Ermold le Noir

GUILLAUME LE BRETON.

 

VIE DE PHILIPPE AUGUSTE (partie II)

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

précédent

 

 

 

 

 

COLLECTION

DES MÉMOIRES

RELATIFS

A L'HISTOIRE DE FRANCE,

depuis la fondation de la monarchie française jusqu'au 13e siècle

AVEC UNE INTRODUCTION DES SUPPLÉMENS, DES NOTICES ET DES NOTES;

Par M. GUIZOT,

PROFESSEUR D'HISTOIRE MODERNE A L’ACADÉMIE DE PARIS.


 

VIE DE PHILIPPE AUGUSTE

PAR

GUILLAUME LE BRETON.

 

 

 

précédent 

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1211, les mêmes barons d'Allemagne, par le conseil de Philippe, roi de France, élurent Frédéric, fils de l'empereur Henri, et prièrent le pape de confirmer son élection. Quoiqu'il le voulût bien, il ne l'accorda pas sur-le-champ, parce que la coutume de l'Église romaine est de prononcer avec gravité, et de ne rien accorder de nouveau, si ce n'est difficilement et avec réflexion, et de plus, parce qu'il n'aimait pas cette maison. Ledit Frédéric, appelé par les barons, et par le conseil du roi des Français, vint par mer à Rome, et fut reçu avec honneur par le souverain pontife et les Romains. De là, il se rendit par mer à Gènes, où il fut accueilli avec grande joie et honneur, étant soutenu par Boniface, marquis de Montferrat, par les citoyens de Pavie et de Crémone, par presque toutes les villes de la Lombardie, et surtout par le marquis d'Est. Il traversa les Alpes, entra en Allemagne, et vint à Constance. C'est une chose digne de mémoire que quiconque s’efforce d’opprimer l'Église de Dieu, est bientôt renversé. Le même jour, Othon devait venir dans cette ville, et il avait déjà envoyé en avant ses serviteurs et ses cuisiniers, qui avaient préparé un repas. Lui-même n'était plus qu'à trois lieues de la ville lorsque Frédéric y entra avec soixante chevaliers, suivi bientôt après d'Othon, qui savait son arrivée, et venait à la tête de deux cents chevaliers. Mais Frédéric ayant été reçu, on ferma la porte à Othon, et il fut repoussé ignominieusement avec les siens. On dit que si Frédéric eût tardé trois heures de plus, il ne serait jamais entre en Allemagne. Othon, repoussé ainsi avec outrage de la ville de Constance, s'approcha de Brisack, dont il ne fut pas repoussé avec moins de déshonneur qu'il ne l'avait été de Constance, parce que les Teutons accablaient d'outrages et d'injures les habitants de cette ville, et déshonoraient leurs filles et leurs femmes. Frédéric fut reçu par les barons de Brisack, comme par les barons de l'Empire, avec joie et honneur.

La même année, s'abouchèrent à Vaucouleurs ledit Frédéric et Philippe le Magnanime, roi des Français, par la médiation de l'évêque de Metz. Le roi n'y assista pas cependant en personne, mais y envoya Louis, son fils aîné, avec les grands du royaume. Ils firent alliance, et renouvelèrent pour toujours les liens d'amitié qui avaient uni leurs prédécesseurs.

La même année, le roi Philippe le Magnanime entoura, vers le midi, Paris d'un mur allant des deux côtés jusqu'à la Seine, renferma dans des murs une très grande étendue de terrain et força les possesseurs de champs et de vignobles de louer à des habitants, pour y bâtir de nouvelles maisons, ou bien d'en faire construire eux-mêmes, afin que toute la ville, jusqu'aux murs, parût pleine de maisons. Il fortifia les autres villes, châteaux et forteresses du royaume, par des remparts et des tours inexpugnables. Louable et admirable justice d'un prince ! Quoique par le droit écrit il eût pu, pour l'avantage public du royaume, faire construire des murs et des fossés sur les fonds des autres, préférant l'équité à. son droit, il compensa, sur son propre fisc, les pertes que ses sujets encouraient par là.

La même année un roi sarrasin, appelé Mammolin, mot qui, dans leur langue, signifie roi des rois ayant rassemblé une armée innombrable de païens, attaqua les frontières de l'Espagne, et vint avec des paroles très orgueilleuses offrir la bataille aux Chrétiens. Ceux-ci combattirent dans la foi et au nom de Jésus-Christ, le vainquirent, et tuèrent presque tous ceux qui étaient avec lui. Vaincu, couvert de honte, il s'en retourna presque seul chez lui. A ce combat assistèrent un grand nombre d'hommes braves et forts du royaume de France, et le roi d'Aragon, très loyal chevalier, qui envoya à Rome, comme signes de victoire, la lance et la bannière de ce Mammolin, qui sont encore placées dans l'église de Saint-Pierre, dans un lieu élevé, et pour manifester à jamais la faveur et la miséricorde par lesquelles le Christ avait, dans ce combat, accordé la victoire aux siens, quoiqu'ils fussent en petit nombre en comparaison des ennemis.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1212, sous le règne, comme on l'a dit, du très chrétien Philippe le Magnanime, roi des Français et fils du très saint roi Louis le Pieux, Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, détruisit une certaine forteresse, récemment bâtie dans le pays de Beauvais par Philippe, évêque de Beauvais et parent du roi, parce que cette forteresse lui semblait pouvoir nuire à la comtesse de Clermont sa parente. C'est pourquoi ledit évêque abattit une autre petite forteresse que ledit comte avait nouvellement fait construire dans la forêt de Haïmes. De Jà une guerre s'éleva entre ledit comte d'un côté, et de l'autre entre ledit évêque, ses neveux et les fils du comte Robert. Le comte de Boulogne était suspectait roi, non seulement à cause de cette guerre, mais parce qu'il avait muni de vivres et d'hommes d'armes un château inexpugnable appelé Mortain, et situé sur les confins de la petite Bretagne et de la Normandie, et parce qu'on disait qu'il envoyait, au préjudice du royaume et du roi, des députés vers l'empereur Othon et Jean, roi d'Angleterre. Le roi lui demanda donc qu'il lui livrât ses châteaux. Le comte s'y refusant contre le droit et la coutume du pays, le roi rassembla une armée, s'avança vers ledit château, que sa situation naturelle et les fortifications de l'art semblaient rendre inexpugnable, l'assiégea pendant trois jours, et, le succès passant toute espérance, le prit d'assaut le quatrième jour. Après avoir garni le château de ses fidèles, il mena son armée dans le pays de Boulogne, mais le comte voyant les forces du roi, auxquelles il n'était pas en état de résister, remit à Louis, fils aîné du roi Philippe, tout le comté de Boulogne et tous ses châteaux, qu'il tenait en fief de lui. Le roi s'était déjà emparé de tout le comté de Mortain, de celui de Dammartin, de celui d'Aumale, de la ville de Lillebonne, de Domfront et de toutes leurs dépendances. Dépouillé de tous ces biens, qu'il tenait tant des bienfaits que de la permission du roi, le comte quitta le royaume, se rendit auprès du comte de Bar son parent, et demeura avec lui.

Ce comte Renaud avait beaucoup de louables qualités, et beaucoup de défauts blâmables : il opprimait les églises de Dieu, ce qui l'avait fait excommunier presque perpétuellement ; il dépouillait les pauvres, les orphelins et les veuves, persécutait par haine les nobles ses voisins, et, d'après la permission qu'il en avait obtenue du roi, qui avait eu beaucoup d'amitié pour lui, il détruisait leurs fortifications. Quoiqu'il eût une très noble femme, de laquelle ù tenait le comté de Boulogne, et dont la fille était mariée au seigneur Philippe, fils du roi, méprisant ses embrassements, il se livrait à la débauche avec d'autres femmes, et promenait publiquement avec lui ses concubines. Ayant donc été excommunié, il se tourna vers les excommuniés, et fit alliance avec l'empereur Othon et Jean, roi des Anglais, excommuniés tous deux par la bouche du souverain pontife : Othon, parce qu'il s'emparait du patrimoine de saint Pierre, et Jean, parce qu'il ne permettait pas à Etienne, homme d'une réputation sainte, et consacré archevêque de Cantorbéry par le souverain pontife, de siéger sur le siège épiscopal, que même il avait chassé tous les évêques de son royaume, avait réuni au fisc et converti pour son propre usage, depuis sept ans, tous les biens de l'Église et les bénéfices des clercs et des moines noirs et blancs. Ledit saint archevêque et les autres évêques, généreusement accueillis par le roi Philippe, étaient en exil dans le royaume de France.

Avant cependant d'avoir conclu alliance avec lesdits rois, le comte Renaud avait instamment demandé par des députés la restitution de sa terre et de ses châteaux. Le roi lui offrait de les lui rendre, s'il voulait se soumettre au jugement de la cour royale et des barons du royaume. Mais le comte demandait absolument la restitution, et refusait le jugement et comme le roi ne voulait la lui faire qu'avec des conditions, il alla d'abord, comme nous l'avons dit, vers Othon, et ensuite par la Flandre vers le roi Jean, et conclut alliance avec l'un et l'autre.

Acte de l'hommage fait par Renaud, comte de Boulogne, à Jean, roi d'Angleterre, contre Philippe, roi des Français.

« A tous les fidèles du Christ qui le présent écrit verront, Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, salut. Sachez que j'ai rendu foi et hommage au seigneur Jean, roi d'Angleterre, comme à mon seigneur lige, et que je le servirai fidèlement, tant que je vivrai, contre tous les mortels. Je ne conclurai pas sans lui de paix ni de trêve avec le roi de France ou avec Louis, son fils, ni avec quelque autre que ce soit que je saurai être son ennemi. J'ai juré de ma propre main d'observer fidèlement et fermement ces promesses, et Simon, mon frère, et mes fidèles Wallon de Chapelle, Hugues de Beslelly, Jean de Lestes, Audin, mon frère, et Robert, maréchal, l'ont juré avec moi. Et pour plus grande garantie de cet acte, je lui remettrai les otages suivants : Ida, ma femme, deux fils de Guillaume de Fiennes, le fils de Jean de Seningham, le fils ou la fille du comte de Cluny, Simon, fils de Julien de Canewel ; le fils de Daniel de Betencourt, le fils d'Anselme, échanson ; le fils de Beron de Colebred, le frère de Baudouin de Rivière, et le fils de Guillaume d'Odri, et de plus, j'ai fait cet acte pour mon seigneur roi. Témoins, etc. »

« Jean, par la grâce de Dieu, roi, etc., à tous ses fidèles qui la présente lettre verront, etc. Sachez que nous avons accordé à notre ami et fidèle Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, l'assurance que nous ne conclurions sans lui ni paix ni trêve avec le roi de France, ni avec son fils Louis et si nous pouvons par une paix ou par une trêve recouvrer notre terre ou la sienne, il sera tenu de recevoir sa terre ; et si, d'après quelque circonstance, il ne voulait point la recevoir, nous ne négligerions pas pour cela de recevoir la nôtre. Si nous voulons conclure une trêve, s'il le désire, il y sera compris et si par hasard il lui semble avantageux, et s'il est de sa volonté de n'y point être compris, il n'y sera point compris, et conservera pour lui les possessions qu'il tiendra à cette époque même ; en sorte cependant qu'il ne forfaira pas au roi des Français pour le fief que nous tiendrons alors dudit roi. Et si nous faisons la paix avec le roi de France, ledit comte aura pour sa terre les mêmes garanties que celles que nous aurons pour la nôtre.

« Sont témoins de cet acte le seigneur Pierre, évêque de Winchester Guillaume, comte de Salisbury, notre frère ; Geoffroi, fils de Pierre, comte d'Essex ; Raoul, comte de Chester ; Guillaume le Maréchal, comte de Pembroke ; Guillaume de Varenne, comte de Surrey, Roger Biod, comte de Norfolk ; Saher de Quincy, comte de Winchester ; Guillaume d'Arundel, comte de Sussex ; le comte David, Albéric de Vere, comte d'Oxford, Gautier de Gray, notre chancelier, l'abbé de Seleby, Henri, archidiacre de Huntingdon ; Henri de Vere, Guillaume de Briwer, Robert, fils de Gautier, Henri de Tournay, Pierre, fils de Herbert ; Warin, fils de Gerold ; Thomas Basset, Matthieu, fils de Herbert Hugues de Newill, R. de Burgal, Simon de Patishul, Brian de Lisle, Jean, fils de Hugues ; Philippe d'Aubigny, Henri, fils de Giraud ; Guillaume de Chanteloup, notre sénéchal ; Guillaume de Harcourt, Gilbert de Clare, Geoffroy de Mandeville, Hugues Bigod, Geofïroi de Say, Adam de Keret, châtelain de Berg ; Guillaume de Creset, Hugues de Bones, Eustache de Moines, Thomas Keret.

« Donné par la main de maître Richard de Marisc, à Lameh, le 4 de mai, la quatorzième année de notre règne. »

La même année, le roi Philippe tint dans la ville de Soissons, le lendemain du dimanche des Rameaux, une assemblée à laquelle assistèrent tous les grands du royaume et le duc de Brabant, auquel le roi Philippe fiança dans cette ville même la jeune Marie sa fille, veuve de Philippe, comte de Namur. Le duc, aussitôt après l'octave de la Pâque, l'épousa solennellement. On traita dans cette assemblée du projet de passer en Angleterre, et il plut à tous les barons, qui promirent de fournir du secours et de passer eux-mêmes en Angleterre avec le roi. Le seul Ferrand, comte de Flandre, refusa son secours au roi, à moins qu'auparavant il ne lui rendît deux châteaux, à savoir Saint-Omer et Aire, que tenait Louis, fils aîné du roi. Le roi lui offrit un échange calculé sur une juste estimation de ces châteaux. Ferrand, refusant de libérer le roi à cette condition, se retira, parce que déjà alors, comme il parut bien depuis, il s'était allie avec le roi Jean, par l'intermédiaire du comte de Boulogne.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1213, la flotte étant préparée pour passer en Angleterre, le roi Philippe le Magnanime reçut en grâce Isemberge sa femme, fille du roi des Danois, dont il s'était séparé pendant plus de six ans, ce qui occasionna une grande joie parmi le peuple ; car on ne trouvait dans le roi rien qui fût digne de blâme, si ce n'est seulement qu'il privait sa dite femme des droits qu'elle avait sur sa personne, quoiqu'il lui accordât magnifiquement toutes les autres choses qui lui étaient nécessaires. C'est pourquoi, dès qu'il l'eut reçue en grâce, tout le monde fut justement réjoui, après s'être affligé de le voir par cette dissension démentir sa tant grande vertu.

La même année, il y eut guerre en Ligurie, dans le territoire de Crémone. Les habitants de Pavie ayant deux ans auparavant amené jusqu'à Crémone Frédéric, élu empereur des Romains, les Milanais leur dressèrent des embûches, et combattirent avec eux auprès de Lodi, ville nouvelle, fondée cinquante-trois ans avant par l'empereur Frédéric le Grand, aïeul dudit Frédéric ; mais ils n'osèrent pas les attaquer pendant que Frédéric était avec eux. C'est pourquoi Frédéric ayant été laissé à Crémone, comme les gens de Pavie revenaient dans leur ville, les Milanais sortirent de leur retraite et les attaquèrent à l'improviste. Les gens de Pavie et de Crémone en conçurent une rancune et une haine immortelle contre les Milanais ; mais ils différèrent leur vengeance jusqu'à ce que l'occasion se présentât. Cependant les Milanais, animés d'une haine implacable contre toute la race de Frédéric le Grand, qui les ayant autrefois battus dans un combat, secouru par les gens de Pavie, avait rasé toutes leurs tours, n'attendirent pas cette vengeance, et ayant rassemblé une grande armée, attaquèrent les frontières de Crémone ; mais les Crémonais, sortis en troupe bien moins nombreuse, se jurèrent entre eux que, s'ils en venaient aux mains, aucun d'eux ne s'arrêterait à faire du butin ou des prisonniers mais que, serrant leurs rangs de manière à ce qu'ils ne pussent être rompus, ils enfonceraient les bataillons des ennemis. Comme c'était le saint jour de la Pentecôte, les Crémonais supplièrent les Milanais de différer le combat, au moins jusqu'au lendemain, à cause de la sainteté du jour. Leur demande ayant été rejetée des Milanais, accoutumés à haïr les jours saints et à favoriser les hérétiques, parce qu'ils craignaient surtout que pendant cet intervalle, quelque court qu'il fût, les forces de leurs ennemis ne s'accrussent, les gens di ; Crémone leur livrèrent bataille, et eurent bientôt triomphe d'eux.

Peu de temps après, les Milanais ayant rassemblé leurs forces, pénétrèrent dans le territoire de Pavie, où ils assiégèrent un château. Les gens de Pavie firent sortir des troupes contre eux et leur livrèrent bataille. Quoique les Milanais, pour retarder leur impétuosité, eussent mis le feu aux maisons et au camp, ceux de Pavie, passant avec fureur à travers les flammes, leur livrèrent combat, et, les chassant entièrement du siège, en tuèrent et prirent un grand nombre, et s'emparèrent après la victoire des tentes et de tous les meubles qui étaient dans le camp. Ainsi deux fois dans la même année les Milanais furent vaincus, et Dieu vengea sur eux le crime de différentes hérésies, et la faveur illicite que, contre sa volonté, ils accordaient à Othon, déposé par le Pape.

La même année, le roi Philippe le Magnanime, avec une immense année, vint à Boulogne, où il attendit quelques vaisseaux et des hommes qui venaient à son aide de différents pays. De là il passa, la veille de l'Ascension, jusqu'à Gravelines, ville opulente, située sur la frontière de la Flandre, sur les côtes de la mer d'Angleterre, et vers laquelle toute sa flotte le suivit, Là, le comte Ferrand, d'après ce dont on était convenu, devait venir vers le roi, et lui faire satisfaction de toutes ses injures. N'observant pas plus sa foi en cette circonstance que dans les autres, il se fit attendre pendant un jour entier, ne vint point, et ne fit aucune satisfaction, quoiqu'à sa demande, ce jour lui eût été assigné par le roi pour lui faire satisfaction de toutes les choses passées. Ayant pris conseil des barons venus de France, de Belgique, de Bourgogne, de Normandie, d'Aquitaine et de toutes les provinces du royaume, le roi Philippe le Magnanime abandonna le projet d'aller en Angleterre, se détourna avec toute son armée vers la Flandre, et prit Cassel, Ypres et tout le territoire jusqu'à Bruges. Sa flotte, ' qu'il avait laissée à Gravelines, le suivit par mer jusqu'au fameux port de Dam, éloigné seulement de deux milles de Bruges. Ayant fuit ce qu'il voulait au sujet de Bruges, il marcha vers la très opulente ville de Gand, après avoir laissé à Bruges un petit nombre de chevaliers et d'hommes d'armes pour la garde des vaisseaux, car son dessein était, après la prise de Gand, de faire voile vers l'Angleterre.

Pendant que le roi était au siège de Gand, vinrent d'Angleterre Renaud, comte de Boulogne, Guillaume, comte de Salisbury, surnommé Longue-Épée, Hugues de Boves et beaucoup d'autres. Le comte Ferrand, avec les Isangrins, les habitants du pays de Fumes et les Flamands, vinrent au devant comme gens qui savaient bien d'avance leur arrivée. Ils se jetèrent aussitôt sur des bâtiments légers, ils s'emparèrent de nos vaisseaux disperses sur les côtes, parce que le port, quoique d'une grandeur extraordinaire, ne pouvait les contenir, étant au nombre de mille sept cents. Ils emmenèrent tous les vaisseaux qu'ils trouvèrent bois du port, et le lendemain ils assiégèrent le poil et la ville. Nous fortifiâmes comme nous pûmes le port, les vaisseaux et la ville. A la nouvelle de ce qui se passait, le roi leva le siège de Gand, retourna avec son armée vers les assiégés, fit abandonner le siège aux ennemis, et les chassa jusqu'à leurs vaisseaux, après en avoir beaucoup tué et submergé jusqu'à près de deux, mille. Il emmena captifs beaucoup de bons et braves combattants, revint victorieux vers Dam, livra aux flammes tous les pays environnants, fit décharger les vaisseaux qui restaient des vivres et autres effets qu'ils portaient, puis incendia et réduisit en cendres toute la flotte et toute la ville. Ensuite il marcha de nouveau vers Gand. Ayant reçu des otages de cette ville, d'Ypres, de Bruges, de Lille et de Douai, il retourna en France. Il retint en son pouvoir Lille, Douai et Cassel. Il leur renvoya leurs otages en liberté. Il rendit pacifiquement, pour trente mille marcs d'argent, les otages de Gand, d'Ypres et de Bruges mais il détruisit Lille de fond en comble, à cause de la méchanceté de ses habitants. Il laissa Cassel à moitié démoli, et retint Douai en son pouvoir.

