Flodoard GUILLAUME DE TYR

 

HISTOIRE DES CROISADES

 

LIVRE XI (chapitres XVIII à XXXI)

livre XI  (chapitres I à XVI) - livre XII

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

HISTOIRE

 

DES

 

FAITS ET GESTES

 

DANS LES REGIONS D'OUTRE-MER,

 

DEPUIS LE TEMPS DES SUCCESSEURS DE MAHOMET JUSQU'A L'AN 1184

 

par

 

GUILLAUME DE TYR


 

 

 

 

précédent

CAPUT XVII.

Tyrus obsidetur; sed, resistentibus potenter civibus, obsidentium deluditur intentio.

Consequenter autem eodem anno, cum Tyrus sola de urbibus maritimis, quae sunt a Laodicia Syriae usque ad Ascalonam, quae est novissima regni civitas, infidelitatis jugum pateretur; adjecit dominus rex, qui alias auctore Domino expedierat, illam regno vindicare. Congregatis ergo ex universa ora maritima navibus quotquot invenire potuit, classem ordinat qualemqualem; cui praecipit, ut illuc sub omni celeritate maturarent: et ipse convocatis regni viribus et populo undique accito universo, praedictam urbem, locatis in gyrum copiis, obsidione vallat.

Est autem Tyrus civitas in corde maris sita, in modum insulae circumsepta pelago, caput et metropolis provinciae Phoenicis; quae a rivo Valeniensi, usque ad Petram incisam, Dorae conterminam, protenditur, infra sui ambitum, urbes suffraganeas continens quatuordecim. De situ et commoditatibus hujus civitatis, in inferioribus dicetur latius, ubi de ejus obsidione novissima et captione concessa divinitus, auctore Domino tractabitur. Obsessa itaque civitate praedicta, sicut princeps erat valde sollicitus, omnem dabat operam, omne studium impendebat, quomodo multipliciter gravatis civibus, eos ad deditionem compelleret; percurrensque argumenta singula, quibus obsessis urbibus solent irrogari molestiae, omnia diligenter impendebat, ut civitas in suam transiret ditionem. Nam crebris assultibus continuis pene congressionibus, murorum et turrium flagellatione, et violentis ictibus, telorum quoque et sagittarum immissione perpetua, affligebat obsessos. Tandemque ad malorum cumulum duas praecepit erigi ex lignea materia turres, lapideis aedificiis multo sublimiores; unde et urbem esset quasi subjectam inspicere; et bellum civibus quasi de superioribus inevitabiliter inferre.

Cives autem e converso viri prudentes et strenui, et hujusmodi versutiarum non omnino expertes, argumentis objiciunt argumenta; et modis paribus quibus eis inferebantur injuriae, repellere satagebant. Duas siquidem turres, comportatis lapidibus et congesto ad multam quantitatem caemento, quae machinis nostrorum recte videbantur oppositae, ascendentes, superaedificare coeperunt: ita ut subito et intra paucos dies ligneis machinis, quae exterius erant oppositae, multo altiores invenirentur. Unde in subjectas machinas ignem jaculantes, omnia sine difficultate parati erant incendere; videns ergo rex, quod ars arte deluderetur, longis laboribus et expensis non modicis, quas per quatuor menses et eo amplius ibidem consumpserat, gravatus plurimum, ab incepto destitit, spe frustratus: solutaque obsidione, ipso Ptolomaidam reverso, reliqui certatim ad propria redierunt.
 

précédent

CHAPITRE XVII.

La ville de Tyr restait seule encore sous le joug des infidèles, parmi toutes celles qui sont situées sur les bords de la mer, depuis Laodicée de Syrie jusqu'à Ascalon (la dernière qui ait été réunie au royaume). Le roi, après avoir conquis toutes les autres avec l'aide du Seigneur, résolut aussi, dans le cours de la même année, de s'emparer de celle-là. Il rassembla sur toute l'étendue de la côte tous les navires qu'il put trouver, et tâcha d'en composer une flotte tant bien que mal. Il donna des ordres pour que les navires se rendissent devant Tyr en toute hâte, et lui-même convoquant toutes les troupes que son peuple put lui fournir dans l'étendue du royaume, les conduisit sous les murs de Tyr, et investit aussitôt la place.

La ville de Tyr, située au sein même de la mer, qui l'enveloppe comme une île, est la métropole, et en quelque sorte la tête de la province de Phénicie. Cette province s'étend depuis le ruisseau de Valénia jusqu'à Pierre-Encise, limitrophe de Dora, et contient dans son ressort quatorze villes suffragantes de Tyr. Je me réserve de parler avec plus de détail des agréments et des avantages de la position de cette ville, lorsque je rapporterai le siège qu'elle eut à subir postérieurement, et qui finit par sa reddition, grâce à la protection du Seigneur. Le roi, dès qu'il eut entrepris ce premier siège, se montra, selon sa coutume, plein de zèle pour en assurer le succès ; il y consacra tous ses soins, et fit les plus grands efforts pour écraser de fatigue les assiégés, et les amener ainsi à se rendre. Employant successivement tous les artifices par lesquels on peut nuire à une ville assiégée, il ne négligeait rien pour parvenir à s'en emparer. Il livrait de fréquents assauts et des combats presque continuels ; il faisait, battre aussi à coups redoublés les murailles et les tours, et lancer sans interruption des grêles de traits et de flèches. Pour mettre le comble aux maux des assiégés, il fit construire en outre deux tours en bois, plus élevées que les édifices en pierre qui étaient dans la ville, en sorte que, du haut de ces tours, on dominait toute la place, et qu'on pouvait faire la guerre aux habitants qui s'y trouvaient renfermés, sans qu'ils eussent aucun moyen d'éviter ces attaques.

De leur côté, les assiégés, s'ils n'avaient pas une connaissance aussi complète de tous ces artifices de la guerre, se conduisaient cependant en gens sages et pleins de valeur, opposant ruses contre ruses, et employant les moyens mêmes qu'ils voyaient inventer pour repousser toutes les agressions. Ils firent transporter beaucoup de pierres, et rassembler une grande quantité de mortier auprès de deux tours qui se trouvaient précisément en face des machines construites par les Chrétiens, et ils firent élever de nouvelles constructions sur ces tours, de telle sorte qu'au bout de peu de jours leurs tours se trouvèrent dépasser en hauteur les machines en bois qui leur étaient opposées. Alors ils lancèrent des feux sur ces machines, et firent toutes sortes de préparatifs pour les brûler sans difficulté. Le roi, voyant tous ses artifices déjoués, et fatigué à l'excès des longs travaux et des dépenses considérables auxquels il s'était livré depuis quatre mois et plus, se vit forcé de renoncer à ses espérances, et d'abandonner son entreprise : il leva le siège de la place, se rendit de sa personne à Ptolémaïs, et tous ceux qui étaient avec lui retournèrent chacun chez soi.

CAPUT XVIII.

Moritur dominus Tancredus, relicto principatu Rogero, Ricardi filio.

Per idem tempus, dominus Tancredus, illustris memoriae et piae in Domino recordationis, cujus eleemosynas et pietatis opera, in perpetuum enarrabit omnis ecclesia sanctorum, lethale debitum persolvit. Hic dum in supremae lecto aegritudinis decubaret, circa se in sui obsequio adolescentem Pontium, domini Bertrami comitis Tripolitani filium habebat; vidensque sibi mortis imminere diem, uxore sua coram se posita, Caecilia, quae, ut superius praemisimus, domini Philippi Francorum regis filia erat, et praedicto juvene, consuluisse dicitur ambobus, ut post ejus obitum jure convenirent maritali. Factumque est ita, ut post ejus ex hac luce decessum, mortuo etiam domino Bertramo comite Tripolitano, ejusdem patre, praedictus Pontius, eamdem dominam, praedicti domini Tancredi viduam, uxorem duxerit. Successit autem ei in eodem principatu, de ejus supremo judicio, quidam ejus consanguineus, Rogerius Richardi filius, ea conditione, ut quandocunque dominus Boamundus junior, domini Boamundi senioris filius, Antiochiam cum suis pertinentiis, quasi haereditatem propriam reposceret, eam sibi sine molestia et contradictione restitueret. Sepultus est autem idem vir illustris, in porticu ecclesiae Principis apostolorum, anno ab Incarnatione Domini 1112.
 

CHAPITRE XVIII.

Vers le même temps, le seigneur Tancrède, guerrier de pieuse et illustre mémoire, acquitta sa dette envers la mort. Toute l'Église des Saints racontera à perpétuité les œuvres charitables et les libéralités qui honorent son souvenir. Tandis qu'il était étendu sur son lit de mort, il avait auprès de lui et à son service le jeune Pons, fils du seigneur Bertrand, comte de Tripoli. Lorsqu'il se vit près de son dernier jour, il fit appeler sa femme Cécile, fille du roi des Français Philippe, ainsi que le jeune homme que je viens de nommer, et leur conseilla, dit-on, à tous les deux de s'unir après sa mort par les liens du mariage. En effet, après la mort de Tancrède et après celle du seigneur Bertrand, comte de Tripoli, Pons, fils de ce dernier, épousa Cécile, veuve de Tancrède. En vertu de ses dernières dispositions, Tancrède eut pour successeur dans sa principauté un de ses cousins, Roger, fils de Richard, sous la condition cependant que, si jamais, et à quelque époque que ce fut, le jeune seigneur Boémond, fils de Boémond l'Ancien, venait redemander la ville d'Antioche et toutes ses dépendances, Roger les lui restituerait en entier, et sans faire aucune difficulté. L'illustre Tancrède fut enseveli sous le portique de l'église du prince des apôtres, l'an de l'incarnation onze cent douze.[11]

CAPUT XIX.

 Menduc, Turcorum princeps potentissimus, iterum cum ingentibus copiis regnum ingreditur: rex ei occurrens, conficitur; supra vires universa regio fatigatur.

Anno quoque ab Incarnatione Domini 1113, aestate subsecuta, iterum de Perside, quae mala semper consuevit effundere germina, ex qua tanquam ex fonte pernicioso, aquae solent pestilentes derivare, multitudo infanda prorupit sub principe potentissimo et titulis generositatis praeclaro, Menduc nomine: tantam secum trahens numerositatem, ut eorum neque numerus certus esset, neque finis. Hi mediis transcursis regionibus, ad Euphratem pervenerunt, novis utentes consiliis. Nam qui eos de eodem populo praecesserant, saepius circa partes Antiochenas vires suas consueverant primum  experiri; his autem sicut ex postfacto patuit, longe alia mens, et propositum erat dissimile; nam omnem Coelesyriam pertranseuntes, relicta a sinistris Damasco, inter Libanum et oram maritimam, Tiberiadem praetereuntes, circa pontem sub quo Jordanis defluit, castrametati sunt.

Quod audiens rex, cognito quod de infinita multitudine praesumerent, dominum Rogerum Antiochenorum principem, comitemque Tripolitanum in suum evocat subsidium; tamen antequam illi convenirent, ipse cum suis expeditionibus in vicino eis loco castra posuerat: quod hostibus ut innotuit, emissis de exercitu equitum duobus millibus, intelligentes magis opus esse industria quam viribus, mille quingentos ex eis praecipiunt latere in insidiis; quingentos vero reliquos procedere jubent longius, et quasi se habentes incautius, regem cum suis insequendo irritare. Quod non longe ab eorum proposito certum est accidisse. Nam praedictos quingentos, quasi incautius se habentes, et progressos longius, rex considerans et impetuose suos convocans, illis procedit obviam, et versos in fugam prosequens, imprudentius in eorum decidit insidias: quibus ex suis latebris egredientibus, facta est hostium ingens multitudo, collectisque et ad se revocatis quingentis prioribus, in nostros irruunt impetu vehementi. Quibus, cum nostri tentarent resistere et gladiis a se propulsare, protervius instantes, oppressi multitudine, fugam inire compelluntur, quam nec etiam tutam reperiunt; nam fugientium facta est strages maxima, ita ut rex ipse relicto vexillo quod gestabat in manibus, et Arnulfus patriarcha, qui cum eo erat, et alii regni principes, relictis castris et impedimentis omnibus vix evaserint. Obtinuerunt ergo hostes nostrorum castra; et facta est, peccatis nostris exigentibus, confusio multa in populo Dei, idque totum domino regi ascribebatur, quod impetuose nimis, et de sua virtute plus aequo confidens, convocata noluit auxilia praestolari. Nam dominus Rogerus princeps Antiochenus et Tripolitanus comes in proximo erant, die sequente vel tertia, procul omni dubio venturi. Ceciderunt illa die de equitibus nostris triginta; de peditibus vero, mille ducenti. His ita gestis, adfuerunt praedicti duo magni potentesque viri:

cognitoque casu qui acciderat, regem arguunt tanquam nimis praecipitem; tandemque redeuntes in unum, in montibus vicinis castra locant, unde erat inferius in valle hostium exercitus contueri. Illi autem scientes reliquas regni partes militia vacare, missis de suo exercitu ad varias partes, terram universam coeperunt percursitare, caedes passim per vias publicas operari, incendia procurare, effringere suburbana, captivare colonos, ita libere per universam se habere regionem, tanquam sibi omnia subjecissent. Recesserant etiam a nobis per illos dies nostri domestici, et suburbanorum nostrorum, quae casalia dicuntur, habitatores, Sarraceni: et hostium adjuncti cohortibus, alios erudiebant in nostram perniciem; qui tanto id melius facere poterant, quanto status nostri pleniorem habebant scientiam: Nulla enim pestis efficacior ad nocendum quam familiaris inimicus. His ergo ducibus hostes freti et eorum fortiores facti solatio, villas circuibant et castella, praedas, et mancipia secum trahentes. Tantusque horror regnum occupaverat universum, ut extra moenia nemo prorsus auderet comparere
 

CHAPITRE XIX.

[1113.] L'année suivante et dans le courant de l'été, la Perse, semblable à une fontaine pernicieuse d'où ne découlent jamais que des eaux empoisonnées, lança de nouveau une immense multitude d'infidèles qui marchaient sous la conduite d'un prince très puissant et illustre par l'éclat de sa naissance, nommé Menduk.[12] Il traînait à sa suite une si grande affluence de combattants qu'il eût été impossible d'en connaître le nombre ou d'en voir la fin. Ils traversèrent les régions centrales, arrivèrent sur les bords de l'Euphrate, et se dirigèrent alors d'après de nouveaux conseils. Ceux de leurs compatriotes qui les avaient précédés dans de semblables expéditions, allaient d'ordinaire essayer d'abord leurs forces dans les environs d'Antioche. Ceux-ci, ainsi que l'événement le prouva par la suite, avaient formé d'autres projets, et suivirent un plan tout différent : ils traversèrent toute la Coelésyrie, laissèrent Damas sur la gauche ; de là ils allèrent passer à Tibériade, entre le Liban et les bords de la mer, et vinrent établir leur camp auprès du pont sous lequel coule le Jourdain.

