connus de ceux qui se présenteront en avant : pour qu'ils ne puissent se tromper, on plantera de droite et de gauche du passage, dans toute ; sa longueur ; des branches d'arbres ou des piques ; ou bien on y mettra des monceaux de pierres, des élévations de terre, ou telle autre marque qu'on imaginera. L'affaire étant commencée, les troupes avancées se retireront par ces lieux désignés, il y aura des gens chargés de détruire les marques lorsque tout sera passé. Dans le moment que les ennemis donneront dans les chausse-trappes, les embuscades sortiront par les deux côtés, et les chargeront, de sorte qu'ils ne pourront ni avancer ni reculer.

La même chose peut; s'exécuter sans chausse-trappes. On fera des fosses rondes que les anciens appelaient yppoclastes, dans lesquelles on fichera des pieux aigus. On leur donnera trois pieds de profondeur et un de diamètre. L'on mettra de l'une à l'autre trois pieds de distance de tous côtés ; l'on en creusera d'ans un terrain large de 150 pieds sur toute la longueur de l'armée. Cette disposition étant faite, la première ligne se placera un mille en avant, et la seconde en arrière à deux jets de flèches. La première s'étant retirée par des passages qu'on doit avoir réservés, la seconde y passera de même, s’il est nécessaire pour charger les ennemis.

Quand on n'a point placé la première ligne en avant, mais en arrière, elle doit être à deux jets de flèches des fossés. Alors que les ennemis y donneront ou qu'ils seront prêts de les traverser, nos gens doivent aller à eux : ils en avanceront avec plus d'ardeur et de sécurité, ce qui fera tomber leur chevaux dans les trous qui sont couverts. Lorsque toute l'armée est ainsi portée en arrière, il ne faut pas laisser des passages trop larges, de peur que les ennemis ne puissent venir en trop grand nombre, et sur un front assez étendu pour vous charger.

Ces sortes de pièges se dressent ou le jour même du combat, ou le soir de la veille, ou pendant la nuit. Il ne faut employer à ce travail que peu de gens et des plus fidèles. On confiera aussi cette disposition à des personnes choisies, particulièrement aux enseignes, afin qu'ils connaissent les lieux et sur quel front leur bande peut y passer. Toute la troupe doit être avertie de bien suivre son enseigne, de marcher serrée dans la retraite, et que personne ne s'écarte crainte de tomber dans quelque trou.

De tous les pièges dont nous venons de parler, les chausse-trappes sont les plus commodes et les plus faciles à cacher.

Si vous croyez devoir faire une attaque à l'ennemi, vous choisirez une ou deux bandes des meilleures, même d'avantage selon la force de votre armée. Vous les placerez en embuscade sur la droite et de même sur la gauche. Si les ennemis veulent les attaquer, il faudra l'es repousser, et ne pas leur donner le temps de se former. S'ils n'y opposent aucunes troupes, les vôtres iront se jeter sur les bagages qui feront dans cette partie, ou sur les derrières de l'armée, ou sur la pointe de l'aile. Ils prendront bien garde d'aller donner dans la seconde ligne ou dans quelque réserve cachée qui serait sur le derrière. C'est pourquoi ceux qui les conduisent doivent avoir l'œil au guet et joindre la prudence à la hardiesse. Il faut bien mesurer l'éloignement de vos embuscades, et le temps où elles doivent agir. Ne les mettez pas trop en avant, car les troupes qui les composent étant en petit nombre, elles courraient risque d'être enlevées. Si elles étaient trop éloignées, elles arriveraient trop tard et deviendraient inutiles.

Mais lorsque l'armée est en mouvement, soit qu'il y ait un ou deux embuscades, elle les devancera un peu ; et celles-ci, marchant par des lieux cachés, se régleront sur elle. Il faut que le corps de bataille et les embuscades puissent attaquer ensemble de concert. Poux cet effet, les uns et les autres s'observeront réciproquement dans la marche, par le moyen des spéculateurs ou de quelques signaux. Lorsqu'on approchera, les embuscades devanceront un peu le corps d'armée. Il sera bon qu'elles soient déjà aux mains, et l'ennemi un peu troublé, quand votre bataille commencera de donner.

Ainsi donc, si les lieux y sont propres, vous mettrez des embuscades des deux côtés, surtout si votre armée est forte, afin que l'une repousse celle de l'ennemi, et que l'autre l'attaque en le tournant!

S'il arrivait que la ligne fût rompue avant que les embuscades eussent pu charger, elles ne se retireront point avec elle, ni ne joindront la seconde ligne ; mais elles tâcheront de prendre l'ennemi à dos, afin de modérer sa poursuite et de donner le moyen aux fuyards de se rallier.

Mon opinion est que les corps destinés pour des embuscades, soit pour courir à dos de l'ennemi, ou sur ses flancs; de même ceux qui sont à la garde du bagage, ou bien qui sont placés pour porter un prompt secours quelque part, ou pour faire la garde, sont mieux disposés en dronge, c'est-à-dire, en masse sans files et rangs formés qu'en ordre de bataille étendu. Celui-ci est, à la vérité, plus brillant plus fort et plus sûr pour une attaque, mais sa marche est plus lente. Celle du dronge est au contraire très rapide ; il se resserre dans un petit espace, et se cache plus aisément. On peut examiner ceci dans les exercices, et s'en tenir à ce qu'on aura reconnu de plus utile.

On doit prendre aussi conseil pour cela, du nombre de ses troupes et de la situation des lieux. Si l'on en met plus en embuscade qu'on n'en fera paraître en bataille, et qu'elles soient cachées dans un seul endroit, il faut qu'elles soient alors ordonnées par rangs et files. Si les troupes de l'embuscade sont en petit nombre, et séparées en différents lieux, elles pourront se mettre en dronge, sans ordre et serrées.

Il y a, comme je l'ai dit, une différence entre ces deux méthodes qui ont chacune leur avantage. L'une a plus de : force pour l'attaque, l'autre plus de vitesse et plus de véhémence dans sa course : elle paraît convenir à de la cavalerie quand il s'agit d'une incursion rapide. Au surplus, vous lui donnerez la forme la plus convenable, selon la manière dont elle aura été exercée et son degré d'expérience.

Il y a des ignorants, pleins de présomption, qui regardent comme une peine superflue d'apprendre ces différentes manières de ranger une armée. Qu'ils sachent que les athlètes, les cochers, et les autres espèces de gens qui ne s'exercent que dans le dessein de se donner en spectacle et de recueillir un salaire de leur industrie, ne négligent rien pour apprendre toutes les finesses de leur art; qu'ils se livrent pour cet effet à un exercice pénible et assidu, et souffrent patiemment la faim, les veilles, afin de réussir dans leur projet. On peut juger de là quel soin on doit apporter à l'étude de la guerre et aux exercices des armes, d'où dépendent la conservation des troupes, l'honneur du chef et le salut général. Il serait absurde et dangereux de ne savoir qu'une seule manière de ranger une armée. Un ignorant entraîne tous les autres avec lui dans le péril ; et ce qu'il y a de fâcheux, c'est qu'il ne reconnaît son erreur que lorsque le mal est fait, et qu'il n'y a plus de remède.

Voilà ce que j'avais à dire touchant une armée composée de cavalerie. Je reviens à ce qui se doit faire pour le temps du combat, lorsqu'on a une armée mêlée de cavalerie et d'infanterie. Quoique j'aie déjà parlé de celle-ci plus en détail dans un autre lieu, j'ai cru qu'il était convenable de retracer dans ce chapitre, où l'on expose la manière de combattre réellement, les principales règles qui ont été données lorsqu'il n'était question que des exercices.

La cavalerie se met à droite et à gauche de l'infanterie, et les meilleures tagmes aux extrémités des ailes. Il en faut encore derrière, en dehors des chariots, pour repousser l'ennemi qui viendrait prendre les nôtres à dos : sinon on les placera sur la gauche, avec assez d'espace pour se rompre et caracoler quand il faudra changer de position.

On recommandera que la cavalerie ne suive pas trop impétueusement celle de l'ennemi, et ne s'éloigne pas trop de l'infanterie, crainte de donner dans quelque embuscade qui serait préparée. Si elle était repoussée elle se retirerait vers les chariots, derrière l'infanterie, pour s'y rallier. Elle ne mettra pied à terre qu'à la dernière extrémité.

Toutes vos bandes étant instituées, comme je l'ai dit (et divisées en dronges et en turmes), vous formerez votre ordonnance de bataille, et placerez les psilites en différents lieux où vous les jugerez plus utiles, derrière les portes boucliers; ou aux pointes de l'infanterie et de la cavalerie.

L'armée étant en ordre de bataille, les divisions garderont entre elles un intervalle de cent pieds, pour qu'elles ne se pressent point l'une contre l'autre en marchant ; elles se resserreront au moment du combat, pour mieux: s'entraider et avoir plus de force. Toute la ligne se réglera sur la cohorte du centre où sera le général, ou bien un officier principal à son choix. Ce milieu de l'armée était appelé par les anciens la bouche, ou le nombril, parce que toutes les autres parties lui obéissaient.

Comme il est plus aisé et plus sûr de se resserrer que de s'étendre, on ne fera les files que de quatre hommes au commencement de la marche, afin que l'armée paraisse plus nombreuse aux ennemis, et que les hoplites marchent plus ouverts. Lorsqu'il le faudra, on se doublera facilement en se mettant sur huit où sur seize. On ne sera jamais sur une plus grande hauteur, telle que soit celle des ennemis, ni sur moins de quatre, quand la leur serait au-dessous : car le nombre qui surpasse seize est inutile, et s'il était moindre de quatre, la ligne serait trop faible.

Vous ordonnerez qu'on observe un grand silence. Si les serre-files entendent quelque bruit, ils frapperont les causeurs avec les hampes de leurs piques. Les mêmes, dans l’action presseront ceux qui les précèdent pour les faire avancer.

Que nul ne marche devant le front de l'armée, excepté les turmarques a cheval, chacun d'eux accompagné de son écuyer et d'un palefrenier, de deux aides de camp et de deux sergents de bataille, comme je l'ai dit. A l'approche des ennemis, que chacun se retire à son poste.

Si vos chariots marchent avec vous, ils suivront l'armée à la distance d'un jet de flèche; chaque brigade de chariots doit répondre à la division à laquelle elle appartient. La ligne qu’ils formeront aura la même étendue que l'ordre de bataille; car si elle était plus allongée, ce surpasserait ne pourrait être tenu. Vous mettez aux deux extrémités et vers le milieu quelques pesamment armés, pour résister aux attaques qui se feraient de ce côté. On ajoutera un mantelet sur le derrière de chaque chariot  pour garantir les bœufs de trait et couvrir le cocher, qui combattra de là comme de dessus un rempart. Les chariots qui porteront les toxobalistes et les mangonneaux seront distribués sur tout cet espace. Il faut en mettre plusieurs aux extrémités, où ils seront fort utiles.

Les cochers se serviront de frondes, d'arcs ou de javelots, à quoi ils doivent être exercés. Tout le terrain entre l'armée et les chariots doit être libre, afin que, si ceux-ci étaient forcés .et que l'on fût obligé de former deux fronts, la ligne de cavalerie ou d'infanterie ne trouvât aucun obstacle devant elle ; c'est pourquoi le reste du bagage, s'il y en a, sera rangé en dedans de la ligne des chariots de guerre tout près d'eux.

Si l'ennemi paraît vouloir venir en force sur vos derrières, et que les chariots suffisent point pour l'arrêter, vous ferez semer, en dehors, des chausse-trappes, pour fortifier encore cette partie. Il faut prendre garde que vos troupes ne passent point par ces endroits, si elles font un mouvement en arrière.

Je dois encore vous faire observer que si les ennemis nous sont supérieurs en cavalerie, et que nos chariots n'aient pas suivi, vous devez éviter de vous mettre en bataille dans une grande plaine unie et découverte. Vous choisirez plutôt un terrain ardu, inégal, couverte de ronces et de bruyères, ou coupé de marécages.

Si vous pouvez surprendre les ennemis avant qu’ils soient sortis de leur camp et tout à fait en bataille, le trouble et la confusion que vous y jetterez vous donneront un grand avantage. Pour un combat d'infanterie, il ne faut pas y joindre une grande quantité de cavalerie, il suffit d’avoir trois ou quatre mille chevaux sur les ailes pour suivre l’ennemi rompu et en achever la défaite.

Si ses forces sont en cavalerie, et qu’il craigne de se commette avec notre infanterie, dans le cas où nous aurions beaucoup de cavalerie et peu d’infanterie, on formera de la première une ligne en avant ; à un ou deux milles en arrière, on rangera l’infanterie. La cavalerie ne s'en écartera pas davantage. Si elle est poussés, elle ne se retirera pas directement; sur l'infanterie, mais elle biaisera sur les côtés pour en gagner le derrière et s'y remettre en bataille.

Comme vous sortirez de votre camp pour .aller à l'ennemi, il ne faut pas vous en éloigner de plus de deux milles; afin de ne pas fatiguer votre infanterie; pesamment armée, par une trop longue marche. Si les ennemis retardent, et que vous soyez obligé de vous arrêter, faites asseoir vos soldats pour qu'ils se reposent; en les laissant debout trop longtemps, ils seraient fatigués quand il faudrait combattre. Si c'est le temps des grandes chaleurs, qu’ils ôtent leurs casques pour se rafraîchir ; ils ne doivent point faire alors usage du vin, qui leur porterait à la tête, mais on conduira de l'eau sur des chariots, qui sera distribuée à ceux qui en auront besoin quand on sera en bataille.

Il est à propos de vous tracer en abrégé la manière dont les anciens rangeaient leurs armées, tant infanterie que cavalerie, surtout lorsqu'ils n'avaient pas de grandes forces.

Le corps de l'infanterie était de 16.384 hommes, nombre composé de plusieurs autres nombres tactiques qui pouvait se diviser jusqu’à l’unité, et formait pour cette raison une ordonnance parfaite; c’est ce qui s’appelait une phalange complété;

Elle se divisait dans sa profondeur en deux parties égales : l'une se nommait la corne droite, l’autre la corne gauche. On laissait entre elles un vide qui s’appelait la bouche la phalange. Le général s'y plaçait pour voir de là tout ce qui se passait et donner ses ordres. Ce corps de bataille comprenait les hoplites, qui étaient armés du grand bouclier, de piques, d'épées, et qui portaient l'armure plus pesante que les autres.

Après les hoplites venaient les psilites, qui avaient une armure légère, afin de pouvoir courir et se porter partout facilement. On comptait parmi eux des jaculateurs, des archers et des frondeurs. Ce second corps qui était moitié moins nombreux que le premier, comprenait 8.192 hommes. Enfin l'on formait le corps de la cavalerie, dont le nombre était la moitié de celui des psilites, savoir de 4.096.

Toute l'infanterie, tant pesante que légère, se divisait en quatre parties, qu'on disposait selon l'occasion et le terrain. On plaçait les psilites sur les deux flancs des hoplites, ou bien en avant comme le général le voulait On séparait de même la cavalerie en deux parties, qui se mettaient de droite et de gauche sur les ailes, ou bien on la plaçait derrière, ou autrement, à la volonté du général car il n'est pas question de ranger une armée comme on l'imagine ; on est obligé de se conformer au terrain et aux circonstances. Soit qu'on place la cavalerie devant ou derrière l'infanterie; ou sur les côtés, elle est destinée à la soutenir; et doit avoir le champ libre pour agir.

 Les psilites seront mieux disposés devant ou sur les côtés que dans le milieu, où leurs armes deviendraient inutiles ; car étant obligés de lancer leurs javelots, ou de jeter leurs flèches, ou de tirer de la fronde par dessus ceux qui seraient devant, ils leur feraient plus de mal qu'aux ennemis ; les frondeurs n'auraient pas non plus l’espace qu’il leur faut pour tourner leurs frondes.

Si les ennemis ont plus d’armés à la légère que nous, il faut placer au premier rang les hoplites portant de grands boucliers oblongs qui couvrent toute la stature. Ceux des rangs suivants, jusqu'au dernier, mettront les boucliers sur leurs têtes, emboîtés les uns dans les autres; ils marcheront ainsi à couvert tant qu'ils seront sous la portée des traits et des flèches. Nos armés la légère, placés à droite et à gauche des hoplites, jetteront leurs traits et leurs flèches avant le choc et même après, en se portant sur les flancs de l'ennemi.

S'il se rencontre quelque endroit favorable pour eux, comme un ravin, une hauteur, la rive d'un fleuve, ils courront s’en emparer, afin de jeter de là leurs flèches avec plus de sûreté pour eux et de danger pour les ennemis.

On doit ménager des intervalles dans la ligne, afin de donner une retraite aux psilites quand ils auront épuisé leurs traits, et qu'ils puissent gagner le derrière de la ligne sans occasionner du désordre. Il ne serait pas sûr de les faire retirer, en biaisant leur marche, par les extrémités. L'ennemi arrivant sur ces entrefaites avant que le front fût dégagé, ils se trouveraient enfermés entre lui et les hoplites, et souffriraient également de l'un et de l'autre.

Quand vous croyez devoir diminuer la hauteur de votre ligne pour augmenter son étendue, il faut prendre garde de la rendre faible, et que la crainte d'être débordé ne vous fasse tomber dans un autre danger; car si vous diminuez tellement votre profondeur que votre ordonnance n'ait plus de solidité, les ennemis ne manqueront pas de vous percer et de s'ouvrir un passage dans votre centre, en sorte que vous serez pris non seulement en front, mais encore à dos par la trouée qui aura été faite. Il faut donc que le général se garde non seulement de s'exposer à devenir la victime de cette manœuvre, mais qu'il tâche de l'employer contre l'ennemi.

Il ne faut pas non plus tellement augmenter votre profondeur que vous risquiez d'être enveloppé par vos deux flancs. Si vous ne pouvez l'éviter, placez du moins sur les derrières et sur les flancs des soldats d'élite, armés comme ceux du premier rang, pour qu'ils puissent résister à l'ennemi.

Il est de la prudence du général de chercher, autant qu'il pourra, un terrain où son armée en bataille ne courre pas risque d'être tournée, comme je l'ai dit ci-devant. La sagacité de l'esprit lui servira beaucoup à trouver tout ce qui peut lui être utile et favorable à la guerre. Elle est un vrai don de Dieu qui, selon moi, inspire ceux qu'il juge dignes de ses faveurs.

Certain général, croyant que les ennemis commençaient à prendre de l'avantage, imagina de répandre le bruit que le général était tué. Il arriva que ceux qui n'étaient pas à portée de le voir perdirent courage, tandis que les siens se ranimèrent et reprirent des forces, croyant aussi la nouvelle véritable. Ainsi, un trait d'adresse inventé à propos suffit pour donner la victoire.

Si le seul bruit de la mort du chef est capable de décourager entièrement les troupes et de les faire fuir, que ne serait-ce pas si la chose était réelle? Un général ne doit donc pas se jeter dans le péril sans une nécessité absolue. Au lieu de combattre lui-même, il sera bien plus utile en veillant à tout. Il animera, comme je l'ai dit, ses troupes par l'espoir des récompenses, en les assurant qu'elles ont Dieu favorable et qu'on en a vu des signes certains. Il y a encore diverses autres choses qu'il doit dire et faire, soit devant, après, ou pendant l'action, qu'on trouvera dans le recueil des maximes, qui est à la fin de ce livre.

INSTITUTION XV.

Qui est la seizième dans l'original.

De ce qu'on doit faire après l'action.

Si vous disposez bien votre armée, il y a lieu d'espérer qu'avec l'aide de Dieu vous remporterez la victoire. La première chose que vous devez faire est donc d'en rendre grâces, étant indispensable de vous acquitter envers le Tout-Puissant de ce que vous lui aurez promis.

Ensuite vous prendrez connaissance de ceux qui se seront comportés vaillamment, pour les récompenser. Vous donnerez aux officiers des armures entières des plus belles, et ce qui se trouvera de meilleur dans les dépouilles, en le distribuant convenablement à chaque grade.

Vous gratifierez le commun des soldats de moindres présents. En honorant ainsi la valeur, vous encouragerez tout le monde à bien faire. Mais il faut aussi punir sévèrement les lâches, afin que si les bons soldats sont animés par la certitude de la récompense, les mauvais soient retenus par la crainte du châtiment,

Il ne suffira pas de gratifier les particuliers; il faut aussi récompenser les corps entiers qui se seront distingués, soit bandes, dronges ou turmes, en leur faisant une meilleure part du butin ou des captifs. Ceci s'observera après la prise d'une ville ou d'un château, comme après une bataille gagnée.

Il est juste que les braves soldats jouissent des dépouilles de l'ennemi pour prix, des dangers qu'ils ont courus. Comme les chasseurs donnent la curée à leurs chiens en leur livrant le sang et les entrailles des bêtes prises, afin de les rendre plus ardents à la poursuite des autres, de même, si après les premières actions on récompense les bons soldats, cela donne à toute l'armée plus d'émulation et de courage pour le reste de la guerre.

Cependant si vous aviez besoin d'argent pour subvenir à des dépenses indispensables, vous n'accorderiez pour récompenses que des honneurs et des marques de distinction. Vous feriez vendre le butin, dont le produit serait employé pour l'utilité publique; et vous ne souffririez pas que personne en détournât rien à son profit.

Il n'est pas toujours à propos de faire des courses, après le combat pour piller et dévaster le pays ennemi : ce sont les circonstances qui doivent décider de cette démarche.

Il n'est pas moins imprudent que cruel de tuer les prisonniers tant que la guerre n'est pas tout à fait terminée, surtout ceux de distinction. Il faut penser que le sort des armes est journalier, et que la fortune peut devenir contraire. S'il vous arrive quelque échec, ou que l'on nous prenne une place, vous aurez dans vos prisonniers un moyen de dégager par échange ceux qu'on aura faits sur vous. Si les ennemis ne veulent pas y consentir, vous userez sur eux de représailles, en les traitant comme ils traiteront les vôtres.

Après une action heureuse, vous inviterez chez vous les principaux officiers, et vous ferez distribuer à chaque chambrée de quoi régaler les soldats. Cela répandra la joie dans l'armée, et les troupes, voyant qu'elles jouissent des fruits de la victoire, auront plus de constance à supporter les travaux de la guerre.

