Flodoard GUILLAUME DE TYR

 

HISTOIRE DES CROISADES

 

LIVRE XIV

livre XIII - livre XV

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

HISTOIRE

 

DES

 

FAITS ET GESTES

 

DANS LES REGIONS D'OUTRE-MER,

 

DEPUIS LE TEMPS DES SUCCESSEURS DE MAHOMET JUSQU'A L'AN 1184

 

par

 

GUILLAUME DE TYR


 

 

 

 

LIBER QUARTUSDECIMUS.

CAPUT PRIMUM. Quis moribus, et quibus majoribus editus fuerit dominus Fulco, tertius Hierosolymorum rex.

Vocato igitur ex hac luce domino Balduino, Hierosolymorum ex Latinis rege secundo, qui cognominatus est de Burgo, successit in regno dominus Fulco gener ejus, comes Turonensium, Caenomanensium et Andegavensium, cui praedictus dominus rex filiam suam primogenitam Milisendem nomine dederat uxorem, ut praemisimus. Erat autem idem Fulco vir rufus, sed instar David, quem invenit Dominus juxta cor suum; fidelis, mansuetus, et contra leges illius coloris affabilis, benignus et misericors; in operibus pietatis et eleemosynarum largitione liberalis admodum; secundum carnem princeps potens, et apud suos felicissimus, priusquam etiam ad regni vocaretur gubernacula; rei militaris experientissimus, et in bellicis sudoribus patiens et providus plurimum; statura mediocri, sed jam grandaevus, et plus quam sexagesimum agens annum. Inter alios vero, quos lege mortalitatis patiebatur defectus, fluidam et labilem eatenus habebat memoriam, ut suorum domesticorum etiam non teneret nomina, nec vultus nisi paucorum agnosceret: ita ut de eo cui paulo ante supremum impenderat honorem et familiaritatis gratiam, diligenter postmodum quaereret, quisnam esset si ex improviso se praesentem daret. Unde multos de ejus familiaritate praesumentes, ad confusionem compulit, cum ipsi aliis se defensores dare proposuerant, et ipsi patrono apud eum indigerent. Pater hujus, Turonensium et Andegavensium comes, Fulco etiam dictus est et cognominatus Rechin, qui uxorem duxit sororem domini Amalrici de Montfort, nomine Bertheleam: unde duos suscepit filios: Fulconem istum, unde nobis est sermo; et Gaufridum Martel; et filiam unam, Hermingerdam nomine, quae prius uxor fuit Pictaviensium comitis Willelmi; a quo spreta et contra matrimonii leges abjecta, ad comitem Britanniae se contulit, eique affectione adhaesit maritali: ex quibus natus est Conanus, ejusdem Britanniae comes, qui cognominatus est Grossus. His ergo tribus liberis apud praedictum Fulconem seniorem editis, mater spreto marito, ad regem Francorum Philippum se contulit; qui etiam, abjecta uxore sua legitima, eam suscepit tori participem, curarum sociam, et affectione postea tractans maritali, contra leges ecclesiasticas, invitis et multum renitentibus regni ejus episcopis simul et principibus, apud se detinuit: ex eaque suscepit filios, Florum, Philippum et Ceciliam, de qua superius fecimus mentionem, quae prius Tancredi Antiochenorum principis uxor fuit, postmodum eo defuncto, domino Pontio, Tripolitano comiti, votis usa secundis, adhaesit. Praefatus vero Fuleo, senioris Fulconis filius, patre jam defuncto, uxorem duxit filiam comitis Cenomanensium Heliae, Guiburgem nomine, ex qua duos suscepit filios et filias totidem. Hujus autem matrimonii causa fuit mater; nam, dum idem adolescens in curia comitis Pictaviensium domini sui, pincernae fungeretur officio, audita fratris primogeniti morte, ab eodem comite captus est et vinculis mancipatus, occasione quorumdam castellorum, quae ab eo contendebat violenter eripere, quae pater ejus et frater in finibus praedicti comitis jure haereditario, sed de feodo praedicti comitis diu possederant. Quod audiens mater, quae jam ab ejus patre multo ante diverterat et ad dominum regem Francorum se contulerat, maternis mota visceribus, apud dominum regem supplex imploravit et obtinuit, quod filius ejus a vinculis absolutus, paternae restitueretur haereditati; insuper etiam effecit, ut supra nominati comitis Heliae unicam filiam, cum eis omni haereditate, dominus rex ejus filio uxorem concederet; ex qua, ut praediximus, duos filios genuit et filias in eodem numero. Primogeniti nomen fuit Gaufridus, qui patri successit in eodem comitatu, cui senior Henricus, rex Anglorum potentissimus, filiam unicam Mahaldam nomine, domini Henrici Romanorum imperatoris viduam, uxorem dedit; ex qua idem Gaufridus tres suscepit filios: Henricum videlicet, qui nunc Angliae regnum strenue et prudenter administrat; et Gaufridum, qui cognominatus est Plantagenest; et Willelmum, qui dictus est cognomento Longaspata. Nomen vero secundi, ejusdem domini Fulconis filii, materni avi nomen referentis, Helias; cui Rotoldus comes Perchensis filiam suam unicam uxorem dedit, spondens, quod de caetero uxorem non duceret, sed omnem haereditatem suam cum omni integritate in eum moriens transferret. Pactorum tamen immemor et promissorum prodigus, uxorem duxit, sororem comitis Patritii, nobilis de Anglia viri; ex qua plures suscepit liberos: unde praedictus Helias ab ejus haereditate contra spem factus est alienus. Nomina autem filiarum, alterius Sibylla, quae inclyto et nobili viro domino Theoderico Flandrensium comiti nupsit, ex quibus ortus est Philippus, qui hodie Flandrensium procurat comitatum; nomen secundae Mahaldis, quae praedicti Anglorum regis Henrici filio desponsata fuerat; sed, antequam convenirent, sponsus in Angliam navigans, naufragium passus, pelago submersus est; ejus vero sponsa, perpetuum vovens caelibatum, in claustro puellarum religioso admodum, apud Fontem Ebraudi, sanctimonialem perpetuo vitam duxit.

 

Foulques d'Anjou monte sur le trône. - Son intervention dans les affaires de la principauté d'Antioche. - Querelles intérieures des Chrétiens. - Leurs guerres avec Sanguin (Zenghi), sultan d'Alep. - Raimond de Poitou arrive à Antioche et épouse Constance, fille de Bohémond 1. - Expédition de l'empereur Jean Comnène en Syrie. - Il assiège Antioche. - Pacification.

CHAPITRE I.

Baudouin ii, que l’on avait surnommé du Bourg, second roi Latin de Jérusalem, eut pour successeur au trône le seigneur Foulques, son gendre, comte de la Touraine, du Maine et de l'Anjou, auquel le roi Baudouin avait, comme je l'ai dit dans le livre précédent, donné en mariage sa fille aînée, nommée Mélisende. Foulques était roux, mais, comme David, le Seigneur le trouva selon son cœur ; il était rempli de fidélité et de douceur, affable, bon et miséricordieux, contre le penchant habituel des hommes qui ont le même teint, généreux à l'excès pour toutes les œuvres de piété et de commisération envers les pauvres prince puissant selon la chair, comblé de félicité dans son pays et avant qu'il lut appelé à prendre le gouvernement de notre royaume, doué d'une grande expérience dans la science militaire, patient et prévoyant à la fois au milieu des fatigues de la guerre. Il était d'une taille moyenne et d'un âge déjà avancé, puisqu'il avait passé soixante ans [01]. L'un des principaux défauts, par où il obéissait à la loi de l'infirmité humaine, était d'avoir la mémoire courte et fugitive, à tel point qu'il ne se souvenait pas des noms de ses domestiques, et ne reconnaissait presque jamais personne ; il lui arrivait souvent, après avoir rendu les plus grands honneurs à un homme, et lui avoir donné des témoignages d'une bienveillance familière, de demander un moment après qui il était, s'il le rencontrait de nouveau à l'improviste. Aussi beaucoup d'hommes qui comptaient sur les relations familières qu'ils entretenaient avec lui, tombèrent souvent dans la confusion, en reconnaissant qu'ils auraient eux-mêmes besoin d'un patron auprès du roi, lorsque, par exemple, ils voulaient se porter protecteurs de tel autre individu. Le père de Foulques, comte de Touraine et d'Anjou, nommé aussi Foulques, et surnommé Rechin, avait épousé la sœur du seigneur Amaury de Montfort, qui s'appelait Bertelée [02] : il eut de ce mariage deux fils, Foulques, celui dont il est ici question, et Geoffroi Martel, et une fille nommée Hermengarde [03], qui fut d'abord femme de Guillaume, comte de Poitou : dédaignée et repoussée par lui, au mépris de toutes les lois du mariage, elle se réfugia auprès du comte de Bretagne [04], et s'attacha à lui d'une affection toute conjugale ; elle en eut un fils que l'on nomma Conan, qui fut aussi comte de Bretagne, et que l'on surnomma le Gros. Après avoir donné trois enfants à son époux, la femme de Foulques-le-Rechin le dédaigna, et se rendit auprès de Philippe roi des Français [05] : celui-ci qui avait également renvoyé sa femme légitime, admit Bertelée dans sa couche royale, l'associa à tous ses intérêts, lui témoigna toute l'affection d'un mari et la retint auprès de lui, au mépris des lois ecclésiastiques et malgré les avis et les représentations des évêques et des princes de son royaume. Il eut d'elle plusieurs enfants, Florus, Philippe, et cette Cécile dont j'ai déjà parlé, qui épousa d'abord Tancrède, prince d'Antioche, après la mort duquel elle se maria en secondes noces avec le seigneur Pons, comte de Tripoli. Foulques le fils épousa, après la mort de son père, la fille d'Hélye, comte du Maine ; elle se nommait Guiburge [06], et il eut de ce mariage deux fils et deux filles. Il dut ce mariage aux soins de sa mère. Dans sa jeunesse, Foulques remplissait la charge de grand bouteiller à la cour du comte de Poitou, son seigneur. Ce comte ayant appris la mort de son frère aîné, s'empara du jeune Foulques et le mit en prison, pour faire valoir les prétentions qu'il avait élevées au sujet de quelques châteaux qu'il voulait lui enlever de vive force ; ces châteaux appartenaient depuis longtemps, et à titre héréditaire, au père et au frère de Foulques ; mais ils se trouvaient situés dans les États du comte de Poitou, et lui étaient inféodés. La mère de Foulques qui avait quitté son mari longtemps auparavant, pour se réfugier auprès du roi de France, sentit émouvoir ses entrailles maternelles, en apprenant la captivité de son fils; elle implora le roi en suppliante, et obtint de lui qu'il s'employât pour lui faire rendre la liberté et l'héritage de son père. Dans la suite, elle y ajouta un nouveau bienfait en portant encore le roi de France à faire donner en mariage à son fils la fille unique du comte Hélye, et à lui faire assurer en même temps l'héritage de celui-ci. Foulques eut, comme je l'ai dit, deux fils et deux filles. Son fils aîné, nommé Geoffroi, succéda à son père dans les titres de son comté : le roi très-puissant d'Angleterre, Henri l'ancien [07], lui donna en mariage sa fille unique Mathilde, veuve du seigneur Henri, empereur des Romains [08] ; Geoffroi eut trois fils de ce mariage. Henri qui maintenant gouverne l’Angleterre avec autant de sagesse que de valeur [09]; Geoffroi, surnommé Plantagenet, et Guillaume, que l'on a surnommé Longue-épée. Le second des fils du seigneur Foulques fut appelé Hélye, du nom de son grand-père maternel ; Rotrou, comte du Perche, lui donna en mariage sa fille unique, et contracta en même temps l'engagement de ne pas se remarier, et de lui laisser après sa mort son héritage tout entier. Cependant, oubliant sa parole et méconnaissant ses obligations, Rotrou épousa dans la suite la sœur d'un noble comte anglais[ 10], et on eut des fils, par où Hélye se trouva frustré de l'héritage sur lequel il avait compté. Des deux filles de Foulques, la première, qui se nommait Sibylle, épousa un homme noble et illustre, le seigneur Thierri, comte de Flandre et en eut un fils, le seigneur Philippe, qui gouverne maintenant le comté de Flandres ; la seconde, nommée Mathilde avait été fiancée au fils de Henri, roi d'Angleterre. Mais avant que le mariage fût terminé, le jeune homme ayant voulu passer en Angleterre, essuya un naufrage et périt dans la mer. Sa fiancée, se consacrant alors à un célibat perpétuel, se retira dans un couvent de jeunes filles, à Fontevrault, et y passa toute sa vie en religieuse.

CAPUT II. Quod antequam vocaretur a domino Balduino rege, causa peregrinationis Hierosolymam venerat; et de ejus in regem promotione.

Praedictus igitur Fulco uxore defuncta, Hierosolymam orationis gratia, priusquam a domino rege vocaretur, petierat: ubi magnifice plurimum in Dei servitio se habens, populi universi gratiam et domini regis, et universorum principum familiaritatem plurimam, meritis exigentibus acquisivit; quippe qui centum equites per annum integrum in regno suis habuit impensis; tandemque sospes ad propria regressus, filias nuptui, filios autem matrimonio collocans, comitatum suum optimo statu composuit; dumque strenue et prudenter annos aliquot post suum reditum suis incumbit negotiis, ecce dominus rex Hierosolymorum de successione sollicitus, videlicet apud quem primogenitam suam nuptui collocaret, post multam deliberationem, de communi universorum principum consilio, sed et de populi favore, quosdam de principibus suis, dominum videlicet Villelmum de Buris, dominum Guidonem Brisebarre, ad praedictum dirigit comitem, invitans eum ad filiae nuptias et regni successionem; qui compositis rebus et ordinato comitatu, data benedictione liberis suis, assumens sibi de honestis proceribus suis, iter veniendi ad domini regis vocationem arripuit; cui postquam in regnum ingressus est, statim infra paucos dies, sicut ex pacto tenebatur, primogenitam suam, ei matrimonio copulavit, conferens eidem dotis nomine, duas civitates maritimas, Tyrum et Ptolemaidam; quam quasi triennio possidens, continuo comes sicut ante quasi vocabatur. Defuncto igitur domino rege XI Kal. Septemb. anno ab Incarnatione Domini, 1131, idem comes cum praedicta uxore, XVIII Kal. Octob. in die exaltationis Sanctae Crucis, in ecclesia Dominici Sepulcri, a domino Willelmo, bonae memoriae Hierosolymorum patriarcha, solemniter et ex more coronatus et consecratus est.

CHAPITRE II.

Foulques était allé à Jérusalem par sentiment de dévotion après la mort de sa femme, et avant que le roi Baudouin l'eût fait inviter à y venir. Il se montra plein de magnificence et de zèle pour le service de Dieu, et gagna par sa bonne conduite la bienveillance de tout le peuple et l'amitié du roi et de tous les princes. Durant toute l’année il entretint cent chevaliers à ses frais dans le royaume. Il retourna ensuite dans sa patrie, maria ses filles et ses fils, et mit les affaires de son comté dans le meilleur état possible. Uniquement occupé après son retour du soin de ses intérêts, il les faisait valoir avec autant de sagesse que de courage, lorsque le roi de Jérusalem, cherchant avec sollicitude à régler les affaires de sa succession et à fixer son choix sur l'homme à qui il pourrait donner sa fille ainée en mariage, résolut, à la suite d'une mûre délibération et après s'être assuré du consentement de tous les princes et de la faveur du peuple, d'envoyer auprès de Foulques quelques-uns de ses grands, entre autres le seigneur Guillaume de Bures et le seigneur Gui de Brisebarre, et de lui faire offrir de venir épouser sa fille et attendre la succession du père. Après avoir reçu ce message, Foulques mit ordre à toutes les affaires de son comté, donna sa bénédiction à ses enfants, prit avec lui une escorte composée des principaux seigneurs de sa cour et se mit en route pour répondre à l'appel de notre roi. En effet, quelques jours après qu'il fut arrivé dans le royaume, Baudouin, fidèle à ses promesses, lui donna sa fille aînée en mariage, et, à titre de dot, les deux villes maritimes de Tyr et de Ptolémaïs, que Foulques posséda pendant près de trois ans, continuant à être appelé du titre de comte qu'il avait porté toute sa vie. Le roi Baudouin étant mort le 21 août de l'an 1131 de l'Incarnation, le comte Foulques fut couronné et consacré solennellement et selon l'usage, ainsi que sa femme, le 14 septembre, jour de l'exaltation de la sainte croix. Cette cérémonie fut célébrée dans l'église du Sépulcre du Sauveur par le seigneur Guillaume, de précieuse mémoire, patriarche de Jérusalem.

CAPUT III. Senior Joscelinus Edessanus comes, aeger in lectica hostibus occurrit; et obtenta victoria carne solvitur; et de filio ejus Joscelino.

Per idem tempus, dominus Joscelinus comes Edessanus, longa aegritudine fatigatus, lecto decubans, mortis imminentem exspectabat diem. Ceciderat enim anno proxime praeterito circa partes Halapiae, super eum turris ex crudis lateribus compacta; quam cum hostibus in ea inclusis ut facilius caperet, suffodi fecerat; subfossa subito corruens, incautum oppresserat; unde eum sui cum multo labore, quasi sepultum et contritis artubus, vix eruerunt: quo languore multo tempore maceratus, adhuc egredi nitentem detinebat animam; cum ecce nuntius advolans, Soldanum Iconiensem obsedisse quoddam ejus castrum, cui nomen Cressum, nuntiat. Quo audito, vir magnanimus, sicut erat corpore debilis et prorsus impotens, sed mente validus, filium praecepit ad se evocari, injungens ut, assumpta secum universa regionis illius militia, hosti supra nominato viriliter occurreret et locum patris suppleret impotentis. Ille vero objiciens, quod praedictus Soldanus in gravi multitudine diceretur advenire, respectu tantarum virium paucos se habere, coepit se excusare; unde pater, pensata pusillanimitate filii, et ex eo verbo qualis futurus esset, colligens, militares praecipit convocari copias, et populum regionis universum. Quibus paratis, sibi aptari lecticam mandat; et in eam ascendens, hostibus occurrit, doloris oblitus et impotentiae; in quo cum aliquantulum cum exercitu processisset, nuntiat ei unus de magnatibus regionis Gaufridus, cognomento Monachus, Soldanum audito ejus adventu, obsidionem a castro dimovisse praedicto et iter ad reditum maturasse. Quo cognito, comes lecticam qua gestabatur, ad terram deponi jussit; et erectis in coelum manibus et devoto spiritu, Domino cum suspiriis et fletu gratias agens, quod in novissimis suis eum benignus et misericors Dominus tanta gratia visitasset: quod seminecis, et in ipsis mortis vestibulis constitutus adhuc hostibus Christianae fidei esset formidabilis, in gratiarum actionibus ultimum coelo tradidit spiritum, relicto filio aequivoco suo, sed a paterna gloria degenere plurimum, et eodem universorum bonorum ex asse haerede instituto. Fuit autem idem Joscelinus junior, ex sorore Leonis Armeni, viri inter suos potentissimi, natus; pusillus statura, sed membris plenioribus, robustus valde, carne et capillo niger, faciem habens latam, sed morbi, qui vulgo variola dicitur, cicatricibus respersam; oculis tumentibus, naso prominente; vir liberalis et militaribus actionibus conspicuus; sed commessationibus supra modum deditus, Veneris operibus et carnis deserviens immunditiis, usque ad infamiae notam. Hic nobilem corpore, sed moribus nobiliorem, Willelmi de Saona viduam, nomine Beatricem, uxorem duxit; ex qua filium, tertium Joscelinum suscepit; et filiam, quae prius uxor fuit Rainaldi de Mares, postea domini Almarici comitis Joppensis, qui postea fuit Hierosolymorum rex: unde natus est Balduinus Hierosolymorum rex sextus, et Sibilla soror ejus. Hic autem, ut in inferioribus dicetur, ignavia, et peccatis suis exigentibus, universam regionem, quam pater suus congruo rexerat moderamine, perdidit.

 

CHAPITRE III.

A cette même époque le seigneur Josselin, comte d'Edesse, accablé par une longue maladie, était couché dans son lit, attendant la mort qui le menaçait. L'année précédente, comme il se trouvait dans les environs d'Alep, une tour construite en briques dures était tombée sur lui. Des ennemis l'occupaient, et le comte, pour s'en emparer plus facilement, la faisait miner sous ses yeux ; elle s'écroula subitement et il se trouva aussitôt enseveli sous les décombres. Ses gens eurent beaucoup de peine à l'en retirer ; il en sortit à demi-mort et les membres tout brisés. Affaibli et déclinant de jour en jour par les suites de ce malheur, il ne retenait plus qu'avec peine un souffle de vie prêt à s'exhaler, lorsqu'un exprès vint en toute hâte lui annoncer que le Soudan d'iconium avait mis le siège devant une de ses forteresses, nommée Cresse. A cette nouvelle le comte, plein de courage et de force d'âme, malgré la faiblesse et l'impuissance absolue de son corps, fit aussitôt appeler son fils et lui donna ordre de prendre avec lui tous les chevaliers du comté, de marcher vigoureusement à la rencontre de l’ennemi et de suppléer en cette occasion un père réduit à l'impossibilité de se servir lui-même. Le fils objecta que le soudan était suivi, à ce qu'on assurait, d'une immense multitude de Turcs, que lui-même n'aurait qu'un trop petit nombre d'hommes à opposer à tant de forces, et il parut disposé à refuser cette commission. Alors Josselin, méditant sur la pusillanimité de son fils, et prévoyant bien d'après une telle réponse ce qu'il deviendrait par la suite, ordonna de convoquer tous ses chevaliers et toute la population du pays. Aussitôt que ces préparatifs furent terminés, il se fit faire une litière, et, oubliant ses douleurs et ses graves infirmités, il monta sur son brancard et marcha à la rencontre des ennemis. Après qu'il se fut avancé un peu à la tête de son armée, l'un des grands du pays, Geofroi, surnommé le Moine, vint lui annoncer que le soudan, instruit de son approche, avait abandonné le siège de la forteresse de Cresse et s'était mis en marche sans délai pour rentrer dans ses États. En recevant cette nouvelle le comte ordonna à ceux qui le portaient dans sa litière de la déposer à terre ; élevant alors les mains vers le ciel, oppressé de soupirs et versant des larmes, il rendit grâce au Seigneur de l'avoir visité dans son affliction, et de s'être montré bon et miséricordieux pour lui en lui accordant l'insigne faveur de paraître une dernière fois formidable aux ennemis de la foi chrétienne, alors même qu'à demi-éteint, il se trouvait comme arrivé sur le seuil même de sa tombe. En effet, tandis qu'il élevait ainsi son âme vers le ciel, le comte rendit le dernier soupir, laissant après lui un fils unique qui portait son nom, qu'il avait institué héritier de tous ses biens et de sa fortune, mais qui se montra trop indigne de son héritage de gloire. Josselin le fils avait pour mère la sœur de Léon l'Arménien, homme très-puissant parmi les siens. Il était petit de taille, mais robuste et de membres vigoureux. Il avait le teint et les cheveux noirs, le visage large et couvert des cicatrices de la maladie vulgairement appelée variole, les yeux gonflés et le nez proéminent. Il était généreux, et s'était même distingué à la guerre par plusieurs actions d'éclat ; mais il s'adonnait sans aucune mesure à tous les excès de la table, de l'ivrognerie, du libertinage, et à toutes les impuretés de la chair, au point d'en être couvert d'infamie. Il épousa une femme noble de naissance, mais plus noble encore par ses vertus, Béatrix, veuve de Guillaume de Saône, et en eut un fils, qui fut Josselin le troisième, et une fille, qui se maria d'abord avec Renaud des Mares, et en secondes noces avec le seigneur Amaury, comte de Joppé, qui devint plus tard roi de Jérusalem. De ce dernier mariage naquirent Baudouin, qui fut le sixième roi de Jérusalem, et Sibylle sa sœur. J'aurai occasion de dire dans la suite de ce récit comment Josselin le jeune perdit par sa lâcheté, et en punition de ses vices, toute la contrée que son père avait gouvernée avec sagesse.

CAPUT IV. Rex vocatur ab Antiochenis; et malitia principissae aperitur.

Anno igitur primo regni domini Fulconis, cum esset tam civitas, quam tota regio Antiochena principis destituta solatio; mortuus enim fuerat ante dominum regem dominus Boamundus junior, unica filia haerede relicta, timentes magnates illius regionis, ne protectoris defectu provincia illa hostium pateret insidiis, dominum regem ad se vocant, ut partium illarum curam gereret, et omnia ad suam revocaret sollicitudinem. Uxor enim principis praedefuncti, domini regis Balduini filia, dominae Milisendis soror, mulier callida supra modum, et malitiosa nimis, quosdam habebat suorum commentorum fautores, quibus cooperantibus, circa principatum malignari studebat; volens sibi universam regionem, filia quam ex marito susceperat, exhaerede facta, vindicare; et sic demum obtento principatu, pro arbitrio suo ad secunda vota migrare. Pater autem ejus, dum viveret, statim defuncto marito, haec eadem machinantem industrie satis praevenerat; et eam vi ejectam ab Antiochia, jusserat esse contentam eo quod maritus nomine donationis propter nuptias in eam contulerat, duabus videlicet urbibus maritimis, Gabulo et Laodicia. Illa porro, patre defuncto, putans congruam invenisse opportunitatem, ad prius conceptum iterum aspirabat propositum. Horum autem studiorum complices munerum largitione et promissis superamplioribus, quosdam potentiores effecerat, Willelmum videlicet de Sehunna, Guarentonis fratrem et Pontium comitem Tripolitanum, necnon et Joscelinum juniorem Edessanum comitem. Quod timentes regionis illius magnates, quanto poterant studio, ejus impiis moliminibus obviam se dare nitebantur. Unde et dominum regem, ut praemisimus, eo citaverant intuitu, ut in his eum haberent adjutorem et regioni solatium non deesset.