Le motif qui excitait le roi Philippe le Magnanime à vouloir passer en Angleterre était le désir de rendre à leurs églises les évêques qui, chassés depuis longtemps de leurs sièges, étaient en exil dans son royaume de l'établir en Angleterre le service divin, déjà interdit, depuis sept ans ; de faire subir au roi Jean, qui avait tué son neveu Arthur, fait périr un grand nombre d'enfants et cent quatre-vingt-quatre otages, et commis d'innombrables crimes, le châtiment qu'il méritait, et, le chassant entièrement du royaume, de le rendre, selon l'interprétation de son nom, tout à fait Jean Sans Terre. C'est pourquoi le roi Jean, saisi de crainte pour tous ces motifs, pendant que ce que nous venons de rapporter se passait, envoya des messagers vers le souverain pontife, pour se réconcilier avec le clergé. Le souverain pontife, envoyant en Angleterre Pandolphe, son sous-diacre, l'établit comme il put la paix entre le roi Jean et le clergé. Autant les conventions du ce raccommodement furent bien exécutées pour la restitution des propriétés de l'Eglise et du clergé, autant elles furent peu observées pour la réparation des biens qu'on leur avait enlevés, quoique le roi se fût engagé par serinent à remplir l'une et l'autre de ces conditions. Il se soumit pour toujours, lui et son royaume, au pape et à l'Eglise de Rome ; en surie que lui et ses successeurs devinrent les vassaux et les hommes liges de l'Eglise romaine, et devaient chaque année payer pour hommage, en signe de sujétion, un tribut de mille marcs, en sus des quatre sterlings qu'on payait autrefois, et qu'on paie encore aujourd'hui sur chaque maison d'Angleterre, et qu'on appelle le denier de saint Pierre.

Au carême suivant de la même année, c'est-à-dire de l'an de l'Incarnation du Seigneur 1213, Jean, roi d'Angleterre, surnommé Sans Terre, passa d'Angleterre en Aquitaine, et s'approcha avec une grande armée de La Rochelle, ville située dans le Poitou. Peu de temps après, il se réconcilia avec le comte d'Eu, avec le comte de la Marche, Geoffroi de Lusignan et d'autres grands d'Aquitaine, attachés auparavant au parti du roi de France Philippe le Magnanime, et fit alliance avec eux. ;

Traité conclu entre Jean, roi d'Angleterre, Hugues de Lusignan, le comte de la Marche et d'autres Poitevins.

« L'accord suivant a été fait entre le seigneur Jean, roi d'Angleterre, Hugues, comte de la Marche, Raoul, comte d'Eu, et Geoffroi de Lusignan.

« 1. Le seigneur roi a donné en mariage Jeanne, sa fille, née d'Isabelle, sa femme, fille du comte d'Angoulême, à Hugues de Lusignan, fils de Hugues, comte de la Marche, et l'a confiée à la garde du comte de la Marche et de Hugues de Lusignan, son fils. Ledit seigneur roi a donné à ce même Hugues des terres pour deux mille livres de revenu en Poitou, qui doivent lui être assignées, pour le mariage avec sa dite fille, sur les pays de Poitiers, d'Angers et de Tours.

« 2. Jusqu'à ce que lesdites deux mille livres de revenu en terres aient été données audit Hugues, il possédera, de la baillie du seigneur roi, Saintes et : Oléron avec leurs appartenances, excepté les barons, leur hommage et tout ce qui leur appartient. Dès que le seigneur roi aura acquis des terres dans lesdits pays assignés selon les conditions dudit mariage, retournera au seigneur roi, de la terre de Saintes et d'Oléron, tout ce qu'il en aura assigné de la manière susdite.

« 3. S'il arrivait que Hugues de Lusignan mourût : avant que ladite Jeanne, fille du seigneur roi, eût de lui un héritier, ladite Jeanne sera rendue au seigneur roi ou à son héritier avec les terres qu'elle aura apportées en mariage audit Hugues ; et si ladite fille meurt sans héritier, lesdites terres reviendront de la même manière au seigneur roi ou à son héritier. Hugues, comte de la Marche, et Geoffroi, son fils, ont donné pour caution à ce sujet au seigneur roi Raoul, comte d'Eu, Aimeri, vicomte de Thouars, et d'autres des siens que le seigneur roi a voulus.

« 4. A Brunon, comte de la Marche, et à ses héritiers, restera le comté de la Marche avec toutes ses appartenances, dont il a fait hommage au seigneur roi.

« 5. Le seigneur roi a rendu au comte d'Eu les châteaux de Hastings et de Tikill avec leurs appartenances, ainsi que tous les droits d'Alix, sa femme, fille du comte d'Eu. Pour sa terre de Normandie, que le roi des Français lui a enlevée, il remettra de son argent, entre les mains des frères chevaliers du Temple, pour la donner en échange audit : comte d'Eu, une somme égale à ce que rapporte par an ladite terre, d'après l'estimation dudit comte d'Eu, des comtes de Chester, de Ferrières, du vicomte de Thouars et de Hugues de Gournay, jusqu'à ce que le seigneur roi ait conquis sa terre avec le secours desdits comtes de la Marche et d'Eu, et la lui ait rendue.

« 6. Le seigneur roi a rendu aussi à Geoffroi de Lusignan toute sa terre dans le comté de Poitou, et tous les chevaliers, tant du parti du seigneur roi que du parti desdits comtes, recouvreront tout ce que la guerre leur a fait perdre des terres dont ils se trouvaient saisis au temps que la guerre a commencé.

« 7. Que si quelqu'un dit s'être trouvé saisi de quelque terre dans le commencement de la guerre, et qu'il soit, d'après le jugement des prud'hommes, prouvé qu'il n'en était pas saisi, il en sera fait justice ensuite dans la cour du seigneur roi, à l'exception de ceux à l'égard desquels il a été fait des conventions entre le seigneur roi, le comte d'Eu, et excepté Guillaume Maingot, pour le droit qu'il réclame sur Vovent, en échange desquels droits Geoffroi de Lusignan lui donnera, s'il le veut, des terres à Zuchi et Cigoine, pour la valeur de ce qu'il réclame. Le seigneur roi donnera audit Geoffroi une indemnité selon la valeur de sa terre, et, s'il 3e veut, une trêve sera accordée entre lui et Geoffroi de Lusignan, jusqu’à la fêle de saint Michel, l'an seizième du règne dudit seigneur roi ; et après cette fêle il sera prononcé en la cour du seigneur roi pour tout ce qui est jugé entre eux.

« 8. Tout le comté d'Angoulême, avec le château de Touvre, restera au seigneur roi, qui donnera une indemnité en terre ou en argent au comte de la Marche pour les deux châteaux de Bouteville et de Châteauneuf, d'après l'avis réuni du comte d'Eu et du vicomte de Thouars, qui s'adjoindront à cet effet le seigneur archevêque de Bordeaux. Ledit seigneur roi garantira aux dits comtes de la Marche et d'Eu, et à Geoffroi de Lusignan, les terres que leur ont données ledit roi et ses prédécesseurs.

« 9. Pour plus sûre garantie de cette affaire, les soussignés, au nom du seigneur roi, ont juré d'observer avec fidélité et bonne foi lesdites conventions, et de les faire observer, autant qu'ils pourront, au seigneur roi sans guerroyer contre lui, à savoir : R. comte de Chester, G. comte de Ferrières, A. vicomte de Thouars, S. de Mauléon, Hugues de Thouars, A. de Rochefort, Hugues de Gournay, Geoffroi de Tannay, Renaud de Pont Vieux, Galon de Rochefort, A. de Rochechouart, Thibaut Crespin, et Hubert du Bourg.

« 10. Au nom du comte ont juré d'observer avec fidélité et bonne foi les conventions, et de les faire observer fidèlement audit comte, autant qu'ils le pourront, sans guerroyer contre lui, les soussignés A. vicomte de Thouars, R. comte d'Eu, G. de Lusignan, A. de Rochechouart, A. Jimnon, S. de Sunale, E. de la Verne, G. de Meyrie, H. de Miche, Pierre Fernecart, Guillaume de Pychemum, Hugues de Naise, Pierre de Menterol, Aymery de Cusc. »

Soutenu par le secours desdits seigneurs, le roi d'Angleterre traversa le territoire du Poitou, vint à Angers, et s'empara de quelques châteaux, à savoir des châteaux de Beaufort, Ulmes-Saint-Florent, Ancenis et de quelques autres, et prit la très florissante ville d'Angers. Un certain jour des coureurs envoyés par lui avec une innombrable multitude de chevaliers, ramassèrent du butin au-delà de la Loire, aux environs de Nantes. Robert, fils aîné de Robert, comte de Dreux, parent du roi Philippe le Magnanime, ayant traversé un pont pour les repousser, leur livra imprudemment combat avec un petit nombre de chevaliers, et fut pris par eux, ainsi que quatorze autres chevaliers français.

Dans ce temps, Pierre, fils dudit comte de Dreux, avait épousé la fille de Guy de Thouars, sœur utérine d'Arthur par sa mère, duchesse de Bretagne, et avait reçu avec elle, du roi Philippe le Magnanime, tout le duché de la petite Bretagne. Ayant rassemble une armée de chevaliers de Bretagne, il prêta secours à Louis, fils aîné du roi Philippe le Magnanime, qui, envoyé par son père dans ce pays avec des chevaliers, demeurait à Chinon, pour protéger et défendre le pays contre les attaques du roi Jean et des Poitevins. Eléonore, sœur d'Arthur, fille aînée de feu Geoffroi, duc de Bretagne et frère aîné du roi Jean, dont il s'agit ici, était, par ce même roi Jean, retenue prisonnière en Angleterre. Craignant qu'elle ne lui fit perdre ses droits au trône, il ne lui permettait point de contracter aucun mariage, et ainsi, depuis dix-huit ans qu'il l'avait prise, il la tenait sous une garde sévère.

L'an 1213, maître Guillaume, chanoine de Senlis et de Laon, obtint contre l'église de Saint-Machut de Mantes toute la garenne de Mantes, c'est-à-dire tout le territoire hors des murs de pierre de Mantes, tous les paroissiens qui y habitent ; et le tout fut adjugé à la cathédrale de la ville de Mantes, par sentence définitive des juges apostoliques. La même année on bâtit dans la même garenne deux églises, l'une en l'honneur de saint Pierre, et l'autre en l'honneur de saint Jacques, qui toutes deux : furent annexées à l'église de Saint-Étienne de Mantes par ledit maître Guillaume, après que la cause avait déjà duré sept ans, en présence des vénérables hommes Adam, archidiacre de Paris, et ensuite évêque de la Maurienne, maître Jean de Candèle, chancelier de Paris, et Renaud, doyen de Saint-Germain d'Autun à Paris.

La même année, Geoffroi, évêque de Senlis, se sentant incapable, tant à cause de son âge que de sa massive corpulence, de soutenir plus longtemps le fardeau qu'il avait déjà porté pendant trente ans, et en ayant, comme on doit sagement le faire, obtenu la permission du souverain pontife, renonça à la dignité épiscopale, et se rendit vers les moines de Charlis de l'ordre de Cîteaux. Il eut pour successeur frère Garin, frère profès de l'ordre des Hospitaliers de Jérusalem, lequel était devenu le principal conseiller du roi Philippe le Magnanime, et se comporta à la cour du roi, à cause de sa sagesse et de l'incomparable mérite de ses conseils et d'autres qualités d'esprit de tous genres, d'une manière si digne de louange, qu'il traitait les affaires du royaume irréprochablement, comme étant le second après le roi, pourvoyant de tout son zèle, comme un homme lettré, aux besoins des églises, conservant sains et saufs sous son manteau leurs libertés et privilèges de toutes sortes, comme nous lisons au sujet de saint Sébastien qui, autrefois illustre dans le palais, cachait sous son manteau un champion du Christ, afin de secourir plus favorablement les Chrétiens, de ranimer leur courage, et d'empêcher qu'ils ne mourussent dans les supplices.

Dans le même temps, le très saint homme Geoffroi, évêque de Meaux, renonçant aussi à l'épiscopat, se dévoua plus exclusivement à la contemplation divine dans le monastère de Saint-Victor. Parmi d'autres œuvres de sainteté auxquelles il s'appliquait avec ardeur, il observait une abstinence admirable et inouïe à tous les siècles. Tous les ans, pendant le carême et l'Avent du Seigneur, il avait coutume de ne prendre de la nourriture que trois fois par semaine, et de ne jamais boire. Dans les autres temps il mangeait et buvait, mais rarement, et encore sa nourriture et sa boisson étaient telles qu'à peine quelqu'un eût-il pu y goûter à cause de leur amertume et de leur insipidité. Il eut pour successeur Guillaume, chantre de Taris. Ainsi il y eut trois frères utérins qui furent tous évêques dans le même temps : Etienne, évêque de Noyon ; Pierre, évêque de Paris, et Guillaume, évêque de Meaux. Ils étaient fils de feu Gautier, camérier de France et frère de Gautier le jeune, et furent dignes de louange par leur vertu, distingués dans le palais, et exercés dans les écoles autant qu'il convenait.

Avant ceci, au mois de septembre de la même année, c'est-à-dire l'an de l'Incarnation du Seigneur 1213, lui livré un merveilleux combat dans la terre des Albigeois, cinq ans s'étant écoulés depuis que les vénérables hommes Pierre, évêque de Sens, Robert, évêque de Rouen, Robert, évêque de Bayeux, Jourdan, évêque de Lisieux, Renaud, évêque de Chartres, et une infinité d'autres évêques et divers ecclésiastiques, Eudes, duc de Bourgogne, Hervé, comte de Nevers, beaucoup d'autres barons, et une infinité de chevaliers et de gens du royaume de France, enflammés d'un divin zèle, et excités par une généreuse indulgence et nue rémission des péchés accordées par le souverain pontife, avaient pris la croix pour aller dans ce pays des Albigeois combattre l'hérésie, dont l'Apôtre, dans son épître à Timothée, annonce l'avènement à la fin des siècles ; de laquelle hérésie les sectateurs rejettent le mariage, détendent de manger de la chair, et font beaucoup d'autres choses contraires à la foi catholique, toutes pleinement exprimées dans l'épître de saint Paul. Ces hérétiques se multipliaient alors d'une manière prodigieuse. Les reins ceints de force, les croisés vinrent, vers la très opulente ville de Béziers, la prirent et la détruisirent de fond en comble, et y passèrent plus de dix-sept mille hommes au fil de l'épée. De là ils s'avancèrent vers Carcassonne, s'en emparèrent promptement, et en chassèrent tous les indigènes et les gens des environs qui étaient venus s'y réfugier d'un grand nombre de lieux, à cause de ses fortifications. Selon les conditions, ne conservant que la vie, ils sortirent par une poterne, nus et voilés seulement autant que la pudeur l'exige. Les barons, voulant retourner chez eux du consentement de tout le clergé et de tous les catholiques, après avoir invoqué la grâce du Saint-Esprit, Simon, comte de Montfort, fut choisi pour commander l'armée des Chrétiens et tout ce pays. Préférant l'utilité publique à ses propres avantages, et acceptant volontiers l'entreprise des guerres de Dieu, il soumit les villes et les châteaux, réduisit à une mort cruelle tous les hérétiques et leurs fauteurs, livra beaucoup de combats, et remporta, non sans miracle, un grand nombre de victoires. Mais enfin le roi d'Aragon, le comte de Saint-Gilles, le comte de Foix et beaucoup d'autres l'assiégèrent dans un château appelé Muret. Il n'avait que deux cent soixante chevaliers, environ cinq cents hommes d'armes à cheval, et à peu près sept cents pèlerins à pied. Après avoir entendu la messe et invoqué la grâce du Saint-Esprit, ils sortirent du château, livrèrent bataille aux assiégeants, tuèrent le roi d'Aragon lui-même, mirent en déroute dix-sept mille hommes de son année, et, protégés par la grâce divine, ne perdirent dans ce jour que huit pèlerins des leurs. Jamais, dans aucun siècle, on n'entendit parler d'un combat qui dut être attribué à un plus grand miracle que celui-ci. Ledit Simon, à cause de son admirable valeur, était dans ce pays appelé le comte Fort. Quoique très brave à la guerre, toujours sous les armes et au milieu des dangers, il entendait tous les jours la messe et toutes les heures canoniques. Laissant son pays pour le service de Dieu, il se montrait tel chevalier dans cette voie du pèlerinage qu'il fut enfin regardé comme citoyen du pays où triomphait l'Eglise.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1214, Jean, roi d'Angleterre, fit entourer d'un mur, des deux côtés, jusqu'à la Mayenne la ville d'Angers, dont il s'était emparé. Comme il avait mis peu de temps à prendre ledit château, et voyant la fortune lui sourire, il présuma que par le secours des Aquitains et des Poitevins il pourrait facilement recouvrer le reste du pays et assiéger un château appelé la Roche au Moine. Ce château avait été récemment construit par Guillaume des Roches, sénéchal de l'Anjou, homme brave, d’une intègre fidélité et éprouvé dans les combats, afin de défendre le passage qui mène d'Angers vers la ville de Nantes ; car, avant que ce rocher eût été fortifié, des pillards passaient par le fleuve de la Loire, d'un château inexpugnable nommé Rochefort, et situé de l'autre côté de la Loire. Ce château appartenait à Pains, surnommé de Rochefort, homme très brave, mais livré aux rapines et au pillage de ses voisins. Ces pillards dépouillaient tous les gens qui faisaient route par cette voie publique, et harcelaient tous les laboureurs. Le roi Jean mit le siège devant ce château, dressa des pierriers et autres machines de guerre, et commença à l'attaquer vivement. Les assiégés ne se défendaient pas avec moins de courage ; et parmi leurs valeureux faits, je ne puis taire celui-ci. Un assiégeant avait coutume de s'approcher des fossés, couvert d'un bouclier qu'un serviteur portait devant lui. Ce n'était pas un bouclier qu'on peut porter à la main, mais un bouclier immense, tel qu'on a coutume de s'en servir dans les sièges. Caché en sûreté sous ce bouclier, et pouvant s'approcher davantage, il incommodait beaucoup les assiégés, parce qu'il était archer, et reconnaissait ainsi tout ce qu'il y avait d'ouvertures dans le château, ainsi faisait-il chaque jour. Un archer du château, saisi d'indignation, employa un jour une nouvelle ruse admirable, et dont on ne saurait faire un crime entre ennemis, d'après les paroles : Qui blâmerait dans un ennemi la ruse ou le courage ? » Il fit une corde mince et forte, et d'une telle longueur, qu'elle pouvait atteindre jusqu'à l'homme dont nous avons parlé : il en attacha un bout à une flèche garnie de plumes, et l'autre à un clou fixé près de lui. Il lança donc sa flèche de l'arbalète ; le trait, lancé avec la corde, s'enfonça solidement dans le bouclier. Alors il tira la corde Vers lui, et avec elle le bouclier et le serviteur qui le tenait. Celui-ci tomba dans le fossé, avec le bouclier, et l'archer qu'il couvrait demeura sur le bord du fossé, exposé sans aucun rempart à tous les coups de flèches, et il périt ainsi avec son serviteur. Le roi Jean, irrité de cette action, fit dresser des fourches, à la vue des assiégés, et les menaça par serment de les y pendre, s'ils ne se rendaient à sa volonté. Mais ils ne consentirent nullement à se rendre, et, se défendant avec courage, soutinrent le siège durant trois semaines, firent éprouver de grandes pertes à l'armée du roi, et, parmi les grands, tuèrent le chapelain du roi pendant qu'il se promenait imprudemment auprès des murs, un certain Limousin d'une grande renommée, Aimeri, surnommé le Brun, un grand nombre d'autres, et Pains de Rochefort lui-même. Dès qu'il se sentit mortellement blessé, il retourna au-delà de la Loire dans sa maison, feignant d'être non blessé, mais accablé d'une autre maladie. Étant mort dans l'espace de peu de jours, on lui trouva deux blessures mortelles en deux endroits du corps.

Dans ce temps, Louis, fils aîné du roi Philippe le Magnanime, pendant que son père visitait tour à tour avec des chevaliers armés, et défendait des incursions des ennemis différents châteaux sur les frontières de la Flandre et du Vermandois, rassembla une armée à Chinon, qui tient son nom de Kaïon, porte-enseigne du roi Arthur, qui l'avait fondé, il quitta Chinon avec son armée pour aller secourir les assiégés dont nous avons parlé. Comme il notait plus éloigné du lieu qu'autant qu'une armée peut faire de chemin en un jour, le roi Jean, n'attendant pas son arrivée, qui devait avoir lieu le lendemain, laissa et abandonna au pillage tous ses pierriers, ses mangonneaux, ses tentes et autres ustensiles de guerre, et s'enfuit comme il put par la Loire, qu'il traversa par des gués ou dans des bateaux. Une grande partie des siens furent submergés et tués dans leur fuite, et il parcourut à cheval ce jour-là l'espace de dix-huit milles. Il n'osa plus dans la suite s'approcher d'un lieu quand il sut que Louis y était, ou y devait venir. Louis, ayant appris sa fuite, marcha vers lesdits châteaux, dont Jean s'était emparé, les reprit promptement, détruisit de fond en comble le château de Beaufort, pénétra vigoureusement sur le territoire du vicomte de Thouars, dévasta les villes très opulentes, rasa le château de Moncontour, qu'il avait pris de vive force, recouvra la ville d'Angers, que le roi Jean avait prise et entourée de murailles, détruisit tous ses remparts, et garda pour lui la ville ainsi privée de murs. Cette victoire de Louis tarda peu à être suivie d'une victoire du roi Philippe ; en sorte que dans l'espace d'un seul mois, par la protection du souverain Roi, le fils vainquit glorieusement, sans combattre, le roi d'Angleterre et les Poitevins dans le Poitou ; et le père, dans une guerre périlleuse, mais pour lui victorieuse, triompha avec honneur dans la Flandre d'Othon et des Flamands.

