Jean Catholicos

PATRIARCHE D'ARMÉNIE JEAN VI, DIT JEAN CATHOLICOS.

 

HISTOIRE D'ARMENIE : chapitres I à X

Notice - chapitres XI à XX

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

HISTOIRE D'ARMÉNIE.

CHAPITRE I.

Je vais raconter en peu de mots ce qui concerne l'origine, le gouvernement et les belles actions de notre nation. Je parlerai d'abord du commencement de la royauté, puis du Parthe (Barthiev) Valarsace (Vaghar-schàk), qui a régné sur la maison de Thorgoma (Thouer-gouem), et de ceux de sa race qui nous ont gouvernés après lui. Je ferai connaître ce qui est arrivé de leur temps sur la surface de la terre. Je parlerai aussi de l'établissement de la foi chrétienne, et particulièrement de sa prédication dans l'Haïasdan par Barthélemi (Partoughiméoues), l'un des apôtres, et par Thaddée (Thathéuaes), l’un des soixante et dix disciples. Ils furent tous deux choisis par le sort pour être les prédicateurs et les docteurs de la foi chrétienne dans notre pays. Je ferai mention rapidement de notre saint illuminateur Grégoire (Grigouer) ; je rapporterai toutes ses actions, ses discours apostoliques, pour donner la lumière à la race de Thorgoma, et la retirer de l'abîme de l'affreuse idolâtrie. Je parierai ensuite de ses fils et petits-fils qui ont occupé dignement son siège, et de ses successeurs jusqu'à ce jour. J'écrirai leurs actions, celles des hommes qui ont vécu de leur temps, et ce qui arriva lorsque la glorieuse couronne des Arméniens fut divisée. Je rapporterai comment notre monarchie, qui avait été détruite autrefois, fut rétablie par le couronnement du grand prince Aschod (Aschoued). Schahpour Pagratide (Schabouèh Pagradouni) avant moi, et d'autres historiens de mon temps, ont fait le récit de ses voyages, de ses belles actions, de ses qualités, de ses fondations, et de la conclusion de la paix. C'est pour cela qu'il me semble qu'on ne doit pas se borner à présenter ici une narration qui ne serait qu'une suite de faits tronqués. Il faut écrire une histoire qui, appuyée sur des preuves irréfragables, soit inattaquable, tant sous le rapport des choses, que sous celui du style. On trouvera, en outre, dans mon ouvrage, la vie et les actions de Sempad[1] (Schampad) fils d’Aschod, qui succéda à son père dans le royaume d'Arménie ; on verra sa vaillance dans les combats, sa fermeté dans les conseils, ses vertus, la bonté de son gouvernement et sa prudence ; avec cela tous les nakharars de son temps étaient instruits, célèbres, illustres et vaillants. Mais bientôt une affreuse calamité se répandit sur l'Arménie ; elle vint du côté du midi. Ce furent les Arabes (les Hagaratsi) qui portèrent dans notre patrie l'effroi, la terreur, la famine, la captivité et la mort. La fin déplorable et les malheurs du roi Sempad ne seront pas oubliés, non plus que le joug de fer des musulmans (ismaéliens), et que toutes les perfidies imaginées avant la mort du roi par l'osdigan (ouesdikan),[2] pour armer du glaive de la haine contre lui le grand ischkhan Gagig (Gagik), qui était fils de sa sœur. Ce perfide gouverneur lui promit de lui donner la couronne, malgré Aschod, Après la mort du roi Sempad, il établit à la fois trois rois en Arménie, Gagig Ardzrounien, Aschod, fils de Sempad, et son sbarabied Aschod, fils de Schahpour. Ces trois princes se firent la guerre : Aschod alla trouver l'empereur Constantin (Kouesdantianoues), il fut reçu magnifiquement et renvoyé dans son pays avec une grande quantité de présents. Je dirai enfin comment les prêtres, en réglant que ces princes seraient tous appelés rois, mirent fin aux troubles, aux discordes horribles, aux dévastations affreuses, aux infamies, et enfin à toutes les horreurs qui tourmentaient notre patrie.

CHAPITRE II.

Je crois qu'il suffira, pour faire connaître ce qui concerne notre première origine, de rassembler ce qu'on a dit sur ce sujet de la manière la plus véridique, c'est-à-dire, selon moi, de réunir les témoignages qui se trouvent dans les premiers livres sacrés et les faits qu'ont recueillis les chronologistes étrangers qui ont raconté avec le plu de soin l'histoire de notre race.

CHAPITRE III.

Les historiens s'accordent à dire que les habitants de toutes les contrées de la terre tirent leur origine des trois fils de Noé (Nouéi), qui eurent des enfants, s'accrurent et se dispersèrent sur les trois parties de la terre. Les diverses nations étrangères ont donné différents noms à leurs aïeux ; de même nous avons appelé Noé Xisuthrus (K’hsiousathroues) et Sem Xercès (Khserk'hes). Je ne puis raconter l'histoire de notre patrie sans faire comme tous les historiens, qui rapportent que, lorsqu'on arriva au deuxième âge du monde, Dieu purifia les trois parties de la terre en envoyant le déluge, qui détruisit en tous lieux les insensés, les impies, les hommes criminels, les hommes féroces, les détestables idolâtres, et qui enfin ne laissa rien sur la surface de la terre qui fût doué ou privé de raison. Il en excepta cependant toute une famille de justes qui, d'après son commandement, construisit un vaisseau, lequel fut l'arche de Noé. Ce dernier y fit entrer avec lui et sa famille tous les animaux purs et impurs qui étaient sur la terre. Ainsi un bois fragile les sauva et servit à conserver ce qui devait renouveler le monde. On fit après cela un sacrifice à Dieu, et Dieu donna sa bénédiction à tous les êtres qui produisirent selon leur espèce. Ils s'augmentèrent et s'accrurent considérablement, de sorte qu'ils couvrirent la terre, qui eut l'homme pour maître. J'ai dit toutes ces choses uniquement parce qu'elles vous paraissaient agréables, car certainement elles sont aussi connues de vous que de moi. Je crois qu'il est inutile de parler des souverainetés qui appartiennent à la race de Sem et à celle de Cham (K'ham) ; elles ne font rien à notre histoire. Je parlerai rapidement de notre souveraineté, qui vient de Japhet (Apiethé).

CHAPITRE IV.[3]

Après que les cataractes eurent été ouvertes et que la terre eut été couverte tout entière par les eaux du déluge, Dieu envoya tous les vents, et la navigation de Noé cessa. La première terre qu'il vit fut l'Arménie : il y descendit avec ses fils, leurs femmes, d'autres individus et tous les animaux qu'il avait amenés avec lui. La première chose qu'il fit fut de rendre grâces à Dieu. Sa postérité s'augmenta. Son fils Japhet, chef de notre race, eut un fils qu'il nomma Gomer (Gamir), et qui, de son nom, appela Gomérie (Gamirk'h) le pays où il habita. Japhet engendra ensuite Magog (Magoueg), père des peuples de Magog, des Celtes (Kieghdk'h) et des Galates (Gaghadatsik'h). Il donna ensuite le jour à Madaï (Mata), qui nomma Mark’h le pays où habita sa race. Il eut encore Thubal (Thapiel), qui fut chef de la nation des Thessaliens (Thédagk'h), et Mosoch (Mouesouek'h), qui gouverna l'Illyrie (Liourikia). Le sixième des fils de Japhet fut Thiras (Thiéras), qui régna sur le pays occupé par les Thraces (Thrakatsik’h) ; le septième fut Gidiéim, qui eut les Macédoniens (Makietouénatsik'h). Les fils de Thiras furent Ascénez (Azk'hanaz), père des Sarmates (Sarmadk'h), Riphath (Rip'had), père des Sauromates (Savramadk'h), et Thorgoma (Thorgouem) selon Jérémie (Iéridmia). Thorgoma subjugua la race d'Ascénez et l'appela maison de Thorgoma. Ascénez avait d'abord donné son nom à notre nation à cause de sa qualité d'aîné, comme nous le verrons en son lieu.

Javan (Iavana), qui donna son nom aux Grecs (Iounk'h), eut pour fils Elissa (Ieghischa), duquel descendent les Siciliens (Sikiélatsik'h) et les Athéniens (Athiénatsih’h) ; Tharsis, père des Ibériens (Virk’h) et des Tyrrhéniens (Diourénatsik'h) ; et Chéteim (Kiedieim), père des Romains (Hrhouemaietsik'h). Dans le cours de mon histoire je ne parlerai des autres enfants de Japhet qu'autant que cela sera nécessaire à l'intelligence des faits que je rapporterai. Je m'attacherai seulement à l'histoire de notre race. Je prendrai tout le soin nécessaire pour éclaircir les divers points qui sont obscurs ; enfin je n'épargnerai rien pour en faire un ouvrage digne de vous, contre lequel on ne puisse rien dire quant à l'esprit, au style et au travail.

CHAPITRE V.

Si je ne considérais que ma faiblesse et mon incapacité, et que je ne fasse pas encouragé par votre bonté, je n'oserais certainement pas commencer mon ouvrage ; mais, soutenu par vous, j'acquitterai la dette que j'ai contractée envers les nations étrangères, et je vais d'abord raconter rapidement tout ce qui concerne notre histoire depuis notre premier chef Thorgoma.

CHAPITRE VI.

Je vais parler encore une fois de Thiras, fils de Japhet. Il eut trois fils : Ascénez, Riphath et Thorgoma. Thiras régna d'abord sur les Thraces. Il lui vint dans l'esprit de diviser son empire en trois parties, et d'en donner une désignée par le sort à chacun de ses enfants, ce qui paraît très sage. Ascénez, de qui nous tirons notre premier nom, gouverna les Sarmates ; Riphath, les Sauromates, et Thorgoma eut notre pays pour son lot. Lorsqu'il le gouverna il lui ôta le nom de pays d'Ascénez (Ask'hanaz) et lui donna celui de maison de Thorgoma (Thouergonem).

CHAPITRE VII.

Vous connaissez certainement bien notre histoire, et vous savez que la souveraineté de notre pays a d'abord porté le nom d'Ascénez et ensuite celui de maison de Thorgoma ; cependant il y a quelques personnes qui rapportent notre histoire d'une autre façon. Au reste, comme la première opinion s'accorde avec le récit du divin Moïse (Mouevsés), je ne puis pas écrire autrement que lui. La généalogie de Thorgoma et le commencement du règne de son fils Haïg (Haïk) s'accordent avec la généalogie de Sem, et se trouvent compris dans le cours de la vie de Noé. Depuis Adam (Atam), le premier homme, jusqu'à Japhet, il s'est écoulé 2242 années. Les livres saints, comme je l'ai déjà fait observer, racontent notre histoire jusqu'au temps de Thorgoma ; il est donc inutile de parler en détail de ses descendants ni de ses parents. Je me contenterai seulement de vous entretenir de ceux qui ont gouverné l'Arménie[4] et fondé notre monarchie.

CHAPITRE VIII.

Un certain Syrien (Asouéri), nommé Marapas de Kadina,[5] homme d'un esprit très ingénieux et très exercé, alla, par ordre de notre roi Valarsace (Vaghar-schak), à la cour des rois de Perse, pour chercher et obtenir des livres historiques en chaldéen et en grec. Il y trouva un volume important, qui avait été écrit en chaldéen (k'haghtéatsi) et traduit en grec (iouin) par ordre d'Alexandre (Aghiek'hsantroues), fils de Nectanébo (Niek'hdanipe). Ce livre contenait l'histoire détaillée d'un grand nombre de nations ; mais Marapas laissa à d'autres le soin de travailler sur l'histoire des autres peuples : il se contenta seulement de prendre ce qui concernait la nôtre, et il présenta son travail au roi Valarsace, qui s'empressa de nous faire alors connaître les véritables actions de notre nation. Nous savons que le premier prince et le chef de notre race est Haïg, fils de Thorgoma, qui était distingué par sa beauté, sa vaillance et sa force gigantesque. Il est connu qu'il était avec les énormes géants qui convinrent, dans un conseil impie, d'élever un monument colossal de leur arrogance. Mais, selon les histoires sacrées, une terrible tempête s'éleva : Dieu lui ordonna de souffler ; la superbe tour qu'ils avaient élevée fut entièrement renversée, et ils reçurent le châtiment dû à leur entreprise impie. C'est après cet événement que Nembroth (Niéprouevth), qui est le même que Pel, s'éleva avec insolence, et qu'il forma sa monarchie en soumettant à sa puissance les autres hommes et même les géants. Notre Haïg, doué d'un caractère fier et orgueilleux, ne put supporter la domination de Pel ; en conséquence il vint se fixer dans notre patrie avec son fils Aramanéag (Aramaniéak),[6] qui était né à Babylone (Papielouen), et avec ses filles, ses petits-fils, ses serviteurs et tous ceux qui voulurent se joindre à lui. Nembroth ou Pel se mit à la poursuite de Haïg avec son année, composée d'hommes courageux armés de flèches, d'épées et de lances ; il l'atteignit dans une plaine située au milieu d'une petite vallée, où ils se livrèrent un combat qui répandit partout la crainte et la terreur. Enfin Haïg, saisissant son arc et une flèche triplement empennée, dirigea le trait contre l'armure de fer de Nembroth, qu'il frappa entre les deux épaules. Haïg, après cela, s'occupa à cultiver et à fertiliser la terre ; il gouverna comme un père et avec tant de bonté, que le pays prit de lui le nom de Haïk'h. Ce prince fonda ensuite une quantité considérable de villes et d'habitations ; puis il mourut après un grand nombre d'années, et confia notre pays à son fils Aramanéag. Lorsque celui-ci devint notre monarque, il fixa sa demeure dans une magnifique plaine qui était environnée de tous côtés par les hauts sommets de montagnes couvertes de neiges, et arrosée par beaucoup de fleuves rapides, qui divisaient en plusieurs parties toute son étendue. Il fit bâtir une habitation dans l'une des vallées des montagnes situées vers le nord. Cette chaîne de montagnes fut appelée de son nom Aragadz, et la contrée située au pied fut nommée Aragadzodn (Arakadzouedn). Aramanéag eut ensuite un fils nommé Armaiis ; et, quelques années après, il mourut. Armaiis fonda une ville et un palais dans la même vallée, sur une colline située au bord de l'Araxe (Iéraskh). Il l'orna de monuments de pierre admirables, et la nomma Armavir. Ce prince est célèbre par un grand nombre d'actions courageuses, suffisamment connues et qu'il est inutile de raconter ici. Il fut très puissant pendant sa vie, et eut un fils appelé Amasia. Après la naissance de ce fils il vécut peu de temps. Amasia habita d'abord Armavir comme son père, mais ensuite il se fit bâtir une habitation du côté du midi, au pied d'une chaîne de montagnes. Il donna à ces montagnes le nom de Masis, et la vallée qui est à leur pied s'appela la province de Maséatsodn (Masiéatsouedn). Quelques années après il engendra Giegham, et il mourut ensuite. Giegham partit de sa résidence et marcha vers le nord-est, où il trouva d'autres montagnes. Quand il fut arrivé dans cet endroit il fonda un bourg et un palais sur les bords d'un lac. Les montagnes furent appelées Giegham, de son nom, et la contrée située sur le bord du lac fut nommée Gieghark'houni. Giegham eut deux fils, Harma et Sisag ; il ordonna à Harma d'aller habiter à Armavir et de gouverner le pays de ses pères. Il donna pour demeure à Sisag tout le pays qui s'étend depuis le rivage sud-est du lac dont j'ai parlé jusqu'à une plaine traversée par l'Araxe, qui y tombe dans un gouffre. Après avoir passé par des vallées étroites et difficiles, le fleuve atteint, entre des rochers, une ouverture étroite qui est appelée aujourd'hui, à cause du bruit, K'haravaz. Giegham retourna ensuite dans cette vallée, et il y fonda une grande habitation fort belle qu'il nomma Gieghami, et qui, dans la suite, fut appelée Garhni, du nom d'un certain Garhnik. Giegham mourut après cela. Harma donna le jour à Aram et mourut quelques années après. L'histoire rapporte qu’Aram fit beaucoup de belles actions et d'exploits guerriers : ses grandes conquêtes agrandirent l'Arménie de tous les côtés. Par son bouillant courage il subjugua tous les peuples, nos voisins, qui, depuis ce temps-là, nous ont, de son nom, appelés Arméniens (Armanéak). Quelques-uns de ces peuples se soumirent à lui volontairement ; il en conquit d'autres soit par la ruse, soit, et ce fut le plus grand nombre, par une suite de combats opiniâtres, et il les réunit tous sous sa domination. Cette contrée, qui s'étend jusqu'au Pont (Bouendoues), et que les Grecs nomment encore Brhodoun Armenia, fut appelée alors Première Arménie. Le pays qui s'étend depuis le Pont jusqu'à la ville de Mélitène (Mielidiné) fut nommé Seconde Arménie ; la Troisième s'étendait depuis Mélitène jusqu'aux limites de la Sophène (Dzouep'hk'h). Le pays qui s'étend depuis la Sophène jusqu'à Martyropolis, avec la province d'Aghdsnik'h à l'occident, fut appelé Quatrième Arménie. Toutes ces contrées étaient situées hors des limites de la souveraineté légitime d'Aram, laquelle reçut la dénomination de Grande Arménie. Quelques années après son avènement, Aram engendra Ara surnommé le Beau,[7] et ne mourut qu'après avoir régné fort longtemps. Ara prit alors le gouvernement du pays. La plaine où il habita fut appelée, de son nom, Ararad. Au bout de quelques années, l'héroïne Sémiramis (Schamiram) devint éperdument amoureuse de lui. Ayant entendu parler de son extrême beauté, cette reine lui envoya plusieurs fois des ambassadeurs qui lui promirent d'immenses présents et les plus grands honneurs, s'il consentait à venir la prendre pour épouse ou du moins à venir contenter ses impatients désirs. Celui-ci refusant de satisfaire sa passion, Sémiramis s'avança alors avec rapidité dans l'Arménie contre Ara. Ce n'était ni pour l'obliger à fuir, ni pour le tuer, mais pour le subjuguer et le prendre de force qu'elle fit cette guerre : elle voulait l'attendrir et le rendre favorable à ses désirs. Elle recommanda à son armée de respecter la vie de celui qu'elle aimait ; mais, au milieu de la bataille, ce prince fut tué en combattant, sans être connu. Il laissa un fils nommé Gartos (Kartoues). L'amoureuse Sémiramis, à cause de la passion qu'elle avait eue pour Ara, donna au jeune Gartos le nom de son père. Elle confia à ce prince l'administration de l'Arménie : il mourut dans la suite en combattant contre cette même Sémiramis. Il laissa un fils appelé Anouschavan, et nommé aussi Sos, qui était doué d'une grande habileté et de beaucoup de prudence dans toutes les affaires. Pendant quelque temps il ne régna que sur une partie de l'Arménie, mais ensuite il fut maître de la totalité du pays. Ge prince ne mourut qu'après avoir vécu très longtemps. Ses fils ni ses parents n'héritèrent point de sa souveraineté : des hommes étrangers à sa race s'en emparèrent par violence, et ils régnèrent sur la race de Thorgoma, non par droit de succession, mais par droit de conquête. Les noms de ces divers princes sont Bared, Arpag (Arpouek),[8] Zavan, P'harhnag,[9] Sour. Du temps de ce dernier, Jésus (Iésou) mit les enfants d'Israël en possession de la terre promise. Après Sour régnèrent Honag (Houénak), Ampag, Arhnag, Noraïr (Nouéraïr). Vesdam (Usdam), Korhag (Kargrhak), Hrand, Endsag (Endsak'h), Tghag, Havan, et Zarthaïr, qui périt à la guerre de Troie (Ieghiakan) avec les Éthiopiens (Iethouevbatsi). Après Zarmaïr régnèrent Berdj (Bierdj), qui vivait du temps de David (Tavith), roi d’Israël ; Arpoun, Pazoug, Hoï (Houéï), Housag, Gaïbag et Sgaîorti (Skaiouerti) ; après eux régna Baroïr (Barouir), qui rétablit le nom de la nation arménienne,[10] dont la souveraineté était détruite depuis longtemps : il fut le premier qui ceignit chez nous le diadème des rois, parce qu'un Mède (Miétatsi), nommé Varbag,[11] s'étant joint avec des hommes courageux qui étaient ses amis, ainsi que le vaillant et heureux Baroïr, il finit par se former un royaume puissant et glorieux, en s’emparant, avec leur secours, du roi d'Assyrie (Asouériesdan) Sardanapale (Sartanabaloues), qui régnait à Ninive (Ninouévé). Les panégyristes de notre nation ont déjà célébré les louanges de Baroïr, et je n'ai pas envie d'en parler après eux. Depuis lui les souverains de notre pays ne furent plus appelés simplement princes, mais ils prirent le titre de rois. Sous le règne de Baroïr, les Ardzrouniens (Ardzrounik'h), fils de Sénakhérim (Siénék’herim),[12] vinrent s'établir en Arménie : ce prince les reçut avec bonté ; Baroïr laissa après sa mort un fils nommé Hratchéa (Hratchiéa), c'est-à-dire éclat de la vue, parce qu'effectivement ses regards étaient extrêmement vifs et brillants. De son temps Nabuchodonosor (Napouegouetouenouesouéroues) fit la conquête de la Judée (Hréasdan). Hratchéa lui demanda l’un des principaux captifs nommé Sempad (Schampad), il lui donna une habitation dans son royaume, et le traita avec beaucoup d'honneur et de distinction : c'est de cet homme que la famille des Pagratides[13] (Pagradounik'h) tire son origine. Après Hratchéa, P’harnavaz monta sur le trône d'Arménie et régna avec gloire ; après lui régna Badjoïdj, ensuite Gornhag (Krhouénak),[14] P'havos (Phavoues), un second Haïg, enfin Érovant (Iérouévant), qui occupa le trône fort peu de temps, et qui donna le jour au grand Tigrane (Digran) : leurs noms et leurs actions sont connus ; nous tes trouvons rapportés dans les livres chaldéens écrits du temps de Tibère (Dipiéroues), et qui étaient à Ninive et à Edesse (Iétiséia). Parmi tous nos rois, il n'y en a jamais eu qui fussent doués d'autant de prudence et d'habileté que Tigrane. Après qu'il se fut illustré par beaucoup de belles actions guerrières et politiques, il détruisit la monarchie des Mèdes (Mark'h) et régna indépendant. Les Grecs furent longtemps soumis à sa domination ; à la fin il tua Astyage (Ajtahak) et fit la conquête de son royaume.