 

CHAPITRE IV.

La première année du règne de Foulques, comme la ville et le pays d'Antioche se trouvaient privés de l'assistance d'un chef suprême depuis la mort de Bohémond le jeune, qui ne laissa après lui qu'une fille en bas âge, les grands, craignant que leur contrée ne se vît exposée sans défense aux attaques des ennemis, appelèrent auprès d'eux le roi de Jérusalem, désirant qu'il voulût se charger aussi du gouvernement de cette province et lui consacrer ses soins et sa sollicitude. La veuve du prince d'Antioche défunt, fille du roi Baudouin II et sœur de la reine Mélisende, femme remplie d'astuce et de méchanceté, entretenait des relations avec quelques-uns de ses partisans et comptait sur leur coopération pour réussir dans ses pernicieux desseins ; elle avait formé le projet de s'emparer de toute la principauté d'Antioche, en déshéritant la fille unique que son mari lui avait laissée, afin de pouvoir à son gré célébrer un second mariage dès qu'elle aurait pris possession du pays. Son père, immédiatement après la mort de son mari, avait réussi assez habilement a déjouer une première tentative et avait expulsé la princesse d'Antioche, en l'obligeant à demeurer satisfaite de la portion de succession que son époux lui avait laissée à titre de donation pour cause de mariage, savoir les deux villes maritimes de Gebail et Laodicée. Mais la princesse espéra, après la mort de son père, avoir trouvé une occasion favorable de reprendre et de faire réussir ses premiers projets. A force de largesses et de promesses beaucoup plus considérables encore elle avait attiré dans ses intérêts quelques-uns des plus puissants seigneurs, tels que Guillaume de Sehunna [11] frère de Guaranton, Pons, comte de Tripoli, et Josselin le jeune, comte d'Edesse. Les grands d'Antioche, redoutant les effets de ces alliances, employaient tous leurs efforts pour résister à ces criminelles machinations ; et ce fut principalement ce motif qui les détermina à appeler le roi de Jérusalem, en qui ils espéraient trouver un guide et un appui.



 

CAPUT V. Properanti Antiochiam; comes Tripolitanus se opponit; sed a rege devincitur. Res Antiochena in tuto collocatur.

Audita igitur Antiochenorum legatione; et super regionis illius turba quam periculosam nimis metuebat, motus dominus rex vehementer, ad illorum vocationem properans, usque Berythum pervenit. Sed comite Tripolitano per terras suas illi transitum prohibente, assumpto sibi Anselmo de Bria, nobili viro et fideli suo, usque ad portum Sancti Simeonis navigio pervenit: ubi ei occurrentes nobiles et potentes Antiochenorum proceres, in urbem eum introduxerunt, ejus imperio subjicientes universam regionem. Comes autem Tripolitanus, licet domini regis sororem haberet uxorem, ut saepe dictum est, tamen festinus post regem, ad partes se contulit Antiochenas, ut gratia principissae, cujus muneribus corruptus dicebatur, ejus actibus se opponeret. Habebat autem idem comes in partibus illis duo castra, Arcicanum videlicet, et Rugiam, quae pro uxore possidebat. Dederat enim ea dominus Tancredus, piae in Christo recordationis, moriens uxori, causa donationis propter nuptias. Haec comes armis communiens et militia, dominum regem et suos inde coepit molestare. Quod Antiocheni aegre nimis ferentes, regem persuasionibus impellunt, ut illi occurrens, ejus praesumptuosos refrenaret impetus. Qui eorum verbis acquiescens, memor injuriarum quas veniens, eo transitum prohibente, pertulerat, illuc cum omnibus quas habere potuit copiis, contendit. Factum est autem, quod circa praenominatam Rugiam convenientes, instructis utrinque aciebus, hostiliter committerent, et diu ancipiti eventu congrederentur adinvicem. Tandem rex factus superior, comitem cum suis in fugam vertit; et confectis agminibus multos de ejus cepit militia quos in vincula conjectos, Antiochiam perduxit

tandem per viros industrios, et fideles pacis interpretes, reconciliatis adinvicem rege et comite, resignatis comiti quos rex ceperat de suis militibus, regionis status in meliorem videtur devenisse conditionem. Timentes tamen illius provinciae prudentiores, ne domino rege ad propria reverso, intestinis regio concuteretur seditionibus et sic hostibus amplior ad nocendum pateret occasio, regem profusis exorant precibus, quatenus moram apud eos faciat longiorem. Rex autem considerans per Domini misericordiam regnum suum in tuto collocatum, plena tranquillitate gaudere; et eam in qua erat, rectoris plurimum indigere patrocinio regionem, benigne annuit; et tam urbem quam adjacentia communi procerum consilio congruo moderamine disponens, quantam rebus propriis et exactam magis, ut ad optimum statum cuncta proveheret, impendebat sollicitudinem. Unde omnium gratiam civium, et etiam principum, qui in fidelitatis perseverabant debito, sibi comparaverat cumulatiorem. Collocatis itaque eorum in tuto rebus, et negotiis ordine congruo dispositis, cum jam per tempus aliquod, prout necessitas eorum videbatur exigere, moram fecisset necessariam, revocante eum domesticorum cura, reversus est in regnum; cura principatus nobili et industrio viro Rainaldo, cognomento Mansuer, commissa.

 

CHAPITRE V.

Le roi, après avoir reçu la députation d'Antioche, éprouva les plus vives inquiétudes pour la tranquillité de ce pays et le crut exposé aux plus grands dangers : il se hâta donc de se rendre aux vœux qu'on venait de lui exprimer et se rendit d'abord à Béryte. Là, le comte de Tripoli lui fit interdire le passage sur son territoire, et alors le roi, prenant avec lui Anselin de Brie, homme noble et son fidèle, s'embarqua et alla aborder au port de Saint-Siméon. Les nobles et les plus puissants d'Antioche accoururent à sa rencontre, le conduisirent dans la ville et soumirent à son autorité toute la contrée environnante. Le comte de Tripoli, quoiqu'il fût uni au roi par son mariage avec sa sœur, comme je l'ai déjà dit, s'empressa cependant de suivre ses traces et arriva bientôt à Antioche pour tâcher de s'opposer à ce qu'il pourrait faire, et d'agir dans les intérêts de la princesse qui, à ce qu'on assure, était parvenue à le gagner par ses présents. Il possédait dans le même pays et au nom de sa femme deux châteaux-forts, dont l’un se nommait Arcicène, et l'autre Rugia. Le seigneur Tancrède, de pieuse mémoire en Jésus-Christ, les avait donnés à sa femme au moment de sa mort à titre de donation pour cause de mariage. Le comte, afin de les mieux fortifier, y fit entrer des armes et des chevaliers et commença alors à susciter mille tracasseries au roi et à ceux qui tenaient pour lui. Les habitants d'Antioche, irrités de ces mauvais procédés, obtinrent du roi qu'il marchât contre le comte, à l'effet de réprimer ses insolentes agressions. Le roi, se souvenant aussi de l'affront que le comte lui avait fait tout récemment en lui refusant le passage sur son territoire, consentit à cette demande, rassembla toutes les troupes dont il put disposer et marcha vers les forteresses. Les deux ennemis se rencontrèrent dans les environs de celle de Rugia ; ils rangèrent aussitôt leurs troupes en bataille, s'attaquèrent avec fureur et combattirent longtemps sans que le succès se déclarât d'aucun côté. Enfin le roi remporta l'avantage ; le comte prit la fuite avec tous les siens ; ses chevaliers se dispersèrent de tous côtés et beaucoup d'entre eux furent faits prisonniers, chargés de fers et envoyés à Antioche.

Cependant des hommes intelligents et fidèles intervinrent et négocièrent un accommodement. Le roi et le comte se réconcilièrent. Le premier fit rendre à celui-ci ceux de ses chevaliers qu'il avait faits prisonniers ; et il semble que les affaires de la principauté d'Antioche se trouvèrent alors en meilleure situation. Toutefois, les hommes les plus sages du pays, craignant encore des agitations et des soulèvements intérieurs qui fourniraient aux ennemis du dehors de nouvelles occasions de leur nuire, si le roi retournait à Jérusalem, vinrent supplier instamment ce prince de demeurer quelque temps encore au milieu d'eux. Le roi, considérant que son royaume était en parfaite sécurité, grâce à la miséricorde du Seigneur, qu'il jouissait d'un repos complet, et qu'au contraire le pays dans lequel il se trouvait avait encore grand besoin de l'appui et de la présence d'un chef, accéda avec bonté aux désirs qu'on lui manifesta. Alors il disposa toutes choses avec sagesse et selon les convenances, tant dans la ville que dans la contrée environnante, ayant soin de prendre l'avis et le consentement des grands, et s'occupant lui-même de remettre tout dans le meilleur état possible, avec autant et même peut-être plus de sollicitude qu'il n'en aurait eu pour ses propres allaires. Cette conduite lui valut la bienveillance de tous les citoyens, et les grands se montrèrent, de leur côté, pleins de zèle à se maintenir dans la fidélité qu'ils lui devaient. Lorsqu'il eut fait toutes les dispositions de sûreté et tous les arrangements convenables pour la bonne administration des affaires, et après avoir demeuré tout le temps qui fut jugé nécessaire, le roi, rappelé chez lui pour le soin de ses intérêts particuliers, confia le gouvernement de la principauté à un homme noble et habile, Renaud, surnommé Mansour [12], et retourna lui-même dans son royaume.

CAPUT VI. Iterum ab Antiochenis revocatur. Sanguinis in finibus Tripolitanis castrum quoddam obsidet; rex sororis interventu, obsidionem solvit.

Procedente autem tempore, dum idem rex in regni a Deo sibi commissi viriliter desudaret necessitatibus, et Marthae more, circa frequens ministerium ejus negotia sedula provisione procuraret, adest nuntius ex parte Antiochenorum, referens infinitam Turcorum manum e sinu Persico, et universo Orientali tractu, flumine magno Euphrate transito, circa partes Antiochenas in multitudine gravi consedisse. Quo audito, de statu sibi commissi principatus, et salute in eo degentium, plurimum anxius; eoque maxime, quia omnem spem suam in eum projecerant: nihilominus etiam et inde sollicitus, quod proverbialiter dici solet:

Tua res agitur paries dum proximus ardet; intelligens finitimorum defectum in suum redundare periculum: decernens, fratribus auxilio indigentibus subsidia ministrare, opus esse honestum; accitis sibi de regno universo equitum peditumque auxiliis, ad iter accingitur, illuc cum omni celeritate contendens. Dumque in proficiscendo cum suis agminibus Sidonem usque pervenisset, ecce soror ejus, domina Cecilia, comitissa, Pontii Tripolitani comitis uxor, flebilia nuntiat, dicens: Sanguinum Halapiae principem, Turcorum potentissimum satrapam, in multitudine virtutis suae in praesidio quodam suo, cui Mons Ferrandus nomen, maritum suum obsedisse. Orat ergo et urgentissima, femineo more, rogat instantia, quatenus caeteris ad tempus dilatis, quae non tantam exigerent diligentiam, negotiis, marito in angustiis posito mature subveniat. Cujus nimia rex motus instantia, dilato ad modicum priore coepto, illic dirigit acies, assumptis de comitatu nonnullis, qui relicti fuerant de comitis expeditione, militibus. Audiens igitur Sanguinus, dominum regem ad solvendam obsidionem properare, habito cum suis consilio, quid utilius videretur, obsidionem gratis solvit, cum suis legionibus, ad propria reversus.

Dans la suite , et tandis que le roi continuait avec activité à pourvoir à toutes les nécessités du royaume confié à ses soins, se montrant, comme Marthe, toujours appliqué à satisfaire et à prévenir tous les besoins publics autant qu'il dépendait de lui, vint un messager qui lui annonça, de la part des habitants d'Antioche, qu'une nombreuse armée de Turcs venus du golfe Persique et de toutes les contrées de l'Orient, avait passé le grand fleuve de l'Euphrate, et s'était établie sur le territoire d'Antioche. A cette nouvelle, le roi éprouva de vives inquiétudes pour les intérêts de la principauté dont le gouvernement était remis entre ses mains et pour tous ses habitants. Il savait que ce pays avait mis toute sa confiance en lui, et en outre il était tourmenté aussi par une autre pensée que l'on exprime d'une manière proverbiale, en disant :

« C'est de vous qu'il s'agit, lorsque la maison voisine est en feu ». Les dangers auxquels était exposée une province limitrophe lui annonçaient ceux de son propre royaume. Jugeant d'ailleurs que c'était une entreprise honorable de porter secours à ses frères lorsqu'ils imploraient son assistance, il convoqua aussitôt dans tout son royaume tous les gens de pied et tous les chevaliers, fit ses dispositions de départ, et se mit en route très-promptement. Arrivé avec ses troupes à Sidon, il y rencontra sa sœur, la comtesse Cécile, épouse de Pons, comte de Tripoli, qui venait lui annoncer de nouveaux malheurs. Elle lui dit que Sanguin, prince d'Alep, et très-puissant satrape des Turcs, avait audacieusement assiégé son mari dans une de ses places fortes, nommée Mont-Ferrand. Elle le supplia en même temps et le sollicita avec les plus vives instances, comme font les femmes, d'ajourner toute autre entreprise qui ne demandait pas tant de diligence, et de voler sans retard à la délivrance du comte. Le roi, cédant à ses pressantes sollicitations, résolut de remettre de quelques instants la suite de son autre expédition, et se dirigea promptement vers le fort assiégé, en ralliant sur son chemin quelques chevaliers du comte qui ne l'avaient pas suivi dans sa marche. Sanguin, ayant appris que le roi s'avançait pour le forcer à lever le siège qu'il avait entrepris, tint conseil avec les siens, et jugeant plus sage de se retirer, il leva son camp, et rentra dans ses États avec son armée.

CAPUT VII. Rex Antiochiam properat; hostes qui convenerant in fugam vertit; hostium spoliis ditantur Antiocheni.

Hinc itaque, domino comite interim expedito, rex ista sollicitudine liber, ad coeptum redit opus, et Antiochiam, sicut prius proposuerat, maturatis festinat itineribus. Audito ejus adventu, Antiocheni ei obviam exeuntes, cum omni gaudio tantum hospitem suscipiunt, spem habentes quod per ejus industriam, nostium, qui advenire dicebantur, violentiam tolerare possent sine periculo. Non multum enim proficere consuevit, licet ingens fuerit sine duce multitudo; et cohortes numerosae sine rectore, quasi arena sine calce, vix solent sibi cohaerere.

Nuntiatur interea consonantibus rumoribus et fama celeberrima, quod hi qui Euphratem transtisse in manu robusta, et apparatu copioso nimis dicebantur, adjunctis sibi quos circa fluvium, locorum peritis, invenerant, in finibus Halapiae castra locaverant, regionem totam improvisis incursionibus depopulaturi. Convenerant porro ex omnibus conterminis finibus, in locum unum, cui nomen est Canestrivum; inde collecta omni multitudine, consilio eorum qui locorum habebant peritiam, ex improviso per omnem provinciam irruptiones facturi;

quo comperto, dominus rex, convocatis ex omni principatu militaribus copiis, cum suis quos secum habebat familiaribus, egressus Antiochia circa castrum Harenc castrametatus, substitit prudentis more, qui . . . . . male cuncta ministra Impetus, STAT. per dies aliquot, ut hostes, qui majores dicebantur habere copias, suos pugna lacesserent, aut alio quovis modo conceptum aperirent propositum. Videns autem quod nihil tale molirentur, sed securi in castris moram quietam agerent, adhuc fortasse majora praestolantes suffragia, irruit super eos repente; et incautos reperiens, antequam arma possent corripere, gladiis instat, perforat lanceis; vix paucis conceditur equorum beneficio, caeteris interemptis, fuga mortem evadere. Relictis igitur castris omni commoditate et varia supellectile repletis, caesisque ex eis innumeris, et quasi ad tria millia, victores nostri, hostium spoliis usque ad fastidium onusti, et jam plura nolentes, equos, mancipia, armenta, greges, tentoria, omne genus praedae et manubiarum omnimodam varietatem secum trahentes, Antiochiam cum summa laetitia et tropaeorum insignibus reversi sunt.

Extunc coepit dominus rex omnium Antiochenorum indifferenter, tam procerum quam popularium, corda plenius reconciliata, et omnium habere favorem. Nam prius occasione principissae cui domini regis ingrata et suspecta erat praesentia, quidam de majoribus ei fuerant adversi, faventes principissae intuitu munerum, quae illa profusa largiebatur munificentia.

 

CHAPITRE VII.

Après avoir délivré le comte de Tripoli, le roi, libre de toute sollicitude de ce côté, reprit aussitôt ses premiers projets, et se rendit à Antioche à marches forcées, ainsi qu'il l'avait d'abord résolu. Les habitants, instruits de son approche, sortirent de la ville pour se porter à sa rencontre, et accueillirent leur hôte illustre avec les plus grands témoignages de joie, dans l'espoir que, dès ce moment et grâce à l'habileté du roi, ils ne seraient plus exposés à aucun danger de la part des ennemis que l'on disait s'avancer vers eux. D'ordinaire, en effet, une multitude, quelque nombreuse qu'elle soit, n'obtient aucun succès, si elle n'est conduite par un chef, et les armées les plus fortes, semblables aux grains de sable que la chaux n'a pas liés, ont grand peine à se maintenir lorsqu'elles n'ont pas de guide qui les retienne ensemble.

Cependant le bruit se répandit de toutes parts que l'armée turque qui, disait-on, avait passé l'Euphrate avec de grandes forces et dans tout l'appareil de la guerre, venait de rallier tous ceux quelle avait trouvés dans les campagnes aux environs de ce fleuve, hommes connaissant bien les localités, qu'elle avait dressé son camp sur le territoire d'Alep, et qu'elle dévastait toute cette contrée par de soudaines incursions. Les Turcs, en effet, étaient accourus de toutes les provinces limitrophes, et s'étaient réunis sur un seul point en un lieu nommé Canestrive, afin de pouvoir de là s'avancer en masse sous la conduite de ceux qui connaissaient le mieux le pays, et faire leurs irruptions à l'improviste dans les diverses parties de la contrée.

Le roi, en ayant été informé, convoqua aussitôt dans la principauté tous les chevaliers, les réunit à ceux qu'il avait amenés à sa suite, sortit d'Antioche, et alla dresser son camp auprès du château de Harenc. Il s'y arrêta pendant quelques jours comme un homme sage qui sait qu'une impétuosité hors de propos gâte souvent la meilleure affaire, attendant que les ennemis, qu'on disait beaucoup plus nombreux, vinssent le provoquer au combat, ou fissent connaître de toute autre manière leurs intentions ultérieures. Lorsqu'il se fut bien assuré qu'ils ne faisaient aucune disposition, et qu'ils demeuraient au contraire fort tranquilles dans leur camp pour attendre peut-être de nouveaux renforts, le roi marcha sur eux sans le moindre retard, et, les surprenant à l'improviste, avant même qu'ils eussent eu le temps de courir aux armes, il les fit attaquer avec le glaive et la lance, et les poussa de telle sorte qu'un petit nombre d'entre eux eurent à peine les moyens de s'élancer sur leurs chevaux, et de chercher leur salut dans la fuite, tandis que le reste succomba sous le fer. Trois mille hommes environ de l'armée ennemie périrent dans cette affaire ; les autres abandonnèrent leur camp rempli de toutes sortes d'ustensiles et d'instruments divers. Les Chrétiens vainqueurs, chargés de dépouilles jusqu'à satiété, et refusant même de prendre tout ce qu'ils trouvaient, emmenèrent à leur suite des chevaux, des esclaves, du gros et du menu bétail, des tentes, un immense butin, des richesses de tout genre, et rentrèrent à Antioche ivres de joie et avec tous les honneurs du triomphe.

Dès ce moment, tous les habitants d'Antioche indistinctement, grands et gens du menu peuple, rendirent au roi leur affection, et ce prince devint l'objet de la bienveillance universelle. Avant cette époque, la princesse, qui redoutait toujours le roi, et ne le voyait arriver qu'avec peine, avait maintenu quelques-uns des principaux nobles dans ses intérêts ; et ceux-ci, séduits par l'espoir d'obtenir de sa munificence les largesses qu'elle prodiguait sans mesure, s'étaient jusqu'alors prononcés pour elle, et par conséquent contre le roi.

 CAPUT VIII. Hierosolymitanus patriarcha et regni principes praesidium fundant valde necessarium, cui nomen Castrum Arnaldi.

Interea, dum dominus rex in partibus Antiochenis ita detineretur occupatus, et illius regionis negotia ad suam revocaret sollicitudinem, tanquam propria, quousque ibi de communi consilio princeps ordinaretur, nostri qui in regno remanserant, dominusvidelicet patriarcha, et cives Hierosolymitae, in domino habentes fiduciam, collectis in unum viribus, juxta locum antiquissimum, Nobe, qui hodie vulgari appellatione dicitur Bettenuble, in descensu montium, in primis auspiciis campestrium, via qua itur Liddam, et qua pervenitur ad mare, praesidium solido fundant opere, ad tutelam transeuntium peregrinorum; ibi enim in faucibus montium inter angustias inevitabiles, maximum iter agentibus solebat imminere periculum, Ascalonitis subitas irruptiones illic facere consuetis. Consummato itaque feliciter opere, nomen indicunt, castellum Arnaldi locum dicentes: factumque est per gratiam Domini, etiam praedicti castelli beneficium, quod adire volentibus Hierosolymam, aut ab ea redire, minus periculosus factus est transitus, et via multo securior.

 

CHAPITRE VIII.

 

Tandis que ce prince était encore retenu à Antioche, s'occupant, dans son active sollicitude, de toutes les affaires de ce pays, comme si elles lui eussent été personnelles, en attendant que le temps fût venu de lui donner un chef du consentement général des citoyens, ceux des Chrétiens qui étaient demeurés dans le royaume, et principalement le patriarche et les citoyens de Jérusalem, mettant toute leur confiance dans le Seigneur, se réunirent en force, et allèrent construire avec toute solidité une forteresse destinée à garantir la sûreté des pèlerins et des passants, auprès d'un lieu très-antique, appelé Nobé  [13], et vulgairement nommé aujourd'hui Bettenuble. Il est situé au pied des montagnes et au commencement de la plaine, sur la route qui conduit à Lydda, et ensuite à la mer. Cette route, placée ainsi dans les gorges des montagnes, et à travers des défilés qu'il est impossible d'éviter, était fort dangereuse pour tous les voyageurs, surtout à cause des habitants d'Ascalon qui venaient souvent y faire des incursions à l'improviste. Après avoir heureusement terminé leurs travaux, ils appelèrent ce nouveau fort du nom de Château d'Arnaud. Ainsi, grâce à la protection de Dieu, cette position se trouva fortifiée, et dès ce moment ceux qui voulaient aller à Jérusalem, de même que ceux qui en repartaient, furent exposés à moins de dangers, et traversèrent avec plus de sécurité cette portion de la route.

CAPUT IX. De regis consilio mittitur ad Raimundum Pictaviensium comitis filium, qui Constantiam Boamundi ducat uxorem.

Adepta itaque dominus rex tam insigni victoria, Antiocheni principatus pro libero arbitrio disponens negotia, clarus habebatur admodum, duorum regnorum moderamina divina provisione sortitus, in utroque prosperis affluens, populum cum plena tranquillitate tuebatur. Accedentes porro ad eum illius regionis primores, specialiter autem quibus domino Boamundo, principi jam defuncto, et filiae ejus adhuc pupillae fidelitatem observare cordi erat, dominum regem familiariter adeunt, orantes intime, ut qui plenius nobilium virorum et illustrium adolescentium, in partibus ultramontanis habebat notitiam, eos edoceret, quem de tot principibus evocarent, apud quem domini sui filiam, bonorum paternorum haeredem, nuptui commodius collocarent. Qui gratanter suscipiens verbum, et fidem simul et sollicitudinem commendans, in partes cum eis hujus deliberationis ingressus, transcursis plurimis, de communi omnium consilio placuit, ut nobilis quidam et praecipuae indolis adolescens, Raimundus nomine, domini Willelmi Pictaviensium comitis filius, ad hoc vocaretur. Is in curia domini Henrici senioris, Anglorum regis, apud quem arma sumpserat militaria, moram facere dicebatur, domino Willelmo, fratre ejus primogenito, Aquitaniam jure haereditario gubernante. Libratis ergo deliberationis partibus, id expedientius esse arbitrati, legatos occulte dirigunt, Geraldum quemdam cognomento Jeberrum, fratrem Hospitalis, cum litteris domini patriarchae et procerum universorum: timentes ne si solemniter et per majores citaretur personas, principissa, sicut erat mulier malitiosa nimis, impedimenta moliretur. Erat enim cuivis impedire adventum facile; nam Rogerus tunc Apuliae dux, postmodum autem rex, Antiochiam cum omnibus pertinentiis suis, quasi jure sibi debitam haereditario, tanquam domino Boamundo consanguineo suo volens succedere,vindicabat. Robertus enim Guiscardus, Boamundi senioris pater, et Rogerus Siciliae comes, qui cognominatus est Bursa, hujus Rogeri regis pater, fratres fuerunt ex utroque parente. Junior autem Boamundus, senioris filius, fuit pater istius adolescentulae ad cujus nuptias praedictus adolescens Raimundus invitabatur. Oportebat igitur caute illum evocari, ne comperto ejus adventu, aut vi, aut insidiis, ejus aemuli praepedirent accessum. His igitur ita dispositis, dominus rex, prosequente eum universorum gratia, ad partes Hierosolymitanas se contulit.

