Flodoard GUILLAUME DE TYR

 

HISTOIRE DES CROISADES

 

LIVRE XI (chapitres I à XVI)

livre X - livre XI (chapitres XVII à XXXI)

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

HISTOIRE

 

DES

 

FAITS ET GESTES

 

DANS LES REGIONS D'OUTRE-MER,

 

DEPUIS LE TEMPS DES SUCCESSEURS DE MAHOMET JUSQU'A L'AN 1184

 

par

 

GUILLAUME DE TYR


 

 

 

 

INCIPIT LIBER UNDECIMUS

CAPUT PRIMUM.

Boamundus, Antiochenorum princeps, commisso principatu Tancredo, transfretans in Franciam properat, Francorumque regis filiam ducit uxorem. Hierosolymorum patriarcha Romam petit. Rex uxorem legitimam absque causae cognitione deserit.

Aestate vero transcursa, dominus Boamundus, multo aeris alieni pondere fatigatus, ut ad debiti solutionem se pararet et ut de partibus ultramarinis majores militum secum traheret copias, principatus sui cura et administratione generali, cum plena jurisdictione dilecto suo consanguineo domino Tancredo commissa, in Apuliam navigavit; et cum eo dominus Daybertus, Hierolosymorum patriarcha. Qui, postquam in Apuliam pervenit, modico tempore in sua regione moram faciens, assumpto de suis fidelibus honesto comitatu, Alpes transiens, ad dominum Philippum illustrem Francorum regem pervenit. A quo inter caetera duas ejus obtinuit filias, unam de legitimo natam matrimonio, Constantiam nomine, quam sibi foedere conjugali copulavit in uxorem; alteram nomine Ceciliam, quam ei Andegavensium comitissa, (quae spreto marito, ad eumdem dominum regem se contulerat) uxore adhuc vivente, pepererat, quam domino Tancredo nepoti suo, ex Apulia missam, destinavit uxorem.

Completis ergo negotiis tam apud eumdem dominum regem quam in aliis ultramontanis partibus, cum ingenti equitum peditumque transfretare volentium multitudine, in Apuliam iterum reversus est. At vero dominus Daybertus ad Ecclesiam Romanam accedens, et injuriarum, quas patiebatur, modum aperiens; simul et Arnulfi nimis efficacem malitiam ordine pandens, nec non domini regis sinistram intentionem, qua Ecclesiam Dei humiliare nitebatur, omnes ad sui movit compassionem, gratiam obtinens universorum.

Nec solum id enorme, quod de domino patriarcha Dayberto supra memoravimus factum esse, contra disciplinam ecclesiasticam, rex commiserat; verum etiam uxorem legitimam, quam apud Edessam, dum ibi comes esset, duxerat, absque causae cognitione, non convictam, non confessam, lege matrimoniorum neglecta, dimisit, eamque in monasterio Sanctae Annae, matris Dei Genitricis et semper virginis Mariae, monacham fieri compulit violenter. Est autem idem locus Hierosolymis in parte orientali, juxta portam quae dicitur Josaphat, secus lacum qui tempore antiquo Probatica dicebatur piscina; ubi ostenditur cripta, in qua Joachim et praedictae Annae traditiones habent veterum domicilia fuisse; ubi et Virgo perpetua nata esse perhibetur. Erant autem ibi tres vel quatuor pauperes mulierculae vitam sanctimonialem professae, quibus gratia uxoris introductae ampliavit possessiones et patrimonium dilatavit. Causa autem cur ab uxore diverterit, apud diversos varia ferebatur: dicentibus aliis, dominum regem ideo dimisisse uxorem ut, ditiorem et nobiliorem ducendo, conditionem suam faceret meliorem; et paupertati, qua plurimum premebatur, sumpta dotis nomine aliunde opulentia, consuleret; aliis vero asserentibus, reginam improvidam minusque prudentem, tori maritalis minus caute observasse foedera. Cumque prius, quasi gaudens, religionis habitum videretur assumpsisse, et primo conversionis suae tempore, satis honeste videretur in eodem monasterio conversata, tandem occasione sumpta ex commentis fraudibus, ad dominum regem accedens, licentiam obtinet ut pro necessitate monasterii sui, ad sublevandam ejus inopiam liceret ei consanguineos suos, qui Constantinopoli erant, visitare: sub quo praetextu de regno exiens, sordibus et immunditiis omnem coepit dare operam; depositoque religionis habitu, divaricans se ad omnem transeuntem nec propriae parcens aestimationi, nec regiam quam habuit reverita dignitatem.

 

LIVRE ONZIEME.

 

Vers la fin de l'été, le seigneur Boémond, désirant s'acquitter des sommes considérables qu'il devait à des étrangers, et ramener en même temps un renfort de chevaliers des pays d'outre mer, alla s'embarquer pour se rendre dans la Pouille, et confia au seigneur Tancrède, son parent chéri, l'administration générale de sa principauté, et tout le soin d'exercer sa juridiction. Il emmena aussi avec lui le seigneur Daimbert, patriarche de Jérusalem. Arrivé dans la Pouille, Boémond ne s'y arrêta que peu de temps, et prenant à sa suite une honorable escorte de ses fidèles, il traversa les Alpes et se rendit auprès de l'illustre Philippe, roi des Français. Entre autres bienfaits de ce souverain, il reçut de sa main ses deux filles, l'une qui s'appelait Constance, issue d'un mariage légitime, et avec laquelle Boémond s'unit des mêmes nœuds ; l'autre nommée Cécile, que le roi avait eue, du vivant même de sa femme, de la comtesse d'Anjou, après que celle-ci eut abandonné son mari pour se réfugier auprès de lui. Boémond la destinait à son neveu Tancrède, et la conduisit dans la Pouille, d'où il l'envoya en Orient.

Après avoir terminé ses affaires auprès du roi des Français, aussi bien que dans plusieurs autres pays ultramontains, Boémond retourna dans la Pouille, conduisant avec lui une immense multitude de gens qui le suivaient tant à pied qu'à cheval, et qui désiraient passer en Orient. Pendant ce temps, le seigneur Daimbert s'était rendu au siège de l'Eglise romaine. Il y raconta les affronts qu'il avait eus à supporter, les méchancetés et les succès d'Arnoul contre lui, les mauvaises intentions du roi de Jérusalem et ses efforts pour humilier l'Église de Dieu. Tous ceux qui entendirent ses récits furent touchés de compassion, et de toutes parts on lui témoigna une grande bienveillance.

Cet acte, si contraire aux règles de la discipline ecclésiastique, dont se plaignait le patriarche Daimbert, n'était pas le seul que le roi de Jérusalem eût à se reprocher. Oubliant les lois du mariage, il renvoya sans cause, du moins connue, sans l'avoir convaincue d'aucun crime, sans en avoir obtenu aucun aveu, la femme qu'il avait épousée en légitime nœud à Edesse, tandis qu'il y demeurait en qualité de comte, et la contraignit, malgré elle, à se faire religieuse dans le monastère de Sainte-Anne, mère de la Vierge Marie mère de Dieu. Cette maison est située dans le quartier oriental de Jérusalem, près de la porte dite de Josaphat et du lac qui était anciennement appelé la Piscine probatique. On y montre encore une grotte dans laquelle habitaient, selon les anciennes traditions, Jacob et Anne sa femme, et où l'on dit que naquit aussi la Vierge immortelle. Il y avait dans ce monastère trois ou quatre pauvres vieilles femmes qui y vivaient comme religieuses, et auxquelles le roi accorda des propriétés et un ample patrimoine en faveur de l'accueil qu'elles firent à sa femme. Il y eut diverses opinions au sujet du renvoi de celle-ci. Les uns disaient que ce prince s'en était séparé afin d'en épouser une autre plus riche et plus noble, d'améliorer ainsi sa condition, et d'échapper à la pauvreté qui le pressait, en recevant par une nouvelle alliance une dot considérable. D'autres affirmaient que la reine, fort légère et peu sage, avait trop oublié le respect dû aux lois du mariage. D'abord elle parut contente d'avoir pris l'habit religieux, et dans les premiers temps de sa profession il sembla qu'elle se conduisait assez décemment dans le monastère ; où elle habitait. Mais enfin une occasion favorable s'étant présentée, elle imagina quelque mensonge et se rendit auprès du roi pour lui demander la permission d'aller à Constantinople visiter les parents qu'elle y avait, et travailler, dans l'intérêt de son couvent, à soulager quelque peu la misère où il était plongé. Ayant obtenu, sous ce prétexte, l'autorisation de sortir du royaume, elle ne tarda pas à se livrer à toutes sortes de dérèglements ; elle quitta l'habit religieux, et finit par se prostituer à tout venant, ne tenant aucun compte de sa considération personnelle, et oubliant entièrement le respect dû à la dignité royale dont elle avait été revêtue.

CAPUT II.

Dominus Raimundus Tolosanus comes moritur. Willelmus Jordanis, ejus nepos, ei succedit. Rodoan, Turcorum princeps magnus, fines nostros ingreditur, cui Tancredus occurrit, et confusum vertit in fugam.

Anno sequenti, qui erat ab Incarnatione Domini 1195, dominus Raimundus bonae memoriae, comes Tolosanus, vir religiosus et timens Deum, vir per omnia commendabilis, cujus actus admirabiles et vita virtutibus insignis speciales desiderant tractatus, in oppido suo quod ipse fundaverat ante urbem Tripolitanam, cui nomen Mons Peregrinus, viam universae carnis, verus Christi confessor, ingressus est, pridie Kal. Martii; cui successit nepos ejus Willelmus Jordanis, in eadem obsidionis sollicitudine; in quo opere usque ad adventum comitis Bertrami, satis strenue viriliterque desudavit, quousque super eadem re quaestionem passus, aliquantulum ab opere destitit, ut in sequentibus dicetur. Admirandam sane hujus venerabilis viri et tam praesentibus quam futuris commendabilem insignis animi credimus constantiam, qui semel pro Christo initam, usque ad supremum exitum vitae, non fastidivit patienter portare peregrinationem. Et cum in patria tanquam vir illustris et praepotens et amplissimum habens patrimonium, potuisset bonis omnibus abundare pro votis, elegit potius abjectus esse in obsequiis Domini, egressus de terra et de cognatione sua, quam in tabernaculis apud suos abundare peccatorum. Caeteri enim principes ejusdem peregrinationis professores, urbe sancta restituta libertati, quasi votorum potiti consummatione, reversi sunt ad propria; hic autem semel assumptam crucem veritus est deponere. Cumque a suis familiaribus et domesticis illi cum multo suggereretur studio, ut voti compos, desideranti se patriae restitueret, maluit se in holocaustum dare Domino quam illecebris se reddere saecularibus; magistrum imitatus, cui cum diceretur: Descende de cruce (Matth. XXVII, 40) , maluit consummata passione, alienis deponi manibus, quam ab incoepto nostrae salutis deficere proposito.

Eodem etiam anno, Rodoan, quidam vir praepotens, Halapiae dominus, de adjacentibus regionibus tam prece quam pretio, convocatis auxiliis, in gravi multitudine Antiochenorum fines ingressus, regionem totam in incursionibus deterrebat et incendiis molestabat frequentibus. Quod audiens dominus Tancredus, convocatis viribus et tam equitum quam peditum militaribus copiis, illuc procedit ei obviam, ubi eum suas habere copias fama celebriore compererat. Egressus igitur ab Antiochia, versus Artasiam exercitus dirigit: quo perveniens, hostium ingentem multitudinem, ut ei nuntiatum fuerat, reperit; in quos, invocato de supernis auxilio et pro meritis impetrato, viriliter irruens, primo resistere tentantes, sed mox in dissolutionem datos, in fugam adegit. Caesis autem innumeris, captivati sunt ex eis plurimi, retento vexillo praedicti Rodoan; qui, ut vitae consuleret, fugam primus inierat; quodque nostris multo fuit solatio, in recompensationem eorum quos in similibus negotiis amiserant saepius, equos optimos, quos ab hostibus dejectis eorum sessoribus abstulerant violenter, sibi multos vindicaverunt.
 

CHAPITRE II.