Il secourut la reine Anouisch, aida Cyrus (Kioueroues) à s'emparer de la souveraineté des Mèdes (Mark'h) et des Perses (Barsik'h), et rétablit notre patrie dans ses anciennes limites naturelles ; outre cela il les étendit considérablement, et il contraignit de lui payer tribut beaucoup de nations qui, jusqu'alors avaient été indépendantes. Tigrane était très célèbre pour sa grande libéralité : on en garde encore le souvenir. Il était également très prudent, sobre, éloquent, et vraiment digne de louange pour ses discours et ses actions, aussi bien que pour sa conduite politique et son égale bienveillance envers tous les hommes ; il ne mérite pas non plus moins d'éloges pour sa valeur dans les combats ; aussi l'histoire est-elle remplie du bruit de ses louanges. Il oubliait promptement les malheurs et l'adversité ; mais il ne pardonnait pas à celui qui, en chantant ses louanges, relevait au-dessus de ceux qui l'avaient précédé. Tigrane eut pour fils Pap, Tiran et Vahagh.[15] Les anciens chanteurs racontent, au sujet de ce dernier, qu'il combattit contre des dragons et qu'il les vainquit. Ils comparent ses exploits à ceux du divin Hercule (Hiéraklié), ajoutant qu'on lui éleva une statue, et qu'on lui offrit des sacrifices. Vahagh est le chef de la famille des Vahouniens (Vahounik'h) ; il eut des fils : le plus jeune d'entre eux fut Arhaviené,[16] chef de la race des Arhaviéniens (Arhaviéniéank'h). Ce prince fut père de Nersèh (Niersèh), père de Zareh, duquel descend la race des Zaréhavaniens (Zariéhavaniéank'h). Zareh fut père d'Armog (Armouek), père de Païgam, père de Van, père de Vahé,[17] qui combattit avec courage contre Alexandre le Macédonien (Aghiek'hsantr Makiétouénatsi), et fut tué par ce prince. Depuis ce temps jusqu'à l'époque où le Parthe Valarsace[18] (Vagharschak) devint roi, on ne trouve plus l'histoire d'une manière suivie, et les généalogies sont interrompues. Tout est rempli de confusion et plongé dans le désordre jusqu'à la retraite des étrangers ; tous les faits qui les concernent sont entièrement inconnus. Au reste j'ai parcouru pour vous, avec soin, tous les auteurs qui ont composé des abrégés d'histoire ou des histoires complètes ; j'ai trouvé que tous sont d'accord à mettre entre notre Haïg et le règne de Valarsace (Vagharschak) un espace de deux mille deux cent quatre-vingt-quinze ans.[19] Je raconterai maintenant, en peu de mots, le règne de Valarsace et des princes de sa race qui ont occupé le trône après lui et qui sont appelés Arsacides (Arschakounik'h), et je ferai connaître les événements arrivés de leur temps, autant que cela me paraîtra utile. Alexandre, fils de Philippe (Philibboues), étant devenu le maître de beaucoup de nations, donna son nom à son empire. Après sa mort Seleucus (Siélievkoues) régna à Babylone, et livra de rudes combats au Parthe et à ses sujets. Son successeur fut Antiochus (Andiouek'houes), surnommé Soter (Sovdr). Ils régnèrent à peu près soixante ans ; ensuite les Parthes (Barthierk'h) s'affranchirent du joug des Macédoniens ; alors Arsace (Arschak), descendant d'Abraham par Céthura (Giédoura), que ce patriarche épousa après la mort de Sarha, régna sur les Perses, les Mèdes, les Babyloniens (Papiélatsit'k), et les appela Barthiev c'est-à-dire violence ou tyrannie. Arsace (Arschak) livra beaucoup de combats à des nations vaillantes et jusqu'alors invincibles ; il soumit tous les rois à sa puissance, et par l'étendue de sa domination il semblait être le chef des fois. Il créa ensuite roi d'Arménie son frère Valarsace (Vagharschak), homme prudent, adroit et vaillant. Ce prince remporta beaucoup de victoires sur ses ennemis, fit un grand nombre d'institutions civiles, et fut, par ses belles actions, l’ornement de son siècle. Il s'occupa particulièrement de la splendeur de la royauté ; il créa un grand nombre de souverainetés, après avoir porté son attention sur les mœurs. Ces souverainetés furent formées pour donner de l'éclat à son trône ; il en créa aussi sur les limites de ses états, selon que cela lui parut convenable, et il en investit les descendants de Haïg et ceux de quelques autres hommes distingués. Il donna la chargé pour couronner les rois à Pagrad, descendant de Sempad (Schampad), qui, dit-on, était de la race de David ; il fit ensuite beaucoup de présents à ce personnage ; il le nomma sbarabied et chef des corps de dix taille et de mille hommes. Valarsace fit la guerre avec courage et conquit le Pont, la ville de Césarée (Kiésaria), nommée aussi Mazaca (Majak), avec le territoire qui l'environne ; il donna des lois à la contrée qui est située sur le bord de la mer, vers le mont Caucase (Kouevkas). Il contraignit d'obéir à ses ordres royaux plusieurs nations sauvages qui ne vivaient que de pillage, de vol, de dévastations et d'autres actions aussi détestables. Il honora beaucoup les familles nobles, et il les éleva presque à la dignité royale. Après que Valarsace eut réglé tout ce qui concernait le royaume au dehors, il s'occupa d'arrêter un plan admirable pour fixer l'ensemble et l'organisation de la royauté, et l'environner d'éclat : il créa, à cet effet, la charge relative au couronnement des rois, dont j'ai déjà parlé ; ensuite il forma des gardes pour veiller autour des rois, puis des officiers chargés, les uns, des oiseaux, des chasses et des aliments, les autres, de l'ameublement des palais. Il nomma aussi des généraux et des prêtres ; il créa des charges pour porter, dans les cérémonies, des bâtons surmontés d'aigles et d'éperviers ; d'autres charges pour préparer des logements d'été et d'hiver, et un nombreux corps de troupes pour garder les portes du palais des rois et faire le service dans l'intérieur. Il ordonna encore que la postérité du Mède Astyage serait considérée comme la seconde du royaume : elle est actuellement appelée Mouratsan. C'est ainsi que Valarsace arrangea tout ce qui était particulièrement nécessaire aux rois. Il créa ensuite des gouverneurs de provinces, des gouverneurs de districts, des princes, des généraux de cavalerie, des généraux d'armées et des gouverneurs de frontières. Il plaça un gouverneur au nord, dans la province de Gougark'h,[20] et un autre au sud-ouest, dans celle d'Aghdsnik'h. Il fit encore des lois pour la distribution du temps dans sa cour ; il régla qu'il y aurait un temps pour le conseil, un autre pour les festins et un autre pour les amusements. Il institua aussi deux commémorateurs ; l'un devait rappeler au roi toutes les bonnes actions qu'il pouvait faire, et le reprendre avec soumission sur les ordres injustes qu'il avait pu donner ; l'autre devait lui rappeler la punition des coupables et tout ce qui concernait la justice. Valarsace régla encore que les habitants des villes seraient regardés comme supérieurs à ceux des villages. Toutefois il enjoignit aux citadins de ne pas s'enorgueillir et de ne pas regarder les villageois comme inférieurs à eux, mais de se conduire honnêtement avec eux, et de les traiter comme des frères pour avoir la tranquillité et la paix. Après toutes ces belles ordonnances et ces magnifiques institutions, Valarsace mourut à Nisibe (Mdzpin), après un règne de vingt-deux ans. Son fils Arsace (Arschak) lui succéda. On rapporte qu'il fut l’émule et l'imitateur des belles actions de son père. Ce prince fit la guerre aux peuples du Pont (Bouendasik'h) et les vainquit. On raconte de lui une chose merveilleuse : il enfonça dans la terre le fer de sa lance, et il l'en retira teint du sang de serpents, ce qui fut regardé comme un signe évident de sa vaillance. De son temps, quelques habitants de la Bulgarie (Poughkar), qui est dans le Caucase (Kavkas), sortirent de ce pays et vinrent se fixer dans les environs de Gouegha. Arsace persécuta les Juifs (Hreik'h) à cause de la religion de leurs pères ; deux d'entre eux périrent par l'épée après avoir enduré beaucoup de tourments. Ils moururent comme saint Eléazar (Ieghiéazar) et les fils de Siméon (Schimouevné). Arsace mourut après un règne de treize ans ; son fils Ardaschès lui succéda.[21] Ce prince ne voulut pas, comme son prédécesseur, se reconnaître dépendant d'Arschagan, roi de Perse ; il s'attribua même par violence la suprématie sur ce même Arschagan, qui se soumit à ses lois et se contenta du second rang. Ardaschès rassembla une grande quantité de soldats, marcha vers l'occident contre les Lydiens (Latiatsik'h), fit prisonnier le roi Crésus[22] (Kioursoues), et ordonna de le faire périr sur un bûcher de fer. Crésus se rappela alors les paroles de Solon (Sighouen), qui a dit : Avant sa mort un homme ne doit jamais se regarder comme heureux. Ardaschès fit, après cela, un armement maritime pour conquérir toute la terre ; il conquit le Pont (Bouendoues) et la Thrace (Thraké) ; il dévasta le pays des Lacédémoniens (Lakiethémouénatsik'h) et vainquit les Phocéens (Phouekiéatsik'h) ; les Gouégatsik'h se soumirent à sa domination. La Grèce (Iellata) lui offrit alors des sacrifices et des statues. Toutes ces victoires ne l'enflèrent point d'orgueil ; mais il disait, en versant des larmes : que cette gloire périssable est digne de compassion ! Après tous les exploits dont je viens de parler, il conçut l'idée de soumettre tout l'occident à sa domination ; en conséquence il couvrit la Méditerranée (Ouevkianoues) d'une multitude prodigieuse de vaisseaux, avec lesquels il devait attaquer et subjuguer plusieurs peuples ; mais il s'éleva parmi ses soldats une grande et terrible division : ses troupes se battirent les unes contre les autres ; et Ardaschès, qui avait vaincu tant de nations, fut tué par ses soldats, après un règne de vingt-cinq ans. Tigrane (Digran) II, son fils, régna après lui. Ce prince rassembla une nombreuse armée, marcha contre les Grecs (Iounakank'h) et les vainquit. Il confia ensuite Mazaca (Majak) et l'Asie mineure (Midchierkraik'h) à son beau-frère Mithridate (Mihrtad), et retourna dans son royaume. Mithridate alla se fixer à Amasia, fondée longtemps auparavant par Amasia, fils du frère de Nectanébo, qui avait reçu d'Alexandre, fils de Nectanébo, l'ordre de la faire bâtir. Mithridate agrandit cette ville et la fortifia ; quand il l'eut obtenue des Arméniens, il lui donna son nom, et s'y fit bâtir un palais sur le rivage septentrional du fleuve Rhis ; il fit aussi élever, dans la partie orientale, des bâtiments et des monuments en pierre, semblables à ceux qui étaient dans la ville de Sémiramis,[23] qui est actuellement Van. Il avait encore appelé cette ville Diiezierasahman (limite du monde). Tigrane, après avoir donné beaucoup de lois et d'institutions, fit une invasion en Palestine (Baghiesdin), et emmena beaucoup de prisonniers Juifs (Hreik'h). Cependant le romain (Hrhouemaietsi) Pompée (Bombéoues) vint attaquer Mithridate et lui livra un violent combat. Mithridate, vaincu par le nombre, fut contraint de s'enfuir vers le Pont. Pompée s'empara de Mazaca, et prit Mithridate le jeune, fils de Mithridate.[24] Ce dernier fut empoisonné d'une manière perfide par le père de Pilate (Bighadoues), et Pompée confia le jeune Mithridate au romain Gabiénus (Gapianoues) qui le rendit à son oncle maternel Tigrane (Digran), mais Tigrane ayant méprisé le jeune prince, celui-ci quitta son oncle et se retira auprès de César (Kiésar), qui lui fit don de la ville de Mazaca. Mithridate la rebâtit, l'agrandit considérablement, l'embellit de magnifiques édifices, et lui donna, en l'honneur de César, le nom de Césarée (Kiésaria). C'est ainsi que cette ville sortit de la domination des Arméniens. Tigrane, tourmenté par une maladie, confia le gouvernement de l'Arménie à Parzapran, nahabied de Rheschdounik'h ; puis il lui remit, ainsi qu’à un autre nahabied nommé Gnel, de la famille Gnouni, le commandement d'une armée considérable, et les envoya dans la Palestine et à Jérusalem (Hiérousaghem). Ils se signalèrent par beaucoup d'exploits et de belles actions militaires ; ils mirent en fuite Hérode (Hiérouevtès), créèrent roi en sa place Antigone (Andigouénoues), et amenèrent prisonnier à Tigrane le grand-prêtre des Juifs Hyrcan (Hiourkanoues), avec beaucoup d'autres captifs. Tigrane vécut encore quelque temps après ces événements, et mourut au bout d'un règne de trente-trois ans. Après sa mort Marc-Antoine (Andouéninoues), roi des Romains, envoya une forte armée contre Jérusalem ; elle assiégea et prit cette ville. Antigone fut tué, et Hérode rétabli roi de Judée (Hréasdan). Après la mort de Tigrane, son fils Artavasde (Ardavazt) gouverna l'Arménie. Il ne fut pas semblable à son père ; il ne s'illustra ni par l'amour de la gloire, ni par la grandeur de ses actions ; il était seulement livré au plaisir et à la bonne chère, et il ne se glorifiait pas d'autre chose que d'errer à la chasse et de chercher les ânes sauvages et les sources limpides. Il fut repris de cela par les siens ; excité par leurs paroles, il sortit de son sommeil, rassembla beaucoup de troupes, fondit sur la Mésopotamie (Midchagiedk'h) qui lui avait été enlevée par Marc-Antoine, roi de Rome (Hrhouem), et en chassa les troupes romaines. Quand Marc-Antoine l’eut appris, il rassembla une grande quantité de troupes et fondit sur Artavasde comme une bête féroce. Ce ne fut pas seulement contre lui qu'il marcha, mais aussi contre d'autres nations et souverainetés, qu'A priva toutes de leurs princes. Il vainquit dans la Mésopotamie les armées arménienne et persane, et il emmena prisonnier le roi Artavasde.[25] Il fit en outre, dans cette guerre, un immense butin ; et le donna à Cléopâtre (Kghéouébadré) qui était à Jérusalem. Après cet événement et par l'ordre d'Ardaschès, roi de Perse, les troupes arméniennes se rassemblèrent ; elles nommèrent roi Arsace (Ardcham), fils d'Ardaschès et frère de Tigrane. Ce prince commença par raccommoder les Arméniens avec les Romains, parce qu'Ardaschès, roi de Perse, mourut alors, et que son fils Arschavir, encore enfant, n'avait pas la force de porter la couronne et se trouvait en guerre avec ses parents. Ienanoues Pagratide,[26] qui avait enlevé Hyrcan de la Judée, et qui l'avait amené prisonnier à Tigrane, fut alors privé de ses honneurs et jeté dans les fers, Zoura, nahabied des Genthouniens (Genthounik'h), ayant fait parvenir une délation contre lui jusqu'à l'oreille d'Arsace[27] (Ardcham) et affirmé par serment ce qu'il disait. Le roi fit souffrir divers tourments à Ienanoues pour le contraindre d'abandonner la religion juive et d'embrasser le culte des idoles. On le menaça de le faire pendre, d'anéantir toute sa race, et l'on envoya son fils au supplice. La mort de celui-ci ne calma pas la colère d’Arsace ; cependant Ienanoues parvint à l'apaiser, et fut rétabli dans ses premiers honneurs, ainsi que tous ses parents. Après qu'Arsace eut occupé le trône vingt ans, son fils Abgar (Apgar) le remplaça. Les anciens l'avaient nommé Avagaïr, parce qu'il était recommandable par sa prudence ; mais comme les Syriens (Asouerh'h) et les Grecs ne pouvaient prononcer ce nom, ils appelèrent ce roi Abgar (Apgar). A cette époque toute l'Arménie payait tribut aux Romains, qui alors obéissaient à l’empereur Auguste (Ogouesdoues). De son temps Jésus-Christ, notre sauveur, naquit à Bethléem (Pietghéheim) en Judée. Cependant une grande division et une rude guerre éclatèrent entre Abgar et Hérode, tant à cause de l'audace de ce dernier envers Jésus-Christ, qu'à cause de l'ordre qu'il avait donné de massacrer les enfants à Bethléem, où, tout en faisant verser de nombreuses larmes, il ne put cependant pas atteindre son but. Hérode envoya le fils de son frère en Mésopotamie avec beaucoup de troupes ; celui-ci livra bataille à Abgar et fut tué dans le combat. Hérode mourut quelque temps après ; son fils Archélaüs (Ark'haghaïous) lui succéda. Arschavir, roi de Perse, mourut aussi. Il s'éleva alors une terrible division entre ses fils, pour décider lequel succéderait au père. Abgar se fendit auprès d'eux ; et comme il était un homme fort habile, il rétablit la paix entre ces princes, parvînt à les réconcilier parfaitement, et créa roi Ardaschès, l'un d'eux. Il régla que les frères de ce prince formeraient trois familles, celles des frères Kariéni balhav et Souriéni balhav, et celle d'une sœur Asbahabied balhav. Par la suite il sortit de la famille Souriéni balhav l'illuminateur Grégoire, qui fut animé du désir de faire fructifier la vigne de Jésus-Christ. K'hamsar, chef de la famille Kamsarakan, descendait de la race des Kariéni balhav, Tous les frères d'Ardaschès furent donc, comme nous venons de le voir, chefs de familles royales. Comme Abgar était alors tourmenté d'une cruelle maladie, Marikhap, commandant utilitaire (ptiéaschkh) de l’Aghdsnik'h ; Schamschagram, nahabied d'Abaounik'h, et Anan, ami d’Abgar, qui avaient été à Jérusalem et qui y avaient vu les guérisons miraculeuses de Jésus-Christ, les racontèrent à Abgar. Ce prince écrivit à Jésus-Christ une lettre pour le prier de vouloir bien lui redonner la santé, car il n'avait pas encore trouvé un homme qui pût lui rendre ce service. Notre Sauveur reçut cette lettre, et envoya à Abgar une réponse favorable, dans laquelle il lui disait : Ceux qui croient en moi sans m'avoir vu sont très heureux. Il faut que je remplisse le désir de celui qui m'a envoyé. Je vous enverrai un de mes disciples, qui guérira vos maux et donnera abondamment la vie à vous et à ceux qui sont auprès de vous. La lettre du Sauveur fut portée à Abgar par Anan, qui était accompagné d'un courrier. Cette divine lettre existe encore jusqu'à ce jour dans la ville d’Edesse. La trentième année du règne d'Abgar, après l'ascension du Sauveur des hommes, l'apôtre Thomas envoya le disciple Thaddée pour guérir le roi, selon la promesse de Jésus-Christ, et en même temps il lui donna des pouvoirs pour être un envoyé évangélique. Thaddée étant venu habiter dans le palais de l'ischkhan Doupia Pagratide (Pagradouni), qui jusqu'alors avait vécu en suivant la religion de ses pères, et Doupia ayant conduit l'apôtre vers le roi, celui-ci vit sur le visage de Thaddée un signe brillant ; il se jeta alors à genoux et se prosterna devant lui. L'apôtre Thaddée posa sa main sur le roi Abgar et le guérit complètement de tous ses maux. Il guérit aussi tous les malades qui étaient dans le palais et dans la ville même. Il baptisa le roi Abgar, tous les habitants de la ville ; et, de jour en jour, il vit s'augmenter le nombre des serviteurs du Seigneur. Cependant Thaddée ordonna évêque un certain Atté,[28] qu'il laissa à sa place à Édesse ; puis il alla en personne vers Sanadroug, fils de la sœur d'Abgar, pour lui annoncer l'évangile et l'engager à embrasser la foi de Jésus-Christ. Abgar, qui avait eu une grande confiance en Thaddée, et qui avait tout fait pour la gloire de Dieu et montré une foi constante à la confession, s'éleva en mourant jusqu'au sommet de la tour de Sion (Siouen). Après sa mort Sanadroug,[29] fils de sa sœur, devint roi d'Arménie. Dans le commencement, converti par la prédication de l’apôtre Thaddée, il suivit la loi de Jésus-Christ ; mais ensuite, poussé et persuadé par ses nakharars, il renia la religion chrétienne. Bientôt après il tourmenta cruellement et enfin il fit mourir par l'épée le saint apôtre, ceux qui le suivaient, et même sa propre file Santoukhd. Ils s’élevèrent à la droite de la gloire de Dieu, dans la lumière de la vie immortelle. Quelque temps après, Barthélémi (Partoughiméous), l'un des douze apôtres que le Seigneur avait désignés par le sort pour annoncer la foi à l'Arménie, fut martyrisé d'une manière cruelle par ordre de Sanadroug, dans la ville d'Arevpanos[30] (Arievpanoues), où l’on a déposé ses glorieuses reliques. Il fut la gloire de l’Arménie et il guérit tous les malades. Sous le règne d'Ardaschès, roi d'Arménie, quarante-trois ans après le meurtre de Thaddée, les disciples de cet apôtre, qui alors avaient pour chef Oueski, vinrent fixer leur séjour auprès des sources de l'Euphrate (Iep'hrad). Ils y convertirent plusieurs Alains, compatriotes de la reine Sathinig, épouse du roi Ardaschès. Ils firent ensuite beaucoup de prosélytes à la croyance de la parole dévie. Les fils de Sathinig, irrités de cela, firent périr saint Oueski[31] et tous ses compagnons avec lui. Les compatriotes de Sathinig, qui avaient embrassé la foi chrétienne, affligés de la mort du saint, s'en allèrent au loin fonder une colonie. Ils se réfugièrent sur le mont Dchrapakhn, où l’on trouve une grande quantité de pâturages verts. Après que leurs âmes eurent quitté leurs corps, qui furent couverts de la rosée du ciel, on les appela, à cause de ces événements, K'hoghk’h (les voiles ou les voilés). Un certain homme nommé Parhahla vint ensuite de la porte des Alains pour chercher ces martyrs ; il les trouva sur le mont Dchrapakhn, et il leur éleva un tombeau, parce qu'ils avaient pari par l'épée pour avoir voulu être fidèles à Jésus-Christ. Dans la suite cette montagne fut appelée Soukav, en l'honneur de Souk'hias (Souk'hianoues), chef de ces saints personnages. Beaucoup d'années après ces événements, Chosroès (Khouesrouev), roi d'Arménie, fut tué par Anag, et l'Arménie se trouva sans roi. [32] Voici quelle en fut la cause : Artaban (Ardavan), roi de Perse, fut tué par Ardaschir Sdahratsi, qui détruisit le royaume des Arsacides, et régna en leur place. Anag, qui était de la race parthe et de la branche Souriéni balhav, fut trompé par les grandes et magnifiques promesses que lui prodigua Ardaschir ; en conséquence il alla en Arménie, auprès du roi Chosroès. Il crut qu'à la faveur de la parenté, en osant se réfugier vers ce roi, et en le trompant par sa perfide amitié, il parviendrait à accomplir facilement ce qu'il avait promis à Ardaschir, comme le raconte l'excellent et habile historien Agathangélos (Agathangiègoues) : c'est pour ces raisons qu'il vint habiter dans la province d'Ardaz. Par la faveur du ciel il arriva que la demeure où il fixa son Séjour se trouvait justement sur le lieu où repose le saint apôtre, sur son sépulcre ; on ajoute même que la mère de saint Grégoire accoucha dans pet endroit. Ce dernier naquit quelques jours après dans cette habitation pour supporter l'existence et accomplir son service spirituel. Cependant, après un espace de deux ans, Anag se rappelant la promesse qu'il avait faite à Ardeschir, tua le roi Chosroès. On fit ensuite mourir Anag et tous ses fils, excepté un seul, qui échappa par la faveur divine, et parce qu'il avait été désigné dès le ventre de sa mère pour remplir un jour l'apostolat comme un autre Jean-Baptiste, précurseur de Jésus-Christ, lorsque cet horrible attentat arriva, Anag et Chosroès laissèrent chacun un fils à la mamelle ; selon un écrivain véridique pu porta ces deux enfants en un lieu sûr dans le pays des Grecs. L'un devait être revêtu de la dignité royale, l'autre remplir lies fonctions d'apôtre et devenir la cause de notre conversion à la foi chrétienne. Ils furent tous les deux nourris dans ce pays, et parvinrent à l'âge de l’adolescence. Le premier, selon son désir, et secondé par une heureuse fortune et par beaucoup de combats, rentra dans le royaume de son père, la troisième année du règne de l’empereur Dioclétien (Tiouekghiédianoues) ; le second fit briller pour nous la rédemption, malgré les nombreux et incroyables tourments qu'il éprouva, malgré la grande quantité d'amènes plaisanteries qu'on fit contre lui, et quoiqu'il eût resté quinze ans prisonnier, soit à Khouer-virab, soit dans un petit fort malsain., qui était à Ardaschad, soit dans d'autres endroits aussi pernicieux. Pendant toutes ces persécutions il montra une inaltérable et étonnante tranquillité d'esprit, qui émanait de Dieu ; enfin il resta vainqueur, délivra de l'idolâtrie la race Arménienne (Aramiéan), et, la dix-septième année du règne de Tiridate[33] (Dertad), s'assit sur le trône des saints apôtres Barthélemi et Thaddée. Par sa sainteté il devint notre premier pontife, notre premier ministre, et, pour ainsi dire, notre père, selon l'Evangile. Il fut ensuite, avec le roi Tiridate et beaucoup de monde, trouver le divin empereur Constantin ; ce prince le combla des plus grands honneurs, et le considérant comme un martyr vivant, alla à sa rencontre, lui adressa des prières et lui demanda des bénédictions : c'est ainsi qu'il fut honoré. Il avait fait le voyage avec Tiridate, porté dans un char doré, et environné de la plus grande pompe. Arius (Arioues) d'Alexandrie (Aghiek'hsantria) parut à cette époque : poussé par le diable, il osait dire que le Fils n'est pas de la nature du Père, ni son égal, ni créé par le Père depuis l'éternité, mais seulement fait et engendré après le temps. Un concile d'évêques se rassembla à cause de cela, par l'ordre de Constantin, dans la ville de Nicée[34] (Nïkia) en Bithynie (Piouihmatsi) : parmi ces évêques était notre évêque Aristartès (Arisdarkès). Là trois cent dix-huit évêques, selon la doctrine du Saint-Esprit, condamnèrent l'hérésie d'Arius, l'anathématisèrent et le séparèrent de la communion de l'église.