 

CHAPITRE IX.

Après avoir remporté une si grande victoire, le roi, décidant à son gré de toutes les affaires de la principauté d'Antioche, maître, par ce succès et par la dispensation de la Providence divine, de deux royaumes comblés l'un et l'autre de prospérité ; le roi, dis-je, était parvenu au plus haut point de considération, et maintenait le peuple dans un état de parfaite tranquillité. Les plus grands seigneurs de la principauté, et particulièrement ceux qui avaient le plus à cœur de garder fidélité au prince Bohémond déjà mort, et à sa fille encore mineure, vinrent alors trouver le roi, et lui demandèrent, dans l'épanchement d'un entretien intime, de leur apprendre, lui qui connaissait mieux que tout autre les jeunes gens nobles et illustres qui habitaient dans les pays ultramontains, quel serait, parmi tant de princes, celui qu'il leur conviendrait le mieux d'appeler, afin de lui donner en mariage la fille de leur seigneur, et, par suite, l'héritage que celle-ci tenait de lui. Le roi reçut cette communication avec reconnaissance, loua la confiance et la sollicitude de ceux qui lui parlaient, puis il se mit à examiner avec eux cette proposition. Après que l'on eut passé en revue un assez grand nombre de personnes il fut convenu d'un commun accord de choisir pour l'accomplissement de ces vues un jeune noble de belle espérance, nommé Raimond, fils du seigneur Guillaume, comte de Poitou. Raimond était alors, disait-on, à la cour du seigneur Henri l'ancien, roi d'Angleterre, chez lequel il avait été armé chevalier ; et son frère aîné, le seigneur Guillaume, gouvernait l'Aquitaine, en vertu de ses droits héréditaires. On mit alors en délibération les divers partis qu'il y avait à prendre, et l'on décida que le meilleur serait d'envoyer secrètement des députés, et de charger de cette mission un certain Gérald, surnommé l'Ibère, frère de l'Hôpital, qui partirait avec des lettres du seigneur patriarche et de tous les grands du pays ; car on craignait, si l'on envoyait une députation solennelle, composée de personnes plus considérables, que la princesse, l'esprit toujours occupé de mauvaises pensées, ne suscitât des obstacles à ces projets. Il lui eût été facile, en effet, de s'opposer à l'arrivée de tout étranger. Roger, alors duc de Pouille, et qui devint roi par la suite, revendiquait pour son propre compte la ville d'Antioche et toutes ses dépendances, faisant valoir ses droits héréditaires, et prétendant à la succession du seigneur Bohémond, son cousin. En effet, Robert Guiscard, père du premier Bohémond, et Roger, comte de Sicile, surnommé La Bourse, et père de Roger qui fut roi, étaient deux frères de père et de mère [14] ; et le jeune Bohémond, fils du premier Bohémond, était père de la jeune fille pour laquelle on projetait en ce moment un mariage avec le jeune Raimond. Il importait donc de prendre toutes les précautions pour faire ces propositions en secret, de peur que, si l’on venait à apprendre son arrivée, on ne parvînt de vive force ou par adresse à s'opposer aux succès de ce rival. Après avoir présidé à toutes ces dispositions, le roi partit pour Jérusalem, et quitta Antioche comblé des témoignages de la bienveillance universelle.

 

CAPUT X. Bernardus Antiochenus patriarcha moritur; Radulphus Mamistanus archiepiscopus ei succedit cum tumultu.

Per idem tempus, Bernardus vir grandaevus, plurimum bonae memoriae, simplex ac timens Deum, primus Latinorum apud Antiochiam patriarcha, tricesimo sexto sui pontificatus anno, viam universae carnis ingressus est. Post cujus obitum, cum universi illius amplissimae sedis suffraganei, tam archiepiscopi quam episcopi, de more convenissent, ut ecclesiae pastoris destitutae solatio utiliter providerent; et super eo ipso tam salubri negotio in palatio patriarchali, diligentiores mutuo (sicut in talibus fieri solet) haberentur tractatus, Radulphus quidam Mamistanus archiepiscopus, de castro Danfrunt oriundus, quod in confinio Normanniae et Cenomanensis dioeceseos situm est, vir militaris, magnificus et liberalis plurimum, plebi et equestri admodum acceptus ordini, absque fratrum et coepiscoporum conscientia, solo populi, ut dicitur, suffragio electus est, et in cathedram Principis apostolorum inthronizatus. Quod audientes qui ad hoc, ut sibi patriarcham, auctore Domino, praeficerent, convenerant, timentes furentis et vociferantis populi indiscretos impetus, divisi sunt ab invicem, ei quem non elegerant obedientiam exhibere recusantes. Ille tamen nihilominus ecclesiam et palatium occupans, statim sine mora pallium de altari beati Petri, nulla ad Ecclesiam Romanam habita reverentia, sibi assumpsit. Processu quoque temporis nonnullos de suffraganeis ecclesiae in suam attraxit communionem. Et ut multorum relatione cognovimus, si canonicorum ecclesiae pacem amplexus fuisset, nec eorum turbare possessiones spiritu superbiae ductus praesumpsisset, potuisset tranquillo statu vitam ibi transegisse. Sed quia verum est, quod proverbialiter dici solet: Difficile est ut bono claudantur fine, quae malo sunt inchoata principio; peccatis suis exigentibus, prae multitudine divitiarum ita factus est insolens, et neminem prae se ducens hominem, ut potius Antiochi quam Petri vel Ignatii successorem se exhiberet. Majores enim ecclesiae, alios violenter ejecit, alios vinculis et carceri, quasi capitalium reos, mancipavit. Inter quos quemdam Arnulfum nomine, Calabrum natione, virum utique nobilem et litteratum, item Lambertum mirae simplicitatis hominem et honestae conversationis, litteratum etiam, ejusdem ecclesiae archidiaconum, in quodam praesidio tanquam viros sanguinum, in diversorium calce plenum detrusit in carcerem, et per multos afflixit dies, dicens eos in mortem suam conspirasse. Haec et iis similia, in subditos effera mente pertractans, universorum in se provocabat odium. Vixque inter familiares et domesticos, pravae stimulis conscientiae agitatus, tutus ei videbatur locus. Sed de his hactenus, nam in sequentibus, tempore opportuno, de ejus exitu suo loco dicemus.

 

CHAPITRE X.

Vers le même temps, Bernard, de pieuse mémoire, homme simple et craignant Dieu, premier patriarche latin d'Antioche, entra dans la voie de toute chair [15] : il était déjà fort âgé, et mourut dans la trente-sixième année de son pontificat. Après cet événement, tous les suffragants de ce vaste siège, tant archevêques qu'évêques, se réunirent selon l'usage, afin de pourvoir le plus utilement possible au soulagement de l'église privée de pasteur. Ils se rassemblèrent dans le palais patriarchal pour délibérer sur cette importante affaire, et tandis qu'ils étaient occupés, selon la coutume, à conférer les uns avec les autres, un certain Raoul, archevêque de Mamistra, originaire du château de Domfront (lequel est situé sur les confins des provinces de Normandie et du Mans), homme de guerre, magnifique et généreux à l'excès, et qui jouissait d'une très-grande faveur auprès du menu peuple et des chevaliers, fut élu, dit-on, sans l'assentiment de ses frères et co-évêques ; et par le seul suffrage du peuple, et porté aussitôt sur le trône, dans la chaire même du prince des apôtres. Ceux qui s'étaient réunis pour se donner un supérieur dans le patriarche avec l'aide du Seigneur, ayant appris cette nouvelle, et redoutant les vociférations et les premiers mouvements d'un peuple en fureur, se séparèrent aussitôt, mais ne voulurent pas aller rendre obéissance à celui qu'ils n'avaient point élu. Celui-ci cependant s'empara de l'église et du palais, et prit sans retard possession du manteau déposé sur l'autel du bienheureux Pierre, sans donner aucun témoignage de respect pour l'église romaine. Avec le temps, il attira dans sa communion quelques-uns des suffragants do son église. Nous avons même entendu dire par beaucoup de personnes que, s'il eût eu soin de se tenir en bonne intelligence avec les chanoines de l'église, s'il n'eût point entrepris, dans l'emportement de son esprit superbe, de les troubler dans leurs possessions, il eût pu vivre en parfaite tranquillité. Mais c'est une grande vérité, et qui a passé en proverbe, que les choses qui ont eu un mauvais commencement ne sont que difficilement amenées à une heureuse fin. Raoul, devenu insolent, en punition de ses péchés, par l'excès même de ses richesses, parut n'estimer personne au dessus de lui, et sembla se porter pour l'héritier d'Antiochus plutôt que pour le successeur de Pierre ou d'Ignace. Parmi les principaux membres de l'église, les uns furent expulsés par lui de vive force, les autres chargés de fers et jetés en prison comme des hommes coupables d'un crime capital. Entre autres exemples de ce genre, un certain Arnoul, né en Calabre, homme noble et lettré, un autre prêtre nommé Lambert, archidiacre de la même église, homme d'une simplicité admirable et d'une conduite exemplaire, furent tous deux transportés dans une place forte, comme des hommes de sang, jetés en prison dans un appartement tout rempli de chaux, et maltraités pendant longtemps, sous le prétexte qu'ils avaient conspiré contre la vie de Raoul. Ce fut ainsi, et par beaucoup d'autres faits semblables, que cet homme, se livrant sans retenue à l'emportement de ses passions, et maltraitant tous ses subordonnés, finit par attirer sur lui la haine publique. A peine aussi se croyait-il en sûreté au milieu de ses familiers et de ses domestiques, tant il était sans cesse agité par les tournions d'une mauvaise conscience. Je passe maintenant sur ce sujet ; dans la suite de mon récit, je retrouverai l'occasion de rapporter la fin de cette histoire.

 CAPUT XI. Papa Honorius vita decedit; substituitur ei Innocentius; oritur schisma periculosum. Willelmus Tyrensis archiepiscopus carne migrat; Fulcherius ei substituitur; Romam proficiscitur; pallium petit et obtinet.

Dum haec in Oriente geruntur, dominus Honorius papa extremum diem claudens, fatale debitum solvit; dumque de substituendo ei successore inter cardinales tractaretur, divisa sunt eorum desideria: ita quod, non valentes in idem consonare, sub contentione duos elegerunt, Gregorium videlicet, diaconum cardinalem Sancti Angeli, quem consecrantes vocaverunt Innocentium; et Petrum, qui cognominatus est Leonis, presbyterum cardinalem, tituli Sanctae Mariae Transtiberim, quae dicitur Fundens oleum, quem etiam consecrantes, qui eum elegerant, Anacletum vocaverunt. Ortum est igitur schisma periculosum nimis, ita ut non solum quae infra Urbem erant periclitarentur ecclesiae, et populus mutua caede periret; verum etiam pene orbis concuteretur universus, regnaque diversis accensa studiis inter se colliderentur. Obtinuit tandem, post multos labores et immensa pericula, dominus Innocentius, praedicto Petro, papatus aemulo, prius vita defungente.

Per eosdem dies migravit ad Dominum carnis onere deposito, praedictus noster praedecessor Willelmus, primus Latinorum, Tyrensium archiepiscopus, post urbis liberationem. Nam dum adhuc ab hostibus detineretur, ordinatus fuerat ad titulum ejusdem ecclesiae quidam Odo, qui ante ejusdem urbis liberationem vita decesserat, ut praemissum est; cui substitutus est dominus Fulcherus bonae memoriae, Aquitanicus natione, patria Engolismensis, vir religiosus ac timens Deum, modice litteratus, sed constans et amator disciplinae. Hic apud suos abbas exstiterat canonicorum regularium in monasterio cui Cella nomen; sed postmodum tempore praedicti schismatis, quod inter dominum Innocentium papam et Petrum Petri Leonis filium exortum est, favens praedicto Petro Gerardus Engolismensis episcopus, apostolicae sedis legatus, alii parti praestantes assensum molestiis quampluribus fatigabat. Quod vir vitae venerabilis non ferens, sumpta licentia a fratribus, orationis gratia Hierosolymam venit, tandemque in claustro ecclesiae Dominici Sepulcri regularem vitam et assiduitatem professus, ad ecclesiam Tyrensem vocatus est. Rexit autem eamdem ecclesiam strenue et feliciter annis duodecim, quartus ante nos, qui nunc eidem ecclesiae, non electione meriti, sed sola Domini dignatione et patientia praesidemus. Qui, postquam a domino Hierosolymitano patriarcha Willelmo, suae munus consecrationis accepit, exemplo praedecessoris sui volens ad Ecclesiam Romanam pro obtinendo pallio properare, ab eodem patriarcha et ejus complicibus passus est insidias et violentiam, ita ut vix et cum multa difficultate manus eorum posset effugere et ad Ecclesiam Romanam pro causa praedicta pervenire, sicut ex tenore litterarum domini papae Innocentii manifeste deprehenditur. Ait enim:

INNOCENTIUS episcopus, servus servorum Dei, venerabili fratri GUILLELMO Hierosolymitano patriarchae,  salutem et apostolicam benedictionem.

Magisterium totius Ecclesiae et ecclesiasticae institutionis beato Petro apostolorum principi, coelesti privilegio esse collatum, evangelica declarat auctoritas. Et infra:

Miramur autem, quoniam cum Romana Ecclesia pro liberatione orientalis Ecclesiae tantopere laboraverit, et filiorum multorum sanguinem effundendo, corda tam ecclesiasticorum quam saecularium ad ejus servitium excitaverit, nequaquam, prout convenit, eidem matri suae hac vice respondere curasti; parum enim tibi visum fuerat, quod venerabilem fratrem nostrum Fulcherum Tyrensem archiepiscopum, more praedecessorum suorum pro susceptione pallii ad Romanam Ecclesiam venientem, disturbare praesumpseras, nisi et erga eum a nobis redeuntem te inhumanum difficilemque, et nimis asperum exhiberes: adeo quod nec antiquam dignitatem Tyrensis Ecclesiae sibi restituere; nec de damnis ibi illatis, aut etiam de Caypha, sive Porphyria, juxta mandatum nostrum infra tres menses, post acceptionem nostrarum litterarum ei justitiam facere volueris; cum utique satis indignum sit ut honor qui sibi, si ei obediret, ab Antiochena exhiberetur Ecclesia, a te vel tuis successoribus subtrahatur. Praeterea in subjectos illius nimis potestative diceris te habere. Quocirca auctoritate apostolica mandando tibi praecipimus, sicut ejusdem matris tuae piis optas studiis atque solatiis confoveri, sicut in tuis necessitatibus ejus patrociniis desideras adjuvari, jam dictum archiepiscopum diligas et honores, et in nullo perturbare praesumas: quin potius de omnibus, de quibus apud te querimoniam deposuerit, sibi plenam justitiam infra quadraginta dies, postquam praesentia scripta susceperis, exhibere non differas, nec aliquid in subditos suos contra statuta canonum praesumas. Alioquin timendum tibi est, ne tam ipsum quam suffraganeos suos a tua obedientia subtrahamus, eosque in manu nostra retineamus.

Data Later. XVI Kal. Jan.

 

CHAPITRE XI.

Tandis que ces choses se passaient en Orient, le seigneur pape Honoré vit approcher le terme de sa vie et acquitta la dette commune[16]. Les cardinaux, occupés de l'élection de son successeur, se divisèrent dans leurs vœux, et, comme ils ne purent parvenir à s'entendre, il se trouva deux compétiteurs élus, Grégoire, cardinal-diacre de Saint-Ange, qui fut consacré sous le nom d'Innocent [17], et Pierre, surnommé Léon, cardinal-prêtre, du titre de Sainte-Marie d'au-delà du Tibre, qui est appelée la Fondeuse d'huile. Ceux qui l'avaient élu le consacrèrent également et le reconnurent sons le nom d'Anaclet. Il s'éleva alors un schisme plein de danger, qui ne se borna pas à mettre en péril les églises des environs de la ville de Rome et à amener de grands massacres, mais qui bientôt ébranla presque toute la terre et engagea une lutte sérieuse entre les royaumes divisés de parti. Enfin, après beaucoup de peines et à travers toutes sortes de dangers, le seigneur Innocent remporta l'avantage par la mort de Pierre son compétiteur.

A la même époque le seigneur Guillaume, notre prédécesseur, premier archevêque latin de Tyr depuis la délivrance de cette ville, fut affranchi du fardeau de la chair et appelé auprès du Seigneur. A l'époque où cette cité était encore occupée par les ennemis on avait ordonné, comme titulaire de son église, un certain Odon, qui était mort, comme je l'ai déjà dit, même avant que les Chrétiens en eussent repris possession. Guillaume fut remplacé dans son siège par le seigneur Foucher, de précieuse mémoire, né en Aquitaine et dans la ville d'Angoulême, homme religieux et craignant Dieu, peu lettré, mais ferme, et très-attaché à la discipline. Il avait été dans son pays abbé du couvent de Celles, occupé par des chanoines réguliers. Dans la suite et à l'époque du schisme qui s'éleva entre le pape Innocent et Pierre, fils de Pierre Léon, Gérard, évêque d'Angoulême et légat du siège apostolique, étant dévoué au parti de ce dernier, tourmentait de toutes sortes de manières ceux qui s'étaient déclarés pour l'autre parti. Le vénérable Foucher, ne pouvant supporter davantage ces mauvais traitements, prit congé de ses frères, et se rendit à Jérusalem pour y faire ses prières ; il s'enferma dans le couvent de l'église du Sépulcre, y fit profession de régularité et d'assiduité, et fut ensuite appelé à l'église de Tyr la gouverna avec autant de fermeté que de bonheur et fut le quatrième archevêque avant nous, qui maintenant présidons à cette même église, non parla préférence accordée à notre mérite, mais bien plutôt par la bonté et la patience du Seigneur : Après avoir reçu la consécration des mains du seigneur Guillaume, patriarche de Jérusalem, Foucher voulut, à l'exemple de son prédécesseur, se rendre auprès de l'église romaine pour recevoir le manteau ; mais le patriarche et ses complices lui tendirent des embûches et essayèrent même de lui faire violence ; il eut beaucoup de peine à s'échapper de leurs mains et ne parvint à Rome, pour accomplir l'objet de son voyage, qu'à travers des difficultés sans nombre. Ces faits sont prouvés avec évidence par la lettre suivante qu’écrivit le seigneur pape Innocent.

« Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son vénérable frère Guillaume, patriarche de Jérusalem, salut et bénédiction apostolique !

« II est déclaré par l'autorité de l'Évangile que la magistrature de toute l'Église et de l'institution ecclésiastique a été déférée, par un privilège divin, au bienheureux Pierre, prince des apôtres ». Et, plus bas : « Nous avons donc sujet d'être étonné, après que l'église romaine a si puissamment contribué à la délivrance de l'église d'Orient, après qu'elle a versé le sang d'un grand nombre de ses fils pour toucher le cœur des ecclésiastiques et des séculiers et les porter au service de cette même église, que vous n'ayez nullement pris soin, ainsi qu'il eût été a convenable, de répondre aux efforts de cette Église mère de celle d'Orient. En effet il ne vous a pas suffi d'oser troubler dans son entreprise notre vénérable frère Foucher, archevêque de Tyr, qui venait, à l'exemple de ses prédécesseurs, recevoir le manteau dans le sein de l'église romaine, mais en outre vous vous êtes montré inhumain, difficile et âpre envers lui après son retour de Rome ; à tel point que vous n'avez voulu ni remettre en ses mains l'antique dignité de l'église de Tyr, ni lui faire justice pour les dommages qu'il a soufferts, particulièrement à Caïphe ou Porphyrie, ainsi que nous vous l'avions prescrit par nos lettres qui vous accordaient un délai de trois mois. Cependant il serait trop peu séant que les honneurs qu'il recevrait de l'église d'Antioche, si elle lui obéissait, lui fussent retirés par vous ou par vos successeurs. On dit en outre, que vous vous conduisez trop arbitrairement envers les subordonnés de cette même église. C'est pourquoi nous vous mante dons et ordonnons en outre, de notre autorité apostolique, que, de même que vous désirez être soutenu par le zèle pieux et par les consolations de votre mère commune, de même que vous souhaitez trouver force dans son patronage pour les besoins qui peuvent vous survenir, de même aussi vous ayez à aimer et honorer ledit archevêque sans oser le troubler en rien : tout au contraire ne différez point de lui rendre pleine et entière justice sur toutes les choses pour lesquelles il aura déposé sa plainte auprès de vous, et cela dans les quarante jours après que vous aurez reçu les présentes lettres ; enfin n'osez rien entreprendre à l'égard de ses subordonnés qui soit contraire aux statuts canoniques ; sans cela vous aurez lieu de craindre de nous voir le retirer de votre obédience, lui et ses suffragants, et les faire passer directement sous notre main ».

Donné à Saint-Jean-de-Latran, le 16 des calendes de janvier [18].

 CAPUT XII. Praecipit Romana Ecclesia ut idem obediat Hierosolymitano pontifici; et eum locum obtineat apud eum, quem prius obtinuerat apud Antiochenos.

Reversus ab Ecclesia Romana mandatum accepit, ut quousque deliberaretur, utri duorum patriarcharum perpetuo cederet, interim sicuti et praedecessori ejus dictum fuerat, Hierosolymitano obediret; eamque dignitatem in Hierosolymitana obtineret Ecclesia, quam ejus praedecessores in Antiochena, quandiu ei obedierunt, obtinuerant. Certum est autem, quod inter tredecim archiepiscopos qui a diebus apostolorum sedi Antiochenae subditi fuerunt, Tyrensis quidem primum locum obtinuit, ita ut in Oriente Protothronos appelletur, sicuti in Catalogo pontificum suffraganeorum, qui ad Ecclesiam Antiochenam respiciunt continetur. In quo sic legitur: Sedes prima, Tyrus, sub qua sunt episcopatus XIII. Sedes secunda, Tarsus, sub qua sunt episcopatus V. Sedes tertia, Edessa, sub qua sunt episcopatus X. Sedes quarta, Apamia, sub qua sunt episcopatus VII. Sedes quinta, Hierapolis, sub qua sunt episcopatus VIII. Sedes sexta, Bostrum, sub qua sunt episcopatus XIX. Sedes septima, Anavarza, sub qua sunt episcopatus IX. Sedes octava, Seleucia, sub qua sunt episcopatus XXIV. Sedes nona, Damascus, sub qua sunt episcopatus X. Sedes decima, Amida, sub qua sunt episcopatus VII. Sedes undecima, Sergiopolis, sub qua sunt episcopatus IV. Sedes duodecima, Theodosiopolis, sub qua sunt episcopatus VII. Sedes tertia decima, Emissa, sub qua sunt episcopatus IV. Metropolitani per se sustinentes VIII. Archiepiscopi duodecim.

Quod ergo primum locum inter suffraganeos Hierosolymitanae Ecclesiae [obtineret] quodque de solo domini papae mandato eidem obediat Ecclesia Tyrensis,  ex rescripto litterarum domini Innocentii, ad eumdem Willelmum Hierosolymitanum directarum, manifeste colligitur; quod sic habet:

INNOCENTIUS episcopus, servus servorum Dei, WILELMO Hierosolymitano patriarchae, salutem et apostolicam benedictionem.

Quanto munificentiae supernae benignitas Hierosolymitanam Ecclesiam tuis temporibus altius sublimavit, tanto magis expedit personam tuam erga fratres suos humaniorem existere, et eos qui tibi obedientiam exhibent, charitate mutua honorare. Proinde fraternitati tuae mandamus, quatenus venerabilem fratrem nostrum Fulcherium Tyrensem archiepiscopum, qui ex mandato sanctae Romanae Ecclesiae tibi obedit, fraterni amoris intuitu diligas et honores: sollicite providens, ne sibi gravamen aliquod inferas; vel sub obtentu hujuscemodi subjectionis, quae utique ex beneficentia apostolicae sedis, tibi et Ecclesiae Hierosolymitanae impenditur, Tyrensis Ecclesia, nobilis et famosa, suae justitiae aut dignitatis patiatur aliquod detrimentum. Indignum est enim ut honor qui sibi, si ei obediret, ab Antiochia exhiberetur, a te vel tuis successoribus subtrahatur.

Data Albani, XVI Kal. Augusti.

CHAPITRE XII.

Après son retour de Rome l'archevêque de Tyr reçut l'ordre qui avait été de même transmis à son prédécesseur, d'avoir à obéir au patriarche de Jérusalem, en attendant qu'il eût été décidé, après mûre délibération, duquel des deux patriarches cette église devait définitivement, et à jamais ressortir, et il lui fut prescrit de prendre dans l'église de Jérusalem le rang que ses prédécesseurs avaient occupé dans l'église d'Antioche tant qu'ils lui avaient obéi. Or il est certain qu'entre les treize archevêques qui, depuis le temps des Apôtres, avaient été soumis au siège d'Antioche, l'archevêque de Tyr avait occupé le premier rang, puisque, pour ce fait, il était appelé dans l'Orient Protothronos. On peut s'en assurer en examinant le catalogue des évêques suffragants qui ressortissaient à l'église d'Antioche. Voici ce qu'on y trouve Premier siège, Tyr, sous lequel sont treize évêchés. — Second siège, Tarse, sous lequel cinq évêchés. — Troisième siège, Edesse, sous lequel dix évêchés. — Quatrième siège, Apamée, avec sept évêchés. — Cinquième siège, Hiérapolis, avec huit évêchés. — Sixième siège, Bostrum, avec dix-neuf évêchés. — Septième siège, Anavarse, avec neuf évêchés. — Huitième siège, Séleucie, avec vingt-quatre évêchés.— Neuvième siège, Damas, avec dix évêchés. — Dixième siège, Amida [19], avec sept évêchés. — Onzième siège, Sergiopoiis [20], avec quatre évêchés. — Douzième siège, Théodosiopolis [21] avec sept évêchés. — Treizième siège, Emèse, avec quatre évêchés. — Métropolitains indépendants, huit, et douze archevêques.