Rien ne peut vous dispenser de faire enterrer les morts honorablement; c'est un devoir pieux qui doit se remplir, et qui apporte aux vivants une sorte de consolation; comme ils sont menacés du même sort à chaque moment ils seraient affligés et humiliés s'ils pensaient que leurs corps demeurassent sans sépulture ; ils n'iraient qu'à regret au combat, et, loin de braver la mort, ils la fuiraient autant qu'ils pourraient.

S'il arrivait que vous fussiez battu, vous ranimeriez les troupes par vos discours, en leur faisant entendre que rien n'est désespéré. Vous tâcheriez de réparer ce malheur, soit par des marches secrètes pour tomber subitement sur les ennemis, ou leur dressant quelque embuscade. Il arrive assez souvent qu'on se néglige dans l'ivresse de la victoire. Cela donne aux vaincus des occasions de se relever et de faire payer cher au victorieux sa sécurité.

Celui qui a essuyé des revers apprend par sa propre expérience à se rendre circonspect et prudent; mais ceux qui ont toujours eu la fortune propice, croient qu'elle ne peut jamais leur manquer, et dédaignent les précautions. Rien de plus vrai que ce mot d'un ancien : « La méfiance produit la sûreté. » Une conduite aveugle conduit au précipice.

Si vous convenez d'une suspension d'armes, verbale ou par écrit, vous garderez fidèlement votre parole, et ne ferez aucune entreprise. Toutefois, vous serez toujours sur vos gardes, et tiendrez les troupes préparées à repousser l'ennemi, s'il violait la trêve et voulait en profiter pour vous surprendre. Dieu tient sa main prête pour punir les perfides, mais nul ne sait le temps de sa vengeance. Il ne faut donc pas vous reposer entièrement sur lui pendant que vous avez en main des moyens de vous garantir. Si vous les employez, Dieu vous aidera et ne permettra pas que vous soyez la victime des impies.

Si quelqu'un demande à vous parler, libre ou esclave, de jour ou de nuit, soit que vous dormiez, que vous soyez au bain, à table, ou dans tout autre temps, ne le rebutez point. Ceux qui se rendent inaccessibles et qui ordonnent à leurs gens de renvoyer les personnes qui se présentent, font une faute essentielle dans la conduite des grandes et périlleuses affaires.

INSTITUTION XVI.

Qui est la quinzième dans l'original.

Des Sièges.

Il faut à présent vous exposer ce que j'ai recueilli de meilleur des anciens et des modernes sur l'art des sièges, soit pour l'attaque ou la défense, afin que vous puissiez profiter de leurs lumières. Ces connaissances vous prépareront sur plusieurs choses qui ne sont point insérées ici, mais que le temps et l'occasion vous l’apprendront.

L'opération d'un siège demande du courage, de l'activité, beaucoup d'étude de la guerre, de précautions dans les préparatifs des machines, de prudence dans la manière de se disposer, soit pour l'attaque d'une ville, d'un château ou d'un camp fortifiée

Lorsque vous assiégerez quelqu'un de ces endroits, vous devrez vous fortifier par un fossé profond, ou par un retranchement de pierre ou de bois; le mieux que vous imaginerez pour vous mettre en sûreté. Vous poserez des gardes; partout où il faudra, surtout dans les lieux suspects. Il faut vous garder avec soin de jour; et de nuit contre les entreprises des assiégés et des ennemis du dehors. Les assiégeants ne voient rien de ce qui se trame contre eux dans la ville ; les assiégés; au contraire, aperçoivent du haut de leurs murs tout ce qui se passe chez les assiégeants.

Ne manquez pas de poser des troupes vis-à-vis des portes et des poternes, qui soient en état de repousser les sorties des ennemis. Elles doivent être postées surtout la nuit, qui est le temps des sorties.

Comme dans l'obscurité on ne distingue les objets que confusément, le moindre appareil paraît considérable, et la terreur qu'il imprime aux assiégés les fait rentrer promptement dans la place. C'est pourquoi si vous faisiez en sorte que quelques hommes montassent sur la muraille, ceux du dedans croiraient que ce serait toute l’armée, et abandonneraient les défenses.

Dans toutes les entreprises, le général doit montrer beaucoup de présence d'esprit, de vigueur et de gaîté ; il doit mettre lui-même la main à l'œuvre dans les travaux pénibles du siège. Les soldats, qui le verront partager leur fatigue comme s'il était leur camarade, seront encouragés, et honteux de ne pas s'y livrer avec ardeur.

Celui qui forme un siège doit Observer d’abord s’il ne pourra pas couper l'entrée des vivres aux ennemis et leur ôter l'usage de l'eau ou d'autres choses nécessaires. S'ils sont pourvus de tout abondamment, alors il peut employer ses machines. Mais avant de rien commencer, il faut s’assurer des vivres, afin que l'armée ne se trouve pas dans le besoin.

Un moyen d'étonner les ennemis est de montrer vos meilleurs hommes et les mieux armés, en les faisant passer sur quelque endroit d'où ils puissent être vus. Vous tiendrez les plus mal en point; avec les valets et le bagage dans l'éloignement, de sorte qu'on ne puisse de la place distinguer ce qu'ils sont. Il faut de quelque manière tâcher de faire paraître des casques et des cuirasses à ceux qui n'en ont point.

Avant de commencer l'attaque, vous sonderez ceux de la place par quelques propositions favorables et les plus propres à les tenter, comme de les laisser sortir avec leurs chevaux, armes et bagages. Il ne serait pas prudent de leur en faire alors de trop dures. Elles les révolteraient et les animeraient à la défense.

Vous ferez un choix des hommes propres à différents travaux, et vous assignerez à chacun : l'ouvrage auquel il sera destiné. Pour ne pas fatiguer votre armée par un service continuel, vous la diviserez en plusieurs parties, qui seront employées chacune à son tour. Vous en fixerez le temps, soit pour le jour ou la nuit, de sorte que la fatigue soit égale, et que chacun prenne sa part du repos.

Comme dans les attaques d'un siège il se fait un grand mouvement et un grand bruit d'hommes et d'armes, pour que le gros de votre armée n'en soit point incommodé, vous la camperez à un mille; environ de la ville.

 Il faut non seulement fatiguer les ennemis du jour, en les obligeant de faire une garde assidue, mais ausai de nuit par des gens postés qui leur donneront des alarmes fréquentes. Lorsqu’ils seront excédés, vous en aurez meilleur marché, et plus de facilité, soit pour avancer vos travaux, ou les emporter de vive forces ou pour les surprendre par quelque endroit s'ils se négligent un peu ou enfin pour les engager à se rendre volontairement

Vous pourrez aussi employer des traîtres, qui vous introduiront par quelque moyen dans la place. Quoique vos attentions doivent être continuelles, il ne faut pas néanmoins vous priver du repos nécessaire; mais il doit être court, pour que vous ayez le temps de veiller à tout.

Si votre armée est assez forte pour être divisée en plusieurs parties, vous pourrez leur faire prendre des échelles, et tandis que vous ferez tenter l'escalade par un côté, vous emploierez de l'autre les béliers, les tortues, les tours et autres machines. Cela jettera nécessairement la terreur et le trouble parmi les assiégés, qui se verront assaillis partout. Ils ne pourront se défendre également de l'un et de l'autre côté, et s'ils portent leurs forces dans une partie, on trouvera dans l'autre peu de résistance.

Souvent un endroit qui paraît le moins accessible offre des moyens d'emporter la place ; car les assiégés, se fiant à la force du lieu, négligent de le garder, et l'on peut alors y monter par des échelles, ou bien y faire grimper des soldats déterminés, qu'on encourage par des promesses. Lorsqu'ils sont arrivés, ils doivent sonner de la trompette, et se montrer aux ennemis qui ne manquent pas d'en être étonnés et de demander quartier ; ou bien, lorsqu'ils sont entrés, ils descendent dans la place, et ouvrent les portes à ceux du dehors.

Si la place est munie d'une garnison nombreuse qui ait la résolution d'aller au-devant de ceux qui seront entrés, ils doivent occuper les lieux les plus élevés, et, s'ils peuvent, la citadelle, afin de repousser de là ceux qui les attaquent. Il faut publier qu'on fera quartier à ceux qui poseront les armes, et cela dans leur langue, mais qu'il n'y en aura point pour les autres. Cela pourra en intimider une partie, et le reste sera plus facile à vaincre.

S'il vous tombe entre les mains des gens de la ville, vous garderez ceux qui sont: jeunes et vigoureux; vous renverrez les femmes, les enfants et les vieillards, qui ne peuvent servir qu'à y consommer les vivres et à diminuer le courage des assiégés.

Ne permettez pas qu'on aille inconsidérément braver les ennemis, et s'exposer mal à propos. Si quelqu'un des vôtres vient à être tué en pareil cas, cela est pris dans l'armée pour un mauvais augure et encourage les ennemis.

Si vous faites le siège de quelque petite forteresse dont l'attaque soit trop périlleuse, et que vous sachiez que les vivres ne manqueront pas, vous prendrez le parti de harceler la garnison par des alarmes continuelles. Le petit nombre des assiégés étant forcé d'être toujours sur pied, doit à la fin succomber.

Si les maisons de la ville sont de nature à prendre feu aisément, vous y jetterez beaucoup de dards enflammés, surtout par un grand vent. Vous ferez jeter aussi avec les mangonneaux, dits alakatia, des paquets de goudron liés à une flèche, ou bien des pierres pleines de matière brûlante. Pendant que les assiégés s'occuperont à éteindre le feu, vous approcherez des échelles pour les escalader.

On se sert dans les sièges de diverses machines qui ont été inventées par les anciens ou par des capitaines d'un temps peu éloigné du nôtre. On les emploie selon le temps, le lieu, l'occasion et les moyens qu'on a de les construire.

On a les béliers, avec lesquels on rompt les murs; les tours de bois couvertes de peaux ou d'autres matières qui les garantisse du feu. On les approche des murs sur des roues, et l'on y met des hommes qui de là combattent contre ceux qui sont aux défenses.

On approche des tortues du mur, à l'abri desquelles on en sape le pied. On se sert d'échelles simples, que l'on appuie à la muraille, ou de celles qui sont montées sur une charpente et conduites sur des roues.

On ouvre en dehors une galerie souterraine qu'on pousse jusqu'aux fondements du mur ; on le perce et l'on se fait une entrée dans la place, pourvu qu'elle soit située dans un lieu uni.

Enfin, pour abréger, il y a plusieurs autres machines qu'on trouve décrites dans les histoires, et surtout dans les livres qui traitent de la guerre, où l'on explique la manière de les approcher, de les garantir et de les disposer à l'attaque. Vous emploierez d'habiles ingénieurs pour les préparer, et même en inventer d'autres dont vous croirez tirer un bon service.

Recevez favorablement tous les traîtres, soit de la ville ou du pays ennemi, qui s'offrent à vous servir. Tenez leur vos promesses s'ils vous disent la vérité, non seulement à cause d'eux, mais afin de vous en attirer d'autres. L'utilité qu'on retire d'un bon espion est beaucoup au-dessus de ce qu'on lui donne. Vous ne devez rien négliger pour la conservation de votre armée et pour vaincre les ennemis. C'est une simplicité de ne vouloir pas acheter les services d'un traître. Tout moyen qui convient au temps est bon à employer. Celui qui est disposé à trahir les siens est un méchant homme qui vous devient utile.

Lorsque avec .l'aide de Dieu, vous serez devenu maître de la ville, du fort ou du château, traitez les habitants avec douceur, ne les menacez d'aucun châtiment, n'y commettez point de cruautés, et n'en exigez pas de fortes contributions. C'est le moyen de gagner l'affection des peuples, et d'engager les autres villes à se soumettre. Nicéphore, notre général, tint cette conduite lorsqu'il fut envoyé contre les Lombards pour les réduire sous notre domination: il réussit non seulement par son habileté dans les opérations, mais aussi par son équité, son adresse à manier les esprits, et la douceur avec laquelle il les traita, en les exemptant d'impôts et de toute servitude.

Nous ne cherchons pas à soumettre nos ennemis pour nous enrichir de leurs dépouilles. Nous n'avons en vue que la gloire de notre règne et le bonheur des vaincus. C'est pourquoi vous ne manquerez pas de leur faire l'éloge de notre clémence et de la douceur de notre gouvernement, afin qu'ils reçoivent nos ordres avec soumission et docilité. Souvenez-vous qu'un traitement dur et inhumain peut jeter dans le désespoir, et porter ceux qui ne sont pas encore soumis à tout risquer pour leur défense.

Il faut vous appliquer à connaître les différentes heures de nuit, comme celles du jour, par le mouvement de la lune et des étoiles, afin de régler là-dessus vos marches et vos attaques, soit; que vous en eussiez fixé vous-même le moment; ou que vous en fussiez convenu avec quelque traître ; car d'arriver plus tôt ou plus tard, cela suffit pour faire manquer une entreprise.

Quand vous voulez exécuter quelque projet, et pour cet effet cacher votre marche, il faut envoyer sur tous les chemins qui mènent à l'ennemi des cavaliers fidèles, avec ordre d'arrêter les gens allant de son côté, pour qu'ils ne lui découvrent pas vos mouvements. Quand vous parvenez à le surprendre, bien que vos forces, soient très inférieures aux siennes, vous ne laissez pas de le jeter dans le trouble et la confusion : à plus forte raison réussirez-vous, si vous êtes égal ou supérieur.

Il ne faut pas que les succès vous inspirent de l'orgueil et de la dureté. Cela vous rendrait aussi insupportable à votre armée qu'aux nouveaux sujets, et vous attirerait une haine générale. Vous ne pouvez mieux faire que de vous concilier tous les cœurs par des manières gracieuses et accueillantes ; un chacun vous obéira sans murmure, et s'empressera de concourir à votre gloire. Que vos actions soient dignes de louanges et d'admiration, mais n'excitez pas l'envie par votre arrogance.

Si les ennemis forment le dessein d'assiéger une de nos places, et que vous n'ayez pu réussir à le traverser, vous ferez préparer tous les moyens possibles pour bien soutenir le siège.

On se fournira de tous les vivres qu'on pourra ramasser; on se défera des bouches inutiles, comme les vieillards, les infirmes, les femmes et les enfants, afin d'avoir de quoi nourrir ceux qui sont propres à la défense. On préparera les machines, et aussi tout ce qu'il faut pour se garantir des pierres que les assiégeants jettent avec leurs mangonneaux. On se sert, pour cet effet, de cilices, ou toiles de crin, qu’on suspend au-dessus des créneaux, et qui pendent en dehors du mur; de grosses voiles, ou de tissus de cordes de joncs (rien ne résistant mieux aux traits et aux pierres), de claies, ou autres mantelets de bois.

Pour rompre l’effort du bélier; on abaisse devant le: mur des ballots de laine, ou des sacs pleins de paille, de sable, ou de copeaux de bois; contre les tortues, on emploie des harpons, qui sont de grandes pièces de bois armées de becs de fer et de crochets, pour les briser ou les détourner; ou pour enlever le dessus; de sorte que ceux qui sont dedans restent à découvert. Alors on y jette de la poix fondue et des matières enflammées pour les brûler. On se sert encore de grosses pierres taillées en pointes qu'on laisse tomber sur la tortue pour l'écraser ou l’ouvrir. Comme elles sont attachées à des cordes ou à des chaînes qui tiennent à une grue; on les relève au moyen d'un contrepoids ou d'une tour.

Vous ferez lancer contre les tours des feus et des pierres par des machines. Si cela ne suffit pas; les assiégés élèveront de leur côté d?autres tours, soit de charpente ou de maçonnerie. On imaginera enfin tout ce qu’on croira de meilleur pour opposer aux travaux et aux machines des assiégeants.

Les tours doivent être découvertes, afin que les soldats qui seront dessus aient la liberté d’agir; et qu’on y puisse aussi monter et manœuvrer les mangonneaux

Il faudra pratiquer, sur le côté droit des tours, de petites  portes par lesquelles on fera sortir des; fantassins, qui, étant bien couverts de leurs boucliers et protégés par les traits qu'on jettera des défenses, iront s'emparer des machines des ennemis ou les briser.

Ces poternes doivent être bien gardées, et ne s'ouvrir qu’au moment où l’on veut sortir.

On suspendra aux créneaux, avec des cordes, de grosses poutres, des tronçons d'arbres et des meules, pour les laisser tomber sur les ennemis et briser leurs échelles. Cela doit: se faire sur tout le pourtour du mur; en sorte que chaque créneau soit garni s’il est possible.

On posera des gardes dans toutes les parties, et l'on aura un corps d’élite toujours prêt à se porter partout où il sera nécessaire, afin que les troupes qui seront de garde au mur ne soient pas obligées de courir d’un endroit à l’autre. Il arriverait sans cela qu'on dégarnirait quelque partie, ce qui serait très dangereux.

S’il y a quelque dissension dans la place; il faut tâcher de la pacifier et: de satisfaire les mécontents. Ensuite on les joindra aux autres qui; sont destinés pour la garde du mur. Par ce moyen; ils seront observés et ne pourront pas facilement tramer quelque mauvais dessein. D’ailleurs la confiance qu'on leur marquera pourra les piquer d’honneur et les engager à bien servir. Si l’on ne croit pas absolument devoir se fier à eux, on les fera sortir, de peur qu’ils n'excitent quelques sédition, où ne forment quelque complot avec l’ennemi.

Les portes seront confiées à des gens fidèles, qui ne laisseront sortir personne pour combattre sans un ordre du commandant. Chacun restera sur le rempart, et nul ne sortira sans de fortes raisons, comme serait celle d’empêcher l’approche de quelque machine ou pour quelque autre nécessité. Le salut de la ville dépend de la conservation des hommes. On ne doit pas leur permettre de s’exposer inutilement.

S'il y a un avant-mur, il sera prudent d'y poser de bonnes gardes et vigilantes, surtout la nuit qui est le temps favorable à ceux qui veulent déserter ou favoriser quelque surprise;

Il ne faut pas souffrir qu'on tire des flèches ni d'autres traits, ni des pierres hors de saison. Les ennemis vous regarderaient comme des gens ineptes et vous mépriseraient.

Si vous n'avez que de l'eau de puits ou de citerne, sujette à diminuer, il faut en faire une distribution réglée, et ne pas souffrir que chacun en prenne à son gré. On doit avoir la même attention pour toutes les autres consommations. On posera une garde au magasin des vivres, pour éviter qu'il ne s'en fasse aucun dégât. Toutes les factions; doivent se faire avec exactitude, et l'on aura soin, surtout la nuit, de changer souvent les sentinelles.

Le gouverneur animera par ses discours les troupes à la défense, et les exhortera à soutenir patiemment leurs fatigues. Il publiera qu'il doit être bientôt secouru par une puissante armée; et répandra tous les bruits qu'il jugera propres à étonner les ennemis. Il fera sur eux de fréquentes sorties, et les fatiguera par des attaques imprévues.

Je ne veux pas omettre un moyen que j'ai recherché et qui n'est plus d'usage à présent; c'est de construire secrètement et promptement une forteresse sur les confins du pays ennemi. Il faut trouver d'abord un terrain solide qui fournisse de l'eau et du bois, du moins pour un certain temps, s'il arrivait que l'on y fût attaqué. On emploiera d'habiles ingénieurs pour en diriger la construction ; on y fera des portes, des tours et un parapet avec des créneaux. On y mettra une garnison suffisante d'infanterie, commandée par des chefs courageux et prudents ; on la fournira de vivres pour trois ou quatre mois, ou pour tout l'été s'il est nécessaire. Après y avoir retiré les provisions dont on aura besoin, on fera le dégât dans les environs, et l'on brûlera tous les fourrages. S'il se trouve à portée des pierres ou des briques en assez grande quantité, on formera l'enceinte en pierres sèches soutenues et liées par des bois de bout et de travers. S’il n'y a que du bois à y employer, on ne construira qu'un fort d'une grandeur médiocre.

Pour bâtir votre fort en sûreté, vous répandrez le bruit que vous voulez faire une course dans un autre endroit et vous y établir. Vous ferez même partir pour cet effet une partie de vos troupes, afin de mieux persuader les ennemis. Comme ils se porteront de ce côté, alors vous irez occuper le terrain où vous voulez vous placer. Vous établirez vos gardes avancées, ensuite vous distribuerez votre infanterie sur le contour qui aura été tracé, où l'on fera un fossé profond autant que le sol le permettra.

Lorsque vous serez fermé comme je le viens de dire, si les ennemis viennent pour vous attaquer, et que vous ne soyez pas en état de leur résister, vous tiendrez dans le fort une garnison convenable, et pour n'être pas obligé de combattre, vous vous éloignerez sans vous mettre cependant hors de portée de soutenir ceux qui resteront dans le fort. Vous conviendrez avec eux d'un signal pour le jour et d'un pour la nuit qui puissent vous faire connaître leur situation.

Ce sera un grand avantage de se maintenir dans cette position avec de l'infanterie. Si les ennemis attaquent le fort sérieusement, il ne faut pas tarder de le secourir. Au cas qu'ils ne le pressent point, on perfectionnera les retranchements, pour se mettre plus en état de défense.

Ces sortes d'expéditions se font ordinairement contre les nations puissantes en cavalerie, qui ne peuvent tenir la campagne que difficilement dans les mois de juillet, août et septembre. Les herbes étant alors sèches et brûlées, l'ennemi ne saurait demeurer longtemps dans le même lieu.

S'il n'y avait point d'eau courante dans le poste où l'on s'établit, et que l'on n'en pût trouver en creusant des puits, on ferait provision de futailles et de grandes outres de peaux de bœufs; On les remplira d'eau, et l'on jettera dans le fond des petits cailloux de rivière, afin qu'elle ne se corrompe point en séjournant longtemps; on préparera des réceptacles où on la fera filtrer peu à peu. Lorsqu'ils seront pleins, on la reportera dans des futailles. Par ce moyen, l'on aura le temps de faire des citernes pour recevoir l'eau de pluie et de les remplir.

On garnira le fond et les côtés de la citerne d'un revêtement de madriers cloués sur des poutrelles; il sera bien calfeutré avec de la résine et des étoupes pour en boucher les jointures, de sorte que l'eau s'y contienne sans passer à travers. Soit qu'on en fasse une seule ou plusieurs qui seront sur un rang, on ne leur donnera pas moins de dix pieds de diamètre, sur dix-huit de profondeur, l'eau se gardant plus longtemps pure dans les grandes que dans les petites.