Peu de jours après, Henri, maréchal de France, tomba malade dans le pays d'Angers. Cet homme, digne d'éloges en tout à la guerre, et craignant Dieu, mourut quelques jours après, et fut enterré dans le monastère de Turpenni, quoiqu'il eût, pour dernière volonté, ordonné qu'on le transportât dans sa patrie, et qu'on l'ensevelît parmi les pères dans l'abbaye de Cercanceau, de l'ordre de Cîteaux. Il fut pleuré de toute la multitude des Français, qui tous le chérissaient tendrement. Il eut pour successeur son fils Jean, encore tout jeune, dont la place fut confiée pour un temps à Gautier de Nemours, jusqu'à ce qu'il fût parvenu à l'âge adulte. Ce fut la bonté du roi qui le voulut ainsi, car la succession héréditaire n'a pas lieu pour de telles charges. Peu de jours avant sa mort, Henri, dont les sens n'avaient pas encore perdu leur vigueur, eut le bonheur d'apprendre la victoire du' roi par un messager auquel, dans sa joie, il donna son cheval de bataille, n'ayant pas autre chose à lui donner, car il avait, comme certain de sa mort, distribué tous ses biens aux pauvres.

Maintenant venons-en à décrire comme nous pourrons, avec l'aide du Seigneur, cette victoire, dont nous avons parlé.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1214, pendant que le roi Jean exerçait ses fureurs dans le pays de l'Anjou, ainsi qu'il a été rapporté plus haut, l'empereur Othon, gagné par argent au parti du roi Jean, rassembla une armée dans le comté de Hainaut, dans un village appelé Valenciennes, dans le territoire du comte Ferrand. Le roi Jean envoya avec lui, à ses frais, le comte de Boulogne, le comte de Salisbury, Ferrand lui-même, le duc de Limbourg, le duc de Brabant, dont ledit Othon avait épousé la fille, et beaucoup d'autres grands et comtes d'Allemagne, de Hainaut, de Brabant et de Flandre. Dans le même temps, le roi Philippe, quoique son fils eût avec lui dans le Poitou la plus grande partie de ses troupes, rassembla une armée, se mit en marche, le lendemain de la fête de sainte Marie-Madeleine, d'un château appelé Péronne, entra de vive force sur le territoire de Ferrand, le traversa en le dévastant à droite et à gauche par des incendies et des ravages, et s'avança ainsi jusqu'à la ville de Tournai, que les Flamands avaient, l'année précédente, prise par fourberie et considérablement endommagée. Mais le roi, y ayant envoyé une armée avec frère Garin et le comte de Saint-Paul, l'avait promptement recouvrée. Othon vint avec son armée vers un château appelé Mortain (ou Mortagne) éloigné de six milles de Tournai, et qui, après que cette ville eut été recouvrée, avait été pris d'assaut et détruit par ladite armée du roi. Le samedi après la fête de saint Jacques, apôtre et martyr du Christ, le roi proposa de les attaquer ; mais les barons l'en dissuadèrent, car ils n'avaient d'autre route pour arriver vers eux qu'un passage étroit et difficile. Ils changèrent donc de dessein, et résolurent de retourner sur leurs pas et d'envahir les frontières du Hainaut par un chemin plus uni, et de ravager entièrement cette terre.

Le lendemain donc, c'est-à-dire le 27 juillet, le roi quitta Tournai pour se diriger vers un château appelé Lille, où il se proposait de prendre du repos avec son armée pendant cette nuit-là. Le même matin, Othon s'éloigna avec son armée de Mortain. Le roi ne savait pas, et ne pouvait croire qu'ils vinssent derrière lui. C'est pourquoi le vicomte de Melun s'écarta de l'armée du roi avec quelques cavaliers armés à la légère, et s'avança vers le côté d'où venait Othon. Il fut suivi d'un homme très brave, d'un conseil sage et admirable, prévoyant avec une grande habileté ce qui peut arriver, Garin, l'élu de Senlis, que j'ai nommé plus haut le frère Garin, car il était frère profès de l'hôpital de Jérusalem, et alors, quoique évêque de Senlis, n'avait pas cessé de porter comme auparavant son habit de religieux. Ils s'éloignèrent donc de plus de trois milles de l'armée du roi jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés dans un lieu élevé, d'où ils purent voir clairement les bataillons des ennemis s'avancer prêts à combattre. Le vicomte restant quelque temps en cet endroit, l'évêque se rendit promptement vers le roi, lui dit que les ennemis venaient rangés et prêts à combattre, et lui rapporta ce qu'il avait vu, les chevaux couverts de chevaliers et les hommes d'armes à pied marchant en avant, ce qui marquait évidemment qu'il y aurait combat. Le roi ordonna aux bataillons de s'arrêter ; et ayant convoqué les grands, les consulta sur ce qu'il y avait à faire. Ils ne lui conseillèrent pas beaucoup de combattre, mais plutôt de s'avancer toujours.

Les ennemis étant arrivés à un ruisseau qu'on ne pouvait facilement traverser, le passèrent peu à peu, et feignirent, ainsi que le crurent quelques-uns des nôtres, de vouloir marcher vers Tournai. Le bruit courut donc parmi nos chevaliers que les ennemis se détournaient vers Tournai. L’évêque était d'un avis contraire, proclamant et affirmant qu'il fallait nécessairement combattre ou se retirer avec honte et dommage. Cependant les cris et les assertions du plus grand nombre prévalurent. Nous nous avançâmes vers un pont appelé Bidas, placé entre un endroit appelé Sanghin et la ville de Cisoing. Déjà la plus grande partie de l'armée avait passé le pont, et le roi avait quitté ses armes ; mais il n'avait pas encore traversé le pont, ainsi que le pensaient les ennemis, dont l'intention était, s'il l'eût traversé, ou de tuer sans pitié ou de vaincre, comme ils l'auraient voulu, ceux qu'ils auraient trouvés en deçà du pont. Pendant que le roi, un peu fatigué des armes et du chemin, prenait un léger repos sous l'ombre d'un frêne, près d'une église fondée en l'honneur de saint Pierre, voilà que des messagers envoyés par ceux qui étaient aux derniers rangs, et se hâtant d'accourir promptement vers lui, annoncèrent avec de grands cris que les ennemis arrivaient, et que déjà le combat était presque engagé aux derniers rangs ; que le vicomte et les archers, les cavaliers et hommes de pied armés à la légère, ne soutenaient leur attaque qu'avec la plus grande difficulté et de grands dangers, et qu'ils pouvaient à peine plus longtemps arrêter leur fureur et leur impétuosité. A cette nouvelle, le roi entra dans l'église, et adressant au Seigneur une courte prière, il sortit pour revêtir de nouveau ses armes, et le visage animé, et avec une joie aussi vive que si on l'eût appelé à une noce, il saute sur son cheval. Le cri de : Aux armes ! Hommes de guerre aux armes ! retentit partout dans les champs, et les trompettes résonnent ; les cohortes qui avaient déjà passé le pont reviennent sur leurs pas. On rappelle l'étendard de Saint-Denis, qui devait dans les combats marcher à la tête de tous, et, comme il ne revient pas assez vite, on ne l'attend pas. Le roi, d'une course rapide, se précipite vers les derniers rangs, et se place sur le premier iront de la bataille, où personne ne s'élance entre lui et les ennemis.

Les ennemis voyant le roi, contre leur espérance, revenu sur ses pas, frappés, je crois, comme de stupeur et d'épouvanté, se détournèrent vers le côté droit du chemin par lequel ils venaient, et, s’étendant vers l'occident, s'emparèrent de la partie la plus élevée de la plaine, et se tinrent du côté du nord, ayant devant les yeux le soleil plus ardent ce jour-là qu'à l'ordinaire. Le roi déploya ses ailes du côté contraire, et se tint du côté du midi avec son armée qui s'étendait sur une ligne dans l'espace immense de la plaine, en sorte qu'ils avaient le soleil à dos. Les deux armées se tinrent ainsi occupant à peu près une même étendue, et séparées l’une de l'autre par un espace peu considérable. Au milieu de cette disposition, au premier rang était le roi Philippe, aux côtés duquel se tenaient Guillaume des Barres, la fleur des chevaliers, Barthélemy de Roye, homme sage et d'un âge avancé ; Gautier le jeune, homme prudent et valeureux, et sage conseiller, Pierre de Mauvoisin, Gérard Scropha, Etienne de Longchamp, Guillaume de Mortemar, Jean de Rouvrai, Guillaume de Garlande, Henri, comte de Bar, jeune d'âge, vieux d'esprit, distingué par son courage et sa beauté, qui avait succédé en la dignité et en la charge de comte à son père, cousin germain du roi récemment mort, et un grand nombre d'autres, dont il serait trop long de rapporter les noms, tous hommes remarquables par leur courage, depuis longtemps exercés à la guerre, et qui, pour ces raisons, avaient été spécialement placés pour la garde du roi dans ce combat. Du côté opposé se tenait Othon au milieu des rangs épais de son armée, qui portait pour bannière un aigle doré au dessus d'un dragon attaché à une très longue perche dressée sur un char. Le roi, avant d'en venir aux mains, adressa à ses chevaliers cette courte et modeste harangue : « Tout notre espoir, toute notre confiance sont placés en Dieu. Le roi Othon et son armée, qui sont les ennemis et les destructeurs des biens de la sainte Eglise, ont été excommuniés par le seigneur Pape : l'argent qu'ils emploient pour leur solde est le produit des larmes des pauvres et du pillage des églises de Dieu et des cimes. Mais nous, nous sommes chrétiens ; nous jouissons de la communion et de la paix de la sainte Eglise ; et quoique pécheurs, nous sommes réunis à l'Eglise de Dieu, et nous défendons, selon notre pouvoir, les libertés du clergé. Nous devons donc avec confiance nous attendre à la miséricorde de Dieu, qui, malgré nos péchés, nous accordera la victoire sur ses ennemis et les nôtres. » A ces mots, les chevaliers demandèrent au roi sa bénédiction, ayant élevé la main, il invoqua pour eux la bénédiction du Seigneur, aussitôt les trompettes sonnèrent ; et ils fondirent avec ardeur sur les ennemis, et combattirent avec un courage et une impétuosité extrêmes.

En ce moment se tenaient en arrière du roi, non loin de lui, le chapelain qui a écrit ces choses, et un clerc. Ayant entendu le son de la trompette, ils entonnèrent le psaume : Béni soit le Seigneur qui est ma force, qui instruit mes mains au combat, jusqu'à la fin ensuite : O Dieu, élevez-vous, jusqu'à la fin, et : Seigneur le roi se réjouira dans votre force, jusqu'à la fin, et les chantèrent comme ils purent, car les larmes s'échappaient de leurs yeux, et les sanglots se mêlaient à leurs chants. Ils rappelaient à Dieu, avec une sincère dévotion, l’honneur et la liberté dont jouissait son Eglise par le pouvoir du roi Philippe, et le déshonneur et les outrages qu'elle souffrait et souffre encore de la part d'Othon et du roi Jean, par les dons duquel tous ces ennemis, excités contre le roi, osaient dans son royaume attaquer leur seigneur. Le premier choc ne fut pas du côté où se trouvait le roi car, avant qu'il en vînt aux mains, on combattait à l'aile droite, à droite du roi, sans qu'il le sût, je crois, contre Ferrand et les siens. Le premier front des combattants était, comme nous l'avons dit, étendu en ligne droite, et occupait dans la plaine un espace de quarante mille pas. L'évêque était dans cet endroit, non pour combattre, mais pour exhorter les hommes d'armes et les animer pour l'honneur de Dieu, du royaume et du roi, et pour leur propre salut ; il voulait exciter surtout le très noble Eudes, duc de Bourgogne, Gaucher, comte de Saint-Paul, que quelques-uns soupçonnaient d'avoir quelquefois favorisé les ennemis, à raison de quoi il dit lui-même à l'évêque que ce jour-là il serait un bon traître ; Matthieu de Montmorency, chevalier plein de valeur, Jean, comte de Beaumont, beaucoup d'autres braves chevaliers, et en outre cent quatre-vingts chevaliers de la Champagne. Tous ces combattants avaient été rangés dans un seul bataillon par l'évêque, qui mit aux derniers rangs quelques-uns qui étaient à la tête, et qu'il savait de peu de courage et d'ardeur. Il plaça sur un seul et premier rang ceux de la bravoure et de l'ardeur desquels il était sûr, et leur dit : « Le champ est vaste, étendez-vous en ligne droite à travers la plaine, de peur que les ennemis ne vous enveloppent. Il ne faut pas qu'un chevalier se fasse un boucher d'un autre chevalier, maintenez-vous de manière que vous puissiez tous combattre comme d'un seul front. » A ces mots, ledit évêque, d'après le conseil du comte de Saint-Paul, lança en avant cent cinquante hommes d'armes à cheval pour commencer le combat, afin qu'ensuite les nobles chevaliers trouvassent les ennemis un peu troublés et en désordre.

Les Flamands, qui étaient les plus ardents au combat, s'indignèrent d'être attaqués d'abord par des hommes d'armes, et non par des chevaliers. Ils ne bougèrent pas de leur place, mais, les ayant attendus, ils les reçurent vigoureusement, tuèrent les chevaux de presque tous, les accablèrent d'un grand nombre de blessures, mais n'en blessèrent que deux à mort ; car c'étaient de très braves hommes d'armes de la vallée de Soissons, et ils combattaient aussi bien à pied qu'à cheval.

Gautier de Ghistelle et Buridan, d'un merveilleux courage, et comme incapables de crainte, rappelaient aux chevaliers les faits de leurs compagnons, aussi peu troublés que s'il se fût agi de quelque jeu guerrier. Après avoir renversé quelques-uns de ces hommes d'armes, ils les laissèrent de côté, et s'avancèrent en plaine, ne voulant, comme s'il se fût agi de quelque exercice d'été, combattre qu'avec des chevaliers. Quelques chevaliers de la troupe de Champagne, d'une valeur aussi grande que la leur, en vinrent aux mains avec eux. Leurs lances brisées, ils tirèrent leurs épées et redoublèrent les coups ; mais Pierre de Rémi étant survenu avec ceux qui étaient dans le même bataillon, Gautier de Ghistelle et Buridan furent emmenés par force prisonniers. Ils avaient avec eux un chevalier nommé Eustache de Maquilin, qui vociférait avec un grand orgueil : Mort aux Français ! Mort aux Français ! Les Français l'entourèrent, et l'un d'eux l'ayant saisi, et pressant sa tête entre son coude et sa poitrine, arracha son casque de sa tête ; un autre lui fourrant un couteau entre le menton et la cuirasse par le gosier, la poitrine et les parties nobles, le força de subir avec horreur la mort dont il menaçait à grands cris les Français. Sa mort et la prise de Gautier et Buridan accrurent l'audace des Français, et, comme certains de la victoire, rejetant toute crainte, ils firent usage de toutes leurs forces.

Gaucher, comte de Saint-Paul, avec une légèreté égale à celle d'un aigle qui fond sur des colombes, suivit les hommes d'armes envoyés, comme nous l'avons dit, par l'évêque. A la tête de ses chevaliers qu'il avait choisis excellents, il pénétra au milieu des ennemis, et traversa leurs rangs avec une agilité merveilleuse : donnant et recevant un grand nombre de coups, tuant et abattant indifféremment hommes et chevaux, et ne prenant personne, il revint ainsi à travers une autre troupe d'ennemis, et en enveloppa un très grand nombre comme dans un filet. Il fut suivi avec une aussi grande impétuosité par le comte de Beaumont, Matthieu de Montmorency avec les siens, le duc de Bourgogne lui-même, entouré d'un grand nombre de braves chevaliers, et la troupe de Champagne. Là s’engagea des deux côtés un combat admirable. Le duc de Bourgogne, très corpulent et d'une complexion flegmatique, fut jeté à terre, et son cheval fut tué par les ennemis. On se pressa autour de lui, et les bataillons des Bourguignons l'entourèrent. On lui amena un autre cheval. Le duc, relevé de terre par les mains des siens, monte sur son cheval, agite son épée dans sa main, dit qu'il veut venger sa chute, et se précipite avec fureur sur les ennemis. Il n'examine pas qui se présente à lui, mais il venge sa chute sur tous ceux qu'il rencontre, comme si chacun deux avait tué son cheval. Là combattait le vicomte de Melun, qui faisait des prodiges de valeur, ayant dans son bataillon de très braves chevaliers, De même que le comte de Saint-Paul, il attaqua les ennemis d'un côté, les enfonça, et revint à travers leurs rangs par un autre côté. Là, Michel de Harmes, dans un autre bataillon, eut son bouclier, sa cuirasse et sa cuisse transpercés par la lance d'un Flamand, et demeura cloué à sa selle et à son cheval, en sorte que lui et le cheval tombèrent à terre. Hugues de Malaunaye fut renversé à terre, ainsi que beaucoup d'autres, dont les chevaux furent tués, et qui, se relevant avec force, combattirent aussi vigoureusement à pied qu'à cheval.

Le comte de Saint-Paul, fatigué des coups qu'il avait reçus comme de ceux qu'il avait portés, s'éloigna un peu de ce carnage, et prit un léger repos. Ayant le visage tourné vers les ennemis, il vit un de ses chevaliers entouré par eux. Comme il n'y avait aucun accès vers lui pour le délivrer, quoiqu'il n'eût pas encore repris haleine, pour pouvoir traverser avec moins de danger le bataillon serré des ennemis, il se courba sur le cou de son cheval, qu'il embrassa de ses deux bras, et, pressant son cheval des éperons, il fondit sur le bataillon des ennemis, et parvint à travers leurs rangs jusqu'à son chevalier. Là, se redressant, il tira son épée dispersa merveilleusement tous les ennemis qui l'entouraient, et ainsi, par une audace ou une témérité admirable, et à son grand péril, il délivra son chevalier de la mort, et, s'échappant des mains des ennemis, se retira dans son bataillon. Ceux qui en avaient été témoins affirmèrent qu'il avait été un moment en un tel danger que douze lances à la fois l'avaient frappé sans pouvoir cependant ni abattre son cheval, ni l'enlever de dessus la selle. Après s'être un peu reposé, il se précipita de nouveau au milieu des ennemis avec ses chevaliers, qui avaient pris haleine pendant ce temps-là.

La victoire ayant pendant quelque temps voltigé d'une aile douteuse d'un côté à l'autre, comme ce combat si animé durait déjà depuis trois heures, tout le poids de la bataille tourna enfin contre Ferrand et les siens. Lors, accablé de blessures et renversé à terre, il fut emmené prisonnier avec un grand nombre de ses chevaliers. Presque expirant de la fatigue d'un si long combat, il se rendit principalement à Hugues de Maroil et à Jean, son frère : tous les autres qui combattaient dans cette partie de la plaine furent tués ou pris, ou échappèrent par une honteuse fuite aux Français qui les poursuivaient.

Pendant ce temps, arrivèrent, avec la bannière de Saint-Denis, les légions des communes qui s'étaient avancées presque jusqu'aux maisons. Elles accoururent le plus promptement possible vers l'armée du roi, où elles voyaient la bannière royale, qui se distinguait par les fleurs de lis, et que portait ce jour-là Galon de Montigny, chevalier très valeureux, mais peu fortuné. Les communes étant donc arrivées, principalement celles de Corbeil, d'Amiens, de Beauvais, de Compiègne et d'Arras, pénétrèrent dans les bataillons des chevaliers, et se placèrent devant le roi lui-même. Mais ceux de l'année d'Othon, qui étaient des hommes d'un courage et d'une audace extrêmes, les repoussèrent incontinent vers le roi, et, les ayant un peu dispersés, parvinrent presque jusqu'au roi. A cette vue, les chevaliers qui étaient dans l'armée du roi marchèrent en avant, et, laissant derrière eux le roi, pour lequel ils concevaient quelque crainte, s'opposèrent à Othon et aux siens qui, dans leur fureur teutonique, ne cherchaient que le roi seul. Pendant qu'ils étaient devant, et arrêtaient par leur admirable courage la fureur des Teutons, des hommes de pied entourèrent le roi, et le jetèrent à bas de son cheval avec des crochets et des lances minces ; et s'il n'eût été protégé par la main de Dieu et par une armure incomparable, ils l'eussent certainement tué. Un petit nombre de chevaliers qui étaient restés avec lui, ledit Galon, qui, abaissant souvent sa bannière, demandait du secours, et surtout Pierre Tristan, qui, descendant lui-même de son cheval, se jeta au devant des coups qui menaçaient le roi, renversèrent, dispersèrent et tuèrent ces hommes de pied ; et le roi lui-même, se relevant plus vite qu'on ne l'espérait, sauta sur un cheval avec une étonnante légèreté.