Le roi, dès qu'il en fut instruit, et qu'il eut appris que les ennemis étaient pleins de confiance en leur immense multitude, appela aussitôt à son secours le seigneur Roger, prince d'Antioche, et le comte de Tripoli ; mais, avant que ceux-ci pussent se réunir à lui, il alla de sa personne et avec ses propres troupes établir son camp dans le voisinage des ennemis. Dès qu'ils en eurent connaissance, ceux-ci, jugeant bien qu'il leur importait davantage d'user d'artifice que de déployer toutes leurs forces, choisirent dans Jour armée deux mille hommes de cavalerie, dont quinze cents reçurent ordre d'aller se poster en embuscade, et les cinq cents autres de se porter en avant, comme s'ils s'engageaient trop imprudemment, afin d'exciter le roi de Jérusalem à se mettre à leur poursuite. L'événement arriva à peu près comme ils l'avaient projeté. Le roi reconnut les cinq cents hommes de cavalerie ennemie qui semblaient marcher sans aucune précaution, et qui s'avançaient de plus en plus. Aussitôt, et dans son premier mouvement d'impétuosité, il convoque tous les siens, marche à la rencontre des ennemis, les met en fuite, les poursuit, et tombe imprudemment dans le piège qui l'attendait. Les infidèles, sortant alors des lieux où ils s'étaient cachés, et formant un corps beaucoup plus considérable, rallièrent les cinq cents hommes qu'ils avaient lancés en avant, et tous ensemble se précipitèrent vivement sur les nôtres. Ceux-ci voulurent d'abord essayer de résister, et de repousser leurs ennemis avec le glaive ; mais, serrés de près et accablés par le nombre, ils ne tardèrent pas à prendre la fuite, et ne trouvèrent pas même dans la retraite un moyen d'échapper au péril qui les menaçait. Un grand nombre d'entre eux furent massacrés ; le roi lui-même, forcé d'abandonner la bannière qu'il avait en main, Arnoul le patriarche, qui le suivait de près, et les autres princes du royaume qui abandonnèrent le camp et tous les équipages, eurent tous grand-peine à se sauver. Les ennemis s'emparèrent du camp des Chrétiens à la suite de leur victoire, et le peuple de Dieu éprouva une grande confusion en expiation de ses péchés.

La faute en fut entièrement attribuée au roi qui s'était jeté en avant avec trop d'impétuosité, et par une confiance excessive en son propre courage, sans vouloir attendre les secours qu'il avait demandés, quoique Roger, prince d'Antioche, et le comte de Tripoli ne fussent plus bien loin, et dussent arriver sans aucun doute le lendemain ou le surlendemain de cette affaire. L'armée chrétienne perdit en cette journée trente chevaliers et douze cents fantassins. Après ce malheur, les deux grands et puissants chefs arrivèrent en effet : ayant appris le désastre qui venait d'arriver, ils accusèrent le roi de trop de précipitation, et ensuite, ayant réuni toutes leurs troupes en un seul corps d'armée, ils retournèrent sur leurs pas, et allèrent dresser leur camp dans les montagnes voisines, d'où l'on pouvait voir l'armée ennemie occupant le fond de la vallée.

Les infidèles cependant, sachant bien que toutes les autres parties du royaume se trouvaient dégarnies de défenseurs, envoyèrent de tous côtés des détachements qui se mirent à parcourir toute la contrée, attaquant et massacrant ceux qu'ils rencontraient sur les grandes routes, incendiant les campagnes et les habitations éparses, faisant prisonniers les colons, et agissant en pleine liberté partout où ils portaient leurs pas, comme s'ils étaient entièrement maîtres de tout le pays. Les nôtres avaient, en outre, perdu tous leurs domestiques et tous les Sarrasins habitants et cultivateurs de leurs propriétés rurales. Ils s'étaient réunis aux cohortes ennemies, et les instruisaient aux dépens des Chrétiens : il leur était d'autant plus facile d'y réussir qu'ils avaient une connaissance complète de l'état du pays et des affaires, car un ennemi domestique est le plus grand fléau possible, puisqu'il est plus en situation de nuire. Marchant sous la conduite de tels guides, et fortifiés par l'assistance qu'ils en recevaient, les infidèles visitaient les maisons de campagne et les châteaux-forts, et enlevaient partout de riches dépouilles et de nombreux esclaves. Le royaume entier était livré au plus horrible pillage, et ceux qui étaient renfermés dans les villes n'osaient pas même se hasarder hors des murailles.

CAPUT XX.

Ascalonitae impugnant Hierosolymam; sed tandem hostium dissolvuntur acies, et redeunt ad propria.

Accesserat praeterea ad timoris et aerumnae cumulum, quod Ascalonitae, tanquam vermes inquieti, scientes quod rex cum omnibus regni viribus, circa partes Tiberiadenses detineretur occupatus, hostes quoque regionem pene totam obtinerent, egressi cum ingenti multitudine, ad montana conscendunt, et Hierosolymam, militaribus destitutam copiis, obsident; nonnullos, quos extra urbem reperiunt, aut captivant, aut interficiunt: messes aridas, quas agricolae in areas congesserant, tradunt incendiis. Tandem cum per aliquot dies ibi consedissent, videntes quod nullus ad eos egrederetur, sed omnes intra moenia cautius se haberent, timentes regis adventum, reversi sunt ad propria.

At vero aestate jam in autumnum declinante, juxta consuetudinem, peregrinorum coeperunt applicare naves. Qui vero in eis advecti erant, audientes quod rex et populus Christianus tantis laborarent angustiis, illuc cum omni celeritate tam equites quam pedites certatim properant; ita ut evidentibus incrementis noster per singulos dies multiplicaretur exercitus. Quod intelligentes hostium principes, timentes ne multiplicatis viribus, ad ulciscendum suas se pararent injurias, in fines Damascenorum se receperunt; nostri vero ab invicem discedentes, reversi sunt ad propria. At vero hostilium exercituum princeps, qui regnum ita potenter afflixerat, Damascum perveniens, consentiente, ut dicitur, Damascenorum rege Doldequino, a quibusdam sicariis interfectus est; suspectam enim ejus dicebatur habere potentiam, ne eum regno privaret.
 

CHAPITRE XX.

Pour comble de malheur, et pour ajouter à la terreur publique, les habitants d'Ascalon, tels que des vers toujours remuants, sachant que le roi était retenu dans les environs de Tibériade avec toutes les forces de son royaume, et que les ennemis occupaient d'ailleurs la plus grande partie du pays, sortirent en forces de leur ville, se dirigèrent vers les montagnes, et vinrent mettre le siège devant Jérusalem qui se trouvait alors entièrement dégarnie de troupes. Quelques citoyens qu'ils surprirent hors de la ville furent faits prisonniers ou mis à mort. Les produits des récoltes que les agriculteurs avaient entassés sur les aires devinrent la proie des flammes. Enfin, après qu'ils eurent demeuré quelques jours devant la place, voyant qu'au lieu de sortir, tous les habitants continuaient à se tenir étroitement enfermés à l'abri de leurs remparts, et craignant le retour du roi, les Ascalonites retournèrent chez eux.

L'été allait faire place à l'automne, saison où, selon la coutume, arrivaient les vaisseaux qui portaient des pèlerins. Ceux qui abordèrent, ayant appris que le roi et le peuple chrétien se trouvaient réduits aux plus dures extrémités, débarquèrent en toute hâte, et allèrent, tant fantassins que chevaliers, rejoindre l'armée qui de jour en jour recevait par ce moyen des renforts considérables. Les chefs de l'armée ennemie en ayant été informés, commencèrent à craindre que les Chrétiens, en retrouvant de nouvelles forces, ne cherchassent à tirer vengeance des maux qu'ils venaient de souffrir, et ils prirent le parti de se retirer dans les environs de Damas. Alors l’année chrétienne se sépara aussi, et chacun retourna chez soi. Le général en chef des armées ennemies, qui avait si cruellement affligé le royaume de Jérusalem, arriva à Damas, et y fut assassiné par quelques meurtriers,[13] du consentement, à ce qu'on croit, du roi de Damas, qui se nommait Doldequin[14] et qui, selon ce qu'on rapporte, craignait que ce prince, devenu plus puissant, ne lui enlevât sa couronne.

 

CAPUT XXI.

Comitissa Siciliae, regis uxor futura, in portu applicat Acconensium.

Diviso igitur ab invicem exercitu et singulis ad propria remeantibus, adfuit nuntius, domino regi significans quod comitissa Siciliae apud urbem Acconensem applicuerat. Fuerat praedicta comitissa, domini Rogeri comitis, qui cognominatus est Bursa, qui frater fuit domini Roberti Guischardi, uxor; nobilis, et potens, et dives matrona. Ad hanc anno proxime praeterito, quosdam nobiles de regno suo rex direxerat, invitans eam et cum instantia postulans, ut cum eo lege conjugali vellet convenire. Quae verbum filio communicans, domino videlicet Rogero, qui postea fuit rex Siciliae, coepit cum eodem de verbo illo deliberare; et tandem visum est ambobus quod si dominus rex sub certis conditionibus praedictum verbum vellet confirmare, ipsi petitioni ejus parati erant acquiescere. Forma autem conditionum haec erat: Quod si rex et praedicta comitissa prolem susciperet, ei post regis obitum sine contradictione et molestia regnum concederetur; quod si absque haerede ex eadem comitissa suscepto defungeretur, comes Rogerus, filius ejus, haeres existeret; et in regno, sine contradictione et molestia rex futurus, succederet. Rex autem abeuntibus legatis in mandatis dederat ut, quibuscunque petitionibus parentes, eam secum modis omnibus deducere laborarent. Audierat enim, et vere scierat, quod mulier locuples erat; et filio accepta, bonis omnibus abundabat. Ipse vero e converso pauper erat et tenuis, vix ad necessitates quotidianas et equitum stipendia sibi poterat sufficere: unde et de illius redundantia suae sitiebat inopiae subveniri. Missi igitur legati conditiones praedictas gratanter suscipiunt; et interpositis juramentis, prout exigebantur, quod his pactis a domino rege et suis principibus, bona fide, sine fraude et dolo malo staretur, comitissa, filio universa necessaria suggerente, se accingit ad iter, et oneratis navibus frumento, vino et oleo, et salsis carnibus, armis praeterea et equitaturis egregiis, assumens secum infinitam pecuniam, omnibus eam prosequentibus copiis, in nostram, ut praedictum est, appulit regionem.

Haec autem, ut praedictum est, Arnulfi patriarchae machinabatur malitia, ut illa nobilis et honesta deciperetur femina: deceptam quippe negare non possumus eam, quae in simplicitate viarum suarum, regem putabat idoneam gerere personam, ad hoc ut ei nuberet legitime. Erat autem longe secus; nam uxor quam ipse apud Edessam legitime duxerat, adhuc in rebus agebat humanis.

Postquam ergo applicuit dicta comitissa, praesente domino rege, patriarcha, et regni principibus, innovata sunt juramenta, juxta eamdem formam, qua prius in Sicilia fuerant exhibita. Et quia intentione sinistra et oculo non simplici haec fuerant inchoata, respiciens Dominus ad eorum intentionem, nec solitam mulieri, licet innocenti, in regno concessit fecunditatem, et extrema hujus gaudii luctus occupavit (Prov. XIV) , ut in sequentibus dicetur: Difficile est enim, ut bono claudantur exitu, quae malo sunt inchoata principio. Interim tamen tot tantasque adveniens regno intulit commoditates, ut merito minimus dicere posset: Et nos de plenitudine ejus accepimus (Joan. XVI) .
 

CHAPITRE XXI.

Après que l'armée chrétienne se fut séparée, et que chacun fut rentré dans ses Etats, on vit arriver à Jérusalem un messager chargé d'annoncer au roi que la comtesse de Sicile venait de débarquer dans la ville d'Accon. Cette comtesse avait été femme du seigneur comte Roger, surnommé La Bourse, et qui était frère du seigneur Robert Guiscard.[15] Elle était noble, puissante et riche. L'année précédente, le roi de Jérusalem lui avait envoyé quelques nobles de sa cour pour lui demander avec les plus vives instances de vouloir bien s'unir à lui par les nœuds du mariage. La comtesse avait fait part de cette proposition à Roger, son fils, qui fut dans la suite roi de Sicile, et ils en avaient délibéré ensemble. Ils jugèrent l'un et l'autre que, si le roi de Jérusalem voulait accepter les conditions qu'ils lui feraient proposer, il leur conviendrait aussi de souscrire à sa demande. Ces conditions étaient que, si le roi avait un enfant de la comtesse, cet enfant hériterait du royaume de Jérusalem après la mort de son père, sans contradiction ni difficulté aucune, et que si, au contraire, le roi venait à mourir sans héritier légitime né de la comtesse, le comte Roger, fils de celle-ci, deviendrait son héritier, et lui succéderait au trône sans obstacle. Le roi, en faisant partir ses députés, leur avait expressément ordonné de consentir à toutes les demandes qui seraient faites, et d'employer tous leurs soins à ramener la comtesse avec eux. Il avait appris et il savait d'une manière positive qu'elle était fort riche, qu'elle vivait de plus en très bon accord avec son fils, et qu'elle avait ainsi toutes choses en grande abondance. Lui, au contraire, était fort pauvre et si dénué de ressources qu'il avait à peine de quoi suffire à ses besoins de tous les jours et à la solde de ses frères d'armes ; dans cette situation, il avait surtout à cœur de soulager sa misère à l'aide des trésors de la comtesse de Sicile. En conséquence, ses députés acceptèrent avec joie les conditions qui leur furent offertes, et prêtèrent serment, ainsi qu'on le leur demanda, que cette convention serait maintenue et exécutée par le roi et par les princes, de bonne foi, sans fraude ni mauvaise ruse. La comtesse, toujours guidée par son fils qui lui fournit tout ce qui lui était nécessaire, se disposa à entreprendre le voyage ; elle fît charger les navires de grains, de vin, d'huile, de viandes salées, d'armes et d'équipements de toute espèce, elle emporta aussi de grandes sommes d'argent, et, suivie de toutes ses troupes, elle vint débarquer, ainsi que je l'ai déjà dit, sur les côtes de notre royaume.