En voilà assez sur ces objets; qu'on fasse attention à ce que j'ai dit, et que cela serve; de règle pour le pratiquer dans l'occasion.

INSTITUTION XVII.

Des invasions subites.

Je vais à présent vous exposer, le plus brièvement qu'il se pourra, comment vous devez vous comporter pour faire une invasion subite dans le pays ennemi, ou pour vous opposer à celle qu'il voudra faire dans le vôtre, lorsque la paix n'est pas tout à fait affermie.

Tous les anciens capitaines et les plus habiles des modernes ont eu pour maxime de saisir les circonstances favorables, et de prévenir les ennemis, en les attaquant avant qu'ils aient pu former leurs préparatifs. On retire de cette conduite un très grand avantage, si l'on est à force égale; mais surtout si l'on est inférieur à l'ennemi.

Il vaut bien mieux employer la ruse que la force, comme je l'ai déjà dit, afin de ne rien hasarder, et de ne pas se jeter dans des périls inévitables. On se servira des moyens qu'on trouvera les plus convenables au temps, aux lieux, aux personnes, aux circonstances des affaires.

Vous recevrez donc les envoyés des ennemis avec douceur et honorablement. Vous les congédierez avec honnêteté ; mais vous les suivrez immédiatement sans retarder l'exécution de votre dessein.

Vous examinerez la disposition des ennemis, et comme ils sont placés; si vous trouvez l'occasion favorable, vous marcherez à eux pendant une nuit avec beaucoup d'archers, et les surprendrez une heure ou deux avant le jour.

S'ils sont dispersés, et que vous arriviez lorsqu'ils seront encore sur les chemins, vous êtes sûr de les défaire entièrement.

Quand il faut passer, pour entrer chez l'ennemi, une rivière qui n'est pas guéable, on fait des ponts avec de longues et grosses poutres, comme on en voit plusieurs; ou bien on se sert de petits bateaux, appelés monoxyles. On construit aux deux extrémités du pont des tours de bois ou de pierres, ou bien un retranchement de terre avec un fossé, afin que dans l'occasion on puisse passer en sûreté pour combattre l'ennemi, et se retirer de même en repliant le pont. Dans une guerre ouverte, ces ponts se font de la même manière, et l'on pose son camp tout auprès du fleuve, afin d'être maître de la rive, et de passer sans danger pour marcher à l'ennemi. La retraite dans le camp doit aussi être assurée et se faire librement.

Nous tenons des anciens généraux certaines manières de surprise de nuit que je vais rapporter. Lorsqu'on n'est éloigné des ennemis que d'une petite journée, on peut leur envoyer une ou deux députations qui les amusent par des propositions de paix; cela leur inspire une confiance dont on profite en les attaquant la nuit suivante. D'autres fois on paraît se retirer du lieu où l'on est, et quelquefois l'on revient tout à coup sur eux ; l'on se cache dans quelque endroit avec le gros de ses troupes, puis on les surprend et on les charge avant qu'ils se soient reconnus : souvent on a exposé des troupeaux de bêtes comme un appât pour attirer l'ennemi; et tandis qu'il était occupé à les emmener, étant fort en désordre, des troupes embusquées fondaient tout à coup sur lui.

On peut encore s'approcher des ennemis, comme si l'on était dans la résolution de donner bataille. Si dans cette position l'on paraît craindre de se commettre, cela les rend présomptueux et négligents; ce qui fournit un beau moyen de les surprendre, en les attaquant pendant la nuit. C'est ce que fit, sous le règne d'Héraclius, le chef des Abares, auprès d'Héraclée ville de Thrace. La cavalerie romaine, n'ayant pas voulu camper avec l'infanterie dans le retranchement, où elle eût été en sûreté, fut surprise et battue par son imprudence.

On peut aussi faire déserter quelques soldats de confiance, qui annoncent à l'ennemi qu'il y a dans l'armée une grande terreur. On paraît en même temps avoir dessein de se retirer, et l'on se poste à quelque distance d'où l'on puisse revenir sur lui dans une marche.

Vous emploierez dans ces expéditions de la cavalerie et de l'infanterie, surtout des archers et des jaculateurs. Vous attaquerez de préférence ceux qui ne combattent ni avec l'arc ni avec le javelot. Il faut éviter les autres, à moins que leurs campements ne soient séparés et mal gardés.

Vous choisirez, pour ces entreprises, des nuits sereines où brillent les étoiles, ou bien celles où vous savez qu'il y aura clair de lune pendant toute votre marche, afin d'éviter la confusion que l'obscurité pourrait occasionner.

Vous combinerez votre marche, de sorte que l'armée ne soit point fatiguée, et que deux heures avant le jour elle se trouve à la distance d'un ou deux signaux des ennemis. Alors on se reposera, et vous achèverez de faire vos dispositions pour attaquer avant l'aurore.

Il est important d'avoir de bons guides qui connaissent bien les chemins, pour que l’armée ne s'égare point. On gardera un profond silence, et on marchera à la sourdine. On se servira du commandement à la voix, pour arrêter ou faire avancer les troupes, ou bien de quelque signal, comme d'un sifflet, ou en frappant sur un bouclier : tout autre bruit ferait connaître votre arrivée à l'ennemi. Il ne faut pas non plus que le front de votre ordre de marche soit trop étendu ; mais vous marcherez en colonne par division à la suite les unes des autres, observant de garder toujours la profondeur de l'ordonnance.

Lorsque vous serez à portée de l'ennemi, vous rangerez votre armée selon la situation du lieu, et vous attaquerez en deux ou trois parties. Il ne faut pas, dans cette occasion, chercher à l'envelopper en attaquant les quatre côtés de son camp; parce qu'étant renfermé et poussé partout, il se rassemblerait en un gros qui vous donnerait beaucoup d'affaires. Il faut laisser un passage ouvert, et la retraite libre à ceux qui voudront s'enfuir.

Si vous avez une grande armée, vous ne ferez sonner qu'une ou deux buccines au moment de la charge, pour qu'ils vous croient peu de monde. Si au contraire vous êtes en petit nombre, vous ferez sonner toutes celles que vous aurez, afin de leur paraître plus nombreux que vous n'êtes en effet. Vous ne manquerez pas de vous garder un bon corps de réserve, pour donner dans l'occasion, et soutenir ceux qui sont en avant.

Si les ennemis n'ont que de l'infanterie, et que vous les attaquiez avec de la cavalerie, il est certain que vous les déferez, ou que vous vous retirerez sans une grande perte, parce qu'ils ne pourront pas vous suivre. Mais si c'est de la cavalerie, il faudra prendre de bonnes mesures pour votre retraite, en cas que vous ne réussissiez point. Si vous n'avez aussi que de la cavalerie, vous ferez votre disposition comme en pleine bataille, afin que si celle de l'ennemi vous attendait en bon ordre, vous n'alliez pas imprudemment engager le combat sans être formé.

Si vous voulez enlever des équipages, soit de jour ou de nuit, ou des troupes qui sont en marche, vous détacherez pour cet effet quelques escadrons. Le gros de votre armée restera près de vous. Quand il se présentera des entreprises plus considérables, vous les exécuterez vous-même, ou bien vous en chargerez alternativement un de vos turmarques. Tout ce que vous entreprendrez se fera toujours avec peu de risque de votre part, si vous savez choisir une occasion favorable ; comme quand les ennemis ont moins de force que nous, ou lorsqu'ils ne sont pas préparés à vous recevoir.

Avant de faire une irruption chez l'ennemi, il faut penser à vous pourvoir de vivres, et à en assurer le transport, de peur qu'en voulant ravager son pays, vous ne vous trouviez vous-même dans la disette. C'est pourquoi vous ménagerez ce que vous laisserez en arrière, et n'y ferez de dégât qu'en vous retirant si vous y êtes forcé.

Avant de s'engager dans le pays ennemi, il faut l'avoir bien reconnu ainsi que tous les chemins. On tâchera surtout de faire quelques prisonniers de qui l'on apprenne le nombre des ennemis et leurs desseins. Vous les interrogerez vous-même, parce qu'on en tire quelquefois des lumières qu'il est bon de ne pas rendre publiques. Il ne faut pas croire aisément tout ce qu'ils disent, vu qu'ils mentent ou exagèrent souvent, ainsi que les transfuges. Avant d'ajouter foi à leurs rapports, il faut qu'ils soient confirmés par plus d'une personne. On doit aussi donner un peu plus de créance à ceux qui sont pris qu'aux déserteurs.

Si quelque transfuge se présente, et demande à vous parler pour vous révéler des choses importantes, vous l'écouterez en particulier, et lui promettrez une récompense s'il dit la vérité ; mais vous le menacerez de la mort s'il en impose.

Si les ennemis sont rassemblés en corps d'armée, ne pensez pas à ravager le pays avant de les avoir battus et dispersés. S'ils refusent le combat, alors vous ferez seulement des détachements pour faire le dégât aux environs et leur ôter les vivres.

Les troupes détachées, pour cet effet, auront ordre de ne point se débander pour piller toutes ensemble. La plus grande partie doit rester en garde, tandis que l'autre butinera. C'est une maxime qu'on doit toujours observer dans ces occasions comme dans les fourrages. Il faut être en état de résister à l'ennemi, s'il paraissait, ce que ne peuvent faire des fourrageurs dispersés.

Pour reconnaître les chemins où l'on passe, et que ceux qui suivent ne s'égarent point, on mettra des signaux en divers endroits, surtout dans les fourches. On les attachera aux arbres, si c'est dans les bois. Ailleurs on plantera des jalons, ou bien l'on élèvera des monceaux de pierres ou de terre. Quand vous entrerez dans le pays des Scythes, ou autres nations semblables, vous réglerez la marche de manière que tout le monde sache quelle est la bande qui est à la tête, quelle est la seconde, la troisième, la quatrième, ainsi du reste. Elles marcheront dans l'ordre donné, et observeront de ne point se confondre ni se retarder dans les défilés.

Si vous pouvez marcher par deux chemins, vous diviserez l'armée en deux, parties, dont l'une sera commandée par votre lieutenant général. Il ne faut pas qu'elles soient éloignées l'une de l'autre de plus de quinze ou vingt milles. Elles entreront ensemble dans le pays ennemi, et feront le dégât en marchant obliquement pour se rejoindre sur le soir. De cette manière, l'expédition se fera en sûreté, et les ennemis qui seront poussés par une des colonnes, viendront, en fuyant, se jeter dans l'autre.

S'il n'y a qu'un chemin, on marchera en deux divisions. Le lieutenant général commandera la première où sera sa bande ; lorsqu'il sera rendu au premier endroit, il détachera une ou deux bandes pour butiner, et disposera les autres pour les soutenir. On aura soin de laisser une arrière-garde à quelques milles derrière l'armée pour recueillir les traîneurs. Cela s'observera en marchant dans notre pays, comme dans celui de l'ennemi. On empêchera par là les soldats de se débander, et l'on connaîtra ceux qui s'écartent de leur troupe. Au surplus, n'allez pas vous engager imprudemment dans des détroits et des lieux fourrés. Si vous êtes obligé de passer par de tels endroits, souvenez-vous des précautions indiquées su chapitre des marches.

Quoique les lieux soient spacieux, il ne faut pas d'abord détacher beaucoup de bandes pour piller. Le général doit garder avec lui un corps en état de soutenir celles qui sont dispersées, et auquel elles se réuniront avant la nuit, pour camper ensemble ; c'est pourquoi elles ne doivent pas s'éloigner déplus de quinze milles.

Dans ces sortes de courses, la quantité de prisonniers pouvant être embarrassante et retarder la marche, il faut ou les tuer ou les laisser aller.

Si vous voulez attaquer un fort ou château, tenez votre dessein secret jusqu'à ce que vous y soyez arrivé.

Si vous devez passer auprès d'une forteresse ennemie, ou camper à portée, vous ferez garder par quelques troupes le chemin par lequel on pourrait venir à vous. Vous devez faire aussi la même chose à tous les détroits qui aboutissent sur votre marche.

En entrant dans le pays ennemi, vos équipages marcheront derrière l'armée. Si vous ne les croyez point encore en sûreté, vous les mettrez dans le milieu. On doit toujours les séparer des troupes, ainsi que les prisonniers, soit dans la marche ou dans le camp, pour qu'ils ne causent point d'embarras s'il fallait combattre.

Les mensurateurs, qui marquent le camp, ne partiront pas sans une forte escorte; ils prendront connaissance du pays par les transfuges et les prisonniers. En arrivant, on rangera d'abord les chariots, et l'infanterie se distribuera pour faire le fossé. Ceux qui ne sont pas armés pesamment resteront en bataille à quelque distance, après quoi l'on fera entrer les bagages par ordre, et l'on posera les gardes. Les hoplites iront prendre leur terrain comme il a été dit au chapitre des camps. Si les ennemis sont éloignés, il suffira de tenir un dronge en bataille, jusqu'à ce que le camp soit achevé.

Les ennemis étant rassemblés et près de vous, ou s'il y avait à portée une de leurs forteresses, il ne faudrait pas envoyer les chevaux à la pâture avant d'avoir établi de bonnes gardes. Lorsque vous laisserez sortir, pour recueillir les grains qui sont dans les lieux voisins, vous commanderez des détachements armés qui rouleront autour des fourrageurs, pour les garantir des partis. Il faut éviter, autant qu'on peut, de camper trop près d'une place ennemie, ou d'un bois. Si l'on y est obligé, on doit prendre de grandes précautions pour sa sûreté.

Si vous restez quelque temps dans le même lieu où vous trouverez de quoi subsister, et que les ennemis soient éloignés, vous pourrez alors laisser sortir les chevaux pour aller à la pâture, en prenant la précaution d'envoyer fort en avant deux ou trois gardes qu'on fera relever.

Vous défendrez que personne ne sorte du camp, sinon ceux qui sont commandés pour aller au fourrage, aux vivres, ou au butin. S'il s'en trouve quelqu'un, on les arrêtera et on les enverra à leurs commandants pour être punis. Vous aurez grande attention que les soldats ne touchent point au pain ni au vin qui se trouveront, avant qu'on en ait fait l'essai au moyen des captifs à qui on en donnera. Vous en userez de même à l'égard des eaux de puits et de citernes, qui sont souvent empoisonnées. Cela peut arriver encore pour les grains, ce qui fait périr beaucoup de chevaux quand on n'y prend pas garde.

Si les ennemis font irruption dans notre pays, évitez de les combattre ouvertement, quoique vos forces soient égales aux leurs. Employez plutôt la ruse, en leur dressant des embuscades de jour et de nuit. Rendez les chemins impraticables, occupez les lieux forts, et faites enlever ou gâter tous les fourrages qui sont à portée d'eux. Si vous voulez les attaquer, choisissez plutôt le temps où ils reviennent de butiner que lorsqu'ils y vont, parce qu'ils sont alors chargés et fatigués. Celui qui est sur son terrain ne doit pas se presser de combattre, parce qu'il peut trouver plusieurs occasions de harceler l'ennemi et de le ruiner sans s'exposer.

Vous aurez donc soin de vous mettre à l'abri de tout danger, en vous tenant à portée de rompre les desseins de l'ennemi. Quoique vous ne vouliez pas risquer une action générale, vous ne laisserez pas d'en faire le semblant et de tout préparer à cet effet, ce qui ne lui donnera pas peu d'inquiétude.

Si le pays où les ennemis sont entrés est propre à leur dessein, et que vous ne puissiez vous y opposer, vous tirerez par un autre chemin avant qu'ils soient arrivés à votre vue, afin de vous jeter chez eux. C'est ce que fit Nicéphore, notre général, lorsque Pulcher, chef des Sarrasins, ravageait la Cappadoce. Il entra en Cilicie, prit Tharse et leur causa de grands dommages.

Dès qu'on sait la marche de l'ennemi, il faut munir tous les châteaux et lieux forts des choses nécessaires à leur défense. Les habitants y retireront leurs effets et leurs bestiaux. On augmentera les fortifications des postes les moins forts par leur situation, afin qu'ils soient, ainsi que les autres, en état de résister. Si l'ennemi prend le parti de les attaquer, vous y ferez passer du secours secrètement; vous l'empêcherez de fourrager et d'amasser des vivres, ayant toujours des troupes prêtes à tomber sur ceux qui sortent de son camp. En le resserrant ainsi de tous côtés, vous le réduirez dans un fâcheux état.

Voilà ce que j'avais à vous dire sur les invasions, tant à l'égard de l'offensive que de la défensive. Passons maintenant à d'autres choses qui ne sont pas d'une moindre importance. Il faut savoir surtout de quelle manière on peut connaître les forces de l'ennemi et découvrir ses espions, qui tâchent de se cacher parmi vos troupes.

Il est essentiel de prendre, autant que vous pourrez, une connaissance exacte du nombre de sa cavalerie et de son infanterie. Pour cet effet, il faut savoir quelle est leur ordonnance, c'est-à-dire leur méthode pour se former; car c'est à raison de ceci, comme de la situation des lieux, que paraît une armée. Voilà pourquoi ceux qui ne sont point au fait ne manquent pas d'être induits en erreur lorsqu'ils veulent en faire l'estimation.

Si vous mettez six cents chevaux en longueur et cinq cents en profondeur, cela formera trois cent mille chevaux. Un cheval tient en largeur trois pieds, ce qui fera dix-huit cents pieds en longueur ; et comme il tient huit pieds de la tête à la queue, il y aura quatre mille pieds en profondeur. Le carré contiendra donc sept cent vingt myriades de pieds, ou sept millions deux cent mille pieds carrés. Le circuit sera de onze mille six cents pieds; et, puisque six pieds forment une toise, et que cent toises font un stade, que sept stades et demi font un mille, le périmètre entier sera donc de deux milles et six cents pas. Ainsi, trois cent mille cavaliers, s'ils sont bien serrés, remplissent ce terrain. S'ils le sont moins, on jugera leur nombre sur la densité ainsi que sur l'espace. S'ils étaient sur un seul rang, tout ce front comprendrait quatre-vingt-dix myriades, ou neuf cent mille pieds, faisant deux cents milles.

Une troupe qui est en marche doit tenir plus de terrain que si elle était arrêtée et rangée dans le même ordre, par conséquent, elle paraît plus nombreuse ; de même si elle marche sur la pente d'un terrain incliné et fort élevé.

Lorsqu'on veut faire une belle parade, on diminue la profondeur ou l'on augmente les distances entre les files. Les plus anciens tacticiens, dans la disposition de l'infanterie, donnaient quatre coudées pour chaque homme. Il n'en devait tenir que deux quand l'ordonnance se resserrait, et n'en tenait plus qu'une quand on était en synaspisme, c'est-à-dire que l'ordonnance était tellement serrée, que les hommes se touchaient et croisaient leurs boucliers. Par la connaissance des différentes mesures, un œil juste et attentif à l'inspection de l'étendue du terrain pourra donc juger du nombre de la cavalerie et de l'infanterie qui s'y trouvent placées.

Tout le monde n'étant pas en état de connaître les différentes manières de ranger les troupes d'une armée et de discerner chaque ordonnance, il ne faut pas vous en rapporter à l'examen des seuls spéculateurs ou des gardes, surtout à l'égard des nations qui serrent beaucoup leurs chevaux dans l'ordre de bataille. Il est nécessaire d'y employer des gens habiles et d'expérience.

Il ne faut pas juger du nombre des ennemis par l'étendue de leur armée. Pour ne pas être trompé, il faut bien examiner leur profondeur, distinguer la véritable de celle qui n'est qu'apparente au moyen des bagages qu'on met derrière.

Vous prendrez toutes les connaissances que vous pourrez par vous-même, par des déserteurs, des prisonniers, par quelqu'un qui, à la faveur du terrain, se glissera dans un lieu d'où il puisse bien découvrir, ou par quelque espion qui s'introduira dans le camp des ennemis.

Les bons spéculateurs doivent être avisés et intelligents, pour bien reconnaître les chemins, la situation des lieux et les mouvements de l'ennemi. Ils ne porteront qu'une armure légère, et auront des chevaux vites à la course. Quelquefois ils se mêlent parmi les ennemis, comme s'ils étaient des leurs. Ils peuvent aussi juger de leur nombre à certains indices : par l'étendue du camp, l'emplacement des chevaux, la quantité des tentes, même par les immondices et les fumiers, selon le temps depuis lequel ils sont campés.

Vous disposerez vos gardes avancées à des distances raisonnables l'une de l'autre, de manière qu'elles puissent se communiquer et s'entr'avertir, surtout pendant la nuit. Elles doivent embrasser tout le terrain par où l'on pourrait arriver pour vous surprendre. On les placera selon la situation des lieux, de sorte que si les ennemis évitent les unes, ils tomberont néanmoins dans les autres. Il y aura peu d'hommes dans les premières, davantage dans les secondes, ainsi que dans les troisièmes.

Ceux qui sont ainsi postés en avant doivent être des gens fidèles, robustes, et d'une taille avantageuse. Ils porteront des armures brillantes, pour qu'ils soient remarqués s'ils font de belles actions, ou, s'ils sont pris, qu'ils causent de l'étonnement à l'ennemi. Leur chef doit être un homme d'élite, vigilant, adroit, et qui ait plutôt de l'habileté que de la force du corps. Si l'on se propose de pousser une garde en avant pour faire quelques prisonniers, on y joindra des spéculateurs, qui reconnaîtront le pays et se posteront dans des lieux propres à éclairer sa marche.

Vous défendrez à tous ceux qui sont de garde à pied de s'asseoir ni de se coucher, pour qu'ils soient plus exacts et vigilants. Cependant, comme les stationnaires n'auraient pas la force de veiller toute la nuit, il est plus sûr de les relever, ce qu'on fait à des heures marquées. Pour s'assurer de leur exactitude, on les fera visiter par des préfets qui punissent ceux qu'ils trouvent en faute, leur négligence pouvant mettre le général dans un grand danger.