Sa mort fut une juste récompense de son impiété ; il rendit ses intestins par le fondement avec des douleurs atroces. Lorsque Aristarcès revint de ce concile, il rapporta les canons qui eurent force de loi ; saint Grégoire y ajouta, dans la suite, quelques petites augmentations et les fît enseigner. Depuis que saint Aristarcès eût été au concile de Nicée, on ne vit plus saint Grégoire jusqu'à sa mort : il se retira secrètement dans la caverne de Mani. Selon un écrivain, il poussa rapidement vers le port un vaisseau agité ; il vécut dans l'abstinence et dans une solitude complète. Depuis le commencement de l'apostolat de notre illuminateur Grégoire, et son installation sur le trône patriarcal, jusqu'au moment où on ne le vit plus, il s'était écoulé trente ans. Saint Aristarcès prit possession du trône patriarcal comme d'un héritage paternel. Il entreprit un grand nombre de travaux, tous remarquables par leur sainteté et leur justice ; il s'efforça de gouverner son troupeau selon l'esprit de Jésus-Christ, et de tout conserver dans l'ordre conformément au désir du Sauveur, en employant pour les uns la douceur, et pour d'autres, au contraire, la force. Son esprit, par son activité, était comme une épée toujours en mouvement, et il résistait opiniâtrement à ceux qui commettaient de mauvaises actions. Archélaüs, gouverneur de la province de Dzouep'hk'h, qui avait été réprimandé par lui à cause de ses mauvaises actions, le rencontra par hasard sur un chemin dans cette province ; il eut l'audace de méditer son meurtre et de le tuer d'un coup d'épée. Il prit ensuite la fuite et passa à l'occident du mont Taurus (Doroues). Les disciples d'Aristarcès recueillirent son corps, qui avait été abandonné, et le déposèrent en paix dans une église du bourg de Thiln. Aristarcès avait occupé le trône patriarcal pendant sept ans ; à mon avis il ne descendit pas dans le sépulcre, mais il fit une ascension de ce monde inférieur vers le monde rempli de vie ; il ne fut pas détruit par la mort, mais il alla jouir d'une éternelle et agréable félicité. Son frère aîné Verthanès monta après lui sur le trône patriarcal, par la grâce du Saint-Esprit. Cependant notre incorporel et brillant saint Grégoire mourut après avoir vécu beaucoup d'années dans la caverne de Mani. Il fut enterré obscurément par des bergers, qui le traitèrent comme un pauvre. Longtemps après un solitaire nommé Garhnoug trouva son corps ; il lui suffit de le voir pour y reconnaître les traits de saint Grégoire à son air respectable, et il le fit déposer au bourg de Thortan (Thouertan), dans le jardin où le saint illuminateur avait l'habitude de se promener. Quelques années plus tard, le saint roi Tiridate fut flatté avec adresse par des impies et par des ennemis de la religion, qui lui donnèrent un breuvage mortel. On porta son corps pour l'enterrer dans le même bourg et dans le même jardin ; on le déposa auprès du tombeau de saint Grégoire, à qui on peut le comparer, puisque toujours il se mit en opposition avec les méchants en déjouant leurs projets : aussi doit-on le considérer comme un second illuminateur. Cependant le grand Verthanès était resté jusqu'alors dans la province de Daron, dans l'église de Jean (Houehannès) Baptiste et du martyr Athanaginès, parce qu'il était menacé en secret de la mort par les habitants de la montagne de Sim qui le détestaient, attendu qu'à s'était toujours opposé à leur méchanceté et à l'exécution de leurs mauvaises actions. Verthanès s'aperçut ensuite que le lieu de son refuge n'était pas sûr ; il prit la fuite vers la province d'Iekieghia, où il vécut tranquillement. Après la mort de saint Tiridate, l'impie Sanadroug, second de la race des Arsacides, qui avait été créé par Tiridate nahabied de la ville de Phaïdagaran, se révolta avec éclat, ceignit le diadème et donna des ordres impies. C'est en conséquence de ces ordres que les nations barbares du Nord tuèrent, dans la plaine de Vadniéan et en le foulant sous les pieds des chevaux, l'admirable jeune homme Grégoire (Grigouerioues), de la race de saint Grégoire, qui avait été créé évêque des Albaniens (Aghouévank'g). On enterra son saint corps dans le bourg d'Amaras, dépendant de la province nommée la Petite Siounik'h.

CHAPITRE IX.