C'était, comme je l'ai annoncé, le patriarche Arnoul qui avait conduit cette méchante intrigue, par laquelle une femme noble et honorable fut indignement trompée, car on ne saurait nier que c'était une grande tromperie que de l'amener, dans la simplicité de son cœur, à croire que le roi se trouvait en mesure de l'épouser légitimement, tandis que, dans le fait, il n'en était rien, puisque la femme qu'il avait épousée bien légitimement à Edesse était encore vivante.

Lorsque la comtesse de Sicile eut débarqué, les promesses et les serments qu'elle avait reçus d'abord en Sicile lui furent renouvelés dans la même forme, en présence du roi, du patriarche et des principaux seigneurs du royaume. Mais comme cette négociation avait été d'abord entreprise dans de mauvaises pensées et avec duplicité.de cœur, le Seigneur, considérant les intentions, n'accorda point le don de la fécondité à la nouvelle femme du roi, quelque innocente qu'elle fût elle-même. On verra par la suite de ce récit que les joies causées d'abord par cet événement furent, remplacées par le deuil, car il est difficile qu'une entreprise mal commencée soit amenée à une heureuse fin. En attendant, l'arrivée de la comtesse de Sicile fut pour le royaume de Jérusalem la source de toutes sortes de précieux avantages, en sorte qu'il y avait lieu de dire comme l'apôtre saint Jean : Nous avons tout reçu de sa plénitude.[16]

CAPUT XXII.

In regione Edessana fames oritur valida. Balduinus Joscelinum consanguineum suum capit, et ab universa regione violenter exire compellit.

Accidit autem illis diebus quod in finibus Edessanis suborta est fames validissima, tum propter terrae et aeris intemperiem; tum quia in medio hostium regio illa sita erat et inimicis undique vallata; nec locorum incolae hostilitatis metu liberam agriculturae poterant operam dare, ita, quod cives illius urbis simul et suburbani nihilominus hordeaceum panem, et etiam glande mistum, edere prae inopia cogerentur. Terra autem domini Joscelini in tuto cis Euphratem collocata, frugibus et alimentorum copia plenius abundabat. Verum, licet ita bonis omnibus afflueret ejus provincia, praedictus Joscelinus, in hac parte minus sapiens, et ingrato similis, domino et consanguineo suo, qui ei haec eadem universa contulerat, de sua plenitudine et ubertate stupenda nihil omnino porrigebat, licet dominum comitem suosque extremam pati non dubitaret inopiam. Factum est autem ut pro quibusdam negotiis dominus comes Balduinus ad dominum Rogerum, filium Richardi Antiochenorum principem, cui etiam quamdam sororem suam in uxorem contulerat, nuntios destinaret. Hi abeuntes, Euphrate transito, per terram domini Joscelini iter habentes, euntes redeuntesque ab eo sunt satis hospitaliter et humane tractati. Tandem, sicut mos est imprudentibus, quidam de familia domini Joscelini, nuntios domini comitis verbis lacessentes, exprobrare coeperunt domini comitis paupertatem; domini vero sui immensas e converso extollere copias; frumenti, vini et olei, et alimentorum redundantiam, auri argentique immensa pondera; militum peditumque numerositatem, adjicientes etiam, sicut lingua pruriens, incaute plerumque loquitur, quod non erat comes illi regioni, cui praeerat, commodus: consultius faceret, si comitatum suum domino Joscelino venderet; et, recepta innumera pecunia, remearet in Franciam. Quae verba in pectus nuntiorum (etsi dissimulare viderentur) altius descenderunt; et, licet a levibus personis essent dicta, tamen domini mentem redolere videbantur; sumptaque licentia, ad dominum comitem redierunt.

Quo pervenientes, omnia quae in via acciderant, simul et verba, quae in domo domini Joscelini audierant, ordine pandunt. Quibus auditis, iratus dominus comes et multo libramine ponderans apud se verba quae audierat, intellexit quod a domino Joscelino haec omnia ortum habuerant; et indignatus plurimum quod ille, cui tantas contulerat copias cum de sua opulentia merito teneretur suam relevare inopiam, contra bonos mores paupertatem, tanquam vitium, exprobraret: in quam tamen non levibus actibus, sed necessitate descenderat inevitabili; sibique id ipsum unde ille gloriabatur, liberaliter detraxerat, ut in eum conferret; coepit aestuare indignatione plenus.

Simulat ergo aegritudinem, et lecto decubans, mandat domino Joscelino, ut absque mora ad se venire properet: quo comperto, festinat dominus Joscelinus, nihil veritus, in nullo viam habens suspectam; tandem Edessam perveniens, invenit comitem in praesidio civitatis, et in ea ejus parte, quae Rangulath dicitur, in interiore conclavi decubantem: ad quem ingrediens, depenso debitae salutationis affatu, quaesivit a domino comite, quomodo ei esset? Cui ille respondit: Multo melius, per gratiam Dei, quam tu velis. Et iterum verbum continuans, intulit: Josceline, habesne aliquid, quod ego tibi non dederim? Cui ille: Domine, nihil.--Unde est ergo quod ingratus et meorum beneficiorum immemor, de meo superabundans et dilatatus, et mihi benefactori tuo indigenti, non ex temeritate, sed ex causa, quam nullus sapiens, nullus peritus declinare posset (quia non est consilium contra Dominum) non compateris? portionem ejus quod totum dedi, non retribuis? insuper et tenuitatem divinitus collatam, quasi pro vitio exprobras et pro crimine objicis? Sumne ego tam inutilis, ut vendam tibi quod mihi contulit Dominus, et fugiam, ut dicis? Resigna quod dedi, et redde universa quae tibi contuli, quia indignum te fecisti. His verbis dictis, praecepit eum captum vinculis mancipari, afflixitque eum mirabiliter et miserabiliter, non minus et multimodis quaestionibus et tormentis: quousque adjurata universa regione, cuncta quae ab eodem comite dono susceperat, resignaret. Exiens ergo de finibus illis, bonis omnibus spoliatus, ad dominum Balduinum Hierosolymorum regem primum accessit, cunctisque quae ei acciderant ordine manifestatis, propositum aperit, quod in patriam redire proposuerat.

Quo audito, dominus rex videns eum regno maxime necessarium, dedit ei urbem Tiberiadensem cum finibus suis jure perpetuo possidendam, ut tanti viri solatio se muniret. Quam urbem strenue et prudenter cum omnibus suis pertinentiis, quandiu in ea mansit, rexisse et fini ampliasse dicitur praestantissime; cumque adhuc Tyrus ab infidelibus detineretur, exemplo praedecessoris sui, multas ejus civibus dicitur intulisse molestias. Et, licet aliquantulum montibus interpositis ab eis videretur esse remotior; saepe tamen eorum fines ingrediebatur, eis damna collaturus.
 

CHAPITRE XXII.

Vers le même temps, il s'éleva dans le pays d'Edesse une horrible famine, qui provenait à la fois de l'intempérie de l'atmosphère, et de la situation même du pays. Entourés de toutes parts d'ennemis, et redoutant sans cesse les attaques de leurs voisins, les habitants de cette contrée ne pouvaient se livrer en liberté aux travaux de l'agriculture. La famine qui survint à cette époque fut telle que les citoyens de la ville aussi bien que les habitants des campagnes se virent réduits, dans leur misère, à ne manger que du pain d'orge, dans lequel même il entrait un mélange de glands. Le territoire où commandait le seigneur Josselin, situé en deçà de l'Euphrate, se trouvait à l'abri de cette calamité, et possédait en abondance des grains et toutes sortes de denrées. Quoique sa province fût ainsi richement pourvue de toutes choses, Josselin, moins sage que de coutume, et se rendant coupable d'ingratitude, ne s'empressa point d'offrir la moindre partie de son superflu à son seigneur, à son parent, des bontés duquel il tenait cependant toutes ses richesses, et quoiqu'il lui fût impossible d'ignorer à quelles dures extrémités le comte et son peuple se trouvaient réduits. Au milieu de ces circonstances, le comte Baudouin fut obligé de faire partir des messagers qu'il chargea d'aller traiter de quelques affaires avec le seigneur Roger, fils de Richard, prince d'Antioche, auquel il avait, dans le temps, donné sa sœur en mariage. Ses députés passèrent l'Euphrate, suivirent leur route en traversant le territoire du seigneur Josselin, qui leur donna l'hospitalité, et les traita avec assez d'humanité, tant à leur première arrivée qu'à leur retour. Quelques hommes de la maison du seigneur Josselin, s'abandonnant imprudemment à leurs pensées, se mirent à attaquer dans leurs entretiens les députés du comte Baudouin, leur reprochèrent la pauvreté de leur seigneur, et vantèrent en même temps les immenses richesses de celui auquel ils étaient attachés, parlant des grands approvisionnements qu'il avait en grains, en vin, en huile, en toutes sortes de denrées, de ses vastes trésors, tant en or qu'en argent, et des nombreuses troupes de chevaliers et de gens de pied qui servaient sous ses ordres ; ils allèrent même jusqu'à dire, dans l'intempérance de leur langue, que le comte était peu propre à gouverner le pays qu'il possédait, et qu'il ferait beaucoup plus sagement de vendre son comté au seigneur Josselin, et de s'en retourner ensuite en France avec les fortes sommes d'argent qu'il en pourrait recevoir.

Les députés de Baudouin dissimulèrent dans le premier moment, mais les paroles qu'ils avaient recueillies pénétrèrent jusqu'au fond de leur cœur ; et, quoiqu'elles eussent été prononcées par des hommes légers et imprudents, elles leur parurent contenir l'expression des pensées du maître : ils prirent congé de Josselin, et retournèrent auprès du comte. Dès qu'ils furent arrivés, ils ne manquèrent pas de raconter tout ce qui s'était passé dans le cours de leur voyage, et principalement les discours qu'ils avaient entendus dans la maison même du seigneur Josselin. Le comte fut irrité en entendant ce récit ; il réfléchit mûrement surtout ce qui lui était rapporté, et se persuada qu'un tel langage ne pouvait être attribué qu'à Josselin lui-même. Un profond sentiment d'indignation remplit son âme, lorsqu'il reconnut que c'était celui-là même auquel il avait procuré tant de richesses qui lui reprochait si injustement sa misère, et qui en faisait un vice, au moment où il eût été au contraire de son devoir de venir à son secours, et de lui faire part de son superflu. Baudouin n'avait point à se reprocher d'être tombé dans cet état de détresse par aucune imprudence ; une nécessité inévitable l'y avait seule poussé, et sa libéralité seule l'avait dépouillé des biens et des richesses dont Josselin se glorifiait maintenant à son détriment.

Agité de ces sentiments, le comte feint d'être malade, se met au lit, et mande à Josselin de venir le trouver en toute hâte. Aussitôt qu'il a reçu le message, Josselin se dispose à-partir, sans rien craindre, et sans soupçonner le moindre piège. Il arrive à Edesse, et trouve le comte dans la citadelle de la ville, et dans ce quartier de la citadelle qui est appelé le Rangulath. Il était couché dans son lit. Josselin s'approche, lui fait le salut qu'il doit à son seigneur, et lui demande aussitôt comment il se trouve. « Beaucoup mieux, grâce à Dieu, que tu ne le voudrais, lui répond le comte. Un moment après, reprenant la parole : Josselin, lui dit-il, possèdes-tu quelque chose que je ne t'aie donné ? A quoi celui-ci repartit : Non Seigneur, rien. — D'où, vient donc qu'ingrat envers moi, et oubliant tous mes bienfaits, quoique enrichi par-là et vivant dans l'abondance, tu n'aies aucune compassion de ton bienfaiteur devenu indigent, non par sa faute ni par imprudence, mais par une cause à laquelle aucun sage, aucun savant n'aurait pu échapper, car il n'y a pas de conseil contre le Seigneur ? Pourquoi ne me rends-tu pas une portion de ce que je t’ai donné en entier ? En outre, tu me reproches comme un vice cette pauvreté à laquelle le Ciel même m'a condamné, et tu m'en fais un crime ! Suis-je donc un homme si impuissant que je doive te vendre ce que l'Éternel m'a accordé, et prendre la fuite, comme tu le dis ? Résigne ce que je t'ai donné, restitue les biens dont je t'ai enrichi, puisque tu t'en es rendu indigne. » A ces mots, il ordonna de se saisir de sa personne, de le charger de fers, et le fit accabler de toutes sortes de maux et de tournions, par un revers de fortune non moins étonnant que déplorable, jusqu'à ce qu'il eût renoncé à tout le pays qu'il gouvernait, et remis entre les mains du comte tous les dons qu'il en avait reçus.

Alors, sortant du territoire d'Edesse, et dépouillé de toute sa fortune, Josselin se rendit auprès du seigneur Baudouin, premier roi de Jérusalem, lui raconta en détail tous les malheurs qu'il venait d'éprouver, et lui annonça le dessein de retourner dans sa patrie. A ce récit, le roi, jugeant que Josselin pourrait rendre de grands services à son royaume, et voulant se fortifier de son assistance, lui donna la ville de Tibériade avec tout son territoire, pour être possédée par lui à perpétuité. On dit que, tant qu'il occupa cette ville et ses dépendances, Josselin les gouverna avec autant de vigueur que de sagesse, et qu'il agrandit considérablement ses possessions. La ville de Tyr était encore au pouvoir des infidèles. A l'exemple de son prédécesseur, Josselin ne cessa, dit-on de fatiguer les habitants de cette cité par les expéditions qu'il dirigeait contre eux. Quoiqu'il en fût séparé par les montagnes, qui semblaient encore accroître la distance, il pénétrait souvent sur leur territoire, et cherchait à leur faire toutes sortes de dommages.

CAPUT XXIII.

Terrae motus ingens partes concutit Antiochenas. Borsequinus quoque, Turcorum satrapa potentissimus, in eadem desaevit regione.