On combattit donc des deux côtés avec un courage admirable, et un grand nombre d'hommes de guerre furent renversés. Devant les yeux même du roi fut tué Etienne de Longchamp, chevalier valeureux et d'une fidélité intacte, qui reçut un coup de couteau dans la tête par la visière de son casque ; car les ennemis se servaient d'une espèce d'arme étonnante et inconnue jusqu'à présent : ils avaient de longs couteaux minces et à trois tranchants qui coupaient également de chaque tranchant depuis la pointe jusqu'à la poignée, et ils s'en servaient en guise d'épée. Mais, par l'aide de Dieu, les épées des Français et leur infatigable courage l'emportaient. Ils repoussèrent toute l'armée d'Othon, et parvinrent jusqu'à lui ; au point que Pierre Mauvoisin, chevalier plus puissant par les armes, en quoi il surpassait tous les autres, que par la sagesse, saisit son cheval par la bride, mais comme il ne pouvait le tirer de la foule dans laquelle il était pressé, Gérard Scropha lui frappa la poitrine d'un couteau qu'il tenait nu dans la main. N'ayant pu le blesser, à cause de l'épaisseur des armes impénétrables qui défendent les chevaliers de notre temps, il réitéra son coup ; mais ce second coup porta sur la tête du cheval, qui la portait droite et élevée. Le couteau, poussé avec une force merveilleuse, entra, par l'œil du cheval, dans sa cervelle. Le cheval, blessé à mort, se cabra, et tourna la tête vers le côté d'où il était venu. Ainsi l'empereur montra le dos à nos chevaliers, et s'éloigna de la plaine, quittant et abandonnant au pillage l'aigle avec le char. A cette vue, le roi dit aux siens : « Vous ne verrez plus sa figure d'aujourd'hui. » Il était déjà un peu en avant, lorsque son cheval s'abattit. On lui amena aussitôt un cheval frais. Il le monta, et se mit à fuir promptement. Déjà en effet il ne pouvait, plus soutenir davantage la valeur de nos chevaliers, car deux fois le chevalier des Barres l'avait tenu par le cou mais il lui avait échappé par la vitesse de son cheval et par le grand nombre de ses chevaliers qui, pendant que leur empereur fuyait, combattaient merveilleusement, au point qu'ils renversèrent à terre le chevalier des Barres, qui s'était avancé plus que les autres. Gautier le jeune, Guillaume de Garlande, Barthélemy de Roye, et d'autres qui étaient avec eux, dont les lances brisées et les épées toutes sanglantes attestaient la bravoure, étant, dit-on, des hommes prudents, ne jugèrent pas bon de laisser loin d'eux le roi, qui les suivait d'un pas égal c'est pourquoi ils ne s'étaient pas autant avancés que le chevalier des Barres qui, démonté et entouré d'ennemis, se défendait, selon sa coutume, avec une admirable valeur. Cependant, comme un homme seul ne peut résister à une multitude, il eût été pris ou tué, si Thomas de Saint Valéry, homme brave et fort à la guerre, ne fût survenu avec sa troupe, composée de cinquante chevaliers et deux mille hommes de pied. Il délivra le chevalier des Barres des mains des ennemis, ainsi que me l'a raconté quelqu'un qui y était.

Le combat se ranima. Bernard de Hostemale, très brave chevalier, le comte Othon de Tecklenbourg, le comte Conrad de Dortmund, et Gérard de Randeradt, avec d'autres chevaliers très valeureux que l'empereur avait spécialement choisis, à cause de leur éminente bravoure, pour être à ses côtés dans le combat, combattaient pendant que l'empereur fuyait, et renversaient et blessaient les nôtres. Cependant les nôtres l'emportèrent, car les deux comtes ci-dessus nommés furent pris, ainsi que Bernard et Gérard ; le char fut mis en pièces, le dragon brisé, et l'aigle, les ailes arrachées et rompues, fut porté au roi. Le comte de Boulogne ne cessa pas de combattre depuis le commencement de la bataille, et personne ne put le vaincre. Ledit comte avait employé un artifice admirable ; il s'était fait comme un rempart d'hommes d'armes très serrés sur deux rangs, en forme de tour à l'instar d'un château assiégé, où il y avait une entrée comme une porte, par laquelle il entrait toutes les fois qu'il voulait reprendre haleine, ou quand il était pressé par les ennemis, et il eut souvent recours à ce moyen.

Le comte Ferrand et l'empereur lui-même, comme nous l'avons ensuite appris des prisonniers, avaient juré de négliger tous les autres bataillons pour s'avancer vers celui du roi Philippe, et de ne point détourner leurs chevaux qu'ils ne fussent parvenus vers lui et ne l'eussent tué, parce que si le roi (Dieu nous en préserve) eût été tué, ils espéraient triompher plus facilement du reste de l'armée. C'est à cause de ce serment qu'Othon et son bataillon ne combattirent qu'avec le roi et son bataillon. Ferrand voulut commencer à s'avancer vers lui, mais il ne le put, parce que, comme on l’a dit, les Champenois lui fermèrent son chemin. Renaud, comte de Boulogne, négligeant tous les autres, parvint au commencement du combat jusqu'au roi ; mais comme il était près de lui, respectant, je crois, son seigneur, il s'éloigna et combattit avec Robert, comte de Dreux, qui n'était pas loin du roi dans un bataillon très épais. Mais Pierre, comte d'Autun, parent du roi, combattait vigoureusement pour lui, quoique son fils Philippe, ô douleur ! parent, du côté de sa mère, de la femme de Ferrand, fût dans le parti des ennemis du roi, car les yeux de ces ennemis étaient aveuglés à un tel point qu'un grand nombre d'entre eux, quoiqu'ils eussent dans notre parti leurs frères, leurs beaux-frères, leurs beaux-pères et leurs parents, sans respect pour leur seigneur séculier et sans crainte de Dieu, n'en osaient pas moins, dans une guerre injuste, attaquer ceux qu'ils étaient tenus, au moins par le droit naturel, de respecter et de chérir.

Ce comte de Boulogne, quoiqu'il se battît ainsi avec bravoure, avait beaucoup conseillé de ne pas combattre, connaissant l'impétuosité et la valeur des Français. C'est pourquoi l'empereur et les siens le regardaient comme traître, et l'eussent mis dans les fers, s'il n'eût consenti au combat. Comme ce combat s'engageait, on rapporte qu'il dit à Hugues de Boves : « Voilà ce combat que tu conseillais et dont je dissuadais. Tu fuiras comme un lâche : tandis que moi, je combattrai, au péril de ma tête, et je serai pris ou tué. » A ces mots, il s'avança vers le lieu du combat qui lui était destiné, et se battit, ainsi qu'on l’a dit, plus longtemps et plus vaillamment qu'aucun de ceux qui étaient présents,

Cependant les rangs du parti d'Othon s'éclaircissent, pendant que lui-même, et un des premiers, était en fuite. Le duc de Louvain, le duc de Limbourg, Hugues de Boves, et d'autres, par centaines, par cinquantaines et par troupes de différents nombres, s'abandonnèrent à une honteuse déroute. Cependant le comte de Boulogne, combattant encore, ne pouvait s'arracher du champ de bataille, quoiqu'il ne fût aide que de six chevaliers, qui, ne voulant point l'abandonner, combattirent avec lui, jusqu'à ce qu'un homme d'armes. Pierre de Tourrelle, d'une bravoure extraordinaire, dont le cheval avait été tué par les ennemis, et qui combattait à pied, s'approcha dudit comte, et levant la couverture du cheval, lui enfonça son épée dans le ventre jusqu'à la garde. Ce qu'ayant vu un chevalier du comte, il saisit la bride, et l'entraîna malgré lui hors du combat. Ils furent poursuivis par les deux frères Quenon et Jean de Condunc, braves chevaliers, qui renversèrent le chevalier du comte, dont le cheval tomba aussitôt en cet endroit. Le comte demeura ainsi renversé, ayant la cuisse droite sous le cou de son cheval déjà mort, position dont on ne put qu'à grand' peine le tirer. Survinrent Hugues et Gautier Desfontaines et Jean de Rouvrai. Pendant qu'ils se disputaient entre eux pour savoir à qui appartiendrait la prise du comte, arriva Jean de Nivelle, avec ses chevaliers. C'était un chevalier haut de taille, très beau de figure, mais en qui le courage et le cœur ne répondaient nullement à la beauté du corps, car dans cette bataille il n'avait encore de tout le jour combattu avec personne. Cependant il se disputait avec les autres qui retenaient le coin le prisonnier, voulant par cette proie s'attirer quelque louange ; et il l'eût emporté si l'évêque ne fût arrivé. Le comte, l'ayant reconnu, se rendit à lui, et le pria seulement de lui sauver la vie. Un certain garçon, fort de corps et d'un grand courage, nommé Comot, étant en cet endroit, avait tiré son épée, et, enlevant au comte son casque, lui avait fait une très forte blessure à la tête, et pendant que les chevaliers se disputaient, comme on l'a dit, il voulut lui plonger son couteau dans les parties inférieures ; mais comme ses bottes étaient cousues à la cotte de sa cuirasse, il ne put trouver d'endroit pour le blesser. Le comte s'efforça de se relever, mais ayant vu non loin de là Arnoul d'Oudenarde, chevalier très valeureux, se hâter avec quelques cavaliers de venir à son secours, il feignit de ne pouvoir se soutenir sur ses pieds, et retombant de lui-même par terre, il attendit qu'on vînt le délivrer. Mais ceux, qui étaient là, le frappant de coups à plusieurs reprises, le forcèrent, bon gré mal gré, de monter sur un roussin. Arnoul et ceux qui raccompagnaient furent pris.

Pendant que tous les cavaliers, ou s'étaient échappés, par la fuite, du champ de bataille, ou étaient pris ou tués, et qu'ainsi les flancs de l'armée d'Othon demeuraient à nu au milieu de la plaine, restaient encore de très valeureux hommes d'armes à pied, les Brabançons et d'autres, au nombre de sept cents, que les ennemis avaient placés devant eux comme un rempart. Le roi Philippe le Magnanime, voyant qu'ils tenaient encore, envoya contre eux Thomas de Saint Valéry, homme noble, recommandable par sa vertu, et tant soit peu lettré. Étant bien monté, quoiqu'il fût déjà un peu fatigué de combattre à la tête des fidèles hommes de sa terre, montant au nombre de cinquante cavaliers et de deux mille hommes de pied, il fondit sur eux avec une grande impétuosité, et les massacra presque tous, chose merveilleuse. Lorsqu’après cette victoire, Thomas compta le nombre des siens, il n'en trouva de moins qu'un seul, qu'on chercha aussitôt et qu'on trouva au milieu des morts. Il fut porté dans lu camp. Dans l'espace de peu de jours des médecins guérirent ses blessures, et le rendirent à la santé. Le roi ne voulut pas que les siens poursuivissent les fuyards pendant plus d'un mille, à cause du peu de connaissance qu'ils avaient des lieux, et de l'approche de la nuit, et de peur que, par quelque hasard, les hommes puissants retenus prisonniers ne s'échappassent ou ne fussent arrachés des mains de leurs gardes. C'était surtout cette crainte qui le tourmentait. Ayant donc donné le signal, les trompettes sonnèrent le rappel, et les bataillons retournèrent au camp remplis d'une grande joie.

O admirable clémence d'un prince ! Piété nouvelle et inconnue au monde ! le même soir, lorsqu'on eut amené en présence du roi les grands qui avaient été pris, à savoir : cinq comtes, vingt-cinq autres d'une si haute noblesse que chacun d'eux avait le droit de porter bannière, et en outre, un grand nombre d'autres d'un rang inférieur, le roi, quoiqu'ils fussent tous de son royaume, qu'ils eussent conspiré contre sa vie, et fait tous leurs efforts pour le tuer, et qu'ils dussent ainsi, selon les lois et les coutumes de ce pays, être punis de la peine de mort, comme coupables de lèse-majesté, le roi, dis-je, se montrant doux et miséricordieux, leur accorda à tous la vie. Autant il était animé contre les rebelles de rigueur et de sévérité, autant et plus encore il montrait toujours de clémence aux vaincus, toujours appliqué à pardonner aux vaincus et à vaincre les superbes. Cependant il les fit tous renfermer en prison, et les ayant fait placer enchaînés sur des chariots, il fit route vers Paris.

Comme il était à Bapaume, on l'informa que le comte Renaud de Boulogne avait, après le combat, envoyé un message vers Othon, pour lui conseiller de s'avancer vers Gand, d'y rassembler ses forces, et de renouveler la guerre par le secours des gens de Gand et des autres Flamands. A cette nouvelle vraie ou fausse, le roi, extrêmement irrité, monta dans la tour où étaient logés les deux plus grands comtes, Ferrand et Renaud, et, d'une voix animée par la colère, reprocha à celui-ci que, lorsqu'il était son homme lige, il l'avait créé chevalier, que lorsqu'il était pauvre il l'avait fait riche, et que, rendant le mal pour le bien, il s'était uni, ainsi que son père le comte Aubry, avec feu Henri, roi d'Angleterre, pour la ruine du roi et du royaume, ensuite son repentir l'avait fait accueillir par lui en grande amitié, et il avait ajouté le comté de Boulogne au comté de Dammartin, qui lui était dévolu par droit de l'héritage de son père, le comte Aubry, mort au service du roi d'Angleterre, dans le pays de Normandie ensuite, accumulant fautes sur fautes, il avait passé vers Richard, roi d'Angleterre, et tant que ce prince avait vécu, il était toujours demeuré dans son parti contre le roi. Richard étant mort, le roi l'avait encore reçu en son amitié, et avait ajouté à ses deux comtés les trois comtés de Mortain, d'Aumale et de Varennes. Oubliant tous ses bienfaits, il avait, sans motif, excité contre le roi l'Angleterre, l'Allemagne, la Flandre, le Hainaut et le Brabant. Il lui avait, l'année précédente, enlevé, avec d'autres, une partie de ses vaisseaux, auprès de Dam. Tout récemment il avait, avec d'autres, juré sa mort, et combattu corps à corps avec lui. Après ce combat, après la clémence avec laquelle la vie lui avait été accordée, il avait envoyé des messages vers Othon et lus autres échappés du combat, et s'était efforcé de les exciter de nouveau à la guerre, Voilà tout ce que tu m'as fait, lui dit-il, je ne t'ôterai cependant point la vie, mais tu ne sortiras pas de prison que tu n'aies tout payé. » Après avoir ainsi parlé, il le fit transporter à. Péronne, et renfermer dans une tour très forte. Il était garde avec les plus grandes précautions, attaché par des fers entrelacés avec une merveilleuse adresse, presque impossibles à délier, et joints ensemble par une chaîne si courte qu'elle lui laissait à peine la faculté de faire un demi pas. Au milieu de cette chaîne en était attachée une autre de la longueur de dix pieds, fixée à l'autre bout à une colonne mobile, que deux hommes avaient de la peine à mouvoir chaque fois que le comte voulait aller satisfaire les besoins secrets de la nature. Le roi fit transporter Ferrand à Paris, et le fit tenir renfermé sous une étroite garde, dans une tour neuve, située hors des murs.

Le jour même du combat le roi remit le comte de Salisbury au comte Robert, afin que le roi d'Angleterre, dont ledit comte de Salisbury était frère, rendît à sa place le fils dudit comte Robert qu'il retenait prisonnier, ainsi que nous l'avons plus haut rapporté. Mais ce roi dénaturé, ce roi qui eut toujours en haine sa chair et son sang, qui avait tué de sa propre main Arthur, fils de Geoffroi, son frère aîné, auquel, par le droit de primogéniture, la couronne devait revenir, qui depuis près de vingt ans retenait prisonnière la jeune Eléonore, sa nièce, sœur dudit Arthur, ne voulut point échanger pour son frère, naturel ou charnel, un étranger qu'il tenait prisonnier. C'est le lynx emblématique dont parle Merlin, au sujet de son père, qu'il comparait à un lion. « Il naîtra de lui, dit-il, un lynx qui troublera tout, et mettra en ruine sa propre nation, car par lui la Neustrie perdra ses deux îles, et sera dépouillée de sa dignité première. » Les autres prisonniers furent renfermés dans deux châtelets, situés chacun à la tête d'un des ponts de Paris1, et dans d'autres châteaux en différents endroits du royaume.

Liste des prisonniers (pris à la bataille de Bovines) livrés aux prévôts de Paris, par les mains de maître Garni et de Jean Paule.

De la commune de Noyon. —Philippe de Malagraen, Jean de Hodeberge, Simon de Saffebergue, Thomas de Laconté, Pierre de Brulle. Total 5.

Commune de Mont-Didier. — Gile de Sarte, Girard de Barbais, Baudouin du Mont, Honoré de Wamier ou Wamire, Gile de Mont-Saint-Aldegonde, Thibaut de Tremogne. Total 6.

Commune de Montreuil. —Gautier de Qnievrein, Renier de Murnac, Guillaume de Unguebert, Nicolas, fils de Perrin Evrard d'Iske, Seher Dareteguis, Alexandre de Barsèle, Leblert Descolin. Total 8.

Commune de Soissons. —Sebeit de Mernac, Couraud, comte de Tremogne ; Renclin de Lamprenesse,

Guillaume de Hestave, Robert de Saint-Léonard, Guillaume de Beaumont, Fastret de Villers, Renier de Wavres, Terric de Ligne, Herbert de Gaie. Total 10.

Judas et Jean Paule, Hellin de Wavres, Arnoul de Landast, Gautier de Ghistèle, Jacques de Ruest, Pierre du Mesnil, Hellin de Letor, Girard Dannelin, Gautier des Conseillez, Henri de Tecklembourg. Total 9,

Commune de Bruyères. — Arnoul de Grinberge, Seher de Mosère, Philippe de Wavre, Nicolas de Harlut, Bernard de Hotemare, Gérard de Randeradt. Total 6.

Commune de Hesdin. — Garnier d'Oringuel, Henri Jutfane, Henri le Gros, Ourson de Fretin, Heline des Eaux, Raimond de Wavre. Total 6.

Commune de Cerny. — Robert d'Estroem, Roger Mallet, Philippe de Tonquernelles, Guillaume d'Averquin. Total 4

Commune de Crespy en Laonnais. —Baudouin de Blanderque, Terric de Lahemède, Arnoul de Baenguien, Jean de Roserneles. Total 4

Commune de Craone. — Baudouin de Prac, Roger de Bosc, Robert de Tieulemont, Gautier de Waquene. Total 4.

Commune de Vesly. — Fastrex de Ligne, Seher de Hestru, Raoul de Malogne, Guillaume Danelin, Etienne Dessentes, de la famille d'Othon, Geoffroi de Ville. Total 6. Il y en a autant dans la tour de Compiègne.

Commune de Corbie. — Eustache de Ruest, Laurent de Portegal, Terric de Melinguien, Jean de Laconté, Eustache de Malle, Geoffroi de Loscart, Henri de Lépine, Girard Flamenc, Terric d'Osqueberc. Total 9.

Commune de Compiègne. — Raoul le Bigot, frère du comte de Salisbury, Robert Danetière, Baudouin de Boudais, Hugues de Mallers, Rimé de Vismes. Total 5.

Commune de Roye. — Arnould de Créqui, Gilbert Cornu, Geoffroi Brise-teste, Gautier de Lonbec, Bernard, prêtre, d'Utec, Baudouin de Lens. Total 6.

Commune d'Amiens. — Richard de Cologne, Baudouin de Saint-Léger, Jean de Coing, Gilbert de la Copèle, Conrad de Corasin, Henri Trosse, Hugues de Saint-Obert, Borel de Flechien, Jean de Liez, Baudouin de Perenches. Total 10.

Commune de Beauvais. — Race de Gavre, Otlion, comte de Tecklembourg, Venquernent de Groningue, Hugues de Bailleul, Girard de Grimberge, Manassès de Conti, Gilon de Gamachines, Henri le Rouge, Robert de Marque, Terric Vide-Ecuelle, Terric de Bribais, Othon d'Ostemare. Total 12. Somme totale 110.

Jacques d'Arras, bourgeois de Valenciennes, et deux chevaliers, eurent en leur garde les serviteurs des prisonniers, qui furent livrés par les gens de Senlis aux prévôts de Paris, Neuholet et Lambéchin de Monthierry.

Liste de ceux qui ont été reçus dans le grand Châtelet.