Le grand Verthanès se rendit auprès de l'empereur Constance (Kouesdantoues), fils de Constantin, pour lui demander instamment de créer roi d'Arménie Chosroès[35] à la place de son père Tiridate, parce que, lui disait-il, il gouvernera notre royaume selon la loi de Jésus-Christ, et non en suivant l'impiété des Perses. L'empereur, touché par la sainteté de ce respectable personnage, lui accorda sa demande et créa roi d'Arménie Chosroès. Après la mort de ce dernier, le grand Verthanès prit avec lui Diran, fils de Chosroès, et le conduisit auprès de l'empereur Constance pour le faire créer roi d'Arménie, comme l'avait été son père. Dès le premier abord, l'empereur reçut Verthanès avec les plus grands honneurs et les plus grandes distinctions ; il lui accorda sans peine tout ce qu'il venait lui demander ; il donna à Diran le diadème et la souveraineté de ses pères, et le renvoya avec éclat en Arménie. Cependant le vase d'élection, le dépositaire des pensées de Dieu, le prédicateur apostolique, le grand Verthanès mourut, et passa de ce monde périssable à celui de la vie éternelle. Il avait occupé le trône patriarcal pendant quinze ans. On l'enterra avec ses pères dans le bourg de Thortan. Son fils Housig lui succéda dans son siège ; il suivit exactement les préceptes apostoliques, et toujours avec le plus grand plaisir. Après l'abdication de Constance, l'infidèle Julien (Ioulianoues) gouverna Rome ; il se conduisit avec insolence, relativement à la connaissance de Dieu, se livra à l'idolâtrie, renia le Christ, et suscita une persécution contre les églises. Il prit des otages de notre roi Diran, et consentit sans peine à le confirmer dans sa souveraineté ; ensuite il ordonna à ce prince de placer dans son église, parmi celles des dieux, son image peinte, pour qu'elle y fût adorée. Contraint par la nécessité et la crainte, Diran fit placer cette image dans une église de la province de Dzouep'hk'h. Cette action amena saint Housig dans cet endroit ; il essaya avec sa science sublime de détourner adroitement Diran de l'impiété ; mais comme ce prince fermait l'oreille à ses avis, il arracha l'image de ses mains, la jeta à terre et la déchira avec ses pieds. Le roi Diran, enflammé de colère, donna l'ordre de frapper Housig à coups de bâton jusqu'à ce qu'il rendît l'âme. Le vieux Daniel (Taniel) prononça anathème contre le roi à cause de cette mauvaise action. Diran ordonna alors qu'on l'étranglât. Le corps de saint Housig fut porté dans le bourg de Thortan, où il fut enterré dans un monastère, auprès de ses pères. Saint Housig avait été patriarche pendant six ans. Ses fils, Bab et Athanaginès, préparèrent une mort épouvantable à leurs âmes par leur perversité ; la foudre descendit sur eux, et ils périrent tous deux dans le même endroit. Ils ne laissèrent qu'un petit enfant nommé Nersès (Niersés), fils d'Athanaginès, qu'on instruisait et élevait alors à Césarée Comme on ne trouva personne de la race de saint Grégoire, on choisit un nommé P'harhniersèh, de la ville d'Aschdischad, et on l’éleva sur le trône patriarcal, qu'il n'occupa pas plus de trois ans, au bout desquels il mourut. Arsace,[36] fils du roi Diran, qui avait été aveuglé par l'ordre du roi des Perses, envoya Nersès, fils d'Athanaginès, fils d'Housig, pour recevoir les premiers ordres sacrés à Césarée, et être ensuite ordonné patriarche. On raconte qu'on vit alors quelques signes admirables. Pendant qu'il se tenait près de l'autel pour être consacré, les grâces du Saint-Esprit vinrent se reposer sur sa tête en forme de colombe, ce qui frappa d'étonnement tous les prêtres de l'église. L'éclatante lumière qui se répandit alors sur lui, inspira le plus grand esprit d'ordre et une admirable direction dans tous les états, et elle excita une belle émulation parmi ceux qui étaient susceptibles d'éprouver ce sentiment. La racine de la barbarie fut arrachée, et l'on sema en sa place la miséricorde pour le soulagement des pauvres, pour la consolation des hommes affligés d'infirmités corporelles, des lépreux, de ceux qui ont des ulcères, et de ceux qui sont malheureux ou sans force. Des secours furent préparés pour eux dans les villages et les campagnes, et on ne les laissa pas sortir de leur terre natale. On établit des monastères, des lieux d'hospitalité, des hôpitaux, des asiles pour les pauvres dans les bourgs, dans les villages et même dans les déserts et dans les solitudes. On fit bâtir des ermitages et des cellules isolées dans les environs des monastères, et l’on chargea de veiller à la conservation et à la garde des morts ceux qui étaient voisins des lieux d'inhumation. C'est ainsi que notre pays fut habité par des citoyens doux, et non par d'affreux barbares. Cet ordre admirable couvrit de gloire le roi et les nakharars d'Arménie. Les mœurs des religieux devinrent plus sévères ; ils s'observèrent les uns les autres, et la gloire du patriarcat fut augmentée. Peu de temps avant ces événements, Constance, fils du grand Constantin, avait fait transporter d'Éphèse (Iep’hiésoues) à Constantinople (Kouesdantinouebouelis) les reliques de saint Jean l'évangéliste ; après cette action audacieuse, il créa, dans la dernière de ces villes, un patriarche. La cause de son audace et de la liberté qu'il prit fut qu'il voulait soutenir son trône par la gloire du patriarcat ; il fit alors un décret dans lequel on lisait ces mots : Le verbe naquit du Père ; il vécut parmi les hommes, fut baptisé par Jean ; et après avoir été crucifié et enterré, il ressuscita le troisième jour. Il n'y a que quatre patriarches sur la terre, à cause des quatre évangélistes : Mathieu (Mathéoues) à Antioche (Andiouek'h), Marc (Markoues) à Alexandrie, Luc (Ghouka) à Rome, et Jean à Éphèse. Mais par la suite ils furent réellement six en tout. Plus tard notre roi Arsace et les nakharars d'Arménie prirent la liberté de se procurer le même honneur, et érigèrent en patriarcat la maison de Thorgoma. Le grand Nersès y consentit ; il trouva cela selon la justice, parce que nous avions eu parmi nous les saints apôtres Barthélemi et Thaddée, que Dieu avait désignés par le sort pour être les prédicateurs et les évangélistes de la race d'Ascénez. Leurs glorieuses reliques sont chez nous, et leur trône fut occupé par le vivant martyr Grégoire. Ainsi le nombre total des patriarcats s'étendit successivement jusqu'à sept, ce qui dure encore à présent. Le saint patriarcat de l'église de notre pays est admirable par l'ordre hiérarchique, qui forme en tout neuf degrés. Il y a d'abord des chefs d'archevêques, tels que celui des Albaniens qui crée des archevêques à Sébasté (Siépasdia) et à Mélitène ; dans la ville des Martyrs résident des métropolitains, et, dans les différents diocèses, des évêques. Outre cela des diacres, des sous-diacres, des lecteurs et des chantres sont répandus, de côté et d'autre, dans la totalité des églises que les Arméniens ont décorées magnifiquement pour la gloire de Dieu.[37] L'empereur Valentinien (Vaghendianoues) fut animé d'une violente colère contre le roi Arsace ; il s'emporta même jusqu'à faire tuer le frère de ce prince, nommé Tiridate (Dertad), qui était en otage auprès de lui. Quand le grand Nersès apprit cela, il alla promptement trouver l'empereur, et pour gagner son esprit avec adresse, il se rendit auprès de ce prince accompagné d'un grand cortège, comme il convient à un patriarche ; il amena avec lui, pour les laisser en otage, le fils même du prince Tiridate qui avait été tué, et d'autres personnes, et il rapporta la paix dans l’Arménie. Après la mort de l'empereur Valentinien, son frère, l'impie Valens (Vaghès), monta sur le trône ; il envoya aussitôt inopinément son général Théodose (Théouétoues) avec une grande armée, pour faire la guerre au roi Arsace, ce dont celui-ci eut beaucoup de chagrin. Arsace pria instamment le grand Nersès de demander la paix. Ce dernier ne perdit pas de temps et ne négligea rien pour faire réussir l'affaire. Il prit promptement avec lui Bab,[38] fils d'Arsace, et le conduisit comme otage au grand général Théodose, qui le reçut et l'envoya vers l'empereur ainsi que le patriarche Nersès et les otages. L'impie Valens ne daigna pas jeter un regard sur l'homme de Dieu, et, par la violence, il le contraignit d'aller en exil dans une île, avec tous ceux qui l'avaient accompagné ; on ne leur donnait à tous, chaque jour, qu'une très faible et très frugale nourriture. Mais, par l'ordre de Dieu, le délire de Valens fut confondu ; car la mer, en jetant des poissons sur le rivage, fournit pendant huit ans à la nourriture des exilés. On dit que l'impie Valens reçut de Dieu, à cause du saint martyr Grégoire, la juste punition de sa mauvaise action ; et, en effet, il mourut d'une manière incompréhensible.

Après lui le grand Théodose monta sur le trône ; il était bienfaisant et pieux ; il éloigna de ses conseils tous les desseins ténébreux et perfides, et il jeta les fondements durables de la pureté de la foi. Il renvoya dan leur patrie tous les hommes qui avaient été exilés par les ordres de Valens, parmi lesquels était le grand Nersès, qu'il se fit amener, et qu'il garda auprès de lui pour examiner la détestable hérésie de Macédone[39] (Makiétouen), qui osait s'élever contre la vérité de la foi. Il se rassembla ensuite un concile de cent cinquante évêques, qui, au bout d'un mois, prononcèrent anathème contre Macédone et tous ses adhérents. Schahpour (Schabouèh), roi de Perse, prit Arsace, roi d'Arménie, le fit charger de chaînes et jeter dans le Château de l'Oubli (Aniouschpiert). Arsace s'arracha la vie dans cette prison, en se plongeant une épée dans le cœur. Quand le grand Nersès apprit cet affreux malheur, il alla, par amitié, trouver l'empereur Théodose pour l'engager à créer roi d'Arménie Bab, fils d'Arsace. Ce prince lui accorda sa demande, et il les renvoya tous deux promptement en Arménie. Lorsqu'ils y arrivèrent, ils trouvèrent l'apostat Mehroujan à la tête d'une grande quantité de troupes arméniennes, et on en vint aux mains à Dsirav. Pendant que le combat se soutenait avec la plus grande vigueur, la grand Nersès monta sur le mont Nbad ; et, comme Moïse, il éleva ses mains vers le ciel en priant instamment Jésus-Christ de mettre sur l'armée le signe de sa protection, d'agir contre les ennemis de Dieu, et de fortifier les Arméniens pour qu'ils pussent terrasser complètement leurs adversaires. L'abominable Mehroujan Ardzrouni tomba au pouvoir de Sempad ; on le fit périr en lui plaçant sur la tête un morceau de fer qui avait la forme d'une couronne et qui était brûlant comme le feu de la foudre. Le roi Bab fut toujours livré à la flatterie et adonné aux actions les plus honteuses ; aussi était-il perpétuellement réprimandé par saint Nersès qui s'opposait à tous ses mauvais desseins ; Bab s'en vengeait en lui faisant toujours du mal ; et ne pouvant plus enfin le supporter, il lui fit donner un breuvage mortel dans le bourg de Khagh, et le priva de la vie, quoiqu'il fût innocent. On le porta pour l'enterrer dans le bourg de Thiln. Il avait occupé le trône patriarcal pendant trente quatre ans. On créa patriarche après lui un nommé Schahag, de la race d'Alpianoues. C'était un homme estimable, et doué de toutes les vertus et les qualités religieuses ; il n'envoya pas, selon l'ancienne coutume, à Césarée ; il abandonna cet usage ; mais il se fit ordonner patriarche par les chefs des conciles, comme les patriarches d'Antioche, d'Alexandrie, de Rome, de Constantinople, d'Ephèse et de Jérusalem, pour que le patriarcat ne tombât pas dans d'autres mains. Cette mesure rendit la dignité de patriarche plus importante. lie roi Bab fut pris dans la suite et tué par ordre de l'empereur Théodose, qui mit en sa place Varaztad, de la race des Arsacides. La deuxième année de son règne, le patriarche Schahag mourut ; il avait occupé six ans le trône patriarcal. Son frère Zaven lui succéda ; c'était un homme très recommandable par la pureté de ses mœurs. Le grand Théodose exila ensuite le roi Varaztad dans l'île de Thulé[40] (Thoulis ou Thoghis) située dans l'Océan ; il créa alors rois ensemble les deux fils du roi Bab, Arsace (Arschak) et Valarsace (Vagharschak).[41] La troisième année du règne d'Arsace, Zaven mourut après avoir rempli pendant trois ans les fonctions de patriarche. Son frère Asbouragès lui succéda. Ils ont tous deux administré avec succès le patriarcat. Schahpour, roi de Perse, créa roi de la partie de l'Arménie qui lui appartenait un Arsacide nommé Khosrov (Khouesrouev). Vous pouvez voir raconté, d'une manière très étendue, dans l'histoire de Moïse de Khoren (Mouevsès Khoueriénatsi), tout ce qui concerne les mœurs, les actions, les vertus, les vices et les combats des deux rois qui gouvernaient l'Arménie. Après la mort du roi Arsace, Mesrob (Miesroh), né à Hatsiégats, dans le pays de Daron, et disciple du grand Nersès, était l'archiviste de la cour des rois ; il fut en grand honneur parmi les hommes à cause de ses qualités célestes et de ses mœurs de solitaire. Au reste ses vertus étonnantes et admirables, et les excellentes qualités dont Dieu l'avait doté, vous sont suffisamment connues par ceux qui ont écrit l'histoire avant nous. Le grand patriarche Asbouragès mourut ensuite ; il avait occupé le siège patriarcal l'espace de cinq ans. Le roi Khosrov lui donna pour successeur Isaac (Sahag), fils du grand Nersès, parce qu'il était véritablement né pour la vertu, et qu'A ne marchait qu'accompagné d'actions saintes et justes. Notre pays était comme désert lorsqu’Isaac y parut : il le pacifia, replaça tout dans un ordre admirable, mit fin à tous les troubles, et rétablit la piété avec les prières de ses disciples. Cependant Ardaschir,[42] fils de Schahpour, roi de Perse, prit Khosrov, roi d'Arménie, et le fit enfermer dans le Château de l'Oubli ; il créa roi en sa place le frère de ce prince, nommé Bahram Schahpour (Vrham Schabouèh). Le grand Isaac se rendit auprès du roi de Perse Ardaschir avec un appareil magnifique, parce que Dieu voulait montrer d'une manière distinguée et honorable son serviteur en présence des infidèles ; il se conduisit avec tant de circonspection, qu'il obtint toutes ses demandes, et qu'Ardaschir le renvoya vers notre roi Bahram Schahpour, après l'avoir comblé de grands honneurs. Le roi de Perse mourut ensuite, et Bahram (Vrham) lui succéda. Dans le même temps Mesrob nous apporta, pour écrire notre langue, des caractères qui lui avaient été manifestés par la faveur de Dieu. D'après l'ordre du grand Isaac, il rassembla dans chaque province, pour les instruire dans l'art d'écrire, une grande quantité déjeunes gens, doués d'un esprit ingénieux et docile, d'une voix flexible et de beaucoup d'esprit. Il alla, après cela, dans l’Ibérie (Virk’h), où il donna des caractères pour la langue de cette contrée, et où il fit des docteurs et des scribes. Il passa de là dans le pays des Albaniens ; il leur composa des caractères d'écriture appropriés à l'esprit et à la nature de leur langue, et s’étant établi chez eux, il y fit aussi des disciples. Mesrob revint ensuite en Arménie auprès de saint Isaac, et s'occupa constamment à traduire. Le roi d'Arménie Bahram Schahpour mourut, et le grand Isaac alla trouver le roi de Perse Iezdedjerd (Iazkierd), pour le prier de. tirer de prison Khosrov, et de l'envoyer en Arménie à la place de son frère Bahram Schahpour. Le roi de Perse acquiesça à la demanda du saint homme : il donna la souveraineté de l'Arménie à Khosrov qui, cette seconde fois, ne fut pas possesseur du trône pendant longtemps, car il mourut au bout d'un an.[43] Après la mort d'Iezdedjerd, Bahram II monta sur le trône de Perse, causa beaucoup de mal à l'Arménie, détruisit les plus belles institutions, et introduisit partout la corruption et la dépravation. Saint Isaac, voyant ces mauvaises actions, passa dans la partie de notre patrie qui était soumise aux Grecs, depuis que l'Arménie avait été partagée entre l'empereur grec et le roi de Perse. Le grand Théodose, qui avait dès longtemps de la vénération pour saint Isaac, ne refusa pas de le recevoir ; et considérant qu'il était plein des grâces divines et des plus éminentes vertus, il le reçut avec autant de distinction et avec d'aussi grands honneurs, que s'il eût été un apôtre même de Jésus-Christ. Il ordonna qu'on apprît promptement les caractères d'écriture que Dieu avait donnés à Mesrob, et il créa dans sa résidence royale un bureau pour cet objet. Cependant saint Isaac envoya son petit-fils Vartan vers le roi de Perse Bahram[44] pour demander la paix. Vartan fut reçu avec honneur, et on lui accorda la demande du sainte En conséquence, on créa roi d'Arménie Ardaschir, fils de Bahram Schahpour. Ce prince se plongeait habituellement dans l'ivresse et se livrait aux plus grands désordres : ce fut la cause de L'accusation que les nakharars portèrent contre lui. Ils firent d'abord parvenir leurs plaintes jusqu'à lui ; mais ensuite ils s'adressèrent au grand Isaac pour le prier de prendre leurs intérêts et d'accuser Ardaschir auprès du roi de Perse, afin que ce dernier le fit mettre en prison, ou qu'il l'éloignât du trône d'Arménie. Isaac, quoiqu'il sût bien que toutes ces accusations n'étaient pas fausses, pensait cependant qu'il ne fallait pas livrer son roi à un roi infidèle, et qu'au lieu de songer à le perdre on devait espérer qu'il se relèverait de sa chute. Loin de moi, répondit-il, la pensée de livrer jamais une brebis égarée, parce qu'elle est vicieuse. Ardaschir n'a-t-il pas reçu le saint baptême ? Il est fornicateur mais il est chrétien. Son corps est corrompu, mais son esprit n'est pas sans foi ; ses mœurs sont mauvaises, mais il n'adore pas le feu. Ne changeons pas une brebis malade pour une bête féroce.