Anno ab Incarnatione Domini 1114, tantus universam Syriam terrae motus concussit, ut multas urbes et oppida infinita dirueret funditus; maxime autem circa Ciliciam, Isauriam et Coelesyriam. Nam in Cilicia Mamistram cum multis oppidis solotenus prostravit; Maresiam quoque dejecit cum suburbanis suis, ita ut quorumdam vix etiam exstarent vestigia: quatiebantur turres et moenia, majoribusque aedificiis periculosius ruentibus, fiebat populorum strages infinita; et civitates amplissimae quasi agger lapidum constitutae, tumulus erant oppressorum, et contritis habitatoribus vicem praestabant sepulcri. Fugiebat plebs mente consternata habitationem urbium, domiciliorum ruinam formidantes; et dum sub dio requiem invenire sperant, timore concussi, somnos interrumpunt, oppressiones quas vigilantes timuerant, in somnis perpessi Nec erat hoc, tam ingens, in una tantum regione, periculum; sed usque ad extremos Orientis fines, haec pestis late se diffuderat.

Anno quoque sequenti, juxta morem solitum, Bursequinus, Turcorum potentissimus, congregata gentis ejusdem multitudine infinita, regioni Antiochenae hostiliter se infudit, pertransiensque totam illam provinciam, inter Halapiam et Damascum castrametatus est, exspectans ut, opportunitate concessa, inde in partes nostras has vel illas irruptiones moliretur. Porro Doldequinus Damascenorum rex, illorum expeditiones habens nimis suspectas: timensque ne magis ea intentione illuc convenissent, ut sibi et regno suo detrimenta molirentur, quam ut contra Christianos quorum vires saepius erant experti, dimicaturi advenissent; factus est sollicitus. Imputabatur enim ei mors praedicti nobilis viri, qui apud Damascum fuerat interemptus, quasi de ejus conscientia talis illius interitus processisset. Audito ergo Turcorum adventu et eorum intentione plenius cognita, missis legationibus cum ingenti munerum magnificentia tam ad dominum regem quam ad dominum principem Antiochenum, pacem petit ad certum tempus et implorat; juramenta praestans et obsides, quod toto concessi temporis foedere, Christianis tam ex regno quam ex principatu fidelem debeat societatem observare.

Interea princeps Antiochenus videns eos suis partibus viciniores; et quorumdam edoctus relatione, quod in terram suam impetus molirentur, dominum regem in sui subsidium evocat; Doldequinum quoque nihilominus jure foederis obligatum, ut cum suis adesse procuret copiis, invitat. Rex autem pro salute regionis sollicitus plurimum, congregata militia et honesto stipatus comitatu, illuc impiger contendit: assumptoque secum Tripolitano comite Pontio, intra paucos dies ad eum locum, ubi dominus princeps suas collegerat copias, pervenit. Porro Doldequinus, sicut et vicinior erat, ita et domini regis praevenerat exercitum, nostrorum castris tanquam socius se adjungens. Collectis ergo omnibus in unum copiis, ante urbem Caesaream, ubi hostes adesse prius audierant, unanimiter constituerunt: quo hostibus cognito, videntes quod nisi cum gravi periculo non possent nostros sustinere, simulant recessum, tanquam de caetero non redituri. Unde nostri ab invicem separati, reversi sunt ad propria.
 

CHAPITRE XXIII.

[1114] L'an onze cent quatorze de l'incarnation du Seigneur, la Syrie entière fut ébranlée par un tremblement de terre si violent, qu'un grand nombre de villes et de bourgs en furent renversés de fond en comble, principalement dans la Cilicie, l’Isaurie et la Coelésyrie. En Cilicie, la ville de Mamistra et plusieurs bourgs furent entièrement détruits : il ne resta que quelques faibles vestiges de la ville de Marésie et de sa banlieue. Les tours et les remparts étaient fortement secoués ; les édifices les plus élevés tombaient en ruines, et écrasaient dans leur chute un grand nombre de citoyens ; les villes les plus vastes ne présentaient plus que des monceaux de pierres, sous lesquels les malheureux habitants trouvaient leur tombeau. Le petit peuple, frappé de consternation, fuyait le séjour des villes, et abandonnait ses résidences ordinaires, de peur d'être écrasé sous les ruines, chacun espérait trouver le repos sous la voûte des cieux : mais alors même les malheureux, frappés d'un sentiment de terreur, ne pouvaient goûter un sommeil tranquille, et voyaient dans leurs songes les catastrophes qu'ils avaient redoutées dans leurs veilles. Cet horrible fléau ne se renferma point dans une seule contrée, et les provinces les plus reculées de l'Orient en furent également atteintes.

[1115.] L'année suivante, Bursequin,[17] très puissant satrape des Turcs, rassembla de nouveau une immense multitude de gens de sa nation, pénétra en ennemi sur le territoire d'Antioche, et, traversant toute cette province, alla établir son camp entre Alep et Damas, pour attendre les occasions favorables de diriger ses invasions vers l'une ou l'autre des contrées occupées par les Chrétiens. Cependant Doldequin, roi de Damas, ne voyait pas sans inquiétude cette expédition des Turcs : il craignait qu'ils ne se fussent rassemblées avec l'intention de l'attaquer on de le troubler dans la possession de ses États, plus encore que pour combattre les Chrétiens, dont ils avaient souvent éprouvé les forces. Ses craintes étaient d'autant plus vives que les Turcs lui imputaient la mort de celui de leurs illustres chefs, dont j'ai déjà parlé, assassiné à Damas, et paraissaient croire qu'un tel meurtre n'avait pu être commis que de son consentement. Ayant donc appris leur arrivée, et se croyant pleinement assuré de leurs intentions, Doldequin envoya des députés chargés de présents magnifiques, tant au roi de Jérusalem qu'au prince d'Antioche, pour leur demander la paix avec les plus vives instances pendant un temps déterminé. Rengageant par serment, et même en livrant des otages, à se montrer fidèle allié des Chrétiens, tant du royaume de Jérusalem que de la principauté d'Antioche, durant tout le temps qui serait fixé par le traité.

Dans le même temps, le prince d'Antioche, voyant les Turcs établis fort près de ses États, et averti par quelques rapports qu'ils se disposaient à envahir son territoire, demanda au roi de venir promptement à son secours, et invita aussi Doldequin à s'avancer avec ses troupes, conformément au traité d'alliance qu'ils venaient de conclure. Le roi de Jérusalem, toujours plein de sollicitude pour le salut public, convoqua aussitôt ses chevaliers, et marcha en toute hâte, suivi d'une honorable escorte, il rallia sur son chemin le comte Pons de Tripoli, et arriva en peu de jours au lieu où le prince d'Antioche avait rassemblé toutes ses forces. Doldequin, qui s'était trouvé plus voisin, était arrivé avant le roi, et avait réuni ses troupes à celles des Chrétiens, comme un fidèle allié. Les divers détachements, s'étant alors formés en un seul corps d'armée, se dirigèrent tous ensemble vers la ville de Césarée, où l'on avait appris que les ennemis s'étaient rassemblés. Mais les Turcs, jugeant qu'ils ne pourraient soutenir une telle attaque sans courir les plus grands dangers, feignirent un mouvement de retraite, et parurent ne devoir plus revenir. L'armée coalisée se sépara, et chacun rentra dans ses propres domaines.

CAPUT XXIV.

Ascalonitae urbem Joppensem obsident; sed regis adventum formidantes, infecto negotio recedunt ad propria.

Interea, dum rex ita circa partes Antiochenas detineretur occupatus, Ascalonitae ea freti fiducia quod rex absens erat secumque majores regni vires contraxerat, sumpta opportunitate ex tempore, urbem Joppensem obsident. Modico siquidem ante tempore, septuaginta navium classis in eorum subsidium ex Aegypto ascenderat, quam ante se praeire, et Joppensium littus occupare praecipiunt; ipsi vero subsecuti in multis millibus, erectis vexillis, subito ante urbem constiterunt. Qui vero in classe erant, cognito suorum per terras adventu, e navibus certatim prosiliunt, civitatem quominus impugnaturi. Sic ergo dispositis in gyrum ordinibus, urbem ex omni parte ambiunt et signo dato impugnant, undique instantes animosius. Cives autem, etsi pauci essent numero et viribus longe impares, pro uxoribus et liberis, pro libertate et patria, pro qua quivis egregius honestum mori reputat, resistunt viriliter; turresque ac moenia pro viribus communientes, arcubus et balistis, jactu quoque pugillarium lapidum hostes a se propellunt longius, nec ad murum patiuntur accedere. Contigit autem Ascalonitis longe secus a spe quam conceperant; nam, urbem arbitrantes vacuam reperire, scalas fabricaverant et altitudine et numero sufficientes, per quas statim sine contradictore intra moenia irrumpere posse non diffidebant. Resistentibus igitur viriliter obsessis, non dabatur eis scalas moenibus applicare; quibus vix licitum erat ad eos, qui in turribus erant, aliquid jaculari. Tantam enim civibus Dominus contulerat gratiam, ut circumstantem multitudinem, divino freti auxilio, non formidarent. Erant autem portae civitatis ligneae, nullum ex aere vel ferro habentes operimentum. Has ignem artificiose contorquendo ex parte combusserunt; non tamen eatenus ut per eas major vis civibus, aut major inferri posset molestia. Videntes ergo post dies aliquot Ascalonitae quod non proficerent, timentesque ne regionis populus ad obsessorum conveniret subsidium, soluta obsidione, domum reversi sunt. Classis vero secundis usa flatibus, in portum Tyrensium se recepit.

Evoluto autem decem dierum spatio, tentare volentes utrum Joppitas incautos aliquando reperire possent, Ascalona secretius egressi, congregata suorum ingenti multitudine, subito et sine strepitu, iterato ante Joppen astiterunt. Cives autem, in talibus assueti, semper erant in excubiis, continuas noctibus per successiones agentes vigilias, ut semper ad resistendum invenirentur parati. Videntes ergo hostium reversas legiones et bella sibi recidiva parari, certatim turres conscendunt et moenia; tantoque acrius contendunt resistere, quanto vires hostium minores conspiciunt et numerum vident imminutum. Nam, classem quae alia vice multa civibus intulerat discrimina, abesse conspiciunt, non facile redituram. Augebat et nihilominus obsessorum fiduciam, quod rex in proximo dicebatur venturus. Unde facti animosiores et resistentes confidentius, variis casibus, multos de hostium exercitu protervius instantes peremerunt. Cum ergo quasi per septem horas continuas urbem impugnassent, videntes quod inutiliter consumerent operam, revocatis agminibus hostes Ascalonam reversi sunt.
 

CHAPITRE XXIV.

Tandis que le roi était retenu par cette nouvelle expédition dans les environs d'Antioche, les habitants d'Ascalon, se confiant en son absence, et assurés qu'il avait emmené à sa suite la plus grande partie des forces du royaume, saisirent cette occasion favorable pour aller mettre le siège devant la ville de Joppé. Peu de temps auparavant, une flotte de soixante et dix navires était arrivée d'Egypte pour seconder leur entreprise, ils la firent partir en avant, et lui donnèrent ordre d'aller occuper les rivages aux environs de Joppé, puis ils se mirent en marche, bannières déployées, au nombre de plusieurs milliers, et arrivèrent subitement sous les murs de la place. Les gens de la flotte, dès qu'ils eurent connaissance de l'approche de leurs alliés, débarquèrent sur le rivage pour se disposer à attaquer de plus près. Aussitôt la ville se trouva investie de tous côtés, et au premier signal, ils commencèrent a livrer assaut avec la plus grande vigueur. Les assiégés résistèrent bravement, quoiqu'ils fussent très peu nombreux, et n'eussent que des forces très inférieures à celles de leurs ennemis ; mais ils combattaient pour leurs femmes et leurs enfants, pour leur liberté, et surtout pour leur patrie, pour laquelle tout bon citoyen se fait honneur de mourir. Ils fortifièrent leurs tours et leurs murailles autant que possible, et travaillèrent sans relâche à en défendre l'approche ou à repousser les assaillants, employant tour a tour les arcs et les balistes, et faisant pleuvoir sur eux des grêles de pierres qu'ils lançaient avec la main. Les Ascalonites se virent bientôt entièrement déçus dans leurs espérances. Ils avaient cru trouver une ville dépeuplée ; ils avaient fabriqué des échelles en longueur et en quantité suffisantes, dans la confiance de pouvoir s'en servir sans le moindre obstacle pour s'élancer sur les remparts. Biais comme les habitants de Joppé résistaient vigoureusement, les assiégeants n'avaient aucun moyen de dresser leurs échelles, et à peine leur était-il possible de lancer des traits contre ceux qui occupaient les tours. Ainsi, par la grâce du Seigneur, et s'appuyant sur ce puissant secours, les assiégés n'éprouvaient pas le moindre sentiment de crainte en présence de cette multitude d'ennemis. Les portes de la ville étaient en bois, et aucune d'elles n'avait de doublure en bronze ou en fer. Les assiégeants lancèrent des feux sur elles et les brûlèrent en partie, mais pas assez cependant pour faire violence aux habitants, ou seulement rendre leur position plus critique. Enfin, au bout de quelques jours, voyant que leurs opérations n'avançaient pas, et craignant que le peuple des environs ne se soulevât pour porter secours aux assiégés, les Ascalonites levèrent le siège et retournèrent chez eux. La flotte en même temps profita d'un vent favorable pour se retirer dans le port de Tyr.

Dix jours après, les gens d'Ascalon voulant de nouveau tenter s'ils ne pourraient surprendre à l'improviste ceux de Joppé, sortirent secrètement de leur ville, après avoir réuni toutes leurs forces, marchèrent avec précaution et sans bruit, et vinrent inopinément se présenter une seconde fois sous les murs de Joppé. Mais les habitants de cette ville, accoutumés à de pareilles agressions, étaient sans cesse sur la défensive, et avaient toutes les nuits des patrouilles de garde qui se relevaient successivement et se tenaient toujours prêtes à la résistance. Dès qu'ils reconnurent que les ennemis venaient de nouveau leur apporter la guerre, tous les citoyens s'élancèrent à l'envi dans les tours et sur les murailles, et se disposèrent d'autant plus vigoureusement à se défendre, qu'ils furent bientôt assurés que les forces des assiégeants étaient cette fois fort inférieures à celles qu'ils avaient lors de leur première attaque. La flotte qui, précédemment, avait mis la ville en grand péril, n'était pas revenue, et il lui eût été difficile de faire une seconde tentative. On annonçait aussi la prochaine arrivée du roi, et c'était pour les assiégés un nouveau motif de confiance. Ils se montrèrent donc animés d'un extrême courage, résistèrent avec plus de vigueur encore, et tuèrent beaucoup de monde à leurs ennemis qui les attaquaient avec vigueur. Après avoir livré assaut pendant sept heures consécutives sans pouvoir obtenir le moindre avantage, les Ascalonites donnèrent le signal de la retraite et s'en retournèrent chez eux.