[1105.] L'année suivante, l’an mil cent cinq de l'incarnation du Seigneur, l'excellent seigneur Raimond, comte de Toulouse, de précieuse mémoire, homme rempli de religion et de crainte de Dieu, entra dans la voie de toute chair. Ce véritable confesseur du Christ, dont les actions admirables et la vie illustrée par tant de vertus mériteraient une histoire particulière, mourut le 28 février, dans la forteresse qu'il avait fait construire lui-même en face de la ville de Tripoli, et qu'il avait nommée la Montagne des Pèlerins. Son neveu Guillaume Jordan lui succéda, et poursuivit après lui les travaux du siège de Tripoli ; il persévéra même dans cette entreprise avec assez de courage et de vigueur jusqu'à l'arrivée du comte Bertrand ; mais alors, ayant éprouvé quelques désagréments au sujet de ce qu'il avait fait, il se relâcha un peu de son zèle, ainsi que j'aurai occasion de le rapporter dans la suite. Je pense que le siècle présent aussi bien que les siècles futurs ne sauraient trop exalter l'admirable fermeté d'âme que déploya le vénérable comte de Toulouse, qui, une fois entré pour l'amour du Christ dans la voie du pèlerinage, ne dédaigna pas de suivre cette route et d'y persévérer avec patience jusqu'au dernier jour de sa vie. Tandis qu'il eût pu vivre dans sa patrie comme un homme illustre et très puissant, au milieu de ses vastes patrimoines et dans l'abondance de tous les biens de la terre, il aima mieux demeurer comme un homme abject, uniquement consacré au service du Seigneur, loin de sa terre natale et de sa famille, plutôt que d'aller habiter parmi les siens, et d'y vivre dans l'abondance et dans le péché. Les autres princes qui avaient pris part au même pèlerinage, lorsqu'ils eurent reconquis la liberté de la ville sainte, s'en allèrent tous chez eux, comme ayant accompli leur vœu ; mais le comte de Toulouse, dès qu'il eut embrassé le service de la Croix, craignit toujours d'y renoncer. En vain ses familiers et ses domestiques firent tous leurs efforts pour l'engager à retourner dans sa patrie qui désirait le revoir ; il aima mieux s'offrir en holocauste au Seigneur que rentrer dans les voies corruptrices du siècle, à l'exemple de son maître divin qui, lorsqu'on lui dit : Descends de la croix, aima mieux consommer l’œuvre de la passion, et être déposé de la croix par des mains étrangères, que renoncer au dessein d'assurer notre salut.

Dans le cours de la même année, un certain Rodoan, seigneur d'Alep et prince très puissant, convoqua des troupes auxiliaires dans les contrées qui l'environnaient, et, ayant levé une armée nombreuse à force de sollicitations et à prix d'argent, il se mit à sa tête, et la conduisit sur le territoire d'Antioche. Toute la province fut désolée de ses incursions, et livrée à diverses reprises au fléau de l'incendie. Aussitôt que le seigneur Tancrède en fut informé, il convoqua tout ce qu'il put rassembler de chevaliers et de gens de pied pour marcher vers le lieu où la renommée lui apprit que Rodoan était campé avec son armée. Il sortit d'Antioche, et se dirigea vers Artésie. Arrivé près de cette ville, il trouva en effet une multitude d'ennemis au lieu qui lui avait été indiqué. Invoquant aussitôt les secours du ciel, et les obtenant en récompense de ses mérites, il s'élança vigoureusement sur eux. D'abord ils voulurent opposer quelque résistance, mais bientôt l'armée de Tancrède les mit en déroute, et les força de prendre la fuite. Les Chrétiens tuèrent un grand nombre d'infidèles, firent encore plus de prisonniers, et s'emparèrent de la bannière de Rodoan. Celui-ci, uniquement occupé du soin de sa personne, s'était enfui l'un des premiers. Les Chrétiens éprouvèrent une véritable consolation en s'emparant de beaucoup de chevaux excellents qui furent pour eux une indemnité pour tous ceux qu'ils avaient perdus auparavant dans de semblables rencontres : aussitôt qu'un ennemi tombait par terre, ils s'emparaient de vive force de son cheval, et en emmenèrent ainsi une grande quantité.

CAPUT III.

Aegyptii cum ingentibus copiis regno se infundunt; quibus rex occurrens, captis nonnullis, pluribus interemptis, reliquos in fugam adegit.

Eodem anno, accesserunt ad Aegyptium calipham quidam de principibus ejus, dicentes: Populus ille peregrinorum, qui hoc novissimo tempore regnum tuum violenter ingressi sunt, et animarum prodigi suarum, hactenus principibus a te missis restiterunt, de multitudine confisi quam prior introduxerat exercitus, hanc sibi comparaverant audaciam. Nunc autem illis ex maxima parte reversis ad propria, et adventantium peregrinorum solatio destituti, facti sunt rariores, frequentibus expeditionibus facultatibus eorum omnino consumptis. Unde nobis videtur opportunum, si tuae id ipsum visum fuerit majestati, ut electum unum de magnatibus tuis. ad partes illas dirigas, qui regionem illam ab illo infelici populo occupatam, expediat. Placuit sermo et optimus visus est in conspectu caliphae; et praecipiens ingentem convocari exercitum et classem parari maximam, designatis principibus utrique seorsum exercitui, eos in Syriam dirigit; qui pervenientes Ascalonam, magnam regno universo intulerunt formidinem. Quod audiens rex, Joppen cum universis regni viribus celer pervenit, lege edictali praecipiens ut omnes illuc de singulis urbibus sine mora conveniant. Adfuerunt igitur sub omni celeritate qui evocati fuerant; inter quos et dominus Ebremarus Hierosolymorum patriarcha, vivificae crucis lignum salutare secum deferens, nihilominus adfuit. Quibus receptis, recensito nostrorum numero, inventi sunt habere equites quingentos, peditum duo millia. Hostium vero dicebatur esse numerus ad quindecim millia, exceptis illis qui in classe militabant. Qui ab Ascalona discedentes, classem praeceperunt versus Joppen properare; ipsi autem Azotum transeuntes, in duas se turmas dividunt, ordinantes ut altera illarum versus Ramulam procedat, dominum regem ad pugnam provocans; altera Joppen properet, ut rege contra alteram occupato, illam urbem impugnet, convocatis iis qui in classe illuc jam advenerant.

Juxta ergo praedictum consilium, bipertito agmine, pars altera Ramulenses fines ingressa, instructis aciebus, adventus sui, tubarum crepitu et strepitu tympanorum, evidens dederunt argumentum. Hoc autem de industria fiebat ut, dominum regem cum suis expeditionibus in se provocantes, pars altera oram maritimam secuta, Joppen tuta posset pervenire; sed evanuerunt in cogitationibus suis. Nam, cum regem cum suis expeditionibus appropinquantem intuerentur, contabuerunt corda eorum prae timoris angustia; et alteram partem revocantes, vix adhuc putabant se sufficientem habere multitudinem ut ejus possent manus evadere. Factum est ergo quod, convenientibus contra se mutuo legionibus, rex cum suis in hostes irruens instat animosius; verbo simul et exemplo suorum exhortans acies, vires ingeminat. Dominus quoque patriarcha, vivificae crucis lignum praeliaturis ingerens et percurrens agmina, monet et hortatur ut ejus meminerint, qui pro nobis peccatoribus in eodem ligno salutem operari voluit; praecipit etiam, in remissionem peccatorum, ut contra hostes nominis et fidei Christianae decertent viriliter, ab eodem mercedem exspectantes, qui suis solet centuplum retribuere.

Sic ergo nostri facti animosiores, hostibus vehementius instant; et implorato de coelis auxilio, perempta ex eis infinita multitudine, reliquos in fugam convertunt. Cecidit autem in eodem conflictu praeses Ascalonitanus; sed universi exercitus procurator evasit fugiens. Dicuntur caesa illa die, de hostibus quasi quatuor millia; de nostris vero sexaginta inter mortuos reperti sunt. Obtinuerunt ergo, praevia Domini clementia, hostium castra et infinitas camelorum phalanges; sed et asinos et equos innumerabiles, cum optimis spoliis et pluribus mancipiis secum trahentes, Joppen cum laetitia et exsultatione pervenerunt. Captus est etiam illa die quidam nobilis, qui aliquando fuerat procurator in civitate Acconensi, pro quo rex postmodum viginti millia dicitur habuisse aureorum. Classis tamen hostium nihilominus adhuc in portu Joppensi morabatur; sed cognito suorum interitu, austro flatus ministrante necessarios, in portum se Tyrensem receperunt. Unde postmodum in Aegyptum redire cupientes, orta repente in mari procella, vi turbinis ab invicem divisi, viginti quinque naves ex eis fretum sustinere non valentes, in nostra littora impegerunt; ex quarum remigibus et nautis, exceptis mortuis, nostri in vincula conjecerunt plus quam duo millia.
 

CHAPITRE III.

Cette même année encore, quelques-uns des principaux seigneurs de l'Egypte vinrent se présenter devant le calife de ce pays, et lui dirent : « Ce peuple de pèlerins qui, depuis peu d'années, se sont établis de vive force dans notre royaume, et qui, prodigues de leur vie, ont jusqu'à ce jour résisté à ceux que vous avez envoyés contre eux, n'ont montré tant d'audace que parce qu'ils se confiaient entièrement aux forces considérables des grandes armées qui sont venues d'abord dans l'Orient. Maintenant ces armées sont retournées, pour la plupart, dans leur a pays. Les pèlerins qui arrivent ne peuvent renforcer ceux qui sont demeurés sur notre territoire ; ceux-ci sont beaucoup moins nombreux, et déjà, dans leurs fréquentes expéditions, ils ont entièrement épuisé les ressources qu'ils pouvaient avoir. Il nous semble donc tout-à-fait convenable, si toutefois votre majesté partage aussi cette opinion, qu'elle veuille bien choisir l'un de ses principaux officiers, et l'envoyer dans le pays occupé, afin qu'il le délivre entièrement de ce misérable peuple. » Ce discours plut au calife, et le projet lui parut excellent : il ordonna de convoquer promptement une nombreuse armée, et de préparer une grande flotte. Les chefs de ces deux expéditions furent aussi désignés par lui, et reçurent ordre de se rendre en Syrie. Ils arrivèrent à Ascalon, et la nouvelle de leur approche répandit la consternation dans tout le royaume de Jérusalem. Aussitôt que le roi en fut informé, il se rendit en hâte à Joppé avec toutes les forces dont il pouvait disposer, et publia en même temps un édit par lequel il était ordonné à tous les citoyens des villes de le rejoindre sans retard au même lieu. Tous ceux qui furent ainsi convoqués s'empressèrent de se rendre au lieu indiqué. Le seigneur Ébremar, patriarche de Jérusalem, portant avec lui le bois salutaire de la croix vivifiante, s'y présenta aussi. Après avoir rassemblé toutes ses forces, le roi en fit faire le recensement, et reconnut qu'il avait sous ses ordres cinq cents chevaliers et deux mille hommes de pied. On disait en même temps que les ennemis avaient de leur côté quinze mille combattants, sans compter ceux qui étaient montés sur les vaisseaux. Tandis que la flotte reçut ordre de se diriger promptement vers Joppé, leurs troupes de terre partirent d'Ascalon, et, après avoir traversé Azot[1] elles se divisèrent en deux corps d'armée, dont l'un fut destiné à marcher vers Ramla pour aller offrir le combat au roi de Jérusalem, tandis que l'autre corps s'avancerait du côté de Joppé, et chercherait à profiter de l'absence forcée du roi pour attaquer cette place, et s'en emparer avec le secours de la flotte.

Conformément à ce plan, les troupes égyptiennes se divisèrent en deux corps, et l'un d'eux entra sur le territoire de Ramla, annonçant son arrivée avec beaucoup de fracas, et faisant résonner les trompettes et les tambours. Tout ce bruit n'était pas fait sans intention : les ennemis avaient le projet de provoquer le roi, et de l'attirer vers eux avec son armée, afin que l'autre corps pût continuer sa marche sur les bords de la mer, et arriver sans obstacle à Joppé ; mais leurs calculs ne tardèrent pas à être déjoués. Aussitôt que les ennemis virent le roi s'avançant vers eux avec ses troupes, leurs cœurs furent glacés d'épouvanté ; ils se hâtèrent de rappeler l'autre corps d'armée, et ne parurent pas même suffisamment rassurés par ce nouveau renfort. Au moment où les deux corps opéraient leur jonction, le roi de Jérusalem s'élança vigoureusement sur eux, animant ses troupes par ses paroles autant que par son exemple, et leur inspirant des forces nouvelles. Le patriarche parcourait aussi les rangs, présentant à tous les combattants le bois de la croix vivifiante, les exhortant à se souvenir de celui qui voulut se dévouer sur ce bois au salut des pécheurs, et les invitant à combattre avec ardeur les ennemis de la foi et du nom du Christ, afin d'obtenir la rémission de leurs péchés, et à en espérer la récompense de celui qui d'ordinaire accorde à tous les siens des rétributions centuples.

Ces exhortations enflammèrent le courage des nôtres ; ils s'élancèrent sur leurs ennemis avec la plus grande vigueur, en implorant les secours du ciel ; ils en tuèrent un grand nombre, et forcèrent enfin les autres à prendre la fuite. Le gouverneur d'Ascalon périt au milieu de la mêlée, et le général en chef de toute l'armée d'Egypte n'échappa à la mort qu'en s'enfuyant promptement. On dit que les ennemis perdirent environ quatre mille hommes dans cette journée ; du côté des Chrétiens, on reconnut soixante hommes parmi les morts. Par le bienfait de la clémence divine, les nôtres trouvèrent dans le camp des ennemis, et emmenèrent avec eux des troupeaux innombrables de chameaux, d'ânes et de chevaux ; ils se chargèrent, en outre, de riches dépouilles, et firent un grand nombre de prisonniers. Ils rentrèrent alors à Joppé, et se livrèrent à tous les transports de leur joie. On fit encore prisonniers dans cette journée un certain noble qui avait été autrefois gouverneur de la ville d'Accon. On assure que dans la suite le roi reçut vingt mille pièces d'or pour sa rançon.