Philippe de Malenguien, Gautier de Quievrain, René de Murnac, Nicolas, fils de Perrin, Alexandre de Barsèle, Seher de Mesnac, Conrad, comte de Trémogne, Renelin de Lamprenesse, Guillaume, châtelain de Beau mont ; Hellin de Wavres, Arnoul de Landat, Gautier de Ghistèle, Jacques de Ruest, Pierre du Mesnil, Arnoul de Grimberge, Philippe de Vavre, Bernard d'Ostemare, Gérard de Randeradt, Ourson de Fretin, Baudouin de Prac, Robert de Tieulemont, Eustache Ruest, Laurent de Porteral, Terric d'Osqueberc, Raoul le Bigot, Arnonld de Créqui, Gilbert Cornu, Hugues de Saint-Obert, Jean de Biez, Race de Gavre, Othon, comte de Tecklenbourg : Girard de Grimberge, Othon d'Ostemare, Fastrex de Ligne. Total 34.

Liste de ceux qui ont été rendus y ou pour qui on a donné des otages.

Thomas de Malesmains. Le roi a donné à Enguerrand de Courcelles pour sa rançon.

Anselme de Rivière. Il a été rendu, par lettre du roi, pour Hervée de Busenci.

Arnoul d'Esquallon. Nicolas de Baillail, Pierre de Bailleul, Alard de Croisilles et Gilles de Daube, se sont portés caution pour lui, de tout leur avoir.

Roger de Wafïale. Il a été donné au roi des ribauds, parce qu'il se disait à son service.

Hugues de Gastine, pour qui Jean de Nivelle s'est rendu caution de cent marcs.

René de Croisilles a caution pour cent marcs Gui de Hodenc, mari de la fille d'Othon d'Arbre.

Nivelon, maréchal, a Gautier de Bailleul.

Le comte de Soissons a Arnoul d'Oudenarde pour mille marcs.

Jean de Nivelle a le comte de Boulogne. Barthélemy de Roye a le comte Ferrand. Le comte de Dreux a le comte de Salisbury. Enguerrand de Coucy a Gautier de Boves. Le comte Pierre a le fils de Guillaume. Major de Coucy à Gautier Despoil.

Liste des prisonniers qui sont à Compiègne.

Daniel de Masquelines, Philippe de la Gastine, Roger de Honleguen, Guillaume d'Uze, Gérard Limors, Jean de Hérigny. Ces six chevaliers furent pris à Courtrai.

Gautier d'Aine et Guillaume de Hurupe, tous deux furent pris à Deinse.

Arnould de Gavre, pris à Saint-Omer.

Alard de Bourgueil, pris à Lille, et Renaud, son porte bouclier.

Pariden Desperguen, Simon d'Espliché, pris tous deux à la grande bataille.

Combien tes jugements sont droits, justes et irrépréhensibles, ô Seigneur ! toi qui dissipes les desseins des princes et les efforts pervers des peuples, qui souffres les médians pour éprouver les bons, qui diffères pour un temps la vengeance, pour laisser aux méchants le temps de se convertir ; qui permets enfin justement le châtiment, encore au dessous de leurs crimes, de ceux dont tu as en vain attendu la pénitence, qui tournes toujours, au contraire, pour la punition des médians et la gloire des bons, ce que les méchants préparent follement pour la ruine des bons.

Voilà que non seulement ceux qui furent défaits dans ce combat avaient conspiré contre le roi ; bien plus, attirés par des dons et des promesses, Hervé, comte ; de Nevers, et tous les grands au-delà de la Loire, ceux du Mans, de l'Anjou et de la Normandie, excepté seulement Guillaume des Roches, sénéchal de l'Anjou, Juchelle de Mayenne, vicomte de Sainte-Suzanne, et un petit nombre d'autres, avaient déjà promis leur secours au roi d'Angleterre. Ils l'avaient fait un secret cependant et cachant leurs intentions, par crainte du roi, jusqu'à ce qu'ils fussent certains de l'issue que devait avoir la guerre. Déjà, s'attendant à la victoire, ils avaient partagé tout le royaume, distribuant audacieusement, d'après les arrangements d'Othon, au comte Renaud le Vermandois avec Péronne, Paris à Ferrand, et d'autres villes à d'autres hommes. En sorte que Ferrand et Renaud, par la très juste volonté de Dieu, trouvèrent l'ignominie et la honte dans ce qu'ils avaient demandé comme un honneur. Ce que nous venons de dire sur leur audace et leur trahison a été rapporté aux oreilles du roi par des gens sûrs, et qui furent admis à son conseil après la victoire. Dieu nous garde en effet de rien dire de faux sur eux et contre notre conscience, quoiqu'ils soient nos ennemis, nous ne rapportons ici que ce que nous savons et croyons véritable. La renommée, qui dit tout, nous a appris que la vieille comtesse de Flandre, espagnole de nation, tante maternelle dudit Ferrand, fille du roi de Portugal, ce qui la faisait appeler reine et comtesse, désirant, par des prestiges et des sortilèges, connaître l'événement du combat, avait obtenu cette réponse des anges qui, selon la croyance espagnole, président aux arts de cette sorte : on combattra, et dans ce combat le roi sera renversé à terre et foulé aux pieds des chevaux, et il sera privé de sépulture. Ferrand, après la victoire, sera reçu en grande pompe par les Parisiens. Tout homme d'un esprit droit peut interpréter selon la vérité cette prédiction. En effet, la coutume du démon est de toujours parler d'une manière amphibologique à ceux qui entretiennent commerce avec lui, palliant la vérité pour la faire répondre à leurs vœux, afin de les jouer, de tromper leur adoration, et de les faire croire toujours à un événement favorable dans ce que Dieu inédite de faire tourner à leur honte et à la gloire des autres. D’où ces vers :

Craesus perdet Halim transgressus maxima regna.

Ce qui fait dire à Juvénal:

Crésus trompé par l’oracle ambigu d’Apollon.

Qui pourrait raconter, s'imaginer, tracer avec la plume, sur un parchemin ou des tablettes, les joyeux applaudissements, les hymnes de triomphe, les innombrables danses des peuples, les doux chants des clercs, les sons harmonieux des instruments guerriers dans les églises, les solennels ornements des églises, en dedans et en dehors, les rues, les maisons, les chemins de tous les châteaux et des villes tendus de courtines et de tapisseries de soie, couverts de fleurs, d'herbes et de branches d'arbres vertes, tous les habitants de tout genre, de tout sexe et de tout âge accourant de toutes parts voir un si grand triomphe, les paysans et les moissonneurs interrompant leurs travaux, suspendant à leur cou leurs faux, leurs boyaux et leurs trubles[3] (car c'était alors le temps de la moisson), et se précipitant en foule vers les chemins pour voir dans les fers ce Ferrand, dont peu auparavant ils redoutaient les armes. Les paysans, les vieilles femmes et les enfants ne craignaient point de se moquer de lui, et en trouvaient l'occasion dans l'équivoque de son nom, qui pouvait s'entendre aussi bien d'un homme que d'un cheval ; de plus, par un merveilleux hasard, les deux chevaux qui le traînaient dans une litière étaient de ceux auxquels leur couleur a fait donner ce nom.[4] C'est pourquoi ils lui disaient que maintenant il était ferré, qu'il ne pouvait plus regimber, lui qui auparavant, gonflé d'embonpoint, ruait et levait le talon contre son maître. Toute la route se passa ainsi jusqu'à ce qu'on fût arrivé à Paris. Les habitants de Paris, et par dessus tout la multitude des écoliers, le clergé et le peuple, allant au devant du roi en chantant des hymnes et des cantiques, témoignèrent par leurs gestes quelle joie animait leurs esprits ; et il ne leur suffit pas de se livrer ainsi à l'allégresse pendant ce jour, ils prolongèrent leurs plaisirs dans la nuit et même pendant sept nuits consécutives au milieu de nombreux flambeaux ; en sorte que la nuit paraissait aussi brillante que le jour. Les écoliers surtout ne cessaient de faire de somptueux festins, chantant et dansant continuellement.

Peu de jours après, les Poitevins, épouvantés à la nouvelle d'une si grande victoire, envoyèrent des députés vers le roi Philippe le Magnanime pour tâcher de se réconcilier avec lui. Mais le magnanime roi, ayant déjà une ibis, plusieurs fois même, éprouvé leur perfidie, et sachant que leurs secours seraient toujours onéreux et jamais avantageux pour leur seigneur, ne consentit nullement à leur demande, et, rassemblant une armée, marcha promptement vers le Poitou, où était le roi Jean. Arrivé à Loudun, ville opulente et bien fortifiée, sur les frontières du Poitou, il vit venir vers lui les députés du vicomte de Thouars, homme sage et puissant, supérieur en autorité à tous les Poitevins, et même à tous les Aquitains, pour le supplier de leur accorder la paix, ou du moins une trêve. Le magnanime roi aimant mieux, selon sa coutume, vaincre par la paix que par la guerre, reçut sans difficulté en amitié ledit vicomte par l'intermédiaire de Pierre, due de la petite Bretagne, parent du roi, qui avait pour femme la nièce dudit vicomte. Le roi d'Angleterre, éloigné de Loudun de dix-sept milles, ne sachant par où fuir, et n'osant ni rester dans Parthenay où il était, ni s'avancer pour combattre en rase campagne, envoya Renouf, comte de Chester, avec maître Robert, légat du seigneur Pape, et d'autres, pour traiter d'une trêve. Quoique l'armée du roi Philippe le Magnanime fut composée de plus de deux mille chevaliers, outre un grand nombre d'autres gens, et qu'il eût pu en peu de temps s'emparer de tout le pays et du roi d'Angleterre lui-même, par sa bonté accoutumée il lui accorda, à lui et aux siens, une trêve de cinq ans.

Trêve conclue avec Jean, roi d'Angleterre, l’an 1214.

« Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Français, à tous ceux qui les présentes lettres verront, salut :

« 1. Vous saurez qu'à Jean, roi d'Angleterre, à ses hommes et adhérons ayant ouvertement combattu pour lui dans cette dernière guerre jusqu'au premier jeudi après l'Exaltation de la Sainte-Croix dans le mois de septembre, nous avons accordé pour nous et nos hommes et adhérents ayant combattu ouvertement, bonne et sincère trêve jusqu'à Pâques prochain, qui sera dans l'année du Seigneur 1215, et depuis ce temps, pendant cinq années continues et complètes, sauf cependant les prisonniers que nous avons en notre pouvoir, et sauf le serment que les villes de Flandre et de Hainaut, et les chevaliers et les autres hommes de la Flandre et du Hainaut, nous ont fait, sauf aussi les prisonniers que Jean, roi d'Angleterre, a en son pouvoir.

« 2. Nous, nos hommes et nos adhérents, nous serons dans le même état dans lequel nous étions ledit jeudi où cette trêve a été conclue, et Jean, roi d'Angleterre, ses hommes et ses adhérents, demeureront aussi dans le même état dans lequel ils étaient ledit jeudi, jusqu'à la fin des dites cinq années achevées.

« 3. Aucun meurtrier, ou autre banni par nous, lors d'une autre trêve déjà depuis longtemps conclue entre nous et ledit roi d'Angleterre, ne pourra entrer dans notre terre dans l'espace dudit terme, si ce n'est de notre volonté. De même, aucun meurtrier ou autre banni par le roi d'Angleterre ne pourra entrer dans sa terre, dans l'espace dudit terme, si ce n'est de sa volonté.

« 4. Si quelqu'un, dont nous avons la terre en notre pouvoir, vient dans nos domaines pour affaire, il pourra les traverser, mais il n'y pourra demeurer, à moins de quelque légitime permission, excepté en un port de mer, où il lui sera permis d'attendre le vent pendant le temps nécessaire.

« 5. Si quelqu'un du comté d'Anjou ou de Bretagne qui, le jeudi que cette trêve a été conclue, était dans le parti du roi d'Angleterre, nous faisant ouvertement la guerre et l'aidant publiquement, veut entrer dans le comté d'Anjou ou de Bretagne, et y demeurer durant le temps de la trêve, il donnera au sénéchal d'Anjou, s'il est de ce comté, ou au comte de Bretagne, s'il est de la Bretagne, une caution suffisante qu'il ne leur causera aucun mal, à eux ou à leurs terres.

« 6. Si quelqu'un du Poitou, qui était dans notre parti ledit jeudi, faisant ouvertement la guerre et nous aidant publiquement contre Jean, roi d'Angleterre, veut entrer dans la terre de Jean, roi d'Angleterre, c'est-à-dire en Poitou, il donnera au sénéchal du Poitou caution suffisante qu'il ne causera aucun mal au roi d'Angleterre et à sa terre de Poitou.

« 7. Les arbitres et conservateurs de cette trêve entre nous et Jean, roi d'Angleterre, sont, du côté du roi d'Angleterre, Hubert de Bourg, sénéchal du Poitou, Renaud de Pont, l'abbé de Saint-Jean-d'Angély, le doyen de Saintes, et de notre côté, Pierre de Savary, Guy Turpin, l'abbé de Marmoutier, et Geoffroi, archidiacre de Tours. Ils ont tous juré en bonne foi que, s'il arrivait que quelqu'un d'entre eux mourût, ou fût rappelé par nous ou par le roi d'Angleterre dans l'espace dudit terme, ils éliraient en bonne foi et mettraient à sa place quelqu'un propre à cette fonction.

« 8. Tout ce que cinq ou plus desdits arbitres auront jugé et ordonné sous serment, au sujet des infractions faites d'ici à ce temps-là, sera tenu et observé, tant par nous que par ledit roi d'Angleterre ; et si le fait ne peut être amendé par les arbitres et conservateurs de la trêve, nous le ferons amender en bonne foi dans l'espace de soixante jours, après que lesdits arbitres auront exposé leur dire, et nous l'auront signifié.

« 9. Ces arbitres de la trêve, pour réformer les discordes et infractions qui pourraient avoir lieu dans le Poitou, dans les comtés d'Anjou et de Bretagne, et dans le pays de Tours, s'assembleront dans l'abbaye des moines de Fulcher près de Passavant ; et pour les infractions qui auront lieu dans le Berri, dans l'Auvergne, dans le comté de la Marche et dans le Limousin, ils se réuniront entre Aigurande et Cuson, châteaux du comte de la Marche.

« 10. Pour la maltôte que Jean, roi d'Angleterre, et les siens imposeront et percevront, il en sera ainsi : Si le roi d'Angleterre et les siens veulent la quitter et l'abandonner, nous la quitterons et la cesserons pareillement, mais nous lèverons et percevrons, sur la maltôte, autant que Jean, roi d'Angleterre, et les siens lèveront et percevront.

« 11. Frédéric, roi des Romains et de la Sicile, sera, s'il le veut, compris dans notre trêve ; et le roi Othon sera aussi compris, s'il le veut, dans la trêve du roi d'Angleterre, et si l'un des deux ne veut pas y être compris, nous pourrons aider Frédéric dans l'Empire, et le roi d'Angleterre pourra aussi secourir Othon dans l'Empire, sans méfait et sans guerre entre le roi d'Angleterre et nous, au sujet de nos terres.

« 12. Le chambellan Ourson et tous les soussignés ont, par notre ordre, juré, chacun pour son compte, sur notre âme, d'observer en bonne foi cette trêve, à savoir, Gaucher, comte de Saint-Paul ; Robert, comte d'Alençon ; Guy de Dampierre, Guillaume des Barres, Guillaume de Chauvigny, Thibaut de Blois, Bouchard de Marly, Joël de Mayenne, Hugues de Beauce, Guy de Senesbaud, Aimery de Credone, Girard de Relois. Fait à Chinon, l'an du Seigneur 1214, au mois de septembre, le premier jeudi après l'Exaltation de la Sainte-Croix.

« Jeudi dernier, avant la fête de la Toussaint, l'an 16 de notre règne, l'acte de la trêve conclue entre le seigneur roi et le roi de France a été délivré au seigneur évêque de Winchester, et revêtu du seing du roi de France. »

La trêve ayant donc été conclue entre les deux partis, le roi magnanime revint à Paris, où ayant eu une entrevue avec la femme de Ferrand et les Flamands, d'après sa bonté accoutumée, le 17 octobre, contre l'espoir et la volonté de presque tous, il consentit, si on lui donnait pour otage Geoffroi, fils du duc de Brabant, âgé de cinq ans, et si on détruisait entièrement, aux frais des Flamands, toutes les forteresses de Flandre et de Hainaut, à renvoyer chez eux en liberté, tant Ferrand que les autres grands, exigeant néanmoins pour chacun d'eux 3a légitime rançon qu'ils devaient pour de si grands crimes.

Conventions faites entre Philippe, roi des Français, et Jeanne comtesse de Flandre pour la liberté du comte Ferrand.

« 1. Moi Jeanne, comtesse de Flandre et de Hainaut, je fais savoir à tous ceux qui les présentes verront, que j'ai juré à mon seigneur l'illustre roi des Français, de lui livrer, à lui ou à quelqu'un par lui envoyé, le jeudi dernier avant la fête de la Toussaint, le fils du duc de Louvain à Péronne, et de faire démolir les forteresses de Valenciennes, Ypres, Oudenarde et Cassel, en sorte qu'elles soient détruites à la volonté du seigneur roi, et qu'elles ne soient rebâties que selon son bon plaisir. Toutes les autres forteresses de Flandre resteront dans le même état où elles sont maintenant, et ne seront nullement fortifiées, et on ne pourra construire d'autres forteresses que selon le bon plaisir dudit seigneur roi.

« 2. Jean de Nivelle, châtelain de Bruges, Seher, châtelain de Gand, et tous les autres hommes du seigneur roi, recouvreront et posséderont en paix toutes leurs terres. Les autres hommes de la Flandre et du Hainaut qui ont juré la trêve, et qui voudront jurer cette paix, recouvreront leurs terres.

« 3. Toutes ces choses achevées, ainsi qu'il est dit, mon seigneur Ferrand, comte de Flandre et du Hainaut, et mes autres hommes, de Flandre et du Hainaut, seront rachetés de cette guerre, selon la volonté et le bon plaisir du seigneur roi.

« 4. Le comte de Boulogne et les autres qui sont d'autres terres ne sont pas compris dans cet accord.

« 5. Ceux dont les noms suivent ici ont juré d'observer en bonne foi toutes les conventions ci-dessus consignées : Sibylle, dame de Wavres ; Arnoul d'Oudenarde, Race de Gavre, Gilbert de Borquelle, Michel, connétable, Gilles d'Aigremont, Pierre de Douai, Girard de Golengue, Philippe des Arnais, Girard de Jacé, Guillaume, l'oncle, Gilles de Berbunchère, Gaudes Fontaines, Alard de Cymaye, Gautier de Ligne et Gautier de Lens, Gautier de Hondetote, Hugues de Rou, et Gilles de Tri.

« Fait à Paris, ainsi qu'il a été arrêté, etc., l'an du Seigneur 1214, le vendredi après la fête des apôtres saint Siméon et saint Jude. »

Cautions et répondants qui se sont engages envers le roi Philippe pour quelques-uns, des prisonniers.

Noms des cautions pour Mariasse de Conti.

Robert de Tournelle                        pour 300 liv.

Le châtelain Bestins                                  100

Guy, le bouteiller,                                     100

Guy de Soisy                                             100

Raoul de Clermont                                    100

Eudes d'Echauffour

Pierre de Milly                                 pour 100 liv.

Rogues de Tournelle                                 100

Cautions pour Guillaume de Caen qu'il ne sera jamais ennemi du seigneur roi ni du seigneur Louis.

Noms de ces cautions :

Gautier de La Ferté                           pour 250 liv.

Raoul des Arènes                                      250

Cautions pour Jacques de Rueth.

Pierre de Lambres                             pour 100 liv.

Jean Davion, gendre de Raoul Plonquet,    100

Raoul Plonquet                                          100

Cautions pour Pierre de Melvin.

Hellin de Wavres                              pour 300 liv.

Dame Sibylle, sa mère,                              200

Michel de Harmes                                      100

Hellin, l'oncle,                                           300

Raoul Paulet                                             100

Jean d'Arcies est caution, pour tout ce qu'il tient du seigneur roi, pour Roger de Tournes, qu'il n'ira jamais contre le seigneur roi.

Le châtelain de Saint-Omer est caution pour 200 livres pour Philippe de Gastine.

Cautions pour Baudouin de Lens par l'entremise de Nivelon, maréchal.

Nicolas de Beure, chevalier. Latard d'Anequin, chevalier.

Arnoul d'Oudenarde est caution pour Daniel de Masquelines, pour toute la terre qu'il tient de Roger de Roset, laquelle nous a été affirmée, par le seing dudit Roger et dudit Arnoul, valoir 1000 livres.

Cautions pour Gautier de Ghistelle.

Michel, connétable de Flandre, pour 100 liv.

Michel de Harmes                                     100

Mahalme de Merte                                    100

Le comte de Guines                                  200

Gérard la Truie                                         100

Boidin de Merte                                        100

Roger de Croisilles                                    100

Hellin de Wavres, le neveu,                      100

Cautions pour Baudouin de Prat.