[1132] Le rescrit suivant, adressé par le seigneur pape Innocent au même patriarche de Jérusalem, établit évidemment que le premier rang entre les suffragants de l'église de Jérusalem appartenait à l'église de Tyr, et que celle-ci n'obéissait à la première qu'en vertu des ordres exprès du pape. Voici les termes même de cette lettre :

« Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Guillaume, patriarche de Jérusalem, salut et bénédiction apostolique !

« Plus la bonté de la munificence suprême a élevé de votre temps l'église de Jérusalem, et plus il convient que votre personne se montre pleine d'humanité envers ses frères et que vous donniez amour pour amour à ceux qui vous rendent obéissance. Ainsi nous invitons votre Fraternité à chérir et honorer d'une affection fraternelle notre vénérable frère Foucher, archevêque de Tyr, qui vous obéit en vertu des ordres de la sainte église romaine. Prenez donc bien garde de ne lui imposer aucune charge qui aggrave sa condition, et faites qu'â la suite de ce devoir de soumission qui lui a été imposé en votre faveur et en faveur de l'église de Jérusalem, par un effet de la bienveillance du siège apostolique, la noble et célèbre église de Tyr n'éprouve cependant aucun dommage ni dans ses droits, ni dans sa dignité. Il serait peu séant en effet que les honneurs qui lui seraient rendus par l'église d'Antioche, si elle lui obéissait, lui fussent retirés par vous ou par vos successeurs ».

Donné à Albano, le 16 des calendes d'août [22].

 CAPUT XIII. Mandatur ejus suffraganeis ut ei obediant; et ad hoc plures diriguntur epistolae.

Redeunti igitur, licet cum molestia, restituti sunt ei de suffraganeis ejus, qui in manu Hierosolymita ni patriarchae usque ad illam diem fuerant, Acconensis, Sidoniensis et Berythensis; reliquos autem, id est Biblitanum, Tripolitanum, Antaradensem, qui alios episcopatus ejusdem Ecclesiae, in manu sua velut proprios possidebant, Antiochenus patriarcha violenter detinebat, eam solam praetendens occasionem, quod ei non obediret, non quod ad ejus jurisdictionem eos respicere denegaret; quod ne fieret, sed ad matrem suam Tyrensem Ecclesiam redirent, idem dominus Innocentius papa praeceperat, scribens tam praedictis episcopis, quam Antiocheno patriarchae, in hunc modum:

INNOCENTIUS episcopus, servus servorum Dei, venerabilibus fratribus GERARDO Tripolitano, R. Tortosano et H. Biblitano episcopis salutem, et apostolicam benedictionem.

Scire debet vestra fraternitas quoniam status Ecclesiae tunc clarius elucescit, cum gradus in ea constituti illaesi servantur; et quae debetur praelatis singulis, absque contentione seu contradictione, reverentia exhibetur. Unumquemque etenim ex his qui sibi subjecti sunt, considerare convenit, quanta suos praelatos si quos habeat, reverentia et honorificentia debeat honorare; quae si injuste et immerito subtrahantur, unitatis status profecto nutabit, ad quem ecclesiastica doctrina, ob majorem firmitatem, diligenti consideratione omnia in se ordinando reduxit. Ne igitur ecclesiarum vestrarum honor vel dignitas ob contentionem seu rebellionem indebitam minuatur vel annulletur, per apostolica vobis scripta mandamus atque praecipimus, quatenus venerabili fratri nostro Fulcherio, Tyrensi archiepiscopo, tanquam metropolitano vestro debitam obedientiam et reverentiam deferatis. Nos enim vos et Ecclesias vestras, Tyrensi Ecclesiae, quae vestra metropolis est, auctoritate apostolica restituimus, et a juramento vel fidelitate, qua patriarchae Antiocheno estis astricti, eodem modo absolvimus. Si vero nostris mandatis obedire, et intra tres menses post harum acceptionem litterarum, ad obedientiam praedicti fratris nostri redire neglexeritis, sententiam quam ipse in vos canonice promulgabit, nos auctore Deo, ratam habebimus.

Datum Laterani, XVI Kal. Februarii.

Ne autem ab Antiocheno patriarcha, qui eos diu detinuerat, et vir erat potentior, praepedirentur domini papae jussionem exsequi, scripsit eidem patriarchae, in haec verba:

INNOCENTIUS episcopus, servus servorum Dei, venerabili fratri RADULPHO Antiocheno patriarchae, salutem et apostolicam benedictionem.

Sanctorum canonum institutionibus continetur, ut unusquisque suis terminis contentus existat, nec in aliena jura irrepat. Ea etiam quae nobis fieri nolumus, tam divinis quam humanis legibus, proximis nostris facere prohibemur. Quae cum ita sint, fraternitati tuae mandamus, quatenus suffraganeos Tyrensis Ecclesiae non impedias quin venerabili fratri nostro Fulcherio archiepiscopo, metropolitano suo, debitam obedientiam et reverentiam deferant: alioquin canonicis sanctionibus contraitur, si metropolitanis a suis suffraganeis obedientia subtrahatur. Optamus enim ut circa praelatos et subditos suum jus, et proprius ordo absque contradictione servetur.

Datum Laterani, XVI Kal. Februarii.

Nec solum his ita scripsit dominus papa, verum etiam et illis qui a patriarcha Hierosolymitano detenti fuerant; qui ejus timore, mandatis apostolicis obedire detrectabant, eodem modo praecipiens injunxit, ut omni occasione postposita, domino Tyrensi obedientiam exhiberent, in hunc modum:

INNOCENTIUS episcopus; servus servorum Dei, venerabilibus fratribus BALDUINO Berycensi, BERNARDO Sidoniensi, JOANNI Ptolomaidensi episcopis, salutem et apostolicam benedictionem.

Ad hoc sancti Patres diversos esse in Ecclesia gradus et ordines voluerunt, ut dum subjectionem et reverentiam minores majoribus exhibent, una fieret ex diversitate connexio, et recte officiorum gereretur administratio singulorum. Gravat autem nos, et valde miramur, quod cum vobis jampridem litteris apostolicis praeceperimus ut venerabili fratri nostro Fulcherio Tyrensi archiepiscopo, metropolitano vestro, obedientiam et reverentiam exhiberetis, quasdam occasiones et interpretationes minus idoneas praetendendo, id facere contempsistis; cum utique quasi peccatum ariolandi, sit repugnare; et quasi scelus idololatriae, nolle acquiescere (I Reg. XV). Mandamus itaque vobis, et auctoritate apostolica iterato praecipimus, quatenus omni occasione submota eidem fratri nostro de caetero pareatis, nec sub obtentu obedientiae, quam alicui primati dependitis, sibi subjectionem et reverentiam metropolitano vestro debitam aliquatenus subtrahatis. Quod si contemptores ulterius exstiteritis, sententiam quam idem archiepiscopus in vos canonice protulit, aut protulerit, nos auctore Domino, ratam habebimus. Si vero pro eo quod eidem fratri nostro obedieritis, a patriarcha Hierosolymitano aliquid contra vos fuerit constitutum, nos eamdem sententiam viribus carere decernimus, et nullius momenti esse censemus.

Datae Laterani, XVI Kal. Februarii

 

CHAPITRE XIII.

A son retour de Rome l'archevêque recouvra, après quelques tracasseries, les suffragants de son église qui avaient été jusqu'à ce jour sous l'autorité du patriarche de Jérusalem, savoir ceux d'Accon, de Sidon et de Béryte. Les autres, c'est-à-dire ceux de Biblios, de Tripoli et d'Antarados, qui gouvernaient les autres évêchés ressortissant à la même église, comme s'ils leur appartenaient en propre, étaient retenus de vive force par le patriarche d'Antioche, qui alléguait pour se justifier qu'il n'avait pas à obéir à l'archevêque, sans cependant aller jusqu'à nier que ces évêchés fussent compris dans le ressort de sa juridiction. Pour prévenir cette objection et afin que ces évêchés fissent retour à leur mère l'église de Tyr, le même pape Innocent écrivit également aux susdits évêques et au patriarche d'Antioche les lettres dont voici les termes :

«Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses vénérables frères Gérard de Tripoli, R. de Tortose et H. de Biblios, évêques, salut et bénédiction apostolique !

« Vous devez savoir, mes frères, que l'Église brille d'un éclat plus vif lorsque la gradation des rangs qui y ont été établis est maintenue intacte, et lorsqu'on rend exactement le respect qui est dû à chaque prélat sans contestation ni contradiction. Chacun de ceux qui sont soumis à l'Église doit reconnaître combien il importe qu'il témoigne ce respect et qu'il rende ces honneurs à ses supérieurs, s'il en a : que si l'on se soustrait, à tort et injustement, à l'accomplissement de ce devoir, on verra disparaître ce principe d'unité auquel la discipline ecclésiastique a tout ramené dans son organisation si sagement combinée, afin de donner plus de stabilité à sou œuvre. Afin donc que l'honneur ou la dignité de vos églises ne soit point diminuée ou annulée par suite de contestations on de rebellions injustes, nous vous mandons et ordonnons, par cet écrit apostolique, d'avoir à rendre à notre vénérable frère Foucher, archevêque de Tyr, l'obéissance et le respect que vous lui devez, comme à votre métropolitain, car nous vous restituons, vous et vos églises, à l'église de Tyr, qui est votre métropole, en vertu de notre autorité apostolique, et nous vous délions de la même manière de tout serment ou de tout devoir de fidélité par lequel vous êtes engagés envers le patriarche d'Antioche. Que si vous négligez d'obtempérer à nos ordres et de rentrer sous l'obéissance de notre frère susdit dans les trois mois qui suivront la réception de cette lettre, nous ratifierons, avec l'aide de Dieu, la sentence qu'il promulguera contre vous selon les lois canoniques ».

Donné à Saint-Jean-de-Latran, le 16 des calendes de février [23].

Et afin que le patriarche d'Antioche qui avait longtemps retenu ces évêques, et qui était très-puissant, ne les empêchât pas de nouveau de déférer à ses ordres, le seigneur pape écrivit au même patriarche dans les termes suivants :

« Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son vénérable frère Raoul, patriarche d'Antioche, salut et bénédiction apostolique !

« Les règles des saints canons prescrivent que chacun se tienne satisfait dans ses limites, et ne cherche point à envahir les droits d'autrui. Les lois divines, de même que les lois humaines, nous défendent encore de faire à notre prochain ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fît. Les choses étant ainsi, nous invitons votre Fraternité à ne pas empêcher les suffragants de l'église de Tyr de rendre à notre vénérable frère Foucher, leur archevêque, l'obéissance et le respect qu'ils lui doivent. Soustraire des suffragants à l'obédience de leur métropolitain, serait agir contre toutes les règles canoniques. Nous désirons donc que les droits et l'ordre établi soient maintenus sans contradiction entre les prélats et ceux qui leur sont subordonnés ».

Donné à Saint-Jean-de-Latran, le 16 des calendes de février [24].

Après avoir écrit en ces termes aux personnes que je viens de nommer, le seigneur pape écrivit en outre à ceux des évêques qui avaient été retenus par le patriarche de Jérusalem, et qui, par crainte de ce dernier, refusaient de se conformer aux ordres apostoliques : il leur enjoignit de la même manière de ne plus mettre aucun retard à rendre obéissance à leur seigneur de Tyr ; voici le texte même de ces lettres :

« Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses vénérables frères Baudouin de Béryte, Bernard de Sidon, Jean de Ptolémaïs, évêques, salut et bénédiction apostolique !

« En instituant dans l'Église des rangs et des ordres divers, les saints pères ont voulu surtout que, les inférieurs portant respect et soumission à leurs supérieurs, il résultât une plus forte union de cette diversité même, et que l'administration de chaque office en fût d'autant mieux gérée. Ainsi sommes-nous affligé, et en même temps étonné d'apprendre que, bien que nous vous ayons déjà prescrit par nos lettres apostoliques, de rendre obéissance et respect à notre vénérable frère Foucher, archevêque de Tyr, votre métropolitain, vous avez dédaigné de le faire, en alléguant des excuses et proposant des explications peu convenables. Car il est certain que c'est une espèce de magie de ne vouloir pas se soute mettre, et ne se rendre pas à sa volonté c'est le crime de l'idolâtrie [25]. En conséquence, nous vous mandons et vous ordonnons de nouveau, en vertu de notre autorité apostolique, de ne plus alléguer aucun prétexte, d'obéir en tout à notre frère, et de ne point faire valoir, pour vous soustraire à ce devoir de soumission et de respect envers votre métropolitain, l'obéissance que vous rendez a quelque autre supérieur. Que si vous continuez à vous montrer récalcitrants, je ratifierai, avec l’aide du Seigneur, la sentence que le même archevêque a prononcée, ou aura prononcée contre vous selon les lois canoniques. Et si le patriarche de Jérusalem avait pris quelque décision contre vous, pour le cas où vous viendriez à rendre obéissance à notre frère, nous déclarons cette sentence dénuée de toute force, et ne pouvant avoir aucune valeur ».

Donné à Saint-Jean-de-Latran, le 16 des calendes de février.

 CAPUT XIV. Aperitur unde et ex qua causa haec inter duos patriarchas orta sit controversia; et qua ratione se quisque tueatur.

Ne autem in admirationem cuiquam veniat, quod cum prius Tyrensem archiepiscopum quatuordecim de jure suffraganeos habere diximus, dominus autem papa non nisi sex scribit; sciendum est, quod Paneadensis civitas, quae est Caesarea Philippi, nondum habebat episcopum, et isti sex reliquos detinebant episcopatus. Sidoniensis enim detinebat, sicut et nunc etiam detinet, Sareptanum; Tripolitanus vero Botriensem, Archensem, Artuscensem; Antaradensis vero, qui et Tortosanus dicitur, Aradiensem et Maracleensem. Ex his autem sex, Antiochenus patriarcha tres sibi habebat obedientes, Antaradensem videlicet, Tripolitanum et Bibliensem. Captis enim praedictis urbibus, in eis consecravit episcopos, ea intentione, ut Tyrensi metropoli expedita, et archiepiscopo juxta prisca constituta sibi debitam exhibente obedientiam, ipse eos sine difficultate ei, sicut et de jure tenebatur, restitueret. Erant autem eae praedictae civitates in comitatu Tripolitano, unde, domino rege non impediente, liberius hoc poterat facere Antiochenus patriarcha; in reliquis autem tribus, Berytho, Sidone et Ptolomaida, quae est Accon, dominus Hierosolymitanus patriarcha consecravit episcopos tali intentione ut, capta urbe Tyrensium, et ibi per eumdem archiepiscopo consecrato, eos sibi restitueret; praesumebat enim, ut contra priscam consuetudinem Tyrensis aliquando ei deberet obedire, fiduciam habens in litteris domini papae Paschalis, quibus domino Balduino, primo Hierosolymorum regi et domino Gibelino, tertio Hierosolymorum patriarchae, concessisse videbatur, quod quascunque civitates dominus rex aut ejus exercitus acquisierant jam, vel acquisituri erant, omnium earum episcopi Hierosolymitano patriarchae subjacerent; sicut praemissum est, cum de regno domini Balduini, Hierosolymorum regis primi, tractaremus. Sic igitur universa Tyrensi provincia, antequam ipsa metropolis expediretur, expedita, praedicti duo patriarchae dioecesim inter se diviserunt; et quod extra regnum erat, ab eo loco qui dicitur Passus pagani, inferius, Antiochena habuit et habet Ecclesia; quod vero citra est et intra regni fines continetur, Hierosolymitanus possedit patriarcha. Tandem vero urbe Tyrensi per Domini misericordiam liberata, post annum ab ejus liberatione quartum, Hierosolymitanus ibi, ut praediximus, consecravit archiepiscopum, et eos quos detinebat sibi restituit suffraganeos. Cum medio tempore, dum eam in propria cura Hierosolymitanus haberet patriarcha, ita attenuata est et ad nihilum redacta, ut etiam de Ecclesiis quae infra ambitum ejusdem civitatis erant, non nisi unam futuro reservarent archiepiscopo. Factumque est, sicuti vulgari proverbio dici solet, ut petentibus et immeritis, de alieno corio fierent larga corrigia; contendunt etiam usque hodie, de nostris visceribus praedicti duo domini, in nostram injuriam fortes, de nostra paupertate facti locupletiores; et distractis membris, quorum integritate a diebus antiquis, a temporibus apostolorum, consentientibus sanctis et universalibus septem synodis, longe lateque floruerat, lacera jacet, et suis potioribus mutilata membris exspectat consolationem, et non est qui consoletur eam; porrigit manum, et non est qui adjuvet; facti sumus similes illis de quibus dicitur:

Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi.(HORAT., Ep. I, II, 14).

Satiantur de nostris carnibus, quibus utinam aliquando id contingat ad vomitum! Hujus tamen tanti causam mali Romanae non immerito imputamus Ecclesiae; quae, dum Hierosolymitano nos praecipit obedire, ab Antiocheno indebite nos patitur decurtari; nos enim, si nostra nobis restitueretur integritas, prono animo, sicuti sumus filii obedientiae, alterutri illorum parati essemus sine contradictione, sine molestia, subesse. Nemini autem alienum videatur a nostro proposito, qui professi sumus historiam conscribere, quod de nostrae statu ecclesiae haec interseruimus; nec enim decet nos aliena tractare, et nostrorum immemores fieri negotiorum. Sicut enim proverbialiter dici solet, Male orat, qui sui obliviscitur. Sed nunc ad historiam redeamus.

 

CHAPITRE XIV.

Mais pour qu'on ne soit pas étonné qu'après avoir parlé de quatorze suffragants, relevant de droit de l'archevêque de Tyr, je n'aie nommé que six d'entre eux auxquels le seigneur pape avait écrit, il est bon d'ajouter qu'à cette époque, la ville de Panéade, qui est la Césarée de Philippe, n'avait pas encore d'évêque, et qu'en outre les six suffragants que j'ai nommés retenaient les autres évêchés. L'évêque de Sidon retenait et retient encore aujourd'hui le siège de Sarepta ; celui de Tripoli retenait les sièges de Botryum, d'Archis et d'Artasie, et celui d'Antarados (autrement appelée Tortose) retenait les sièges d'Arados et de Maraclée. Trois de ces six suffragants obéissaient au patriarche d'Antioche, savoir, ceux d'Antarados, de Tripoli et de Biblios. Après que ces villes eurent été prises par les Chrétiens, ce patriarche alla y consacrer des évêques, dans l'intention de les restituer sans aucune difficulté, et comme il y était tenu par son devoir, à l'archevêque de Tyr, dès que cette ville serait elle-même délivrée, et que son métropolitain lui aurait rendu, à lui patriarche, l'obéissance qu'il lui devait en vertu des antiques constitutions. Les villes que je viens de nommer étaient situées dans le comté de Tripoli, et comme le roi de Jérusalem n'y avait mis aucun obstacle, le patriarche d'Antioche avait pu agir dans cette occasion en toute liberté. Dans les trois autres villes de Béryte, Sidon et Ptolémaïs (ou Ac­con), le seigneur patriarche de Jérusalem avait de son côté consacré des évêques dans l'intention de les restituer par la suite, et après la délivrance de Tyr, à l'archevêque qu'il comptait y consacrer lui-même ; car, il espérait que malgré les anciennes coutumes, cet archevêque lui rendrait un jour obéissance, et il fondait cet espoir sur les lettres par lesquelles le seigneur pape Pascal était censé avoir fait au seigneur Baudouin, premier roi de Jérusalem, et au seigneur Gibelin, troisième patriarche de cette ville, une concession en vertu de laquelle les évêques de toutes les villes que le roi et son armée avaient conquises ou conquerraient encore, devraient être soumis au patriarche de Jérusalem. J'ai déjà parlé de cette affaire, en écrivant l'histoire du règne de Baudouin, premier roi de la Cité sainte. La province de Tyr s’étant trouvée entièrement conquise, avant la délivrance de la métropole elle-même, les deux patriarches se partagèrent son diocèse : ce qui était en dehors du royaume, depuis le lieu appelé Pas de païen, et en dessous, fut attribué et appartient encore à l'église d'Antioche ; ce qui se trouve en deçà, et dans le territoire du royaume, fut dévolu au patriarche de Jérusalem. Enfin, la ville de Tyr ayant été délivrée par la miséricorde du Seigneur, quatre ans après cet événement, le patriarche de Jérusalem alla y consacrer un archevêque, et lui restitua ceux de ses suffragants qu'il retenait encore sous son autorité. Mais dans l'espace de temps qui précéda cette consécration, et tandis que le patriarche de Jérusalem gouvernait directement cette église, elle fut tellement affaiblie et réduite au néant, qu'on alla jusqu'à ne réserver pour le futur archevêque qu'une seule et unique église, parmi celles qui se trouvaient dans l'enceinte même de la ville de Tyr. Il en résulta qu'on fit, comme on le dit proverbialement, « de larges courroies avec le cuir d'autrui », pour ceux qui en demandaient, et qui cependant ne les méritaient pas. Aujourd'hui encore, les deux mêmes seigneurs, forts à notre détriment et enrichis de notre pauvreté, se disputent nos propres entrailles ; l'Église qui depuis les temps les plus reculés, depuis les jours des Apôtres et de l'assentiment de sept conciles œcuméniques, avait prospéré dans son intégrité et brillé du plus vif éclat, maintenant abattue, déchirée et mutilée dans ses membres les plus précieux, attend des consolations sans que personne se présente pour la consoler ; elle tend la main et il n'est personne qui vienne à son secours : nous sommes devenus semblables à ceux dont il a été dit :

Quidquid délirant reges, plectuntur Achivi

Ils se rassasient de notre chair, et plaise à Dieu qu'elle les rassasie en effet jusqu'au dégoût ! Nous nous croyons fondé à imputer tous ces maux à l'église romaine elle-même. Tandis qu'elle nous prescrit de nous soumettre au patriarche de Jérusalem, elle tolère injustement que le patriarche d'Antioche continue à nous mutiler. Nous cependant, si l'on nous rétablissait dans l'intégrité de notre église, étant fils d'obéissance, nous serions tout disposé et tout prêt à nous soumettre sans contestation ni tracasserie à l'un ou l'autre de ces supérieurs. Puisque nous avons entrepris d'écrire l'histoire, nous avons lieu d'espérer que personne ne regardera comme étranger à notre sujet le récit que nous avons inséré en ce lieu touchant la situation de notre église ; il eût été peu convenable qu'en rapportant des faits qui nous concernent moins directement, nous eussions oublié nos propres affaires, et d'ailleurs le proverbe a dit : « Celui qui s'oublie prie mal ». Je reprends maintenant la suite de l'histoire du temps.
 

CAPUT XV. Comes Joppensis apud regem accusatur, et grandis in regno excitatur tumultus.

Reverso itaque domino rege a partibus, ut praemisimus, Antiochenis, ecce iterum turba periculosa nimis suboritur. Nam ex causis quibusdam, quidam in dominum regem, de majoribus regni principibus conjurasse dicuntur, Hugo videlicet comes Joppensis, et Romanus de Podio, dominus regionis illius quae est trans Jordanem. Quod ut evidentius pateat, altius aliquantulum repetenda est historia.

Tempore domini Balduini de Burgo, qui hunc Fulconem in regno praecesserat, nobilis quidam vir, et apud suos potens, Hugo de Pusato, de episcopatu Aurelianensi, cum uxore Mamilia, filia domini Hugonis Cholet, comitis de Ruci, orationis gratia Hierosolymam petens, filium habuit in Apulia. Uxor enim ejus gravida iter arripuerat; quem, quoniam tenellus erat nimium et cum salute non poterat deportari, ibi dimisit apud dominum Boamundum consanguineum suum; et transfretans, ad dominum regem Balduinum, item secundum carnem propinquum, venit. Cui rex statim post introitum suum, civitatem Joppen, cum pertinentiis suis, sibi et haeredibus suis, jure haereditario dedit habendam; ubi non multo post, praedictus nobilis homo vitam morte finivit. Cujus uxorem eum praedicta urbe dominus rex cuidam iterum nobili viro, comiti videlicet Alberto, fratri comitis de Namura, viri potentissimi de imperio, de episcopatu Leodiensi, concessit. Cum autem uterque intra modicum tempus decessisset vita, tam comes praedictus quam  uxor ejus; Hugo praedictus qui puer in Apulia remanserat, jam pubes factus, patris haereditatem, more parentum, ad se jure haereditario devolutam, a domino rege petiit et impetravit; qua obtenta, dominam Emelotam, Arnulfi patriarchae neptem, et magnifici viri domini Eustachii Grener viduam, duxit uxorem; ex qua praedictus dominus Eustachius filios susceperat geminos, Eustachium juniorem, urbis Sidoniensis dominum, et Galterum, qui Caesareae praefuit. Defuncto autem domino Balduino dominoque Fulcone in regni solio sublimato, contigit inter eumdem dominum regem comitemque praenominatum, ex causis occultis graves oriri simultates. Dicebatur a nonnullis quod dominus rex suspectum nimis haberet comitem, ne cum domina regina familiaria nimis misceret colloquia; cujus rei multa videbantur exstare argumenta. Unde et maritali zelo succensus, inexorabile odium adversus eum dicebatur concepisse. Erat autem idem comes adolescens, corpore procerus, decorus forma, actibus insignis militaribus, gratiosus in oculis omnium, in quem videbantur naturae dona plena liberalitate convenisse; ita ut in regno vel corporis elegantia, vel generositatis titulo, vel rei militaris experientia, nullum procul dubio haberet parem; dominae quoque reginae ex parte patris valde proximus; eorum enim patres consobrini fuerant, id est duarum sororum filii. Quidam vero verbum hujusmodi palliare volentes, dicebant id solum odiorum fuisse fomitem, quod comes quasi arrogans et de se plus aequo praesumens, domino regi nolebat, more aliorum regni principum, subjici; et ejus detrectabat cervicose nimis imperiis obedire.