Cependant la flotte ennemie occupait encore le port de Joppé : aussitôt qu'elle apprit la défaite de l'armée de terre, elle profita d'un bon vent du sud, et se retira dans le port de Tyr. Voulant retourner de là en Egypte, elle essuya une rude tempête qui dispersa la plupart des vaisseaux : vingt-cinq d'entre eux qui se trouvèrent hors d'état de tenir la mer, vinrent échouer sur la côte, et en cette nouvelle rencontre, les Chrétiens firent encore plus de deux mille prisonniers, rameurs et matelots, sans compter ceux qui furent tués.

CAPUT IV.

Daimbertus patriarcha cum prosecutione apostolicarum rediens litterarum, apud Messanam urbem Siciliae moritur. Ebremarus sedis illius incubator, Romam contendit. Legatus Arelatensium archiepiscopus Gibelinus mittitur, qui postmodum in patriarcham substituitur.

Interea dominus Daimbertus, Hierosolymorum patriarcha, post longam exspectationem, qua eum detinuerat dominus Paschalis papa et Ecclesia Romana, volens plenius edoceri utrum rex Hierosolymorum et qui eum expulerant vellent contra eum aliquid allegare, unde hoc videri possent de jure fecisse; postquam nemo comparuit, qui contra eum aliquid objiceret, nec in ejus facto aliquid aliud notari poterat, nisi quod regia expulsus erat violentia, cum plenitudine gratiae et apostolicarum prosecutione litterarum, jussus est ad propria redire et sedem recipere, ex qua indebite fuerat deturbatus.

Qui tandem in Siciliam veniens, apud Messanam moram faciens necessariam, transitum exspectans, gravi correptus aegritudine, sexto decimo Kal. Julii, viam universae carnis ingressus est. Sedit autem in pace annis quatuor, in exsilio vero, tribus. Ebremarus vero ejusdem sedis incubator, audiens quod praedictus dominus Daimbertus, cum plenitudine gratiae revertebatur, sedem suam recepturus, antequam de obitu ejus instrueretur, ad eamdem Romanam transfretare decrevit Ecclesiam, allegaturus de sua innocentia quomodo invitum et renitentem in eamdem sedem eum locaverant. Quo perveniens nihil impetrare potuit, quam ut cum eo dirigeretur legatus, qui de causa ejus, Hierosolymis constitutus, plenius posset cognoscere. Designatus est autem ad id munus prosequendum dominus Gibelinus, vir senior et grandaevus, Arelatensis archiepiscopus, qui de mandato domini papae, Hierosolymam profectus, convocato episcoporum regni concilio, de causa domini Ebremari cognovit plenius. Cumque ei constitisset per testes idoneos sufficientes et majores omni exceptione, quod dominus Daybertus absque causa legitima, Arnulfi factionibus et regia violentia fuerat expulsus, et quod Ebremarus adhuc viventis pontificis et Ecclesiae Romanae habentis communionem sedem occupaverat, auctoritate qua praeeminebat, eum a patriarchatu deposuit. Sed considerans multam viri religionem et simplicitatem miram, Caesariensem, quae tunc vacabat, Ecclesiam, ei concessit habendam.

Postmodum vero, dum de substituendo Ecclesiae Hierosolymitanae patriarcha clerus et populus disceptarent, constituta ad hoc specialiter die ut super eo negotio de more tractaretur, post multas hinc inde deliberationum partes, in dominum Gibelinum apostolicae sedis legatum unanimiter conveniunt, et eum in sedem locant patriarchalem. Hoc etiam praedictus Arnulfus malitiose dicitur construxisse, ut homo senex et decrepitus in illa sede diu vivere non posset.

Eodem anno, qui erat ab Incarnatione Domini 1107, Ascalonitae, solita usi malitia, in via publica, qua ab Hierosolymis ad mare descenditur, in locis opportunis insidias locaverant, equitum quingentorum et peditum mille. Audierant enim quod nostrorum caterva, ab urbe Joppensi egrediens, Hierosolymam esset profectura; volentesque quod viribus non poterant, dolis procurare, in praedictis latebant insidiis; cum ecce nostri omnium horum ignari, iter coeptum conficientes, in eorum offenderunt insidias. Cumque plurimum anxiarentur, dubitantes utrum cederent aut contenderent, instantibus hostibus deliberandi spatium abstulerunt. Videntes ergo nostri quod aut ignominiose occumbere, aut cum eis viriliter pugnare oporteret, facientes de necessitate virtutem, animos induunt; et quos prius habuerant formidabiles, resumpta audacia et spiritu vehementi instantes, in mentis convertunt stuporem; et jamjam nostrorum impetus ferre non valentes, multis interemptis, captivatis etiam nonnullis, eos in fugam versos aliquandiu prosecuti sunt. Tandem divina opitulante gratia, victoria potiti, tribus tantum de suo numero perditis, Hierosolymam profecti sunt.
 

CHAPITRE IV.

Pendant ce temps, le seigneur Daimbert était toujours à Rome, où le retenaient depuis longtemps le seigneur pape Pascal et les chefs de l'Église romaine, afin de voir si le roi de Jérusalem et ceux qui avaient expulsé le patriarche auraient à alléguer contre lui quelque grief qui pût servir à justifier leur conduite à son égard ; mais, comme personne ne se présenta pour proposer des plaintes ou des reproches, et comme il devint dès lors certain que les faits de cette cause se bornaient uniquement à la violence que le roi avait commise contre le patriarche, celui-ci rentra pleinement en grâce, et reçut, aussitôt des lettres apostoliques, par lesquelles il lui fut donné ordre de retourner à Jérusalem, et de reprendre possession du siège dont il avait été injustement dépouillé.

[1107.] Daimbert, arrivé en Sicile, s'arrêta quelque temps à Messine pour attendre une occasion de s'embarquer. Il y fut pris d'une sérieuse maladie, et entra dans la voie de toute chair le 16 juin. Il avait occupé en paix le siège patriarcal de Jérusalem durant quatre années, et vécut encore trois années dans l'exil. Ebremar, usurpateur de ce siège, ayant appris que celui dont il tenait la place était entièrement rentré en grâce auprès de la cour de Rome, et s'était remis en route pour venir en reprendre possession, résolut, avant d'avoir appris sa mort, de se rendre aussi auprès de l'Eglise romaine, et d'aller y soutenir son innocence, en justifiant de la violence qui lui avait été faite pour le porter au trône patriarcal, et de la résistance qu'il y avait opposée. Arrivé à Rome, il ne put rien obtenir, sinon qu'on chargerait un légat de retourner avec lui à Jérusalem, et d'aller faire une information approfondie sur sa cause. On donna cette mission au seigneur Gibelin, archevêque d'Arles, prélat déjà fort âgé. Il reçut du pape l'ordre de se rendre à Jérusalem, et dès qu'il y fut arrivé, il convoqua le conseil des évêques du royaume, et prit une pleine connaissance des affaires d'Ébremar. Il acquit la preuve, par les dépositions d'un nombre suffisant de témoins irréprochables, que le seigneur Daimbert n'avait dû son expulsion qu'à la faction d'Arnoul et à la violence du roi, sans qu'on pût la justifier par aucun motif légitime ; et comme Ébremar avait occupé le siège d'un pontife encore vivant, et qui était demeuré en communion avec l'Eglise romaine, le légat, en vertu de l'autorité dont il était revêtu, le déposa de ses fonctions de patriarche. Cependant, par égard pour l'esprit vraiment religieux et la singulière simplicité du prélat, il lui conféra l'église de Césarée qui se trouvait vacante en ce moment.

Il fut alors question de donner un nouveau patriarche à l'église de Jérusalem ; le clergé et le peuple se divisèrent sur ce choix ; on fixa positivement un jour pour traiter cette affaire selon toutes les règles ; enfin, après beaucoup de délibérations et de discussions de part et d'autre, on convint unanimement de se réunir en faveur du seigneur Gibelin, légat du siège apostolique, et il fut élevé à la dignité de patriarche. On dit que cette élection fut encore le résultat des malicieuses combinaisons d'Arnoul, qui pensa qu'un homme aussi âgé et aussi décrépit n'occuperait pas longtemps le siège auquel on le portait.

Cette même année (l'an de grâce onze cent sept), les habitons d'Ascalon, fidèles à leurs habitudes de méchanceté, dressèrent des embûches en un lieu favorable, sur la voie publique qui descend de Jérusalem à la mer, et y postèrent cinq cents cavaliers et mille hommes d'infanterie. Ayant appris qu'un corps des nôtres devait partir de Joppé pour se rendre à Jérusalem, ils voulurent tenter de réussir par la ruse, s'ils ne le pouvaient de vive force. Les Chrétiens, en effet, ignorant complètement les embûches qui leur étaient préparées, suivirent la route sans la moindre inquiétude, et tombèrent dans le piège tout-à-fait à l'improviste. Ils éprouvèrent un moment de vive anxiété, et hésitèrent à se retirer ou à forcer le passage, mais les ennemis les serrant de près ne leur laissèrent pas le temps de fixer leur choix. Voyant qu'il fallait ou succomber honteusement ou se défendre avec vigueur, et se faisant de nécessité vertu, les nôtres reprirent tout leur courage : ils s'élancèrent avec autant d'audace que d'intrépidité sur ceux qui naguère leur avaient paru si formidables, et firent bientôt passer dans l'âme de leurs ennemis le sentiment d'effroi qui d'abord les avait frappés de stupeur ; dès le premier choc les gens d'Ascalon ne purent résister à la vivacité de l'attaque : il en périt un grand nombre, quelques-uns furent faits prisonniers, et les autres prirent la fuite et furent quelque temps poursuivis par les nôtres. Enfin, après avoir obtenu de la grâce divine une victoire qui ne leur coûta que trois hommes de leur corps, les Chrétiens reprirent la route de Jérusalem

CAPUT V.

Vir nobilis Hugo de Sancto Aldemaro, Tiberiadensium dominus, in montibus qui urbi praeeminent Tyrensi castrum locat, cui nomen est Toron; idemque non multo post cum Damascenis confligens, lethaliter confossus, sed tamen victor, occubuit. Ascalonitae quoque nostris volentes praetendere insidias, in laqueum quem paraverant incidunt.

Eodem etiam tempore, cum Tyrensium civitas adhuc ab hostibus detineretur et nostrorum modis omnibus impediret processum, vir nobilis et potens, et inclytae in Domino recordationis, dominus Hugo de Sancto Aldemaro, qui post dominum Tancredum urbi praefuit Tiberiadensi, quantum locorum distantia permittebat (distant enim a se praedictae duae civitates quasi milliaribus triginta), frequentibus et occultis irruptionibus cives molestabat Tyrenses. Cumque in eundo et redeundo saepius ejus periclitaretur militia, eo quod in medio praedictarum urbium nec praesidium inveniretur, nec munitionis aliquod genus in quo se sui possent recipere et subsequentium hostium declinare importunitatem, adjecit vir praeclarus in summis montibus urbi Tyrensi prominentibus et ab eadem quasi per decem distantibus milliaria, in loco cui nomen priscum Tibenin, castrum aedificare; cui, quoniam in monte erat excelso admodum et cacuminato, nomen indidit Toronum. Est autem locus is inter mare et Libanum, quasi in medio constitutus, a Tyro et Paneade aeque distans, in tribu Aser, salubritate et aeris grata temperie commendabilis; solum habens opimum, vineis et arboribus prorsus habile; sed et frugibus et agriculturae commodissimum. Praestitit ergo non solum fundatori, diebus illis, ad opus praedictum commoditatem optatam; verum usque hodie et ubertate quam porrigit, et multa munitione qua praeeminet, et Tyrensium urbi, et regno universo utilitates incomparabiles.

Nec mora, post praedicti fundationem praesidii, idem nobilis homo cum equitibus septuaginta hostium fines ingressus, cum quatuor millibus Damascenorum praelium committens semel, et secundo eodem die ab hostibus repulsus graviter; tertio melioribus irruens auspiciis et animositate divinitus collata, simul et viribus, auctore Domino, fortioribus receptis, hostes in fugam convertit. Ipse tamen ictu sagittae lethaliter confossus, interiit, vir prudens et strenuus, et exigentibus meritis regi et regno plurimum commendabilis et acceptus. Caesi sunt in eo conflictu de hostibus ducenti, et equi totidem a nostris recepti.