Le conseil du saint était juste et prudent. Bahram fut instruit de tous ces mauvais desseins par Sourmag, dont la langue était comme un glaive exterminateur, et qui désirait occuper le siège de saint Isaac. Alors Bahram fit jeter Ardaschir dans une prison,[45] plaça un marzban persan en Arménie,[46] et créa patriarche, à la place de saint Isaac, le calomniateur Sourmag. Celui-ci ne remplit pas cette dignité plus d'un an, et fut chassé par les-nakharars arméniens. Bahram nomma pour le remplacer un Syrien appelé Bérékischoï[47] (Pergisch), homme impudent et dilapidateur : sa maison était administrée par une concubine ; et pour cette raison les nakharars le détestèrent. Bahram le remplaça par un autre Syrien nommé Schmouel,[48] qui était le parfait imitateur des mœurs de Bérékischoï, et qui le surpassait même par son avidité. On commanda à saint Isaac d'instruire et d'ordonner des prêtres ; on le commanda aussi à Schmouel. Le grand Isaac adressa une prière aux nakharars arméniens, pour qu'ils ne reçussent pas Schmouel, parce que sans cela ils auraient eu deux chefs, et parce qu'on ne pouvait jamais cesser de nourrir les enfants de l'église du lait spirituel. Le roi de Perse Bahram mourut ensuite ; son fils Iezdedjerd lui succéda. Saint Isaac, après s'être préparé avec une grande patience, monta vers Jésus-Christ, dans la province de Pagravan,[49] sur une colline nommée Gieogh. Il avait des mœurs entièrement spirituelles dans un corps destiné à la mort. Il s'est assuré par ses vertus une gloire immortelle ; il a été placé dans le chœur des anges et à la droite du trône de Jésus-Christ. On porta son corps en grande pompe, et on l'enterra dans le bourg d'Aschdischad, dans la province de Daron. Six mois seulement après, le saint Mesrob sortit de cette vie, étant dans la ville de Vagharschabad. Les gardes célestes qui veillaient sur lui le firent voir resplendissant : une lumière miraculeuse brillait au-dessus de lui et avait la forme d'une croix ; elle se manifesta aux yeux des assistants, et-dura jusqu'au moment où l’on enleva le saint corps pour le porter dans le bourg d'Oschagan. Pendant cette translation, on vit encore une brillante lumière en forme de croix, qui changea sur le tombeau et devint invisible. Cependant on nomma au siège patriarcal Joseph (Iouevsep’h), du bourg de Hoghotsim (Houeghouets), dans la province de Vaïots-dsor (Vaiouets-dsouer). Mais par l'ordre du roi de Perse Iezdedjerd, Sourmag continua de remplir les fonctions de patriarche ; il les conserva encore six ans et mourut. Joseph lui succédant entra alors dans l'exercice du patriarcat. C'est à cette époque que la race des Arsacides cessa de gouverner le royaume d'Arménie, et que la race de notre illuminateur, le trois fois heureux Grégoire, cessa d'occuper le siège patriarcal. Alors chaque homme agit selon son caprice, se mêla de troubler la paix et de déranger la tranquillité publique. Plusieurs de nos nakharars se livrèrent au mal, renièrent la religion chrétienne et se soumirent à l'idolâtrie. Les deux plus grands d'entre eux furent Schavasb Ardzrouni et Vent (Ventoui), de la ville de Tovin[50] (Tvin), qui ordonnèrent de bâtir un temple à Ormuzd (Ouermezd) et une maison pour l'adoration du feu. Vent créa son fils Schéroï (Schiéroui) grand prêtre des faux dieux ; il lui donna pour son usage un livre persan. Il commit beaucoup de mauvaises actions, et se plongea dans l'obscurité et les ténèbres d'une abominables doctrine. Quand le vaillant Vartan, petit-fils du grand Isaac, apprit qu'on avait détruit le bon ordre de l'église et que l'on couvrait de deuil les fêtes annuelles, il rassembla promptement une armée, fondit avec audace sur les impies, fit périr par l'épée l'impie Schavasb, mit en fuite le marzban Mesphkan ; et après avoir pris l'abominable Vent, le condamna à être brûlé dans le temple du feu que celui-ci avait fait construire dans la ville de Tovin (Tvin), et fit pendre son fils Schéroï au-dessus de l'idole. Il édifia sur le lieu même où était cette idole une grande église qu'il nomma Saint-Grégoire. Le grand patriarche Gioud (Kioud) y transporta le siège patriarcal[51] et s'y fixa, parce que le saint patriarche Joseph avait été emmené en exil et mis en prison avec les saints Ghievouentiens, qui sont encore vivants. Les nakharars arméniens ne firent pas leur devoir en laissant le troupeau de Jésus-Christ sans pasteur et en ne se séparant pas des loups idolâtres, quoique le saint patriarche Joseph le leur eût ordonné ; mais enfin l'ordre de la sainte église fut rétabli d'une manière admirable, et les Arméniens se soumirent au généralat du vaillant Vartan jusqu'au jour de sa mort. Vartan livra avec courage un grand nombre de combats : il périt en combattant pour Jésus-Christ et les chrétiens d'une manière digne de lui, ainsi qu'un grand nombre de ses compagnons, et il reçut de l'immortel roi Jésus-Christ une couronne impérissable. Quelque temps après arriva la mort du saint patriarche Joseph, qui avait occupé le siège patriarcal pendant huit années. Plusieurs saints évêques, les prêtres Ghievouentiens et des diacres périrent avec lui, en Perse, par ordre de l'infidèle Firouz (Bierouez). On posa sur leurs têtes la couronne du martyre, et ils se réunirent dans le sein de Dieu. Le grand patriarche Gioud, du bourg d'Iothmous, occupa ensuite le siège patriarcal pendant dix ans et mourut. Jean (Houehan) Mantakouni lui succéda. C'était un homme accompli, doué des plus belles qualités ; il augmenta considérablement le bréviaire de notre église, et il composa aussi des histoires pour servir à se diriger selon le droit chemin dans le cours de la vie. De son temps Vahan Mamigonéan (Mamikouéniéan), fils de Homaïéag (Hmaïéak), frère du saint Vartan, gouverna l'Arménie, et vainquit vaillamment toutes les troupes étrangères qui vinrent l'attaquer. Par le conseil, les avis et les utiles prières du saint patriarche Jean Mantakouni ; il rassembla les tribus de l'Arménie et fit reconstruire les églises qui avaient été détruites par les ennemis. Firouz fit encore du mal à notre pays tant qu'il vécut. Ayant méprisé les prières du saint homme de Dieu Jean, il périt dans le K'houschank'h[52] avec toute son armée. Après lui, Balasch (Vagharsch) gouverna l'empire des Perses. Il écouta de bons avis et confia notre pays à Vahan. Cependant notre grand patriarche Jean Mantakouni s'en alla vers Jésus-Christ après avoir occupé pendant six ans le trône patriarcal ;. son disciple Papgen lui succéda. De son temps Firouz régnait en Perse. Ce prince appela Vahan à sa cour, le créa marzban d'Arménie et l'envoya dans ce pays. Vers la même époque le pieux, le religieux et le célèbre roi des Romains Zénon (Ziénouen) mourut étant sur le trône. Avant l'époque de son avènement, tout avait été couvert d'un voile ténébreux et épais par les odieux hérétiques. Mais Zénon rejeta le concile de Chalcédoine (K'hàghiétoun), dissipa les ténèbres et fit fleurir dans l'église de Dieu l'admirable, brillante, étincelante et véritable doctrine des apôtres. Après lui, le vaillant Anastase (Anasdas) monta sur le trône ; il fut aussi zélé ami de la vérité que Zénon, et même encore plus que lui : toutes ses actions étaient agréables à Dieu, et il était fermement attaché à la saine doctrine des saints pères. On écrivit, par son ordre, des lettres circulaires qui anathématisaient tous les hérétiques et le concile de Chalcédoine. Pendant que sa saine doctrine florissait dans tout l'empire romain, le grand patriarche Papgen rassembla, dans la nouvelle ville où était fixé le patriarcat, un concile d'évêques arméniens, ibériens-et albaniens, qui anathématisèrent et rejetèrent aussi le concile de Chalcédoine ; ils fondèrent alors une doctrine universelle, qui avait pour base celle de saint Grégoire. C'est ainsi que fut établie la seule vraie doctrine dans tous les pays des Romains, des Arméniens, des Ibériens et des Albaniens ; tous ils rejetèrent et anathématisèrent le concile de Chalcédoine. La vraie doctrine subsista ainsi pendant l'espace de trente-cinq ans. L'impie Justinien (Iousdianoues) régna après Anastase ; ce fut un homme méchant, qui désirait tout détruire, tout changer, et rétablir l'hérésie du concile de Chalcédoine : il accabla de chagrins, de peines et de tourments affreux tous les saints hommes et tous ceux qui tenaient à la saine doctrine, et il plongea la sainte église dans un abîme de sang. Après que le grand patriarche Papgen eut occupé le trône patriarcal pendant cinq ans il mourut. Samuel, du bourg d'Ardz, lui succéda. De son temps, Vart, frère de Vahan, gouverna l'Arménie. Samuel mourut après avoir occupé le patriarcat pendant dix ans. On créa patriarche après lui Mouschè, du bourg d'Aïlapérits (Ailapier), dans la province de Godaik'h (Kouedaik'h). De son temps l'Arménie fut gouvernée par des marzbans persans. Après que Mouschè eut occupé avec sainteté le siège patriarcal pendant huit ans, il mourut. Il fut remplacé par Isaac (Sahak), du bourg d'Oughga (Ieghieka), dans la province de Hark'ha. À cette époque, des marzbans persans gouvernèrent l'Arménie sous les ordres de Kobad (Kavad), roi de Perse. Isaac remplit les fonctions de patriarche pendant cinq ans, et mourut ensuite. Christophe (Khrisdap'houer), du bourg de Dirarhidj, dans la province de Pagrévant, fut placé après lui sur le trône patriarcal. Il l'occupa pendant six ans. Léonce (Ghiévouent), du bourg de P'houek'grierhasd, lui succéda. De son temps Chosroès (Khouesrouev) remplaça son père Kobad sur le trône de Perse. Vartan Mamigonéan se révolta contre lui, tua, dans la ville de Tovin, le marzban Souren, et se soumit aux Grecs avec plusieurs autres nakharars. Léonce mourut après avoir occupé le trône patriarcal pendant trois ans. Il eut pour successeur Nersès, du bourg d'Aschdarag, dans la province de Pagrévant. De son temps le roi de Perse Chosroès rassembla une armée nombreuse, et envoya Hrouésag contre Vartan. Il y eut un violent combat dans la plaine de Khaghamakha. Par les continuelles prières de Nersès, les troupes de Vartan firent un effroyable carnage des Perses. Du temps du patriarche Nersès, Maghouedj, mage de nation, né dans le bourg de K'hounarasdan, dans la province de Nischapour (Nieschabouèh), nommé sur les fonds de baptême Izdpouzid, c'est-à-dire sauvé par Dieu, souffrit toutes sortes de tourments dans la ville de Tovin, par ordre du marzban Veschnas Vahram, et reçut la couronne du martyre. Le corps de ce saint martyr fut porté au grand patriarche Nersès par tous les évêques et les prêtres de l'église. Ils le placèrent auprès de l'église qui servait de résidence au patriarche, et ils lui élevèrent un tombeau de martyr en pierre de taille. Nersès mourut après avoir occupé le siège patriarcal pendant huit ans. Un nommé Jean (Houehannès),[53] du bourg de Dzieghouévan, dans la province de Gapeghéan (Gapieghiéank'h), lui succéda ; il fut en possession de la dignité de patriarche d'Arménie pendant l'espace de dix-sept ans et mourut ensuite. Moïse (Mouevsès), homme divin, né dans le bourg d'Eghivart,[54] (Ieghiévart), élevé et instruit dans le palais des patriarches, monta sur le trône de saint Grégoire après Jean. Le cycle composé de cinq cent trente-deux ans fut achevé la dixième année du patriarcat de Moïse, et la trente et unième du règne de Chosroès, fils de Kobad, et roi de Perse. Par l'ordre exprès du grand Moïse, les grammairiens et les savants réglèrent à l'usage de la race de Thorgoma la manière de supputer le temps. Ce travail servit aux observations scientifiques : l’on forma un calendrier perpétuel pour la nation arménienne, et l’on ne fut pas obligé de faire comme les autres nations pour les cérémonies de l'église, Le saint patriarche Moïse ordonna, selon les anciens usages, Kiouriouen archevêque d'Ibérie, de Gougark'h et de Colchide.[55] Mais vers le temps de la mort de Moïse, Kiouriouen s'éloigna de la fidélité qu'il devait au véritable ordre de choses et à la vraie croyance, et contraignit tous les orthodoxes qui suivaient la doctrine des saints pères de se soumettre à l'infâme concile de Chalcédoine, dans le pays de sa juridiction. Ensuite, par sa détestable insolence, il séduisit les nakharars du pays et répandit promptement son horrible séduction. Cependant Moïse eut de violentes altercations avec lui ; il lui adressa des paroles pieuses et de belles et excellentes exhortations pour l'arracher à son impiété, à sa détestable hérésie, et le ramener à la véritable doctrine des saints pères. Kiouriouen ne voulut pas obéir ; il préféra le poison au remède salutaire de la sagesse. Le grand patriarche Moïse termina sa vie quelque temps après : il avait occupé trente ans le trône patriarcal. Ce saint patriarche vivait encore lorsqu'un rayon éclatant de la lumière divine pénétra dans le cœur du roi de Perse Chosroès, fils de Kobad, qui régnait sur beaucoup de nations, et s'était illustré pat un grand nombre de combats et d'actions de bravoure et de vaillance. Cela arriva l'année même de la mort de Moïse. Chosroès crut en Dieu, à son fils unique et au Saint-Esprit aussi Dieu ; il rejeta bien loin de lui l'absurde idolâtrie, et confessa qu'il n'y avait pas d'autre dieu que le seul Dieu qu'adoraient les chrétiens. Il fut régénéré par l'eau du baptême ; il participa à la vie lumineuse et au sang du Seigneur ; il salua et baisa le saint Evangile de Jésus-Christ, et trois jours après il mourut dans des exercices de piété. Les chrétiens prirent son corps pour l'inhumer ; ils chantèrent des psaumes, et tous les prêtres l'accompagnèrent. On le déposa dans la sépulture des rois. Son fils Hormouzd (Ouermizt) monta après lui sur le trône ; mais plusieurs des courtisans et des nakharars se révoltèrent contre lui et le tuèrent dans son palais. Chosroès, son fils, régna alors en sa place. Un ischkhan nommé Bahram (Vahram) se révolta contre celui-ci et se fit nommer roi ; alors Chosroès prit la fuite et se réfugia auprès de l'empereur des Romains Maurice (Morik). L'empereur secourut Chosroès, qui, avec beaucoup de troupes, vainquit et tua Bahram et tous les siens. [56] Chosroès, petit-fils de Chosroès, fut ainsi rétabli sur le trône de Perse. Il se montra reconnaissant du service qu'on lui avait rendu. Maurice demanda à Chosroès la Mésopotamie (Midchagiedk') avec quelques autres territoires, aussi bien que cette partie de l'Arménie qu'on nommait Danadirakan-Gount.[57] Chosroès céda à Maurice tout le territoire de Tovin[58] et deux autres provinces éloignées, celle de Maséatsodn et les environs du mont Aragadz. En outre il abandonna le territoire qui s'étend depuis le mont Endzak'hizar jusqu'au bourg d'Arhiesd et à Hatsioun. Après cet arrangement l'empereur Maurice changea les noms de tous les pays qui avaient été gouvernés par Aram. D'abord la partie de l'Arménie qui portait le nom de Première Arménie fut appelée, par ordre de Maurice, Seconde Arménie ; sa métropole fut Sébasté. La province de Kabatouevkia, dont la capitale était Césarée, se nommait Seconde Arménie ; on l'appela Troisième Arménie et on en fit une éparchie. Mélitène, avec la province du même nom, s'appelait Troisième Arménie ; on la nomma Première Arménie. Le Pont, dont la métropole était Trébizonde (Drabizouen), fut appelé Portion de la Grande Arménie ; on nomma Quatrième Arménie le pays dont la métropole Martyropolis porte aussi les noms de Np'hrkierd et de Justinianopolis. Le territoire de Karin et sa métropole Théodosiopolis (Théouetouesoubolis), furent nommés Grande Portion de la Grande Arménie. Toute la partie de la Grande Arménie qui restait au pouvoir des Romains, c'est-à-dire toute la contrée depuis la pays de Pasen (Pasien) jusqu'à la Syrie (Asouériesdan), conserva le nom de Grande Arménie. Tout le pays de Daïk'h, avec ses frontières, s'appela Profonde Arménie. Enfin, le territoire de Tovin prit le nom d'Arménie inférieure. Quand Maurice eut achevé tous ces changements, il les fit enregistrer dans les livres royaux.[59] Il me semble que j'en ai assez écrit sur ce sujet, car vous savez que déjà je vous ai raconté comment le pays fut divisé en Première, Seconde, Troisième et Quatrième Arménie. La première division fut faite par le vaillant Aram, et la seconde par l'empereur romain Maurice. Je crois que tout ce que j'ai dit vous suffit ; je vais reprendre le fil de mon histoire.

CHAPITRE X.