CHAPITRE XV.

Le roi, ayant quitté le pays d'Antioche, et de retour à Jérusalem, trouva dans cette ville même des dangers de nouvelle sorte. Quelques-uns des principaux seigneurs du royaume, et en particulier Hugues, comte de Joppé, et Raimond du Puy, seigneur du pays situé au delà du Jourdain, conspirèrent, dit-on, contre ses jours. Pour faire bien comprendre ceci, il est nécessaire de remonter aux temps antérieurs.

Sous le règne du seigneur Baudouin du Bourg, prédécesseur du roi Foulques, un homme noble et puissant parmi les siens, Hugues du Puiset, de l'évêché d'Orléans, se mit en route avec sa femme Mamilie, fille du seigneur Hugues Cholet, comte de Roussi, pour aller faire ses dévolions à Jérusalem. Sa femme était grosse au moment de son départ ; elle accoucha dans la Pouille, et comme l'enfant était encore trop jeune pour pouvoir supporter un tel voyage, son père l'envoya au seigneur Bohémond, son parent ; puis, il passa la mer et arriva auprès du roi Baudouin, qui était aussi son proche parent selon la chair. Le roi, aussitôt après son arrivée, lui donna la ville de Joppé avec toutes ses dépendances, pour être possédées par lui et ses descendants à titre héréditaire. Peu de temps après, le seigneur Hugues mourut dans cette même ville. Alors le roi donna sa veuve et son héritage a un antre homme noble, le comte Albert, frère du comte de Namur, homme très-puissant de l'Empire, originaire de l'évêché de Liège. Le comte Albert et sa femme moururent l'un et l'autre en peu de temps. Le fils de Hugues, qui avait été laissé dans la Fouille au moment de sa naissance, étant déjà parvenu a l'âge de puberté, demanda alors au roi de lui adjuger l'héritage de son père qui lui était dévolu par droit de naissance, et le roi le lui concéda. Après en avoir pris possession, il épousa la dame Émelote, nièce du patriarche Arnoul, et veuve de l'illustre seigneur Eustache Grenier. Eustache avait eu de son mariage avec celle-ci deux fils jumeaux, Eustache le jeune, seigneur de la ville de Sidon, et Gautier qui gouvernait à Césarée. A là suite de la mort du seigneur Baudouin, et après que le seigneur Foulques eut été élevé au trône de Jérusalem, il s'éleva une profonde inimitié entre le roi et le comte Hugues, pour des motifs qui sont inconnus. Quelques personnes disaient que le roi était possédé de jalousie, et craignait que le comte n'entretînt des relations trop familières avec la reine, et il semblait en effet que l'on pouvait fournir des preuves à l'appui de cette assertion. Enflammé de tous les sentiments d'un mari qui se croit outragé, le roi avait conçu, dit-on, une haine implacable contre le comte. Celui-ci, brillant dans son adolescence, était d'une taille élevée et d'une belle tournure ; illustré déjà à la guerre par plusieurs actions d'éclat, et devenu l'objet de la faveur publique, il semblait que la nature se fût complue à lui prodiguer les dons les plus précieux. Nul dans le royaume né l'égalait, ni pour la beauté de sa personne, ni pour l'illustration de sa naissance, ni pour l'éclat de ses exploits. Il était en outre, par son père, très-proche parent de la reine, puisque leurs deux pères étaient cousins-germains, fils de deux sœurs. Quelques-uns qui cherchaient à pallier les bruits publics répandus à ce sujet, disaient que le seul motif de cette haine était l'insolence du comte, qui, emporté par sa présomption, ne voulait pas se soumettre au roi, comme le faisaient tous les autres princes du royaume, et refusait obstinément d'obtempérer à ses ordres.

CAPUT XVI. Galterus Caesariensis comitem ad duellum provocat; ille se ad hostes confert; a suis destituitur.

Exsurgens interea Galterus Caesariensis, ejusdem comitis privignus, vir toto corpore elegantissimus, viribus insignis, aetate integer, a domino rege, ut dicitur, subornatus, in coetu procerum, praesente domino rege, ubi curia erat frequentissima, publice, et more accusatoris objicit comiti quod majestatis crimine reus erat, et quod contra domini regis salutem, cum quibusdam factionis ejusdem complicibus, contra bonos mores et contra nostrorum disciplinam temporum conspirasset. Comes vero inficiatus crimen, se ipsum obtulit, quod judicium curiae super objectis, tanquam in hac parte innocens, paratus erat subire. His ita se habentibus verbis, de consuetudine Francorum, decernitur inter eos pugna singularis, et ad exsequendam pugnam dies competens designatur. Comes vero soluta curia, Joppen reversus, dubium est an veritus conscientiam, et objecti criminis reum se cognoscens, an curiam habens suspectam, ad praefixam diem praesentem se non exhibuit; unde majorem objecti criminis merito incurrit, etiam apud fautores suos, suspicionem. Curia vero, et procerum conventus, ejus attendentes contumaciam, eum licet absentem, tanquam objecti criminis reum condemnaverunt. Quod comes intelligens, rem est aggressus usque ad illam diem inauditam, odio populi et omni indignatione dignam: Ascalonam enim urbem, nomini Christiano invisam, et hostibus familiarem nostris, navigio properans, contra dominum regem ab hostibus opem postulaturus, ingressus est. Illi vero videntes nostrorum intestina praelia et domesticas seditiones suis incrementis accedere, et nostrorum esse causam periculorum, gratuitum impendunt assensum: sumptisque ab eo obsidibus et pactis hinc inde redactis ad consonantiam, Joppen reversus est. Porro Ascalonitae pertinaci in nos et obstinato odio ducti, et de comitis foedere et gratia facti securiores, solito protervius, et magis confidenter fines nostros invadentes, liberis discursibus, nemine prohibente, praedam agentes usque Arsur, quae alio nomine dicitur Antipatrida, currere non timuerunt.

 Quod audiens rex, convocatis de universo regno militaribus copiis, et populi immensitate multa, Joppen obsidet. Haec videntes quidam de fidelibus ejus, qui cum eo erant in eadem urbe, Balianus videlicet senior, et quidam alii Deum timentes, quod ita in praeceps totus ire decreverat comes; et quod fidelium et amicorum salutaribus suorum monitis, ab incoepto pernicioso revocari non poterat, sed causas pertinaciter amplioris tractare periculi non vereretur, relinquentes quae ab eo habebant beneficia, meliores partes secuti, ad dominum regem se contulerunt.

CHAPITRE XVI.

Un jour que toute la noblesse était assemblée, Gautier de Césarée, beau-fils du même comte, homme d'une belle et élégante tournure, célèbre pour sa force et qui se trouvait dans toute la vigueur de l'âge, se leva en présence du roi et de toute la cour, et excité, dit-on, en secret par le roi lui-même, il se présenta comme accusateur du comte, et lui imputa publiquement le crime de lèse-majesté, disant qu'il avait conspiré contre la vie du roi, de concert avec quelques complices de sa faction, et qu'il avait ainsi offensé les bonnes mœurs et violé toutes les lois du pays. Le comte nia le crime et se déclara prêt à subir le jugement de la cour, et à défendre son innocence sur les faits dont on l'accusait. A la suite de cette altercation, et conformément à l'usage des Français, on leur adjugea le combat singulier et le jour fut fixé pour cette épreuve. Le comte cependant quitta la cour et retourna à Joppé ; soit que cédant au témoignage de sa conscience, il se déclarât coupable du crime qui lui était imputé, soit encore qu'il fût en méfiance contre fa cour, il ne se présenta point au jour fixé ; conduite qui fortifia à juste titre les préventions que l'on avait contre lui, et lui nuisit, même auprès de ses partisans. La cour et rassemblée des grands, jugeant par contumace, le condamnèrent, quoique absent, comme coupable du crime dont on l'avait accusé. Aussitôt que le comte en fut informé, il se livra à une entreprise inouie jusqu'à ce jour et bien propre à exciter contre lui la haine et l'indignation du peuple. Il s'embarqua sans retard et se rendit à Ascalon, ville constamment ennemie des Chrétiens, et résidence ordinaire des infidèles, pour aller solliciter des secours contre le roi. Les Ascalonites jugeant bien que ces querelles intérieures et ces séditions domestiques ne pouvaient que tourner à leur profit et au plus grand détriment des Chrétiens, accueillirent le comte avec faveur ; celui-ci leur livra des otages, conclut un traité avec eux et retourna ensuite à Joppé. Les Ascalonites cependant, entraînés par la haine profonde qu'ils nourrissaient contre les nôtres, et rassurés par leur nouvelle alliance, entrèrent sur le territoire du royaume avec plus de forces et plus de confiance qu'ils n'en avaient jamais déployé ; ils se répandirent de tous côtés sans rencontrer aucun obstacle, enlevèrent beaucoup de butin, et ne craignirent pas de pousser leurs incursions jusqu'à la ville d'Arsur, autrement nommée Antipatris.

Cependant, le roi convoqua aussitôt toutes ses troupes et toute la masse du peuple, et alla mettre le siège devant Joppé. Quelques-uns des fidèles du comtes enfermés avec lui dans cette ville, tels que Balian l'ancien, et beaucoup d'autres remplis de la crainte du Seigneur, voyant que le comte était entièrement déterminé à pousser jusques au bout, que les sages avis de ses fidèles et de ses amis, ne pouvaient le faire renoncer à ses pernicieux desseins, et qu'il ne craignait pas par son obstination d'exposer sa cause aux plus grands dangers, abandonnèrent les bénéfices qu'ils tenaient de lui, et prenant le meilleur parti, allèrent se réunir au roi.

CAPUT XVII. Civitas Joppensis obsidetur; regni principes de pace tractant; Belinas interim ab hostibus capitur.

Interea dominus patriarcha Willelmus, vir mitissimus et pacis amator, et quidam de regni principibus, videntes intestina haec praelia regno nimis esse periculosa, attendentes illud evangelicum: Omne regnum in se ipsum divisum desolabitur, et domus supra domum cadet (Matth. XII, 25); timentes, sicut et merito timere poterant, ne hac occasione hostibus Christiani nominis damni inferendi major pateret occasio et opportunitas, medios se constituunt, et de bono pacis inter dominum regem, et saepe dictum comitem conantur utiles invenire tractatus. Tandem vero post multas altercationes, sicut in hujusmodi fieri solet, placet pacis compositoribus, ut pro bono pacis, et ut domino regi aliquid amplioris impenderetur honoris, comes per triennium extra regnum fieret: quo peracto, cum domini regis gratia in regnum iterum, sine calumnia quam pro eodem negotio de caetero pateretur, cum suis quos eduxerat ei liceret introire; interim vero de redditibus possessionum suarum, omne ejus debitum, et quod undecunque contraxerat aes alienum, persolveretur.

Per idem tempus, dum dominus rex circa Joppen ita esset occupatus, et dominus Rainerius cognomine Brus, cum aliis regni principibus ibidem moram faceret, civitas Pancadensis, a Tegelmeluch Damascenorum rege obsessa, antequam rex obsessis ministrare posset, quod cum multa instantia procurabat, subsidium, violenter effracta, in manus devenit hostium. Captis quoque civibus, et qui in ea erant stipendiariis utriusque tam equitum quam peditum ordinibus, uxor praedicti nobilis et strenui viri cum aliis transmigrationem passa est captiva.

 

CHAPITRE XVII.

Cependant le patriarche Guillaume, homme très-doux et sincère ami de la paix, et quelques-uns des princes du royaume reconnaissant que ces dissensions intestines ne pouvaient amener que de graves dangers, persuadés, selon les paroles de l'Évangile, que « tout royaume divisé contre lui-même sera ruiné, et toute ville ou maison qui est divisée contre elle-même ne pourra subsister [26] » ; ayant de plus de justes motifs de craindre que les ennemis du nom du Christ ne prissent avantage de ces divisions pour les faire tourner à notre détriment, se portèrent médiateurs, et cherchèrent pour l'amour de la paix les meilleurs moyens de conclure quelque arrangement entre le roi et le comte. A la suite de beaucoup de discussions, comme il arriye toujours dans les affaires de ce genre, les négociateurs convinrent entre eux qu'il fallait, pour le bien de la paix et pour donner en même temps au roi une satisfaction d'honneur, que le comte fût banni du royaume pour trois ans ; qu'après ce temps il lui serait permis d'y rentrer disculpé de l'accusation qui lui attirait ce malheur, qu'il serait réintégré alors dans les bonnes grâces du roi, qu'il aurait la faculté de ramener avec lui tous ceux qui l'auraient suivi, et qu'enfin pendant son absence les revenus de ses possessions seraient employés à acquitter ses dettes et à rembourser tout l'argent qu'il avait emprunté de toutes parts à des étrangers.

[1133] Vers le même temps, et tandis que le roi était retenu pour ses affaires dans les environs de Joppé avec le seigneur Reinier, surnommé Brus, et les autres princes du royaume, la ville de Panéade, assiégée par le roi de Damas Tegelmelach [27] fut emportée de vive force et tomba au pouvoir des ennemis, avant que le roi eût eu le temps, malgré tous ses efforts et toute son activité, de rassembler et d'y envoyer des secours. Les habitants furent faits prisonniers, de même que les troupes soldées, gens de pied, chevaliers, et la femme de l'illustre et vaillant seigneur Reinier Brus, et tous les captifs furent transportés aussitôt hors du pays.

CAPUT XVIII. Comes Joppensis apud Hierosolymam malitiose vulneratur; fit tumultus iterum; sed recepta convalescentia, ex condicto mare transit.

Interea comes Joppensis transitum exspectans, dum Hierosolymis prout consueverat moram faceret, accidit quod in eo vico, qui dicitur Pellipariorum, ante meritorium unius negotiatorum, Alfani nomine, dum super mensam ejus alea luderet, quidam miles natione Brito, super comitem nihil tale verentem, sed pro ludo sollicitum, ex improviso educens gladium, multis eum, et hostiliter nimis confodit vulneribus, in facie universorum astantium. Fit ergo repentinus statim populorum concursus, et civitas omnis, audita facti acerbitate immanissimi, concussa est et infremuit vehementer. Sermo publice unus in omnium ore vertebatur, non sine regis conscientia hoc fieri potuisse; nec maleficum, nisi de regis favore confisum, talia praesumpsisse moliri; spargitur per vulgus universum, comitem innocentem injustas pati calumnias; et regem odii quod adversus eum gratis, et praeter merita comitis, conceperat, nimis evidens argumentum dedisse. Accedit itaque comiti plebis favor, et gratia popularis: et quidquid ei objectum fuerat, totum de malitia processisse videbatur.

Quod sane postquam domino regi compertum innotuit, volens factum purgare et se constituere manifestis indiciis innocentem, maleficum jubet judicio sisti, et pro commisso flagitio, omnibus notorio, nec accusatore nec testibus indigente, ubi juris ordo non erat necessarius, dignam pro meritis praecipit reportare sententiam. Convocata igitur curia, de communi consensu, praedictus sicarius, mutilationis membrorum judicatur subire discrimen. Quod, postquam regi nuntiatum est, exsecutioni praecipit mandari sententiam, eo solo excepto, ne lingua inter mutilanda membra computetur; illam excepit, ne forte diceretur studiose factum, ut illi amputaretur lingua, ne se missum a rege et rei veritatem posset confiteri.

In quo plane facto, prudenter nimis suae rex praevidit existimationi, multumque conceptam adversus se compescuit indignationem; nam ab illo, neque secreto neque publice, vel ante vel post membrorum dispendium potuit extorqueri, quod de domini regis mandato vel conscientia ad illud tam enorme factum processisset sed de proprio motu: et sperans in eo se domini regis gratiam promereri posse, id tale praesumpsisse fatebatur.

Comes autem curae proprii corporis habendae gratia, et causa procurandae salutis moram faciens, recepta ad plenum convalescentia, moestus plurimum, tum pro illata recenter injuria, tum quia per loca incognita mendicare, propria haereditate extorris, compelleretur, juxta condictum regno egressus, in Apuliam se contulit, ubi dominus Rogerus, qui universam illam jam sibi subjugaverat regionem, eum benigne recepit, putans quod causa invidiae virum strenuum et nobilem ejus aemuli regno depulissent; et ei compassus, comitatum contulit Garganensem: ubi morte praeventus immatura, vir lugendus posteris, in regnum deinceps non est reversus.

Ab ea die quicunque comitis apud dominum regem fuerant delatores et incentores odii, dominae Milisendis reginae, quam etiam objecti criminis quodammodo respergere videbatur infamia, et dolor immanissimus, expulsi comitis macerabat praecordia, indignationem incurrentes, exactam pro tutela proprii corporis oportebat habere diligentiam. Maxime autem Roardum seniorem, qui postmodum dictus de Neapoli, qui dominum regem praecipue in eam induxerat odiorum materiam, domina regina quibus poterat persequebatur modis. Non erat eis tutum, ante ejus accedere praesentiam; sed et publicorum conventuum se subtrahere coetibus erat consultius; sed nec domino regi, inter fautores et consanguineos reginae, tutus omnino erat locus. Tandem placata ejus indignatione per quorumdam eorum familiarium interventionem, rex alios quoque ejusdem rancoris participes, multa vix reconciliavit instantia, eatenus tantum, ut ante ejus praesentiam eis liceret cum aliis introire. Rex autem ab ea die ita factus est uxorius, ut ejus quam prius exacerbaverat, mitigaret indignationem, quod nec in causis levibus, absque ejus conscientia attentaret aliquatenus procedere.

 

CHAPITRE XVIII.

Le comte de Joppé attendait une occasion de passer la mer et demeurait encore à Jérusalem, selon son usage. Il était un jour dans la rue dite des Corroyeurs, devant la boutique d'un marchand nommé Alfane, occupé à jouer aux dés sur une table, sans méfiance et pensant uniquement à son jeu, quand tout à coup un chevalier né Breton, tire son glaive, attaque le comte à l'improviste et lui porte plusieurs coups, en présence de tous ceux qui se trouvaient auprès. Un grand concours de peuple se rassemble aussitôt; la ville entière est agitée et frémit d'horreur, en apprenant un si détestable assassinat. Bientôt on en vint à dire publiquement, et ces paroles volèrent de bouche en bouche, qu'une telle entreprise ne pouvait avoir été tentée sans que le roi en fût instruit; que l'assassin n'aurait point osé projetter ni exécuter un pareil dessein, s'il ne se fût confié en la protection du roi ; le bruit se répand et circule de toutes parts dans le peuple que le comte est innocent et victime d'odieuses calomnies, et l'on assure en même temps que le roi vient de donner un témoignage trop évident de la haine qui l'anime injustement et sans motif contre le comte. Celui-ci se trouva en peu d'instants l'objet de la faveur et de la bienveillance du peuple, et l'on pensa que toutes les plaintes portées contre lui n'étaient provenues que de pure méchanceté.

Le roi, cependant, lorsqu'il fut informé de cet événement et des bruits qui s'étaient répandus, voulant s'en justifier complètement et établir son innocence aux yeux de tous, ordonna que l'assassin fût mis en jugement, et comme il n'était pas nécessaire pour un crime aussi notoire et commis en public, d'appeler un accusateur et des témoins, et de suivre l'ordre accoutumé de la justice, le roi voulut que l'on rendît une sentence digne du forfait qu'il fallait punir. La cour fut aussitôt convoquée, et l'on décida d'une voix unanime, que le meurtrier subirait le supplice de la mutilation des membres. Dès que le roi en fut informé, il ordonna de mettre le jugement à exécution, faisant cependant la réserve que la langue ne serait point comprise parmi les membres à mutiler, et cela afin que l'on ne pût dire qu'il lui avait fait enlever la langue dans l'intention de l'empêcher de confesser cette partie de la vérité qui pourrait se rapporter à quelque mission reçue du roi.

Ce prince réussit par cette conduite sage et habile à rétablir sa considération et à calmer l'indignation que l'on avait d'abord conçue contre lui ; il fut impossible, soit en secret, soit en public, soit avant, soit pendant le supplice, d'arracher à l'assassin aucune parole qui pût établir qu'il eût commis cet énorme crime d'après les ordres ou seulement de l'aveu du roi ; il déclara qu'il l'avait fait de son propre mouvement, et cependant qu'il n'avait osé l'entreprendre que dans l'espoir d'obtenir par cette conduite la bienveillance du roi.

[1134] Le comte demeura encore à Jérusalem pour s'occuper de la guérison de ses blessures et du rétablissement de sa santé ; enfin, lorsqu'il fut en pleine convalescence, il partit le cœur plein de douleur tant à raison de l'offense qu'il avait tout récemment reçue, que par suite du chagrin de se voir forcé d'abandonner son héritage et d'aller porter sa misère dans des lieux inconnus. Il se soumit cependant aux conventions antérieures, sortit du royaume, et se rendit dans la Pouille. Roger qui avait alors soumis toute la contrée à sa domination, l'accueillit avec bonté, pensant que la jalousie seule avait porté ses rivaux à faire expulser du royaume un homme si noble et si vaillant ; il eut compassion de son sort, et lui donna le comté de Gargana ; le jeune homme mourut dans ce pays, frappé d'une mort prématurée, digne des regrets de la postérité, et sans avoir pu rentrer dans le royaume de Jérusalem.

Dès ce moment tous ceux qui avaient été les délateurs du comte auprès du roi et s'étaient attachés à animer sa haine, encoururent l'indignation de la reine, sur laquelle semblait aussi rejaillir la honte du crime que l'on avait reproché au comte et qui ne cessait, depuis l'expulsion de celui-ci, d'être en proie à la plus vive douleur : ils furent même obligés de veiller soigneusement à leur propre conservation. Parmi eux surtout, Roard le vieux, qui fut dans la suite appelé Roard de Naplouse, et qui avait infiniment contribué à exciter la jalousie du roi, eut à souffrir toutes sortes de persécutions de la part de la reine. Il n'y avait pour lui, non plus que pour les autres, aucune sûreté à se présenter devant elle ; la prudence les forçait à ne paraître dans aucune assemblée publique, et le roi lui-même ne pouvait se trouver nulle part avec quelque sécurité, an milieu des partisans ou des parents de la reine. Quelques amis domestiques intervinrent cependant pour mettre un terme à ces ressentiments ; le roi parvint à force d'instances à calmer ceux qui avaient pris parti dans cette querelle et qui conservaient leur animosité ; il alla même jusqu'à leur rendre la permission de se présenter devant lui avec tous les antres. Dès ce moment aussi, il s'attacha à la reine, fit tous ses efforts pour apaiser son indignation après l'avoir tant exaspérée contre lui, et on le vit ne plus rien entreprendre, même dans les affaires les moins importantes, sans avoir d'abord obtenu son assentiment.

 CAPUT XIX. Fit treuga cum Damascenis; restituuntur captivi qui apud Belinas capti fuerant.

Per idem tempus, petentibus Damascenis a domino rege pacem temporalem, praeter alia quae gratia obtinendi foederis contulerunt, omnes captivos, quos in urbe Paneadense ceperant, simulque et praedicti strenui viri, cujus erat civitas, domini videlicet Rainerii Brus uxorem ex compacto restituerunt. Quam vir egregius et insignis post biennio reversam, ad maritalis amplexus participium de votus admisit. Cognoscens autem postmodum quod non satis prudenter se apud hostes habuerat, et maritalis tori reverentiam non satis caute, matronarum more nobilium, observaverat, abjecit eam a se; illa vero culpam non inficiens, claustrum sacrarum virginum Hierosolymis ingressa, voto se obligans perpetuae continentiae, sanctimonialis effecta est. Ea demum defuncta, praedictus vir inclytus Agnetem duxit, domini Willelmi de Buris neptem; quam postmodum eodem defuncto, Girardus Sidoniensis accepit uxorem: unde natus est Rainaldus, qui nunc eidem Sidoniorum praeest civitati. Praedictam vero Paneadensium urbem, quam ita diximus domini sui absentia superatam, quidam Assissinorum magistratus, Emir Ali nomine, a populo suo diu possessam, suscepta pro ea compensatione placita, nostris non multo ante tempore resignaverat et tradiderat habendam, quam sine intervallo rex praedicto viro, jure haereditario concesserat possidendam. Quis autem sit Assissinorum populus, et quam frivolas et Deo odibiles sequatur traditiones, in sequentibus loco et tempore docebimus; interim autem id de eis novisse sufficiat, quia populus est Christianis, et aliarum sectarum nationibus, et maxime principibus suspectus admodum et merito formidabilis.

 

CHAPITRE XIX.