Post eosdem etiam dies visa sunt in oriente signa et prodigia multa in coelestibus. Nam, per quadraginta dies et eo amplius, cometa circa noctis initium visus est longe comam trahere; et iterum ab ortu solis usque ad horam tertiam visus est sol duos habere collaterales, paris magnitudinis, sed inferiores splendore solis. Visa est et Iris circa solem, suis distincta coloribus. Quae omnia certum erat mortalibus nova portendere.
 

CHAPITRE V.

La ville de Tyr était encore à cette époque occupée par les ennemis, et opposait toutes sortes d'obstacles aux progrès des Chrétiens. Un homme noble et puissant, d'illustre mémoire dans le Seigneur, Hugues de Saint-Aldémar, qui avait succédé à Tancrède dans le gouvernement de la ville de Tibériade, ne cessait d'inquiéter les habitants de Tyr, soit par de fréquentes attaques, soit par des manœuvres secrètes, autant du moins que le lui permettait la distance qui séparait ces deux villes, et qui était de trente milles environ. Dans les marches qu'il avait à faire, soit pour se diriger vers la ville de Tyr, soit pour en revenir, ses chevaliers étaient fort souvent exposés à de graves dangers, attendu qu'on ne trouvait sur toute la longueur de cette route ni ville, ni forteresse, ni asile où il fût possible de se réfugier pour échapper au besoin aux poursuites des ennemis. Le seigneur de Saint-Aldémar entreprit, pour remédier à cet inconvénient, de faire construire un fort sur le sommet des montagnes qui dominent la ville de Tyr, et qui cependant en sont encore à près de dix milles de distance ; il le fit établir sur un point anciennement nommé Tibénis, et lui donna le nom de Toron, en raison de ce qu'il fut placé sur la plus haute sommité d'une montagne extrêmement élevée. Ce lieu était situé dans la tribu d'Aser, entre la mer et le mont Liban, à peu près à égale distance de l'une et de l'autre, comme aussi des deux villes de Tyr et de Panéade ; il était renommé pour la salubrité et la bonne température de l'atmosphère ; son sol fertile était couvert d'une grande quantité d'arbres et de beaucoup de vignes ; il se prêtait aussi à tous les travaux de l'agriculture, et produisait d'excellents grains. Dès l'époque où il fut fondé, ce fort rendit de grands services à celui qui le fit construire, pour l'accomplissement des projets qu'il avait formés ; depuis lors, et aujourd'hui encore, il est d'une utilité inappréciable pour la ville de Tyr et tout le royaume de Jérusalem, tant à cause de la fertilité du sol qui l'environne que par l'excellence de la position militaire qu'il défend.

Dès qu'il eut fait terminer la construction de sa nouvelle forteresse, le seigneur de Saint-Aldémar entra sur le territoire des ennemis à la tête de soixante et dix chevaliers. Il rencontra un corps de quatre mille hommes venus de Damas, et l'attaqua sans retard ; le premier et le second jour, il fut repoussé par les ennemis avec beaucoup de désavantage. Mais le troisième jour, il reprit l'offensive sous de meilleurs auspices : animé d'un courage tout divin, et ayant reçu en outre quelque renfort, grâce à la protection du Seigneur, il battit et mit en fuite ses ennemis. Lui-même cependant fut mortellement blessé d'une flèche, et mourut bientôt après, c'était un homme sage autant que vaillant, que ses talents avaient rendu extrêmement cher et précieux au roi et à tout le royaume. Les ennemis perdirent deux cents hommes dans cette affaire, et les nôtres leur enlevèrent un même nombre de chevaux.

Quelques jours après, on vit du côté de l'Orient des apparitions et des prodiges célestes. Durant quarante jours et plus, on vit tous les soirs, au commencement de la nuit, une comète qui traînait une longue queue. Le matin, depuis le lever du soleil jusqu'à la troisième heure du jour, cet astre parut aussi avoir auprès de lui deux satellites d'une égale grandeur, mais qui brillaient d'un moindre éclat. Un arc-en-ciel apparut aussi autour du soleil, avec toutes ses couleurs. Ces prodiges réunis annonçaient certainement aux mortels des événements extraordinaires.

CAPUT VI.

Boamundus de Francia in Apuliam reversus, cum ingentibus copiis Graecorum fines eos depopulaturus ingreditur; demumque in Syriam volens redire, relicto Boamundo filio, vita decedit.

Per idem tempus, Alexius Constantinopolitanus imperator, vir malitiosus et nequam, volentibus per ejus regiones Hierosolymam proficisci multa ministrabat impedimenta. Nam et contra primam expeditionem, quae ei multo fuerat emolumento, ut praemissum est, Solimannum potentissimum Turcorum principem, et barbaras ex universo Oriente sollicitaverat nationes; et contra secundam, cui Pictavensium praeerat comes, easdem nihilominus nationes et infideles populos frequentibus concitaverat legationibus; unde, ejus efficiente malitia, posterior expeditio pene tota deperiit. Nec solum semel et secundo ita in nostros malignatus fuerat; sed quoties se offerebat opportunitas eis damna moliri, parare praecipitia, pro lucro sibi reputabat; praesentibus tamen et coram positis benigne dabat responsa et munera largiebatur, ut eo falleret commodius, Graecorum observans morem de quibus dicitur:

Timeo Danaos et dona ferentes. VIRG. Aeneid. l. II, 49.

Suspectum enim habens omnium Latinorum generaliter processum, nec eorum vires multiplicari, nec dilatari potestatem, ubicunque ministrare poterat impedimentum, patiebatur.

Harum igitur dominus Boamundus memor injuriarum, a transmontanis reversus partibus, universorum Latinorum causam prosequens, equitum habens quinque millia, peditum vero quadraginta millia, septimo Idus Octobris in terram praedicti imperatoris navigio pervenit; et confractis pene universis maritimis urbibus et in direptionem datis, universam Epirum, tam primam quam secundam depopulatus est; tandemque Durachium obsidens, Epiri primae metropolim, regionem circumquaque incendiis et depopulationibus tradens, circumjacentibus regionibus, pro libero arbitrio utebatur, parans ad delendas Latinorum injurias, auctore Domino, ad ulteriora imperii violenter procedere. Audiens igitur imperator dominum Boamundum, cum ingenti militia Latinorum, intra fines suos ingressum, ipse suos nihilominus colligit exercitus, et ei procedens obviam, copias suas in vicino constituit:

ubi communibus intervenientibus amicis, imperator foedus iniit cum eo, interpositis juramentis, quod de caetero Christi fidelibus in Orientem transire volentibus, bona fide, sine fraude et malo ingenio, consilium ministraret et auxilium; nec eorum iter ab iis quos ipse cohibere posset, impedire pateretur. His ita compactis et fidei nexu interposito confirmatis, dominus quoque Boamundus juramento corporaliter praestito, amicitiam et fidelitatem perpetuo conservandam promisit. Inde in Apuliam reversus, dimissa peregrinorum turba, quae votis obligata, tenebatur iter Hierosolymitanum perficere, ipse domi, familiaribus adhuc detentus curis, remansit. Aestate vero sequente, praeparatis jam ex parte ad iter necessariis et congregato navigio, dum ad iter accingeretur, copiis undecunque convocatis, valida correptus aegritudine, in fata concessit, unico filio principatus et nominis haerede relicto, ex domina Constantia domini Philippi, illustris Francorum regis, filia suscepto. Mortuus est etiam eodem anno dominus Philippus Francorum rex illustris, socer ejus.
 

CHAPITRE VI.

A la même époque, l'empereur de Constantinople, Alexis, homme plein de ruse et de méchanceté, ne cessait de susciter toutes sortes d'obstacles à ceux qui voulaient traverser les pays soumis à sa domination pour se rendre à Jérusalem. J'ai déjà dit que lors de la première expédition chrétienne, qui cependant lui avait été extrêmement avantageuse, il avait soulevé contre elle le très puissant satrape des Turcs, Soliman, et toutes les nations barbares que ses sollicitations avaient pu atteindre dans le vaste Orient. A la seconde expédition, qui avait pour chef le comte d'e Poitou, l'empereur recommença à envoyer de fréquentes députations aux mêmes nations et à tous les peuples infidèles, afin de les armer contre les Chrétiens, et ce fut par l'effet de sa méchanceté persévérante que cette seconde expédition échoua et fut presque entièrement détruite. Il ne se borna pas même à ces témoignages de sa perfidie dans ces deux grandes circonstances. Toutes les fois qu'il trouvait l'occasion de faire quelque tort aux Chrétiens, de leur ouvrir un précipice, il la saisissait comme une bonne fortune ; cependant et dans le même temps, lorsque les Chrétiens se présentaient devant lui, il les accueillait avec bonté et les comblait de ses dons, afin de les tromper d'autant plus sûrement, suivant en cela les anciennes habitudes des Grecs, de qui l'on a dit depuis longtemps : Timeo Danaos et dona ferentes. L'empereur redoutait infiniment les progrès des Latins ; il ne voulait souffrir ni que leur nombre s'accrût, ni que leur puissance s'étendît, et il était sans cesse occupé à leur susciter toutes sortes d'embarras, pour s'opposer à leurs succès.

Le seigneur Boémond n'avait point oublié les affronts qu'il en avait reçus. Aussitôt qu'il fut de retour de son voyage dans les contrées ultramontaines, prenant en main la cause de tous les Latins, et conduisant à sa suite une armée de cinq mille hommes de cavalerie et de quarante mille hommes d'infanterie, il alla débarquer le 2 octobre[2] sur le territoire de l'empereur, s'empara de vive force de la plupart des villes maritimes, et les livra au pillage ; puis il alla dévaster la première et la seconde province d'Épire, mit le siège devant Durazzo, métropole de la première Épire, ravagea par le fer et le feu toutes les contrées environnantes, en usa selon son bon plaisir, et se disposa, pour mieux venger les injures que les Latins avaient souffertes, à pénétrer de vive force, avec l'aide du Seigneur, au centre des provinces de l'empire. Lorsqu'il apprit que Boémond était entré dans ses États à la tête d'une armée considérable de Latins, l'empereur rassembla aussi ses troupes, marcha à leur tête, et alla s'établir non loin du camp de Boémond.

[1108.] Là, par suite de l'intervention de quelques amis communs, les deux princes conclurent un traité[3] par lequel l'empereur s'engagea, sous la foi du serment, à prêter de bonne foi et sans aucune fraude ni mauvaise intention, secours et assistance à tous les fidèles Chrétiens qui voudraient passer en Orient, et à ne pas permettre, autant du moins qu'il lui serait possible de l'empêcher, qu'ils eussent à souffrir aucun dommage de la part des autres peuples. A la suite de ces conventions, qui furent confirmées par des engagements d'honneur, le seigneur Boémond prêta serment, et s'engagea envers l'empereur à lui conserver à jamais amitié et fidélité. Boémond fit partir alors la foule des pèlerins qui l'avaient accompagné, et qui étaient tenus, conformément à leur vœu, d'accomplir le voyage de Jérusalem, et il retourna de sa personne dans la Pouille, où des affaires particulières le rappelaient. L'été suivant, il avait déjà préparé tout ce qui lui était nécessaire pour son voyage ; ses navires et les troupes qu'il avait convoquées pour son expédition n'attendaient plus que le signal du départ, et lui-même se disposait à le donner, lorsqu'il fut pris d'une vive maladie qui termina bientôt ses jours.[4] Il ne laissa qu'un fils, héritier de son nom et de sa principauté, qu'il avait eu de son mariage avec Constance, fille de l'illustre Philippe, roi de France. Ce dernier prince, son beau-père, mourut aussi dans le cours de la même année.[5]

CAPUT VII.

A finibus Orientalibus item ingentes Turcorum copiae partes Edessanas occupare nituntur; sed Tancredus una cum rege resistunt viriliter.

Accidit etiam per eosdem dies, dum adhuc praedicti nobiles, dominus videlicet comes Balduinus et Joscelinus, ejus consanguineus, apud hostes detinerentur in vinculis, occasione sumpta ex eorum absentia, collecta est ex Orientali sinu Turcorum infinita multitudo et innumerabiles copiae; atque in Mesopotamiam descendentes, circa partes Edessenas coeperunt hostiliter degrassari, praesidia quaedam violenter occupantes, suburbana tradentes incendiis, colonos captivantes et agriculturae dantes operam: ita ut extra ambitum urbium muratarum tutus non reperiretur locus, et deficiente agricultura, victus omnino deficeret. Dominus autem Tancredus, cui regionis commissa erat sollicitudo, circa partes Antiochenas detinebatur occupatus, cujus curam etiam, ut praemisimus, domino Boamundo discedente, susceperat. Audiens tamen quod tanta hostium in partibus illis esset importunitas, vocato domino Hierosolymorum rege et causa vocationis manifestata, ipse quoque quantas potest ex universis urbibus et praesidiis convocat copias. Cui sic acceleranti et pro regione sollicito infra paucos dies rex adfuit, junctisque simul agminibus Euphratem transierunt:

quo pervenientes hostes reperiunt, ut eis fuerat nuntiatum, per universam regionem liberis discursibus evagantes; qui, cognito nostrorum adventu, coeperunt se ad invicem recolligere; et illam quam prius habuerant, discurrendo minus experiri licentiam. Compertas iterum habentes saepius nostrorum vires, cum eis pugnare formidant; nec tamen ad propria redire disposuerant, sed scientes utrumque principem liberas ferias non habere ut moram diuturnam in ea possent facere regione, ita diu nitebantur eos protrahere, ut taedio affecti maturarent reditum et ipsi ad consuetas recurrerent infestationes.