CAPUT XXV.

Borsequinus iterum Antiochenorum vexat fines; sed occurrente sibi principe Rogero cum suis auxiliis, confusus in fugam vertitur, legionibus dissolutis.

Dum igitur haec in regno geruntur, Bursequinus, de quo superius diximus, qui ad adventum domini regis et aliorum nobilium qui contra eum convenerant, fugam et discessum a partibus Antiochenis simulaverat, videns quod rex et princeps Antiochenus, Doldequinus quoque discesserant abinvicem, et curis tracti domesticis redierant ad propria, arbitratus quod non facile denuo possent convenire, rursum partes infestat Antiochenas; et percurrens regionem universam, villas incendit, concremat suburbana; et quidquid extra munita praesidia reperire poterant, sibi dabant in direptionem et praedam: divisis etiam catervatim agminibus ad varias dirigebant partes, ut stragem passim operarentur, et incautis occurrentes, sive per agros, sive iter agentes, aut captivos secum traherent, aut gladiis obtruncarent. Nec solum villas absque muro suis effringebant irruptionibus, verum etiam et murata municipia violenter occupabant. Marram siquidem et Cafardam, comprehensis intus habitatoribus, partim peremptis gladio, partim compedibus mancipatis, ad solum usque dejecerant; et obtinentes regionem totam, undique praedam, undique Christiana mancipia singulis diebus contrahebant.

Quod ut principi nuntiatum est, accito sibi domino comite Edessano, duodecima mensis Septembris, Antiochia egressus, ante oppidum Rugiam cum suis expeditionibus impiger astitit. Missisque statim exploratoribus qui de hostium statu eum certificarent et proposito, ipse acies instruit, componit agmina, ad pugnam viriliter se accingens: circa quae, dum juxta rei militaris disciplinam a domino comite fideliter adjutus desudaret, ecce nuntius cum omni celeritate properans, hostes in valle Sarmati castrametatos asserit. Quo audito, exhilaratus est admodum universus exercitus, quasi spe victoriae jam concepta. Ipse etiam Bursequinus, audito nostrorum adventu, suos armari praecipit, et instructis agminibus ad agendum strenue commilitones invitat. Volens tamen suae providere saluti, cum fratre et quibusdam familiaribus, montem vicinum nomine Danim, antequam nostri accedant, occupat; unde suos possit praeliantes intueri et de belli ordine necessario suos plenius instruere.

Factum est ergo ut, dum circa haec esset occupatus, ecce nostrorum acies, erectis vexillis coeperunt comparere; visisque hostibus, spreta eorum multitudine, dominus Balduinus Edessanus comes, qui cum sua cohorte caeteros praecedebat, in eos animosius irruens, impetu vehementi totum eorum concussit exercitum. Quem pari exemplo reliquae acies consecutae, in medios hostium cuneos se immergunt, ensibus et gladiis instantes cominus; injurias parati refundere, quas villanis et pauperibus nimis licenter intulerant. Hostes itaque primis congressionibus resistendi spem habentes, proterve nimis a se nostros tentabant propulsare; sed tandem nostrorum vires, impetus et admirabilem stupentes constantiam, dissolutis penitus eorum agminibus, in fugam versi sunt. Bursequinus vero de montis culmine suorum videns defectum, nostros vero invalescere, cum fratre et familiaribus quos in monte collegerat, relicto vexillo, castris et sarcinis omnibus, fuga elapsus, vitae consuluit. Dissolutas itaque acies et in fugam versas nostri persequuntur instantius; et gladiis obtruncantes fugitivos, quasi per duo milliaria stragem infinitam operati sunt. Princeps autem cum parte suorum, tanquam victor, in campo certaminis biduo moram faciens, suos operiebatur, qui ad partes diversas hostes fuerant insecuti. Quibus receptis, et comportatis ante se spoliis omnibus, portiones congruas victoriae praestat consortibus. Castra enim deserentes omnibus referta commoditatibus, et ingentibus divitis redundantia usque ad supremum, omnium eorum immemores fugam inierant. Sed et praedam et manubias, quas de locis diversis contraxerant; simul et captivos nostros, quos in vincula conjecerant, receperunt nostri; et gaudentes cum suis animalibus, uxoribus et liberis remiserunt ad propria. Dicuntur autem in eo conflictu cecidisse de hostibus plus quam tria millia. His peractis, princeps equis, mulis et captivorum ante se praemissa multitudine, divitiarum quoque omnimoda varietate antecedente, Antiochiam cum ingenti plausu et populorum laetitia victor ingressus est.
 

CHAPITRE XXV.

Tandis que ces événements se passaient au centre même du royaume, Bursequin, dont j'ai déjà parlé, qui avait feint un mouvement de retraite et de fuite lors de l'arrivée du roi et des autres nobles réunis dans les environs d'Antioche, voyant qu'à la suite de son mouvement le roi, le prince d'Antioche et Doldequin s'étaient séparés pour rentrer chacun dans ses États et se livrer au soin de leurs affaires particulières, et présumant qu'il leur serait plus difficile de se rassembler une seconde fois, Bursequin, dis-je, recommença à ravager le territoire d'Antioche, il parcourait tout le pays, incendiait les campagnes et les faubourgs, enlevait tout ce qu'il pouvait trouver en dehors des places fortifiées, et en accroissait son butin ; puis il divisait ses forces en détachements qu'il envoyait de tous côtés pour répandre partout la désolation et le carnage, et tous ceux que ces détachements rencontraient, marchant sans moyens de défense dans les champs ou sur les grands chemins, étaient aussitôt mis à mort ou emmenés en captivité. D'autres fois, dans le cours de leurs irruptions, ils occupaient les villes dépourvues de murailles, et souvent même ils allaient jusqu'à s'emparer de vive force des villes fermées. A Marrah et à Cafarda,[18] ils firent tous les habitants prisonniers, tuèrent les uns, chargèrent les autres de fers, et rasèrent ensuite ces deux villes ; occupant ainsi tout le pays, chaque jour ils augmentaient leur butin ou emmenaient des Chrétiens en esclavage.

Cependant le prince d’Antioche, ayant appelé à son secours le comte d'Edesse, sortit de la place le 12 du mois de septembre, et arriva en toute hâte devant le bourg de Rugia avec les troupes qu'il avait levées. Il expédia aussitôt des éclaireurs pour reconnaître exactement la position des ennemis, et lui-même s'occupa de disposer ses troupes en bon ordre, d'organiser ses bataillons, et de faire tous ses préparatifs pour combattre vigoureusement. Tandis qu'il se livrait avec zèle à ces arrangements, selon les règles de la science militaire, et avec l'assistance du fidèle comte d'Edesse, un exprès arriva en toute hâte et vint lui annoncer que les ennemis étaient campés dans la vallée de Sarmate. Toute l'armée accueillit cette nouvelle avec des transports de joie, comme si déjà elle était assurée de la victoire. Bursequin, de son côté, ayant appris l'arrivée de ses ennemis, organisa ses bataillons, fit prendre les armes à ses troupes et les exhorta à combattre avec vigueur. Voulant en même temps pourvoir à sa sûreté personnelle, il alla avec son frère et quelques-uns de ses familiers occuper une montagne voisine nommée Danis, avant que les nôtres fussent arrivés. De ce point élevé il lui était facile de suivre les mouvements de ses troupes, et de leur expédier, selon les circonstances, les ordres qu'il croirait nécessaires.

Tandis qu'il était occupé à ces dispositions préliminaires, notre armée commença à se montrer, marchant bannières déployées. Aussitôt qu'il reconnut les ennemis, le seigneur Baudouin, comte d'Edesse, qui formait l'avant-garde, à la tête de sa cohorte, s'élança vivement sur eux sans s'arrêter à compter leurs forces, et l'impétuosité de sa première attaque ébranla toute l'armée des infidèles. Les autres corps le suivirent de près, animés par un tel exemple, et se précipitèrent au milieu des rangs ennemis, les pressant du glaive, et cherchant avec ardeur à tirer vengeance de tous les maux qu'avaient soufferts tous les pauvres habitants des campagnes et des villes. Les infidèles espérèrent d'abord résister au premier choc, et firent tous leurs efforts pour repousser les nôtres ; mais les forces qui les attaquaient, l'impétuosité et l'admirable vigueur des Chrétiens les frappèrent bientôt de stupeur ; le désordre se mit dans leurs rangs, et enfin ils prirent la fuite. Bursequin, voyant la défaite de ses troupes et les succès progressifs des nôtres du haut de la montagne où il s'était établi avec son frère et ses familiers, abandonna aussitôt sa bannière, son camp et tous ses bagages, et prit la fuite, pour sauver du moins sa personne. Les nôtres cependant, après avoir rompu les rangs de leurs ennemis, se mirent vivement à leur poursuite et les chassèrent devant eux sur une longueur d'environ deux milles, renversant et massacrant un nombre considérable de fuyards. Le prince d'Antioche, vainqueur, demeura sur le champ de bataille avec une partie des siens, et s'y maintint pendant deux jours pour attendre ceux de son armée qui avaient poursuivi l'ennemi dans diverses directions. Lorsqu'ils furent tous revenus, le prince fit rassembler sous ses yeux les dépouilles, et en fit une distribution équitable entre tous ceux qui avaient eu part à la victoire. Les ennemis, en abandonnant leur camp pour prendre la fuite, y avaient oublié et laissé des approvisionne-mens et des richesses de toutes sortes. Nos soldats rapportèrent aussi de tous côtés d'immenses dépouilles ; ils reprirent tous les Chrétiens que les ennemis avaient faits prisonniers et les renvoyèrent dans leurs domiciles, tous remplis de joie et ramenant avec eux leurs femmes, leurs enfants et leurs bestiaux. On dit que les ennemis perdirent plus de trois mille hommes dans cette affaire. Après cet heureux événement, le prince d'Antioche envoya en avant les chevaux, les mulets, tous les prisonniers qu'il avait faits et le riche butin dont il s'était emparé, et lui-même rentra en vainqueur dans Antioche aux applaudissements et aux cris de joie de toute la population.

CAPUT XXVI.

Arnulfus Hierosolymorum patriarcha super multis accusatus Romam proficiscitur. Rex in Syria Sobal trans Jordanem castrum, cui nomen mons Regalis est, aedificat.

Eodem tempore, dominus papa, auditis enormitatibus Arnulfi patriarchae et de ejus immunda conversatione plenius edoctus, legatum dirigit ad partes Syriae, quemdam virum venerabilem et multa religione conspicuum, Aurasicensem episcopum; qui ad partes nostras perveniens, convocato universi regni episcoporum concilio, praedictum Arnulfum coram se astare praecepit: tandemque meritis exigentibus, auctoritate sedis apostolicae ab officio pontificali deposuit. Ille vero adhuc fiduciam habens in suis praestigiis, quibus pene universorum subvertebat animos, transfretare coactus, ad Romanam perrexit Ecclesiam: ubi domini papae et totius Ecclesiae, blandis verbis et larga munerum profusione, religionem circumveniens, cum gratia sedis apostolicae remeavit ad propria, sedem obtinens Hierosolymitanam eadem vivendi licentia, qua prius meruerat depositionem.

Per idem tempus, cum adhuc Christianus populus ultra Jordanem non haberet ullum praesidium, cupiens rex in partibus illis regni fines dilatare, proposuit, auctore Domino, in tertia Arabia, quae alio nomine dicitur Syria Sobal, castrum aedificare, cujus habitatores terram subjectam et regno tributariam ab hostium irruptionibus possent protegere. Volens igitur proposito satisfacere, convocatis regni viribus, mare transit Mortuum; et transcursa Arabia secunda, cujus metropolis est Petra, ad tertiam pervenit. Ubi in colle, ad ejus propositum loco satis idoneo, praesidium fundat, situ naturali et artificio valde munitum, in quo post operis consummationem tam equites quam pedites, ampla illis conferens praedia, habitatores locat; oppidoque muro, turribus, antemurali et vallo, armis, victu et machinis diligenter communito, nomen ex regia dignitate deductum ei imposuit, montemque Regalem, eo quod regem haberet fundatorem, appellari praecepit. Est autem praedictus locus commoditates habens fecundi soli, frumenti, vini et olei copias uberes ministrantis; salubritate simul et amoenitate praecipua singulariter commendabilis, totam adjacentem regionem suae vindicans ditioni.
 

à Vers le même temps, le seigneur pape ayant appris les énormes malversations du patriarche Arnoul, et parfaitement instruit de toute l'irrégularité de sa conduite, envoya en Syrie, comme son légat, l’évêque d'Orange, homme vénérable et illustre par sa haute piété. Ce prélat, arrivé dans notre pays, convoqua aussitôt le conseil des évêques du royaume, cita Arnoul devant lui, et le déposa enfin de son siège pontifical en punition de ses péchés et en vertu de l'autorité du siège apostolique. Arnoul, toujours plein de confiance en ce talent de séduction par lequel il parvenait à. subjuguer presque tous les esprits, forcé de passer la mer, se hâta de se rendre au siège même de l'Église romaine. Là, trompant la religion du seigneur pape et de tous les membres de l'Église, tant à force de douces paroles qu'en prodiguant les plus riches présents, il parvint à rentrer en grâce auprès du Saint-Siège, revint à Jérusalem, se remit en possession du patriarcat, et continua de mener le genre de vie qui lui avait valu naguère sa déposition.

A cette époque le peuple chrétien ne possédait au-delà du Jourdain aucun point fortifié. Le roi, désirant reculer les limites de son royaume de ce côté, résolut de faire construire, avec l'aide du Seigneur, un fort dans la troisième Arabie, autrement appelée Syrie de Sobal, et d'y établir des habitants dont la présence servît à défendre le territoire adjacent, tributaire du royaume, contre les invasions de l'ennemi. Voulant accomplir au plus tôt ce dessein, il convoqua toutes ses troupes, passa la mer Morte, traversa la seconde Arabie, qui a Pétra pour métropole, et entra dans la troisième Arabie. Ayant trouvé une colline qui lui parut propre à l'exécution de ses projets, il, y fit construire une forteresse que sa position naturelle et les travaux d'art qu'il y ajouta rendaient également redoutable ; et dès que les ouvrages furent terminés, il assigna cette résidence à des compagnies de gens de pied et de chevaliers qu'il enrichit par la concession d'un vaste territoire. La nouvelle ville fui ; entourée de murailles de tours, de remparts avancés, de fossés ; on l'approvisionna avec soin en armes, en vivres et en machines de guerre, et le roi, pour lui donner un nom qui rappelât la dignité de son origine et le titre de son fondateur, voulut qu'elle fût appelée Mont-Real. Le lieu où elle est située est remarquable par la fertilité du sol, qui fournit en grande abondance du grain, du vin et de l'huile ; l'air y est sain, la position très agréable, et la forteresse domine et commande toute la contrée environnante.