[1135] Vers le même temps, les gens de Damas demandèrent au roi de consentir à une trêve, et pour le mieux déterminer à accepter ce traité, ils lui rendirent tous les prisonniers qu'ils avaient emmenés de Panéade, et entre autres la femme de l'illustre et vaillant Reinier Brus, seigneur de cette ville. Elle revint après deux ans de captivité, et son seigneur et mari l'accueillit avec bonté et l'admit de nouveau à l'honneur de partager son lit. Cependant, ayant appris par la suite qu'elle avait tenu une conduite assez légère chez les ennemis, méconnaissant les devoirs d'une dame noble et oubliant le respect dû aux nœuds qui l'engageaient, il la renvoya de sa maison. Elle ne nia point ses fautes, mais elle entra aussitôt dans le couvent des Saintes Filles à Jérusalem, fit vœu de continence éternelle et fut admise comme religieuse. Après sa mort, son illustre mari épousa Agnès, nièce du seigneur Guillaume de Bures, et celle-ci, ayant par la suite perdu son mari, épousa en secondes noces Gérard de Sidon ; de ce mariage est né Renaud, qui est maintenant seigneur de la ville de Sidon. Quant à cette ville de Panéade qui, comme je l'ai dit, fut enlevée, en l'absence de son seigneur, après avoir appartenu longtemps aux Assissins, elle avait été cédée peu de temps auparavant aux Chrétiens, par un certain magistrat de ce peuple, nommé Émir-Ali, moyennant une indemnité déterminée dans le traité de cession, et le roi aussitôt après l'avoir reçue, l'avait donnée au seigneur Reinier Brus, pour être possédée par lui à titre héréditaire. Je trouverai dans la suite de ce récit l'occasion de faire connaître ce qu'était ce peuple Assissin et de parler des traditions qu'il avait adoptées, folles à la fois et odieuses au Seigneur. Il suffit de dire en ce moment que ce peuple est à juste titre l'objet particulier des méfiances et des craintes des Chrétiens, des nations attachées à d'autres sectes et surtout de tous les princes.





 

CAPUT XX. Raimundus Pictaviensium comitis filius occultus accedit, et Antiochiam perveniens, Boamundi filiam Constantiam uxorem ducit, invita et renitente principissa, ejusdem puellae matre, et obtinet principatum.

Interea qui ab Antiochenis pro domino Raimundo, Pictaviensium comitis filio missi erant, ut praemisimus, prout eis injunctum fuerat sollicite investigantes, ubi compendiosius eum invenire possent, certis didicerunt relationibus, eum apud dominum Henricum seniorem Anglorum regem, a quo et arma sumpserat militaria, moram facere. Unde recto itinere in Angliam abeuntes, praedictum ibi reperiunt adolescentem; cui causa viae secretius patefacta, de consilio domini regis benefactoris sui, verbum oblatum devotus amplectitur, et viae necessaria praeparans, iter nemini notus ingreditur. Praesenserat porro dux Apuliae Rogerus, quae de illius vocatione apud Antiochiam concepta fuerant; unde in singulis Apuliae urbibus maritimis praetenderat insidias, ut eum comprehenderet, sperans quod si ejus posset transitum praepedire, facilius ad petitam haereditatem, redemptis pecunia illius regionis magnatibus, posset obtinere compendium. Verum dominus Raimundus prudenter celans propositum, omni fastu deposito, tanquam unus de popularibus, nunc pedes, nunc vilibus insidens jumentis, inter plebeios iter carpebat incoeptum, nulli unquam vel leve generositatis aut copiarum praetendens argumentum. Socii autem ejus per turmas divisi, simul et familia, quidam per diaetas tres aut quatuor praecedebant, quidam vero sequebantur, tanquam ad eum nullum habentes respectum. Sic ergo peregrino et vili amictus habitu, et servorum plerumque subiens officia, specie fallens universos, hostis prudentis et potentissimi declinavit tendiculas. Perveniens itaque Antiochiam, amicos suo exhilaravit adventu; quibusdam vero non modicam intulit formidinem, qui principissae fautores, hujus promotioni resistere nitebantur. Porro modico ante tempore, postquam tamen praedicti missi fuerant, ut dominum Raimundum citarent, Aaliza principissa domini Boamundi vidua, dominae quoque Milisendis reginae soror, quam pater ejus a civitate exclusam Antiochena, Laodicia et Gabulo jusserat esse contentam, interveniente apud regem sorore sua, ne actibus ejus obviaret, quorumdam procerum fulta patrocinio, iterum Antiochiam ingressa est, pro domina se gerens; et universa ad suam revocabat sollicitudinem. Inter haec Radulphus Antiochenorum patriarcha subdolus, et in omni via sua multiplex, principissae persuaserat ut ejus interim adversus clericos suos, qui eum persequebantur, gratia fungeretur et obsequiis, quod is qui vocatus erat, et venisse dicebatur, dominus Raimundus, ei esset destinatus, et futurus maritus; credulamque nimis hac vana spe deludebat. Raimundus autem praesentiens, quod absque domini patriarchae gratia et consilio ad optatum pertingere non posset, per interpretes utrique familiares, aditum quaerit, quomodo domini patriarchae sibi favorem comparet et plenius conciliet affectum. Exigitur ergo a domino Raimundo, ut juramento corporaliter praestito, domino patriarchae fidelitatem exhibeat; versa vice, suscepturus sine difficultate puellam in uxorem, et cum omni quiete principatum; interseritur etiam pactis, quod si domini Raimundi frater, Henricus nomine, in partes descenderet Antiochenas, dominus patriarcha fideliter elaboraret, quomodo puellae matrem, domini Boamundi viduam, cum duabus urbibus maritimis et earum finibus, haberet uxorem.

Sic ergo pactis interpositis et jurejurando roboratis, admissus est in urbem, adhuc exspectante matre, ut sibi omnis ille nuptiarum fieret apparatus; et confestim ad basilicam apostolorum Principis deductus, dominam Constantiam adhuc intra nubiles degentem, annos tradente domino patriarcha, et id fieri postulantibus magnatibus universis, duxit uxorem. Principissa vero audiens quod delusa esset, Antiochia subito egressa, in suam se contulit regionem, principem postea inexorabili odio persecuta. Ab ea igitur die de elato factus elatior, solidas nimium se sperans in domino principe bases recepisse dominus patriarcha, solito se exhibebat arrogantiorem, de domino principe plus aequo praesumens, et plane deceptus; nam princeps pro magna  ducens ignominia, quod ab eo fidelitatem extorserat, beneficii immemor, coepit eum hostiliter persequi; et juramenti prodigus, adversariis ejus adjunctus est.

 

CHAPITRES XX.

[1136] Pendant ce temps ceux qui avaient été envoyés par les habitants d'Antioche auprès du seigneur Raimond fils du comte de Poitou, cherchant, avec toute la sollicitude qui leur avait été recommandée, à le trouver le plus promptement possible, apprirent par des rapports certains que ce jeune homme vivait chez le seigneur Henri l'ancien, roi des Anglais, par les mains duquel il avait été armé chevalier. Ils se dirigèrent donc vers l'Angleterre et y trouvèrent en effet celui qu'ils cherchaient. Ils lui firent connaître en confidence le motif de leur voyage ; et celui-ci, de l'avis du roi son bienfaiteur, accepta avec reconnaissance les offres qui lui étaient portées, lit tous ses préparatifs de départ, et se mit en route dans le plus sévère incognito. Le duc de Fouille avait eu quelque connaissance du projet qui avait été formé à Antioche pour y appeler le jeune Raimond, et en conséquence il avait fait en secret ses dispositions dans les villes maritimes de son duché, pour parvenir à s'emparer de sa personne, espérant bien, s'il pouvait l'empêcher d'aller plus loin, qu'il lui serait beaucoup plus facile de s'assurer de l'héritage auquel il aspirait, en prodiguant ses trésors pour acheter l'assentiment des principaux seigneurs du pays. Cependant le seigneur Raimond, dissimulant avec prudence, cachant ses projets, et renonçant à toute espèce de faste, s'en alla comme un homme tout-à-fait obscur, tantôt à pied, tantôt monté sur une vile bête de somme, marchant toujours parmi des gens du peuple, et s'abstenant rigoureusement de tout acte qui eût pu faire connaître à qui que ce fût l'illustration de sa naissance, ou déceler sa fortune. Ses compagnons et les gens de sa maison s'étaient formés par petits détachements ; les uns marchaient en avant à trois ou quatre journées de distance ; d'autres le suivaient de loin, mais sans avoir l'air de faire aucune attention à lui. Couvert des vêtements d'un obscur pèlerin, se soumettant souvent à remplir les fonctions des serviteurs, et trompant tout le monde sous ces fausses apparences, il parvint ainsi à échapper aux embûches d'un ennemi adroit autant que puissant. Il arriva enfin à Antioche; sa présence combla de joie tous ses amis et inspira en même temps les plus vives craintes à quelques amis que la princesse conservait encore, et qui faisaient tous leurs efforts pour s'opposer à son élévation. En effet, quelque temps auparavant, et cependant après le départ des députés chargés d'aller chercher le seigneur Raimond, la princesse Alix, veuve du seigneur Bohémond ( et sœur de la reine Mélisende ), que son père le roi Baudouin avait expulsée de la ville d'Antioche en la forçant à se réduire aux seules villes de Laodicée et de Gebad, avait employé l'intervention de la reine sa sœur auprès du roi Foulques ; pour obtenir de lui qu'il ne mît aucun obstacle à ses démarches ; et s'appuyant du crédit de quelques-uns des seigneurs, elle était rentrée à Antioche, y agissait en souveraine, et attirait à elle le soin de toutes les affaires. Le patriarche Raoul, homme plein de ruse et d'un esprit fécond en inventions, ayant besoin d'employer la bienveillance et l'autorité de la princesse contre les membres de son clergé qui le tracassaient, avait réussi à lui persuader que celui qui avait été appelé à Antioche et qu'on disait sur le point d'y arriver, le seigneur Raimond, lui était destiné à elle-même et qu'elle l'aurait pour époux; la princesse trop crédule s'était laissé séduire par cette vaine espérance. Raimond, prévoyant bien qu'il lui serait impossible de parvenir à ses fins, s'il n'obtenait la faveur et l'assistance du seigneur patriarche, employa des agents bien connus de l'un et de l'autre et chercha les moyens de se rapprocher du prélat, afin de travailler à gagner ses bonnes grâces et son affection. On exigea du seigneur Raimond qu'il prêtât serment par corps, et se liât de fidélité envers le patriarche, et celui-ci promit à son tour que Raimond ne rencontrerait aucune difficulté pour obtenir la jeune fille en mariage et pour jouir de la principauté en parfaite tranquillité; enfin on ajouta pour dernière clause de ce traité, que si le frère du seigneur Raimond, nommé Henri, venait dans le pays d'Antioche, le patriarche s'emploierait sincèrement pour qu'il pût obtenir en mariage la mère de la future de Raimond, veuve du prince Bohémond, et en même temps deux villes maritimes avec les territoires dépendants.

Cette convention ayant été confirmée par les serments des deux parties, Raimond fut admis dans la ville, tandis que la princesse se flattait encore que tous les préparatifs de noces n'avaient qu'elle seule pour objet. Raimond fut aussitôt conduit dans la basilique du prince des apôtres ; il y reçut des mains du patriarche, et, sur les instances de tous les grands, il épousa sur-le-champ la jeune Constance, à peine parvenue à l'âge nubile. La princesse sa mère, se voyant ainsi jouée, partit aussitôt d'Antioche, et se rendit clans son pays, nourrissant contre le prince une haine implacable dont elle ne cessa de le poursuivre. Dès ce jour aussi, le seigneur patriarche, espérant avoir trouvé dans le prince un solide appui, et triomphant orgueilleusement de son nouveau succès, se montra de plus en plus arrogant, et fut enfin trompé par le prince même, de qui il attendait et exigeait plus qu'il ne lui était dû. Celui-ci, jugeant qu'il était honteux pour lui que le patriarche lui eût extorqué un serment de fidélité, et oubliant les bienfaits qu'il en avait reçus, le poursuivit bientôt en ennemi, et se ligua avec ses adversaires, au mépris de ses engagements.

CAPUT XXI. Quis, et qualis, et ex qua majorum prosapia fuerit Raimundus, describitur

Erat autem idem dominus Raimundus, egregii sanguinis prisca generositate insignis, corporis eximia proceritate et tota ejusdem gratissima compositione praestantissimus; adolescens, vix prima malas vestitus lanugine, speciosus forma prae regibus et principibus orbis terrae, verbo et affabilitate commendabilis, tota sui habitudine venustam principis eximii praetendens elegantiam; armorum usu et rei militaris experientia, omnibus qui eum praecesserunt, vel secuti sunt, anteponendus; litteratorum, licet ipse illiteratus esset, cultor; in divinis assiduus, ecclesiasticorum officiorum et maxime in diebus solemnibus avidus auditor; conjugalis integritatis, postquam duxit uxorem, sollicitus custos et servator; in cibo et potu sobrius, munificus et liberalis supra modum; sed parum providus, aleae et damnosis talorum ludis plus aequo insistens. Erat praeterea inter caeteros quos patiebatur defectus, animo praeceps, in agendis impetuosus, in ira modi nescius, rationis expers, parum felix; in ea fidelitate quam domino patriarchae promiserat juramenti immemor, et fidei interpositae prodigus.

 

CHAPITRE XXI.

Le seigneur Raimond, issu d'une famille depuis longtemps illustre, était d'une taille élevée et de la tournure la plus gracieuse et la plus élégante ; jeune encore, et les joues a peine recouvertes d'un léger duvet [28], plus beau que tous les rois et princes de la terre, il se recommandait par sa manière de parler et par son affabilité, et toutes ses manières faisaient de lui le prince le plus accompli. Dans le maniement des armes et dans la science de la chevalerie, il se montrait supérieur à tous ceux qui l'avaient précédé, comme à ceux qui lui succédèrent, dans la même principauté. Il recherchait les gens lettrés, quoique lui-même fût peu docte. Il suivait assidûment les offices de l'église, et particulièrement dans les jours de solennité. Après qu'il se fut marié, il se montra attentif et plein de sollicitude pour maintenir l'honneur de sa maison. Il était sobre pour les aliments et pour la boisson, magnifique et généreux à l'excès, mais en même temps peu prévoyant, et adonné plus qu'il n'eût été convenable au jeu des dés et à tous les autres jeux de hasard. Parmi les défauts qu'on pouvait encore lui reprocher, il avait l'esprit ardent ; il était impétueux dans faction ; dans la colère, il ne connaissait aucune borne; il avait peu de raison, et tout aussi peu de bonheur dans ses entreprises ; enfin, il oublia ses serments et la fidélité qu'il avait promise au seigneur patriarche, et se montra prodigue de sa parole.



 

CAPUT XXII. Ad comprimendam Ascalonitarum insolentiam rex castrum aedificat, cui nomen Gybelin, quod alio nonine Bersabee dicitur.

Porro Ascalonitae illis diebus insolentiores solito, et successibus facti animosiores, universam regionem liberis nimium discursibus percurrebant. Erat autem eadem civitas principi Aegyptiorum subjecta potentissimo, qui timens ne, ea subacta, Christianorum exercitus in Aegyptum irrumperent, et ejus turbarent quietem, omni sollicitudine et sumptibus infinitis dabat operam, ut eam quasi pro muro inter se et nostram haberet regionem; formidansque ne continuis laboribus et bellorum indeficientibus periculis, suorum virtus succumberet, singulis trium mensium spatiis, novos populos recentesque legiones in subsidium civium, cum victu necessario, et armorum copia sollicitus dirigebat. Hi autem qui de novo accedebant, volentes tirocinii sui vires experiri, et animositatis certa dare insignia, plerumque invitis veteranis, discursus et expeditiones, experimenti frequenter moliebantur gratia. Nostri vero videntes praesumptionem eorum non cessare, et vires indeficienter reparari, et morte civium, hydrae more, cives amplius et indesinenter suscipere incrementum; post multa consilia, optimum judicant, contra hanc hydram immanissimam, damno capitum factam locupletiorem, et toties attritam, graviter, in nostra pericula renascentem, municipia in circuitu per gyrum aedificari, unde collecta facilius militia, et de vicino commodius hostium discurrentium refrenari posset impetus, et civitas frequentius impugnari. Proviso igitur loco ad hoc idoneo, circa radices montium in campestrium initio, quae inter montes et urbem praedictam continuo interjecta sunt tractu, in ea parte Judeae quae tribui Simeon sorte exiit in funiculo distributionis, urbem veterem et dirutam, Bersabee nomine reaedificare parant. Convocato itaque universi regni populo, domino quoque patriarcha Guillelmo et magnatibus, opus conceptum aggrediuntur, et incoeptum bonis avibus, consummatum, auctore domino felicius praesidium aedificantes muro insuperabili, antemuralibus et vallo, turribus quoque munitissimum, milliaribus duodecim a praedicta distans Ascalona. Hic locus tempore filiorum Israel, terrae promissionis ab Austro, sicut et Dan, quae hodie dicitur Paneas, vel Caesarea Philippi a septentrione erat terminus, sicuti in Veteri Testamento saepius invenitur, a Dan usque Bersabee (Jud. XX, 1; II Reg. III, 10). Hic Abraham, sicut et alibi in plerisque locis, puteum dicitur fodisse, cui nomen ex aquarum copiis indidit, Abundantia. De his etiam et Josephus in libro Antiquitatum meminit dicens: Abimelech itaque et terram ei distribuit, et pecuniam, constitueruntque ut inter se sine dolo conversarentur, facientes ad quemdam puteum foedus quem Bersabeae vocant, quod foedus Putei dici potest; sic autem hactenus a comprovincialibus nominatur. Dicitur autem et Puteus septimus, Arabice autem Bethgebrim, quod interpretatur domus Gabrielis. Consummato igitur praesidio, et partibus omnibus absoluto, de communi consilio traditur fratribus domus Hospitalis quae est Hierosolymis, qui usque in praesens depositum debita custodierunt diligentia, factique sunt impetus hostium in ea parte debiliores.

 

CHAPITRE XXII.

Les Ascalonites étaient devenus à cette époque plus insolents que de coutume, et, encouragés par le succès, ils se répandaient librement dans toute la contrée, et l'infestaient de leurs incursions. La ville d'Ascalon était sujette du très-puissant prince d'Egypte. Ce prince, craignant, si cette ville était prise par les Chrétiens, que leurs armées ne vinssent à se précipiter sur l'Egypte et à troubler son repos, employait tous ses soins et faisait des dépenses considérables pour parvenir à en faire comme un mur de séparation entre notre pays et le sien. De peur que des travaux continuels et les périls sans cesse renaissants de la guerre n'épuisassent les forces et la valeur de ce peuple, il avait soin, tous les trois mois, d'envoyer de nouvelles forces et des troupes toutes fraîches pour prêter appui aux habitants, et de leur donner en même temps toutes les provisions de vivres et d'armes dont ils pouvaient avoir besoin. Ces nouveaux arrivants, toujours empressés, pour faire leur apprentissage, d'essayer leurs forces et de donner des preuves de leur valeur, entreprenaient des expéditions, presque toujours en dépit de leurs vétérans, et ces essais d'incursions recommençaient très-fréquemment. Les nôtres cependant, fatigués de ces entreprises si audacieusement réitérées, voyant reparaître des forces toujours nouvelles, qui, telles que l'hydre, et malgré les ravages de la mort, allaient augmentant de plus en plus les ressources de la ville, résolurent, après avoir tenu plusieurs conseils, d'attaquer cette hydre cruelle qui s'enrichissait incessamment de la perte de ses têtes, et qui, sans cesse abattue, renaissait sans cesse pour accroître les périls des Chrétiens. Ils formèrent donc le projet de construire des forts dans une certaine circonférence, afin de pouvoir plus facilement rassembler les chevaliers, et d'être mieux à portée de résister aux incursions des ennemis, ou d'aller attaquer, la ville même. Ils choisirent l'emplacement qui leur parut le plus convenable pour l'exécution de leurs projets, au pied des montagnes, et à l'entrée d'une plaine qui se prolonge sans interruption depuis ces montagnes jusqu'à la ville, dans cette partie de la Judée qui, lors de la distribution de ce pays, fut anciennement affectée à la tribu de Siméon, et ils entreprirent de relever la ville antique, et alors détruite, qui s'était appelée Bersabée. Tout le peuple du royaume fut convoqué ; le seigneur patriarche et les grands s'y rendirent aussi. L'ouvrage fut entrepris sous de bons auspices, et terminé heureusement avec l'aide du Seigneur. On construisit une forteresse entourée d'une muraille impossible à franchir, précédée de remparts et de fossés, et garnie de tours très-solides, à douze milles de distance de la ville d'Ascalon. Ce lieu, du temps des fils d'Israël, marquait les limites de la terre de promission vers le midi, comme elles étaient indiquées au nord par la ville de Dan, maintenant appelée Panéade ou Césarée de Philippe, ainsi qu'on le trouve souvent indiqué dans l’Ancien Testament par ces mots : « Depuis Dan jusqu'à Bersabée ». Abraham, dit-on, creusa un puits en ce lieu, comme sur beaucoup d'autres points, et le nomma l’Abondance, à cause de la quantité d'eau qu'il y trouva. Josèphe en a fait aussi mention dans son livre des antiquités : « Abimélec, dit-il, lui donna de la terre et de l'argent ; ils convinrent entre eux de vivre en bonne intelligence et sans fraude, et conclurent ensemble un traité auprès du puits dit de Bersabée. Cette convention peut être appelée le traité du puits ; et en effet aujourd'hui encore les gens du pays la désignent sous ce nom ». On l'appelle aussi le septième puits. Les Arabes l'ont nommée Bethgebrim, ce qui veut dire Maison de Gabriel. Après avoir terminé leur construction, et mis la dernière main à tous les travaux, les Chrétiens, d'un commun accord, confièrent cette forteresse aux frères de la maison de l'Hôpital, située à Jérusalem. Ils ont jusqu'à ce jour gardé fidèlement ce dépôt ; et les attaques des ennemis sont devenues en effet, de ce côté, moins fréquentes qu'auparavant.

CAPUT XXIII. Comes Tripolitanus proditione quorumdam ex suis juxta Montem peregrinum occiditur; successit ei filius Raimundus; necem paternam ulciscitur.

Post haec non multo temporis intervallo, dominus Pontius comes Tripolitanus, Bezeuge Damascenorum principe militiae in fines Tripolitanos ingresso, sub castro quod Mons peregrinus dicitur, hostibus cum omni suorum manu viriliter occurrens, dissolutis agminibus suis, et in fugam versis, captus est; et prodentibus eum Surianis, qui in Libanicis super eamdem civitatem habitant jugis, occisus est, Raimundo filio haerede relicto et in eodem comitatu successore. Captus est ibidem nihilominus dominus Giraldus, ejusdem civitatis episcopus; sed postquam apud hostes aliquandiu ignotus detentus est, dato pro se captivo uno, qui apud nostros detinebatur in vinculis, libertati pristinae restitutus est. Cecidit in eodem praelio nobilium praedictae urbis, sed et mediae manus hominum maxima multitudo. Raimundus autem patre defuncto, collectis de residuo militiae auxiliis et pedestrium manu valida congregata, subito Libanum in virtute magna conscendens, omnes illos viros sanguinum, qui praedictum potentem virum in agrum Tripolitanum, suis persuasionibus induxerant, et quos paternae necis et publicae stragis reos esse deprehendere potuit, cum uxoribus et liberis, vinculis mancipatos Tripolim deduxit; ubi in praesentia populi, in ultionem sanguinis eorum qui in acie ceciderant, eos variis affecit suppliciis, et durissima mortis genera, tamen pro immanitate commissi sceleris debita, compulit experiri. Haec prima virtutis suae rudimenta praedictus adolescens comes, omnium in se provocans affectum et favorem concilians, dedit.

 

CHAPITRE XXIII.

Peu de temps après, Bezeuge, chef des chevaliers de Damas, entra sur le territoire de Tripoli avec ses troupes. Le seigneur Pons, comte de Tripoli, marcha aussitôt sur lui avec les siennes ; il le rencontra sous le château fort appelé le Mont-des-Pélerins, et l'attaqua vigoureusement ; mais ses troupes furent mises en déroute et prirent la fuite, et lui-même tomba entre les mains des ennemis. Les Syriens qui habitaient sur les hauteurs du Liban, au dessus de la même ville, le firent reconnaître, et il fut mis à mort, laissant un fils unique, Raimond, qui fut son héritier et lui succéda dans le même comté. Le seigneur Gérard, évêque de Tripoli, fut aussi fait prisonnier dans cette affaire. Il demeura quelque temps inconnu et captif chez les infidèles ; mais enfin il parvint à recouvrir la liberté, en faisant rendre un prisonnier qui était retenu dans les fers par les Chrétiens. On perdit dans le même combat un grand nombre d'hommes nobles de la ville de Tripoli, et un bien plus grand nombre de gens de la classe moyenne. Raimond, après la mort de son père, rallia tous les débris des troupes, forma une forte escorte de gens de pied, monta aussitôt et avec beaucoup de courage sur le Liban, et alla attaquer ces hommes de sang qui avaient attiré l'illustre et puissant comte dans la plaine de Tripoli, et auxquels il pouvait imputer à. juste titre la mort de son père et le massacre de tant de Chrétiens. Tous ceux qu'il put saisir furent chargés de fers, ainsi que les femmes et les enfants, et envoyés à Tripoli. Là, et en présence de tout le peuple, ils subirent divers supplices et les genres de mort les plus cruels, en expiation du sang répandu dans la plaine, et en juste punition de leurs énormes crimes. Le jeune comte se concilia, par ce premier essai de son courage, l'affection de tous ses sujets, et devint l'objet de la bienveillance publique.



 

 CAPUT XXIV. Joannes imperator Constantinopolitanus, versus Antiochiam properans, Ciliciam occupat universam.