Vous recommanderez à ceux qui sont envoyés aux gardes avancées de tâcher de faire quelques prisonniers. Pour cet effet, il n'y aura que le petit poste de découverte qui se montrera ; les autres seront cachés autant que le lieu le permettra ; les premiers se retireront pour attirer quelques-uns des ennemis et les faire envelopper.,

Non seulement il ne faut pas que les ennemis connaissent le lieu de vos gardes, mais il est bon aussi que vos troupes les ignorent, afin que ceux qui voudront déserter viennent s'y jeter imprudemment.

Si vous voulez découvrir les espions qui peuvent être dans votre camp, vous en conférerez d'abord avec les chefs des troupes, pour qu'ils fassent exécuter ce que vous leur prescrirez. Ils leur ordonneront qu'au signal donné par la buccine, sur la seconde ou troisième heure du jour, chacun rentre dans sa tente, soldats ou goujats. Il arrivera, s'il y a un étranger, qu'il entrera dans une tente, où il sera reconnu par le chef de la chambrée, ou qu'il demeurera dehors et sera vu par les officiers, qui le feront arrêter. Ceci peut se faire dans un camp général, où toutes les troupes sont rassemblées, ou dans un camp particulier de quelques bandes.

Ceux qu'on trouvera dans le camp par ce moyen et qui ne seront pas connus, soit Romains ou étrangers, doivent être examinés jusqu'à ce qu'on ait découvert le motif qui les a fait venir.

Il y a aussi divers autres moyens par lesquels on peut reconnaître un espion, comme, par exemple, lorsque les préfets ont donné un ordre aux soldats avec un signe de ralliement, si quelqu'un est trouvé l'ignorer, et qu'étant interrogé il réponde en tergiversant et ne fasse pas voir qu'il a le signe de ralliement de l'armée, il y a lieu de penser que cet homme est un espion, et l'on doit l'arrêter. Quand vous prendrez des espions, il ne faut pas les traiter de même en tous temps. Si votre armée est plus faible que celle des ennemis ou que vous manquiez de quelque chose, vous les ferez mourir ou vous les retiendrez en prison ; mais si elle est forte, belle et bien en point, composée de braves gens, obéissants et bien disciplinés, après que vous la leur aurez fait voir, vous les laisserez aller. Ce qu'ils diront ne pourra vous nuire, au contraire, cela ne fera que répandre la terreur parmi les ennemis.

Si quelques transfuges viennent vous trouver et vous offrent de faire surprendre l'armée ou quelques postes en vous conduisant par des chemins inconnus, n'y ajoutez pas foi légèrement; faites-les lier et bien garder. Promettez-leur une grande récompense s'ils vous disent la vérité et qu'ils exécutent ce qu'ils vous proposent. Au cas qu'ils vous trompent et qu'ils veuillent vous jeter dans quelque danger, on les fera mourir. On ne peut s'assurer de la foi d'un transfuge qu'en se rendant maître de sa vie.

INSTITUTION XVIII.

Méthodes des Romains et de diverses nations, dans la disposition des Armées.

Nous parlerons à présent des différents ordres de bataille, pratiqués par les anciens généraux romains, et ceux d'autres nations, afin qu'en les connaissant, vous puissiez non seulement en faire usage dans l'occasion, mais aussi les perfectionner, et imaginer quelque chose qui soit encore meilleur.

Rien n'est plus utile que de s'exercer fréquemment dans la pratique des manœuvres. Il faut en avoir plusieurs dans la tête, car si l'on ne s'attachait qu'à une seule, l'ennemi en serait bientôt instruit par ses espions ou par les déserteurs.

La méthode que j'ai donnée dans le chapitre des exercices est simple, et peut s'accommoder à toutes sortes d'ordres de bataille, sans faire connaître aux ennemis ce que l'on médite.

Si vous avez le temps, vous pourrez exercer les troupes, soit les turmes, les bandes ou les dronges, à différentes manœuvres, même à celles qu'on croit superflues. Il y a quelquefois des occasions où celles-ci peuvent être utiles.

Chaque évolution sera désignée par un signal particulier, afin que les troupes sachent ce qu'on leur demande, et qu'étant exercées à tous les mouvements, eues connaissent la différence des dispositions.

Il y a trois sortes de formes de bataille ; l'une qui est en usage chez quelques nations, et même quelquefois chez les Romains. Les escadrons y sont rangés sur un même front, sans être divisés en coureurs et défenseurs. Ils forment deux ailes inclinées l'une vers l'autre, comme pour embrasser un certain espace de terrain où serait l'ennemi. Cette disposition orbiculaire est semblable à celle que prennent les cavaliers, dans les jeux qui se font au mois de Mars.

Une autre forme, est lorsque la ligne est divisée en coureurs et en défenseurs, ces divisions étant chacune de deux cents. Dans les mouvements, les coureurs sortent pour charger et poursuivre; ensuite ils reviennent, retournent encore à la charge suivis des défenseurs, et reviennent enfin reprendre leur premier poste sur les ailes.

Dans celle-ci les défenseurs sont dans le milieu, et les coureurs partagés à droite et à gauche : mais il y a une autre méthode contraire qui est déplacer les coureurs ensemble dans le milieu, et les défenseurs séparés en deux parties sur leurs flancs. Dans l'une et l'autre disposition, les coureurs se détachent pour aller à l'ennemi, les défenseurs les suivent afin de les soutenir; et les premiers reviennent vers les autres qui s'arrêtent, pour les laisser reprendre leur place.

La méthode d'ordonner une armée, usitée chez les Romains, et dont j'ai parlé ci-devant, convient contre toutes les nations, savoir : de former deux lignes, dont l'une sert d'appui à l'autre; d'avoir des coureurs, des défenseurs, des gardes flancs, et des cornistites, des insidiateurs et des réserves pour garder les derrières.

Vous exercerez chacune de ces parties séparément, comme je l'ai dit ; d'abord la première ligne dont les manœuvres sont toutes simples. Quand vous voudrez l'exercer conjointement avec la seconde, au lieu de celle-ci, vous disposerez quelques cavaliers qui la représenteront, et la première ligne se retirera dans les intervalles marqués. Si vous voulez exercer la seconde ligne, vous ferez de même figurer la première par quelques cavaliers postés en avant. Vous emploierez des moyens semblables pour instruire les autres parties, comme les gardes flancs et les cornistites. Vous apprendrez, par exemple, à ceux-ci qui seront postés derrière l'aile droite, ou bien alignés au flanc, comment ils doivent tourner à droite, marcher un certain espace, se remettre en front, et courir pour embrasser le flanc de l'ennemi.

J'ai trouvé à propos de vous rappeler encore ici, combien il est important de connaître toutes les évolutions, et d'y former parfaitement vos troupes, pour qu'elles ne soient pas sans expérience, et afin que vous puissiez en retirer un service utile dans tous les cas qui se présenteront.

Afin que vous possédiez toute la science de la tactique, je vous ai expliqué les différents ordres de bataille, démontré toutes les dispositions et les manœuvres dont on peut se servir pour l'attaque et la défense. Les Romains les ont apprises de diverses nations, pour s'en servir en temps et lieu, et afin de se garantir de celles des ennemis, en leur opposant des contre manœuvres.

Ce n'est pas seulement vous qui devez aimer la patrie, et toujours être prêt à répandre votre sang pour le soutien de la foi chrétienne, ainsi que pour la défense des fidèles : tous les officiers et soldats doivent avoir les mêmes sentiments. Il faut vous appliquer à les conserver dans ceux qui les ont, et les inspirer à ceux qui ne les ont point encore.

Tâchez qu'ils soient tous animés du même esprit ; qu'ils soient patients dans les travaux, qu'ils supportent avec courage et résignation, la faim, la soif, le froid, le chaud, toutes les fatigues et les maux de la guerre. Ils doivent espérer que Dieu leur en tiendra compte, et s'assurer qu'ils en recevront aussi de nous la récompense. Notre âme est trop sensible pour ne point partager vos soins et leurs peines.

S'il vous arrive quelque chose de fâcheux, faites que les ennemis n'en soient point informés, et sachez montrer dans les adversités un esprit tranquille. Par là vous cacherez la grandeur du mal, et l'on ne se croira pas sans ressource.

On a vu des ennemis des Romains, comme les Perses, ne demander jamais de quartier, ni faire aucune proposition dans les cas les plus désespérés ; mais ils attendaient qu'on leur fît des offres, tant ils avaient de force et de constance.

Retraçons en peu mots ce que j'ai dit ci-devant : vous armerez vos troupes dans la forme présente, et vous aurez beaucoup de bons archers. Cette arme est excellente et d'un grand service, surtout contre les Sarrasins et les Turcs, qui fondent sur elle tout leur espoir. Nous avons besoin d'archers, non seulement pour opposer aux leurs, mais aussi pour tirer sur leur cavalerie, ce qui leur fait beaucoup de dommage, et les décourage lorsqu'ils voient leurs meilleurs chevaux tués.

Comme leurs armées ne sont point composées d'hommes choisis, et enrôlés pour former une milice disciplinée, mais de gens ramassés qui servent par l'espoir du butin, et le zèle de leur fausse religion, ils croient, au moindre accident, que Dieu est déclaré contre eux, et qu'ils ne pourront résister.

Si vous savez que vous avez affaire à une nation belliqueuse, il sera bon de différer le combat autant que vous pourrez, et cependant de vous camper dans un lieu avantageux que vous fortifierez. Le jour que vous devrez combattre, si c'est un des plus chauds de l'été, vous temporiserez jusque vers le midi, afin d'émousser la .vigueur des ennemis qui seront accablés de la grande chaleur.

L'ordre de bataille de l'infanterie sera, comme je l'ai dit, dans un lieu égal et sans obstacle, ce qui est nécessaire pour le choc des piques, qui doivent joindre promptement l'ennemi.

La ligne venant à être repoussée, elle souffrirait beaucoup, si l'on n'avait pas des moyens pour arrêter l'ennemi. Les troupes postées aux ailes, qui se détachent pour courir sur ses flancs et ses derrières, ne manquent pas de le mettre en désordre, s'il n'y a pourvu en se donnant de bons gardes flancs.

Vos charges doivent être rapides, et tous les mouvements, pour joindre l'ennemi, se faire avec vivacité, pour n'être pas longtemps exposé aux flèches, qui font beaucoup souffrir quand on y met de la lenteur.

Si le terrain est varié, on fera bien de mêler de l'infanterie avec la cavalerie, afin que celle-ci ne soit point seule engagée dans des lieux inégaux et dangereux pour elle. Les gens de traits qui sont sans armure, et combattent de loin, y sont plus propres que les piquiers.

Si le général remarque qu'il ne peut avoir de confiance dans son armée, il ne la commettra point à une action générale. Il se servira de la situation des lieux pour surprendre l'ennemi, et lui dresser des embuscades. Il ne faut pas que ni lui ni vos troupes s'aperçoivent de la raison qui vous fait éviter de combattre.

Les évolutions, c'est-à-dire, les conversions et les réversions dans la retraite, ne doivent point se faire en face des ennemis, mais sur les côtés, pour les prendre en flanc ou gagner leur derrière. Car ceux qui se retirent, étant suivis, seraient très maltraités, s'ils voulaient faire ces mouvements devant le front de la ligne qui les poursuit.

Les Turcs, dans cette circonstance, sont toujours en désordre. C'est pourquoi si ceux qui se retirent devant eux, en conservant leur ordre, se retournent tout à coup et les chargent, ils ne manquent pas de les culbuter. Plusieurs autres nations ne font point de même : elles suivent sans se débander. C'est contre celles-ci qu'il ne faut faire des mouvements que sur les flancs, comme je le viens de dire.

Puisque nous avons parlé des Turcs, j'expliquerai leur ordonnance, et comment il faut nous disposer contre eux. Nous l'avons appris par expérience ; lorsque les Bulgares, ayant violé leur traité avec nous, ravagèrent la Thrace. Nous trouvâmes alors le moyen d'armer les Turcs contre eux. Ils les battirent dans trois combats sur les bords du Danube, où nous avions notre flotte qui les soutenait. Ce fut sans doute un effet de la Providence, qui, en punissant la perfidie, ne voulut pas que les Romains se souillassent du sang des Bulgares, chrétiens comme eux.

Les Scythes ont tous une même manière de se former en bataille, et une méthode de combattre, en tournant le dos, qui leur est particulière. Ils sont partagés sous différentes dominations, sont braves, robustes, et mènent une vie tout à fait pastorale. Chaque horde est conduite et gouvernée par un seul chef. Les Turcs et les Bulgares sont les seuls qui se rangent et combattent de même, tenant plus ferme et ayant plus d'ordre qu'aucune des autres nations Scythes.

Puisque les Bulgares ont embrassé la foi chrétienne, nous ne voulons pas armer nos mains contre eux, ni nous instruire à les combattre, étant d'ailleurs soumis à présent à notre empire, depuis que Dieu les a punis d'avoir violé le traité qu'ils avaient fait avec nous.

A l'égard de la nation turque, elle est très nombreuse, fait peu de cas des objets de luxe et de commodité, ne s'applique qu'à la guerre, et à se rendre redoutable dans les combats. Comme elle est gouvernée despotiquement par son prince, ceux de ses officiers qui tombent en faute, sont châtiés avec la dernière rigueur. Elle se conduit moins par amour et par zèle que par la crainte. D'ailleurs, elle supporte constamment les fatigues, l'intempérie des saisons, et a peu de besoin ainsi que les autres nomades. Les Turcs tiennent leurs desseins fort secrets, sont avides d'argent, infidèles dans leurs engagements, et se font peu de scrupule de manquer à leur parole. C'est en vain qu'on croit les gagner par des présents. Lorsqu'ils les ont reçus, ils ne vous tendent pas moins des pièges. Ils prennent habilement leur temps, et ne manquent pas l'occasion quand elle leur paraît favorable. Ils n'attaquent pas toujours à force ouverte, mais ils emploient aussi la ruse à propos.

Ils sont armés de cuirasses, d'épées, de, lances et de flèches. Ils jettent leur lance derrière l'épaule, et se servent de l'arc, surtout contre ceux qui les suivent. Dès que l'occasion se présente, ils reprennent la lance, et combattent ainsi alternativement avec l'une et l'autre arme. Les chevaux les plus distingués ont le devant couvert de fer ou de cuir. Us s'appliquent beaucoup à tirer, des flèches à cheval. Ils mènent avec eux quantité de juments et de vaches dont ils boivent le lait. Ils ne campent point, comme les Romains, dans des retranchements ; mais jusqu'au jour du combat, ils sont répandus par tribus et familles. Ils postent leurs gardes fort loin, et si épaisses, qu'on ne peut les surprendre aisément. Ils nourrissent avec soin grand nombre de chevaux l'été et l'hiver. Lorsqu'ils ont la guerre, ils choisissent les meilleurs, et les gardent près de leurs tentés avec des entraves aux pieds qu'ils ne leur ôtent que pour combattre.

Dans leur ordre de bataille, ils ne divisent pas leur armée en trois parties, comme les Romains ; mais ils se forment en plusieurs grosses troupes, avec de petits intervalles, de sorte que le tout ne paraît qu'un seul corps. Ils ont, outre cela, des troupes en réserve pour soutenir les endroits qui en ont besoin, et d'autres pour envelopper l'ennemi s'il a manqué de précautions. Ils mettent leur bagage en arrière, vers la droite ou la gauche, avec une garde à la distance d'un ou deux milles. Quand ils ont des chevaux de reste, ils les placent derrière la ligne, ainsi que d'autres animaux, .en les attachant ensemble, comme pour s'en faire une barrière. Afin de montrer plus de profondeur, ils font des troupes, plus épaisses que les autres. Le front est d'ailleurs égal et régulier. Ils combattent volontiers de loin, tendent des embuscades, font des fuites simulées, se dispersent, et reviennent tout à coup à la charge. Quand leurs ennemis fuient, ils ne se contentent pas, comme les Romains, et d'autres nations, de les suivre médiocrement, et de prendre leur butin ; mais ils poursuivent constamment pour détruire, s'ils peuvent, jusqu'au dernier. Si une partie se réfugie dans une place, ils cherchent aussitôt à connaître la quantité de vivres, de munitions, d'hommes et de chevaux qu'elle contient. Ils l'assiègent et la pressent sans relâche, jusqu'à ce qu'ils l'aient réduite. Ils proposent d'abord des propositions douces, et si on les accepte, ils en imposent de plus dures.

Ils craignent beaucoup l'infanterie qui maltraite leurs chevaux ; et s'ils mettent pied à terre, comme ils n'y sont point habitués, ils souffrent beaucoup. Ils n'aiment pas plus d'avoir affaire à une ligne de cavalerie serrée et en bon ordre, dans une plaine bien unie.

La disette de fourrage les fera toujours beaucoup souffrir ; à cause de la grande quantité de leurs chevaux.

Un moyen d'en avoir raison, est de les joindre pour en venir aux mains, ou de les surprendre pendant la nuit. Pour cet effet, une partie des troupes se tiendra cachée tandis que l'autre les attaquera. Rien ne leur fait plus de peine que si quelques-uns des leurs désertent. Cette marque d'inconstance et d'avidité du gain dans leurs compatriotes, les humilie, et rabat la haute idée qu'ils ont de leur nation.

Lorsqu'on a la guerre contre eux, il faut se garder exactement ; et si l'on se propose de combattre, s'assurer d'un lieu fort, qui serve de retraite en cas qu'on ait du dessous, où il y ait de l'eau, du fourrage, et des vivres pour plusieurs jours. On y laissera ses bagages, comme je l'ai dit au chapitre où j'en ai traité.

S'il y a de l'infanterie dans l'armée, on la rangera pour combattre sur le front à la manière de sa nation, et vous formerez votre ordre de bataille, comme je l'ai dit ailleurs, savoir, la cavalerie derrière l'infanterie. Si vous n'avez que de la cavalerie, et que vous la croyiez capable de leur être opposée, vous suivrez aussi la disposition que j'ai donnée quand il en a été question.

Vous aurez soin de bien garder vos flancs et vos derrières. Vous prescrirez à vos coureurs de ne s'éloigner des défenseurs, en poursuivant l'ennemi, que de trois ou quatre jets de flèches au plus. Vous ferez en sorte de combattre dans une plaine découverte, où il n'y ait ni bois, ni ravins, ni vallons, crainte des embûches que les Turcs ont coutume d'y dresser. Vous aurez des gardes sur les quatre côtés, placées à une certaine distance, pour donner avis de leurs mouvements. S'il est possible, vous tâcherez de vous mettre à dos une rivière qui ne soit point guéable, un lac, ou un marais.

Si l'issue du combat est heureuse, ne suivez l'ennemi ni trop mollement ni avec trop d'acharnement. Lorsque les Turcs ont du désavantage dans le premier choc, ils ne cherchent point à le réparer sur-le-champ, comme les autres nations. Ils s'enfuient, mais ils tâchent ensuite de reprendre le dessus par toutes sortes de moyens.

Si je vous ai parlé de ces usages des Turcs, ce n'est point que vous dussiez les combattre. Ils ne sont à présent ni nos voisins ni nos ennemis ; au contraire, ils paraissent avoir envie de devenir nos alliés. C'est donc seulement pour que vous fussiez instruit des divers ordres de bataille, et de tous les stratagèmes de guerre, que l'expérience et l'étude ont inventés. Vous pourrez par là en faire dans l'occasion des applications convenables, ou bien imaginer d'autres moyens pour les leur opposer. C'est par la même raison, que je vous ferai connaître aussi les méthodes et le caractère de quelques autres peuples, tels que les Francs et les Lombards, autrefois infidèles, mais à présent chrétiens, et dont les uns sont devenus nos sujets, d'autres nos alliés. Je n'omettrai pas les Sclaves, qui étaient autrefois soumis aux Romains, lorsqu'ils habitaient au-delà du Danube, où ils menaient une vie pastorale.

Les Francs et les Lombards chérissent la liberté. Ceux-ci ont beaucoup perdu de cette vertu. A l'égard des Francs, ils sont braves et audacieux presque jusqu'à la témérité. La lâcheté est en horreur parmi eux ; la moindre démarche en arrière est prise pour une fuite et notée d'infamie. Ce mépris de la mort les pousse à combattre courageusement main à main, soit cavalerie ou infanterie. Si leur cavalerie se trouve pressée dans quelque détroit, elle met pied à terre, et se range fort bien selon la manière de l'infanterie. Ils sont armés de boucliers, de lances et d'épées fort longues suspendues à des baudriers. Certains d'entre eux les portent attachées à la ceinture. Ils ne se forment point en bataille comme les Romains, par bandes et par turmes, mais par tribus et familles. Ceux qui sont unis d'amitié, et par une sorte de confraternité, se joignent aussi ensemble. On a vu souvent que si quelqu'un d'entre eux était tué, les autres se précipitaient dans le péril pour venger sa mort.

Le front de leur ordre de bataille est égal et très épais : ils aiment surtout de combattre à pied ; mais soit à pied ou à cheval, ils courent sur l'ennemi avec véhémence, et chargent avec impétuosité. Les Francs surtout sont peu obéissants à leurs chefs. Ils viennent volontiers à la guerre pour un certain temps, sans se faire presser ; mais s'il faut demeurer plus longtemps, ils s'impatientent et se retirent chez eux. Ils sont peu prévoyants sur toutes choses, et très inconstants ; s'attachent peu à l'ordonnance des armées, surtout pour la cavalerie. Nous avons connu par expérience leur avidité pour l'argent, et la facilité de les corrompre. Ils ne supportent pas facilement le mal-être. Comme ils ont l'âme vive et audacieuse, leurs corps sont faibles, délicats, et peu propres aux grandes fatigues. Le chaud, la pluie, le froid, les accablent; le défaut de vivres, et surtout de vin, les chagrine extrêmement, ainsi que la longueur de la guerre. Les lieux inégaux et difficiles ne conviennent pas à leur cavalerie, qui charge rapidement avec la lance. Comme ils négligent assez d'avoir des gardes et des réserves, on les attaque aisément par les flancs et par les derrières.

Si l'on faisait semblant de fuir, ils ne manqueraient pas de se débander. Se retournant aussitôt pour les charger, n les maltraiterait beaucoup. Un autre moyen excellent contre eux, est de les attaquer de nuit avec des archers, parce qu'ils campent séparément et dispersés.