Lorsque Chosroès remonta sur le trône de Perse, le vaillant Sempad Pagratide (Pagradouni) livra une quantité innombrable de combats aux ennemis de ce prince. Il s'illustra par les plus grands exploits, vainquit et défit complètement les adversaires du roi, et les jeta à ses pieds. Chosroès en fut frappé d'admiration, et Sempad devint extrêmement agréable à ses yeux. Il lui fit une grande quantité de largesses et de présents, le traita avec la plus grande distinction, et le créa marzban de l'Hyrcanie (Vrkan).[60] Sempad étant allé dans ce pays y trouva une population composée de prisonniers Arméniens qu'on avait transportés dans le Turkestan (Tourk'hasdan), du côté d'un grand désert nommé Sagesdan ; ils avaient oublié leur langue, et leurs livres étaient en petit nombre. Quand ils virent Sempad, ils furent très contents ; et, par son ordre, ils reprirent de nouveau les usages de leur patrie, apprirent leur langue qu'ils avaient oubliée, et s'instruisirent dans l'écriture arménienne et dans la Foi chrétienne. Il leur donna même un évêque nommé Apel, qui fut ordonné par le grand patriarche Moïse. C'est ainsi que fut fondé un diocèse dépendant du grand siège de Saint-Grégoire, en Arménie ; il subsiste encore aujourd'hui. Sempad, après avoir livré avec beaucoup de courage un grand nombre de combats aux ennemis de Chosroès, les soumit à sa puissance. Chosroès conçut alors une grande amitié pour ce prince, lui fit de grands et magnifiques présents, lui conféra des dignités, et lui ordonna d'aller visiter le pays qui l'avait vu naître.[61] D'après cet ordre Sempad fit ses dispositions pour se rendre dans sa patrie ; il sollicita la permission de fonder une église sous le nom de saint Grégoire, dans la ville de Tovin. Le roi lui accorda facilement sa demandé. En conséquence de cette permission, Sempad se dirigea vers son pays. Il trouva l'Arménie sans chef, car le grand patriarche Moïse était mort. Il fit nommer patriarche un certain Abraham, évêque de Rheschdounik'h, du bourg d'Aghpathank'h ; puis il fit jeter les fondements de la sainte église qu'il voulait construire ; il la fit bâtir en superbes pierres de taille, qu'il fit lier avec de la chaux. Elle avait déjà été construite auparavant en briques et en bois par saint Vartan. On rendit suspecte auprès du roi la forteresse que Sempad fit aussi bâtir ; on la représenta comme dangereuse, et aussitôt l’ordre fut donné de la démolir. Cependant le grand patriarche Abraham s'occupait, avec beaucoup de zèle et de vertu, de rétablir l'ordre dans la foi catholique, et de ramener à l'obéissance Kiouriouen qui s'était éloigné du droit chemin, aussi bien que ceux qui étaient avec lui. Mais ceux-ci faisaient fort peu de cas de la vérité ; ils s'attachaient seulement à faire fleurir l'arbre de l’avarice, de l'ambition et des richesses. Du temps de l'infidèle Léon (Lievoune), ils abandonnèrent cette doctrine pour la doctrine apostolique du trois fois saint illuminateur Grégoire, qui leur ouvrit les portes de la lumière de la véritable connaissance de Dieu. Cependant, par l'ordre de Sempad et des autres nakharars, le grand patriarche Abraham rassembla, dans la ville de Tovin, un concile composé d'une grande quantité d'évêques, Ils se réunirent animés d'une fervente piété et d'une grande bienveillance ; ils agirent et s'instruisirent avec la plus louable prudence, apportèrent toute leur attention à la lecture des divines écritures, et cherchèrent le véritable sens des paroles des pères ; puis ils prononcèrent anathème contre Kiourouen, contre ceux qui déchiraient l'église de Jésus-Christ, contre tous ceux qui leur obéissaient et contre tous ceux enfin qui suivaient leur détestable hérésie. On défendit sévèrement à tous les orthodoxes de notre pays de s'unir en aucune manière avec les adhérents de l'impie Kiouriouen, d'entretenir aucune liaison avec eux, de faire aucun commerce avec eux, de leur donner protection, de s'unir avec eux par mariage, parce qu'ils avaient mis le trouble et la désunion dans la saine et vraie croyance. Il fallait qu'ils fissent pénitence et qu'ils revinssent à la vraie doctrine apostolique. Après cela, par l'ordre de l'empereur Maurice, un nommé Jean, du bourg de Pagaran, dans la province de Houeg, fut créé patriarche de la partie de l'Arménie qui était soumise aux Grecs. On lui donna pour résidence la petite ville d'Avan, où il fit bâtir une superbe église, qu'il orna partout magnifiquement pour être le lieu de sa résidence. Le grand patriarche Abraham dont j'ai déjà parlé habitait dans la ville de Tovin, soumise à la domination des Perses. Le fleuve Osad formait alors la limite entre les deux empires. Jean était un homme vrai et juste, vertueux dans ses mœurs. Il n'était pas uni avec ceux qui admettaient la doctrine du concile de Chalcédoine ; mais il éleva un trône rival du trône patriarcal, rompit l'unité du patriarcat, et la divisa en deux parties qui, par la suite, furent opposées. Cependant Sempad, après s'être distingué par beaucoup d'actions courageuses et par beaucoup de travaux, combattit deux fois contre Ep'hthal (Iephtaghé), roi des Huns (K'houschank'h), et le tua. Il mourut ensuite, accablé de vieillesse, dans la ville de Dizpouen. On porta son corps en Arménie, et on l'enterra à Taronk'h (Tarouink'h), dans la province de Gog (Kouek). Les troupes de Maurice s'étant révoltées contre lui, le tuèrent dans son palais et mirent à sa place Phocas (Phouekas). Ce dernier s'avança avec une armée considérable dans la province de Pasen, pour soumettre l'Arménie à son pouvoir. Aschod marcha alors vers l'Arménie par l’ordre de Chosroès, combattit et vainquit les troupes grecques, qui laissèrent un grand nombre de morts sur le champ de bataille. Il livra encore une autre bataille près de Karin, prit cette ville et, deux ans après, en transporta les habitants dans la ville de Hamadan (Ahmadan). Le vieux patriarche Jean, qui s'était réfugié à Karin, fut emmené en captivité avec eux et mourut à Hamadan. On transporta son corps dans le bourg d'Avan, et on le plaça près de l'église qu'il avait fait construire ; il avait occupé le siège patriarcal pendant vingt-six ans. Dans la même année le grand patriarche Abraham, ayant achevé le cours de sa vie, sortit de ce monde, après avoir rempli les fonctions de patriarche pendant vingt-trois ans. On loi de ona pour successeur Gomidas (Kouémidas), du bourg d'Aghtsits, gardien du tombeau de sainte Hrhip'hsime, et ensuite évêque des Mamigonéans, dans le pays de Daron. Cependant Heraclius (Hiéracli) tua Phocas, et se fit déclarer empereur avec son fils. Puis il rassembla une nombreuse armée et marcha vers la Syrie. Siroès (Khouerhiem) prit alors Jérusalem par l'ordre de Chosroès ; il y tua une quantité innombrable d'hommes, en emmena beaucoup en captivité, entre autres le patriarche Zacharie (Zak'haria). La sainte croix de Jésus-Christ tomba aussi en son pouvoir. Dans le même temps notre grand patriarche Gomidas fit construire un magnifique, superbe et admirable tombeau pour les saintes Hrhip'hsimianes, qui, jusqu'alors, n'en avaient eu qu'un petit et médiocre ; ce qui fut une grande consolation spirituelle pour les Arméniens. On apposa sur ce tombeau le sceau de saint Grégoire, celui de saint Isaac, ensuite celui du grand patriarche Gomidas, afin qu'on n'osât pas l'ouvrir ; après cela on le consacra. La taille de sainte Hrhip'hsime était presque de huit palmes et quatre doigts. On fit bâtir une église ; on rassembla les reliques de la sainte, et on lui prépara un tombeau dans cet endroit. Après quoi on détruisit le dôme de bois qui le couvrait, et on éleva à sainte Hrhip'hsime un superbe et magnifique monument dans l'église des patriarches, à Vagharschabad. Cependant Kobad, fils du premier Chosroès, tua le second Chosroès, roi de Perse, et s'empara du trône. Kobad donna la dignité de marzban, en Arménie, à Varazdirots[62] (Varazdirouets), fils du vaillant Sempad ; puis il l'envoya dans ce pays. Lorsque Varazdirots arriva, il trouva que le grand patriarche Gomidas venait de mourir, après avoir occupé le siège patriarcal pendant huit ans. Un nommé Christophe (K'harsdap'houer), de la famille des Abrahamiens (Aprahamiéank’h), le remplaça, d'après les conseils de Théodore (Théouetouéroues), seigneur de Rheschdounik'h. On raconte qu'il fut victime d'une calomnie : comme il était embarrassé pour parier, on l'accusa auprès de l'asbied[63] Varazdirots de faire du mal à ses frères ; on répandit contre lui beaucoup de bruits ; on fit parler les domestiques de sa maison et un grand nombre de méchants ; ils inventèrent d'horribles mensonges. Ensuite on le fit condamner, non selon les lois véritables de la justice, mais selon le caprice de ses ennemis, et on le priva de ses honneurs. Mais lui ne s'opposa pas à leur mauvais dessein, et alla bâtir un ermitage auprès du bourg d'Oughiéats, dans la province de Maséatsodn (Masiéatsouedn). Beaucoup de solitaires y vinrent se réunir à lui ; ils illustrèrent leur ermitage par leurs rudes travaux, leurs jeûnes rigoureux, leurs saintes prières et leurs longues veilles. Christophe occupa le trône patriarcal pendant trois ans. On créa patriarche en sa place Esdras (Iezr), du bourg de P'harhadjnagerd (P'harhadznakierd), dans la province de Nig ; il était concierge de Saint-Grégoire. Du temps de ce patriarche, Kobad, roi de Perse, mourut, laissant le trône à son fils Ardeschir, encore enfant. L'empereur Heraclius (Hiérakli), par amour pour la religion chrétienne et pour le saint signe de la croix, créa roi de Perse Siroés, afin qu'en récompense ce prince lui rendît la croix du Seigneur. Siroès alla à Dizpouen, tua le jeune roi Ardeschir, et envoya aussitôt à l'empereur la croix de Jésus-Christ. Il fut massacré par ses soldats dans l'endroit où ils exerçaient leurs chevaux ; ils placèrent sur le trône Pourandokht (Pépouer), fille de Chosroès et femme de Siroés. Après sa mort on donna la couronne à un nommé Chosroès, de la race de Sassan ; son successeur fut Azmik, fils de Chosroès. Après Azmik, Hormisdas (Ouermizd), petit-fils de Chosroès, monta sur le trône ; on le fit étrangler. Iezdedjerd (Iazkierd), autre petit-fils de Chosroès, lui succéda. Quand l'empereur Heraclius eut en son pouvoir la croix de Jésus-Christ, il la fit remettre dans sa place accoutumée. Le général Méjej Gnounien (Majij Gnouni) fut envoyé en Arménie par Heraclius. Il ordonna au patriarche Esdras de se rendre auprès de l'empereur avec ses adhérents pour faire une confession de foi : Si tu ne consens pas à t'y rendre au moins seul, dit-il, nous ferons un autre patriarche. On recommanda à Esdras d'obéir, quoiqu'il ne pût pas quitter le troupeau de fidèles qu'il devait conduire. Il alla auprès de l'empereur, mais il ne fut pas accompagné par Jean, concierge de Saint-Grégoire, qui était un philosophe accompli et très savant dans la connaissance des saintes écritures et de la nature divine ; il n'amena avec lui qu'un fils de sa sœur, qui était à peine instruit. Quand il fut en présence de l'empereur, on lui demanda son acte de foi : il en écrivit un aussitôt et le donna. Dans cet acte il prononçait anathème contre tous les hérétiques et contre ceux qui étaient opposés au concile de Chalcédoine. Esdras et ceux qui étaient avec lui, par sottise et par ignorance complète des saintes écritures, ne s'aperçurent pas de l'odieuse ruse des hérétiques ; ils remirent un écrit signé de leur main à l'empereur, comme s'ils avaient attendu une récompense de leur détestable perfidie. L'empereur traita, après cela, le patriarche avec beaucoup de distinction, le combla de présents, et lui donna la troisième partie de la ville de Goghp (Koueghp) avec la totalité de son territoire. Le patriarche retourna ensuite avec pompe dans le lieu de sa résidence. Lors de son arrivée, tous les ordres des prêtres de l'église se hâtèrent d'aller à sa rencontre selon l'usage accoutumé. Le philosophe Jean, dont j'ai déjà parlé, ne sortit pas pour remplir ce devoir ; il entra dans l'intérieur de l'église. On lui demanda pourquoi il n'allait pas au devant du patriarche Esdras, et quelques personnes même lui dirent avec un air d'accusation : Pourquoi ne venez-vous pas au-devant de lui pour faire l'acte d'adoration ? Jean leur répondit : Comment pourrais-je regarder comme un devoir de sortir pour saluer ou pour adorer un homme qui a renversé les canons des saints pères orthodoxes, et qui veut nous rendre semblables aux hérétiques soumis à l'odieux contrôle de Chalcédoine ? Mais ensuite, par l'ordre d'Ezdras, on alla trouver Jean, et on l'amena malgré lui dans le palais patriarcal. Quand il y fut arrivé, le patriarche lui dit d'un ton menaçant : Vous avez agi avec orgueil et avec insolence, et c'est cette maladie de votre Cœur qui vous a empêché de venir me voir. Jean lui répondit : Je ne suis ni insolent, ni malade, mais je consens à être le zélé défenseur de la vérité Au reste il est bien juste qu'on voué appelle de votre nom Esdras (limite) ; car vous avez détruit et renversé en Arménie la limite de la foi des saints pères orthodoxes, et vous avez anéanti la vraie doctrine apostolique en agissant comme du temps de l'impie Léon. Esdras ordonna ensuite qu'on le frappât sur le cou et sur le menton. Jean éleva alors ses mains vers le ciel, et dit : J’irai demander satisfaction de ce traitement devant un tribunal, et demander pourquoi j'ai été accablé d'outrages à cause d'un nom respectable. Il s'en alla après avoir prononcé ces mots, et il porta ses pas vers le monastère de Maïri (Maïrouets), au pied de la montagne où est situé le fort de Pdchéni. Jean fixa sa résidence dans cet endroit. Plus tard le patriarche Esdras changea le nom du monastère de Maïri en celui de Maïragoma (Maïriégouem) ; et le philosophe fut appelé Jean Maïragometsi (Maïrégouemietsi). Le patriarche ordonna que l'on chassât Jean de ce lieu. Celui-ci se retira dans la province de Gartman et s'y distingua par ses mœurs exemplaires. Dans la suite il fut accusé par la voix publique d'avoir introduit la détestable hérésie dans la sainte église. Mais, moi, je ne puis croire à ces bruits ; car, comment cet homme aurait-il pu conseiller de détruire l'édifice de la vraie foi ? Je pense, dans le fond de mon cœur, que c'est par jalousie et par haine qu'on a répandu ces bruits contre lui. Au reste, on a aussi prétendu que son disciple Sergius (Sargis) avait fait germer la détestable hérésie. Quant à celui-ci, je ne le défendrai point, parce que j'ai lu de lui un écrit dangereux, aussi Jean l'éloigna-t-il de sa personne, et c'est pour cela que je dis qu'il n'était nullement dans les desseins de ce dernier de participer à l'hérésie. Le patriarche Esdras fit bâtir un tombeau pour sainte Gaiané, qui jusqu'alors n'en avait eu qu'un obscur et peu convenable. On détruisit l'ancien, et on en construisit un en pierres de taille, un peu plus grand et plus magnifique. On l'orna richement de tous les côtés, et on y attacha un nombre considérable de prêtres pour chanter les louanges de Dieu.


 

[1] Le nom de Sempad est écrit Sembat par quelques historiens modernes, d'après la forme grecque Σεμβάτας, ou la forme latine Sembatus.

[2] Osdigan est le titre que donnaient les Arméniens aux lieutenants ou émirs qui gouvernèrent, au nom des khalifes, l'Arménie, la Perse, l'Azerbaïdjan, liberté, la Colchide, l'Albanie, etc. On peut consulter au sujet de ce titre une note de. Saint-Martin dans ses Mémoires historiques et géographiques sur l’Arménie ; Paris, 1818 et 1819 ; tom. I, 340, note 1.

Le titre d’ischkhan équivaut à celui de prince.

La dignité de sbarabied répond à celle de connétable ou de généralissime. Voyez à cet égard les remarques de Silvestre de Sacy, dans le tome VIII des Notices et Extraits des manuscrits (p. 148, 149 et 191), et celles de Saint-Martin, dans ses Mémoires sur l'Arménie (II, 398-300, note 1).

On trouvera employés dans les chapitres suivants quatre autres qualifications ou titres dont je crois devoir indiquer ici la signification :

Sbalasr, ou sbalasar, et sparsalar équivalent au titre de général d'armée.

K'hananid est une qualification analogue à celle de khan.

Nahabied répond au titre de chef ou de prince.

Nakharars sert à désigner les grands ou les notables du pays.

[3] Le récit de Jean Catholicos et celui de la Vulgate présentent entre eux, quant aux sept fils de Japhet et à la généalogie d'Ascanaz, quelques différences que je vais signaler en mettant les deux versions en regard.

Les sept fils de Japhet furent :

Selon la Vulgate (Gen. X, 2 ; Paralip. l, 5)

Selon Jean Catholicos (ubi supra)

Gamer ou Gomer.

Gomer.

Magog.

Magog,

Madoï ou Madaï.

Madaï.

Javan.

Thubal.

Thubal.

Mosoch.

Mosoch.

Thiras.

Thiras.

Gidiéim.

Dans la Vulgate (Gen. X, 3 ; Paralip. l. 6), Ascanaz ou Ascénez, Riphath et Thorgoma sont fils de Gamer. Selon l'historien arménien (ch. iv, 6, et ch. vi, 7), ils auraient été fils de Thiras. Moïse de Khoren (Hist. armen. I, iv, 12 ; viii, 24 ; xi, 34 ; éd. fr. Gul. et Georg. Whiston.) ne s'écarte pas moins du texte de la Vulgate en disant, d'après Mar Ibas Cadina, que Gamer, fils de Japhet, eut pour fils Thaglath, ou Thorgoma, et Thiras. Du reste, il ne nomme pas, après Gamer, les six autres fils de Japhet, et il ne fait aucune mention d'Ascanaz. (Cf. Saint-Martin, Mém. I, 253-259.)