Nuntiatur interea, et multorum relatione divulgatur, quod dominus Joannes, Constantinopolitanus imperator, domini Alexii filius, convocatis de universi imperii finibus, populis, tribubus et linguis, in multitudine curruum et quadrigarum, et inauditis copiis equitum congregatis, in Syriam descendere maturabat; nec erat sermo fide vacuus. Statim enim ex quo fama comperit certiore quod Raimundo vocato cives ei Antiochiam tradidissent, et domini Boamundi filiam ei contulissent uxorem, disposuerat Antiochiam venire, multum indignans quod absque ejus conscientia et mandato, aut domini sui filiam nuptui collocare praesumpserant; aut civitatem alterius ditioni, eo inconsulto, ausi fuerant mancipare. Eam enim cum universis adjacentibus provinciis ad sui jurisdictionem revocans, sibi vindicare contendebat; asserens magnos illos principes, viros virtutum, et immortalis memoriae, et a Domino missos, qui in prima venerunt expeditione, quos longum nimis esset enumerare per singulos, cum patre suo et imperio antecessore domino Alexio convenisse, multa munerum et obsequiorum interventione, quod quascunque urbes vel castella in tota illa profectione quocunque casu comprehenderent, ejus sine contradictione subjicerent imperio, et mancipatas pro posse et viribus quousque ipse cum suis adesset copiis, fideliter conservarent. Et hoc allegabat gestis insertum et praedictorum principum juramentis corporaliter praestitis confirmatum. Certum est autem praedictos principes cum domino imperatore pacta iniisse; ipsumque versa vice conditionibus quibusdam se principibus obligasse, a quibus ipsum prius certum est defecisse: unde ei tanquam pactorum violatori se non teneri constanter asserebant, qui praedictis conditionibus interfuerant; eosque qui jam vita decesserant, nihilominus reddebant excusatos, dicentes eum prius tanquam varium et inconstantem hominem, et cum eis fraudulenter versatum, adversus sua pacta venisse. Unde et merito lege pactorum se dicebant absolutos: Iniquum est enim ei fidem servari, qui contra pacta nititur versari.

Facto igitur per annum continuum, missis procuratoribus per universum regnum, ad iter apparatu pro imperiali magnificentia necessario, in curribus et equis, thesauris numerum et pondus et mensuram nescientibus, et copiis infinitis, superato navigiis Hellesponto, qui vulgari appellatione dicitur brachium Sancti Georgii, viam versus Antiochiam dirigit, in multitudine gravi. Transcursis igitur mediis provinciis in Ciliciam pervenit, ubi moram faciens, Tarsum primae Ciliciae metropolim egregiam obsidens, occupavit eam violenter; et ejectis ex ea domini principis Antiocheni fidelibus, quorum fidei urbem praedictam commiserat, suos induxit. Ipsum autem et de Adama, et Mamistra et Anavarza secundae Ciliciae metropoli celeberrima, et cunctis ejusdem provinciae civitatibus, et municipiis et oppidis quibuslibet, facere non distulit. Sicque universam Ciliciam per annos quadraginta, a principe Antiocheno sine calumnia possessam, ex quo praedicta Tarsus, per manum domini Balduini, fratris domini ducis; Mamistra vero cum omni reliqua regione, per manum domini Tancredi viri clarissimi, antequam Antiochia in nostram devenisset potestatem, Christianae libertati restitutae sunt, suo contra jus et pium vindicans imperio: inde etiam cum universis exercitibus suis in multitudine virtutis suae progrediens, Antiochiam accelerat; ad eamque perveniens, statim more hostili circumvallat obsidione. Ordinatis itaque per gyrum machinis et ingentibus tormentis congruis stationibus collocatis, urbem coepit vehementius arctare.

 

CHAPITRE XXIV.

[1137] Cependant on apprit par de nombreux rapports que le seigneur Jean, empereur de Constantinople [29], fils du seigneur Alexis, avait convoqué de toutes les parties de son empire des peuples appartenant à des tribus et parlant des langues diverses, qu'il s'avançait suivi d'une immense quantité de chars et de chariots, et d'un nombre infini d'escadrons de cavalerie, et dirigeait sa marche par la Syrie[ 30] : ces bruits n'étaient pas dénués de fondement. Aussitôt qu'il eut appris d'une manière certaine que les habitants d'Antioche avaient appelé auprès d'eux le jeune Raimond, et lui avaient livré leur ville, et donné en mariage la fille du seigneur Bohémond, l'empereur résolut de se rendre à Antioche, indigné que les habitants eussent osé, sans son consentement et son ordre, disposer de la fille de leur seigneur, ou qu'ils eussent entrepris, sans le consulter, démettre leur ville au pouvoir d'un étranger. Voulant donc la faire rentrer sous sa juridiction ainsi que les provinces adjacentes, il forma le projet de la revendiquer. Il disait, à l'appui de ses prétentions, que les princes (dont il serait trop long de reproduire tous les noms), illustrés par tant de vertus et dignes de vivre à jamais dans la mémoire des hommes, qui, marchant sous la conduite de Dieu, avaient dirigé vers l'Orient les premières expéditions chrétiennes, étaient convenus avec son père et son prédécesseur à l'Empire, le seigneur Alexis, en échange des riches présents et des bons offices qu'ils en avaient reçus, que toutes les villes et tous les châteaux forts dont ils pourraient se rendre maîtres dans le cours de leur voyage, de quelque manière que ce fût, deviendraient, sans aucune contestation, sujets de l'Empire, et qu'après s'en être emparés, les princes emploieraient toutes leurs forces et leurs ressources pour les conserver fidèlement à l'empereur, jusqu'au moment où celui-ci pourrait en prendre possession avec ses propres troupes. Il ajoutait que ces choses avaient été insérées dans les actes, et que les princes les avaient confirmées, en outre, en s'engageant par serment et par corps envers l'empereur. Il est certain, en effet, que les princes chrétiens avaient conclu des traités avec l'empereur de Constantinople, et que ce souverain, de son côté, avait contracté envers eux des engagements qu'il avait méconnus le premier. En conséquence, ceux des princes qui avaient pris part a ce traité déclaraient constamment qu'ils ne pouvaient être tenus à l'exécuter envers celui qui avait violé ses promesses, et que ceux de leurs compagnons qui n'existaient plus avaient été aussi suffisamment affranchis, puisque, dès avant leur mort, l'empereur, agissant en homme inconstant et léger, avait également donné des preuves de sa mauvaise foi à leur égard, en contrevenant à tous ses engagements. Ils disaient donc, et avec justice, qu'ils se regardaient comme entièrement affranchis de l'obligation d'exécuter le traité, car il est injuste de conserver sa foi envers celui qui n'a cessé d'agir contre la teneur de ses promesses.

Depuis un an l'empereur avait envoyé des délégués dans toutes les parties de ses États pour faire faire les préparatifs de son voyage avec une magnificence vraiment impériale ; traînant à sa suite des chars et des chevaux, des trésors qu'il eût été impossible de compter, de peser ou de mesurer, et des troupes en nombre infini, il s'embarqua sur l'Hellespont, traversa la portion de cette mer vulgairement appelée le bras de Saint-George, et dirigea sa marche vers Antioche au milieu d'une immense multitude. Après avoir traversé les provinces intermédiaires il arriva en Cilicie et s'y arrêta pour mettre le siège devant Tarse, belle métropole de la première Cilicie. Il s'en empara de vive force, et, en ayant expulsé les fidèles du prince d'Antioche à qui celui-ci en avait confié la garde, il y établit les siens. En peu de temps il s'empara de la même manière d'Adana, de Mamistra, d'Anavarse, celle-ci célèbre métropole de la seconde Cilicie, et prit aussi possession des autres villes, places et bourgs de la même province. Il réunit ainsi à son Empire, contre toute justice et tout droit, l'entière province de Cilicie qui, pendant quarante années, avait appartenu sans contestation au prince d'Antioche, depuis que la ville de Tarse avait recouvré le libre exercice du christianisme par les mains du seigneur Baudouin, frère du duc Godefroi, depuis que l'illustre Tancrède avait conquis Mamistra et tout le reste de la contrée, et avant même que nos armées eussent pris possession d'Antioche. De là l'empereur, s'avançant à la tête de toutes ses armées et dans le sentiment de sa force, poursuivit sa marche vers Antioche ; dès qu'il y fut arrivé, il l'attaqua en ennemi et traça ses lignes de circonvallation; d'immenses machines de toute espèce furent disposées autour de la place et établies sur les points les plus convenables, et la ville se trouva bientôt vivement serrée de toutes parts.



 

CAPUT XXV. Sanguinus castrum cui nomen Montferantus, obsidet; rex cum comite Tripolitano obsidionem quaerit solvere, sed deficiunt; et victi. comes capitur, rex in castrum se recepit.

Dum haec circa Antiochiam aguntur, Sanguinus vir sceleratissimus, et Christiani nominis immanissimus persecutor, videns comitem Tripolitanum cum multa suorum manu paulo ante corruisse, regionem quoque universam militaribus destitutam auxiliis, in finibus Tripolitanis supra civitatem Raphaniam, in monte situm praesidium, cui nomen Mons-Ferrandus, de quo etiam superius praemisimus, potenter obsidet; et oppidanos intus obsessos acriter impugnat, urget indesinenter et multa molestat instantia. Hoc audiens comes Tripolitanus Raimundus, adolescens, Pontii praedefuncti filius, domini regis ex sorore nepos, missis sub omni celeritate nuntiis, dominum regem profusis anxie precibus rogat, ut in tanta necessitate, rebus pene desperatis non moretur subvenire, sed opem laturus acceleret. Dominus itaque rex paterno more pro universis Christiani populi necessitatibus debitam gerens sollicitudinem, convocatis subito universis regni principibus et militaribus tam equitum quam peditum auxiliis conglobatis, impiger advolat, et Tripolitanis se ex improviso exhibet finibus. Occurrunt ibidem nihilominus et domini principis Antiocheni, sinistra deferentes, nuntii, scriptis et viva voce asserentes, quod et verum erat, dominum imperatorem Antiochiam obsedisse; monentes et multa rogantes instantia, quatenus illuc cum omnibus copiis descendat, et fratribus in gravi anxietate positis, mature subveniat.

Habita itaque deliberatione, quid in tam ancipiti facto fieri oporteret; placuit universis, ut prius Christianis in vicino castro vallatis, ministretur auxilium, quod satis leve videbatur; dehinc omnes unanimiter Antiochenis subventuri, progrediantur. Conjunctis igitur adinvicem, tam domini regis quam comitis viribus, et robore collato, hostibus obviam, gratia destituti divina, progredi nituntur. Ubi ad locum coeperunt appropiare destinatum, Sanguinus audiens nostrorum adventum, obsidionem solvens, ordinatis agminibus, eis occurrit. Nostri quoque instructis aciebus et juxta militarem disciplinam dispositis, nihilo segnius unanimiter procedentes, versus oppidum, obsessis opem laturi, contendunt; et ut municipium alimentis vacuum, comportatis repleant necessariis. Qui autem duces erant itineris, nostrum praecedentes exercitum, errore an malitia dubium est, commodiorem et planam a laeva declinantes viam, montis ardua secuti, per loca invia et angusta nimis nostras inducunt acies, ubi Martiis congressibus locus non erat idoneus, nec habilis ad resistendum, neque ad impugnandum opportunus. Quod videns Sanguinus, sicut erat vir sagacissimus, et rei militaris multam habens experientiam, videns meliorem se habere calculum, animo fervens, suos convocans, et inter millia suorum primus, verbo suos erigens, provocans exemplo, in medias nostrorum irruit acies; et viriliter dimicans, ad nostrorum stragem animat, et agmina nostra prima in fugam conversa prosternit. Videntes autem nostri majores exercitus, primas acies defecisse, et in nullo resistendi spem habere, seque in angusto positos, subveniendi afflictis copiam non habere, monent dominum regem ut saluti consulens, in vicinum se conferat praesidium. Quod videns dominus rex esse pro tempore expedientius, in praesidium se cum paucis recipit, pedestribus copiis pene omnibus, aut neci traditis aut in vincula conjectis. Captus est ibi egregiae indolis adolescens comes Tripolitanus, et de equestri ordine cum eo capti sunt nonnulli. Pars autem dominum regem secuta, in municipium ingressi, vitae consuluerunt quocunque modo, et saluti. Amiserunt ergo illa die impedimentorum universam multitudinem, equos et ad sarcinas deputata animalia, quibus praedictum oppidum instaurare fuerat propositum. Nam qui in castrum fugientes ingressi sunt, vacui, et sola secum arma, quibus muniti erant, habentes, nihil victus intulerant. Cecidit illa die inter caeteros vir magnificus, nobilitate et armorum usu insignis Gaufridus Charpalu, domini Joscelini senioris Edessani comitis frater, cujus interitus tanquam strenui viri, multis exstitit doloris causa amplioris, et universum concussit exercitum casus ejus lugubris.

 

CHAPITRE XXV.

Tandis que ces événements se passaient dans la principauté, le scélérat Sanguin, le plus cruel persécuteur du nom du Christ, ayant appris la mort du comte de Tripoli et la détention d'une grande partie des siens, et sachant que tout son pays était dégarni de troupes, entra sur ce territoire et alla mettre le siège devant la citadelle appelée Mont-Ferrand, dont j'ai déjà eu occasion de parler, et qui est située sur le sommet d'une montagne au dessus de la ville de Raphanie. Il attaqua les habitants de cette place avec la plus grande vigueur, les pressa vivement et poussa ses opérations sans leur laisser un seul moment de repos. Cependant le jeune Raimond, comte de Tripoli, fils du comte Pons, mort peu de temps auparavant, et neveu du roi de Jérusalem par sa mère, expédia des exprès en toute hâte pour rendre compte au roi de sa position et le supplier avec les plus vives instances de lui être favorable dans une situation presque désespérée, et de ne mettre aucun retard pour venir à son secours. Le roi, dont le cœur paternel était rempli d'une juste sollicitude pour tous les maux du peuple chrétien, convoqua aussitôt tous les princes du royaume, rassembla toutes ses troupes, chevaliers et gens de pied, avec la plus grande activité, et parut à l'improviste sur le territoire de Tripoli. Il y rencontra en même temps les députés du prince d'Antioche venant lui apporter de mauvaises nouvelles et lui annonçant de vive voix, et par les lettres dont ils étaient chargés, que l'empereur (ce qui n'était que trop vrai) avait mis le siège devant Antioche. Ils lui demandèrent aussi et le supplièrent vivement de se diriger vers cette ville avec toutes ses troupes et de voler au secours de ses frères pour les délivrer de leurs affreuses anxiétés.

Le roi mit en délibération ce qu'il avait à faire dans cette double nécessité. On résolut, d'un commun accord, de dégager d'abord les Chrétiens assiégés dans la forteresse de Mont-Ferrand, dans l'espoir qu'il serait facile d'y réussir et de rassembler ensuite toutes les forces pour les porter au secours d'Antioche. En conséquence le roi et le comte de Tripoli réunirent toutes leurs troupes et firent leurs efforts pour joindre les ennemis ; mais ils marchèrent dénués de la protection de la grâce divine. Lorsqu'ils se furent rapprochés du lieu de leur destination, Sanguin, ayant appris leur prochaine arrivée, leva le siège de la citadelle, disposa son armée en ordre de bataille et marcha à la rencontre des Chrétiens. Ceux-ci, de leur côté, s'étant formés selon toutes les règles de l’art militaire, et s'avançant avec ardeur en un seul corps, dirigèrent leur marche vers la place dans l'intention de porter secours aux assiégés et d'approvisionner la citadelle entièrement dépourvue de vivres, en y faisant entrer les denrées qu'ils traînaient à leur suite. Les guides qui dirigeaient l'armée et marchaient en avant laissèrent sur la gauche, soit par erreur, soit par méchanceté, une route plus facile et plus plate pour entrer dans les montagnes et conduire les troupes à travers des chemins étroits et presque impraticables, dans un pays où l'on ne trouvait nulle position avantageuse pour combattre, et où il était également, impossible de se défendre ou d'attaquer avec quelque chance de succès. Sanguin, qui avait une grande sagacité et beaucoup d'expérience de la guerre, n'eut pas plutôt appris la marche des Chrétiens, qu'il reconnut tout l'avantage qu'il en pourrait tirer : il convoque sur-le-champ tous les siens, marche le premier à la tête de plusieurs milliers de combattants, les encourage par ses paroles, par son exemple et se précipite au milieu des bataillons chrétiens. Il attaque avec la plus grande vigueur et excite ses troupes au carnage ; bientôt les rangs des Chrétiens sont rompus, ils prennent la fuite et tombent déboutes parts. Cependant les principaux chefs de notre armée, voyant les premiers rangs enfoncés, désespérant de pouvoir résister avec succès, se trouvant eux-mêmes étroitement serrés et dans l'impossibilité de secourir leurs frères, avertissent le roi de songer à sa propre sûreté et l'engagent à se retirer dans la forteresse voisine. Le roi, voyant que c'était en de telles circonstances le seul parti qui lui restât à prendre, se dirigea vers la forteresse et y entra avec un petit nombre des siens, tandis que presque tous les hommes de pied périssaient sous le fer de l'ennemi ou se rendaient prisonniers. Le comte de Tripoli, jeune homme de belle espérance, et avec lui quelques chevaliers tombèrent entre les mains des infidèles. Ceux qui avaient suivi le roi entrèrent avec lui dans le fort et parvinrent du moins à sauver leur vie. On perdit en cette journée une immense quantité de bagages avec tous les chevaux et tous les animaux chargés du transport des approvisionnements que l'on avait eu le projet de faire entrer dans la citadelle. Ceux qui vinrent s'y réfugier, après avoir quitté le champ de bataille, n'y apportèrent que leur personne et les armes qu'ils avaient sur eux. Parmi ceux qui succombèrent dans cette journée on distingua Geoffroi Charpalu, frère du premier Josselin, comte d'Edesse, homme illustre par sa noblesse autant que par ses talents militaires : la mort d'un si vaillant guerrier fut un sujet de douleur pour un grand nombre de ses frères d'armes, et l'armée entière fut émue en apprenant une perte si déplorable.

CAPUT XXVI. Sanguinus iterum castrum obsidet; obsessi finitimos ad subsidium undique evocant.

Sanguinus interea videns nostros nihil prorsus alimentorum intulisse in castrum, se eorum copias habere universas, et omnes regni vires attrivisse, comitem quoque se habere in vinculis, regem etiam in castro semiruto et alimentis vacuo, cum regni majoribus inclusum; apposuit iterum municipium obsidione claudere; sperans non esse qui possit obsessis subsidium ministrare; idque praesidium infra paucos dies non dubitans se posse evincere. Convocatis igitur in unum cuneis, redeunt nostrorum spoliis onusti, ampliorem praedam prae collectorum multitudine fastidientes; et castrum ordinatis in gyrum legionibus, obsidione vallat urgentissima. Porro intus cum domino rege se contulerant, de regni proceribus, Willelmus de Buris constabularius, Rainerus Brus miles insignis, Guido Brisebare, Balduinus de Ramis, Hemfredus de Torono, tyro et nimium adolescens; et alii plures, cum quibus rex habens consilium, deliberat quid in tanta, tamque angusta et urgente necessitate fieri oporteat. Decernunt ergo pariter, ut principem Antiochenum et Edessanum comitem Joscelinum juniorem in suum sollicitent subsidium; dominumque Hierosolymorum patriarcham cum universis regni populis invitent; et interim eorum quocunque modo praestolentur adventum.

Per idem tempus, dum haec circa Montem Ferrandum aguntur, Rainaldus, qui cognominatus est Episcopus, nepos domini Rogerii episcopi Liddensis, militiae Sancti Georgii primicerius, miles in armis strenuus et actibus militaribus insignis, dum Ascalonitas more solito, sed incaute prosequitur, in praetentas casu decidens hostium insidias, captus est. Interea non cessant nuntii, sed sub omni celeritate properant.

Hic dominum principem debita stimulat instantia; et regis et suorum necessitates edocens, moras arguit, festinare monet attentius: ille dominum Edessanum comitem continuus incendit hortatibus. Tertius Hierosolymam festinus accelerat, et populum commovet universum. Verum princeps Antiochenus dubius quid faciat, haeret aliquantulum; nam pro foribus habens imperatorem, urbi timet, si tentet abscedere: iterum domino regi in tanta necessitate posito, durum nimis et inhumanum reputat non subvenire. Tandem domini regis et Christiani populi molestiis et anxietatibus compatiens, civitatem suam Domino committens, satius judicat cum fratribus quantumlibet adversa sustinere, quam eis sic deficientibus, abundare prosperis, et qualibet tranquillitate gaudere. Convocat igitur proceres, et populi majores; revelataque cunctis propria conscientia, invitat omnes ad regis subsidium, et facile persuadet. Sponte enim in eadem Deo gratissima concurrunt omnes desideria; et subito paratos se offerentes, ab urbe egressi, dominum imperatorem circa eamdem civitatem relinquentes, unanimiter ad domini regis subsidium proficiscuntur. Comes quoque Edessanus, cum universis viribus suis pari voto accingitur, et ad idem opus mira festinat celeritate. Dominus quoque Hierosolymorum patriarcha Willelmus, collectis universis copiis, quas in regno potuit invenire, assumpto sibi Dominicae crucis venerabili ligno, illuc impiger accelerat; et undique suffragia corrogans, in eorum subsidium mature contendit.

 

CHAPITRE XXVI.

Sanguin cependant s'empara de tous les approvisionnements des Chrétiens et fut instruit que ceux qui s'étaient réfugiés dans la citadelle n'y avaient rien apporté. Les forces du royaume étaient détruites ; Sanguin avait pris le comte de Tripoli ; il voyait le roi renfermé avec ses principaux seigneurs dans un fort à demi ruiné et entièrement dépourvu de vivres ; en conséquence il résolut d'aller l'attaquer de nouveau, espérant bien que les assiégés ne pourraient recevoir aucun secours et ne doutant pas qu'ils ne fussent obligés de se rendre au bout de quelques jours. Il rassembla donc toutes ses troupes ; elles se remirent en marche chargées des dépouilles des Chrétiens et dédaignant même d'emporter tout leur butin, et revinrent de nouveau dresser leur camp autour de la citadelle et presser vivement les travaux du siège. Le roi s'était renfermé dans la place avec quelques-uns des principaux seigneurs du royaume, Guillaume de Bures, connétable, Reinier Brus, illustre chevalier, Gui de Brisebarre, Baudouin de Ramla, Honfroi de Toron, jeune encore, et qui débutait dans la carrière des armes, et plusieurs autres : il tint conseil avec eux tous et mit en délibération ce qu'il y avait à faire dans des circonstances aussi urgentes que difficiles. Ils résolurent, d'un commun accord, d'appeler à leur secours le prince d'Antioche, le comte d'Edesse, Josselin le jeune, d'inviter aussi le seigneur patriarche de Jérusalem à accourir avec tout le peuple du royaume, et d'attendre leur arrivée en se défendant de toutes les manières possibles.

Tandis que ces choses se passaient dans les environs de Mont-Ferrand, Renaud, que l'on avait surnommé l'Évêque, neveu de Roger, évêque de Lydda et chef des chevaliers de Saint-George, homme vaillant à la guerre et illustré par de nombreux exploits, s'étant mis, selon sa coutume, à la poursuite des gens d'Ascalon, et s'abandonnant imprudemment à son ardeur, tomba dans une embuscade qui lui avait été préparée, et fut fait prisonnier.

Cependant les exprès suivaient leur marche et se rendaient en toute hâte aux lieux de leur destination. L'un allait solliciter le prince d'Antioche, lui apprenait les malheurs du roi et des seigneurs de sa suite et le pressait vivement de ne mettre aucun retard à voler à son secours. Un autre portait les mêmes avis au comte d'Edesse et cherchait à l'animer d'une égale ardeur. Un troisième se rendait en hâte à Jérusalem et soulevait tout le peuple par ses récits. Le prince d'Antioche hésitait encore et ne savait comment se décider : l'empereur était sous les murs de la place et le prince craignait en sortant de la ville de lui faciliter les moyens de s'en emparer. D'un autre côté cependant le roi se trouvait dans une telle situation qu'il semblait dur et inhumain de ne pas le secourir. A la fin, rempli de compassion pour les souffrances et les maux du roi et du peuple chrétien, et mettant sa confiance dans le Seigneur pour la sûreté de la capitale, le prince résolut de s'associer aux malheurs de ses frères, plutôt que de vivre dans l'abondance et de se réjouir dans sa prospérité et son repos, tandis que les autres étaient complètement dénués de ressources. Il convoqua donc les grands et les principaux citoyens, leur exposa ses sentiments et ses intentions, les invita à s'unir à lui pour voler au secours du roi, et n'eut aucune peine à les persuader. Tous lui exprimèrent spontanément des vœux qui furent agréables au ciel et se préparèrent immédiatement à partir. Ils sortirent de la ville, laissant l'empereur sous les murailles et se mirent en marche pour aller travailler à la délivrance du roi. Le comte d'Edesse s'engagea aussi par les mêmes vœux et sortit de son territoire avec toutes les forces dont il disposait, faisant toute la diligence possible. Enfin le seigneur Guillaume, patriarche de Jérusalem, rassembla également dans le royaume toutes les troupes qu'il y put trouver, et, prenant en ses mains le vénérable bois de la croix du Seigneur, il se mit en route avec une extrême activité, cherchant de tous côtés des renforts et poursuivant vivement son entreprise.

CAPUT XXVII. Bezeuge Damascenorum procurator, Neapolim incendit et depopulatur.

His ita circa dominum regem se habentibus, Bezeuge regni Damascenorum procurator et princeps militiae de quo etiam superius fecimus mentionem, audiens regnum solito robore vacuum, regem in extremis regionibus obsidione clausum, principes et universum populum circa ejus liberationem sollicitum, ad illas partes unanimiter convolare; ratus ex tempore nocendi occasionem invenisse optatam, cum multa militia in regnum ingreditur; et Neapolim civitatem immunitam, muro et antemuralibus, et etiam vallo carentem, aggreditur ex improviso; et subito irruens, tanquam fur in nocte, in cives incautos gladiis, et toto desaevit spiritu, aetati non parcens, aut sexui; tandem serius admoniti, qui inventi sunt residui, in praesidium quod in medio civitatis est, cum uxoribus et liberis, se cum multo labore recipientes, vix a caede et incendiis elapsi sunt. Ille autem, nemine prohibente, discursibus liberis universam urbem obambulans, incendiis cuncta subjiciens, praedam et manubias, et quaecunque desiderabilia in urbe depopulatus, indemnis recessit.