Si l'on fait attention à leurs coutumes et à leur caractère, on ne les combattra point en bataille rangée, surtout dans le commencement de la guerre ; mais on les harcèlera par des attaques fréquentes, et en leur dressant des embuscades. On traînera la guerre en longueur, on les amusera par des propositions de paix, et en prolongeant les négociations, on leur fera consumer leurs vivres. La longueur du temps, les incommodités de la saison, ralentiront leur ardeur et diminueront leur audace. Pour réussir dans ce plan de conduite, il faut occuper des lieux forts et de difficile accès, où l'ennemi ne puisse aborder et en venir aux mains avec ses piques. Si l'on ne peut absolument se dispenser de combattre, on rangera l'armée comme je l'ai enseigné à l'institution XII.

La manière de vivre et les mœurs des Sclaves sont assez semblables à celles des Francs : jaloux de leur liberté, ils ont toujours refusé de se soumettre à l'empire, pendant qu'ils habitaient dans leur terre natale au-delà du Danube; même après avoir passé de ce côté, ils ont mieux aimé obéir à un despote de leur nation qu'aux Romains. Quant à ceux qui ont embrassé la foi chrétienne, ils conservent, autant qu'ils peuvent, la forme de leur ancienne liberté.

Cette nation est nombreuse, patiente dans les peines, et infatigable. Le chaud, le froid, la faim et la disette de toutes choses ne l'abattent point. Notre auguste père, l'empereur Basile, la tira de la Barbarie et de la servitude : il la poliça, lui donna des gouverneurs à la manière romaine, et lui fit recevoir le saint baptême. Il s'appliqua à la rendre amie des Romains, pour s'en servir contre leurs ennemis. L'empire fut ainsi délivré de ses courses, dont il avait souffert pendant longtemps, ayant soutenu plusieurs guerres contre elle.

Ils étaient autrefois très hospitaliers, et conservent encore soigneusement cette vertu. Ils sont accueillants, et reçoivent les voyageurs avec beaucoup d'humanité ; ils les conduisent de lieu en lieu, et les garantissent de toute insulte. Si un étranger recevait un mauvais traitement, par la faute de son hôte, tout le monde lui déclarerait la guerre. Ils agissent aussi avec beaucoup de douceur envers leurs esclaves : ils ne les condamnent point à une servitude perpétuelle ; mais ils leur fixent un temps de service, au bout duquel ils les renvoient avec un salaire : s'ils veulent continuer de rester avec eux, ils les affranchissent.

Les femmes sont sages, et si attachées à leurs époux, qu'elles s'étouffent après leur mort, ne pouvant supporter le veuvage. Ils sont très sobres, et se contentent de millet pour leur provision. Ils ne se soucient point de s'adonner à l'agriculture, et de travailler pour être magnifiques dans leur dépense ; ils préfèrent à ces avantages celui de vivre avec beaucoup de liberté.

A la guerre chaque homme porte deux javelots, quelques-uns ont de grands boucliers : ils se servent aussi d'arcs de bois avec des flèches empoisonnées, dont les blessures sont mortelles, à moins qu'on ne prenne aussitôt de la thériaque, ou quelque antidote aussi salutaire, ou qu'on ne coupe autour de la plaie pour empêcher le venin de se répandre. Ils aiment à se réfugier dans les montagnes, et les lieux de difficile accès.

Dans l'Institution XVII, je vous ai parlé de la manière de conduire vos entreprises contre eux et d'autres Barbares. Je passe maintenant aux Sarrasins, nos ennemis continuels, dont il faut dépeindre le génie et le caractère, faire connaître les coutumes, les armes dont ils se servent, et la manière qui convient le mieux pour les guerroyer.

Les Sarrasins sont Arabes d'origine, et habitaient autrefois les bords de cette contrée appelée l'Arabie heureuse. Ayant reçu les lois de Mahomet, ils se répandirent dans la Syrie et la Palestine ; ils s'emparèrent ensuite de la Mésopotamie et de l'Egypte, à la faveur des guerres que l'Empire romain avait avec les Perses. Ils blasphèment contre le Christ, qu'ils ne regardent pas comme vrai Dieu et Sauveur du monde. Ils pensent que Dieu est auteur du mal comme du bien ; disent qu'il aime la guerre, et se plaît à dissiper les nations inquiètes. Ils observent leur loi très exactement, sont charnels et adonnés aux femmes. Ils satisfont leurs sens et souillent leurs âmes. Nous qui suivons une loi sainte et divine, nous détestons leur impiété, et leur faisons la guerre pour le soutien de la foi.

Ils ont communément des chameaux pour porter leur bagage, au lieu de bœufs, d'ânes et de mulets. Comme l'aspect et l'odeur de ces animaux épouvantent les chevaux, c'est une des raisons qui les leur fait préférer. Ils effraient encore les chevaux des ennemis par le bruit des tymbales et des cymbales, auquel ils accoutument les leurs. Ils ont coutume de mettre tous leurs chameaux, et autres bêtes de charge, au milieu de leur armée ; ils leur attachent des flammes ou étendards, afin de faire croire que ce sont des combattants et de paraître plus nombreux. Ils sont d'un tempérament chaud, étant nés dans un climat brûlant. Leur infanterie est composée d'Ethiopiens, qui portent de grands arcs. Ils les mettent devant leur, cavalerie, ce qui en impose beaucoup à ceux qui veulent les attaquer. La cavalerie porte l'infanterie en croupe, quand l'expédition n'est pas loin de leur frontière. Elle se sert d'épées, de lances, de haches d'armes, et aussi de flèches. Ils ont pour armures des casques, des cuirasses, des bottines garnies, des gantelets, et autres qui sont à l'usage des Romains. Ils aiment d'embellir leurs ceintures, leurs épées et les mors de leurs chevaux, par des ornements d'argent.

Lorsqu'ils sont une fois en désordre, il est difficile de les rallier; ils ne pensent plus qu'à sauver leur vie. L'espoir de la victoire accroît leur audace; mais les revers abattent leur courage. Ils sont persuadés que les maux viennent de Dieu, comme les autres choses ; c'est pourquoi ils reçoivent la mauvaise fortune sans se plaindre, et attendent un temps plus heureux pour combattre. Ils sont fort portés au sommeil, et redoutent par cette raison les combats de nuit, surtout dans les invasions qu'ils font en terre ennemie. Pour se garantir des surprises, ils se fortifient dans leur camp, et font bonne garde toute la nuit.

Leur ordre de bataille est un carré long, renfoncé partout et très difficile à entamer. Ils se servent de cette forme dans les marches comme dans les combats. Ils imitent d'ailleurs les Romains dans beaucoup d'usages de guerre et de manières d'attaques qu'ils ont apprises de nous.

Lorsqu'ils sont rangés et en présence, ils ne se pressent point d'aller à la charge. Ils reçoivent avec fermeté le premier choc, et dès que le combat est engagé ils ne quittent pas prise aisément. Lorsqu'ils voient l'ardeur de l'ennemi se ralentir, ils s'excitent à le pousser avec vigueur:

Ils en usent dans les combats de mur, comme dans ceux d'infanterie : serrés les uns près des autres, couverts de leurs boucliers, ils soutiennent tous les traits de l'ennemi; lorsqu'il les a épuisés, et qu'il est fatigué, ils en viennent aux mains; c'est pourquoi l'on doit se conduire contre eux avec beaucoup de circonspection.

Leurs maximes et leurs méthodes, à la guerre, valent beaucoup mieux que celles des autres nations les plus expérimentées. C'est ce que nous avons su par des relations qui nous ont été envoyées, par le rapport de nos généraux et par notre très pieux père qui a eu souvent la guerre avec eux.

Les rigueurs de l'hiver, le froid, les pluies les tourmentent beaucoup, et leur ôtent les forces. C'est pourquoi les temps pluvieux et humides sont les plus favorables pour les attaquer, comme cela nous a souvent réussi. Il arrive même alors que les cordes de leurs arcs étant mouillées et détendues, ils ne peuvent s'en servir. C'est donc surtout dans les grandes chaleurs de l'été, qu'ils sortent de Tharse, et des autres villes de la Cilicie, pour faire leurs expéditions contre les Romains.

Il y a beaucoup à risquer, comme je l'ai dit, d'en venir avec eux à une affaire générale, quoiqu'ils paraissent plus faibles en nombre. Il vaut mieux se tenir couvert dans un bon poste, d'où l'on épie leurs démarches. Lorsqu'ils viennent pendant l'hiver, pour courir le pays et butiner, on peut trouver l'occasion de tomber sur eux à l’improviste, même quand ils auraient un grand appareil de guerre.

Ils ne forment point leurs armées par enrôlements, ni en faisant tirer au sort; mais ils viennent en foule de la Syrie et de la Palestine, pour se présenter volontairement, les riches conduits par le zèle de la patrie, les pauvres par l'espoir de faire du butin. Cet attrait amène jusqu'à des jeunes gens, qui ne sont pas encore dans leur force, et que les femmes se font un plaisir d'armer.

Il faut tâcher que nos soldats, surtout les nouveaux, aillent gaîment faire la guerre à ces Infidèles. On les y excitera par de bons traitements, en leur fournissant gratis des armes, des chevaux, et tout ce qui leur sera nécessaire. En se conduisant par de sages conseils, et y joignant des prières ardentes, pour implorer l'assistance de J.-C. contre les ennemis de son nom, nous aurons lieu d'espérer une entière victoire. Le zèle de nos soldats s'animera, quand ils sauront qu'ils combattent pour la foi, pour le salut de leur famille, et le repos de tous les chrétiens.

Lorsqu'ils passent dans les détroits du Mont Taurus, en allant faire leurs courses, ou plutôt quand ils retournent fatigués, embarrassés de bestiaux et d'autres dépouilles, si l'on occupe certains lieux élevés, avec des archers et des frondeurs, on combattra leur cavalerie avec beaucoup d'avantage. On pourra aussi rouler sur eux de grosses pierres dans les défilés, ou barrer les chemins par des abattis d'arbres, ou leur dresser, comme je l'ai dit, quelque embuscade. Le général se servira enfin de tous les meilleurs moyens qui lui viendront dans l'esprit pour les défaire.

Ils ne rompent jamais leur ordonnance, quand même ils seraient attaqués par deux ou trois côtés en même temps. Ils combattent ensemble jusqu'à ce que la victoire se déclare pour eux, ou que perdant toute espérance, ils s'enfuient. Il faut les attaquer d'abord avec les flèches; parce que leurs archers à cheval, Éthiopiens et autres, qu'ils placent en avant, étant nus, sont facilement blessés, et prennent aussitôt, la fuite. Ils craignent aussi beaucoup la perte de leurs chevaux, qui sont leur sauvegarde. S'ils connaissent que les flèches sont empoisonnées, ils ne tiennent pas un moment et tournent le dos.

Les Sarrasins sont moins avides de gloire que de butin. Comme ils ne sont pas cultivateurs, il faut que les pauvres cherchent à vivre de leur épée. Ceux qui habitent la Cilicie, étant la plupart fantassins, s'exercent à combattre sur terre et sur mer, dans des vaisseaux appelés cumbaria. Quand ils ne font point de courses par terre, ils montent leurs navires, et viennent infester toutes les côtes où ils débarquent pour ravager le pays. Si l'on peut remporter sur eux une victoire, on en est délivré pour longtemps. Cela intimide ceux qui sont restés chez eux, et leur fait craindre de se hasarder à de nouvelles expéditions.

Il faut avoir des espions et des surveillants, attentifs à leurs démarches, pour régler sur elles vos préparatifs, afin de vous opposer à leurs entreprises. Si vous êtes avertis qu'ils s'embarquent pour une course de mer, vous ferez marcher l'armée de terre pour entrer dans leur pays; si au contraire ils viennent par terre, le chef de notre armée navale ira faire une descente sur les côtes de Tharse et d'Adonis. Les peuples de la Cilicie ne sont pas assez nombreux pour faire la guerre en même temps par terre et par mer.

Si vous voulez les attaquer sur l'un et l'autre élément, votre armée navale côtoiera celle de terre, qui entrera chez eux en passant le Mont Taurus, comme a fait l'empereur Basile, mon père.

Si nous sommes en guerre contre ceux de la Mésopotamie et de la Syrie, vous suivrez les maximes d'un de nos généraux, qui, un peu auparavant, les battit, et leur enleva la ville de Théodosie. Comme les chevaux des Romains ne sont point faits à l'aspect des chameaux, ni au son des cymbales et des tymbales, on aura soin de les y exercer souvent pour les y habituer.

Je vais rappeler en raccourci, ce que j'ai dit ci-devant sur les armes et les armures, les exercices, la disposition des armées, et autres parties de la tactique. J'y ajoute certaines dispositions que j'ai inventées, et dont on peut faire usage contre les Sarrasins. Ces peuples, voisins de notre empire, comme autrefois les Perses, ne sont pas des ennemis moins redoutables et moins incommodes à nos sujets.

Vous formerez votre ordre de bataille de quatre mille hommes choisis : la première ligne sera de 1.500, divisée en trois parties égales. Il ne restera de l'une à l'autre qu'un petit intervalle pour les distinguer. La deuxième ligne sera de mille hommes, divisée en quatre parties chacune de 250. On les placera de sorte qu'il reste entre elles de grands intervalles, afin que si la première ligne recule, elle se retire dans ces vides, et ne fasse plus avec la seconde qu'une seule bataille : car ces quatre parties forment trois intervalles, qui reçoivent chacun une des parties de la première ligne. Après, vous placerez les tergistites, qui seront 500 divisés en deux corps égaux, et placés derrière les pointes de la seconde ligne, comme si c'était une troisième, de manière qu'ils soient prêts d'assister la seconde qui aura reçu la première. Ces trois lignes séparées pour l'usage, mais qui sont comme réunies par leur proximité, doivent se soutenir mutuellement. Vous placerez ensuite les corps des ailes, chacun de 200 hommes, savoir, celui de la droite pour tourner les ennemis, et celui de la gauche pour garder le flanc contre leurs mouvements. Vous mettrez de chaque côté, à une certaine distance du flanc, 200 hommes en embuscade, pour se jeter brusquement sur Ies: flancs, ou le derrière de l'ennemi. Dans les trois espaces vides de la seconde ligne, vous placerez, cent ou cent cinquante hommes, pour qu'ils paraissent remplis ; s'il est nécessaire, ils se retireront pour faire place à la première ligne, et se réunissant en escadron formeront encore une petite réserve. Ce qui restera servira d'escorte au général, et l'accompagnera partout pour secourir telle partie qui en aurait besoin.

Vous diviserez ensuite la première ligne en cette manière. Vous en choisirez la troisième partie, composée de bons et braves cavaliers, dont on fera les coureurs ; le reste servira de défenseurs. S'il arrivait que les coureurs, s'étant retirés vers les défenseurs, et qu'étant joints ensemble, ils ne fussent pas en état de résister à l'ennemi, alors la seconde ligne viendrait à leur secours : ainsi nos trois lignes, s'assistant l'une l'autre, doivent vaincre facilement une seule des ennemis. Car si la première est repoussée, ils trouvent la seconde qui est ferme et en bon ordre ; au lieu que ceux qui n'en ont qu'une manquent de ressource quand elle est battue.

Vous aurez attention qu'il y ait toujours deux hommes d'élite, l'un à la tête, l'autre à la queue de chaque file ; faisant vos files de dix, avec le nombre que j'ai supposé, chaque partie de votre première ligne aura cinquante files ou décuries. Chaque partie de la seconde en aura vingt-cinq. Le corps des flancs, ainsi que celui des cornistites, en aura vingt ; les insidiateurs autant. Il faut se souvenir que toutes les parties de l’armée, excepté les coureurs, doivent toujours être rangées en ordre, et garder leurs files et leurs rangs. A l'égard des insidiateurs, on les formera comme les lieux et les circonstances le demanderont, soit en escadron ou en masse.

Vous établirez pour officiers : deux turmarques, quatre drongaires, vingt comtes et quarante centurions qu'on choisira dans les susdits quatre mille hommes, qui doivent être tous gens de cœur et bien armés. Ce que vous aurez de milices au-delà de ce nombre, vous en ferez la répartition et l'usage que vous jugerez le plus convenable. J'ai supposé que l'armée était d'une force égale ou inférieure; mais si elle était plus nombreuse, vous doubleriez cette quantité de quatre mille, ou vous la tripleriez en conservant le même ordre et les mêmes proportions dans ses différentes divisions. Au cas que vous ayez assez de monde pour faire ainsi trois corps de quatre mille hommes chacun, si l'ennemi est très faible, vous pourrez le combattre en formant votre armée sur trois lignés qui seront d'égale force. S'il résiste à la première, la seconde s'étendra pour le prendre à dos, et si l'on a besoin de la troisième, elle lui gagnera les flancs. Mais si l'ennemi est puissant et nombreux, vous séparerez vos trois corps, qui se rangeront chacun sur deux lignes avec leur réserve, comme je l'ai dit ; au cas qu'il soit nécessaire, on fera marcher les autres préfets de l'Orient avec leurs milices : on y fera de même un triage des meilleurs hommes, pour en composer un ou plusieurs corps de quatre mille; il sera possible d'avoir ainsi jusqu'à 32.000 hommes. Je donne cette méthode à cause de la négligence qu'il y a eu sur les exercices; et du peu de soldats formés que nous avons à présent.

J'ai voulu vous exposer toutes ces choses, qui ne vous seront peut-être pas nouvelles, mais, comme je l'ai déjà dit, ayant fait un choix de ce que j'ai trouvé de meilleur dans les écrits des anciens auteurs militaires, je l'ai recueilli ici très soigneusement pour vous servir de préceptes,

Il ne m'a pas été possible de renfermer dans ce livre tout ce qu'il y aurait en à dire. En lisant et méditant ce qu'il contient, votre esprit suppliera à ce que j'ai omis, et vos lumières, avec l'aide de Dieu, vous suggéreront d'autres idées qui pourront être encore plus utiles.

INSTITUTION XIX.

Des Combats sur Mer.

Il nous reste à parler des combats de mer, sur quoi nous ne voyons rien d'écrit par les anciens tacticiens. Ce qui s'en trouve, dispersé çà et là, est à présent d'un médiocre usage. Les connaissances que nous avons viennent de nos généraux, qui se les sont transmises les uns aux autres. Je vous expliquerai en peu de mots ce que j'ai appris touchant la conduite des trirèmes, appelées à présent dromones.

Premièrement, il faut vous mettre au fait du pilotage et de la conduite des navires, apprendre à connaître les différents aires de vents, les mouvements et les divers aspects des astres, les révolutions du soleil et de la lune qui influent sur les changements des saisons, et à prévoir les variations des temps. Il est nécessaire d'être instruit dans toutes ces choses, pour se garantir des tempêtes et des accidents de la mer.

Il faut que vos galères soient d'une bonne construction, et propres pour le combat. Elles ne doivent être ni trop épaisses et fortes de bois, ce qui les rendrait pesantes et difficiles à manœuvrer, ni trop minces de bordage, ce qui les rendrait faibles, et les exposerait à être brisées par le choc des vaisseaux ennemis. On leur donnera de telles proportions qu'elles soient en même temps promptes à la course, assez solides pouf soutenir la mer, et assez fortes pour résister au choc dans le combat.

Il faut tenir prêts les agrès et tout ce qui est nécessaire à l'équipement des dromones. Il est à propos que plusieurs fournitures soient doubles, comme les ancres, les rames avec leurs scalmes, les voiles et les cordages de toute espèce. On doit faire aussi provision de certains bois courbes, de madriers, de solives, d'étoupes, de poix-résine, de clous, et de tous les outils propres à la construction ou au radoub, comme scies, tarières, haches, et autres semblables.

Vous mettrez sur le devant de la proue un siphon couvert d'airain pour lancer des feux sur les ennemis. Au dessus du siphon, on fera une plateforme de charpente entourée d'un parapet et de madriers. On y placera des soldats pour combattre et lancer de là des traits.

On élève aussi dans les grandes dromones des châteaux de bois sur le milieu du pont. Les soldats qu'on y met jettent dans les vaisseaux ennemis de grosses pierres, ou des masses de fer pointues, par la chute desquelles ils brisent le navire ou écrasent ceux qui se trouvent dessous ; ou bien ils jettent des feux pour le brûler. Chaque dromone doit être oblongue, d'une largeur proportionnée à sa longueur, avec deux rangs de rames, l'un en haut, l'autre en bas.

A chaque rang, il y aura pour le moins vingt-cinq bancs pour asseoir les rameurs, savoir : vingt-cinq en bas et vingt-cinq en haut, et sur chacun, il y aura deux rameurs, l'un à droite, l'autre à gauche, ce qui fera en tout cent hommes, rameurs ou soldats. Chaque galère aura son préfet, un lieutenant, un porte flamme et deux pilotes pour gouverner. Les deux derniers rameurs du côté de la proue seront destinés, l'un pour être pompier, l'autre pour jeter l'ancre. Le pilote qui gouvernera la proue doit être assis dans l'endroit le plus élevé, et bien couvert d'armes défensives. Le siège du préfet sera vers la poupe, dans un lieu où il soit isolé et à l'abri des traits, d'où il puisse tout voir, pour donner ses ordres et faire manœuvrer.

On pourra faire des dromones plus grandes, qui contiennent jusqu'à deux cents hommes, même plus s'il est nécessaire. Cinquante seront pour les bancs d'en bas, et cent cinquante pour les bancs d'en haut, qui seront tous armés pour combattre.

On construira des bâtiments plus petits, à un seul rang de rames, qu'on nomme galiotes, qui soient très légers à la course; on s'en servira pour faire la garde, la découverte, et pour toutes les expéditions où il faut de la célérité.

Il n'est pas facile de déterminer le nombre des vaisseaux ni celui des hommes qu'on mettra dessus ; cela dépendra des circonstances où l'on se trouvera. C'est à vous d'être bien informé du nombre et de la force des ennemis, pour régler là-dessus les préparatifs de votre armement. Le grand nombre de vaisseaux ne vous servira de rien, si les équipages sont mauvais et composés de gens lâches, quand même vous n'auriez à combattre que peu d'ennemis,

Il faut avoir moins égard au nombre qu'à la force et à la valeur. Combien de mal quelques loups ne font-ils pas à un grand troupeau!