Cognoscentes igitur nostri eorum propositum, consilium ineunt quale pro temporis angustia poterant invenire commodius; congregari enim praecipiunt, ex ea regione quae est circa Euphratem, quae frugibus copiosissime abundabat, universi generis alimentorum copias; et, flumine transmisso, oneratis equis, camelis, asinis et burdonibus victum copiosissimum et ad multa tempora sufficientem urbibus inferunt et praesidiis; maxime autem urbem Edessanam usque ad redundantem sufficientiam communientes. Postmodum vero de corporibus civitatum et praesidiorum non multam gerentes sollicitudinem, quoniam admodum armis, viris et victu erant munita, revocantibus eos majoribus rerum articulis, ad Euphratem reversi sunt. Ubi dum modicis et corpore et numero fluvium transeunt naviculis, quosdam de inferiore manu qui adhuc transitum exspectabant, ulteriorem ripam tenentes, hostes nostrorum vestigia secuti, irruunt; et ex eis quosdam interficientes, reliquos captivos trahunt, praesentibus domino rege dominoque Tancredo, et eis subsidium ministrare non valentibus; amnis enim medius erat, quem vadis transire non poterant; neque erat facile paucis parvisque naviculis tantum exercitum reportare. Nostri vero dolentes admodum super illis pauperibus, quos se praesentibus occidi viderant et ex parte captivari, reversi sunt ad propria; regionem etiam cis Euphratem praecipientes magnatibus, qui ei praeerant, diligentius communiri. Erant autem qui supra ripam Euphratis capti fuerant et interfecti, pauperes Armenii, qui Turcorum fugientes importunitatem, in loca tutiora se conferre proposuerant.
 

CHAPITRE VII.

Vers le même temps et tandis que les nobles seigneurs, le comte Baudouin d'Edesse et son cousin Josselin étaient encore détenus en captivité chez leurs ennemis, une immense multitude de Turcs rassemblés dans tout l'Orient et formant des corps de troupes considérables, cherchant à profiter de l'absence de ces deux guerriers, descendirent en Mésopotamie, et se livrèrent à toutes sortes d'actes d'hostilité dans les environs de la ville d'Edesse. Ils s'emparèrent de vive force de quelques places, incendièrent les faubourgs et les campagnes, firent prisonniers un grand nombre de colons, et cultivèrent les champs à leur place, de telle sorte qu'en dehors des enceintes des villes murées, il n'y avait plus moyen de trouver un asile assuré, et que les vivres manquaient de tous côtés, faute de bras propres à travailler à la terre. Le seigneur Tancrède, à qui le gouvernement de cette contrée avait été confié, se trouvait en ce moment retenu dans les environs d'Antioche, car j'ai déjà dit que Boémond, en partant pour son pays, lui avait aussi remis le soin d'administrer sa principauté. Lorsqu'il apprit cependant à quel point le pays d'Edesse était infesté par les ennemis, il écrivit au seigneur roi de Jérusalem, et après lui avoir fait connaître les motifs de son invitation, il rassembla lui-même toutes les troupes qu'il put trouver dans les villes et forteresses où il commandait. Animé d'une vive sollicitude, il fit tous ces préparatifs en grande hâte ; le roi de Jérusalem le rejoignit aussi au bout de quelques jours, ils réunirent leurs troupes, et passèrent l’Euphrate.

Ils trouvèrent en effet, comme on le leur avait annoncé, les ennemis répandus dans toute la contrée, et la parcourant en tout sens et en toute liberté ; cependant, dès que les Turcs furent informés de l'arrivée des princes chrétiens, ils commencèrent à se rallier, et se montrèrent beaucoup moins entreprenants dans leurs excursions. Comme ils avaient éprouvé très souvent la force de nos troupes, ils redoutaient d'avoir à se battre contre elles, et cependant ils ne faisaient aucune disposition pour se retirer dans leur pays. Ils savaient que les deux princes qui venaient d'arriver n'auraient pas le loisir de s'arrêter dans cette contrée, et ils cherchaient en conséquence à traîner en longueur, afin de les forcer de guerre lasse à se retirer, et de pouvoir eux-mêmes reprendre ensuite leurs dévastations.

Nos princes cependant, ayant connaissance de leurs projets, délibérèrent entre eux pour examiner ce qu'il y aurait de mieux à faire dans les circonstances, attendu le peu de temps dont ils pouvaient disposer. Ils résolurent de faire amasser des approvisionnements et des denrées de toute espace dans le pays situé sur les rives de l'Euphrate, et qui est lui-même extrêmement abondant en toutes sortes de productions. Puis ils envoyèrent de l'autre côté du fleuve des chevaux, des chameaux, des ânes et. des mulets chargés d'immenses approvisionnements qui devaient suffire pour fort longtemps à la consommation des villes et des forteresses dans lesquelles ils les faisaient transporter, la ville d'Edesse fut particulièrement l'objet de leurs soins, et ils y entassèrent d'immenses provisions. Ayant dès lors beaucoup moins d'inquiétude pour les villes et les places fortes, puisqu'elles étaient abondamment pourvues d'armes, de citoyens et de vivres, et empressés d'aller reprendre d'autres affaires plus importantes, les princes revinrent sur les bords de l'Euphrate. Comme ils venaient de traverser ce fleuve sur de frêles bateaux, qu'ils n'avaient encore qu'en bien petit nombre, quelques hommes de la classe inférieure, qui attendaient sur la rive que les princes venaient de quitter, afin d'être passés à leur tour, furent attaqués par les ennemis qui avaient suivi les traces de notre armée, quelques-uns furent tués, et d'autres entraînés prisonniers, sous les yeux mêmes du roi de Jérusalem et du seigneur Tancrède, qui ne purent leur porter secours. Il leur était impossible de passer à gué le fleuve qui les séparait des infidèles, et avec un si petit nombre de bateaux de fort petite dimension, il n'eût pas été facile non plus de transporter l'armée sur l'autre rive. Les Chrétiens furent extrêmement affligés en voyant ainsi massacrer ou emmener en captivité ces pauvres gens : c'étaient de malheureux Arméniens qui, fuyant les vexations des Turcs, avaient résolu d'aller chercher des retraites plus tranquilles, et qui arrivèrent sur les bords de l'Euphrate pour y être mis à mort ou faits prisonniers. Depuis ce malheureux événement, l'armée rentra dans le royaume, et, en passant dans le pays situé en deçà de l'Euphrate, les princes donnèrent ordre, aux principaux chefs qui y commandaient, de faire en toute hâte des préparatifs de défense.

CAPUT VIII.

Balduinus comes Edessanus redit de vinculis hostium, et Joscelinus cum eo; et adversus Tancredum guerram excitant.

Sequente anno, qui erat ab Incarnatione Domini 1109, dominus Balduinus comes Edessanus, cum annis quinque continuis fuisset apud hostes detentus in vinculis, una cum Joscelino cognato suo, datis obsidibus pro certa summa pecuniae, quam pro sua redemptione pepigerant, in suam se libertatem receperunt, redeuntes ad propria: cum quibus etiam satis misericorditer fecit Dominus. Nam obsides eorum in quodam praesidio custodibus deputatis commissi, casu, sive somno sive mero gravatis, mortem intulerunt, unde postmodum ad propria clam et per diverticula de nocte errabundi pervenerunt.

Accedenti ergo praedicto comiti ad Edessanam urbem, dominus Tancredus dicitur ei introitum denegasse; sed tandem memor juramentorum, quae interposita fuerant, cum, eodem comite capto, domino Tancredo civitas tradita fuerat, ad cor rediens, tam ipsam urbem quam regionem universam eidem praecepit resignari. Qua injuria moti, postmodum bellum eidem Tancredo ambo pariter indixerunt. Joscelinus autem specialiter, qui citra Euphratem sua habebat praesidia et Antiochenis vicinior erat partibus, principem magis infestabat. Accidit autem quadam die ut, Turcorum multitudinem in suum convocans auxilium, in terram principis irruptiones moliretur, quod princeps praesentiens, ei occurrit; commissoque inter eos praelio, prima fronte de exercitu domini Tancredi ceciderunt viri quasi quingenti; sed, tandem resumptis animis et aciebus instauratis, Turcorum magnam straverunt multitudinem, Joscelinum et suos in fugam convertentes.

Porro videntes majores regionis et qui sensus habebant magis exercitatos, quod tantorum virorum periculosa nimis erant odia et quod in multum poterant Christiano populo detrimentum cedere, interpositis partibus suis, eos adinvicem reconciliaverunt.
 

CHAPITRE VIII.

[1109.] L'année suivante (l'an de grâce 1109), le comte d'Edesse et son cousin Josselin, après avoir langui cinq ans en captivité, réussirent à faire accepter des otages pour une certaine somme d'argent, qu'ils s'engagèrent à payer à titre de rançon, recouvrèrent leur liberté, et revinrent dans leurs possessions. Le Seigneur se montra miséricordieux à leur égard. Les otages qu'ils laissèrent après eux dans une certaine forteresse où ils furent confiés à la garde de quelques hommes, réussirent par hasard à se défaire de leurs gardiens, et les mirent à mort, tandis qu'ils étaient livrés au sommeil ou accablés par le vin ; puis ils s'échappèrent secrètement, errèrent pendant la nuit à travers des chemins détournés, et arrivèrent enfin chez eux.

Lorsque le comte d'Edesse se présenta devant cette ville, on dit que le seigneur Tancrède lui en refusa l'entrée. Cependant il se souvint bientôt du serment qu'il avait prête quand ce gouvernement lui avait été confié, à l'époque de la captivité de Baudouin, et, revenant de son premier mouvement, il résigna à celui-ci et la ville et toute la contrée environnante. Peu de temps après, Baudouin et son cousin, irrités de cette insulte, déclarèrent la guerre à Tancrède. Josselin surtout, qui avait ses forteresses en deçà de l'Euphrate, et se trouvait par conséquent beaucoup plus rapproché d'Antioche, ne cessait de lui susciter toutes sortes de tracasseries. Une fois il convoqua une grande multitude de Turcs, et se disposa à faire une invasion sur le territoire du prince d'Antioche. Celui-ci en fut informé, et marcha à sa rencontre. Le combat s'engagea entre eux : d'abord il périt environ cinq cents hommes sur le premier front de l'armée de Tancrède, mais bientôt elle reprit courage, et s'étant reformée, elle attaqua de nouveau les Turcs, en fit un grand carnage, et contraignit enfin Josselin à prendre la fuite avec tous les siens.

Cependant les principaux habitants de cette contrée et les hommes qui avaient le plus d'expérience, voyant à quels dangers les exposaient les haines qui divisaient de si illustres guerriers, et craignant aussi que ces querelles ne tournassent au détriment du peuple Chrétien, interposèrent leurs bons offices, et parvinrent à réconcilier les deux princes.

CAPUT IX.

Bertramus, comitis Tolosani filius, cum classe Januensium in Syriam descendit, patri quaerens succedere; Willelmus Jordanis contradicit. Capitur Biblium.

Eodem tempore, Bertramus, domini Raimundi bonae memoriae comitis Tolosani filius, cum classe Januensium circa urbem applicuit Tripolitanam, ubi Willelmus Jordanis ejus consanguineus urbem obsidione vallabat eamdem, sicut et continue fecerat a die obitus praedicti venerabilis viri, qui in eodem negotio moriens defecerat. Statim autem in ejus adventu orta est contentio inter eos, Bertramo de patris successione allegante; Willelmus autem, proprii laboris et impensae per quatuor annos continuos sollicitudinis merita praetendebat. Ille in bona paterna tanquam haeres legitimus volebat succedere; iste locum, sua expugnatum instantia, sibi nitebatur vindicare. Dumque ista diu esset agitata controversia, intervenientibus amicis communibus, ut de pace tractarent, convenit inter mediatores, quod pro bono pacis, Willelmo Jordanis civitates Archis et Tortosa cum suis pertinentiis concederentur; Bertramo vero Tripolis, et Biblium, et mons Peregrinus, item cum suis pertinentiis. Factumque est ita, et ratum habitum partis utriusque concessu. Unde Willelmus pro parte sibi designata factus est homo principis Antiocheni, fidelitate ei manualiter exhibita; Bertramus partis sibi designatae a domino rege Hierosolymorum investituram suscepit, ei solemniter exhibens fidelitatem. Additum est etiam in compositionis forma, quod si alter sine liberis vita decederet, alter ei succederet in universum.