 

XXVII.

Pendant que l'on s'occupait ainsi des intérêts du roi, le gouverneur de Damas, Bezeuge, chef des chevaliers de ce pays, dont j'ai déjà parlé, fut informé que notre royaume était dégarni de toutes ses forces, que le roi était lui-même enfermé et assiégé dans une place située à l'extrémité des États chrétiens, et que les princes et tout le peuple, empressés d'assurer sa délivrance, se hâtaient, d'un commun accord, de se rendre vers les mêmes lieux : saisissant aussitôt cette nouvelle occasion de faire du mal, il entra dans le royaume à la tête d'une nombreuse troupe, et alla attaquer à l'improviste la ville de Naplouse, place entièrement dénuée de fortifications et qui n'avait ni murailles, ni remparts, ni même de fossés. Il y entra subitement, comme un voleur au milieu de la nuit, et, surprenant les habitants sans défense, il assouvit sur eux sa fureur, sans aucun égard pour l'âge ni le sexe. Ceux qui échappèrent au premier moment du carnage, avertis enfin par le désastre, se retirèrent, non sans difficulté, dans la citadelle située au milieu de la ville et y firent entrer leurs femmes et leurs enfants, les arrachant avec peine à la mort et au fléau de l'incendie. L'ennemi cependant se répandit sans obstacle dans les quartiers de la ville, mettant le feu partout, enlevant tout ce qui pouvait lui convenir, et il se retira enfin chargé de butin et sans avoir essuyé aucun dommage.



 

CAPUT XXVIII. Festinatur ad regis subsidium; sed obsessis majores interim inferuntur molestiae.

Sanguinus interea obsessos continuis urgens molestiis, moenia tormentis quatiens, machinis molares et saxa ingentia jaculatoriis in medium contorquens praesidium, domos prosternit interius, non sine multa inclusorum formidine; tantis enim eos cautes violenter immissi, contorta omnimodorum telorum genera, opprimebant angustiis, ut jam intra muros nullus tutus ad occultandos saucios et debiles inveniretur locus. Ubique periculum, ubique discrimen, et mortis imago tremendae eorum se ingerebat oculis; et mentibus non deerat repentini timor interitus, et casuum praesentia sinistrorum. Ad hoc vir saevissimus, assultus ingeminat, et destinatis per vices agminibus, successionis quodam ordine vires reparat; et prioribus defatigatis, recentes subrogat, ut continuatum potius quam renovatum videretur praeliorum negotium. Nostri vero, non habentes ad hanc vicissitudinis recreationem  inducendam sufficientes copias, ipsi primos, ipsi novissimos continuatis laboribus sustinent impetus. Diminuebatur praeterea eorum diebus singulis numerus, aliis vulnerum acerbitate. aliis aegritudinum varietate decumbentibus; omnibus autem unus idemque defectus, et tolerandae perpetis molestiae par impotentia. Noctes enim, excubiis deputati trahebant insomnes; diebus vero, continuis congressionibus fatigati, nullas percipiendae quietis ad restaurandam corporum exinanitionem, hostes ferias indulgebant. Accedebat et ad malorum cumulum, quod nec ingredientes alimentorum aliquid intulerant; nec in castro, ex priore obsessione, erat aliquod victus residuum; nam quod ipsi inferre decreverant, in manus hostium cum omni pervenerat integritate. Unde statim post ingressum, suos, nil aliud habentes, equos comederant, quibus deficientibus, omnis omnino defecerat alimonia. Attenuabantur itaque prae jejunio, etiam fortium et robustorum corpora; et inducta per inediam macies, strenuis etiam vires furabatur. Tanta praeterea erat inclusorum multitudo, ut nec ciborum sufficerent copiae ad hoc, ut unusquisque modicum quid acciperet: ita sane obsessorum multitudine universa municipii referta erant diversoria, ut vicus et plateae jacentium frequentia, quasi juncis strata viderentur; emissa quoque incaute jacula, casu et sine studio dirigentis lethalia inferebant vulnera. Haec omnia Sanguinus noverat plenius, eoque protervius suos ad instandum impellebat, quod nostros haec molestius pati posse non dubitabat. Ad haec et circa oppidum tam frequentes hostium erant dispositae cohortes, et tanta diligentia omnes observabant aditus, ut nec ad nos accedere quispiam, nec de nostris egredi aliquis, quasi rem desperatam attentaret. Augebatur obsessis in dies molestia singulos, et victu penitus deficiente, nullum erat spei residuum; et rebus ipsis edocebantur, quam violentum sit famis imperium, et quam vere dictum sit illud: Asserit urbes sola fames. (LUCAN. III, 56.)

Id tamen pereuntem quocunque modo adhuc fovebat populum, quod principis et comitis Edessani, necnon et Hierosolymorum praestolabatur subsidium; et, quia animo cupienti nihil satis
 

XXVIII.

Sanguin ne cessait cependant de presser les assiégés de ses vives attaques : des instruments de guerre ébranlaient les murailles, ses machines lançaient au milieu du fort des blocs de pierres et des rochers énormes, et écrasaient les maisons dans leur chute, non sans répandre une grande terreur parmi ceux qui y étaient enfermés. Cette grêle continuelle de pierres et de traits de toute espèce était à la fois si importune et si dangereuse qu'on ne trouvait plus dans l'enceinte des murailles un seul emplacement où l'on pût cacher en sûreté les hommes blessés et les infirmes. De tous côtés on ne voyait que sujets de crainte et de péril, on ne rencontrait que la redoutable image de la mort, et tous les esprits étaient continuellement frappés ou de la crainte d'un danger prochain ou de la présence même des événements les plus sinistres. Le chef cruel des assiégeants recommençait sans cesse les assauts ; il distribuait ses troupes, et leur assignait un ordre de service, par lequel il ménageait les forces de ses soldats ; ceux qui étaient fatigués se retiraient pour faire place à d'autres, et par ce moyen il semblait que les combats se succédassent sans interruption, au lieu de recommencer à de certains intervalles. Les assiégés cependant n'avaient pas assez de forces pour adopter de semblables manœuvres, et les mêmes hommes étaient occupés sans relâche à repousser les premières aussi bien que les secondes attaques. De jour en jour aussi leurs forces se réduisaient ; les uns succombaient sous le poids de leurs blessures, d'autres périssaient de diverses maladies ; tous souffraient en commun des mêmes privations, et surtout de l'impossibilité de supporter tant de fatigues et des maux si continus. Dans la nuit, obligés de veiller sans cesse, ils ne pouvaient dormir, et dans le jour, appelés continuellement à repousser les attaques des ennemis, ils ne pouvaient non plus trouver un seul moment pour reposer leurs membres fatigués. Pour comble de maux, ils n'avaient apporté aucune provision dans la place en s'y renfermant; le premier siège qu'elle avait supporté avait épuisé toutes les denrées qui y étaient d'abord enfermées, et celles qu'ils avaient compté y introduire étaient tombées en entier entre les mains des ennemis. Aussi, dès qu'ils furent arrivés dans la citadelle, les Chrétiens dépourvus de toute autre ressource, se mirent à manger leurs chevaux ; mais ils en virent aussi la fin, et se trouvèrent alors encore plus dénués de moyens de nourriture. Les hommes même les plus robustes étaient exténués par le jeûne, et la maigreur qui venait à la suite de tant de misère dérobait leurs forces même aux plus vaillants. Les assiégés étaient d'ailleurs en fort grand nombre, de telle sorte que les vivres même n'eussent pas suffi pour fournir modérément à leurs besoins ; toutes les auberges de la ville étaient remplies de monde, et cependant on trouvait encore dans les rues et sur la place un grand nombre de malheureux couchés par ferre, et qui couvraient tout le sol ; souvent des traits lancés du dehors à tout hasard et sans aucune intention, venaient tomber au milieu d'eux, et faisaient des blessures mortelles. Sanguin savait très-bien tout celà, et pressait les travaux de ses troupes avec d'autant plus d'ardeur qu'il était persuadé que les Chrétiens ne pourraient supporter longtemps un tel excès de malheur. Tout autour de la place, il y avait une si grande quantité de troupes ennemies, gardant toutes les avenues avec un si grand soin, que nul ne pouvait essayer de pénétrer jusqu'aux assiégés, ni ceux-ci de sortir de la place, tant c'eût été une tentative désespérée. De jour en jour cette cruelle situation s'aggravait encore, les vivres manquaient entièrement, et les Chrétiens n'entrevoyaient plus aucune chance de salut. Dans cette extrémité, ils pouvaient juger par leur propre expérience combien sont impérieux les besoins de la faim ; aussi dit-on que la famine seule perd les villes.

Ce peuple réduit à la dernière détresse se soutenait encore un peu par l'espoir que le prince d'Antioche, le comte d'Edesse, les gens même de Jérusalem arriveraient à leur secours; mais on ne se hâte jamais assez au gré de ceux qui désirent. Tout retard leur semblait de mauvais augure, et donnait en même temps plus d'activité à leur impatience ; une heure était à leurs yeux comme une année.

 

 

 CAPUT XXIX. Adest subsidium; sed interim rex ad deditionem inclinatur; et pactis initis, sospes ad propria regreditur.

Interea dum haec circa obsidionem sic aguntur, princeps Raimundus cum suis jam aderat legionibus, comes quoque Edessanus ingentia trahens agmina non longe aberat; sed et Hierosolymorum exercitus salutiferae lignum crucis sequentes unanimiter, maturato itinere accelerabant. Quo per nuntios fideles comperto, Sanguinus timens tantorum adventum principum; idque specialius reformidans, ne auditis obsessorum molestiis, eisque compatiens dominus imperator, quem circa Antiochiam esse cognoverat, cum suis intolerabilibus copiis super se iratus irruat, antequam ad obsessos hic rumor perveniat, de pace primus missis internuntiis dominum regem et principes suos alloquitur; dicens: Castrum jam semitutum, ante se diu non posse stare; populum jejunum et fame laborantem, resistendi vires et animos amisisse; suum vero econtra exercitum, necessariis abundare; tamen domini regis intuitu, qui magnus et eximius esset princeps in populo Christiano, dicit se universos captivos quos paulo ante ceperat, tam comitem quam alios restituturum, et domino regi cum omnibus suis liberum et tranquillum exitum, et ad propria reditum, indulturum si ei castrum omnibus vacuum restituere voluerint.

Nostri porro nescientes tam praesens esse subsidium, praeterea fame, vigiliis, laboribus, angore attriti, vulneribus confossi lethalibus, imbelles facti et exhausti viribus, verbum oblatum cum omni aviditate suscipiunt, admirantes unde tanta hominis tam inclementis processerit humanitas: quacunque tamen occasione, porrectas gratanter suscipiunt conditiones. Pactis ergo hinc inde ad placitam utrinque redactis consonantiam, comes Tripolitanus restituitur, et cum eo captivorum maxima multitudo; statimque dominus rex cum suis egressus, ab hoste satis humane tractatus, praesidio Turcis resignato, confusus quidem, sed tamen de periculorum nimia perplexitate erutus, gaudens de montibus descendit in campestria Archis contermina, ubi audito domini principis et domini comitis adventu, approbans eorum sollicitudinem et fraternam charitatem, sed sero oblatam conquerens, eis occurrit devotus; solutisque ingentibus gratiarum actionibus, quod pro ejus negotio tam sollicitos se exhibuerant, et quantum in eis erat, optatum ministraverant subsidium; et mutuis collocutionibus recreati, divisi sunt ab invicem, ad propria redeuntes.

 

CHAPITRE XXIX.

Cependant le prince Raimond d'Antioche s'avançait avec ses légions ; d'un autre côté, le comte d'Edesse, traînant à sa suite de nombreux bataillons, n'était pas non plus très-éloigné, et l'armée de Jérusalem, ayant en tète le précieux bois de la croix du salut, hâtait également sa marche. Sanguin en fut informé par de fidèles messagers ; il craignit l'arrivée de tant de princes illustres, et surtout il eut peur que l'empereur de Constantinople, qu'il savait dans les environs d'Antioche, ne prît compassion des maux des assiégés, s'il venait à en avoir connaissance, et ne marchât contre lui, dans sa colère, avec ses innombrables armées. En conséquence, et avant que ces nouvelles pussent parvenir aux assiégés, Sanguin envoya des députés au roi et aux princes qui étaient avec lui, pour leur faire ses premières propositions de paix. Il leur fit dire « que la citadelle à demi-ruinée ne pourrait tenir longtemps devant lui ; que le peuple chrétien, travaillé par la famine, avait perdu la force et le courage de résister ; que son armée au contraire avait en abondance tous les approvisionnements nécessaires ; que cependant, par considération pour le roi, prince grand et illustre au milieu du peuple chrétien, il était disposé à rendre tous les prisonniers tombés entre ses mains peu de temps auparavant, le comte aussi bien que les autres; qu'enfin, il accorderait aussi au roi la faculté de sortir librement et tranquillement avec tous les siens, et de rentrer dans ses États , à condition qu'il consentît à évacuer la place et à la remettre entre ses mains ».

Comme les Chrétiens ignoraient que leurs frères fussent si près, et comme d'ailleurs la famine, les veilles, les fatigues, les blessures, les angoisses de tout genre les avaient entièrement épuisés et mis hors d'état d'opposer une plus longue résistance, ils accueillirent les propositions qui leur étaient faites avec un extrême empressement, s'étonnant toutefois qu'un homme si cruel pût donner une telle marque d'humanité : quel que fut au surplus le motif de cette résolution, les Chrétiens acceptèrent avec reconnaissance les conditions qu'on leur offrait. Le traité fut en conséquence rédigé à la satisfaction des deux parties, et Sanguin renvoya le comte de Tripoli et les nombreux prisonniers qu'il retenait dans son camp. Le roi sortit aussitôt de la place avec tous les siens ; les Turcs le traitèrent avec assez de bonté, prirent possession de la citadelle, et le roi confus, et heureux cependant d'avoir échappé enfin à cette affreuse perplexité, quitta les montagnes et descendit dans la plaine voisine de la ville d'Archis. Ayant appris que le prince d'Antioche et le comte d'Edesse s'avançaient, louant leur sollicitude et leur charité fraternelle, et se plaignant en même temps qu'ils fussent arrivés trop tard, il marcha avec empressement à leur rencontre. Il leur rendit mille actions de grâces de ce qu'ils s'étaient montrés pleins de zèle pour ses intérêts et lui avaient prêté secours, autant du moins qu'il était en leur pouvoir ; puis, après s'être mutuellement réjouis dans des entretiens intimes, les princes se séparèrent les uns des autres et retournèrent chacun dans ses États.



 

CAPUT XXX. Princeps Antiochiam reversus, urbem obsessam reperit; imperatori totis viribus contradicit; sed tandem quorumdam interventu, eidem reconciliatur.

Dominus autem princeps, cujus res in arcto videbantur constitutae, quia potentissimum orbis terrae principem ante suam civitatem hostilia meditantem dimiserat, Antiochiam sub omni celeritate rediens, per portam superiorem, quae praesidio civitatis et arci contermina est, ingressus, imperatorem adhuc in eodem perseverantem proposito reperit: ubi per dies aliquot habitis congressibus, nonnullis Antiochenis in imperatoris exercitum clam saepe, palam saepius irruptiones faciendo, damna eis frequenter intulerunt enormia; et cum eis more hostili, non attenta fidei professione, versabantur. Imperator quoque versa vice tormentis ingentibus et machinis jaculatoriis, cautes immanissimos, et immensi ponderis contorquendo, a porta pontis moenia caedendo et turres, urbis claustra debilitare et effringere nitebatur. Dispositisque per gyrum legionibus, sagittis, et omnium missilium genere, necnon et fundibulariorum manu proterva, cives a muri propugnatione arcebant eminus; et ad suffodienda moenia aditum et opportunitatem nitebantur vindicare. His igitur ita se habentibus, timori erat prudentioribus utriusque exercitus, quod nisi maturo rei subveniretur consilio, res in eum casum esset deventura, in quo non facile, periculis emergentibus, remedia possent aptari convenientia. Interponunt se itaque viri timorati, partium arbitri, pacis portantes manipulos: et domini imperatoris ingressi castra, ejus verbis pacificis, et omni humilitate praetenta, mitigare satagebant indignationem: rursum dominum principem adeuntes, prudenter et circumspecte nimis, prout opus erat, viam pacis student invenire. Tandem visum est arbitris et quaesiti foederis moderatoribus, quod dominus princeps ad imperialem accedens magnificentiam, in praesentia illustrium et inclytorum imperialis palatii, cum universorum coetu procerum suorum, cum debita solemnitate ei ligiam exhibeat fidelitatem; juretque praestito corporaliter sacramento, quod domino imperatori Antiochiam ingredi volenti, vel ejus praesidium, sive irato sive pacato, liberum et tranquillum non neget introitum. Et si dominus imperator ei Halapiam, Caesaream, Hamam, Emissam, sicut pactis erat insertum, principi restitueret quietas, quod his et aliis circumadjacentibus, contentus urbibus, Antiochiam domino imperatori sine difficultate restituat jure proprietatis habendam; dominus vero imperator in recompensationem exhibitae fidelitatis, principi concedat, quod si, auctore Domino, eum contigerit Halapiam, Caesaream, et omnem circumadjacentem regionem sibi acquirere, totum principi sine molestia et diminutione accrescat; et jure perpetuo sibi et haeredibus suis, tamen in beneficio, quod feodum vulgo dicitur, tranquille possideat.

Egressus est igitur dominus princeps, juxta condictum, cum omni suorum nobilium comitatu, ad castra imperialia: ubi cum debita honorificentia a domino susceptus imperatore, recensitis ad placitum hinc inde pactis consensum, fidelitatem suam domino imperatori manualiter exhibuit; sed et statim praedictarum urbium cum omnibus pertinentiis suis dominus imperator investituram ei concessit, spondens firmissime, quod aestate proxime futura, eas auctore Domino, comprehensas corporaliter tradat. Sic itaque foedere completo, pace plenius restituta, vexillo imperiali super principalem praesidii arcem collocato, donis ingentibus cumulatus, cum suis princeps in civitatem est regressus. Dominus autem imperator, propter instantem hiemis asperitatem, cum universis exercitibus suis in Ciliciam reversus, circa Tarsum in regione maritima, hiemandi gratia se contulit.

 

CHAPITRE XXX.

Le prince d'Antioche se hâta de rentrer dans cette ville. Sa position semblait devenue extrêmement critique, depuis le moment où le plus puissant souverain de la terre était arrivé sous les murs de sa capitale, comme pour y porter la guerre. Raimond rentra dans la ville par la porte supérieure, située près de la citadelle, et trouva l'empereur persévérant dans les mêmes desseins. On se battit pendant quelques jours. Les habitants d'Antioche firent plusieurs sorties, quelquefois en secret, plus souvent à découvert, et, dans leurs irruptions sur l'armée impériale, ils réussirent à lui faire souvent beaucoup de mal, l'attaquant en ennemis acharnés et sans avoir égard au lien de la foi commune qui les unissait. L'empereur de son côté faisait agir d'immenses instruments de guerre, et des machines qui lançaient des blocs de pierres d'un poids et d'une dimension énormes: du côté de la porte du port, les murailles et les tours en étaient ébranlées, et l'empereur faisait tous ses efforts pour détruire et renverser les remparts qui défendaient l'approche de la ville. Ses troupes étaient rangées en cercle autour de la place ; les archers et les frondeurs lançaient des flèches et toutes sortes de projectiles, à l'effet d'interdire aux assiégés la défense des remparts, et en même temps ils cherchaient toutes les occasions de se rapprocher des murailles, afin de travailler à les miner. Dans cet état de choses, les hommes les plus éclairés des deux partis craignirent qu'il ne devînt bientôt impossible de mettre un terme à ces querelles et de prévenir de nouveaux périls. Remplis de la crainte du Seigneur, quelques citoyens d'Antioche entreprirent de s'interposer comme arbitres ; ils se présentèrent, portant en main des emblèmes de paix devant le camp de l'empereur, et firent tous leurs efforts pour apaiser son indignation parlant un langage plein de douceur et s'avançant en toute humilité. Ils se rendirent de là auprès du prince, et cherchèrent avec autant de prudence que d'adresse à reconnaître quels seraient les meilleurs moyens de conclure la paix. Enfin, ils pensèrent et décidèrent, comme arbitres du traité, « qu'il fallait que le prince se rendît auprès du magnifique empereur, et qu'en présence de tous les illustres du palais impérial, entouré lui-même de tous les grands seigneurs de la principauté, il fit à l'empereur hommage-lige de fidélité, avec toutes les solennités usitées, et qu'il prêtât serment, en s'engageant par corps, que si le seigneur empereur voulait entrer à Antioche, ou dans la citadelle, soit en homme irrité, soit en homme apaisé, le prince ne lui refuserait point d'y entrer librement et en toute tranquillité. Que si le seigneur empereur cédait au prince, selon la faveur des traités, les villes d'Alep, de Césarée, de Hamath et d'Emèse, le prince se tiendrait pour satisfait de les obtenir ainsi que les villes circonvoisines ; et qu'alors, il restituerait aussi et sans difficulté la ville d'Antioche, pour être possédée à titre de propriété par le seigneur empereur. Que celui-ci à son tour, et en reconnaissance du serment de fidélité qu'il recevrait, s'engagerait envers le prince (s'il pouvait parvenir, avec l'aide de Dieu, à s'emparer d'Alep, de Césarée et de toute la contrée environnante), à les donner au prince en accroissement de ses autres possessions, de telle sorte qu’elles lui appartiendraient à jamais à lui et à ses héritiers, pour être par eux possédées sans trouble, sous la seule réserve du bénéfice vulgairement appelé fief ».

En conséquence de ces résolutions, le prince d'Antioche sortit de la ville, escorté par tous ses nobles, et se rendit au camp impérial. Le seigneur empereur le reçut avec les honneurs qui lui étaient dus ; le traité fut agréé et ratifié par les deux parties, et le prince engagea sa foi en présentant sa main au seigneur empereur. Aussitôt après, ce dernier donna au prince l'investiture des villes ci-dessus désignées et de toutes leurs dépendances, et s'engagea formellement à faire, dans le cours de l'été suivant, tous ses efforts pour reprendre ces villes, avec l'aide du Seigneur, et les livrer au prince. Le traité ainsi terminé, et la paix complètement rétablie, on arbora la bannière impériale sur la plus haute tour de la citadelle, et le prince, comblé d'immenses présents, rentra dans la ville avec toute son escorte. Le seigneur empereur, pressé d'éviter les rigueurs de l'hiver, se remit en route avec toutes ses armées ; il repassa en Cilicie et s'arrêta dans les environs de Tarse, auprès des bords de la mer, avec l'intention d'y séjourner pendant la mauvaise saison.

(01) C'est une erreur ; Foulques n'avait alors que trente-huit ans, car il était né eu 1092, du mariage de Foulques-le-Rechin avec Bertrade de Montfort, mariage qui eut lieu en 1091, selon la Chronique de Tours, ou au plus tôt en 1089, selon Orderic Vital.

(02) Bertrade.

(03) Ces trois enfants de Foulques-le-Rcchin étaient issus de divers lits. Il eut sa fille Hermengarde d'un premier mariage avee Hildegarde de Baugenci, et son fils Geoffroi Martel d'un second mariage avec Hermengarde de Bourbou. Foulques, roi de Jérusalem, était seul issu du mariage de Foulques-le-Rechin avec Bertrade de Montfort.

(04) Alain Fergant, duc de Bretagne de l'an 1084 à l'an 1112.

(05) Le 4 juin 1092.

(06).Ou Erembruge, ou Ermentrude.

(07)  Henri l.

(08)  Henri Il.

(09) Henri Il.

(10) Herwige, fille d’Edmand, comte de Salisbury.

(11)  Wilhelmus de Sehunna ; peut-être est-ce le même que Wlihelmus de Saona dont il est question quelques lignes plus hant ; je n'ai pu découvrir quel est ce nom propre.

(12) Seigneur de Margat.

(13)Entre Nicopolis ou Emmaûs et Jabne ; il ne faut pas confondre ce Nob ou Nobé, prés de Jérusalem, avec Nobah, situé dans le nord-est de la Palestine, sur lu rive gauche du Jourdain.

(14) Guillaume de Tyr retombe ici dans une erreur que nous avons déjà relevée. Roger Bursa était fils, non pas frère de Robert Guiscard ; et le duc de Pouille dont il s’agit ici est Roger II (1101-1154), fils de Roger 1er, et neveu de Robert Giscard.

(15) ] En 1135

(16) Le 14 février 1130.

(17)  Innocent II.

(18)   Le 17 décembre.

(19) Aujourd'hui Diarbekir, Diarbek, sur la rive gauche du Tigre, dans le pachalik du même nom.

(20)esafa ou Arsoffa.

(21) Selon les uns Erzeroum, selon d’autres Rees-Ain.

(22).  Le 17 juillet.

(23)   Le 17 janvier.

(24)  Le 17 janvier.

(25)  Rois, l. 1, chap. i5, v. 23.

(26) Évang. sel. S. Matth., chap. 19, v. 95.

(27) Ismaïl-Schams-el-Moulouk, sultan de Damas de l'an 1132 à l’an 1135. Il prit Panéade en 1133.

(28).D'autres historiens donnent à Raimond trente-sept ans, car ils le font naître à Toulouse en 1099.

(29) Jean Comnène, empereur de l'an 1118 à l'an 1143.

(30)  En 1137.