Nicolas de Beure                              pour 200 liv.

Eudes de Fagel                                          100

Eudes de Ham                                          100

Dreux du Muy                                           100

Jean de Coudun                                         100

Manassé de Mellot                                    100

Jean de Saint-Simon                                  100

Adam Querez                                            100

Hellin de Wavres, le neveu,                      100

Cautions pour Giraud de Grimberge.

Robert de Brienne                           pour 100 liv.

Thomas de Coucy                                     100

Le comte de Saint-Paul                            200

Hellin de Wavres, sénéchal,                     200

Michel de Harmes                                     200

Michel, connétable de Flandre,    pour 200 liv.

Hugues de Miremont                                 200

Elenard de Sevinghem                               200

Robert de Dors                                          100

Adam Querez                                             100

Michel de Metrenez                                   100

Jean de Fretin                                             100

Baudouin de Créqui                                   100

Gocel d'Epinay                                          100

Cautions pour Hellin de Wavres.

Michel de Harmes                        pour 400 liv.

Hugues Tacons                                          200

Eustache de Villeneuve, père et           fils 400

Michel de Bolers                                        400

Renaud de Croisilles                                  100

Hugues de Malaunaye             pour sa maison.

Hellin de Wavres                                       500

Raoul Plonquet                                          300

Gautier de Sorell                                        200

Le châtelain de Saint-Omer                       500

Le châtelain de Sens                                  200

Le châtelain de Bapaume                           500

Hugues de Miremont                                 400

Jean de Montmirail                                   1000

Guy de Dampierre                                   1000

Cautions pour Philippe de Gastine.

Hugues Tacons                            pour 200 liv.

Gilbert d'Aire                                             200

Baudouin de Quincy                                  200

Dame Sibylle de Wavres                            200

Le châtelain de Saint-Omer                       200

Arnoul d'Oudenarde se porte caution, pour Daniel de Masquelines, pour 1000 livres, sur sa terre, qu'il tient de Roger de Rosay, à Doy, et Roger de Rosay approuve par lettres patentes cette assignation.

Cautions pour le seigneur Eustache de Reu pour trois mille livres ; en sorte que si ledit Eustache guerroie contre le seigneur roi ou le seigneur Louis, son fils, ou la terre du seigneur roi, quand le seigneur roi voudra faire juger par-devant sa cour le comte de Flandre, ou en faire justice, ils seront tenus de remettre au seigneur roi ladite somme d'argent dans l'espace de quarante jours, après qu'ils en auront été par lui sommés.

Noms de ces cautions.

Enguerrand de Coucy                      pour 300 liv.

Guillaume, l'oncle,                                    300

Le comte de Soissons                                200

Colin de Rumigni                                     1000

Enguerrand de Boves                                200

Othon d'Arbre                                           200

Cautions pour Robert de Rumes.

Michel de Harmes                            pour 250 liv.

Hellin de Gauchin                           250

Le seigneur d'Estrelles                               200

Gérard la Truie                                          250

Cautions pour Gautier de Ligne.

Gérard de Marque                             pour 200 liv.

Hugues de Bestins                                       50

Pierre Rémi                                                  50

Jacques de Saint-Omer, qui a sa terre au dessous de Dammartin.

Caution de Fastrex de Ligne.

Jean de Masquelines                         pour 500 liv. sur toute sa terre.

Répondants pour Gautier de Formeseles.

Guillaume, châtelain de S.-Omer, pour 50 marcs.

Jacques, son frère,                                    50

Hellin de Wavres, l'oncle,                       50

Hellin, le neveu, sénéchal de Flandre     50

Hugues de Miremont                              50

Jean de Douai                                          50

Le comte de Guines                                50

Michel de Harmes                                   50

Adam de Waulincourt                             50

Baudouin, châtelain de Lens                  50

Répondants pour Race de Gavre.

Le comte de Bar                           pour 400 liv.

Baudouin de Beauvoir                          300

Gilbert d'Aire                                        100

Guillaume de Renti                               100

Michel, connétable de Flandre,             100

Eustache de Villeneuve, le jeune, 200 marcs.

Jacques de Saint-Omer              pour 100 marcs.

Adam Querez                                      100

Roger de Rosay                                   300

Nicolas de Ruraigny                            500

Michel de Harmes                               100

Baudouin d'Aire                                  200

Arnoul, comte de Guines,                   50 marcs.

Baudouin, châtelain de Lens,              100 liv.

Robert de Milly                                   200

Jean de Montmirail                              100

Jean d'Arcies                                       100

Jean de Tournon                                  100

Hugues Tacons                                   200

Gaucher de Joigny                               100

Répondants pour Alard de Bourgueil.

Nicolas de Beure                                  50 marcs.

Jean de Douai                                       50

Baudouin de Quincy                             50

Michel de Harmes                                50

Hugues de Miremont                            100

Liste de ceux qui se sont portés cautions pour Robert de Courtenai qu'il servirait fidèlement le seigneur roi, au mépris de tous biens terrestres.

Le comte de Saint-Paul                pour 500 marcs.

Le bouteiller de Senlis                           400

Le comte de Dreux                                500

Guy, fils du bouteiller,                           200

Matthieu de Montmorency                    300

Guillaume des Barres                           pour 300 marcs.

Guy de Donjon                                              300

Pierre de Donjon                                           300

Hugues de Saint-Véran                                  300

Raoul de Tournelle                                        200

Raoul de Straten                                            200

Jean d'Orléans                                               200

Foulques Coche                                             100

Jean de Beaumont                                          100

Adam de Beaumont                                       200

Guillaume de Maricorne                                100

Guillaume de Méréville                                 100

Baudouin de Corbeil                                      200

Simon de Pissy                                               200

Jean Briart                                                      200

Thomas de Coucy                                          300

Le comte de Nevers                                     1000

Guillaume de La Ferlé                                   200

Quant au comte Hervé, et à d'autres qui lui étaient suspects, quoiqu'il eût pu les condamner comme coupables de lèse-majesté, le roi ne leur infligea aucune punition, si ce n'est qu'il exigea d'eux le serment d'observer au moins à l'avenir fidélité envers lui.

Le 16 du mois de mars suivant, il y eut une éclipse générale de lune qui commença au premier chant du coq, et dura jusqu'après le lever du soleil du jour suivant.

Pendant que Philippe, roi des Français, combattait en Flandre, ainsi qu'il a été dit plus haut, contre l'empereur Othon et les Flamands, Louis, son fils aîné, livra combat à Jean, roi d'Angleterre, dans l'Anjou, et le chassa vaillamment du siège de La Roche au Moine. Comme le père et le fils avaient mérité de triompher dans le même temps de si grands ennemis, le roi Philippe fit bâtir, près de Senlis, en mémoire de cette victoire, une abbaye de l'ordre de Saint-Victor de Paris, appelée Victoire.

L'an du Seigneur 1215, Louis, fils de Philippe, ayant pris la croix, marcha contre les Albigeois. Simon, le noble comte de Montfort, vint au devant de lui à Montpellier. Les habitants de cette ville ayant reçu l'absolution canonique et donné caution de la promesse qu'ils faisaient d'observer fermement à l'avenir la foi catholique, les Croisés menèrent l'armée vers Toulouse, et assiégèrent cette ville. Les Toulousains les ayant suppliés de leur accorder la paix, et ayant, d'après leur convention, démoli leurs tourelles et leurs plates-formes, selon la volonté de Louis et du comte Simon, le siège fut levé à cette condition que tous les hérétiques qui ne voudraient point se convertir seraient chassés de la ville, et que les habitants vivraient selon la foi catholique, et obéiraient aux ordres apostoliques.

La même année, à Pâques, les citoyens de Cologne traitèrent d'un prix avec Othon le réprouvé, pour qu'il s'éloignât de leur ville. Ils le tinrent quitte de tout ce qu'il leur devait, et lui donnèrent de plus six cents marcs d'argent. Après Pâques il se retira secrètement, et après son départ, sa femme, fille du duc de Brabant, sortit aussi de Cologne, sous le déguisement d'un pèlerin, et suivit son mari. Cependant le roi Frédéric assiégeait un château très fort, nommé Werden, dans lequel Othon, à cause des fortifications du lieu, avait placé ses prisonniers, à savoir : douze otages qu'il tenait des citoyens d'Aix-la-Chapelle, l'évêque de Munster, qu'il avait pris deux ans auparavant dans une église, deux comtes, et beaucoup d'autres. Le roi Frédéric, après un siège de sept semaines, prit enfin cette ville, délivra tous les prisonniers, et les renvoya libres chez eux. De là il assiégea et prit Stromberg. Ensuite il se rendit à Aix-la-Chapelle, où il fut reçu avec honneur, et couronné empereur de toute l'Allemagne. Après y avoir passé quelques jours dans les réjouissances d'une si grande solennité, il marcha vers Cologne, et par respect et affection du lieu et de ses habitants, il s'y fit couronner une seconde fois.

Depuis que les princes allemands sont en possession de la dignité impériale, ils ont toujours inviolablement observé comme une loi cette coutume que celui qui est élu empereur ne doit jamais être couronné par le pape de Rome avant d'avoir été couronné roi à Aix-la-Chapelle, et dès qu'une fois il a porté la couronne en cette ville, il ne lui reste plus qu'à se faire couronner empereur à Rome par le souverain pontife. Cela se fait ainsi par respect pour la dignité de Charlemagne, dont le corps repose à Aix-la-Chapelle. Le même jour que le roi Frédéric fut couronné, il prit la croix pour aller courageusement secourir le pays de Jérusalem.

Cependant Renaud, comte de Boulogne, demeurait en prison dans la tour neuve de Péronne, et personne n'intercédait pour lui. Le comte Ferrand ne put tenir au roi la promesse qu'il lui avait faite, car les citoyens de Valenciennes, avec une servile insolence, aimèrent mieux laisser leur seigneur pourrir ainsi longtemps dans un cachot, que de voir la ruine de leurs tours ou de leurs murailles, et ne voulurent pas souffrir que l'on fortifiât aucun des bourgs dépendants de leur ville.

La même année, Jean, roi d'Angleterre, prit la croix, et aussitôt il s'éleva une guerre civile en Angleterre ; les comtes, les grands et presque tout le peuple se soulevèrent contre le roi à cause de quelques coutumes serviles, des exactions et des charges insupportables qu'il leur faisait souffrir. Le roi, ne pouvant résister à une si puissante sédition, accorda ce qu'exigeaient les grands et le peuple.

Ce soulèvement apaisé, le roi Jean envoya en Fiance, vers le roi Philippe, l'archevêque de Dublin et d'autres ambassadeurs solennels, pour le prier humblement de daigner lui rendre, pour une certaine somme d'argent, quelque partie de sa terre qu'il avait conquise par la guerre. Le roi magnanime leur répondit en peu de mots et d'une manière conforme à sa dignité, qu'il était merveilleux et inouï qu'un croisé voulût acheter une terre quand il devait plutôt en vendre, s'il se disposait, comme il le devait, à son pèlerinage, que, pour lui, il avait de l'argent en abondance, et désirait plutôt acheter que vendre des terres, si toutefois il en trouvait quelque part à vendre ; que, selon le droit de ses pères, il voulait conserver de toutes manières ses conquêtes et ne les partager avec personne.

Robert de Courçon, légat du Siège apostolique, et beaucoup d'antres avec lui et sous sa direction, prêchaient publiquement par tout le royaume de Franco, et faisaient prendre la croix à un grand nombre de gens, admettant indifféremment les enfants, les vieillards, les femmes, les boiteux, les aveugles, les sourds et les lépreux. C'est pourquoi beaucoup de riches faisaient dédain de prendre la croix, parce qu'on jugeait qu'une telle confusion empêcherait plutôt la réussite de l'affaire qu'elle ne pourrait secourir la Terre Sainte. Dans leurs prédications, par lesquelles ils paraissaient vouloir se rendre agréables au peuple, le légat et ses gens diffamaient le clergé plus qu'il ne faut, et rapportaient sur sa vie des turpitudes qu'ils inventaient, semant ainsi, entre le clergé et le peuple, un sujet de scandale et de schisme. C'est pourquoi, et aussi pour quelques autres accusations, le roi et tout le clergé adressèrent au Siège apostolique des réclamations contre ce légat. Cependant le Seigneur, qui, des pierres, peut susciter des fils à Israël, a le pouvoir d'apaiser toutes ces choses, et, s'il le veut, de se servir des faibles du monde pour délivrer la Terre Sainte des mains des ennemis de la croix.

Quoique Jean, roi d'Angleterre, eût en propre personne juré au sénat et au peuple de son royaume de se conformer à la paix établie entre eux, et que vingt-trois des premiers barons du royaume l'eussent par son ordre juré aussi sur son âme, ajoutant, pour la forme de ce serment, que si le roi osait en aucune manière enfreindre les conventions de la paix, eux-mêmes, d'après la permission du roi, auraient le droit de lever les armes contre lui ; cependant le roi, au mépris de la religion du serment, ne voulut nullement observer cette paix ainsi jurée et conclue, et ainsi une guerre désastreuse recommença entre eux. Jean, qui, de roi qu'il était, s'était déjà fait vassal de l'Eglise de Rome, pour une pension annuelle de mille marcs d'argent), obtint du pape que la paix fût nulle et qu'il fût dispensé du serment qu'il avait prêté. Les barons et les citoyens de Londres surtout, et d'autres habitants des châteaux et des villes, après avoir, au prix de beaucoup de biens et de sang, soutenu pendant quelque temps la guerre, prirent enfin le parti d'appeler à leur secours Louis, fils aîné du roi Philippe. Lui ayant donné des otages et prêté serment, ils le firent leur seigneur. Aussitôt Louis, contre le sentiment de son père, envoya à leur secours des chevaliers très éprouvés, avec un grand nombre d'hommes d'armes, leur promettant fermement de les suivre aussitôt qu'il le pourrait faire facilement. Ces troupes, avec les barons d'Angleterre qui avaient appelé Louis, défendirent pendant tout l'hiver, par beaucoup de combats, la ville de Londres, et d'autres villes et châteaux, contre les assauts et la violence du roi Jean.

Dans ce temps le roi Jean assiégea la ville de Rochester, et força enfin les citoyens à se rendre. Vers ce temps aussi les saints pères, c'est-à-dire tous les prélats des églises, appelés par le pape Innocent m, célébrèrent un concile général, composé de soixante et un primats, et de quatre cents évêques, outre les autres ecclésiastiques de dignité inférieure, à Rome, au mois de novembre de l'an de l'Incarnation du Seigneur 1215, et l'an 18 du pontificat dudit Innocent. Dans ce concile, le pape, malgré l'opposition d'un grand nombre, excommunia les barons d'Angleterre, et leurs complices. Il parut vouloir rendre au comte de Saint-Gilles, appelé le Toulousain, et à son fils, tous deux condamnes pour hérésie, leurs terres, que les catholiques avec le noble Simon, comte de Montfort, leur avaient, par l'ordre de l'Église romaine, enlevées nu nom de Dieu, et qu'ils possédaient par la permission dudit pape. Presque tout le concile réclama contre ce projet.

L'an 1216, le seigneur pape, désireux de secourir le roi d'Angleterre son vassal, envoya en France, Galon, prêtre cardinal, qui s'étant efforcé de toutes les manières d'empêcher que Louis ne passât en Angleterre ; et n'ayant pu en venir à bout, fit savoir au seigneur pape que la flotte était préparée, et que déjà les chevaliers se tenaient prêts avec leurs armes. Ayant obtenu un sauf-conduit du très chrétien roi Philippe, il passa par sa terre en Angleterre. Le pape, assuré de la vérité de ces nouvelles, excommunia nommément Louis, et quelques-uns de ses conseillers, et généralement tous ceux qui faisaient la guerre à son vassal le roi d'Angleterre.

Le roi Philippe ne voulant nullement être accusé de s'être parjuré de la trêve depuis longtemps conclue avec le roi d'Angleterre, quoique celui-ci l'eût souvent violée, confisqua toute la terre de son fils, et celle des autres barons qui étaient avec lui, et offrit d'appesantir sa main sur eux, si l'Église jugeait qu'il dût faire davantage à leur sujet. Le pape néanmoins le soupçonnant de favoriser son fils, envoya à l'évêque de Sens et à ses suffragants, une lettre dans laquelle il lui marquait que le roi lui-même était excommunié. C'est pourquoi un synode ayant été assemblé à Meaux, tous les primats du royaume proclamèrent qu'ils ne regarderaient pas le roi comme excommunié tant qu'ils ne seraient pas plus sûrs de la volonté du pape.

Pendant que ces choses se passaient en France, on dit que le pape, ayant été plus assuré du passage de Louis en Angleterre, fut saisi d'une douleur inconcevable ; et que, voulant s'armer pour la vengeance, il fit au clergé et au peuple un sermon, dont il prit le texte dans cette prophétie : « Épée, épée, sors du fourreau pour verser le sang ; sois tranchante et claire pour tuer et pour briller. » Dans ce sermon, il confirma solennellement l'excommunication de Louis et des siens ; et ayant appelé ses secrétaires, il dicta contre le roi Philippe et son royaume de dures et intolérables sentences.

Pendant qu'il formait de tels desseins, le Seigneur, qui en toute circonstance a coutume d'assister le roi Philippe, tourna contre le pape lui-même le glaive qu'il avait exhorté à tirer et à aiguiser contre les autres ; car, attaqué d'abord d'une fièvre tierce, et guéri en peu de temps, il tomba dans une fièvre maligne, que les médecins méconnurent, selon nous, par un dessein particulier de Dieu. Après l'avoir fomentée pendant longtemps, sans cesser, parce qu'on ne connaissait pas sa maladie, de prendre, selon sa coutume, de la nourriture en grande quantité, il fut enfin frappé de paralysie ; et étant en dernier lieu tombé en léthargie, il termina sa vie. Comme dans beaucoup d'affaires il avait montré une rigueur excessive, sa mort causa plutôt à ses sujets de la joie que de la tristesse. Que cependant celui dont il remplissait l'emploi parmi les hommes soit favorable à son âme ! Il siégea dix-huit ans et sept mois, et mourut le 15 des ides de juin. Il eut pour successeur Cenci, Romain de nation, qui, à sa consécration, reçut le nom d'Honoré. Maintenant revenons à ce qui se passait pendant ce temps en Angleterre.

La même année, à la Pentecôte précédente, Louis s'approcha avec un petit nombre de chevaliers d'une île appelée Thanet. Une violente tempête et un vent contraire s'étant élevés, la plus grande partie de son armée avait été repoussée, et était retournée vers les ports d'où elle était partie. Trois jours après, le calme s'étant rétabli sur la mer, ils suivirent Louis, et vinrent à cette île, où il attendait leur arrivée. Le jour et le moment où Louis s'approcha de cette île, le roi Jean se rendit près de la mer avec une immense multitude d'hommes d'armes, sachant bien que Louis devait venir, et voulant, disait-il, lui livrer bataille avant qu'il eût repris haleine et se fût reposé des ennuis de la navigation et des maux de mer, auxquels les Français étaient peu accoutumés. Louis l'ayant su, prit aussitôt les armes, et, oubliant le mal de mer, et sans considérer le petit nombre de ses hommes d'armes, car, comme on l'a dit, la plus grande partie de son armée était absente, se hâta de marcher vers l'endroit où était le roi Jean avec son armée. Jean, quoiqu'il eût une armée plus nombreuse du triple, abandonna son camp, et, sans se rappeler sa promesse et son orgueil royal, crut plus sûr de fuir que de combattre.

