Helmold

HELMOLD DE BOSAU

 

Chronique des Slaves : LXI et LXV

Oeuvre numérisée et traduite par Marc Szwajcer

 

 

 

 

HELMOLD DE BOSAU

 

CHRONIQUE DES SLAVES

 

 

Expugnacio Lacebonae. Capitulum LXI.

Secundus vero navalis exercitus, Colonia et aliis civitatibus Reni conflatus, preterea litore fluminis Wiserae, navigare ceperunt latissima occeani spacia, quousque venirent Brittanniam. Quo per aliquot dies resarcita classe, non modica etiam Anglorum et Brittannorum adiecta manu torserunt vela versus Hyspaniam. Applicueruntque ad Portugalensem nobilissimam Galaciae urbem, adoraturi apud Sanctum Iacobum. Rex igitur Galaciae letior effectus de adventu peregrinorum rogavit, ut, si propter Deum pugnaturi exissent, fierent sibi auxilio contra Lacebonam, qui fines Christianos inquietabant. Cuius peticioni faventes abierunt Lacebonam cum magna navium copia; rex quoque terrestri accedens itinere validum adduxit exercitum, et obsessa est civitas terra marique. Multum igitur temporis effluxit in obsidione civitatis. Ad ultimum capta civitate pulsisque barbaris rex Galaciae rogavit peregrinos, ut darent sibi civitatem vacuam, divisa prius inter eos socialiter preda. Factaque est illic Christicolarum Colonia usque in presentem diem. Hoc solum prospere cessit de universo opere, quod peregrinus patrarat exercitus.

De obsidione Dimin. Capitulum LXV.

Interim volat haec fama per universam Saxoniam et Westfaliam, quia Slavi facta eruptione bellum priores adorsi fuerint; et festinavit omnis illa expedicio signo crucis insignita descendere in terram Slavorum et zelare iniquitatem ipsorum. Partitoque exercitu duas munitiones obsederunt, Dubin atque Dimin, et fecerunt contra eas machinas multas. Venit quoque Danorum exercitus et additus est his qui obsederant Dubin, et crevit obsidio. Una igitur dierum considerantes hii qui tenebantur inclusi, quia Danorum exercitus segnius ageret ― hii enim domi pugnaces, foris imbelles sunt ―, facta subita eruptione percusserunt ex eis multos et posuerunt eos crassitudinem terrae. Quibus etiam subveniri non poterat propter interiacens stagnum. Ob quam rem exercitus ira permotus pertinacius instabant expugnacioni. Dixerunt autem satellites ducis nostri et marchionis Adelberti adinvicem: 'Nonne terra, quam devastamus, terra nostra est, et populus, quem expugnamus, populus noster est? Quare igitur invenimur hostes nostrimet et dissipatores vectigalium nostrorum? Nonne iactura haec redundat in dominos nostros?' Ceperunt igitur a die illa facere in exercitu tergiversaciones et obsidionem multiplicatis induciis alleviare. Quotiens enim in congressu vincebantur Slavi, retinebatur exercitus, ne fugitantes insequerentur et ne castro potirentur. Ad ultimum nostris iam pertesis conventio talis facta est, ut Slavi fidem Christianam reciperent et laxarent Danos, quos in captivitate habuerant. Multi igitur eorum falso baptizati sunt, et de captione hominum relaxaverunt omnes senes et inutiles ceteris retentis, quos servicio robustior aptaverat etas. Taliter illa grandis expedicio cum modico emolumento soluta est. Statim enim postmodum in deterius coaluerunt; nam neque baptisma servaverunt nec cohibuerunt manus a depredacione Danorum.

 

LXI.