Quaestione vero praedicta per hujusmodi sopita transactionem, accidit quod inter armigeros utriusque familiae, ex causa levi, orta est contentio; pro qua pacificanda, cum velox in equo saepe dictus comes Willelmus occurreret, sagitta casu percussus, interiit. Dicebatur a nonnullis, quod comitis Bertrami dolis et machinationibus comes Willelmus interierit; sed tamen usque hodie illius vulneris non comparuit certus auctor;

sic igitur sublato aemulo et praedictae urbis competitore, Bertramus solus in expeditione mansit. Erat autem classis Januensium, cum qua venerat, galearum septuaginta; cui praefecti erant duo nobiles viri Januenses, Ansaldus et Hugo Ebriacus. Videntes ergo quod circa urbem Tripolitanam, per idem tempus operam consumerent, utile judicant interim aliquid memoria dignum aggredi: commonitoque familiarius comite Bertramo, ut cum eis praesens velit esse per terras, ipsi classem versus Biblium dirigunt.

Est autem Biblium urbs maritima, in Phoenice constituta, una de suffraganeis urbibus, quae Tyrensi metropoli jure metropolitico intelliguntur esse subjectae, cujus memoriam Ezechiel propheta facit, dicens: Senes Biblii, et prudentes ejus, o Tyre, praebuerunt nautas ad ministerium variae supellectilis tuae (Ezech. XXVII, 9) . Item in secundo libro Regum de eadem scribitur ita: Porro Biblii praeparaverunt ligna et lapides ad aedificandum domum Domini (III Reg. V, 18) . Dicta est autem prisco vocabulo Eve, eamque fundasse creditur Eveus, sextus filiorum Chanaan. Ad hanc pervenientes et eam mari terraque circumvallantes, civibus admodum territis et de sui tuitione diffidentibus, classis praefectos praedictum Ansaldum et Hugonem Ebriacum missa legatione conveniunt, significantes, quod si volentibus egredi liberum cum uxoribus et liberis vellent dare exitum; nolentibus autem sua deserere domicilia, in urbe liceret bonis conditionibus immorari, parati essent reseratis aditibus, eos tanquam dominos admittere. Quibus conditionibus juxta vota eorum admissis, urbem praedictis duobus tradiderunt viris; quorum alter, Hugo videlicet Ebriacus, sub annua certi census praestatione fisco Januensium inferenda, usque ad certum tempus eam recepit. Hic idem, hujus Hugonis, qui eidem hodie praeest civitati, avus fuit, qui ejus nomen obtinet et agnomen. Capta ergo praedicta civitate, classis iterum Tripolim est reversa.
 

CHAPITRE IX

Vers le même temps, Bertrand, fils du seigneur Raimond, comte de Toulouse, de précieuse mémoire, aborda avec une flotte de Génois dans les environs de Tripoli, au lieu où Guillaume Jordan, son cousin, s'était établi, pour suivre le blocus de cette place, ainsi qu'il avait fait depuis la mort du vénérable comte, qui lui avait laissé le soin de terminer son entreprise. Aussitôt que Bertrand fut arrivé, il s'éleva une contestation entre les deux cousins : Bertrand alléguait les droits de sa naissance pour succéder a son père, et Guillaume réclamait le juste prix de ses efforts, pour les travaux et les dépenses auxquels il s'était livré pendant quatre années consécutives. Le premier voulait se faire donner tous les biens de la succession de son père, en sa qualité d'héritier naturel et légitime ; le second faisait tous ses efforts pour obtenir que la ville qu'il assiégeait depuis longtemps lui fût acquise en toute propriété. Ces discussions se prolongèrent indéfiniment ; enfin des amis communs se portèrent pour médiateurs, et firent des propositions d'arrangement, ils convinrent, pour parvenir à rétablir la paix, de faire concéder à Guillaume Jordan les villes d'Archis et de Tortose avec leurs dépendances, et que Bertrand aurait pour lui Tripoli, Biblios, le mont des Pèlerins et tous les territoires adjacents ; ces conditions furent adoptées et confirmées par le consentement des deux parties. Guillaume Jordan devint l'homme du prince d'Antioche, pour la portion de territoire qui lui fut assignée, et lui engagea sa foi en lui donnant la main. Bertrand reçut l'investiture du roi de Jérusalem pour le pays qui lui échut en partage, et lui rendit solennellement foi et hommage. On ajouta encore au traité la clause que, si l'un des deux cousins mourait sans enfants, l'autre lui succéderait entièrement.

Cette transaction assoupit d'abord la querelle ; mais il en survint une nouvelle entre les écuyers des deux seigneurs, sur un motif extrêmement frivole. Le comte Guillaume en ayant été informé, monta à cheval et accourut en toute hâte pour apaiser cette contestation, et au moment où il se présentait, il tomba mort, percé d'une flèche. Quelques personnes dirent alors que Guillaume avait succombé victime de la perfidie et des machinations du comte Bertrand : cependant depuis cette époque et jusqu'à ce moment on n'a pu découvrir le véritable auteur de ce meurtre.

Délivré ainsi d'un rival et d'un compétiteur qui prétendait comme lui à la conquête de Tripoli, Bertrand demeura seul à la tête de cette entreprise. La flotte génoise qui l'avait conduit en Orient se composait de soixante et dix galères, et était commandée par deux nobles Génois : Ansalde et Hugues l'ivrogne. Ceux-ci voyant que leurs opérations de siège devant la ville de Tripoli traînaient indéfiniment, formèrent la résolution de tenter quelque entreprise mémorable. Ils invitèrent amicalement le comte Bertrand à les assister du côté de la terre, et conduisirent leur flotte devant la ville de Biblios.

Biblios, ville maritime de la province de Phénicie, est l'une des églises suffisantes qui rassortissent à la métropole de Tyr. Le prophète Ézéchiel en a fait mention, en disant : Les vieillards de Biblios, les plus habiles d'entre eux, ont donné leurs mariniers à Tyr, pour vous servir dans tout l'équipage de votre vaisseau.[6] On lit aussi le passage suivant dans le livre des Rois : Ceux de Biblios apprêtèrent le bois et les pierres pour bâtir la maison du Seigneur.[7] Biblios était appelée dans l'ancien langage Évé, et l'on croit qu'elle fut fondée par Évéus, sixième fils de Chanaan. Les Génois et l'armée de terre étant arrivés auprès de cette ville, l'investirent des deux côtés, et les habitants, peu confiants en leurs moyens de défense, ne tardèrent pas à être remplis de crainte. Ils envoyèrent donc des députés à Ansalde et à Hugues l'ivrogne, chefs de la flotte, et leur firent annoncer qu'ils étaient tout prêts à ouvrir leurs portes et à les reconnaître pour leurs seigneurs, pourvu qu'on laissât librement sortir de la ville, avec leurs femmes et leurs enfants, ceux qui voudraient s'en aller, et que tous ceux qui aimeraient mieux ne point abandonner leur domicile eussent la faculté d'y demeurer, et l'espoir d'obtenir de bonnes conditions. Ces propositions ayant été agréées, les habitants de Biblios livrèrent la ville aux deux chefs de la flotte, et l'un d'eux, Hugues l'ivrogne, en prit possession et la garda pendant un certain temps, sous la charge d'une redevance qui devait être versée annuellement dans le trésor des Génois. Cet Hugues fut l'aïeul de cet autre Hugues qui est en ce moment gouverneur de la même ville, et porte le nom de son grand-père. Aussitôt que cette affaire fut terminée la flotte génoise retourna à Tripoli.

CAPUT X.

 Rex Balduinus Tripolim properat; fervet obsidio, et capitur civitas.

Audiens igitur dominus rex praedictam Januensium classem, capta Biblio, circa Tripolitanas partes moram adhuc facere, illuc properus accedit, tentaturus si eosdem Januenses aliquibus conditionibus secum posset detinere, quatenus eorum fretus auxilio, unam de urbibus maritimis sibi vindicaret. Restabant enim adhuc in nostro littore quatuor rebelles, Berythum videlicet, Sidon, Tyrus et Ascalona, quae nostrorum novellae plantationi multum oberant, ad obtinendum incrementum. Illuc ergo veniens, omnes qui in obsidione erant, tam per mare quam per terras, sua exhilaravit praesentia et in opere coepto reddidit ferventiores. Statim enim in ejus adventu visi sunt, qui exterius in obsidendo laborabant, maximum reperisse solatium; ita ut et major eis audacia accessisse videretur, et vires non dubitarent incrementum accepisse; obsessis autem e converso, et desolatio se intulit solito amplior, et spes resistendi omnino succubuit enervata: quoque hostes vident solito fortiores, eo se debiliores reputant; quodque illis accederet, totum sibi decedere reputantes. Innovant ergo nostri quasi novi recentesque, assultus; et hostibus omnino ubicunque locus est, solito instant protervius: tanquam obsidionem, quam continuo pene septennio multo labore protraxerant, tunc primitus inchoassent. Videntes ergo cives nostrorum singulis diebus vires invalescere, eorum vero e converso minui, diuturnis laboribus fatigati, spem subsidii nullam habentes, communicato inter se consilio, tractant quomodo tantis malis possent finem imponere. Missis igitur legationibus tam ad dominum regem quam ad dominum comitem, sub conditione spondent eis urbem se resignaturos, si egredi volentibus, libere et sine difficultate liceret, et familias suas cum omni supellectile ad loca optata transferre possent; nolentibus autem exire, si sub certa pensione domino comiti annuatim persolvenda, tute et tranquille in domibus suis manere et possessiones suas colere concedatur.

Auditis igitur civium postulationibus, rex, cum comite et aliis magnatibus consilio communicato, utile judicat, eorum admissis desideriis, urbem sine dilatione recipere. Placuit igitur sermo iste omnibus, et praestita conniventia, evocatis ante se civibus, eorum admittunt petitiones. Praestitisque juramentis, quod praedictae conventiones eis sine fraude et malo ingenio, bona fide conservarentur, urbem recipiunt, introire volentibus aditibus reseratis. Capta est praedicta civitas anno ab Incarnatione Domini 1109, mense Junio, decima die mensis. Factus est autem ibidem comes Bertramus, fidelitate manualiter exhibita, domini regis homo ligius; unde et ejus successores, usque in praesentem diem, regi Hierosolymorum id ipsum tenentur exhibere.
 

CHAPITRE X.

Le roi de Jérusalem ayant appris que cette flotte demeurait encore dans le pays, après la prise de Biblios, se hâta d'aller la rejoindre, pour voir s'il lui serait possible de conclure des arrangements avec les Génois, et de les retenir afin de s'emparer avec leur secours de l'une des villes maritimes. Il en restait encore quatre sur la côte qui résistaient opiniâtrement, savoir, Béryte, Sidon, Tyr et Ascalon, et ces places étaient un grand obstacle à la prospérité de notre nouvel établissement. L'arrivée du roi auprès de Tripoli fut un grand sujet de joie pour tous ceux qui étaient occupés à ce siège, tant par terre que par mer, et sa présence leur inspira une nouvelle ardeur. Il sembla que tous ceux qui naguère poursuivaient péniblement leurs travaux eussent trouvé un soulagement inattendu, leur courage paraissait redoublé, comme s'ils eussent reçu un renfort considérable. Les assiégés au contraire tombèrent dans la désolation et perdirent tout espoir de résister avec succès ; plus leurs ennemis semblaient se renforcer, plus ils se sentaient faibles et abattus ; tout ce qui arrivait de favorable aux uns tournait à la confusion et au découragement des autres. Cependant les assiégeants recommencèrent à livrer des assauts avec autant de vigueur que s'ils n'eussent eu que des troupes fraîches et récemment arrivées ; ils attaquaient la ville de tous les côtés avec une activité jusqu'alors inconnue, comme s'ils eussent été au premier moment d'un siège, quoiqu'ils en fussent occupés presque sans relâche depuis environ sept ans. Les assiégés voyant que les forces de leurs ennemis s'accroissaient de jour en jour, tandis que les leurs se réduisaient dans la même progression, fatigués d'une si longue résistance, et désespérant d'obtenir aucun secours du dehors, tinrent conseil entre eux, pour chercher les meilleurs moyens de mettre un terme à tant de maux. Ils envoyèrent donc des députés au roi de Jérusalem ainsi qu'au comte Bertrand, et leur firent proposer de remettre la ville entre leurs mains, à condition que tous ceux qui voudraient sortir pussent, librement et sans aucune difficulté, transporter leurs familles et leurs biens dans les lieux qu'ils auraient choisis et que ceux qui voudraient demeurer eussent la faculté de vivre tranquillement dans leurs maisons et de continuer à cultiver leurs propriétés, à la charge par eux de payer annuellement une redevance fixe au comte Bertrand.