Ainsi, selon le patriarche Jean, la race d'Ascanaz ou des Arméniens descendrait du sixième fils de Japhet, Thiras, qui est le septième dans la Vulgate ; tandis que, d'après l'Écriture, Gomer, le premier des sept fils de Japhet, fut le père d'Ascanaz.

Jean Catholicos dit de plus (ch. iv, 6 ; ch. vi, 7) qu’Ascanaz (Ask'hanaz) fut le père et le roi des Sarmates ; et cette assertion me conduit à faire remarquer que, selon Josèphe (Antiq. judaic. I, 6), Aschanaxus qui est le même qu’Ascanaz, était le père des Aschanaxi, que les Grecs, ajoute-t-il, appellent les Rhegines (Rhiphines).

Voyez, au sujet d'Ascanaz, de Thorgoma, de Haïg et des pays qu'eux et leurs descendants occupèrent, les Mémoires cités de Saint-Martin (I, 253-257 et suiv.), et la Chronique géorgienne de Vakhthang. (Klaproth's Reise in den Kaukasus und nach Georgien, II, 64-86 ; —Saint-Martin, Mém, II, 181-186, note ii.)

[4] A l'égard des différentes appellations qui ont successivement. servi à désigner le pays que nous nommons l’Arménie, il faut consulter les savantes remarques de Saint-Martin (Mém. I. 205, 206 et 253-259).

L'auteur des Mémoires sur l’Arménie (I, 205 et 281) place à l’année 2200 environ avant la naissance de J. C. l'arrivée de Haïg dans la contrée qui alors s est appelée le Pays de Haïk'h ou le Haïasdan.

[5] Le personnage que Jean Catholicos nomme Marapas de Kadina est appelé Maribas Catinensis dans la traduction latine de Moïse de Khoren, et Mar-Ibas de Kathina par d'autres historiens, Chacune de ces trois appellations est incorrecte. La Groze a remarquée avec raison, que le nom de l'écrivain, historien doit s'écrire Mar Ibas (Dominas Ibas) et que son surnom est Cadina, qui, en syriaque, signifie subtil (katino), au lieu d'être l'indication du lieu de naissance de Mari Ibas, comme on l'a cru longtemps.

Ce que dit de cet écrivain syrien le patriarche Jean est conforme, sauf la suppression de plusieurs détails, au récit de Moïse de Khoren (I, vii, viii).

Selon ce dernier (ibid.), Mar Ibas Cadina affirmait que Haig était fils de Thaglath. A cette occasion, l'historien arménien déclare que Thaglath est le même que Thorgoma. Il ajoute que, par conséquent, Haïg, fils de Thorgoma, était neveu de Thiras, petit-neveu de Gamer et arrière-petit-fils de Japhet. L'identité de Thaglath et de Thorgoma ne paraît pas non plus avoir été mise en doute par Jean Catholicos, puisqu'il dit, à plusieurs reprises et sans s'occuper aucunement de Thaglath, que Haïg était fils de Thorgoma. Toutefois, je le répète, il s'écarte de la généalogie qu’assigne à Thorgoma Moïse de Khoren.

Ces deux écrivains et Vakhthang (ubi supra) raccordent sur les principaux points de l’histoire particulière de Haïg, qui est racontée ici en abrégé. Mais on ne lit pas dans la Chronique géorgienne que Nembroth ou Nebrod était le même que Béhis ou Pel, comme l'affirment Moïse de Khoren (I, x) et Jean Catholicos. J'aurai ailleurs l'occasion d'appeler l'attention des savants sur l’identité que Moïse de Khoren (ibid.) établit aussi entre Nebrod, Bélus et Cronus (Saturne).

Le nom de Haïg se trouve sous la forme Hkaos dans la Chronique citée de Vakhthang.

Au sujet des géants, compagnons de Haïg, il faut voir ce que dit Saint-Martin (Mém. I, 277) des Sgaï ou Hesgaï.

Moïse de Khoren (I, xi) et d'autres historiens arméniens donnent au fils de Haïg le nom d'Arménag, qui est la contraction d’Aramanéag.

La bataille entre Nembroth et Haïg se livra sur les bords du lac des Peznouniens, maintenant appelé le lac de Van. Les Arméniens montrent encore aujourd'hui le lieu même où ils croient que le roi d'Assyrie fut tué par Haïg. (Saint-Martin, Mém. I, 281).

[6] Voyez, au sujet d'Aram et de l'origine du nom d'Arménie, les observations de Saint-Martin (Mém. I, 268, 270-277 et 278). Dans le même ouvrage (I, 19 et 20), cet auteur a placé, avec le texte du passage de Jean Catholicos, relatif aux divisions territoriales de l'Arménie sous le règne d'Aram, une traduction française qui, comparée à celle qu'il donne ici du même passage, présente quelques légères différences. Il (ait observer (I, 21 et 26 note 2) que si le patriarche semble commettre la grave erreur de faire deux pays différents de la première Arménie et de la partie de la Cappadoce qu'il appelle πρώτη Αρμενία, on doit attribuer cette erreur, non à l'historien arménien, qui possédait la connaissance de la langue grecque, mais à des copistes, qui, dans leur ignorance, ont altéré le texte original de son ouvrage. Après avoir disculpé sur ce point Jean Catholicos, Saint-Martin rapporte (Mém. I, 21 et 22), au sujet des divisions territoriales de l'ancienne Arménie, un passage important de la Chronographie de Samuel Anetsi, et le fait suivre (p. 32-35) de plusieurs observations qui méritent l'attention du lecteur.

[7] Le nom que portait le fils d'Ara le Beau ou d'Ara Ier avant d'être appelé par Sémiramis Ara (II), du nom de son père, nous serait resté inconnu sans le témoignage de Jean Catholicos. Il ne se trouve point dans l'ouvrage de Moïse de Khoren, bien que l'épisode de Sémiramis y soit raconté beaucoup plus au long qu'il ne l'est ici. Cette remarque semblerait nous autoriser à penser que le patriarche Jean avait puisé directement ses informations dans le livre de Mar Ibas Cadina, dont Moïse de Khoren nous prévient qu'il se borne à donner des extraits.

[8] Le personnage que l'auteur nomme Arpouek est aussi appelé Arpag ou Arpak et Harpage.

[9] P’harknak est la forme arménienne de Pharnace.

[10] Entre Jean Catholicos, Moïse de Khoren et l’auteur des Mémoires sur l'Arménie, il règne un grave dissentiment au sujet de la succession des rois d'Arménie de la première race. Le premier dit qu'après Anouschavan, le régime des Haïganiens ou de la première dynastie fut interrompu par des rois étrangers, à compter de Bared, qui est appelé Phared par Moïse de Khoren (I, xviîi), jusqu'à Sgaïorti inclusivement, époque à laquelle Baroïr, de l'antique race des Haïganiens, monta sur le trône d'Arménie. Moïse de Khoren et Saint-Martin (Mém. I, 283 et 408), admettant au contraire une succession non interrompue de princes haïganiens, comprennent au nombre de ceux-ci tous les rois qui, après Anouschavan, occupèrent le trône d'Arménie depuis Bared jusqu'à Sgaïorti. Saint-Martin dit que ce dernier était le père de Baroïr. Moïse de Khoren ne s'explique pas sur ce point. L'académicien français reconnaît d'ailleurs (Ibid. 407 et 408) que pendant tout l'intervalle dont il s'agit et qui, selon lui, embrasse les années 1662 à 748 avant J. C. les rois d'Arménie furent soumis à l'empire d'Assyrie. Entre la liste de ces rois, telle qu'il l'établit, et celle que, chacun de leur côté, donnent Moïse de Khoren et Jean Catholicos, on remarque, au reste, plusieurs différences notables : c'est ainsi qu'à partir de Bared jusqu'à Sgaïorti inclusivement, la liste de Saint-Martin présente les noms de trente-deux rois, tandis que Moïse de Khoren n'en compte que vingt cinq, et Jean Catholicos vingt-trois seulement. Saint-Martin, d'accord avec Moïse de Khoren, place entre Havanag ou Honag ( Houénak) et Ampag Ier, Vaschdag (1402 avant J. C.) et Haïgag Ier (1381 avant J. C) ; entre Arhnag et Noraïr, Schavarsch Ier (1332 avant J. C). Il place ensuite, d'après des autorités qu'il ne fait pas connaître, entre Vesdam et Korhag, Gar (1289 avant J. C) ; entre Zarmaïr et Berdj (Persius) Ier, et après un interrègne de deux ans, Schavarsch II (1180 avant J. C.) ; entre Arpoun et Pazoug, Berdj II (1075 avant J. C) ; entre Housag et Gaïbag, Ampag II (910 avant J. C) ; et entre Gaïbag et Sgaïorti, Pharhnavaz (Pharnahaze) I (838 avant J. C.) et Pharhnag II (805 avant J. C.). Or les neuf rois dont je viens d'indiquer les noms en lettres italiques ne se trouvent point dans rémunération de Jean Catholicos, et trois seulement sont compris dans le canon de Moïse de Khoren : Vaschdag ou Vastacus, Haïgag (I) ou Haicacius, et Schavarsch Ier ou Savarsus. De plus, il faut observer que, sur la liste citée de Saint-Martin, on lit à la place des noms de Tghag et de Havan, que donne le patriarche Jean, ceux de Keghag ou Kélag (1227 avant J. C.) et de Horoï (1197), qui correspondent à Délaças et à Horœus dans la traduction latine de Moïse de Khoren. Remarquons enfin que ce dernier ne fait aucune mention d'un prince du nom de Vesdam (Usdam), qui est placé par Jean Catholicos et par Saint-Martin entre Noraïr et Korhag.

[11] Arbacès est la forme grecque du nom que les historiens arméniens écrivent Varbak ou Varbag.

[12] Les deux fils du roi d'Assyrie Sennakérim ou Sennakérib, qui se réfugièrent en Arménie après avoir tué leur père, sont nommés Adramélek et Sarasar dans le IVe Livre des rois (XIX, 37) et dans Isaïe (XXXVII, 38) ; Adramel et Sanasar dans Moïse de Khoren (I, xxii). Les historiens arméniens s'accordent à faire descendre de ces deux princes la race des Ardzrouniens. (Voyez sur l'origine de cette dernière appellation les Mémoires cités de Saint-Martin I, 422 et 423.)

[13] Quant à l'origine prétendue juive de la famille des Pagratides, et dont les descendants portent aujourd'hui en Russie le nom de Bagrations, on trouvera d'amples renseignements dans les Mémoires cités de Saint-Martin (I, 283 et 284). Les fonctions héréditaires que remplissaient les Pagratides au couronnement des rois d'Arménie constituaient la charge de thakatir.

[14] La transcription arménienne du nom de Gornhag est Krhouénak, au lieu de Krhouéuak, qui se lit ici par une erreur typographique. À la place de Haïg II, on trouve Haïgag II dans la liste de Moïse de Khoren (I, xxi) et dans celle de Saint-Martin (Mém. I, 408, année 605 avant J. C). Nous avons vu plus haut que le prince désigné dans ces deux dernières listes sous le nom de Haïgag Ier, n'est pas compris par Jean Catholicos au nombre des rois d'Arménie.

[15] Vahagh, le dernier des trois fils de Tigrane Ier ici nommés par l'historien arménien, succéda à son père.

[16] Saint-Martin, dans ses Mémoires (I, 409), écrit, d'après Moïse de Khoren (I, xxx), Arhavané au lieu d’Arhaviéné.

[17] Avec Vahé, fils de Van, finit la dynastie des Haïganiens, qui avaient, dit Saint-Martin (Mém. I, 286) gouverné l'Arménie, tantôt avec la plénitude de la puissance royale, tantôt comme vassaux des rois d'Assyrie et de Perse… A cette occasion, le même savant confirmant une remarque de Moïse de Khoren (I, xxx), qui est reproduite ici par Jean Catholicos, ajoute (ibid. 287) qu'à sa connaissance aucun historien arménien ne donne des renseignements sur les événements qui se passèrent en Arménie depuis l'époque de la mort d'Alexandre le Grand jusqu'à l'établissement de la dynastie des Arsacides.

[18] Arsace, dont il est question dans le récit de Jean Catholicos, est le prince parthe ou arsacide qui fut appelé tantôt Arsace le Grand (Mezd), tantôt Mithridate Ier, selon l'observation de Saint-Martin (Mém. I, 289 et 240), et qui, en l'année 149 avant J. C. donna la couronne d'Arménie à son frère Valarsace (Vagharschak), premier roi de la race des Arsacides (ibid. 289 et 240.)

[19] Jean Catholicos affirme que tous les historiens s'accordent à mettre un intervalle de 2295 ans entre Haïg et le règne de Valarsace ; mais Saint-Martin, dans les Mémoires cités (I, 288), fait remarquer que cette évaluation est particulière au patriarche, et que la plupart des autres écrivains nationaux réduisent à 1985 ans l'intervalle dont il s'agit.

[20] Le pays de Gougark'h ou Koukar correspond à la Gogarène de Strabon.

[21] A l'égard des actions qui sont attribuées ici à Ardaschès, fils d'Arsace, il faut consulter les Mémoires de Saint-Martin (I, 290 et 291). Le nom d'Ardaschas ou Ardaschès se trouve dans les auteurs grecs sous la forme Artaxias.

[22] Jean Catholicos mentionne l'épisode de la mort de Crésus, qu'il place sous le règne d’Ardaschès, sans commettre, à l'exemple des copistes de Moïse de Khoren (II, xii), l'erreur de faire de Crésus un roi de Libye. Mais il ne tient aucun compte de la remarque judicieuse de son devancier sur la nécessité de distinguer deux Crésus, l'un qui avait régné sur les Lydiens au temps de Cyrus ou de Nectanébo, et l'autre dont il est question dans les récits de Polycrate et de Camadrus ou Camardus, qui se rapportent au règne d'Ardaschès, et qui nous ont été conservés par Moïse de Khoren. Les copistes, après avoir, dans ces récits, substitué le nom de Libyens à celui de Lydiens, ont transformé le premier des deux Crésus en Cridimius, d'après une autorité qui n'est pas citée dans le texte arménien, et le second Crésus en Cyrsus, d'après Phigonius ou Phlodinus, historien non moins inconnu que Polycrate et Camadrus.

[23] Ce que Jean Catholicos dit de Sémiramis, est rapporté par Moïse de Khoren (I, xiv, xv) avec beaucoup plus de détails.

[24] Le récit du patriarche, en ce qui touche Mithridate le Grand, est aussi très abrégé. (Voyez Moïse de Khoren, II, xiv-xvii.) Il diffère, sur plusieurs points, de ce qui est raconté par les historiens occidentaux. Ces derniers varient eux-mêmes beaucoup entre eux sur le fait principal, la mort de ce prince ; mais aucun d'eux ne rapporte que Pompée ait fait empoisonner le roi du Pont par le père de Ponce-Pilate. Aucun d'eux non plus ne dit que Mithridate le Grand ait été le père d'un prince appelé Mithridate le Jeune. J'ajoute que Jean Catholicos substitue, sans aucune autorité, le nom de Gabiénas à celui de Gabinius (Aulas), que portait le lieutenant de Pompée qui fut chargé de maintenir le roi d'Arménie et de surveiller les mouvements du roi des Parthes. (Josèphe, Antiq. jud. XIV, iii, 2 ; iv, 1 ; v, 3 ; De bell. jud. l ; vii, 6 ; viii, 2-7 ; éd. Havercamp. — Appian. De bell. Mithrid. 66 ; éd. Schweigh. — Mos. Khoren, Hist. armen. II, xv.) Les détails que donnent Moïse de Khoren et le patriarche Jean sur les événements qui se passèrent dans l'Orient depuis les victoires de Pompée jusqu'à l'avènement de Tiridate, diffèrent beaucoup aussi de ceux que l'on trouve dans les historiens grecs ou latins. (Voyez à ce sujet les observations de Saint-Martin, Mém. I, 291-297.)

[25] La remarque placée à la fin de la note qui précède s'applique en particulier à ce qui concerne, dans le récit de Jean Catholicos, les successeurs du roi Artavasde.

[26] Iénanoues est la forme arménienne du nom que les traducteurs latins de Moïse de Khoren ont transcrit par Enanus. (Hist. armen. II, xxiii, 122 et 123.) Moïse de Khoren ne dit pas que le personnage qui portait ce nom descendît de la famille des Pagratides, comme l'affirme Jean Catholicos.

[27] Au lieu d’Arsace, il faut lire Arsam ou Arscham, dont la forme arménienne est Ardcham. Ce prince, que les Syriens nommaient Manovaz, selon Moïse de Khoren (ubi supra), est le premier roi de la seconde branche des Arsacides de l'Arménie. Saint-Martin (Mém. I, 294, 295 et 411) place son avènement en l’année 38 avant J. C. et penche à croire qu'il est le même qu'un roi des Adiabéniens appelé Monobaze par Josèphe (Antiq. Judaic. XX, ii, 1, 2 et 3), et Maanou Sapheloul dans la chronique syriaque de Denys de Tel-mahar. Il dit aussi (ibid.) qu’Arscham mourut après un règne de vingt ans, c'est-à-dire dix-huit ans avant la naissance de J. C. et que ses deux fils, Maanou et Abgar, lui succédèrent sur le trône d'Arménie, le premier en l'an 10, et le second en l'an 5 avant J. C. Il ajoute que, l'an 32 de l'ère chrétienne, Sanadroug, nommé Izatès dans les Antiquités judaïques de Josèphe, et fils d'une sœur d'Abgar, partagea le pouvoir royal avec son cousin-germain Anané ou Ananoun, fils d'Abgar, régna sur une portion de l'Arménie et de l’Adiabène, et occupa seul le trône d'Arménie quatre ans plus tard, après avoir fait périr Anané.