La prise de Lisbonne.[1]

La seconde armée, une force navale, réunie à Cologne et dans d'autres villes jouxtant le Rhin, en dehors des villes sur les rives de la Weser, navigua sur les vastes étendues de l'océan, venant même de Bretagne. Après avoir radoubé quelques jours, la flotte, considérablement accrue par les Angles et les Britanniques, fit voile vers l'Espagne. Elle débarqua au Portugal, dans la plus belle ville de Galatie qui vénère le sanctuaire de Saint Jacques. Heureux de l'arrivée des Croisés, le roi de Galatie leur dit que s'ils étaient venus combattre pour Dieu, ils pourraient lui apporter leur aide contre Lisbonne dont le peuple était harcelé sur ses frontières chrétiennes. Accédant à sa requête, ils allèrent à Lisbonne avec une flotte importante. Le roi, quant à lui, vint par voie de terre avec une forte armée. La ville fut assiégée par terre et par mer et beaucoup de temps fut consacré à sa prise. Lorsqu’enfin les croisés prirent la ville et en chassèrent les barbares, le roi de Galatie leur demanda de lui remettre la ville occupée ; ses alliés se partagèrent d'abord le butin. Ainsi fut créée une colonie de chrétiens qui subsiste encore de nos jours. Cela fut la seule réussite de toute l'œuvre que l'armée des pèlerins entreprit.

LXV.

Le siège de Demmin.[2]

 

Entretemps les nouvelles se répandirent dans toute la Saxe et la Westphalie que les Slaves[3] s’étaient rebellés et avaient commencé la guerre les premiers; l'ensemble de cette expédition, qui porta le signe de la croix, se hâta de descendre vers le pays des Slaves afin de punir leur fourberie. L'armée fut divisée en deux, et nombre firent des machines de siège ; on assiégea deux forteresses différentes : Dobin[4] et Demmin. L’armée des Danois vint aussi à Dobin, et se joignit à ceux qui assiégeaient la ville, aussi le siège s’intensifia. Un jour, ceux qui étaient enfermés à l'intérieur conclurent que les Danois se battaient très lentement, car ce sont des combattants internes peu faits pour les guerres. Donc, ils sortirent soudainement, les tuèrent et les laissèrent étendus raides sur le terrain. Aucune aide ne put être apportée aux Danois car il y avait une nappe d'eau stagnante sur le chemin. Ce fut la cause de la colère qui gagna l’armée ; elle travailla plus durement à la prise de la ville. Mais les vassaux de notre duc et du margrave Albert s’entretinrent : « Cette terre que nous dévastons n’est-elle pas la nôtre et son peuple notre peuple? Pourquoi nous comporter comme nos propres ennemis et détruire nos propres ressources? Ces pertes retomberont-elles sur nos seigneurs? » A partir de ce jour, il y eut des faux-semblants dans l'armée et on retarda l'occupation par de fréquentes trêves. Dès que les Slaves furent pris dans la bataille, on empêcha l'armée de poursuivre les fuyards et de s'emparer de la forteresse. Enfin, quand notre peuple fut fatigué de tout cela, on conclut un accord indiquant que les Slaves devraient accepter la foi chrétienne et qu’ils relâcheraient les Danois captifs. Ainsi, nombre d'entre eux furent faussement baptisés, on remit en liberté tous les captifs : vieillards et gens inutiles, tout en gardant ceux qui étaient capables de travailler dur. Cette grande entreprise s’acheva donc sans grand succès. Peu après cela empira, car aucun d'eux ne donna suite à son baptême, ni ne renonça à piller les Danois.


 

 

 

[1] Le 25 octobre 1147, après quatre mois de siège, Alfonso Enriques, premier roi de Portugal, enlève Lisbonne aux musulmans qui l'occupaient depuis plus de quatre siècles.

[2] En 1147. La ville hanséatique de Demmin est située dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, dans le nord de l’Allemagne. Une armée de croisés constituée d’allemands, de danois et de polonais, assiégea la ville.

[3] Il s’agit là des Wendes, peuple slave antique. Les Germains dénomment Wenden les Serbes blancs de Lusace ou Serbie Blanche ; Wenden est un terme celtique signifiant « blond », cognat de Vénètes. Les Germains ont pensé que les serbes étaient des celtes et comme ils étaient en grande majorité blonds, ils les ont appelés ainsi.

[4] Dobin am See, sur le lac de Schwerin. Le château de Dobin avait au 12ème siècle les fortifications slaves les plus importantes du nord de l'Allemagne ; elle était sous la protection de Niklot, chef des Obodrites.