Vous devez avoir des navires de charge pour porter non seulement les bagages et les vivres de la flotte, mais aussi des provisions d'armes, comme des arcs, des flèches, des traits, et généralement tout ce qu'il faut pour la guerre. A mesure que les soldats qui sont sur les dromones manqueront de quelque chose, on la leur fournira. On portera aussi des mangonneaux et d'autres machines de cette espèce pour s'en servir dans le besoin, et afin qu'on ne reçoive pas d'échec faute de cette précaution.

Les rameurs des bancs supérieurs, et tous ceux qui sont avec le préfet, doivent être armés de pied en cap, de boucliers, de casques, de cuirasses, de brassards, de cuissards, sinon derrière, du moins devant, pour n'être pas découverts dans les combats de main. Ils combattront avec des piques, des javelots et des épées. Ceux qui n'auront point d'armures de fer en feront de cordes de nerfs tissues et appliquées sur un double cuir. Ceux-là se tiendront derrière les cataphractaires, d'où ils tireront des flèches et jetteront des pierres à la main, qu'on nomme cailloux, ce qui est une très bonne arme.

Il ne faut pas cependant qu'ils épuisent leurs forces à en jeter une trop grande quantité, parce que les Barbares, qui s'en garantissent en croisant leurs boucliers, lorsqu'ils les voient finis, attaquent avec leurs épées et leurs longues piques, de sorte qu'ils viennent aisément à bout de gens qu'ils trouvent fatigués. C'est ainsi qu'en usent les Sarrasins, qui soutiennent toujours le premier choc. Il faut donc se modérer dans le nombre des traits qu'on veut lancer, afin de ménager les forces du soldat pour tout le temps du combat.

Vous choisirez vos soldats robustes, et de bonne volonté, surtout ceux qui seront sur la partie d'en haut, et qui doivent en venir aux mains avec l'ennemi. Si vous en avez de faibles et de peu de valeur, vous les laisserez en bas. On en tirera aussi de cette partie pour remplacer ceux qui seraient blessés sur le haut.

Vous devez connaître la vigueur, la capacité et le degré de courage de chaque soldat, comme un chasseur connaît la valeur de chacun de ses chiens, et sa propriété, pour en faire l'usage qui lui convient le mieux.

Vous pourvoirez à ce qu'on ne manque point de subsistance, afin de prévenir les séditions, et d'empêcher que la disette ne porte les soldats à se débander et à vexer nos sujets. Vous en prendrez sur le pays ennemi autant qu'il sera possible. Il sera défendu à tous les chefs de faire aucune injustice aux soldats, ni d'en recevoir aucuns présents, même de ceux qui sont en usage. Il est inutile de vous recommander la même chose, et de maintenir une exacte discipline.

Avant de vous mettre en mer, vous demanderez la protection du ciel par des prières ; vous encouragerez tout le monde, et vous exhorterez séparément les chefs à bien faire leur devoir; après quoi, le vent étant favorable vous pourrez partir.  

Vos galères ne vogueront point au hasard; mais vous les diviserez par escadres de trois ou cinq, sur chacune desquelles vous établirez un chef; appelé comte, qui la commandera et recevra les ordres directement de vous. Voilà ce qui doit s'observer dans une flotte royale. Quant aux vaisseaux des provinces, chaque gouverneur commande ceux de son thema, et il a sous lui ses drongaires et turmarques. Ces officiers s'appelaient de même autrefois dans la flotte du thema impérial, comme dans celles des provinces; mais le terme drongaire, est affecté maintenant à la charge de général de la mer.

Vous exercerez séparément chaque soldat de marine, et de même chaque galère, pour s'attaquer mutuellement. Les soldats se serviront des épées et des boucliers. Vous rangerez ensuite toutes les galères en deux escadres, qui tantôt unies, tantôt séparées, exécuteront toutes les manœuvres qui se font contre les ennemis. On s'y servira de longues perches ferrées pour écarter les vaisseaux, et les empêcher de se rompre en se choquant: enfin vous leur apprendrez tous les mouvements que vous jugerez à propos d'employer, et vous les formerez de sorte, que le jour du combat vos gens ne soient point étonnés du bruit, ni des cris des ennemis; qu'ils ne se troublent point, et ne fassent pas de fausses manœuvres.

La flotte étant ainsi exercée et ordonnée, les galères vogueront à quelque distance l'une de l'autre, pour ne pas s'embarrasser et se heurter, lorsque le vent se renforce et que la mer devient grosse. Elles se tiendront aussi en bon ordre dans une rade, afin d'aborder sans confusion.

Si vous campez sur un rivage qui soit de notre pays, et où il n'y ait point d'ennemis à craindre, vous veillerez à ce que les soldats ne fassent aucun tort aux habitants : mais quand vous aborderez sur une côte ennemie, vous établirez des gardes sur terre et sur mer, et vous serez toujours prêt à combattre. Il faut redoubler de vigilance à mesure qu'on court plus de dangers : car si les ennemis vous savent débarqués, ils tâcheront de nuit ou de jour à brûler vos navires.

Je crois en avoir assez dit sur ces objets : vous suppléerez d'ailleurs à ce que j'ai omis. Je vais à présent vous expliquer la manière de se ranger en bataille, ainsi que je l'ai fait pour les combats de terre.

Comme la fortune a ses moments, et que les événements de la guerre sont incertains, il faut tâcher de vaincre par quelque stratagème, ou quelque surprise, et ne pas vous engager à une bataille rangée sans une extrême nécessité. C'est pourquoi vous prendrez garde de ne pas vous approcher si près des ennemis que vous ne puissiez plus éviter le combat, à moins que vous n'eussiez une grande confiance dans le nombre et la force de vos galères, et dans le courage de vos soldats. Mais par dessus tout il faut attirer sur vos armes la protection divine par une vie exemplaire, par votre intégrité, votre tempérance, votre humanité envers les prisonniers, et votre attention à ne souffrir aucun désordre dans l'armée.

Il y a diverses méthodes de se former, selon les circonstances. Si votre supériorité vous détermine à donner bataille, évitez que ce soit près de votre pays, où, selon l'ancien proverbe, « le soldat croit être en sûreté, s'il peut y planter sa pique. » Il vaut mieux que ce soit sur les côtes de l'ennemi, parce que celui-ci, se voyant un asile assuré, montrera moins de fermeté et de résolution. Il y a bien peu de gens, Romains ou Barbares, qui combattent par un sentiment d'honneur, et veulent préférer la mort à une fuite honteuse.

Avant le jour du combat, vous assemblerez vos préfets pour délibérer avec eux, et vous suivrez ce qui sera jugé de meilleur à la pluralité des voix. S'il arrive quelque chose qui vous oblige à changer vos premières résolutions, vous avertirez toutes les galères par un signal qui se fera sur la vôtre, et qui indiquera votre intention.

Votre galère étant comme la tête de toute l'armée, doit être distinguée des autres par sa grandeur, sa force, et montée de soldats d'élite. Elle sera construite sur le modèle de celles qu'on nomme Pamphyle. Pareillement vos chefs d'escadres choisiront dans les dromones qu'ils commandent, les meilleurs hommes pour former leurs équipages. Tous auront continuellement l'œil sur la capitane, pour se régler sur elle, et voir s'il n'en part pas de nouveaux ordres.

On se servira pour les signaux d'une flamme, d'un drapeau, ou autre chose élevée et assez visible, qui puisse désigner tout ce que vous voudrez faire entendre, soit pour attaquer ou faire retraite, tourner l'ennemi ou lui tendre un piège, courir au secours d'une partie en danger, faire force de rames, ou voguer plus lentement.

On ne peut se servir sur mer de la voix, ni de la buccine, parce que le bruit des flots et des rames, les cris des combattants, la mêlée et le choc des vaisseaux empêcheraient de les entendre. Chaque ordre doit être indiqué par un signal particulier dont on convient d'avance. Ou l'on tient le drapeau droit, ou on l'incline à droite, à gauche; ou bien on l'agite, on l'élève, on l'abaisse, on le supprime, ou l'on en met un autre d'une figure différente, ou l'on change seulement sa couleur, comme on avait coutume de faire autrefois. Celui du combat était rouge, élevé sur une longue pique. Vous devez être exercé dans la connaissance des différents signaux, ainsi que vos comtes et vos préfets, afin que personne ne se trompe, et que chacun comprenne bien les ordres que vous donnerez, ce qui est de la dernière importance.

Lorsque l'espérance bien fondée de la victoire vous aura fait prendre la résolution de combattre, ce sera le temps, le lieu et la disposition des ennemis qui vous détermineront sur le choix de l'ordre de bataille, et qui décideront de vos manœuvres; on ne peut donner là-dessus que des règles générales.

Vous pouvez ranger votre flotte en croissant, les galères placées deçà et delà, s'avançant comme deux cornes ou deux mains. Vous observerez de placer les meilleures et les mieux, armées surtout aux pointes. La capitane sera dans le fond du concave, d'où vous pourrez tout voir aisément et donner vos ordres. Cette disposition semi-circulaire est la plus propre pour envelopper l'ennemi. Elle a encore beaucoup d’avantages pour la retraite, comme nous l'ont appris quelques anciens qui se sont servis de cette méthode.

Votre armée étant en présence de celle de l'ennemi, vous la mettrez en croissant, si vous faites retirer vos galères du centre, et successivement les autres pour former renfoncement. Cette manœuvre, qui aura l'air d'une fuite, ne sera cependant que pour combattre avec plus d'avantage, car vos galères seront toutes prêtes à revirer sur l'ennemi s'il vous suit et se jette dans le concave, ce qu'il n'osera faire crainte d'être enveloppé.

Vous pouvez aussi vous ranger en ligne droite. Par cette disposition, vous porterez la proue sur l'ennemi, pour brûler ses vaisseaux par les feux qu'y jetteront les siphons. On se forme ensuite sur deux ou trois lignes, selon le nombre des vaisseaux que l'on a. Lorsque la première est engagée et ses galères aux prises avec celles de l'ennemi, l'autre se coule à droite et à gauche pour se jeter sur les flancs ou sur les derrières, de sorte que les ennemis ne peuvent soutenir cette nouvelle attaque.

Une autre méthode est de faire paraître peu de vaisseaux, Les ennemis répandus sur la mer, voyant ce petit nombre, viendront fondre sur eux; alors les autres paraîtront et jetteront le trouble dans toute leur flotte.

Vous pourrez encore faire avancer vos galères les plus légères et les plus vites à la course. Celles-ci, ayant entamé le combat, feront semblant de fuir, et attireront les galères ennemies qui les suivront à force de rames. Alors les autres, qui seront fraîches, arriveront sur elles et les attaquant inopinément, doivent s'en emparer; ou bien laissant passer les plus fortes et les meilleures, elles se jetteront sur les dernières, qui doivent être les plus mal équipées. Lorsque les ennemis, pleins de confiance, poursuivent avec ardeur, ils rompent leur ordonnance, se dispersent, et se trouvent souvent très séparés les lins des autres. Vous pourrez, dans ce cas, attaquer une partie de leurs galères, en mettant deux ou trois des vôtres contre une des leurs ; vous les enlèverez ainsi sans beaucoup de peine avant qu'elles puissent être secourues. Quand on à une flotte plus nombreuse que celle de l'ennemi, on en tient une bonne partie en réserve, on fait durer le combat jusqu'à la nuit, et lorsque les ennemis sont bien fatigués, on lâche sur eux les galères toutes fraîches qui n'ont pas combattu, et auxquelles ils n'ont plus la force de résister.

Le temps le plus favorable pour attaquer une flotte est lorsqu'elle a été battue d'une forte tempête ; on trouvé ses vaisseaux désagréés et les équipages fatigués. S'ils sont à terre, on peut aller brûler les navires pendant la nuit. Un général habile est attentif à profiter de toutes les circonstances qui peuvent l'aider, Comme elles sont infinies, on ne saurait les exposer dans un traité; il faut prier la Providence de nous éclairer sur tous les incidents, et les moyens les plus efficaces que la fortune peut nous présenter.

Nous tenons, tant des anciens que des modernes, divers expédients pour détruire les vaisseaux ennemis, ou nuire aux équipages. Tels sont ces feux préparés dans des siphons, d'où ils partent avec un bruit de tonnerre et une fumée enflammée qui va brûler les vaisseaux sur lesquels on les envoie.

On place à, la proue, à la poupe, à bâbord et tribord, des archers qui jettent de petites flèches appelées mouches.

On s’est servi de pots de terre dans lesquels on enfermait des bêtes venimeuses comme des serpents, des vipères, des scorpions. Ces pots jetés dans les vaisseaux, venant à se briser, ces animaux répandus mordaient tous ceux qu'ils rencontraient.

On peut jeter aussi des vases pleins de chaux vive. Le vase se brisant, la chaux se dissipe en poussière et suffoque ceux qui sont sur le pont. Les chausse-trappes de fer, jetées en grand nombre dans un vaisseau, sont aussi très incommodes.

Il faut préparer surtout des vases pleins de matière enflammée, qui se brisant par leur chute, doivent mettre le feu au vaisseau. On se servira aussi de petits siphons à la main que les soldats portent derrière leurs boucliers, et que nous faisons fabriquer nous-mêmes : ils renferment un feu préparé qu'on lance aux visages des ennemis.

On emploie encore des grandes chausse-trappes, où bien des sphères de bois garnies de pointes de fer. On les entoure de goudron et de toiles soufrées, et après y avoir mis le feu, on les jette dans les vaisseaux où elles portent l'incendie. Les ennemis ne peuvent les éteindre aisément : les uns se brûlent les pieds, d'autres les mains; et ceux qui en sont occupés diminuent le nombre des combattants.

On peut avoir des grues, ou autres machines semblables tournant sur un pivot. On élève avec elles de grosses masses, qu'on fait tomber sur le vaisseau auquel on est accroché. On jette aussi avec un mangonneau, de la poix liquide et brûlante, ou quelque autre matière préparée.

Une des meilleures manœuvres qu'on puisse faire, c'est de joindre une de ses galères côte à côte d’une de l'ennemi, comme lorsqu'on veut en venir à l'abordage. Alors une autre vient la choquer de l'éperon par le flanc découvert, et lui donner une grande secousse, tandis que la première l'attire à elle. Celle-ci doit se dégager un peu, pour ne pas lui servir d'appui, surtout vers la poupe. Par ce moyen on la brisera et on la submergera avec tout l'équipage. J'imagine qu'il serait bon que des bancs de rames qui sont en bas, passassent de longues piques par les sabords pour tuer les ennemis. Il serait encore à propos de trouver des moyens pour faire entrer l'eau par cet endroit dans la galère ennemie.

Il y a plusieurs autres moyens qui ont été donnés par les anciens, sans compter ceux qu'on peut imaginer et qu'il serait trop long de rapporter ici. Il y en a même tels qu'il est à propos de ne pas divulguer, de peur que les ennemis, venant à les connaître ne prennent des précautions pour s'en garantir, et ne s'en servent eux-mêmes contre nous. Il faudra que votre flotte soit du moins égale en nombre de vaisseaux à celle des ennemis, et supérieure s'il est possible. Car lorsqu'on en vient aux mains, celui qui a le plus de galères, pouvant en mettre deux contre une dans quelque partie, il est naturel qu'il y ait l'avantage, et qu'il le remporte successivement dans toutes les autres.

Cependant si vous savez que les galères de l'ennemi soient fournies de beaucoup de combattants, vous égalerez le nombre de vos dromones au sien, et vous renforcerez leurs équipages des meilleurs hommes que vous prendrez: sur les autres, en les portant comme je l'ai dit jusqu'à deux cents hommes ; afin que les surpassant par le nombre, la force et le courage, vous puissiez avec l'aide de Dieu vous assurer la victoire.

Il faut avoir des dromones plus petites que les autres et plus promptes à la course, pour prendre celles des ennemis qui fuient, et afin de les éviter si elles en sont poursuivies. On les aura sous la main, pour les lâcher sitôt qu'il en sera besoin.

On aura donc de grandes et de petites dromones, pour les employer selon les dispositions des ennemis. Ni les Sarrasins ni les Scythes septentrionaux, n'ont pas la même méthode ; les premiers se servent de grands bâtiments pesants et tardifs à la course. Les Scythes en ont de plus petits et plus légers, avec lesquels ils descendent les fleuves pour entrer dans le Pont-Euxin ; c'est pourquoi ils ne les font pas plus forts.

On se pourvoira encore de petits bâtiments qui ne sont point armés en guerre et qui servent seulement pour les gardes, pour porter les nouvelles, et à d'autres usages semblables; sans dompter les dromomes à un seul rang de rames qui doivent être armées à tout événement.

Après que les ennemis se seront dissipés, vous distribuerez les dépouilles avec équité à vos soldats, et vous ferez préparer des banquets pour les régaler. Vous louerez, caresserez et récompenser et par des dons et des honneurs ceux qui se seront distingués, et vous punirez ceux qui auront mal fait. Quant à vous qui devez donner tout votre temps à l'administration de l'armée, vous montrer appliqué, courageux, prompt, industrieux, dans une situation d'âme et d'esprit toujours ferme, toujours tranquille dans les affaires et dans les dangers, soyez assuré d'obtenir de Dieu une récompense éternelle, puisque vous aurez combattu pour la vraie religion, et de nous les bienfaits et les honneurs que vous aurez mérités.

INSTITUTION XX.

Recueil de diverses maximes et sentences.

Après les institutions que je viens de vous donner, vous ferez attention aux maximes suivantes que j'ai tirées de plusieurs auteurs anciens, et que je rapporte à cause de leur brièveté. Ce sera un moyen de plus pour vous perfectionner dans la science des armes, selon le proverbe de Salomon : « Celui qui a déjà de la sagesse, profite de l'occasion d'en acquérir davantage. »

Vous devez partager en toute occasion les travaux et les fatigues de la guerre avec ceux que vous commandez, et encourager tout le monde par votre présence, vos discours et vos soins.

Si la disette est dans l'armée, vous retrancherez la dépense de votre table, et vous montrerez l'exemple de la frugalité ; vos mœurs doivent être un modèle pour les autres.

Il faut agir en père à l'égard de vos soldats, mettre dans vos discours et vos actions un air affable et bon, à moins que la nécessité ne vous force à être sévère. Il faut être juste et modéré dans les châtiments, les infliger sans colère, de peur qu'elle ne vous porte à la cruauté, ce qui révolterait les esprits : mais aussi soyez inflexible quand le cas l'exige. Arrêtez les séditions dans leur principe, de peur qu'elles n'augmentent et que le mal ne devienne sans remède. Ayez soin que votre armée ne manque pas du nécessaire, sans cela vous ne pourrez jamais maintenir la discipline.

Délibérez avec circonspection, et ne suspendez pas l'exécution de ce qui sera résolu, par la crainte de quelques inconvénients qui vous viendraient dans l'esprit. Une prudence trop raffinée est nuisible.

Vous ne communiquerez vos desseins qu'à peu de personnes des plus discrètes, et vous répandrez des bruits contraires. Les ennemis qui en seront in formés par leurs espions ou vos transfuges, prendront de fausses mesures s'ils y ajoutent foi. S'ils ne les croient point, ils se négligeront et vous pourrez les surprendre en exécutant ce qui n'était d'abord qu'une feinte de votre part.

Une âme ferme est toujours égale dans la bonne et la mauvaise fortune. Elle prend conseil du temps sans s'enorgueillir des bons succès, et sans se laisser abattre par les revers. Celui qui se livre à une joie immodérée est facilement accablé par la douleur.

Il ne serait pas sûr de vous servir toujours des mêmes manoeuvres et des mêmes ruses, quoiqu’elles vous aient réussi. L’ennemi qui vous en verrait prendre l’habitude, ne manquerait pas de s'en prévaloir, pour vous tendre un piège où vous donneriez. Une conduite uniforme est bientôt connue: celui fui varie son embarasse son adversaire et le tient toujours dans l’incertitude.

S'il arrive quelque chose de fâcheux, gardez-vous de le laisser connaître. Il est de la prudence du chef de cacher aux soldats ce qui peut leur abattre le courage.

Si vous soupçonnez quelqu'un de votre armée de donner des avis à l’ennemi,marquez-lui de la confiance, et dites-lui le contraire de ce que vous méditez; c'est un moyen sûr d’en tirer parti.

Si vous savez que vos desseins sont connus de l’ennemi, il faut vous en désister ou prendre d'autres mesures, ou les changer entièrement

Il ne serait pas beau d'éviter le combat sur quelque bruit d'embûches ou de conspirations, soit qu'il vienne des vôtres ou des ennemis. Il ne faut pas non plus le mépriser ; mais sans rien changer à vos résolutions, vous prendrez les meilleures précautions pour vous garantir de ce qui se serait tramé contre vous

Si à la veille d'une action, vous pouvez persuader à vos troupes que les ennemis ont été vaincus ailleurs, vous ranimerez les plus timides. C'est un excellent augure que le nom de la victoire.

Si votre armée a été battue, n'accablez point de reproches ni de paroles injurieuses des gens qui sont assez malheureux d'avoir été vaincus. Rien n'est à mon avis plus nuisible, parce qu'on achève de les décourager. Il faut au contraire les consoler et les ranimer en leur donnant de bonnes espérances.

Si dans le cours de vos opérations il arrive quelque sédition, quelquefois il est bon de dissimuler, et d'attendre la fin de votre entreprise pour en punir les auteurs.

Vous effrayerez beaucoup l'ennemi si, après un combat, vous pouvez enterrer vos morts et laisser les siens, sur le champ de bataille, d'où vous vous éloignerez ensuite. Pour le faire avec sûreté, vous allumerez des feux d'un côté, et vous ferez votre retraite d'un autre;

Pour rendre suspects les principaux habitants d'un pays et y semer la discorde, il faut, en y faisant le dégât, épargner leurs terres, et leur donner des marques d'égard par lettres ou autrement. Vous renverrez des prisonniers chargés de commissions sécrètes auprès d'eux. Si vous faites cela plusieurs fois, quoique ce ne soit qu'une feinte de votre part, on ne laissera pas de les soupçonner d'intelligence avec vous.

Vous rendrez vos déserteurs suspects, si vous leur faites tenir des lettres par lesquelles il paraisse que vous les engagez d'entreprendre quelque trahison contre l'ennemi, dont vous marquerez le temps et d'autres détails. Ces lettres étant surprises, on les tiendra renfermés, ou s'ils les montrent eux-mêmes, on se méfiera toujours de leur fidélité.