Le roi Jean ayant ainsi pris la fuite, Louis rassembla ses chevaliers, que la tempête avait, comme on l'a dit, dispersés en différents endroits, et, après avoir passé quelques jours à Thanet, vint à Londres, et fut reçu avec joie des habitants de cette ville. De là, il assiégea Rochester, et s'en empara. Ensuite, retournant par Londres, il alla à Cantorbéry, où il fut reçu avec joie. Lorsqu'il se fut emparé d'un grand nombre de châteaux et de forteresses, le roi d'Ecosse et beaucoup d'autres grands se joignirent à lui, et embrassèrent son parti. Guillaume Longue-Epée lui-même, frère du roi Jean, se réunit au parti de Louis, et lui prêta secours. Il y fut déterminé par cette seule raison, que quelqu'un, en qui il pouvait se fier, lui avait rapporté que ledit roi Jean, pendant que lui-même était retenu prisonnier en France, rompant l'alliance naturelle, avait commis un inceste avec sa femme. Le roi Jean, se défiant de ses forces, se retira au-delà de l'Humber dans le pays du nord. Louis revint aux ports, et, voulant rendre entièrement libre l'entrée de l'Angleterre, assiégea et assaillit pendant longtemps, sans pouvoir le prendre, un château inexpugnable appelé Dorobernie, et vulgairement Douvres. Enfin le Seigneur mettant fin à la méchanceté du roi Jean, ce prince termina sa vie. Dès qu'il fut mort, le cardinal Galon couronna Henri, son fils, qui n'avait pas encore deux ans, et aussitôt ledit Guillaume et beaucoup d'autres qui, par haine pour le père, combattaient contre lui avec Louis, se réconcilièrent avec son fils, créé roi, et abandonnèrent entièrement le parti de Louis. Les assiégeants souffraient d'une grande pénurie de vivres, et ils manquaient aussi d'argent pour payer la solde de l'armée. Le roi Philippe, craignant d'être excommunié, ne prêtait aucun aide à son fils, ainsi que beaucoup de messagers l'en avaient sommé. C'est pourquoi Louis, ayant pris conseil, conclut une trêve, et retourna dans son pays. Son père cependant, comme un homme très chrétien, ne voulut pas communiquer de ; paroles avec lui.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1217, Louis, ayant, comme il put, rassemblé des forces, et ayant tiré de ses amis de fortes sommes d'argent, qui ne suffirent pourtant pas, retourna en Angleterre, et assiégea vigoureusement le château dont nous avons parlé plus haut. Après être resté à ce siège, lui et son armée, pendant près d'un an, ses forces commencèrent à s'affaiblir, surtout par la défection de Guillaume Longue-Épée et d'autres Anglais. Cependant le cardinal Galon, légat du Siège apostolique, ayant rassemblé une armée, composée des Anglais du parti du fils du nouveau roi d'Angleterre, assiégea Lincoln. Louis en ayant été informé, prit conseil, et envoya à ce château Robert, fils de Gautier, avec Thomas, comte du Perche, et Simon de Pissy, et une très grande multitude d'Anglais qu'il avait avec lui. A leur arrivée, les ennemis levèrent le siège, et prirent aussitôt la fuite. Mais ayant dressé des embûches aux nôtres, ils revinrent tout à coup, fondirent sur eux à l'improviste ; et le combat s'étant engagé, Thomas, ce noble comte du Perche, qui n'avait pas encore achevé sa vingt-deuxième année, tomba mort des premiers. Robert, fils de Gautier, et un nombre infini de ceux qui étaient avec lui, furent pris. Simon de Pissy, et les chevaliers français qui combattaient avec lui, voyant la force des ennemis et la faiblesse de leur propre parti, quittèrent prudemment le champ de batail le, et revinrent vers Louis, tristes et vaincus. Alors le chagrin, la tristesse et les lamentations éclatèrent dans le camp. La nouvelle en étant parvenue en France, Robert de Courtenay, parent du roi, et beaucoup d'autres grands hommes, rassemblèrent une armée, et se mirent en mer pour aller au secours de Louis. Pendant qu'ils étaient en pleine mer, ils aperçurent un petit nombre de vaisseaux légers venant d'Angleterre. Alors Robert de Courtenay fit diriger vers eux le vaisseau qu'il montait, croyant pouvoir facilement s'en emparer. Mais les vaisseaux de ses compagnons ne le suivirent pas. Ce seul vaisseau ayant engagé le combat avec quatre vaisseaux anglais, fut bientôt battu et pris, et Eustache, surnommé le Moine, chevalier aussi éprouvé sur mer que sur terre, Dreux, clerc, qui retournait à Rome, et beaucoup d'autres pris dans ce vaisseau, furent décapités, et on ne laissa la vie qu'à Robert, fils de Gautier, en sorte qu'à la vue de ce succès, tous les autres vaisseaux des Français, saisis d'une extrême frayeur, s'en retournèrent vers les ports d'où ils étaient partis. Louis donc, n'ayant plus aucun secours ni par mer ni par terre, conclut comme il put la paix avec le nouveau roi d'Angleterre. Ayant reçu de l'argent du fisc pour son départ, à savoir quinze mille marcs d'argent, et ayant obtenu du souverain pontife, aux frais du roi d'Angleterre, l'absolution pour lui et pour les siens, il s'en retourna dans son pays.

Conditions de la paix entre Henri, roi d'Angleterre et Louis, fils aîné de Philippe, roi des Français.

« Que tous, tant présents que futurs, sachent que telles sont les conditions de la paix conclue entre le noble seigneur roi d'Angleterre et le seigneur Louis, fils aîné du seigneur roi de France.

« 1. D'abord les hommes adhérents et partisans anglais du seigneur Louis, et tous autres qui possédaient une terre, au commencement de la guerre, dans le royaume d'Angleterre, posséderont leurs terres et saisines telles qu'ils les avaient au commencement de la guerre, et jouiront pleinement des coutumes et libertés du royaume d'Angleterre et si, dans la suite, des corrections sont faites à cet acte, ils y seront compris comme tous les autres. Il en sera de même pour le seigneur Henri, roi d'Angleterre, et tous ses hommes et adhérents qui possédaient une terre, au commencement de la guerre, dans le royaume d'Angleterre.

« 2. De même la cité de Londres et toutes les autres cités, et leurs habitants, jouiront pleinement de leurs coutumes et de leurs libertés.

« 3. Tous les prisonniers qui ont été faits de part et d'autre depuis l'arrivée du seigneur Louis en Angleterre, seront délivrés. Quant aux autres qui ont été pris avant sa première venue en Angleterre, il en sera ainsi pour eux : Le conseil du seigneur roi d'Angleterre élira trois personnes du conseil du seigneur Louis, afin qu'elles recherchent sous serment quels ont été les hommes et les adhérents du seigneur Louis, et quel jour ils ont été pris, et que les susdits du conseil du roi d'Angleterre les délivrent sous serment.

« 4. Il en sera ainsi de tous les prisonniers : Tout ce qui est payé pour leur rançon est payé ; ce qui n'a pas été payé, et dont les termes seront passés, sera regardé comme payé, et l'on sera quitte. S'il s'élève une discussion sur la question de savoir si le terme des paiements de la rançon des prisonniers est passé, le conseil du seigneur Louis élira trois personnes du conseil du roi d'Angleterre, qui déclareront sous serment si le terme de la rançon est passé ou non. Et si, depuis le dernier jour de mars, avant la fête de l'Exaltation de la Sainte-Croix, quelque difficulté s'élevait pour le paiement de la rançon des prisonniers, qu'ils soient reconnus quittes.

« 5. Tous les prisonniers et autres du royaume d'Angleterre qui ont été contre feu le seigneur Jean, roi d'Angleterre, feront hommage et sûreté au seigneur Henri, roi d'Angleterre, selon la loi et coutume du royaume d'Angleterre, par serment et par charte.

« 6. Le seigneur Louis rendra tous les otages à ceux qui les lui ont remis, et ceux qui ont été livrés pour de l'argent dont le terme est passé, dès que le paiement sera effectué, il les délivrera.

« 7. Toutes les villes, les bourgs, les châteaux et les terres qui ont été pris dans cette guerre, dans quelque lieu du royaume d'Angleterre qu'ils soient situés, seront rendus au seigneur roi d'Angleterre et aux siens.

« 8. Il en sera ainsi des îles : Le seigneur Louis enverra ses lettres patentes aux frères d'Eustache le Moine, pour leur ordonner qu'ils les rendent au seigneur Henri, roi d'Angleterre ; et s'ils ne les rendent pas, le seigneur Louis les y forcera, en vertu du pouvoir légitime que lui donnent sur eux les fiefs et les terres qu'ils tiennent de lui ; et s'ils s'y refusent absolument, ils ne seront pas compris dans cette paix.

« 9. Quant au roi des Ecossais, il en sera ainsi : Le seigneur Louis lui fera connaître les conditions de la paix conclue entre le seigneur roi d'Angleterre et lui, et lui mandera que, s'il veut être compris dans cette paix, il faut qu'il rende au seigneur roi d'Angleterre tous les châteaux, les prisonniers et les terres dont il s'était emparé à l'occasion de cette guerre. Le seigneur roi d'Angleterre en fera de même pour ledit roi des Ecossais. Ledit seigneur Louis mandera la même chose au seigneur Lewellin et aux autres Gallois.

« 10. Le seigneur Louis déliera tous les barons et hommes du royaume d'Angleterre de tous hommages, foi, alliance, promesse d'assistance, et à l'avenir il ne conclura aucune alliance qui puisse, en quelque temps que ce soit, causer mal ou dommage au seigneur roi d'Angleterre ou à ses hommes du royaume d'Angleterre, par suite de la présente guerre.

« 11. Les barons d'Angleterre jureront au seigneur Henri, roi d'Angleterre, qu'ils ne concluront aucune alliance avec le seigneur Louis, ou quelque autre que ce soit, et qu'ils ne lui feront pas foi, hommage ou promesse d'assistance contre leur seigneur Henri, roi d'Angleterre, ou ses héritiers.

« 12. Le seigneur Louis jurera en personne, et les siens jureront avec lui, et ceux d'entre eux que voudra le conseil du roi, prendront par écrit rengagement d'observer fermement et fidèlement ladite paix, et fera tout ce qu'il pourra légitimement pour obtenir par prière la confirmation du seigneur Pape et du seigneur légat à ce sujet.

« 13. Quant aux dettes, tout ce qui est dû au seigneur Louis lui sera rendu dès que le terme sera passé.

« 14. Il faut remarquer que dans le premier chapitre, où on lit des adhérents du seigneur Louis, il s'agit seulement des laïques ; cependant les clercs anglais qui ont des fiefs laïques posséderont les terres et les saisines qu'ils avaient au commencement de la guerre.

« 15. Pour donner à toutes ces conventions une perpétuelle solidité, les soussignés ont apposé leur seing à cet acte, à savoir : le seigneur Galon, prêtre cardinal au litre de Saint-Martin, légat du Siège apostolique ; le seigneur Henri, roi d'Angleterre ; Guillaume, maréchal, comte de Pembroke ; Hubert de Bourg, justicier d'Angleterre ; Raoul, comte de Chester ; Guillaume, comte de Salisbury ; Guillaume, comte de Warenne ; Guillaume, comte d'Arundel, Guillaume d'Aubenne, Guillaume de Brivère, Guillaume le jeune, maréchal ; Foulques de forçante, Raoul de Mortemar, L. d'Erdive, Robert de Vieux Pont, Geoffroi de Neuville, Brian de Lisle, Philippe d'Aubigny, et Richard, fils du roi.

« Donné à Lameh, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1217, le 11 de septembre, première année du règne du seigneur Henri III, roi d'Angleterre. »

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1218, mourut le croisé Eudes, noble duc de Bourgogne, qui, après avoir fait son testament, envoya pour lui, pour le service de la sainte croix, et au secours de la Terre Sainte, une grosse somme d'argent, des chevaliers et des hommes d'armes.

La même année, à la fête de saint Jean, Pierre, évêque de Paris ; Gautier, chambellan, son frère, Henri, comte de Nevers, et beaucoup d'autres bons chevaliers, et une multitude d'autres hommes, partirent pour le saint pèlerinage au service de la sainte croix.

La même année, la veille de l'Assomption, un brigand, anglais de nation, après s'être caché pendant quelques jours dans les voûtes supérieures de l'église de Paris, trouvant enfin une occasion favorable, lança en bas un crochet, et s'efforça d'enlever les bassins d'argent, avec les candélabres de même métal, dans lesquels la cire brûlait d'une perpétuelle lumière devant le maître-autel. Les bougies, ainsi élevées, mirent le feu aux draperies de soie dont l'église était ornée dans de si grandes solennités, et avant qu'on pût venir au secours, les flammes consumèrent ces tentures estimées huit cents marcs.

O douleur ! Dans le même temps, le saint comte Simon, blessé à la tête, d'une pierre lancée d'un pierrier, au siège de Toulouse, qu'il assiégeait avec d'autres catholiques pour la foi catholique, reçut la couronne du martyre.

La même année mourut, dans le château de Brunswick, l'empereur Othon le réprouvé, après avoir auparavant restitué tout ce qu'il avait pris des biens de l'Empire et de l'Eglise, et obtenu l'absolution de l'anathème sous les liens duquel il avait été pendant plusieurs années.

La même année, le 29 septembre, il tomba une gelée blanche très rigoureuse, pendant sept jours continus, et les grappes de raisin qu'on cueillait encore furent pour la plus grande partie gelées et perdues. Le mois suivant, le 30 octobre, il y eut une violente gelée qui dura jusqu'à la fête de saint Nicolas, et il s'y mêla souvent de la neige, en sorte que tous les chemins furent desséchés, la boue se durcit, et les étangs et des fleuves fameux, surtout la Seine et la Loire, furent gelés, et fournirent un passage aux voyageurs. Le vent du midi ayant soufflé pendant quelque temps, la rigueur du froid avait cessé ; mais voilà que tout à coup Borée revint avec toutes ses horreurs, et la gelée ? Presque toujours accompagnée de neige, dura continuellement jusqu'à la moitié du mois de mars suivant. Enfin la gelée ayant cessé avec peine, le froid et la rigueur des vents ne cessèrent cependant pas, en sorte qu'au milieu de mai à peine vit-on paraître quelques épis sur les blés, et très peu de sarments sur les vignes. C'est pourquoi j'ai vu de mes propres yeux, dans beaucoup d'endroits, cultiver et ensemencer une seconde fois les terres, dans lesquelles la moisson avait péri par ce froid excessif.

La même année, à l'automne, tous les Chrétiens qui étaient dans la Terre Sainte assiégèrent la très fameuse ville de Damiette, située sur le Nil, sur les frontières de l'Egypte, appelée autrefois Memphis. Ils l'assiégèrent pendant un an. A la fin de l’année, environ dix mille hommes se séparèrent de l'armée des Chrétiens, combattirent avec les Sarrasins qui assiégeaient leur camp, et furent vaincus par eux. Gautier, chambellan ; Milon, évêque de Beau vais, et beaucoup d'autres Chrétiens furent pris dans ce combat.

La même année, dans l'hiver, Hervée de Léon, homme puissant entre les Bretons, en armes et richesses, étant au service de la sainte croix à Acre, et Morvan, vicomte du Fay, son beau-frère, y étant mort, poussé par la cupidité qui le portait à s'emparer de sa terre, Hervée se mit en route pour retourner dans son pays, au mépris de son salut et malgré la défense du patriarche de Jérusalem et des Chrétiens qui étaient en cet endroit. Il entraîna un grand nombre d'antres Chrétiens, qui auraient pu être très utiles au secours de la Terre Sainte, à se remettre pareillement en roule avec lui, au nombre de seize mille. Comme ils approchaient déjà du rivage de Brindes, et n'étaient éloignés de la terre que de la distance de trois portées de trait, tout à coup s'éleva la tempête la plus terrible qu'on eût vue ; et, après avoir été le jouet des flots pendant le soir, toute la nuit et le jour suivant jusqu'au soir, leurs vaisseaux, au nombre de sept, s'étant enfin brisés, ils périrent tous dans ce naufrage ; un petit nombre seulement…………,[5] environ quatre-vingts, s'étant attachés à des planches et à d'autres fragments de vaisseaux, parvinrent à se sauver. Ainsi celui qui par cupidité et pour s'emparer d'une terre, avait abandonné le service de Dieu, par le juste jugement de Dieu fut privé de la terre et des honneurs de la sépulture. Cela arriva l'an du Seigneur 1219.

La même année, pendant tout le mois de mars et d'avril, la fureur des vents qui souillaient de l'Occident ne cessa de durer continuellement : quoique les champs, les chemins, les rues et les places fussent secs, et qu'il ne tombât pas de pluie, les fleuves cependant s'enflaient tellement, contre la nature du temps et l'état de l'air, que pendant tout le mois d'avril et jusqu'au milieu du mois de mai, ils couvrirent les prés, les bruyères, les bourgs, les vignes et les moissons dans leur voisinage, non sans grand dommage pour le cultivateur. A Paris, un nombre infini de maisons étaient assiégées par d'innombrables flots, en sorte qu'on n'y pouvait entier qu'en bateau, le pont appelé le Petit Pont, couvert par les eaux de la rivière, refusait le passage aux voyageurs, et cependant on était déjà presque au milieu du mois de mai.

Depuis environ la fête de saint Jean jusqu'à l'entrée d'août, il ne cessa de pleuvoir ; c'est pourquoi la moisson et la vendange se firent plus tard.

La même année, à l'Ascension du Seigneur, Louis, fils aîné du roi Philippe, envoyé par son père, marcha contre les Albigeois, accompagné de Pierre, duc de Bretagne, des évêques de Noyon, de Senlis, de Tournai, de beaucoup d'autres évêques, de comtes, de barons, et d'une multitude infinie de chevaliers et d'hommes de pied. Ils trouvèrent le comte Amaury, fils de Simon, comte de Montfort, de très sainte mémoire, au siège de Marmande, qu'ils prirent avec ce même Amaury, et dont ils tuèrent les habitants tous indigents, au nombre de quinze-mille, avec les femmes et les petits enfants. De là, ils marchèrent vers Toulouse, mais ne l'assiégèrent et assaillirent que mollement, quelques-uns des nôtres empêchant malicieusement le succès de la croix. L'affaire ainsi manquée, ils retournèrent dans leur pays, chargés plutôt de blâme que d'éloge.

La même année, la veille de l'Assomption de sainte Marie, pendant qu'on célébrait Vigiles, il éclata des coups de tonnerre, accompagnés d'éclairs, tels qu'on n'en avait jamais entendu auparavant. Il y eut ce jour-là de fréquents orages, en sorte que le lendemain de la naissance de sainte Marie, la foudre tomba sur la tour du clocher de Saint-Denis, d'une merveilleuse hauteur, et renversa du haut de la tour à terre un coq doré avec la pointe dorée qui le soutenait, et le feu qui répandait une odeur fétide, continua pendant deux jours, consumant pierres et bois.

La même année, la vendange soutînt beaucoup de dégâts, car il plut continuellement pendant le temps où elle devait fleurir. A la fin du mois d'août, au jour de la lune, il tomba une très forte gelée blanche qui brûla les vignes. A la fin de septembre, où nous avions coutume de cueillir le raisin, il fit pendant trois semaines une gelée très rigoureuse, et les raisins n'étaient pas encore mûrs. La neige tomba en grande quantité, et couvrit la terre pendant un grand nombre de jours ; en sorte que nous avons ainsi perdu tout le vin dans tout le royaume de France. Les raisins qu'on cueillit enfin étaient si brûlés qu'ils semblaient des grappes déjà passées au pressoir. Je n'ai vu personne qui se soit vanté d'avoir la quatrième partie du vin qu'il croyait récolter ; encore ce vin était-il vert et âpre. Ensuite il ne cessa de pleuvoir continuellement jusqu'aux calendes de février, et il y eut une si grande inondation d'eau, que les flots firent crouler des ponts et un grand nombre de moulins et de maisons.

 (Ici s'arrête le travail de Guillaume le Breton ; ce qui suit est d'un anonyme, moine de Saint-Denis, qui, après avoir ajouté une partie de l'ouvrage de Guillaume le Breton à la chronique de Rigord, depuis l'année 1209, où elle finit, jusqu'à l'année 1215, a continué lui-même ce récit jusqu'à la mort de Philippe.)

Après ce temps, le pape Innocent tint un concile à Rome. C'était un homme d'un haut esprit, d'une sagesse et d'une probité grande, qui n'eut point son égal en son temps, car il fit dans sa vie des choses merveilleuses. L'année qu'il tint ce concile, le pape Innocent mourut à Pérouse.

Ensuite Louis, fils aîné de Philippe, roi de France, passa en Angleterre avec une forte armée et de grands préparatifs de guerre. Les habitants de Londres le reçurent aussitôt. Beaucoup de villes se rendirent à lui, et presque tous les barons de cette terre lui firent hommage. Le roi Jean, frappé d'une crainte et d'une terreur extrêmes, prit la fuite ; il mourut peu de temps après. Les barons d'Angleterre embrassèrent aussitôt le parti d'Henri, fils de Jean, roi d'Angleterre, et abandonnèrent honteusement Louis, au mépris des obligations du serment qu'ils lui avaient fait. Louis ayant appris la trahison des Anglais, retourna en France. Ledit Jean, roi des Anglais, avait déjà mis sa terre sous la protection de l'Église de Rome, et avait fait hommage au pape Innocent de tout son royaume.

En ce temps, par la médiation du pape Innocent, le roi Philippe consentit à donner à Simon, comte de Montfort, le comté de Toulouse, à cause de l'hérétique perversité des Albigeois, et de l'apostasie de Raimond, comte de Toulouse. Après que toute la terre des Albigeois se fut rendue audit Simon, les Albigeois et les Toulousains manquèrent à leur serment et hommage, et les Toulousains fortifièrent leur ville contre lui. Ledit Simon l'assiégea vigoureusement mais, frappé d'une pierre à ce siège, il termina sa vie dans la foi catholique.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1220, une trêve fut conclue en ces termes entre Philippe, roi de France, et Henri le Jeune, roi d'Angleterre.