CAPUT XXVII

Rex videns urbem sanctam habitatoribus vacuam, Syros fideles ex Arabia deducit; quibus conferens domicilia, urbis eos constituit habitatores.

Eo temporum articulo, videns rex et super eo valde sollicitus, urbem sanctam et Deo amabilem habitatoribus vacuam, ita ut eo ad caetera regni negotia de necessitate populus *, qui saltem ad protegendos civitatis introitus, et turres et moenia, contra repentinas hostium irruptiones munienda sufficeret; anxius cogitabat, apud se deliberans, et  ab aliis percunctabatur frequentius, quomodo fidelibus populis, et Dei cultoribus incolis eam posset replere. Gentiles enim qui fuerant ejus habitatores, urbe violenter effracta, pene omnes in gladio ceciderant; si qui autem casu evaserant, iis non est datus locus intra urbem ad manendum. Instar enim sacrilegii videbatur Deo devotis principibus, si aliquos, qui in Christiana non censerentur professione, in tam venerabili loco esse permitterent habitatores. Nostrates vero adeo pauci erant et inopes, ut vix unum de vicis possent incolere. Suriani autem, qui ab initio urbis cives exstiterant, tempore hostilitatis per multas tribulationes, et infinitas molestias adeo rari erant, ut quasi nullus eorum esset numerus. Ab introitu siquidem Latinorum in Syriam, maxime autem postquam, Antiochia capta, versus Hierosolymam tendere coepit exercitus, adeo praedictos Dei famulos concives eorum coeperunt affligere, ut pro quolibet levi verbo multos ex eis occiderent, aetati non parcentes, aut conditioni: suspectos eos habentes, quod Occidentales principes, qui dicebantur advenire, in eorum perniciem ipsi litteris et nuntiis evocassent.

Sic ergo pro ejus desolatione curam gerens debitam, sciscitabatur diligentius unde illic cives posset evocare, tandemque didicit quod trans Jordanem in Arabia multi fideles in villis habitarent, qui sub gravibus conditionibus hostibus serviebant in tributo. Hos evocans dominus rex, et meliores promittens conditiones, tractos tum locorum reverentia, tum nostrorum dilectione et amore libertatis, intra modicum tempus multos cum uxoribus et liberis, cum gregibus et armentis et universa familia recepit. Multi etiam sine vocatione, durae servitutis jugum declinantes, ut urbem Deo dignam incolerent, convenerunt. Quibus rex eas civitatis partes, quae magis hoc solatio videbantur indigere, conferens, eis domicilia replevit.
 

à

A peu près vers la même époque, le roi, vivement occupé des intérêts de la ville sainte et agréable à Dieu, autant que de toutes les autres affaires de son royaume, voyant cette cité dégarnie d'habitants, et souhaitant de la repeupler de manière qu'elle fût au moins en état de défendre ses tours et ses murailles contre les invasions subites de l'ennemi, cherchait avec anxiété les moyens d'y attirer une population d'hommes fidèles et dévoués au culte du Seigneur. Il méditait souvent sur ce sujet, et souvent s'en entretenait avec ceux qui l'entouraient. Lorsque la ville fut prise de vive force par les Chrétiens, les Gentils qui y habitaient succombèrent presque tous sous le glaive, et ceux qui échappèrent au massacre n'eurent pas la permission de demeurer dans l'intérieur de la cité. Les princes dévoués au service de Dieu pensèrent que ce serait une sorte de sacrilège d'accorder à ceux qui ne professaient pas la foi chrétienne l’autorisation de résider dans un lieu si vénérable, et cependant nos fidèles étaient si peu nombreux et si pauvres qu'à peine pouvaient-ils suffire à remplir l'une des rues de la ville. Les Chrétiens de Syrie qui, dès longtemps, habitaient à Jérusalem, et y étaient comptés comme citoyens, avaient éprouvé tant de tribulations, supporté tant et tant de maux durant les hostilités, que leur nombre était extrêmement diminué et se trouvait presque réduit à rien depuis l'époque de l'entrée des Latins en Syrie, et plus particulièrement, encore depuis le moment où l'armée des Croisés se mit en marche pour Jérusalem. Après la prise d'Antioche, les concitoyens de ces fidèles serviteurs de Dieu commencèrent à les accabler de toutes sortes de vexations, sur la moindre parole, ils en faisaient périr un grand nombre, saris aucun égard pour l'âge ou pour le rang, et les tenaient dans un état continuel de suspicion, sous prétexte qu'ils ne cessaient, par lettres ou par messagers, d'inviter les princes d'Occident, dont on annonçait l'arrivée, à venir s'emparer de leur pays.

Le roi, souhaitant vivement de mettre un terme à cette désolation, cherchait avec le plus grand zèle les moyens d'y parvenir, lorsqu'il apprit qu'il y avait au-delà du Jourdain et en Arabie beaucoup de fidèles qui habitaient dans les campagnes, payaient tribut aux ennemis et vivaient sous des conditions très onéreuses. Il leur fit proposer de venir à Jérusalem, en leur promettant un sort plus doux. Attirés par le respect qu'ils avaient pour les lieux saints, par leur affection pour leurs frères et par l'amour de la liberté, un grand nombre d'entre eux vinrent en peu de temps, conduisant à leur suite leurs femmes, leurs enfants, leur gros et menu bétail et toute leur famille : le roi les accueillit avec empressement. D'autres encore, qui n'avaient point été appelés, fuyant le joug d'une dure servitude, accoururent également pour venir habiter dans la ville que le Seigneur avait jugée digne de lui. Le roi leur assigna les quartiers qui paraissaient avoir le plus besoin de ce renfort de population et donna à chacun un domicile assuré.

CAPUT XXVIII.

 Rex cleri suggestione a domino papa postulat, ut quascunque urbes subegerit, Hierosolymitanae subdantur Ecclesiae. Subjiciunturque variarum epistolarum rescripta.
Interea decidit in mentem domino regi (et fortasse cleri suggestione ad hoc devenit), ut, missis
nuntiis ad Ecclesiam Romanam, domino papae petitiones porrigeret; quarum tenor erat, ut quascunque urbes, quamcunque provinciam sudoribus bellicis et regia sollicitudine, auctore Domino, sibi posset vindicare et de potestate hostium violenter eripere, omnes ditioni et regimini Hierosolymitanae Ecclesiae subjacerent. Super quo rescriptum a sede apostolica impetravit, cujus tenorem praesenti interserere narrationi dignum duximus:

PASCHALIS, servus servorum Dei, glorioso Hierosolymitano regi BALDUINO, salutem et apostolicam benedictionem.

Ecclesiarum quae in vestris partibus fuerunt, vel sunt, terminos atque possessiones, diutina infidelium possessio tyrannisque confudit: cum itaque certos ejus fines assignare deliberatione nequeamus, tuis precibus non immerito duximus annuendum, ut, quia pro Hierosolymitanae Ecclesiae sublimatione personam tuam extremis periculis exponere devovisti, quascunque infidelium urbes ceperis, vel cepisti, ejusdem Ecclesiae regimini dignitatique subjaceant. Porro earumdem civitatum episcopi, patriarchae, tanquam proprio metropolitano, obedientiam exhibere procurent; quatenus ei ipse illorum fultus suffragiis, et ipsi adinvicem ipsius unanimitatis auxilio vegetati, sic in Hierosolymitanae Ecclesiae exaltatione proficiant, ut de illorum profectibus omnipotens Deus glorietur.

Data Laterani V Idus Julii.

Ad petitionem quoque ejusdem domini regis, idem dominus Paschalis, domino patriarchae Gibelino, et successoribus ejus in perpetuum super eodem articulo privilegium indulserat, cujus rescriptum huic praesenti narrationi interserere curavimus; cujus verba sunt haec:

PASCHALIS episcopus, servus servorum Dei, reverendissimo fratri Hierosolymitano patriarchae GIBELINO, et successoribus ejus in perpetuum canonice promovendis.

Secundum mutationes temporum transferuntur etiam regna terrarum: unde etiam ecclesiasticarum parochiarum fines, in plerisque provinciis mutari expedit, et transferri. Asianarum siquidem ecclesiarum fines antiquis fuerunt definitionibus distributi; quas distributiones, diversarum diversae fidei gentium confudit irruptio. Gratias autem Deo, quod nostris temporibus, et Antiochiae et Hierosolymae civitates cum suburbanis suis et adjacentibus provinciis, in Christianorum principum redactae sunt potestate. Unde oportet nos divinae mutationi et translationi manum apponere, et secundum tempus, quae sunt disponenda, disponere, ut Hierosolymitanae Ecclesiae urbes illas et provincias concedamus, quae gloriosi regis Balduini, ac exercituum eum sequentium sanguine, per Dei gratiam acquisitae sunt. Praesentis itaque decreti pagina tibi, frater charissime et coepiscope Gibeline, tuisque successoribus, et per vos sanctae Hierosolymitanae Ecclesiae, patriarchali sive metropolitano jure regendas disponendasque sancimus civitates omnes atque provincias, quas supradicti regis ditioni aut jam restituit, aut in futurum restituere gratia divina dignabitur. Dignum est enim ut Sepulcri Dominici ecclesia, secundum fidelium militum desideria, competentem honorem obtineat; et Turcorum seu Sarracenorum jugo libera in Christianorum manu abundantius exaltetur.

Super qua exauditione dominus Bernardus, vir vitae venerabilis, Antiochenorum patriarcha, quoniam in laesionem Ecclesiae suae redundare videbatur, indignatus est plurimum, ita ut, missis nuntiis ad Romanam Ecclesiam, super eo facto plurimum conquereretur; et de illata sibi et Ecclesiae suae manifesta injuria, dominum papam et Ecclesiam totam litteris suis argueret. Cujus dominus papa indignationem mitigare cupiens, in haec verba rescripsit:

PASCHALIS episcopus, servus servorum Dei, venerabili fratri BERNARDO, Antiocheno patriarchae salutem et apostolicam benedictionem.

Quamvis inter caeteras apostolicas sedes illa emineat, quam Petri apostoli morte in corpore dignatio superna clarificavit, inter Romanum tamen et Antiochenum episcopos tanta quondam legitur charitas exstitisse, ut nulla inter eos diversitas videretur. Eadem enim Petri persona utrasque illustravit Ecclesias; multa post haec tempora transierunt, quibus infidelium dominatio unitatem hanc in personis praesidentium impedivit. Gratias autem Deo, quod temporibus nostris Christianorum principatum in Antiochena civitate restituit. Dignum est igitur, charissime frater, ut ejusdem charitatis in nobis unitas firma permaneat; nec de nobis menti tuae opinio ulla subrepat, quod Antiochenam Ecclesiam deprimere aut inhonorare velimus. Si quid ergo vel Antiochenae, vel Hierosolymitanae Ecclesiae aliter fortasse quam oportuit de parochiarum finibus scripsimus, nec levitati est nec malitiae ascribendum, nec propter hoc apud nos est scandalum concitandum; quoniam et locorum prolixa longinquitas et antiquorum nominum commutatio, quae civitatibus vel provinciis accidit, magnam nobis ambiguitatem vel ignorantiam intulerunt. Caeterum et optavimus et optamus non scandali, sed pacis fomitem fratribus ministrare; suum jus et honorem quibusque ecclesiis conservare.

Data Laterani VII Idus Augusti.

Volens autem dominus papa mentem suam interpretari, et qua intentione domino regi et Ecclesiae Hierosolymorum id concesserat, quod in ejus rescriptis continebatur, eidem patriarchae Bernardo in hunc modum rescripsit:

PASCHALIS episcopus, servus servorum Dei, coepiscopo BERNARDO, Antiocheno patriarchae, salutem et apostolicam benedictionem.

Sicut aliis litteris fraternitati tuae scripsimus, nos et personam tuam, et Ecclesiam tibi commissam plena charitate diligimus; nec ullo modo volumus honorem vestrae dignitatis imminui, quin Antiocheni patriarchatus praelatio, sicut praeteritis temporibus conservata est, ita etiam in futurum integra, praestante Domino, conservetur. Illud autem quod filio nostro Balduino, Hierosolymitanorum regi, per nuntios suos intercedenti, concessimus, charitatem vestram omnino conturbare non debet, si litterarum nostrarum sensum interius perscruteris. Sic enim in eis scriptum est: « Ecclesiarum quae illis in partibus fuerunt, vel sunt, terminos atque possessiones diutina infidelium possessio tyrannisque confudit. Cum itaque certos eis fines assignare praesenti deliberatione nequeamus, tuis non immerito precibus duximus annuendum, ut quia pro Hierosolymitanae Ecclesiae sublimatione personam tuam extremis periculis exponere devovisti, quascunque infidelium urbes ceperis, vel cepisti, ejusdem Ecclesiae regimini dignitatique subjaceant. » Eodem sensu illa etiam verba discutienda sunt, quae felicis memoriae Gibelino Hierosolymitano patriarchae, de civitatibus atque provinciis scripsimus, quae supradicti Balduini regis prudentia, et exercituum eum sequentium sanguine, per Dei gratiam, acquisitae sunt. Siquidem Ecclesias illas, quibus certi fines assignari possunt, quarum termini ac possessiones diutina possessione ac tyrannide confusi non sunt, et ipsarum Ecclesiarum urbes, illi volumus Ecclesiae subjacere, ad quam ex antiqua sciuntur justitia pertinere. Non enim volumus aut pro principum potentia, ecclesiasticam minui dignitatem; aut pro ecclesiastica dignitate principum potentiam mutilari.

Data Beneventi, XV Kalend. Aprilis.

Sed et domino regi eodem modo scripsit, exponens qua intentione praedictis illius petitionibus assensum praebuerat; et significans quod Ecclesiam Antiochenam in nullo velit indebite gravari, in haec verba:

PASCHALIS episcopus, servus servorum Dei, charissimo BALDUINO, illustri Hierosolymitanorum regi, salutem et apostolicam benedictionem.