Quand vous assiégez une place, vous pouvez gagner les assiégés en faisant jeter des lettres attachées à des flèches, par lesquelles vous promettez la conservation de leurs biens et de leur liberté, s'ils veulent se fendre : on fait encore dire la même chose par des prisonniers qu'on renvoie.

Ne vous laissez pas gagner aux belles paroles de l'ennemi, ni tromper par sa retraite. Pensez toujours qu'il imagine, tous les moyens possibles de vous nuire, et que ses démarches peuvent couvrir des pièges dangereux.

Tous les lieux propres à des embuscades doivent vous être suspects; ne vous engagez pas légèrement à suivre par là les ennemis,

Souvent dans sa fuite l'ennemi peut vous dresser des embûches. Si vous le poursuivez sans précaution et que vos soldats soient débandés, il peut se rallier et vous arracher la victoire.

A la veille d'une action, si vous ordonnez que tous les infirmes, les valétudinaires, ou ceux qui ont de mauvais chevaux soient séparés, tous les lâches feront semblant d'être malades ou qu'il manque quelque chose à leurs chevaux. Vous les connaîtrez de cette manière et les enverrez dans quelques châteaux, ou bien vous, les laisserez pour la garde du camp.

Il ne faut pas former des entreprises périlleuses sans nécessité, et sans qu'il vous en revienne une grande utilité. Ceux qui se jettent dans le péril sans raison, ressemblent à des gens éblouis par la couleur de l'or, qui n'en désireraient que pour jouir de son brillant.

Le temps de la guerre n'est pas celui du repos. Avant que la paix ne soit affermie, il n'est aucun moment où l'on puisse se négliger. Veillez donc attentivement à toutes les démarches de l’ennemi. Eventez toutes ses ruses et ses projets, quand le mal est arrivé il n'est plus, temps de se repentir.

Dans toutes les occasions de la vie soyez franc et sincère: c'est à la guerre seule que je vous demande de la ruse et de la finesse.

Les suspensions d’armes ou les traités que vous pouvez faire ne doivent pas vous porter à la négligence. Il faut au contraire redoubler de vigilance et vous garder avec soin. Si vous n'êtes pas capable de manquer à vos engagements, l’ennemi peut-être perfide. Il est honteux à un général de dire : Je ne l’aurais pas cru

Quoique vous sentiez votre supériorité sur l’ennemi, vous ne devez jamais maltraiter ses ambassadeurs. Ce sont des gens qui se lirent entre vos mains sous la caution de la foi publique et du droit des gens, qui est inviolable. Autrement, personne à l’avenir ne voudrait se fier à vous.

Méfiez-vous des transfuges ennemis qui sont souvent envoyés exprès, surtout ceux qui se jettent dans une place assiégée. Ce peut être dans le dessein de mettre le feu en plusieurs endroits. Pendant qu'on sera occupé à l’éteindre, l’ennemi profitera de ce moment pour  s’en emparer plus aisément.

Ne mettez pas une telle confiance dans vos retranchements ou dans l'assiette de votre camp, que vous vous négligiez sur le reste. Dieu est votre première sauvegarde ; après lui le meilleur appui n'est pas dans les remparts, mais dans vos armes.

Vous ordonnerez à vos soldats qu'ils soient prêts à combattre en tous temps, de nuit et de jour, par un beau temps ou pendant la pluie. Il n'est aucun moment où l'on puisse dire : je n'ai rien à craindre.

Quand vous n'êtes point occupé à quelque opération, ne lassez pas vos soldats dans l'oisiveté ; elle est la source des troubles et des séditions. Un général avisé tient toujours ses troupes en haleine, en les occupant par des exercices ou des travaux. Cela entretient et augmente même leur vigueur, au lieu que la fainéantise les énerve.

On est bien autrement sûr de réussir avec des soldats instruits et robustes qu'avec une multitude de gens sans vertu.

La nature forme peu d'hommes braves et généreux mais l'habileté du général et ses soins peuvent les rendre tels.

Il est avantageux d'avoir une bonne cause à soutenir. Celui qui repousse un agresseur injuste a pour lui le secours du ciel; mais quiconque entreprend une guerre mal fondée, a tout à craindre de la vengeance divine.

Si vous employez des troupes étrangères, il est prudent qu'elles soient en plus petit nombre que les vôtres, surtout si vous défendez votre pays, car si elles sont plus nombreuses, elles peuvent s'en emparer elles-mêmes. Ceux qui vendent leur service pour de l'argent, peuvent se laisser corrompre par une plus grande somme pour se tourner contre vous.

Que le nombre de vos troupes nationales surpasse toujours celui des auxiliaires. Si vous avez beaucoup de celles-ci, qu'elles soient, s'il est possible, de nations différentes.

Ne mêlez pas vos troupes alliées avec les vôtres, surtout si elles sont d'une religion différente; mais qu'elles campent et marchent séparément. Ne confiez pas non plus vos secrets à leurs chefs, de peur qu'ils n'en abusent s'ils devenaient vos ennemis.

Ne vous contentez pas de faire examiner les chemins par les spéculateurs voyez-les vous-même autant que cela sera possible, ainsi que la disposition des ennemis. Vous ne pouvez sans cela prendre des mesures justes sur lesquelles on puisse tabler.

Faites tous vos préparatifs pendant hiver, afin qu'au printemps rien ne vous manque pour entrer en campagne. Dès le commencement de la guerre, il faut adresser des prières à Dieu pour lui demander son assistance, afin qu'il nous garantisse de tomber dans de grands dangers, et qu'il nous inspire ce qu'il faudra faire. Nos bras, n'étant que des instruments qu'il emploie selon sa volonté, ne peuvent agir avec succès que par son aide. Il est le Dieu des combats, et donne la victoire à qui il lui plaît.

Si vous voulez parvenir à une bonne paix, faites de bons préparatifs pour la guerre. Plus vous serez en état de la soutenir et de la pousser avec vigueur, plus vous rendrez vos conditions meilleures et obligerez les ennemis d'accepter celles que vous offrirez.

Délibérez avec plusieurs, résolvez seul ou avec peu, exécutez sans délai.

Alexandre, interrogé comment en si peu d'années il avait terminé tant de choses et si importantes, répondit: « En ne remettant pas au lendemain ce que je pouvais faire le jour même. »

La nuit est le temps le plus propre pour méditer sur les choses importantes ; l'esprit est plus rassis, et n'est point distrait par le tumulte qui règne pendant le jour.

Avant de vous coucher et de vous livrer au sommeil, rappelez-vous ce que vous pourriez avoir omis, et pensez à ce qu'il faudra faire le lendemain.

Les entreprises mûrement délibérées et qui se font à propos ont une bonne issue; mais l'expérience nous apprend que tout ce qui se fait témérairement, avec précipitation, ne réussit point, et cause de grands maux.

Les affaires de la guerre doivent être conduites avec bien de la circonspection. Dans toutes les autres, le mal peut se réparer. Ici il est permanent ; les morts se corrompent et ne reviennent point.

Un bon général est comme un habile athlète, qui emploie à propos la ruse et la force pour vaincre son adversaire. Il doit être préparé à toutes les attaques et les ruses de l'ennemi, et avoir prévu tous les cas, non seulement les plus vraisemblables, mais ceux où il y a quelque possibilité. Ainsi, quoi qu'il arrive, il ne sera point pris au dépourvu.

Lorsque vous aurez commencé la guerre, prescrivez-vous la loi de la conduire jusqu'à la fin. Il serait honteux de venir se reposer chez soi sans l'avoir entièrement terminée. L'ennemi vous mépriserait et croirait que vous n'avez pu faire autrement.

La science de la guerre est noble et d'une grande utilité. Par son moyen on réduit souvent les ennemis sans combattre. Il faut donc l'étudier avec application. On y apprend l'art de dresser des pièges, et quand il faut agir à force ouverte, on y trouve encore des moyens de surprendre l'ennemi par quelque endroit.

Il est beau de vaincre sans rien risquer, en harcelant, en affamant les ennemis. Les téméraires qui réussissent par des coups de la fortune, n'ont que l'admiration du vulgaire. Imitez plutôt ceux qui ne doivent leur succès qu'à leur adresse : ceux-là méritent seuls d'être loués. Assurez toujours vos entreprises le plus que vous pourrez. Si vous avez une fois vaincu la fortune, vous la garderez dans votre parti.

La modestie et la continence sont des qualités nécessaires aux gens de guerre. On ne doit porter à l'armée que ce qui est indispensable ; le luxe amollit et corrompt les mœurs. Rien n'est aussi plus honteux que la débauche; elle énerve le corps et affaiblit les facultés de l'esprit. Ainsi tous les chefs de votre armée doivent être exempts de ces vices, qui rendent incapable de commander.

Si vous êtes éloigné de toute cupidité et d'avidité du gain, vous gagnerez l'estime générale et l'amour de vos soldats. Lorsqu'ils vous aimeront, ils se livreront avec zèle à tous les travaux.

Si vous voulez être considéré et honoré, préférez le bien public à votre avantage particulier. Un bon général n'est pas celui qui fait bien ses affaires, mais qui veille au salut de tous ceux qui sont sous ses ordres. Nous ne le choisissons pas pour qu'il ne pense qu'à lui seul. Un chacun ne prend le parti des armes que pour se rendre meilleur et se perfectionner : l'obéissance aveugle qu'on fend au général est l'effet de la confiance qu'on a en lui.

Scipion ayant été élu général, il supprima toutes les tables, les lits et plusieurs vases dont on se servait à l’armée. Il ne permit aux soldats qu'une marmite, une broche et un gobelet de bois ; aux officiers, un d'argent : il défendit de s'oindre d'huile de senteur; ordonna qu'on dînerait debout avec des mets qui ne fussent pas apprêtés au feu, et qu’au souper on ne mangerait que de la viande bouillie ou rôtie; que chaque tribun n'aurait qu'une petite tente sous laquelle il coucherait: ainsi pendant tout le temps de son généralat, il se rendit illustre par ses victoires. Il n'ajoutait point foi à l’astrologie, aux prédictions, à l'apparition des spectres, aux augures, aux songes, ni aux divinations. Il méprisait toutes les choses par lesquelles on prétendait tirer des connaissances de l'avenir, et qui jettent la terreur dans les esprits, ce dont un général adroit sait les guérir. En l'imitant vous érigerez à votre gloire des trophées immortels.

Quelquefois les soldats tirent de certaines choses un mauvais augure qui les découragent. Il faut alors chercher un moyen de changer leurs pensées et tirer de ces mêmes choses qui les effraient, une raison qui les ranime, et leur redonne l’espérance. Par exemple, s'il venait à tonner et que cela fût pris comme un mauvais signe, on leur dirait que c'est Dieu qui manifeste sa colère contre les ennemis.

C'était autrefois un très fâcheux augure d'éternuer, et si pareille chose arrivait à quelqu’un, les soldats en avaient l’âme abattue. Un général, qui avait remarqué l’effet que cela produisait, dît en plaisantant, après qu'un soldat eût éternué, « je ne m’étonne pas que dans tant de monde il y en ait un qui éternue. » Cela fit rire ceux qui l'entendirent, et tourna le mauvais augure en bon car le rire est le signe de la victoire.

Il y a plusieurs articles semblables qui peuvent être d'un grand secours, si vous, avez l'adresse de prévoir certaines choses et de les prédire, en les donnant comme une marque évidente de la protection du ciel: par exemple, l’apparition d'un astre d’une éclipse, ou quelque phénomène dont le vulgaire ignore les causes; ou bien si vous supposez un songe, par lequel Dieu vous excite à une entreprise. Le soldat, qui la voit approuvée du ciel, en aura plus de courage et de confiance.

Faites attention au jour du mois et de l'année; où nous aurons remporté une victoire; et si vous êtes dans le cas de combattre, choisissez ce jour de préférence; les soldats qui le croiront marqué pour la victoire, en auront meilleure espérance.

L'arc et les flèches sont des armes excellentes et très utiles. Vous aurez soin d'ordonner que dans les forts, châteaux, petites villes et autres lieux exposés aux courses des ennemis, chacun de ceux qui sont en état de se servir d'armes, ait du moins un arc et quarante flèches; qu’ils s’exercent souvent au tir, soit dans la plaine, dans la montagne ou dans des clôtures. Par là les habitants d'un pays pourront se défendre contre les partis de l’ennemi, et les arrêter en se postant sur des rochers, dans des détroits, et aux passages des bois.

Si vous avez une petite armée en comparaison de celle des ennemis, campez-vous dans un lieu étroit suffisant pour votre nombre, et où l’ennemi ne puisse profiter de sa supériorité.

Comme vous devez vous appliquer à connaître les camps des ennemis, leur situation et le nombre des troupes qu'ils contiennent, vous devez aussi empêcher autant que vous pourrez de reconnaître les vôtres.

Si vos troupes marchent serrées elles paraîtront moins nombreuses, la condensation trompant la vue. Si vous voulez en faire paraître plus que vous n'en avez, faites marcher vos soldats écartés les uns des autres, pour qu'ils occupent plus de terrain. Dans le camp, on réunira deux chambrées sous la même tente, et l'on posera les armes auprès, au cas qu'on voulût faire paraître l'armée moindre qu'elle n'est. Si l'on veut le contraire, on divisera une chambrée sous deux ou trois tentes. Par ce dernier stratagème vous empêcherez l’ennemi de vous mépriser; mais comme il peut ne pas rester longtemps dans l'erreur, vous lèverez votre camp pour vous aller poster dans un lieu sûr, jusqu'à ce que vous ayez reçu des renforts.

Faites toujours en sorte que votre armée soit en bataille avant celle de l'ennemi. Vous serez ainsi prêt à entreprendre ce que vous voudrez contre lui; et peut-être n’aura-t-il pas le temps de se former avant votre attaque; ce qui relèvera le cœur de vos troupes, et consternera les siennes.

Si vous voulez que vos soldats aillent volontiers au combat, il faut avoir grand soin de panser les blessés. Ceux qui sont préposés pour les relever, remettront les dépouilles des morts entre les mains des dizainiers.

Ayez attention de vous mettre à dos le soleil, le vent et la poussière, et que l’ennemi les ait au visage. Cet avantage vous facilitera la victoire.

Il faut tâter votre ennemi pour tâcher de connaître son caractère. S'il est audacieux, faîtes en sorte de l'irriter et de l'engager à quelque mouvement hasardeux dont vous le punirez. S'il est timide et craintif, étonnez-le par des attaques vives et inopinées.

Quand Dieu vous aura; donné la victoire, si les ennemis demandent la paix, il ne faut pas leur imposer des conditions trop dures. Pensez que la fortune est inconstante, et que d'un jour à l'autre la moindre circonstance peut changer la face des affaires.

Vous pourrez tromper les ennemis, en paraissant faire une chose contraire à votre dessein. Si, par exemple, étant en sa présence, vous faites mine de vous retrancher, ou d'élever un fort sur élévation, ils croiront que vous avez envie d'y rester. Tandis qu'ils seront occupés à faire la même chose, vous pourrez les attaquer, ou bien vous retirer à la sourdine.

Si vous voulez faire croire aux ennemis que vous restez dans votre poste, et cependant avoir le temps de vous retirer, vous ferez couper des pieux auxquels on attachera des boucliers et des piques; où les plantera de manière que dans l’éloignement, ils paraissent être des hommes.

Si vous posez votre camp vis à vis des ennemis, et que le vent souffle de leur côté, mettez le feu aux champs qui sont entre deux, et vous l'obligerez à s’enfuir.

 Quand vous ferez une course chez l'ennemi, vous placerez pendant la nuit des embuscades en divers endroits, pour fondre sur lui de toutes parts, et le dispenser plus facilement. Vous pourrez aussi faire  semer des chausse-trappes de fer dans une certaine circonférence de terrain, afin d’être un obstacle à l’ennemi qui s’avancerait sur vous. Vos fantassins porteront des galoches de bois, au lieu de souliers de cuir, pour n’être point incommodés.

 Vous pourrez faire une course sans beaucoup de danger dans le pays de l'ennemi, ou lui surprendre quelques postes, en habillant vos soldats à la manière des siens ou des habitants: si c'est sur mer, en vous servant de vaisseaux pris, ou en imitant la construction des leurs, ainsi que leurs pavillons. Cela fera qu'ils vous croiront de leur parti et vous laisseront approcher.

Avec de l’argent et sans combattre, on peut souvent se défaire de ses ennemis, si l'on engage un autre peuple à les attaquer. Il arrivera qu'ils s'affaibliront et se détruiront mutuellement, tandis, que vous conserverez toutes vos forces, et deviendrez supérieur à eux.

Nulle occupation n'est plus louable que l'étude de la guerre et celle de l'agriculture. Celle-ci nourrit les guerriers qui défendent l'état. Ces deux arts sont d'autant supérieurs à tous les autres, qu'ils ne sont jamais superflus, et que l'on ne, peut s'en passer en aucun temps, la subsistance et les moyens de conservation devant toujours être prêts.

Un général ne doit pas être seulement versé dans la science des armes ; il doit être recommandable par la noblesse de ses actions; c'est pourquoi les anciens n'avaient pas seulement égard, dans le choix de leurs généraux, à l’illustration des familles, mais aussi au mérite personnel

La tempérance est une vertu précieuse, dont le général doit être un modèle, surtout à l'égard des femmes captives. Le vice opposé est des plus dangereux. Les Juifs, corrompus par les femmes Madianites, attirèrent une plaie sur Israël, arrêtée par Phinée qui tua Zambri et la femme qu'il avait menée dans sa tente.[2]

Quand on est changé de l'administration des affaires publiques, on doit abjurer toute inimitié, et ne plus considérer que le bien de l'état. « Celui qui a l'âme grande sait oublier les injures personnelles dont il pourrait se venger. »

Étudiez-vous à connaître le degré de courage et de talents de vos officiers et de vos soldats, pour les employer où ils peuvent rendre le plus de service.

Il faut que les soldats trouvent leur vie agréable, qu'ils remplissent leur devoir avec gaîté, et qu'ils aient de la patience dans les travaux. Ceci est l'augure le plus certain des bons succès.

La présence du général, son air gai, quelques mots flatteurs et persuasifs, inspirent de l'ardeur aux officiers et aux soldats.

Un général expert prévoit les desseins et les stratagèmes de son adversaire. Il le juge d'après ce que lui-même aurait imaginé s'il eût été à sa place. L'expérience de ce qu'on tente tous les jours contre l'ennemi doit faire conjecturer ce que lui-même est capable d'entreprendre.

Vouloir tout faire soi-même est d'un homme malhabile. Vous consumeriez tout votre temps dans les détails. Il ne faut donc pas vous mêler des fonctions de vos préfets, mais veillez seulement à ce qu'ils les remplissent exactement.

On est bien plus admiré si l'on trouve sur-le-champ le meilleur expédient pour se tirer d'un péril pressant, que lorsqu’on a le temps de méditer à ce qu'on devra faire.

Les lâches et les fuyards ne feraient souvent que jeter le trouble dans l'armée si on les obligeait à combattre. Il vaut mieux les employer dans quelque endroit peu exposé, où ils peuvent être utiles.

Si vous surprenez une place, ou que vous l'emportiez d'escalade, faites ouvrir une des portes pour donner une issue libre aux ennemis. Quand ils pourront se sauver, ils ne penseront point à se défendre. Il faut toujours éviter de combattre des désespérés.

Tel qu'un bon chasseur fait tendre des pièges, pour y prendre les loups ou les renards, vous prendrez les espions de l'ennemi, en postant secrètement des gardes hors du camp, avec ordre d'arrêter tous ceux qui en sortiront et de les examiner. On vérifiera ce qu'ils diront, et l'on s'assurera de tous ceux sur qui l'on aura le moindre soupçon.

Pour rendre les gardes et les sentinelles vigilantes, c'est-à-dire celles qui sont sur le retranchement autour du camp, vous annoncerez que dans le cours de la nuit, on fera paraître d'un lieu élevé un flambeau auquel chaque station devra répondre en élevant le sien. Comme elles attendront l'instant où le vôtre paraîtra, elles seront toujours attentives pour n'être pas surprises.

Si vous voulez mander quelque chose secrètement, prenez une tablette sur laquelle vous écrirez ce que vous voudrez marquer ; ensuite, l'ayant enduite de cire, vous y mettrez des choses sans conséquence et qui ne donnent aucun soupçon.

La lâcheté du cœur se reconnaît par la pâleur et un air de paresse lorsqu'on parle d'aller à une action. On peut éprouver aussi les soldats de cette manière ; faites-les assembler dans quelque lieu, puis, tout à coup, que l'on sonne de la trompette et que l'on crie que c'est l'ennemi qui arrive ; les lâches s'enfuiront, et les braves demeureront.

On peut encore se servir de cet expédient : lorsqu'ils y pensent le moins, on frappera sur une tymbale ou autre instrument qui rende un bruit fort. Ceux qui n'en paraîtront pas surpris et qui garderont une contenance assurée, doivent être choisis comme les plus fermes et les plus braves.

Menez vos troupes au combat lentement et gardant bien leurs rangs. Quand elles seront à la portée des flèches, elles fondront sur l'ennemi avec célérité. C'est le moyen de ne pas souffrir des traits et d'en avoir bientôt raison.

Si un gros d'ennemis veut, pendant le combat, percer votre ligne, laissez-lui le passage libre. Vous les chargerez ensuite à dos et les déferez plus aisément.

Le général de l'armée est comme la tête de la vipère ; si celle-ci est brisée, le corps n'est plus à craindre et devient inutile. Appliquez-vous donc à vous en défaire, soit par un nombre de soldats qui s'attacheront uniquement à fondre sur le lieu où il sera, ou bien en y jetant une grande quantité de traits, comme vers un rocher, ou par quelque autre moyen.

C'est une très bonne méthode de réunir pour combattre les parents et les amis ; l'attachement qu'ils ont les uns pour les autres les porte à se secourir mutuellement, et à montrer plus de vigueur.

Tant qu'on fait tête à l'ennemi, on peut espérer la victoire ; mais si l'on tourne le dos, il n'y a plus d'espérance de salut.