Toutefois l'opinion de Saint-Martin sur l'identité probable d'Arscham et de Monobaze semble difficile à concilier avec le récit que l’on trouve dans les Recherches du même savant sur la Mésène et la Characène (Paris, Imprimerie royale, 1838, 1 vol. in-8° ; p. 178-180). Ici l'auteur affirme, d'après Josèphe (Antiq. judaic. XX, ii-iv) qu'Izatès était le plus chéri des fils de Monobaze, et qu'il succéda à son père, comme roi de l’Adiabène. Du reste, il place cet événement à l’an 32 de notre ère, qui est aussi la date indiquée dans ses Mémoires sur l'Arménie (ubi supra) ; mais il fait remarquer que, selon Josèphe (loc. cit.), Izatès avait reçu de son père le gouvernement d'une province située en Arménie. Il croit pouvoir assigner à ce dernier fait la date de l'an 26 de notre ère ; et comme il avance qu’Izatès, lorsque son père Monobaze mourut, gouvernait encore la province dont il s'agit, ce dernier aurait vécu et régné jusqu'à une époque très voisine de l’année 32 de notre ère, tandis que, dans ses Mémoires sur l'Arménie (ubi supra), le même auteur place dix-huit ans avant J. G. la mort et la fin du règne d'Arscham.

[28] Ce que le patriarche dit d’Atté et de Thaddée n'a pas été emprunté à Moïse de Khoren ; car si l'on pouvait croire que, dans un passage évidemment corrompu de ce dernier écrivain (II, xxx) Patagras, fils d'Abdias, est le personnage qui est appelé Atté par Jean Catholicos, il ne faudrait pas moins reconnaître que le récit du fait attribué à Thaddée diffère complètement dans les deux historiens.

[29] Entre la mort de Sanadroug (I) et l'avènement d'Ardaschès ou Artaxès (II), il y a ici une lacune. Jean Catholicos passe sous silence le règne d'Érovant, prince issu, par sa mère, de la race des Arsacides, et qui, selon Moïse de Khoren (II, xxxiv), s'empara du trône d'Arménie après la mort de Sanadroug (I). Saint-Martin (Mém. I, 296, 297 et 412) place à l’année 58 de notre ère l'avènement d'Erovant, et à l’année 78 celui d'Ardaschès, son successeur, qu'il désigne comme le troisième du nom, tandis que, d'après les récits de Moïse de Khoren et de Jean Catholicos, ce prince n'aurait été que le second.

[30] La ville d'Arevpanos a aussi été appelée Aghpag, Pana et Parthoughim ; elle se nomme aujourd'hui Albak. (Voyez Saint-Martin, Mém. I, 177-178.)

[31] Au chapitre xxi du livre II de son Histoire d'Arménie, Moïse de Khoren parle du martyre de Barthélemi, de Thaddée et de plusieurs de leurs disciples ; mais il ne nomme point parmi ceux-ci Oueski, que Jean Catholicos désigne comme chef des disciples de Thaddée. Dans le chapitre xlvii du même livre, il ne fait non plus aucune mention du martyre que, selon le patriarche, subirent Oueski et ses disciples par l'ordre des fils de la reine Sathinig. De son côté, Galanus (Conciliat. eccl. armen. cam. roman. Rom. 1650-1661 ; 3 tom. in-fol.) garde sur ce dernier fait un silence absolu, et ne parle même d'aucun disciple de Thaddée dont le nom offre quelque ressemblance avec celui d'Oueski, que l'on ne trouve pas non plus dans le Martyrologium romanum.

[32] Le récit du patriarche présente ici une nouvelle lacune. Il n'y est nullement question des princes qui régnèrent sur l'Arménie depuis Ardaschès, fils de Sanadroug, jusqu'à Khosrou ou Chosroès (I), bien que Moïse de Khoren (II, xlii-lxii) leur eût consacré plusieurs chapitres de son histoire. Ces princes, selon ce dernier historien, furent Artavasdes II, Diran Ier, Tigrane III et Vagharsch (Valarses). Cf. Saint-Martin, Mém. I, 300-302 et 412. Les écrivains arméniens donnent le nom d'Ardaschir Sdahratsi au fondateur de la dynastie persane des Sassanides, qui est plus généralement connu sous les noms d'Ardeschir Babégan et d'Artaxerce Ier, fils de Babec.

[33] Il n'est peut-être pas inutile, à cause de l'obscurité qui règne ici dans la narration de Jean Catholicos, de dire que le fils de Chosroès, dont il s'agit, est Tiridate II, surnommé le Grand, et que saint Grégoire, surnommé l’illuminateur (Lousavoritch), était fils d'Anag, issu de la race des Arsacides de Perse, de la branche Garénéane. Saint Grégoire est compté comme le premier patriarche d'Arménie ; il fut revêtu de cette dignité, la dix-septième année du règne de Tiridate le Grand. Saint-Martin (Mém. I, 412), en plaçant à l'année 259 de notre ère le couronnement de Tiridate le Grand, infirme le témoignage de Moïse de Khoren et de Jean Catholicos qui, tous les deux, assignent à cet événement la date de la troisième année du règne de Dioclétien, c'est-à-dire l'an 287. L'institution du siège patriarcal d'Arménie aurait donc eu lieu en 276, et non en 304, comme cela résulte de l'indication fournie par Jean Catholicos.

[34] Moïse de Khoren (I, lxxxvii) dit aussi que les trois cent dix-huit évêques dont se composait le concile de Nicée condamnèrent à l'unanimité l'hérésie d'Arius. Les auteurs occidentaux comptent, comme les deux historiens arméniens, trois cent dix-huit évêques au célèbre concile qui se tint dans cette ville en 325 ; mais ils nous font connaître que, sur ce nombre, dix-sept évêques étaient infectés de l'arianisme.

[35] Chosroès II, fils de Tiridate le Grand, a été surnommé Phok'hr, le Petit, par d'autres auteurs arméniens.

[36] Arsace, fils de Diran, est le troisième du nom, et monta sur le trône d'Arménie en 341, selon Saint-Martin (Mém. I, 413). Saint Nersès le Grand, d'après le même savant (ibid. p, 437), aurait occupé le siège patriarcal dès l’année 340.

[37] Les faits religieux qui sont rapportés ici ne se trouvent pas dans Moïse de Khoren ; et à cette occasion je dois faire remarquer que Jean Catholicos, probablement à cause de la haute dignité ecclésiastique dont il était revêtu, semble habituellement affecter de se montrer mieux informé que Moïse de Khoren de tout ce qui se rattache en particulier à l'histoire de l'église.

[38] Par une erreur de copiste, Bab ou Pap est appelé Para dans Ammien Marcellin (xxvii, 12, 9 ; xxx, i, 1 sqq.).

[39] Le patriarche, lorsqu'il suppose que Macédonius vivait encore sous le règne de Théodose le Grand, c'est-à-dire pendant les années 379 à 395 de notre ère, commet la même erreur dont est entaché le récit de Moïse de Khoren (III, xxx) qui se rapporte à l’histoire de cet hérésiarque, Car, selon l'opinion le plus généralement adoptée, Macédonius ne vécut pas au-delà de l’année 361. (Socrat. Hist. eccles. II, 42. — Sozomen. Chron. Pasch. p. 394. — Cf. Ammien Marcel., ubi supra.) En général, on observe que Moïse de Khoren et Jean Catholicos reportent au règne de Théodose le Grand divers événements qui se passèrent sous celui de Valentinien.

[40] Sur la position de Thulé on peut consulter ce qu’en dit Saint-Martin dans ses Mémoires sur l’Arménie (I, 315, note 2).

[41] Ce dernier auteur place en l’année 387 le partage du royaume d'Arménie qui eut-lieu entre les Perses et les Romains. (Ibid. 413). Les deux princes, à l’occasion de qui le patriarche se réfère à Moïse de Khoren, sont Arsace et Vagharschag où Valarsace, fils de Bab, qui occupèrent ensemble le trône de l’Arménie romaine. Après la mort de Vagharschag, Arsace porta seul la couronne, tandis que Khosrou (III), issu d'une autre brandie des Arsacides, régnait sur l’Arménie persique par la volonté de Schahpour III, roi de Perse. Jean Catholicos se serait, avec plus de raison, référé à Faustus de Byzance, qui nous a conservé sur les règnes de Bab, de ses deux fils et de Khosrou III, comme sur plusieurs autres points de l'histoire d'Arménie, bien plus de détails qu'on n'en trouve dans Moïse de Khoren.

[42] Jean Catholicos se conforme ici au récit de Moïse de Khoren en donnant le nom d’Ardaschir au fils du roi de Perse Schahpour (III), qui fit prisonnier Khosrou (III), et qui créa roi d'Arménie Bahram-Schah-pour, frère de ce dernier prince. Saint-Martin (Mém. I, 318 et 413) observe que Khosrou (III) fut vaincu par Iezdedjerd, fils du roi de Perse Bahram IV, et non par Ardaschir. Il pense que l'erreur de Moïse de Khoren vient de ce que cet historien a confondu Schahpour III avec Schahpour II. On sait d'ailleurs que Bahram-Schahpour fut placé sur le trône d'Arménie par le roi de Perse Bahram IV. Ce fut sous le règne de Bahram-Schahpour, couronné l'an 392 de notre ère, que Mesrob composa l'alphabet arménien, fonda une école devenue célèbre, et traduisit ou fit traduire en arménien la Bible sur la version des Septante. Jusqu'à cette époque l'Arménie n'avait possédé que des Bibles grecques ou syriaques, inaccessibles à la plupart des chrétiens qui habitaient le royaume. De l'école fondée par Mesrob sortirent Moïse de Khoren, Mambré-Verzanogh et son frère, Gorioun ; Elisée, David le philosophe, Ardsan-Ardzrouni, et un grand nombre d'autres écrivains arméniens.

[43] La mort de Khosrou (III) est placée à l'an 415 de notre ère par Saint-Martin (Mém. 319 et 437). Ce savant supplée ici au silence de Jean Catholicos en rapportant qu'après cet événement Iezdedjerd Ier, roi de Perse, donna la couronne d'Arménie à son propre fils Schahpour, qui se rendit odieux à tous les Arméniens par son caractère tyrannique, et les persécuta pour les contraindre d'embrasser la religion de Zoroastre. Au bout de quatre années de règne il retourna en Perse dans le but de monter sur le trône de son père, qui venait de mourir ; mais ses efforts furent vains, et il périt victime de la perfidie de ses ennemis.

[44] Ce qui est dit ici de Bahram II, roi de Perse, doit, selon Saint-Martin (ibid. 319), s'entendre de Bahram V. Le même auteur place à l’année 422 de notre ère l'avènement d'Ardaschir ou Ardaschès (IV).

[45] Saint-Martin pense (Mém. 320) que l’on peut approximativement assigner la date de l’année 428 de notre ère à la captivité d'Ardaschir (IV), et par conséquent à la destruction de la dynastie des Arsacides d'Arménie. Mais il a soin de faire observer que, jusque cette époque, la concordance de la chronologie arménienne avec celle des historiens grecs ou latins présente de grandes difficultés. C'est à partir seulement de 428 que les dates, dans l'histoire d'Arménie, lui paraissent acquérir quelque certitude. Il estime (ibid. 321) que les Arsacides occupèrent le trône d'Arménie environ 580 ans. Après eux le partage de la Grande Arménie entre les Grecs et les Perses fut consommé. Ceux-ci en obtinrent la plus grande portion, et se bornèrent à la faire gouverner par un marzban ou marzbied que souvent ils choisirent parmi les Arméniens Les anciens rois de Perse donnaient ce titre aux commandants militaires des frontières de leur empire. Marzban est formé, en effet, de deux mots persans, marz, frontière, et ban, gardien. (Voyez Saint-Martin, Mém. p. 320 et 321, note 2.)

[46] Le marzban persan que Jean Catholicos ne nomme pas, s'appelait Vèh Mihir Schahpour selon Moïse de Khoren (Hist. armen. III, lxiv). On trouve également dans ce dernier historien et dans les Mémoires de Saint-Martin sur l'Arménie, les noms des marzbans persans dont le patriarche fait mention, sans les désigner nominativement, ou dont il ne fait même aucune mention.

[47] Le patriarche Bérékischoï (Pergisch) est aussi connu sous le nom d’Abdischoï.

[48] Schmouel est la forme arménienne du nom de Samuel.

[49] La province de Pagravan ou Pakrhant correspond à la Bagravandène de Ptolémée.

[50] Dans les auteurs arabes, le nom de la métropole d'Arménie, Tovin ou Touvine est écrit Dowine, et plus habituellement Débil, par suite d une ancienne transcription fautive de l'arménien Tovin. Cette ville fut fondée, dans les premières années du ive siècle de notre ère, par Khosrou II, roi d'Arménie, qui régna de 316 à 325.

[51] Saint-Martin (Mém. I, 437) attribue à Mélidé, de Manazgerd, le fait de la translation du siège patriarcal à Tovin. Sur la liste chronologique qu'il donne des patriarches d'Arménie (ibid.), il place Joseph Ier à l'an 441, Mélidé à l'an 452 de notre ère, Moïse Ier, aussi de Manazgerd, à l'an 457 ; Gioud ou Kioud, d'Araheza à l’an 465 ; Christophe Ier, Ardzrounien, à l'an 476, et Jean Mantagouni ou Jean Ier, à l’an 480 ; tandis que Jean Catholicos ne fait aucune mention d'un patriarche du nom de Mélidé, ni d'un autre du nom de Moïse Ier, et compte depuis la captivité de Joseph (I) en Perse jusqu'à la nomination de Jean Mantagouni un seul patriarche, Gioud, du bourg d'Iothmous, qui aurait transféré de Vagharschabad à Tovin la résidence patriarcale. C'est à l'avènement de ce même Joseph au siège patriarcal que s'arrête, dans l'ouvrage de Moïse de Khoren (III, lxvii), le récit des faits propres à l'histoire d'Arménie.

[52] Le nom du pays de K’houschank'h, où, selon Jean Catholicos, le roi de Perse Firouz trouva la mort, ne se rencontre pas dans les Mémoires de Saint-Martin sur l’Arménie ; mais on y lit (I, 328 et 329) que ce prince périt dans une guerre contre les Huns Hep'hthal ou Ephthalites, qui habitaient les bords orientaux de la mer Caspienne.

[53] Selon Saint-Martin (Mém. I, 438), le patriarche Jean II, qui succéda à Nersès II, était né à Sïound-seghin et non à Dzieghouévan.

[54] Ce fut sous le gouvernement de Ten-Schahpour, l’an 551 de notre ère, que le patriarche Moïse d'Éghivart fit réformer l'ancien calendrier et fixer le commencement d'une nouvelle ère dont les Arméniens se sont servis jusqu'à ce jour.

[55] La Colchide est nommée Iégiéria dans le texte arménien. Ce dernier nom se trouve ailleurs sous la forme Eker ou Éger, et tire son origine, selon les Arméniens et les Géorgiens, d'un frère de Haïg nommé Egros ou Iégros.

[56] L'ischkhan Bahram, dont il est question dans le récit de Jean, était l'un des généraux les plus illustres de Chosroès Ier (Khosrou Nouschirwan). Les historiens le nomment ordinairement Bahram Tchoubin, et disent qu'il se révolta sous le règne d'Hormouzd, fils et successeur de ce prince. Il ne fut pas tué à la bataille que lui livra Chosroès II, comme l'affirme le patriarche ; mais il périt victime de la perfidie de ses ennemis pendant qu'il s'était réfugié à la cour du roi des Turcs, au-delà du Djihoun.

[57] Le nom de Danadirakan-Goant est transcrit sons la forme Danoudiragan-Kount ou Danoudiragan-Gound par le traducteur français, dans l'ouvrage cité (I, 25) et dans une des notes de son édition de l'Histoire du Bas-Empire, par Lebeau (t. X, 331 et 335, note 3), où l’on apprend que ce nom signifie en arménien le Gouvernement militaire ou l’Armée des princes.

[58] Le territoire de la ville de Tovin est désigné dans le texte arménien par la qualification osdan, c'est-à-dire libre, noble et affranchi d’impôts, parce que le roi d'Arménie Khosrou II, fondateur de Tovin, avait exempté des impôts la nouvelle ville et ses environs. (Voyez Mos. Choren. Hist. I, xxiv; éd. fr. Whist.—Saint-Martin, Mém. sur l’Arménie, I, 25 et 26, note 2.)

[59] Il faut consulter les observations auxquelles a donné lieu, de la part de Saint-Martin (Mém. sur l’Arménie, I, 25-29.— Histoire du Bas-Empire, par Lebeau, X, 332 et 333 ; éd. Saint-Martin), le passage important de Jean Catholicos qui est relatif aux cessions de territoire que l'empereur Maurice obtint de Chosroès (II) ou Khosrou Parwiz, et aux nouvelles divisions territoriales qu'il établit en Arménie. Le texte original de ce passage a été imprimé dans les Mémoires sur l'Arménie (I, 25-27), avec une version française qui diffère en quelques points de celle que nous publions ici d'après la copie autographe qu'a laissée Saint-Martin de sa traduction de l’ouvrage entier du patriarche.

[60] Vergan est la transcription française du nom arménien Vrkan, que portait un pays qui paraît correspondre à l'Hyrcanie des auteurs occidentaux.

[61] Saint-Martin (Mém. I, 333) dit que Chosroès II confia le gouvernement de l'Arménie à Sempad, en l'année 593 de notre ère, et que ce dernier mourut, en 601, à Madaïn, capitale de la Perse.

[62] Selon l’auteur qui est cité dans la note précédente, Varazdirots conserva jusqu'en 632 la dignité de marzban (Mém. I, 335). C'est dans cette année qu’Iezdedjerd III, dernier roi de Perse, de la dynastie des Sassanides, fut vaincu par Saad, l'un des généraux du khalife Omar. Les Arabes envahirent la plus grande partie de ses états ; et, peu après, l'Arménie se soumit presque tout entière aux empereurs grecs.

[63] Le titre d’asbied que donne le patriarche Jean à Varazdirots, marzban d'Arménie, correspond à celui de chevalier. Il dérive du zend aspô, ou du persan asp, cheval.