Concessio illa quam nos petitioni tuae accommodavimus, ut quascunque infidelium urbes ceperis, vel cepisti, Hierosolymitanae Ecclesiae regimini dignitatique subjaceant, non parum cum fratrem nostrum Bernardum patriarcham, tum universam Antiochenam turbavit Ecclesiam. Cum enim nos concessionem illam super illis Ecclesiis indulserimus, quarum terminos atque possessiones diutina infidelium possessio tyrannisque confudit, illi eas Ecclesias a Hierosolymitano patriarcha, te connivente invasas, conqueruntur, de quibus ambiguitas nulla sit, quin eas etiam Turcorum vel Sarracenorum temporibus sedes Antiochena possederit; quia earum episcopi, etiam infidelium oppressi tyrannide, Antiocheno patriarchae obedientiam exhibebant. Porro nos litteris ad supradictum patriarcham missis, Antiocheni patriarchatus praelationem, sicut ab antiquis Patribus distributa, et praeteritis temporibus conservata est, ita etiam in futurum integram conservari sanxeramus. Tuam igitur strenuitatem monemus, et monentes praecipimus, ne a te invasiones hujusmodi fieri (ubi manifesta est veritas) permittantur; sed unaquaeque Ecclesia justitiae suae limitibus perfruatur. Nec enim possumus manifeste sanctis patrum nostrorum constitutionibus obviare; nec omnino volumus, aut pro principum potentia ecclesiasticam minui dignitatem, aut pro ecclesiastica dignitate principum potentiam mutilari; ne apud vos occasione alterutra pax, quod absit! turbetur Ecclesiae. Clericis quoque Hierosolymitanis per praesentia scripta praecipimus, quandoquidem paternas possessiones et patriam pro Ecclesiae, ut creditur, exaltatione, pro religionis observantia reliquerunt, ut Hierosolymitanae Ecclesiae sint jure contenti; nec injuste aut procaciter usurpare ea contendant, quae certo sciuntur ad jus Antiochenae Ecclesiae pertinere. Omnipotens Dominus, sua te in omnibus dextera protegat et de hostibus Ecclesiae triumphare concedat.

Data Laterani, XV Kal. Aprilis.
 

CHAPITRE XXVIII.

Le roi, vers le même temps, s'arrêta aussi à une résolution qui peut-être lui avait été d'abord inspirée par le clergé. Il envoya vers l'église de Rome des députés qu'il chargea de présenter quelques demandes au seigneur pape. Sa pétition avait pour objet d'obtenir que toutes les villes, toutes les provinces que le roi parviendrait à conquérir avec l'aide du Seigneur, et que, dans sa royale sollicitude, il soustrairait au pouvoir des ennemis par la force de ses armes, fussent entièrement soumises à l'autorité et au gouvernement de l'église de Jérusalem. Le siège apostolique lui transmit, au sujet de cette proposition, un rescrit que je crois devoir insérer dans cette histoire.

« Pascal, serviteur des serviteurs de Dieu, au glorieux roi de Jérusalem, Baudouin, salut et bénédiction apostolique !

 Les limites et les possessions des églises qui ont existé et qui existent encore dans votre pays ont été entièrement confondues par la longue et tyrannique domination des infidèles. Comme il nous est impossible de faire, de notre seul avis, des délimitations précises, nous avons jugé convenable de nous rendre à vos prières (attendu que vous n'avez cessé de vous dévouer de votre personne et en vous exposant aux plus grands dangers, afin de travailler à l'accroissement de l'église de Jérusalem), et de vous accorder en conséquence que toutes les villes que vous prendrez ou que vous avez prises sur les infidèles soient soumises à l'autorité et au gouvernement de cette même église. Qu'ainsi donc les évêques de ces villes aient soin de rendre obéissance au patriarche comme à. leur métropolitain ; que celui-ci s'appuie de leurs suffrages, de même qu'eux aussi puiseront une nouvelle force dans cette unanimité, et que leur union tourne au plus grand honneur de l'église de Jérusalem, afin que le Dieu tout-puissant soit glorifié par ces œuvres. »

Donné à Saint-Jean-de-Latran, le cinq des ides de juillet.[19]

Déjà, sur la demande du même roi, le seigneur pape Pascal avait accordé antérieurement un privilège sur le même sujet par un rescrit adressé au patriarche Gibelin et à ses successeurs à perpétuité, et qui était rédigé dans les termes suivants :

« Pascal, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son très vénérable frère Gibelin, patriarche de Jérusalem, et à ses successeurs qui seront canoniquement pourvus à perpétuité !

Les mutations qui surviennent par la suite des temps changent aussi les royaumes de la terre, en sorte qu'il convient également, dans la plupart des provinces, de changer et de transporter sur d'autres points les limites des paroisses ecclésiastiques. Les circonscriptions des églises d'Asie furent déterminées dans les temps antiques ; elles ont été confondues par les irruptions des nations diverses qui professaient des cultes différents. Grâces soient rendues à Dieu de ce que, de notre temps, les cités d'Antioche et de Jérusalem, ainsi que les campagnes et les régions environnantes, ont été soumises à la puissance de princes chrétiens. Comme cet événement nous impose le devoir de concourir aussi à ces changements venus du ciel et de disposer, selon le temps, toutes les choses qu'il importe de mettre en ordre nous concédons à l'église de Jérusalem toutes les villes et les provinces conquises par la grâce de Dieu et par le sang du très glorieux roi Baudouin et de ceux qui ont composé son armée. Ainsi mon frère très chéri et co-évêque Gibelin, le présent décret vous confère à vous et à vos successeurs, et par vous à la sainte église de Jérusalem, le droit de diriger et gouverner, avec la puissance patriarcale ou métropolitaine, toutes les villes et les provinces que la grâce divine daignera à l'avenir soumettre à la domination du susdit roi, ou qu'elle lui a déjà soumises. Il est convenable en effet que l'église du sépulcre du Seigneur obtienne, selon les vœux des fidèles chevaliers, les honneurs qui lui sont dus, et que, délivrée du joug des Turcs ou des Sarrasins, elle soit dignement exaltée entre les mains des Chrétiens. »

Le vénérable seigneur Bernard, patriarche d'Antioche, ayant appris ces nouvelles et jugeant que ces rescrits semblaient contenir une offense envers son église, éprouva un vif sentiment d'indignation et envoya des députés auprès de l'Église romaine, afin de porter ses plaintes à ce sujet, accusant dans les lettres qu'il écrivit, le seigneur pape et l'église de Rome de l'affront qui était fait publiquement à son église. Le pape, voulant calmer ce premier mouvement, de colère, adressa au patriarche un réécrit conçu en ces termes :

« Pascal, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son vénérable frère Bernard, patriarche d’Antioche, salut et bénédiction apostolique !

 Quelque élevé que soit au dessus de tous les autres le siège apostolique que Pierre l'apôtre daigna distinguer et illustrer par la mort de son corps, on sait cependant que jadis les évêques de Rome et d'Antioche étaient unis par des liens de charité si puissants que jamais il ne survenait entre eux le moindre différend. Le même Pierre, en effet, avait illustré l'une et l'autre de ces églises. Il s'est écoulé depuis lors beaucoup de temps, pendant lequel la domination des infidèles a mis des obstacles à cette union dans la personne des chefs des églises. Grâces a soient rendues à Dieu de ce que de notre temps la principauté d'Antioche est rentrée sous la domination des Chrétiens ! Il est digne de nous, mon frère très chéri, que cette union de charité subsiste constamment entre nous, et nous désirons que votre esprit ne soit pas secrètement préoccupé de la crainte que nous voulions jamais opprimer l'église d'Antioche ou ne pas l'honorer suffisamment. Si donc nous avons écrit, soit à l'église d'Antioche, soit à celle de Jérusalem, quelque chose qui peut-être n'eût pas dû être écrit au sujet des circonscriptions des paroisses, ce ne saurait être ni par légèreté, ni par malice, et vous n'auriez point lieu d'y trouver un sujet de scandale à notre égard, mais ce serait plutôt parce que l'extrême éloigneraient des lieux et les changements de noms anciens, survenus dans les villes et dans les provinces, nous auraient peut-être trouvés ignorants ou induits dans quelque erreur. Au surplus nous avons toujours désire et nous désirons toujours-être pour tous nés frères un ministre de paix, et non de scandale, et conserver à toutes les églises les droits et les honneurs qui leur appartiennent. »

Donné à Saint-Jean-de Latran, le 7 des ides d'août.[20]

Afin d'expliquer encore mieux sa pensée et de faire bien connaître les intentions qu'il avait eues en adressant au seigneur roi et à l'église de Jérusalem le rescrit que j'ai déjà rapporté, le pape expédia un nouveau rescrit au même patriarche Bernard ; il était conçu comme je vais le transcrire.

« Pascal, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son co-évêque Bernard, patriarche d'Antioche, salut et bénédiction apostolique !

 Ainsi que nous avons déjà écrit à votre fraternité dans une autre lettre, nous chérissons avec une entière charité et votre personne et l'église qui vous est confiée ; et, loin que nous voulions diminuer en rien les honneurs dus à votre dignité, nous désirons que la prééminence du patriarcat d'Antioche soit conservée, à l'aide du Seigneur, comme elle l'a été dans les temps passés, et qu'elle soit transmise intacte aux siècles futurs. Les concessions que nous avons faites à notre fils Baudouin, roi de Jérusalem, qui nous a intercédé par ses députés, ne doivent nullement alarmer votre charité, si vous voulez examiner avec soin le sens intime de nos lettres. Nous avons dit dans ce rescrit que les limites et les possessions des églises qui ont existé et qui existent encore dans ce pays ont été entièrement confondues par la longue et tyrannique domination des infidèles. Comme il nous est impossible, avons-nous ajouté, de fixer, de notre seul avis, des délimitations précises, nous avons jugé convenable de nous rendre à vos prières attendu que vous n'avez cessé de vous dévouer de votre personne et en vous exposant aux plus grands dangers, afin de travailler à l'accroissement de l'église de Jérusalem), et de vous accorder en conséquence que toutes les villes que vous prendrez ou que vous avez prises sur les infidèles soient soumises à l'autorité et au gouvernement de cette même église. C'est encore dans le même sens qu'il faut entendre, les paroles que nous avons adressées dans un autre écrit à Gibelin, patriarche de Jérusalem, de bien-ce heureuse mémoire, au sujet des villes et des provinces conquises par la-grâce de Dieu, par la sagesse du roi Baudouin, et par le sang des armées qui ont marché sous ses ordres. Quant aux églises auxquelles, on-peut assigner des limites exactes, dont la circonscription et les possessions n'ont pas été confondues par une longue et tyrannique domination, et quant aux villes qui appartiennent à ces églises, nous voulons qu'elles demeurent soumises à l'église dont on sait qu'elles dépendent, en vertu d'un droit antique, car nous ne voulons ni rabaisser la dignité de l'Église au profit du pouvoir des princes, ni mutiler le pouvoir des princes au profit de la dignité de l'Église. »

Donné à Bénévent, le quinze des calendes d'avril.[21]

En même temps le pape écrivit aussi au roi de Jérusalem, pour lui exposer dans quelle intention il avait donné son consentement aux demandes qu'il lui avait fait présenter et lui annoncer en outre qu'il n'entendait point que l'église d'Antioche fût injustement tracassée. Voici les termes de ce rescrit :

« Pascal, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son très chéri Baudouin, illustre roi de Jérusalem, salut et bénédiction apostolique !

 La concession que nous vous avons faite, sur votre demande, à l'effet que les villes quelconques que vous prendrez ou que vous avez prises sur les infidèles soient soumises à l'autorité et au gouvernement de l'église de Jérusalem, n'a pas médiocrement inquiété notre frère Bernard, le patriarche, aussi bien que toute l'église d'Antioche. Tandis que nous n'avons fait cette concession que pour les églises dont les limites et les possessions ont été confondues par la longue et tyrannique domination des infidèles, ils se plaignent que le patriarche de Jérusalem a envahi, de concert avec vous, les églises au sujet a desquelles il est hors de doute qu'elles ont, constamment appartenu au siège d'Antioche, même au temps des Turcs ou des Sarrasins, puisque leurs évêques, même opprimés sous la tyrannie des infidèles, ne cessaient pas de rendre obéissance au patriarche d'Antioche. En écrivant au susdit patriarche, nous avons maintenu l'indépendance de son patriarcat, et, désirant qu'il demeure intact à l'avenir, tel qu'il a été institué depuis longtemps par nos ancêtres et qu'il s’est conservé dans les temps passés, nous invitons donc votre vaillance, et par cette invitation nous l'engageons formellement à ne pas souffrir que de tels envahissements se renouvellent à l'avenir en une chose sur laquelle la vérité des faits est évidente. Que chaque église exerce donc ses droits dans l'étendue de sa juridiction. Il est certain en effet que nous ne pouvons agir contre les saintes constitutions de nos pères, et nous ne voulons pas non plus rabaisser la dignité de l'Église au profit du pouvoir des princes, ni mutiler le pouvoir des princes au profit de la dignité de l'Église, de peur que, dans l'une ou l'autre de ces circonstances, la paix de l'Église ne fût troublée, ce que Dieu veuille écarter ! Nous ordonnons aussi par le présent écrit à ceux qui composent le clergé de Jérusalem et qui eux-mêmes ont abandonné leurs possessions paternelles et leur propre patrie, pour se consacrer, à ce qu'on pense, au plus grand bien de l'Église et à des œuvres religieuses, de se contenter des droits qui appartiennent à l'église de Jérusalem et de ne point chercher, par injustice ou par audace, à usurper ceux qu'ils sauront de science certaine appartenir à l'église d'Antioche. Que le Seigneur tout-puissant vous protège de sa droite en toutes choses et vous donne de triompher des ennemis de l'Église ! »

Donné à Saint-Jean-de-Latran, le quinze des calendes d'avril.[22]

CAPUT XXIX.

Rex ad mare Rubrum descendit; regionem perlustrat: comitissam Siciliae, quam uxorem deduxerat, remittit ad propria, aegritudine fatigatus.