Avant de distribuer les dépouilles, comme je vous l'ai prescrit, vous mettrez à part la cinquième partie pour le trésor public. Le reste sera partagé également. Si quelqu'un s'est distingué particulièrement, on lui donnera une gratification sur le trésor, telle que vous le jugerez à propos. Ceux qui seront demeurés à la garde du bagage partageront avec les autres.

Quand vous devrez passer par des lieux secs et arides, faites provision d'eau, et marchez depuis le soir jusqu'au matin. Le jour, les troupes se reposeront. Les hommes et les bêtes seront ainsi moins fatigués, et vous aurez moins besoin d'eau.

Si vous passez des défilés, il faut le faire avec beaucoup de circonspection. Au cas que vous fassiez retraite devant l'ennemi, vous aurez une arrière-garde composée de vos meilleurs hommes, pour repousser les attaques et empêcher que tout le monde ne fuie vers la tête.

Si vous avez peu de cavalerie, choisissez les lieux étroits et montagneux, où vous ne puissiez être inquiété par l'ennemi.

Quand vous êtes prêt de combattre, si le soleil luit, faites voir toutes vos armes, épées nues, piques et boucliers; l'éclat qu'elles jetteront inspirera de la terreur. Lorsque vous viendrez aux mains, que ce soit en criant et avec un grand bruit d'armes.

Il n'y a pas un seul ordre de bataille, mais plusieurs, qui diffèrent selon l'espèce des troupes et des armes, le caractère des nations, la nature des lieux, et les circonstances. Ainsi vous disposerez votre armée conformément à l'occasion.

Si l'armée ennemie est en croissant, vous combattrez cette disposition en divisant la vôtre en trois parties. Vous en placerez deux vis-à-vis des pointes droite et gauche du croissant pour les combattre. La troisième, placée vis-à-vis du concave, sera destinée seulement à secourir les deux autres. Par ce moyen, vous rendrez leur demi-cercle inutile, ou vous les obligerez à changer leur ordonnance. Si le corps du milieu fait mine de se retirer et que les ennemis soient tentés de le poursuivre, ils se rompront, se confondront et se mettront en désordre ; alors, faisant volte-face, vous les déferez entièrement.

Lorsque vous aurez besoin d'armes et de recrues, vous ordonnerez à tous les riches qui ne veulent point servir de fournir un homme à cheval bien équipé. De cette sorte, les pauvres seront bien montés, et les riches mous et paresseux contribueront à la dépense.

Ayant une armée composée de cavalerie et d'infanterie, ayez soin que votre cavalerie légère s'exerce à tirer des flèches et l'infanterie légère des frondes; que l'une et l'autre s'habituent à courir dans toutes sortes de terrains, que la cavalerie saute à bas de cheval et y remonte avec légèreté ; que l'on soit enfin toujours préparé contre l'ennemi.

Une armée composée de cavalerie et d'infanterie est semblable au corps humain, dont les mains sont les archers, les jaculateurs et les frondeurs; les pieds sont la cavalerie, le corps les pesamment armés. La tête du tout est le général, qui doit conduire le corps et en avoir un soin particulier. Toutes les parties, en travaillant pour sa conservation, agissent aussi pour la leur propre.

Si les ennemis s'assemblent de plusieurs provinces, n'attendez pas qu'ils soient réunis pour les combattre. Par exemple, les Barbares devant venir de la Syrie, de la Cilicie et de l'Egypte pour nous faire la guerre, avant que leur flotte soit formée, occupez avec la vôtre l'île de Chypre. De là vous observerez les desseins de ces peuples, et vous serez à portée d'attaquer séparément leurs escadres lorsqu'elles voudront s'assembler. Vous pourrez même tenter de brûler leurs vaisseaux avant qu'ils soient partis.

Quand une flotte se met en mer, personne ne doit être instruit du lieu où elle doit aller ni du chemin qu'elle doit prendre. On écrira les ordres dans une lettre cachée qui sera donnée au chef; il lui sera prescrit de ne l'ouvrir que lorsqu'il sera en haute mer, à une distance marquée. Il y trouvera ses instructions, dont les ennemis ne pourront être instruits.

Je vous regarde comme le médecin d'un grand corps, que vous devez garantir de toutes les maladies par un sage régime. Les maux qui peuvent l'attaquer sont l'oisiveté, l'intempérance, la volupté, le luxe, l'avidité du gain, les superstitions des augures et autres divinations, choses fort éloignées de la vraie piété, et qui ont souvent trompé les esprits crédules.

Menez avec vous vos enfants, ainsi que ceux des personnages les plus considérables et des officiers distingués, pour les instruire dans l'art de la guerre et les former au commandement. Ils apprendront à soutenir la fatigue, à braver les dangers, à voir sans frissonner les cadavres et les blessés, à ne point s'étonner des cris ni du tumulte des combats : ils vous accompagneront dans vos expéditions, comme de jeunes chiens qui suivent leur mère à la chasse.

L'observation des lois militaires est la source des victoires et de tous les bons succès. Elles sont les gardiennes des biens et du salut de tous; en procurant la ruine des ennemis, elles assurent le repos de nos sujets. Apportez donc une grande attention à les maintenir en vigueur. Réglez vos mœurs et voit et gouverne tout. Les ouvrages de votre conduite sur les lois divines et ses mains, le ciel, la terre, la mer, et les préceptes de la vraie piété ; vous affermirez par là votre autorité, et rendrez votre charge respectable; vous deviendrez agréable à Dieu, à Jésus-Christ, son fils, et à nous, qui tenons de lui notre empire.

RÉCAPITULATION ET CONCLUSION.

Afin de répéter sommairement tout ce qui a été écrit jusqu'ici, je vous exhorte, quelque commandement que vous ayez, de faire en sorte d'assurer la conservation et la tranquillité de tous ceux qui seront sous vos ordres.

En premier lieu, telle chose que vous entrepreniez, vous aurez auparavant recours à Dieu et lui adresserez vos prières; il est notre créateur et notre maître, il dirige nos paroles et nos actions, il voit nos pensées et les sentiments de nos cœurs; nulle créature ne peut se cacher devant lui; tout est découvert devant ses yeux, comme dit saint Paul : nous ne devons donc rien faire sans le consulter.

Il y a de nous à lui une affinité et une dépendance comme celle d'un fils envers son père, car il nous à donné le jour, il nous nourrit par sa bonté, il nous anime et nous conserve. Nous lui obéissons comme un soldat à son préfet, un esclave à son maître, un sujet à son roi. Il nous a soumis tout ce qui est animé, et nous a donné l'empire sur les bêtes. Il nous conduit comme un bon pasteur. Nous l'adorons, nous devons vivre et mourir pour lui.

Personne, à moins d'avoir le sens dépravé, ne peut nier l'existence de Dieu. Tout parle de la grandeur de celui qui a tiré l'univers du néant, qui est partout, qui remplit tout; qui prévoit et gouverne tout. Les ouvrages de ses mains, le ciel, la mer, la terre et tout ce qu’ils contiennent attestent sa puissance et sa bienveillance envers nous. C'est lui qui créé les rois, et il a dit: C'est par moi qu'ils règnent. Il donne le pouvoir aux généraux, et toute autorité vient de lui. C'est pourquoi nul ne doit exercer son commandement avant de s'être consacré à Dieu par la prière et lui avoir offert ses actions. Il faut donc premièrement faire observer avec exactitude ce qui regarde le culte divin. Vous devez révérer et honorer les prêtres et les pontifes, maintenir les franchises des églises, et ne pas souffrir qu'on enlève ceux qui s'y seront réfugiés, sans que nous en soyons informés. Vous empêcherez qu'on ne profane les couvents et qu'on ne fasse aucune insulte ni violence à ceux qui s'y sont dévoués à la virginité. Pour tout dire, enfin, vous ferez respecter les choses saintes et tout ce qui est dédié à la divinité.

Les prêtres et les pontifes sont répandus comme une sorte d'esprit dans tout le corps du peuple chrétien pour le vivifier et lui servir de guides. Ils sont les pasteurs de nos âmes, nos intercesseurs et: nos médiateurs auprès de Dieu. Ils méritent particulièrement d'être considérés et honorés. Ainsi, qu'aucun, tel qu'il soit, officier, soldat ou autre, qui sera sous votre direction, ne soit assez hardi de mettre les mains sur eux ni de les molester en aucune manière.

Les ministres de l'autel étant révérés et les lois divines observées, je prétends qu'on ne transgresse point impunément une seule des ordonnances impériales, et que la justice se rende exactement. Vous ferez des préparatifs de guerre, non pour attaquer .qui que ce soit injustement, ou faire des courses et piller des gens qui sont tranquilles, mais pour vous opposer aux entreprises des malfaisants et repousser leurs insultes. Nous voulons vivre en paix et religieusement, même avec nos ennemis, autant qu'il est possible.

Si vous avez une conduite pieuse et régulière et que vous souteniez une cause juste, Dieu vous aidera dans vos desseins. Celui qui ne prend les armes que parce qu'il y est forcé pour sa conservation, peut tout espérer de l'assistance divine. Voilà l'unique objet de vos exercices et de vos travaux militaires.

Lorsque la guerre sera décidée, vous vous appliquerez à connaître le caractère des ennemis et leur constitution : s'ils sont ardents et impétueux dans le premier choc, s'ils sont habitués de l'attendre et de souffrir patiemment les premières charges pour venir ensuite aux mains avec plus de courage. Il faut aussi examiner si la guerre sera de longue durée ou bien si elle sera courte, soit par le défaut de vivres ou d'argent, ou par l'ardeur qu'il aura de combattre. Dans les guerres de cette espèce, vous ferez vos dispositions et vous prendrez vos mesures relativement aux forces des ennemis, à leur méthode et à leur génie. Vous observerez s'ils sont audacieux ou timides, s'il règne parmi eux de l'émulation et de l'amour de la gloire, ou si ce sont gens de peu de valeur. Vous étudierez de même à quel degré sont ces sentiments dans votre armée, et vous ferez ce qu'il faudra pour accroître on diminuer ces passions et les tourner à votre avantage.

Feignez toujours d'ajouter foi à ce qui peut pronostiquer la victoire. Excitez dans vos soldats le désir de combattre, et qu'ils aillent gaîment à l'ennemi; ceux qu'on y traîne malgré eux mettent tout en désordre et rendent un mauvais service.

Mettez en usage tout ce que vous pourrez imaginer pour abattre le courage des ennemis; mais ne les réduisez pas dans une situation où le désespoir leur donne plus de force et de valeur qu'ils n'en ont naturellement. Si vous faites des trêves ou des traités avec eux, vous les garderez fidèlement. Au cas que vous remportiez une victoire, sans vous enorgueillir du succès, soyez prompt à en profiter, et s'il vous arrive un échec, que ni vos troupes ni les ennemis ne s'aperçoivent que vous en êtes étonné et abattu.

Votre armée doit être composée d'un nombre de troupes suffisant, qui soient bien armées et ne manquent d'aucune des choses nécessaires. Vous devez être fort attentif à compléter tous les préparatifs de guerre. Votre dépense sera modeste et frugale. Tous vos soins doivent être pour les affaires publiques. Vous ferez une étude sérieuse des histoires anciennes et modernes, où vous trouverez de grands modèles de conduite pour un général, et des actions dignes d'être imitées.

Vous tiendrez conseil avec les anciens officiers et ceux qui sont le plus experts dans les choses de la guerre. Vous admettrez ceux qui sont élevés en dignités et distingués par leur rang, comme aussi ceux qui sont capables de vous donner de bons et fidèles avis.

Vous n'exposerez point votre personne dans les périls sans nécessité. Vous serez toujours prêt à repousser les entreprises de l'ennemi et à saisir habilement les occasions favorables de l'attaquer. Appliquez-vous à lui tendre finement des pièges et à éventer ceux qu'il vous dressera.

Un général doit avoir le corps sain et robuste, en état de porter l'armure, qui sera riche et brillante. Il doit être désintéressé, laborieux, intrépide dans les dangers, prompt à suivre ses desseins, magnanime dans ses actions envers les soldats, estimé pour ses vertus, son courage, son habileté à la guerre, et sa sagacité dans toutes les affaires, plutôt que par sa naissance. Il doit parler avec précision et facilité, ne dire que des choses vraies, à moins qu'il ne soit utile de feindre et d'inventer quelques mensonges adroits pour se rendre plus maître des esprits. Il faut être libéral et bienfaisant envers les bons soldats, faire enterrer honorablement les morts, prendre grand soin des malades et des blessés. Vous devez être d'un commerce aisé et agréable dans la conversation, point disputeur, point curieux de petites choses, ni babillard. Que vos vêtements, votre air et votre démarche annoncent un caractère simple, noble, éloigné du faste et de l'orgueil.

Tout général d'armée qui commence une guerre contre telle nation que ce soit, s'instruira à fond de ses usages, de son ordonnance, et des ruses qui lui sont le plus familières. S'il commande une armée navale qu'il prenne garde qu'elle ne soit battue de quelque tempête, qu'il observe la situation du ciel et le mouvement des astres ; qu'il rassemble près de lui les vaisseaux de son arrière-garde, crainte qu'il ne leur arrive malheur, soit par l'incommodité des lieux, par les hasards de la mer ou delà part des ennemis.

Sur terre il faut savoir de quelle manière il est plus avantageux de combattre; si l'on se rangera en front de bandière, ou si l’on fera quelque disposition pour tourner adroitement l'ennemi; si l'on occupera des lieux forts, ou si l'on dressera des embuscades ; ou si l'on fera le dégât dans le pays, en coupant les bois, ravageant les campagnes, brûlant les maisons, détournant les eaux et emmenant le peuple captif.

On guerroie aussi l'ennemi en attaquant son armée à l'improviste, ou dans le temps qu'elle traverse un fleuve, ou en la poussant dans des lieux resserrés, en l'attirant dans la plaine, si elle n'est pas encore bien formée, ou en l'enfermant dans des détroits d'où elle puisse difficilement sortir. Si l'ennemi manque de vivres et des choses nécessaires, si la maladie se met dans ses troupes, s'il est surpris par les rigueurs de l'hiver, s'il est fatigué d'une longue marche, ou qu'après une journée pénible les hommes et les chevaux n'aient pas de quoi se repaître, s'ils sont accablés de sommeil, ce sont autant de situations fâcheuses pour lui, que le général doit connaître pour en tirer avantage.

Il doit savoir diviser son armée de la manière la plus facile pour exécuter promptement ses ordres et toutes les manœuvres. Lorsqu'il se rangera en bataille, qu'il ait attention de se mettre le vent ou le soleil à dos et aux yeux des ennemis. Qu'il ait le ton ferme et assuré dans le commandement. Qu'il connaisse comment on compose une ordonnance, comment on la divise, comment l’on forme les files, les rangs, les compagnies, l'étendue et la hauteur, qu'il faut donner à chaque troupe ; qu'il sache discerner ceux qui sont les plus propres pour le service; établir pour chefs les plus capables, juger de quelle manière il est plus à propos de les armer de les habiller et de les exercer à pourvoir à tous les besoins, et faire tous les préparatifs de la guerre, choses qui sont de la logistique, autrement de l'art du calcul.

La dépense des soldats, le produit et la répartition du butin, le recouvrement des deniers, leur emploi pour l'achat et l'entretien des armes, des machines et des autres choses nécessaires à la guerre appartiennent encore au calcul.

L'art de mettre les troupes en bataille y de disposer les différents corps, de régler les formes d'attaque et de défense, de savoir quel est le meilleur ordre pour recevoir le choc de l'ennemi, et le plus avantageux pour le charger ; quelles sont les armes dont il est plus convenable de se servir selon les occasions ; la manière de les mêler, celle de faire agir l'infanterie et la cavalerie selon les lieux et le moment, de manier enfin et mettre une armée en mouvement; cet art, dis-je, est essentiellement celui de la tactique.

Il y a d'autres sciences telles que l'architecture, l'astronomie, la religion, la médecine, dont on tire de grands secours à la guerre. L'architecture apprend; à décrire la forme du camp, à construire le fossé et le rempart, à diviser avec symétrie le terrain intérieur, à régler les intervalles, les augmenter ou les resserrer dans le besoin, ouvrir des chemins et former des communications. On a soin de choisir une situation où l'on ne soit point exposé aux embûches de l'ennemi, où l'on ne souffre point d'incommodité, et où l'on soit à l'aise pour tous ses mouvements.

C'est encore l'affaire de l'architecture et de la géométrie, de bâtir les murs des villes et autres forteresses, de les préserver des efforts que l'ennemi fait contre eux, de prévenir les inondations ou de les faire écouler, d'établir les machines, et de conduire tous les ouvrages soit pour l'attaque ou la défense des places.

La science de l'astronomie sert à faire connaître les révolutions des mois et les changements des saisons; quand doivent venir les grandes chaleurs et les grands froids, le temps des pluies fréquentes et continuelles, celui des vents violents qui soufflent périodiquement, ce qui a mis souvent des armées dans de grandes détresses. Elle apprend à diviser si exactement les parties du jour et de la nuit que l'on puisse régler l'instant de ses opérations, faute de quoi elles échoueraient infailliblement. Elle est encore utile pour rassurer les soldats, en leur faisant connaître les causes des tremblements de terre et des autres phénomènes de la nature qui peuvent les effrayer.

Ce qui regarde la religion, c'est la célébration non interrompue du service divin, et les exercices de piété auxquels l'armée doit assister, selon les commandements donnés à tous les chrétiens. L'effet des prédications, des sacrifices et des autres prières adressées avec ferveur à Dieu, à la Vierge Marie mère de Christ, et à tous les saints qui intercèdent pour nous, est d'affermir les soldats dans l'espoir de leur salut et de les rendre plus déterminés à braver les dangers.

L'art de la médecine panse les plaies faites par les coups de pierres, de traits ou d'autres armes, et tient pour cet effet des médicaments tout préparés. Elle guérit les diverses maladies produites par les chaleurs, le froid, les fatigues, le changement d'eau, par l'insalubrité des lieux, l'intempérie de l'air, par la mauvaise nourriture, comme celle des fruits verts et autres choses semblables.

Ces arts dont j'ai parlé, et les gens qui les professent, sont donc nécessaires à l'appareil d'une armée, à son approvisionnement et à la santé:les uns pour la construction des armes et des machines, d'autres pour tenir des comptes et des registres ; vous et les capitaines qui sont sous vos ordres pour régler les ordres de bataille et les manœuvres; des ingénieurs habiles et versés par une longue pratique dans l'architecture et la mécanique ; des astronomes expérimentés dans les observations du ciel et la connaissance des astres, qui entendent les règles de Ptolémée et son système contenu dans ses quatre livres, ainsi que d'autres observations chaldaïques, les éphémérides de Jean Lidus, et encore ce qu'Aratus a publié sur les phénomènes. Pour ce qui est de ceux qui professent cet art trompeur de tirer des horoscopes, et dont les livres sont proscrits par l'église, nous les bannissons absolument de notre empire.

On choisira pour le saint ministère du sacerdoce, des gens vénérable: dont la vie soit pure et les mœurs sans reproches, afin que leurs fonctions soient agréables à Dieu, et que sa faveur rejaillisse sur l'armée. Vous aurez donc grand soin, ô général, de maintenir nos ordonnances et de les faire observer aux troupes, ainsi qu'à tous ceux qui seront sous votre commandement. Vous n'en aurez pas moins de vous instruire de ce qui st de votre charge, comme sont les divers stratagèmes et manières de s'ordonner. Si les ennemis viennent à s'en servir, étant bien au fait et rompu dans cette matière, vous n'aurez pas de peine à employer les contraires, ou à m imaginer d'autres contré eux.

Ce que j'ai pu recueillir tant des pratiques actuelles de la guerre que des anciens écrivains, est renfermé dans ce livre que je consacre à l'utilité publique. Je n'ai point cherché à l'embellir des fleurs du discours, et ne me suis pas piqué de choisir les expressions. J'ai employé les plus usitées et les plus simples, m'étant servi d'un style purement militaire. A l'égard de quantité de choses relatives ou au temps des entreprises, ou à la manière de guerroyer certaines nations, surtout les Sarrasins, nos ennemis actuels, à l'occasion desquels j'ai composé ce livre, comme je l'ai annoncé, bien qu'elles n'y soient pas comprises, néanmoins si l'on a bien étudié ce que j'ai dit, et que l'on y joigne quelque expérience de la guerre, en examinant avec attention les conjonctures où l'on est, on pourra facilement suppléer à ce qui est omis, et comprendre ce qu'il faudra faire : car il n'est pas possible que ni moi ni aucun autre, quelque ingénieux et savant qu'il soit, puisse embrasser tout ce que l'industrie et la sagacité humaine sont capables d'inventer, ni penser aux moyens d'y parer, les circonstances qui changent la nature des choses étant infinies. Les ennemis ne forment pas toujours de même leurs desseins, et ce qui est bon à leur opposer dans un cas ne convient plus dans un autre : chaque incident, chaque occasion, exigent de nouvelles mesures, de nouvelles combinaisons qu'on ne peut toutes indiquer. Si les généraux des ennemis n'ont pas tous les mêmes idées, et s'ils varient leurs stratagèmes ainsi que la manière de conduire leurs entreprises, il faut être prêt aussi à trouver les moyens de les faire échouer, et à se mettre toujours en mesure avec eux. L'esprit humain est assez rusé et fécond en expédients pour ne point manquer de ressources : c'est pourquoi vous qui êtes chef de l'armée, devez garder les commandements de Dieu, et le prier toujours de vous inspirer. Après l'honneur éclatant que vous aurez acquis dans ce monde, en dissipant les ennemis de votre patrie, un triomphe plus beau vous est réservé, par le Christ, vrai Dieu et roi de l'univers entier, auquel soit rendu gloire dans tous les siècles.

 

 


 

[1] Cet ouvrage, intitulé Stratégicon, est divisé en douze livres, et chaque livre en plusieurs chapitres, la plupart très courts; malgré cela toutes les matières y sont confondues : il n'y a ni ordre, ni méthode, et presque rien n'est achevé.

[2] L'exemple d'Alexandre à l'égard de la femme et des sœurs de Darius; celui de Scipion, qui après le sac de Carthagène, renvoya une belle captive fiancée à l'un des princes du pays; plusieurs autres exemples mémorables eussent été plus convenablement placés ici.