« 1. Henri, par la grâce de Dieu, roi d'Angleterre, seigneur d'Hibernie, duc de Normandie et d'Aquitaine, comte d'Anjou, à tous ceux qui les présentes verront, salut. Sachez que le seigneur Philippe, par la grâce de Dieu, noble roi des Français, pour l'honneur de Dieu et l'assistance de la Terre Sainte d'outre-mer et de la terre des Albigeois, à l'intercession et prière du seigneur pape, a conclu entre nous et nos hommes et adhérents qui ont guerroyé ouvertement dans la dernière guerre entre ledit seigneur Philippe, roi des Français, et feu le seigneur Jean, roi d'Angleterre, notre père, et entre lui et ses hommes, une trêve complète, depuis Pâques prochain, c'est-à-dire depuis l'année du Seigneur 1220, jusqu'à l'accomplissement de quatre années entières, sauf les prisonniers qu'il a en son pouvoir et le serment que lui ont fait les villes de Flandre et de Hainaut, et les chevaliers et autres hommes de Flandre et de Hainaut. Et nous avons conclu avec ledit seigneur Philippe, roi des Français, et ses hommes et adhérents qui ont ouvertement guerroyé dans cette dernière guerre entre lui et feu le seigneur Jean, roi d'Angleterre, notre père, pour nous et nos hommes, une trêve complète depuis ce dit Pâques prochain jusqu'à l'accomplissement de quatre années, sauf les prisonniers que nous avons en notre pouvoir.

« 2. Ledit roi des Français et ses hommes et adhérents demeureront en possession des biens dont ils jouissent maintenant et dont ils se trouvaient saisis au temps de la trêve conclue entre ledit roi des Français et notre père, et nous et nos hommes et adhérents nous demeurerons en possession des biens dont nous jouissons maintenant, et dont ledit roi notre père et ses hommes et adhérents étaient saisis lors de la première trêve conclue entre ledit roi des Français et ledit Jean, notre père.

« 3. Aucun meurtrier ou autre banni par ledit roi de France depuis le temps de ladite trêve conclue entre lui et ledit Jean, notre père, jusqu'au terme ci-dessus cité, ne pourra entrer dans la terre dudit roi des Français que de sa volonté. De même, aucun meurtrier ou autre banni par ledit Jean, notre père, depuis le temps de la trêve conclue entre ledit roi des Français et notre dit père, jusqu'au terme ci-dessus cité, ne pourra entrer dans notre terre que de notre volonté.

« 4. Si quelqu'un dont ledit roi Philippe a la terre entre ses mains vient dans la terre dudit roi des Français, il ne pourra s'y arrêter, à moins qu'une maladie ne le retienne au lit, si ce n'est en un port de mer où il pourra attendre le vent pendant le temps nécessaire. De même, si quelqu'un dont nous avons la terre entre nos mains vient dans notre terre, il ne pourra s'y arrêter, à moins qu'une maladie ne le retienne, si ce n'est en un port de mer, où il pourra attendre le vent pendant le temps nécessaire.

« 5. Si quelqu'un du comté d'Anjou ou de Bretagne, qui citait du parti de notre père quand une trêve fut conclue entre le roi des Français et notre dit père, d, qui est maintenant de notre parti, voulait s'arrêter dans les comtés d'Anjou ou de Bretagne, il ne pourra demeurer dans le comté d'Anjou que de la volonté dudit roi des Français et du sénéchal d'Anjou, et dans le comté de Bretagne, que de la volonté dudit roi des Français et du comte de Bretagne.

« 6. Nous ne percevrons pas de maltôte dans notre terre sur les hommes et adhérents dudit roi des Français, et ledit roi des Français n'en percevra pas dans sa terre sur nos hommes et adhérents.

« 7. Frédéric, roi des Romains et de Sicile, sera, s'il le veut, compris dans la trêve.

« 8. Si quelqu'un des hommes dudit roi des Français enfreignait cette trêve, ledit roi l'avertirait en bonne foi de réparer ses infractions, que si, après en avoir été sommé, il ne voulait pas, dans l'espace de soixante jours, faire de réparation, nos gens pourraient se venger sur lui de ces infractions sans que ledit roi des Français s'en mêlât. Nous devrons faire de même pour nos hommes et adhérents, et ledit roi des Français pourra, sans méfaire, punir les infractions, s'il lui plaît, sans que nous nous en mêlions.

« 9. Il faut savoir que son très cher et fidèle fils aîné Louis a promis en bonne foi à son père d'observer ladite trêve aussi longtemps que son père l'observera. Ledit roi des Français observera cette trêve avec bonne foi et sans mauvaise intention, et la fera observer aux siens avec bonne foi et sans mauvaise intention.

« 10. Cette trêve a été jurée en notre nom par l’archevêque de Cantorbéry, l'évêque de Winchester, Hubert de Bourg, justicier d'Angleterre ; le comte de Warenne, le comte de Salisbury, et ils ont promis de l'observer et faire observer avec bonne foi de tout leur pouvoir. Nous avons juré d'observer et de faire observer cette trêve avec bonne foi et sans mauvaise intention. Pour rendre le présent acte stable et valide, nous le confirmons de l'apposition de notre seing. Fait à Londres, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1219, le 13 de mars, et la quatrième année de notre règne. »

Au carême précédent, le seigneur pape avait envoyé en France un évêque cardinal qui avait été………..[6] demandant par lui au roi Philippe de permettre de lever chaque année, pendant trois ans, pour le secours de l'affaire des Albigeois, trois deniers sur chaque maison dans tout le royaume. Mais le roi n'avait nullement consenti à cette demande.

Amaury, fils du très saint comte de Montfort, Simon, attaqua vigoureusement dans ce temps les Infidèles ; et quoiqu'il eût avec lui peu d'hommes de guerre, il s'empara d'un grand nombre de leurs châteaux. Mais, ô douleur ! Gui, son frère, fut tué dans le même temps par les Infidèles. Mais la main du Seigneur était avec Amaury, et suppléait au nombre des hommes de guerre. Ledit évêque cardinal s'acquittait de ses fonctions de légat dans ce pays, où il avait été envoyé par le souverain pontife.

Maître Gautier Cornu fut élu évêque par la majeure partie du chapitre de Paris, et confirmé dans son élection par l'archevêque de Sens et ses suffragants. Ayant cependant éprouvé de la contradiction de la part du chancelier et de quelques autres chanoines, il se rendit à Rome, et, ne pouvant trouver grâce devant le souverain pontife, fut déposé, et revint dans son pays. On mit à sa place l'évêque d'Auxerre. Toutes ces choses ne plurent nullement au roi Philippe.

Le comte Amaury avait mis le siège devant Castelnaudary. Il arriva par hasard que Gui, comte de Bigorre, son frère, âgé d'environ vingt-deux ans, faisait sentinelle pendant une nuit avec des chevaliers. Le matin étant arrivé, les chevaliers se désarmèrent, ne craignant pas que les ennemis sortissent ce jour-là, et ils revinrent au camp. Les ennemis l'ayant su, firent une sortie. Gui et deux autres chevaliers qui n'avaient pas encore ôté leurs armes, marchèrent vaillamment à leur rencontre, et les repoussèrent dans leur ville avec une telle ardeur qu'ils entrèrent avec eux dans le premier retranchement, appelé barbacane. Ils croyaient que les autres de l'armée poursuivaient aussi les ennemis ; c'est pourquoi, par une telle infortune, et par l'impétuosité d'une téméraire bravoure, ils furent pris et tués.

La même année, l'évêque d'Auxerre fut transféré au siège de l'église de Paris. Il était odieux au roi Philippe et à toutes les écoles, et sa mauvaise conduite fut cause que tous les maîtres de théologie et des autres facultés qui enseignaient à Paris, suspendirent leurs lectures depuis le milieu du carême jusqu'au milieu d'août. C'est pourquoi il était haï, tant du clergé que du peuple et des chevaliers.

La même année, à la fête de la Toussaint, Frédéric, roi de la Fouille et de la Souabe, fut couronné empereur de Rome par le pape Honoré III.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1221, le très chrétien roi Philippe, avec le conseil et le secours de quelques évêques de son royaume, envoya contre les Albigeois deux cents chevaliers et dix mille hommes de pied pour secourir le comte Amaury, qui avait succédé dans ce pays au très saint Simon, son père. La méchanceté des hérétiques s'était tellement soulevée contre lui qu'il eût à peine pu leur résister, s'il n'eût, par le moyen de sa mère l'Eglise et des pieuses prédications de Gui, évêque de Carcassonne, sollicité le secours des catholiques. Cette armée, envoyée de France, fut commandée par l'archevêque de Béziers et le comte de la Marche.

La même année, le septier de froment fut vendu à Paris seize sous parisis, et il y eut rareté des productions de la terre dans tout le royaume depuis la mer d'Angleterre jusqu'au lit de la Loire. Dans le temps du marché de Saint-Ouen, près Saint-Denis, il s'éleva des orages si fréquents et si terribles que, dans l'espace de huit jours, dans les territoires de Beauvais et de Paris, en différents endroits, quarante hommes furent tues par la foudre ; et quelque temps après la fête de saint Jean, un charretier et son cheval furent foudroyés à la sortie de Saint-Ouen. Dans un château appelé Pierre Font, pendant qu'un prêtre était occupé à célébrer le saint mystère, il tonna et plut tellement que dans l'église, cinq hommes furent tués ; le prêtre et vingt-quatre autres hommes furent tellement blessés qu'ils eurent pendant longtemps beaucoup de peine à se rétablir. Le calice fut mis en pièces sur l'autel, mais l'hostie resta entière et intacte. Le vendredi suivant, avant la fête de saint Pierre aux Liens, une maison de chanté, située devant l'église de Sainte-Marie à Paris, et une autre, située devant l'église de Saint-Étienne-du-Mont, furent endommagées par la foudre, qui tomba dans deux autres endroits à Paris, et tua un charpentier.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1222, les Chrétiens, en possession de Damiette depuis deux ans, étaient gouvernés par Pelage, cardinal de l'Église de Rome, faisant les fonctions de légat du pontife de Rome, qui distribuait à son gré, à ceux à qui il voulait, l'argent du public, extorqué dans tout l'univers au clergé et au peuple par des ecclésiastiques qui l'exigeaient sous le nom de vingtième et d'autres formes peu légitimes. Étant Espagnol de nation, il donnait aux Français moins qu'il ne devait. Il persuada, et bien plus, força les Chrétiens de quitter leur camp, et d'aller assiéger Taphnis. Comme il en était dissuadé par Jean, roi de Jérusalem, homme très chrétien et très valeureux, et par d'autres hommes habiles au métier des armes, il excommunia, en vertu du pouvoir qui lui était confié, tous ceux qui l’empêcheraient d'exécuter ce dessein, et même tous ceux qui contrediraient sa résolution, ou seraient d'un avis contraire à sa volonté. Ils lui obéirent donc pour l'amour de Dieu, et, mettant sciemment leur main dans le feu, marchèrent avec lui. Cependant le soudan rassembla une armée : c'était la septième année où le Nil a coutume de s'enfler ; ce fleuve s'était accru, et les vallées et les basses terres étaient déjà couvertes de ses eaux. L'armée des Chrétiens ne put ni avancer au-delà, ni retourner à Damiette, et les vivres ne pouvaient lui arriver d'aucun côté. C'est pourquoi, forcés par la nécessité, le roi, le cardinal et tous les autres, se rendirent au soudan, et remirent Damiette pour la rançon de leurs corps. Ainsi il apparut évidemment que les services forcés et l'argent extorqué ne sont jamais agréables à Dieu.

En la susdite année, il s'éleva une guerre dans la petite Bretagne, dans le pays des Osismores, appelé autrefois Légionie, et maintenant Léonie.

En ce temps, Philippe le Magnanime, roi des Français, étant tombé malade, il apparut à l'occident une horrible comète, présage de sa mort et de la décadence du royaume des Français, mort digne de regrets, si celui qui n'est plus avait un ami.

Testament de Philippe Auguste, fait en 1222.

« Au nom de la sainte et indivisible Trinité, Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Français, à tous présents et à venir, salut. Vous saurez que l'an du Seigneur 1222, au mois de septembre, nous avons ordonné ce qui suit quant à nos biens, en cas qu'il nous arrive de subir dans cette maladie le sort commun de l'humanité.

« 1. D'abord nous voulons et accordons que les exécuteurs de notre testament perçoivent et aient de nos biens, sans aucune contradiction, cinquante mille livres parisis ou vingt-cinq mille marcs d'argent à quarante sous parisis le marc, pour faire des restitutions, selon la sagesse que Dieu leur a donnée, à ceux à qui ils sauraient que nous aurions injustement pris, enlevé ou retenu quelque chose. Telle est notre ferme volonté.

« 2. Nous donnons à notre très chère femme Isemberge, reine des Français, dix mille livres parisis, quoique nous puissions donner davantage à ladite reine ; mais nous nous sommes imposé ce taux, afin de pouvoir rendre pleinement ce que nous avons injustement reçu.

« 3. Nous léguons et donnons à notre très cher fils Louis, notre premier né, pour la défense du royaume de France sous parisis pour marc, à condition cependant qu'il nous jurera d'employer ledit argent à la défense du royaume, ou, si ce serment lui est possible, à quelque pèlerinage, si Dieu lui inspire d'en faire un.

« 4. Nous donnons et léguons à l'abbaye que nous avons ordonné de bâtir près du pont de Charenton, pour le salut de notre âme, et où nous avons fait placer vingt prêtres de l’ordre de Saint-Victor, afin d'y célébrer la messe pour le salut de notre âme, deux cent quarante livres parisis, à percevoir pour toujours chaque année sur notre prévôté de Paris, aux échéances du paiement de nos prévôtés, et deux mille livres parisis, pour y construire des édifices et une chapelle.

« 5. Nous donnons et léguons au roi de Jérusalem, trois mille marcs d'argent, deux mille marcs d'argent à la maison de l'Hôpital de Jérusalem, autant aux Templiers d’outre-mer, et voulons qu'ils leur soient envoyés par expédition du mois de mai prochain.

« 6. Nous donnons et léguons aux mêmes, à savoir au roi de Jérusalem et aux Hospitaliers et Templiers, pour le secours de la Terre Sainte d'outremer, cent cinquante mille cinq cents marcs d'argent, en sorte cependant que le roi d'outre-mer et les maisons de l'Hôpital et du Temple entretiennent pendant trois ans, après la rupture de la trêve entre eux et les Sarrasins, trois cents chevaliers de plus qu'ils n'ont coutume d'en avoir. Sur cet argent, le roi d'outre-mer aura cent chevaliers pour le tiers de ladite somme, la maison de l'Hôpital autant pour l'autre tiers, et la maison du Temple autant pour le dernier tiers.

« 7. Nous donnons et léguons aux pauvres et aux orphelins, aux veuves et aux lépreux, vingt-un mille livres parisis, pour leur être distribuées par les mains de nos exécuteurs testamentaires.

« 8. Nous donnons et léguons à notre fils Philippe dix mille livres parisis.

« 9. Nous donnons et léguons à nos serviteurs deux mille livres de Paris.

« 10. Nous donnons et léguons à l'abbaye de Saint-Denis, où nous voulons être enseveli, tous nos joyaux et nos couronnes d'or avec les pierres précieuses, nos croix d'or et toutes nos pierreries, à condition cependant que vingt prêtres moines célébreront la messe chaque jour pour le salut de notre âme, et que l'abbé et le chapitre donneront à nos héritiers une charte par laquelle ils s'engagent à ce qu'il en soit ainsi pour toujours.

« 11. Nous avons réglé ce testament et ces legs de la manière dont ils sont conçus, conservant pour nous plein pouvoir d'ajouter ou de retrancher et de faire quelque changement aux legs, ou de supprimer ce que nous voudrons, autant de fois qu'il nous plaira.

« 12. Nous établissons exécuteurs de ce testament, nos fidèles et amés Garin, évêque de Senlis, Barthélemy de Roye, camérier de France, et le frère Haymar, trésorier du Temple.

« Fait l'an du Seigneur 122a, au mois de septembre, à Saint-Germain-en-Laye.

« 13. De plus, nous donnons et léguons à l'Hôtel-Dieu de Paris, pour y guérir les pauvres, vingt sous parisis par jour à percevoir pour toujours sur la prévôté de Paris. Pour que ceci ait force à jamais, nous le confirmons par l'apposition de notre seing. »

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1223, la veille des ides de juillet, mourut l'illustre Philippe, roi des Français, dans un château appelé Mantes. C'était un homme très prudent par son adresse, fort de courage, grand par ses actions, illustre de renom, victorieux dans les combats, distingué par de grands et nombreux triomphes, qui augmenta merveilleusement les droits et la puissance du royaume des Français, et enrichit considérablement le fisc royal. Il vainquit ut dompta avec force beaucoup d'illustres princes puissants par leurs terres, leurs chevaliers, leurs armes et leurs richesses, qui attaquaient violemment lui et son royaume. Défenseur et protecteur zélé des églises, il soutint et protégea surtout avec une prédilection et une affection plus grande, et une faveur plus spéciale, cette sainte église, l'église de Saint-Denis, et lui prouva par des effets, en beaucoup de circonstances, l’affection qu'il avait pour elle. Dès ses plus tendres années, zélateur de la foi chrétienne, dans son jeune âge, la bannière de la croix sur l'épaule, il se mit en mer contre les Sarrasins, et combattit courageusement et efficacement au siège de Saint-Jean-d'Acre, jusqu'à ce que la guerre fût terminée, et qu'on eût pleinement recouvré cette ville. Dans la suite, dans son déclin vers la vieillesse, il n'épargna pas son propre fils aîné, et l'envoya deux fois contre les hérétiques albigeois, avec de grands frais et de grandes dépenses, et il fit beaucoup d'autres dépenses, dans sa vie et à sa mort, pour concourir à aider à cette même affaire des Albigeois.

En outre, il se montra très généreux distributeur d'aumônes par les dons nombreux qu'en différons lieux il dispensa charitablement aux pauvres. Il fut enseveli dans l'église de Saint-Denis, avec les honneurs et la dignité qui convenaient à un si grand prince. A ses funérailles assistèrent (ce qui paraît avoir été fait par la volonté et la providence de Dieu) deux archevêques, Guillaume, archevêque de Reims, et Gautier, archevêque de Sens, vingt évêques, à savoir, de la cour de Rome, Conrad, évêque d'Ostie, cardinal, légat du Siège apostolique dans la terre des Albigeois : de l'Angleterre, Pandolphe, évêque de Norwich : de la province de Reims, Guillaume, évêque de Châlons ; Milon, évêque de Beauvais ; Girard, évêque de Noyon ; Anselme, évêque de Laon ; Jacques, évêque de Soissons, Garin, évêque de Senlis, Pons, évêque d'Arras ; Geoffroi, évêque d'Amiens : de la province de Sens, Gautier, évêque de Chartres ; Henri, évêque d'Auxerre ; Guillaume, évêque de Paris ; Philippe, évêque d'Orléans ; Pierre, évêque de Meaux ; Renaud, évêque de Nevers : de la province de Rouen, Robert, évêque de Bayeux, Hugues, évêque de Coutances ; Guillaume, évêque d'Evreux, Guillaume, évêque de Lisieux : de la province de Narbonne, Foulques, évêque de Toulouse. Ces prélats, par l'ordre du seigneur Pape, ou plutôt, comme il est à présumer, par la volonté divine, se trouvaient alors rassemblés à Paris, pour l'affaire des Albigeois. L'évêque d'Ostie et l'archevêque de Reims unirent leurs voix pour célébrer ensemble, à deux autels voisins, la messe des Morts, et les autres évêques, avec les clercs et les moines, dont il y avait une innombrable multitude, servaient et leur répondaient comme à un seul. Parmi eux était le noble Jean, roi de Jérusalem, qui était venu en France pour les affaires et les besoins de la Terre Sainte. Furent aussi présents à cette cérémonie, les illustres fils dudit roi Philippe, Louis l'aîné et Philippe.

Le roi Philippe fit un testament par lequel il légua pour le secours de la Terre Sainte trois cent mille livres parisis ; à savoir : cent mille audit roi Jean, cent mille aux chevaliers du Temple, et cent mille à l'hôpital de Jérusalem. Il donna à Amaury, comte de Montfort, vingt mille livres parisis, pour tirer de la terre des Albigeois, et d'entre les mains de ses ennemis, sa femme et les siens. En outre, il donna cinquante mille livres parisis pour être distribués aux pauvres. On dit qu'il consacra une forte somme à réparer les exactions injustes, si toutefois il en avait fait quelqu'une. De plus, il établit dans l'église de Saint-Denis vingt moines prêtres, tenus de célébrer chaque jour pour le salut de son âme des messes et autres oraisons, comme l'Eglise a coutume de prier pour les fidèles défunts.

 

FIN DE LA VIE DE PHILIPPE AUGUSTE, PAR GUILLAUME LE BRETON.

 

 


 

[3] Sortes de filets.

[4] Les chevaux ferrans ou auferrans étaient, selon toute apparence, des chevaux de la couleur des chevaux arabes, désignés sous le nom de farios equos, du mot arabe faras, alfaras, le cheval. Un auferrant signifiait généralement un cheval de prix.

[5] Lacune.

[6] Lacune.

.