Anno sequente, ut adjacentium regionum rex pleniorem haberet experientiam, et de situ provinciarum magis edoceretur, assumptis secum locorum peritis, et comitatu, qui sibi ad propositum sufficere videbatur, transiens Jordanem, et transcursa Syria Sobal, per vastitatem solitudinis ad mare Rubrum descendit, ingressus Helim civitatem antiquissimam, populo Israelitico aliquando familiarem, ubi leguntur fontes duodecim fuisse, et palmae septuaginta. Ad quam cum pervenisset, loci illius incolae domini regis adventu praecognito, naviculas ingredientes, in mare vicinum, mortem effugere cupientes, se contulerunt. Ubi dominus rex, locis notatis et consideratis diligentius, eamdem qua venerat remensus viam, ad montem Regalem, castrum videlicet, quod de novo fundaverat, reversus est. Inde Hierosolymam rediens, gravi ex insperato correptus est aegritudine, qua cum supra vires fatigaretur et timeret deficere, laesam habens conscientiam, super eo quod legitima uxore injuste abjecta, aliam superduxerat; corde compunctus et facti poenitens, viris religiosis et Deum timentibus aperiens conscientiam, reatum confessus est, satisfactionem promittens; cui cum pro consilio daretur, ut reginam quam superduxerat, a se demitteret; abjectam vero, ad regiam unde deciderat revocaret dignitatem, acquievit: et quod ita facturus esset, si vita ei concederetur productior, voto se obligavit. Unde factum est ut, evocata ad se regina, ordine rem aperuerit; quae, licet super eodem facto aliquantulum esset instructa, nam id ipsum aliquando a pluribus audierat; tamen visa est aegre ferre quod ita temere fuerit evocata, et fraude principum regionis, qui ad eam citandam missi fuerant, circumventa. Dolens igitur et tristis tam de illata contumelia, quam de opibus inutiliter consumptis, ad reditum se praeparat; post tertium annum, quo ad dominum regem venerat, in patriam reversura. Qua redeunte ad propria, turbatus est supra modum filius; et apud se odium concepit adversus regnum et ejus habitatores, immortale. Nam cum reliqui fideles diversi orbis principes, aut in propriis personis, aut immensis liberalitatibus regnum nostrum, quasi plantam recentem promovere et ampliare sategerint, hic et ejus haeredes usque in praesentem diem, nec etiam verbo amico nos sibi conciliaverunt; cum tamen quovis alio principe longe commodius faciliusque nostris necessitatibus consilia possent et auxilia ministrare. Videntur ergo injuriae perpetuo memores; et delictum personae, injuste in populum refundunt universum.
 

CHAPITRE XXIX.

[1116.] L'année suivante,[23] le roi, désirant prendre une connaissance plus exacte des contrées adjacentes, et examiner avec soin la position et l'état des provinces, prit avec lui des hommes qui connaissaient bien les localités, et l'escorte qu'il jugea nécessaire, et passa le Jourdain. Il traversa toute la Syrie de Sobal, franchit de vastes déserts, descendit vers la mer Rouge, et se rendit à Hélis, ville très antique, jadis très fréquentée par le peuple d'Israël, et ou il y avait, suivant ce qui est écrit, douze fontaines et soixante-et-dix palmiers. Les habitants de ce lieu, instruits de la prochaine arrivée du roi, montèrent sur leurs petits navires, et se rendirent dans la mer voisine pour éviter la mort qu'ils redoutaient. Le roi, après avoir examiné ces lieux avec la plus grande attention, reprit la route qu'il venait de parcourir, et se rendit au Mont-Réal, forteresse qu'il avait fondée peu de temps auparavant. Il retourna de là à Jérusalem, où il fut saisi à l'improviste d'une maladie violente qui lui enleva bientôt toutes ses forces, et lui fit craindre de succomber à son mal. Sa conscience était bourrelée au sujet du second mariage qu'il avait contracté, après avoir injustement renvoyé sa femme légitime. Le cœur plein de componction, et repentant de cette conduite, il s'en ouvrit à des hommes religieux et craignant Dieu, confessa son crime, et promit d'en donner satisfaction. On lui conseilla alors de renvoyer sa seconde femme, de rappeler celle qu'il avait rejetée, et de la rétablir dans sa dignité royale. Il y consentit, et fit vœu de se conduire ainsi qu'on le lui prescrivait, s'il lui était permis de vivre plus, longtemps. En conséquence, il fit appeler la reine, et lui déclara tout ce qui s'était passé. Celle-ci avait déjà quelque connaissance des mêmes faits pour en avoir ouï parler à. plusieurs personnes ; cependant elle parut douloureusement affectée d'avoir été si audacieusement invitée à ce mariage, et séduite par les tromperies des princes chargés de lui en aller faire la proposition. Triste et profondément affligée, tant de l'affront qu'elle avait subi que de la perte de ses richesses, elle fit tous ses préparatifs pour retourner dans sa patrie, trois ans après être venue à Jérusalem pour s'unir au roi. Son retour plongea son fils dans la plus grande consternation, et lui inspira pour jamais une violente haine contre le royaume de Jérusalem et ses habitants. Tandis que tous les autres princes chrétiens de l'univers n'ont cessé de faire les plus grands efforts, soit de leur personne, soit par leurs immenses libéralités, pour protéger et faire prospérer notre royaume, comme une plante récemment sortie de terre, ce prince et ses successeurs n'ont pas même cherché jusqu'à ce jour à nous adresser une parole d'amitié, et cependant ils pourraient nous assister, dans nos besoins, de leurs conseils ou de leurs secours plus facilement et plus commodément que tous les autres princes. Ils paraissent avoir conservé à jamais le souvenir de cette offense, et font injustement peser sur tout un peuple la peine d'une faute qu'ils ne devraient imputer qu'à un seul homme.

 

CAPUT XXX.

Ante urbem Tyrensem castrum Alexandrium, quod vulgari appellatione Scandalium dicitur, aedificatur.

Eodem anno postquam rex de praedicta convaluit aegritudine, anxius quomodo urbem Tyrensium, quae sola de urbibus maritimis ab hostibus detinebatur, suo mancipare posset imperio, inter Ptolomaidam et praedictam Tyrum, castrum aedificat; in eodem loco ubi Alexander Macedo, ad expugnandam eamdem urbem, olim dicitur fundasse idem praesidium, et de suo nomine Alexandrium vocasse. Est autem locus fontibus irriguus, vix quinque milliaribus a Tyro distans, in littore maris constitutus. Hoc autem ea reaedificavit intentione, ut Tyrensibus esset pro stimulo, et unde eis frequentes irrogarentur injuriae. Hunc locum hodie appellatione corrupta populares appellant Scandalium. Arabice enim Alexander Scandar dicitur, et Alexandrium, Scandarium; vulgares vero r in l conversa, dicunt Scandalium.
 

CHAPITRE XXXX.

 Le roi, s'étant relevé de sa maladie, voulut encore, dans le cours de la même année, chercher les moyens de réunir à son empire la ville de Tyr, la seule des villes maritimes qui fût encore occupée par les ennemis. Dans ce dessein, il fît construire un fort entre Ptolémaïs et Tyr, sur remplacement où Alexandre le Macédonien fit aussi, à ce qu'on rapporte, élever une citadelle qu'il nomma, de son nom, Alexandrie, et qu'il destina également à servir au siège de la même ville. Ce lieu était riche en sources, et se trouvait placé sur les bords de la mer, à cinq milles tout au plus de la ville de Tyr. Le roi fit rebâtir cette forteresse dans l'intention de pouvoir attaquer les Tyriens avec plus de succès, et de les harceler sans relâche. Ce lieu a presque changé de nom, et s'appelle aujourd'hui, par corruption, Scandatium. Alexandre est nommé Scandar en langue arabe, et Alexandrie Scandarium. Les gens du peuple ont changé l’r en l, et ont fait ainsi Scandalium.

CAPUT XXXI.

Rex in Aegyptum descendit; Pharamiam occupat, in aegritudinem incidit, qua fatigatus in eodem itinere vita decedit; Hierosolymis juxta fratrem sepelitur.

Anno sequente, ut Aegyptiis vicem refunderet pro iis quae in regno saepius commiserant, cum ingentibus copiis descendit rex in Aegyptum, et urbem antiquissimam, Pharamiam nomine, confregit violenter; et confractae copias suis commilitonibus dedit in praedam. Est autem Pharamia urbs antiqua, ut diximus, in littore maris sita, non longe ab ostio Nili, quod Carabeix dicitur; supra quod iterum Tampnis, urbs antiquissima: et signorum, quae Dominus per Moysen servum suum coram Pharaone operatus est, familiaris. Capta igitur urbe, egressus rex ad praedictum ostium Nili, admiratus est aquarum quas prius non viderat fluenta; eoque maxime, quod Nilus, cujus portionem alvens ille usque in mare deducit, unum de quatuor paradisi fluminibus dicitur esse, et creditur. Captis igitur de piscibus, quorum illic maxima est copia, in urbem quam occupaverant redeunt, et parato prandio refecti sunt ex eis; cumque rex surrexisset a coena, sensit se dolore plurimo interius praegravari; et recrudescente antiqui vulneris molestia, coepit laborare vehementius, ita ut de vita periclitans desperaret. Indicto igitur legionibus per vocem praeconiam reditu, domino rege, aegritudine invalescente, eatenus debilitato, ut equitare non posset, lecticam instruunt, eumque in ea, anxie laborantem collocant. Sicque continuatis itineribus, transcursa ex parte solitudine, quae inter Aegyptum et Syriam media diffunditur, Laris antiquam ejusdem solitudinis urbem perveniunt maritimam. Ubi morbo superatus rex, ad extremum veniens, in fata concessit; unde lugentibus et prae doloris angustia deficientibus legionibus, Hierosolymam deportatus est. Et ea Dominica quae dicitur in Ramis palmarum, per vallem Josaphat, ubi de more populus ad diem festum convenerat, in urbem introductus, et juxta fratrem sub Calvaria, in loco qui Golgotha dicitur, regia magnificentia sepultus est. Mortuus est autem anno ab Incarnatione Domini 1118 regni ejus octavo decimo.
 

CHAPITRE XXXI.

[1117.] L'année suivante,[24] le roi, afin de rendre aux Egyptiens les maux qu'ils avaient fait souvent à son royaume ; descendit en Egypte à la tête d'une nombreuse armée, s'empara de vive force de l'antique ville de Pharamie, et la livra au pillage à ses compagnons d'armes. Pharamie, ville très ancienne, est située sur les bords de la mer, non loin de l'embouchure du Nil que l'on appelle Carabeix.[25] Au dessus de cette embouchure, est la ville de Larapuis, également très ancienne, et qui fut souvent témoin des miracles que le Seigneur opéra par Moïse, son serviteur, en présence de Pharaon. Après avoir pris la ville de Pharamie, le roi se rendit vers les bouches du Nil, admira ses eaux qu'il n'avait point encore vues, et les examina avec d'autant plus d'intérêt que le Nil (dont la brandie près de laquelle il se trouvait porte une partie de ses eaux jusqu'à la mer) est, dit-on, et selon une croyance commune, l'un des quatre fleuves du Paradis. Après avoir fait pêcher des poissons qui se trouvaient là en grande abondance, le roi retourna dans la ville que les troupes avaient occupée, fit préparer son repas, et mangea des poissons qu'on avait apprêtés. Au moment où il sortit de table, il se sentit pris de douleurs intérieures, une ancienne blessure se rouvrit, et bientôt il vit croître rapidement son mal, et commença à désespérer de sa vie. Des hérauts portèrent dans tout le camp l'ordre du départ. Le roi, se sentant de plus en plus souffrant, et ne pouvant monter à cheval, tant il était déjà affaibli, se fit faire aussitôt une litière, dans laquelle on l'établit, et où il demeura toujours fort agité. On continua cependant à marcher ; on traversa en partie le désert qui sépare l'Egypte de la Syrie, et l'on arriva à Laris,[26] ville antique, située suc les bords de la mer, et chef-lieu de ces vastes solitudes. Le roi, vaincu par son mal, fut bientôt à toute extrémité, et mourut dans cette ville. Ses légions en deuil, et ne pouvant presque s'avancer, tant elles étaient accablées de douleur, transportèrent son corps à Jérusalem. On le fit entrer dans la ville le dimanche qu'on appelle des Rameaux, en passant par la vallée de Josaphat, dans laquelle le peuple s'était rassemblé, selon sa coutume, pour célébrer ce jour de fête. Le roi fut enseveli avec la magnificence qui convenait à son rang, à côté de son frère, en dessous du Calvaire, et sur l'emplacement appelé Golgotha. Il mourut l'an onze cent dix-huit de l'incarnation du Seigneur et la dix-huitième année de son règne.

 

[1] Azot ou Asdod, jadis l'une des principales villes du pays des Philistins, située au bord de la mer, et réduite aujourd'hui à un misérable bourg qui porte le nom d'Esdud. Il paraît qu'il y avait dans l'intérieur des terres, à peu de distance d'Asdod, une autre ville de même nom, mais moins considérable.

[2] En 1107.

[3] Au mois de septembre 1108.

[4] Il mourut à Canosa, vers la fin de février 1111, selon L’Art de vérifier les Dates, tandis que Guillaume de Tyr le fait mourir en 1109.

[5] Il y a ici une erreur ; Philippe Ier mourut le 29 juillet 1108.

[6] Ezéchiel, chap. 27, v. 9.

[7] Rois, liv. 3, ch. 5, v. 18.

[8] Le 17 mai 1109, selon L’Art de vérifier les Dates.

[9] L'an 1110, selon L’Art de vérifier les Dates.

[10] Aujourd'hui Ruiah.

[11] Le 6 décembre 1112.

[12] Maudoud, sultan de Mosul.

[13] En 1113.

[14] Toghteghin, sultan de Damas, de l'an 1103 à l'an 1127.

[15] Roger, dit Bursa, ou La Bourse, était le fils, et non le frère de Robert Guiscard ; il fut duc de Pouille et de Calabre, de l'an 1085 à l'an 1111. Mais la comtesse de Sicile dont il s'agit ici, et qui épousa le roi de Jérusalem, avait été femme de Roger Ier, comte de Sicile, frère de Robert Guiscard, et non de Roger La Bourse, son fils. Elle s'appelait Adèle ou Adélaïde, et était fille de Boniface Ier, marquis de Montferrat.

[16] Evang. sel. S. Jean, chap. i, v. 16.

[17] Bourski.

[18] Dans la province d'Apamée, à quelques lieues de la rive droite de l’Oronte. Cafarda est l'ancienne Caparreœ, elle s'appelle aujourd'hui Kefar-tab.

[19] Le 11 juillet.

[20] Le 7 août.

[21] Le 18 mars.

[22] Le 18 mars.

[23] En 1116.

[24] En 1117.

[25] Près de Postium pelusiacum.

[26] El-Arish, sur remplacement de l'ancienne Rhinocorura.