Après avoir reçu ces propositions, le roi de Jérusalem tint conseil avec le comte et les principaux chefs, et déclara qu'il lui paraissait convenable d'accepter au plus tôt les offres des habitants de Tripoli. Son avis fut généralement adopté, et tous ayant donné leur consentement, le roi fit appeler les députés et leur annonça que leurs demandes avaient été accueillies. Le conseil s'engagea sous la foi du serment à observer les conditions stipulées, sans fraude ni mauvaise intention et en toute bonne foi, et les assiégés ouvrirent aussitôt leurs portes. On prit possession de la ville de Tripoli l'an de grâce onze cent neuf, et le 10 du mois de juin. Là le comte Bertrand prêta serment de fidélité entre les mains du roi, et devint son homme-lige. Depuis lors, et jusqu'à ce jour, ses successeurs sont demeurés liés par le même engagement envers le roi de Jérusalem.

CAPUT XI.

Balduinus comes Edessanus, ad socerum Gabrielem Meleteniam descendit, ubi factum ejus exstat satis memorabile.

Accidit autem per eosdem dies quod a vinculis hostium absolutus dominus Balduinus Edessanorum comes, cum multos haberet equites, nec haberet unde eis exhibitae militiae et impensi fideliter officii persolveret stipendia, arguto habito satis et acuto consilio, destinat cum eisdem suis commilitonibus, socerum, qui valde pecuniosus erat, apud Meleteniam visitare, praestructo et praeordinato solerter, ut postquam ad ejus ventum esset praesentiam, quid fieri oporteret. Compositis igitur ad iter necessariis, illuc pervenit, ubi ex more depenso mutuae salutationis affatu, et pacis signo cum mutuis amplexibus et plena charitate alternatim praebito, magnifice nimis et supra hospitalitatis leges, tanquam domesticus et affectione filius, susceptus est a socero. Cum igitur per dies aliquot ibi dominus comes moram fecisset, et semel confabulationibus fortasse necessariis, hinc socer, inde gener diei partem aliquam protraxissent, accesserunt (sicut inter eos prius condictum fuerat), et eis colloquentibus ingesserunt se milites ejus. Tunc unus ex eis, quasi omnium autoritate factus verbi patronus, comitem alloquitur, dicens:

Nosti, comes, et nemo te melius, quam fideliter et quam strenue turba haec militum, quae praesens est, tibi jam multo tempore, fidem tuam et promissionem secuta, militaverit: quantos labores, quantasque in vigiliis, siti, fame, frigore, simul et aestus importunitate pertulerit molestias, ut te et regionem tibi divinitus commissam, ab hostium injuriis redderet securam; et a civibus et reliquo populo in ea commorante, infidelium et inimicorum crucis Christi averterent impetus et molestias propulsarent. Te introducit pro se testem hoc collegium, tibi aliquando necessarium. Compertum habes, quantum jam effluxerit temporis, ex quo sine stipendiis tibi militaverimus; quoties nobis solvi necessitate compulsi postulaverimus; quoties petitas inducias, tibi compatientes, indulserimas, de die in diem aequanimiter sustinentes; et nunc res eo deductae sunt nostrae, quod diutius praestolari non possumus. Paupertas invincibilis est, quae diuturniores ferias, et tempus auctius tibi iterum dari negat. Elige tibi unum; aut debitum solve, inopiae nostrae subveniens; aut pignus quod obligasti, juxta pactum exhibe.

Miratus est Gabriel quidnam sibi vellet haec concio, et sermo ita solemnis quid portenderet. Tandemque edoctus per interpretes, rem tenuit; sed quaerit cujusmodi pignus, pro pactis stipendiis, dominus comes obligasset. Cui, cum quasi pudore prohibitus, dominus comes responsum non daret, respondit eorum advocatus: Quia barbam suam hypothecaverat eis, ut nisi statuta die pacta militibus solverentur stipendia, eidem barba sine contradictione raderetur. Quod audiens Gabriel, stupidus prae facti novitate et complosis manibus supra modum admirans, anhelare coepit, et prae angustia nimis aestuare. Mos enim est Orientalibus, tam Graecis quam aliis nationibus, barbas tota cura et omni sollicitudine nutrire; pro summoque probro et majori quae unquam irrogari possit ignominia reputare, si vel unus pilus quocunque sibi de casu barba cum injuria detrahatur. Interrogansque dominum comitem, si ita esset sicut dicebatur? respondit: Ita. Iterum fortius admirans, pene extra se factus, quaerit iterum: Quare rem tanta diligentia conservandam, argumentum viri, vultus gloriam, hominis praecipuam auctoritatem, ita obligasset, tanquam rem mediocrem, et ab homine sine confusione separabilem? Cui comes: Quia non erat mihi res alia dignior cujus interpositione, militibus proterve instantibus, possem plenius satisfacere. Sed nec oportet dominum et patrem meum, multum super hoc esse sollicitum; nam spero de misericordia Domini, quod impetratis a militibus induciis, postquam Edessam rediero, militum instantiae satisfaciens, cum mea honestate pignus luam obligatum. Milites e diverso statim se diversuros ab eo, minasque intentare, sicut edocti erant, nisi solvat maturius, unanimiter asserebant. Quod audiens Gabriel, vir simplex et collusionis eorum ignarus, apud se fluctuans quid faceret, elegit potius de suo solvere militibus id in quo tenebatur gener obligatus, quam ejus pati, qui reputabatur filius, tantam ignominiam. Quaerit quae sit debiti summa. Cui responsum est: Triginta millium Michaelitarum; quod genus aureorum tunc in publicis commerciis erat celebre, a quodam imperatore Constantinopolitano, qui eam monetam sua fecerat insignem imagine, Michaele nomine, sic nuncupatum. Solvere igitur spondet pro genero, conditione tali, pactam pecuniam, ut media dominus comes fide firmiter promittat, quod de caetero nullo casu, nullo necessitatis articulo, ita quibuslibet personis se velit obligare. Soluta igitur pecunia sumptaque a socero licentia, dominus comes cum suis, tumentibus loculis et depulsa inopia, dives ad propria reversus est.
 

CHAPITRE XI.

Dans le même temps, Baudouin comte d'Edesse, rétabli dans ses États à la suite de sa longue captivité, avait auprès de lui beaucoup de chevaliers, et ne savait comment s'acquitter envers eux de la solde qu'il leur devait pour prix de leurs fidèles services, et de leurs longs travaux. Il imagina, par une invention assez ingénieuse, d'aller avec ses compagnons d'armes à Mélitène, faire une visite à son beau-père qui était extrêmement riche, et avant de partir il donna ses instructions à ceux qui devaient l'accompagner, pour qu'ils eussent à exécuter son projet après leur arrivée en ce lieu. On fit donc tous les préparatifs, et Baudouin se rendit auprès de son beau-père. Après les salutations d'usage, et les embrassements donnés et reçus de part et d'autre en signe de paix, avec beaucoup de témoignages d'affection, le beau-père reçut son gendre de la manière la plus magnifique, dépassant de beaucoup toutes les lois ordinaires de l'hospitalité, et le traitant comme un homme de sa famille et l'enfant de son affection. Après que le comte eut demeuré quelques jours auprès de lui, comme ils étaient une fois engagés depuis assez longtemps dans une conversation particulière, arrangée peut-être avec intention, les chevaliers de Baudouin se présentèrent et vinrent interrompre l'entretien, ainsi qu'il avait été convenu entre eux par avance. L'un d'eux prenant la parole, comme s'il en avait été chargé par tous ses compagnons, s'adressa au comte et lui dit :

« Tu sais, comte, et personne ne sait mieux que toi avec quelle fidélité et quelle-bravoure le corps de chevaliers ici présents a combattu depuis longtemps pour toi et est demeuré fidèle à ses engagements. Tu connais ses travaux et ses fatigues et toutes les souffrances de soif, de faim, de froid et de chaud qu'il a endurées afin de défendre des invasions ennemies le pays qui t'a été confié par le Seigneur, et de garantir les habitants et le peuple des attaques et des vexations auxquelles ils étaient sans cesse exposés de la part des infidèles et des ennemis du Christ. Ce corps qui t'a été si utile peut s'en rapporter à ton propre témoignage. Tu sais en outre qu'il y a déjà bien longtemps que nous combattons pour toi, sans avoir reçu aucune solde, que souvent, forcés par la nécessité, nous t'avons demandé notre paiement ; que tu as tout aussi souvent demandé de nouveaux délais, et que, pleins de compassion pour ta situation, nous les avons accordés avec indulgence, nous soumettant de jour en jour et de la manière la plus généreuse aux délais que tu nous imposais. Maintenant nos affaires en sont venues à un point qu'il nous est impossible d'attendre plus longtemps ; la pauvreté est indomptable : celle que nous soutirons nous prescrit de ne plus accorder de remise. Choisis donc ou de nous payer ce que tu nous dois afin que notre misère en soit soulagée, ou de nous livrer, selon nos Conventions, le gage par lequel tu t'es lié envers nous. »

Gabriel fut fort étonné en entendant ces paroles prononcées d'un ton solennel, et ne pouvait comprendre où les chevaliers en voulaient venir. Enfin des interprètes lui firent connaître l'objet de la harangue et il demanda aussitôt quel était le gage que son gendre avait promis à ses hommes, pour leur garantir le paiement de leur solde. Le comte ne faisait aucune réponse, comme si un sentiment de honte l'eût empêché de parler. L'avocat des chevaliers reprit alors la parole et dit que le comte leur avait hypothéqué sa barbe, et qu'il s'était soumis à la laisser raser sans aucune résistance, dans le cas où il lui serait impossible, à un jour fixé d'avance, de s'acquitter envers eux. A ces mots Gabriel, confondu de la bizarrerie d'une telle convention, et frappant des mains en signe d'étonnement, fut saisi d'une sorte de stupeur et parut bientôt rempli de crainte et d'anxiété, et ne respirant qu'avec peine. Les Orientaux, tant les Grecs que tous les autres peuples, sont dans l'usage de laisser croître leur barbe et d'en prendre un soin tout particulier. C'est à leurs yeux le comble du déshonneur et la plus grande offense qui puisse être faite à un homme, qu'un seul poil de la barbe lui soit enlevé, quel que soit d'ailleurs le motif d'une telle insulte. Gabriel demanda au comte si les choses étaient en effet ainsi qu'on venait de le dire, et le comte répondit affirmativement. Alors Gabriel témoigna de nouveau son étonnement et entra dans un accès de fureur. Il demanda de nouveau à son gendre comment il pouvait se faire qu'il eût engagé comme une chose de peu de valeur et à laquelle il fût permis de renoncer sans déshonneur, un bien qu'il importe de conserver avec tant de soin, qui est la marque caractéristique de l'homme, qui fait l'ornement de son visage, et sert principalement à attester son autorité. Le comte lui répondit : Je l'ai fait ainsi parce que je n'avais alors à ma disposition aucun plus digne gage, aucun moyen plus assuré d'apaiser complètement ces chevaliers qui me sollicitaient avec les plus vives instances. Cependant il ne faut point que mon seigneur et père s'exagère le chagrin qu'il ressent en cette occasion. J'espère en la miséricorde du Seigneur qu'ils m'accorderont encore quelque délai, et, lorsque je serai arrivé à Edesse, je satisferai à leur impatience et me dégagerai honorablement de la parole par laquelle je me suis lié. Mais les chevaliers qui avaient reçu leurs instructions se répandirent en nouvelles menaces, et déclarèrent qu'ils partiraient sur-le-champ, si le comte ne les faisait payer au plus tôt. Gabriel, ne se doutant point, dans la simplicité de son cœur, de la ruse dont il était la dupe, hésita quelques instants encore et finit par se décider à payer de son trésor tout ce que les chevaliers réclamaient de son gendre, plutôt que de souffrir que celui qu'il regardait comme son fils eût à subir un si grand affront. Il demanda quelle était la somme due. On lui répondit : trente mille Michel. C'était une pièce d'or alors fort célèbre dans le commerce et qui tirait son nom d'un empereur de Constantinople, Michel, qui avait fait frapper cette espèce de monnaie à son effigie. Le beau-père consentit donc à payer cette somme pour son gendre, mais sous la condition expresse que celui-ci donnerait sa parole de ne plus contracter à l'avenir de semblable engagement envers qui que ce fût, dans quelque circonstance qu'il fut placé, ou à quelque extrémité qu'il se trouvât réduit. L'argent fut aussitôt compté et Baudouin prit congé de son beau-père et s'en retourna à Edesse avec ses chevaliers, la bourse bien garnie, et devenu riche de pauvre qu'il était en arrivant.

CAPUT XII.

Bethlehemitica Ecclesia per regis studium ad cathedralem erigitur dignitatem.

Anno sequenti, qui erat ab Incarnatione Domini 1110, sollicitus rex, et curam gerens pervigilem, quomodo sibi regnum a Deo commissum posset honorare et Deo protectori suo aliquid acceptione dignum offerre, proposuit de pio mentis fervore, Ecclesiam Bethlehemiticam, quae usque ad illum diem prioratus tantum fuerat, ad cathedralem sublimare dignitatem. Quod qualiter gestum fuerit, ex rescripto ejusdem piissimi regis super hoc edicto, amplius et perfectius erit manifestum, quod sic habet:

Divina inspirante gratia gens Francorum admonita, Hierusalem civitatem sanctam, diuque oppressione paganorum fatigatam, ubi mors, quae primo praevaricante parente genus humanum invaserat, morte Salvatoris est destructa, a spurcitia praedicta liberavit. Obsessa est namque civitas haec cultu divino digna septimo Idus Junii, a gente praefata; et Idibus Julii, Deo pro ea pugnante, est capta. Capta autem civitate anno Domini 1100, dispositione divina suggerente, placuit clero atque Raimundo Sancti Aegidii, Roberto Northmanniae, et Roberto Flandrensi comitibus, Tancredo, et caeteris primatibus, cum universa Francorum multitudine, ut piissimus et misericordissimus dux Godefridus, charissimus frater meus, eidem praesideret; ipse vero, vir Deo dignus, sanctae civitatis gubernator, primo principatus sui anno peracto, Deo propitio, tertia die sequentis, in pace quievit. Cui ego Balduinus ab exsultante clero, principibus et populo, primus rex Francorum, nutu divino, excellentiam Bethlehemiticae Ecclesiae, nativitatem Domini nostri Jesu Christi praefulgida mente pertractans, in qua primum venerabiliter caput meum diademate ornatum effulserat, ut episcopali dignitate donaretur mihi per omnia placuit. Igitur quod corde caste conceperam, indesinenter excogitans, tandem ad aures Arnulfi archidiaconi, viri clarissimi, et Hierosolymitani capituli usque perduxi, eumque et idem capitulum, ut super hac re mihi consulerent, obnixe rogavi. Qui tam justae petitioni meae obsequentes, tum pro Hierosolymitana sede quae postea quasi orbata parente videbatur, tum pro hoc negotio Romam peti decreverant. Hanc itaque legationem Arnulfus archidiaconus, et Aichardus eodem tempore decanus suscipientes, Romam perrexerunt: et sancto Spiritu cooperante, apud domnum Paschalem secundum, universalis Ecclesiae pontificem, de utroque negotio honestum invenientes consilium, Hierusalem remearunt. Domnus vero Paschalis papa, Gibellinum Arelatensem archiepiscopum, virum sapientiae radiis coruscum, omnique morum honestate fulgidum, cui id legationis Arnulfo atque Aichardo praesentibus injunxerat, post eos Hierusalem direxit. Propterea a me, clero simul et populo gaudenter susceptus pro praecepto domni Paschalis papae et mea bona voluntate, et assensu Hierosolymitani capituli, ac totius favore consilii, et propria deliberatione omnia dispensans, in Bethlehemitica Ecclesia, Aschetinum, virum illustrem eamdem gubernantem, quem Hierosolymitanum capitulum ejusdem Ecclesiae cantorem, me cum meis proceribus et populo volente Ascalonae elegerat atque statuerat episcopum, obtinere primatum episcopalem decrevit; Bethlehemiticaeque sedi, pro praecepto et consideratione nostra, Ascalonae Ecclesiam parochiali jure subjugavit. Tandem ego Balduinus, Dei gratia rex Hierusalem, Latinorum primus, jam dicta laetus obnixe firmavi. Villam etiam Bethlehem, quam Ecclesiae concesseram, pro salute animae meae, et misericordissimi ducis fratris mei Godefridi, atque omnium parentum meorum; et unum casale, quod est in territorio Accon, nomine Bedar; aliud etiam quod est in territorio Neapolitano, nomine Seylon; aliud quoque adjacens Bethlehem, quod dicitur Bethbezan: et duo casalia in territorio Ascalonitano, unum videlicet Zeophir, et aliud nomine Caicapha, cum suis pertinentiis episcopo, ejusque successoribus firmiter ac libere tenere ac possidere praecepi, dedi atque concessi. Praefatam quoque Ecclesiam a calumnia qua Hierosolymitana Ecclesia eam vexabat, commutatione terrarum ac vinearum quae in circuitu Jerusalem in meo dominio erant, absolutissimam reddidi. Statuimus autem quod si quis clericus, vel laicus, nefandissima cupiditate ductus, illud quod pro petitione mea de Bethlehemitica Ecclesia, nativitate Domini ac Salvatoris nostri praeclara, Spiritu sancto juvante, a domino Paschale, Romanae sedis summo ac venerando pontifice, per Gibelinum ejusdem legatum, Arelatensem archiepiscopum roboratum est, post decessum meum violare praesumpserit, invasionis crimine, nisi commonitus resipuerit, obligetur, ac totius regni nostri expers effectus, graviter judicetur. Praeterea concedo quod quicunque meorum optimatum, vel aliquis militum seu burgensium, Dei afflatus Spiritu de suis redditibus, pro sua suorumque animabus, dare eidem Ecclesiae voluerit, libera sit sibi piae voluntatis exsecutio, et in perpetuum valeat facultatum suarum legitime facta donatio. Facta est autem haec concessionis, vel confirmationis nostrae inscriptio, rerumque gestarum designatio, anno ab Incarnatione Domini 1110, indictione III, praesidente Romanae Ecclesiae papa domno Paschale secundo, Hierosolymis vero Gibelino Arelatensi archiepiscopo, sedis apostolicae vicario in patriarcham electo. Sunt ergo istius assertionis testes:
Arnulfus archidiaconus,
Aichardus decanus,
Eustachius Garnerius,
Anselmus turris David custos,
Radulfus de Foritaneto,
Pisellus vicecomes,
Simon ducis filius,
Anfredus vir religiosus,
Gerardus camerarius, et alii quamplures.
 

CHAPITRE XII.

[1110.] L'année suivante (l'an 1110 de l'incarnation du Seigneur), le roi de Jérusalem, plein de sollicitude, sans cesse occupé à chercher les moyens d'honorer le royaume confié à ses soins par l'Éternel, et désireux de faire quelque acte digne d'être agréé par Dieu, son protecteur, résolut, dans la pieuse ferveur de son âme, d'élever à la dignité de cathédrale l'église de Bethléem qui, jusqu'alors, n'avait été qu'un prieuré. Le rescrit publié par ce roi très religieux à la suite de son édit fera mieux connaître les dispositions qu'il prescrivit en cette occasion.

« La nation des Francs, inspirée par la grâce divine, a délivré de toute souillure la sainte Cité de Jérusalem qui gémit longtemps sous l'oppression des païens, et dans laquelle avait été détruite, par lu mort du Sauveur, cette mort qui établit son empire sur le genre humain après la prévarication de notre premier père. Cette Cité, digne servante du culte divin, fut assiégée par cette nation le 7 juin, et le 15 juillet elle fut prise, parce que le Seigneur combattit pour elle. C'était l'an mil cent du Seigneur : agissant sous l'influence de la grâce divine, le clergé et Raimond, comte de Saint-Gilles, les deux Robert, comtes de Normandie et de Flandre, Tancrède et les autres principaux chefs, ainsi que le peuple entier des Francs, se réunirent pour conférer le gouvernement au très pieux et très miséricordieux duc Godefroi, mon frère très chéri. Celui-ci, homme digne de Dieu, gouverneur de la sainte Cité, reposa en paix, par la grâce du Seigneur, le troisième jour après l'expiration de la première année de sa principauté. Moi, Baudouin, qui ai été choisi pour lui succéder par le clergé plein de joie, a par les princes et par le peuple, premier roi des Latins, en vertu de la volonté divine, considérant d'un esprit prévoyant l'excellence de l'église de Bethléem, lieu de la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et où ma tête fut ornée pour la première fois d'un diadème éclatant et vénérable, j'avais résolu avant tout de décorer cette église de la dignité épiscopale. Je n'ai cessé de méditer sur le projet que j'avais secrètement formé dans mon cœur. Enfin j'en suis venu à le communiquer à Arnoul, l'archidiacre, homme très illustre, et au chapitre de Jérusalem, et je les ai suppliés instamment de m'aider à réussir dans cette entreprise. Empressés d'obtempérera cette juste demande, ils résolurent dans la suite de se rendre à Rome, pour y traiter cette affaire ainsi que celle du siège de Jérusalem, qui se trouvait alors dépourvu de pasteur. Arnoul, l'archidiacre, et Aichard, le doyen, se chargèrent de remplir cette mission et allèrent en effet à Rome. Après avoir, avec l'assistance du Saint-Esprit, arrêté d'honorables résolutions avec le seigneur pape, Pascal II, pontife de l'Église universelle, nos députés revinrent à Jérusalem. Le seigneur pape Pascal envoya ensuite à Jérusalem Gibelin, archevêque d'Arles, homme dont la sagesse et les hautes vertus brillent du plus vif éclat, et qu'il chargea comme son légat de s'adjoindre à Arnoul et à Aichard. Aussi fut-il accueilli avec joie par moi aussi bien que par le clergé et par le peuple : il disposa et arrangea toutes choses de sa propre autorité, en vertu des ordres qu'il avait reçus du seigneur pape Pascal et de mon consentement libre et volontaire, aussi bien que de l'avis du chapitre de Jérusalem et avec l'assentiment de tout le conseil. Aschetin, homme illustre qui gouvernait l'église de Bethléem, dont il était chantre, et que le chapitre de Jérusalem avait élu et institué évêque d'Ascalon, avec mon consentement et celui de nos seigneurs et du peuple, fut élevé, par décision du légat, à la dignité d'évêque primat de l'église de Bethléem, et l'église d'Ascalon fut réunie, à titre de paroisse, au siège de Bethléem, en considération de ma personne et des ordres que j'avais donnés. Enfin, moi Baudouin, par la grâce de Dieu, premier roi latin de Jérusalem, j'ai confirmé formellement tous les arrangements ci-dessus rapportés, et j'ai positivement et librement donné et concédé à l’évêque de Bethléem et à ses successeurs, pour être à jamais tenus et possédés par eux, la ville de Bethléem que j'avais déjà concédée à l'église, pour le salut de mon âme, de celle du très miséricordieux duc Godefroi, mon frère, comme encore pour celles de tous mes pareils, plus une propriété, située dans le territoire d'Accon, nommée Bedar, une autre, dans le territoire de Naplouse, nommée Scylon, une autre, près de Bethléem, nommée Bethbesan, deux autres, dans le territoire d'Ascalon, l'une nommée Zéophir, l'autre Caicapha, avec toutes leurs dépendances. J'ai aussi entièrement affranchi la susdite église de l'accusation dont l'église de Jérusalem la poursuivait au sujet de l'échange des terres et des vignes situées dans la banlieue de Jérusalem et qui faisaient partie de mon domaine. Maintenant je décrète et déclare que si quelqu'un, clerc ou laïc, entraîné par la plus criminelle cupidité, osait tenter, après ma mort, de violer l'une des dispositions qui ont été faites sur ma demande et avec l'aide du Saint-Esprit, en faveur de l'église de Bethléem, illustrée par la naissance de Notre-Seigneur, dispositions arrêtées par Gibelin, légat du pape et archevêque d'Arles, et confirmées solennellement par le seigneur pape Pascal, souverain et vénérable pontife de l'Eglise romaine, cet homme serait coupable du crime d'envahissement, à moins qu'il ne se retirât sur la première sommation, et qu'il se trouverait ainsi exposé à être jugé sévèrement et expulsé à jamais de tout notre royaume. Je permets en outre à tous nos grands, à tout chevalier ou à tout bourgeois qui, inspirés par la grâce de Dieu, voudraient faire des dons à la même église pour le salut de leur âme ou des âmes de leurs parents, de suivre en toute liberté leurs pieuses intentions, et j'ordonne que les donations légitimes de tous biens soient valables à perpétuité. — Cet acte, portant concession, confirmation et relation de tout ce qui s'est passé jusqu'à ce jour, a été fait l'an de l'incarnation de Notre-Seigneur onze cent dixième et à la troisième indiction, le seigneur pape Pascal II étant chef souverain de l'église romaine, et Gibelin, archevêque d'Arles et vicaire du siège apostolique, ayant été récemment promu au patriarcat de Jérusalem. Les témoins de cet acte sont. Arnoul, archidiacre, Aichard, doyen, Eustache Garnier, Anselme, gardien de la tour de David, Raoul de Fontenai, Piselles, vicomte, Simon, fils du duc, Onfroi, religieux, Gérard, officier de la chambre, et beaucoup d'autres encore. »

CAPUT XIII.

Obsidetur terra marique civitas Berythensium; et secundo capitur mense.

Eodem anno praedictus Dei cultor, et magnificus triumphator, idem dominus rex curam gerens indefessam, quomodo regnum sibi a Deo commissum posset ampliare, sumpta occasione ex galeis quibusdam quae in regno hiemaverant, mense Februario, congregata pro viribus Christiani populi ex universi regni finibus multitudine, urbem obsidet Berythensium.

Est autem Berythum civitas maritima, inter Biblium et Sidonem in Phoenice sita, una de suffraganeis urbibus, quae Tyrensi metropoli intelliguntur subjectae, Romanis quondam acceptissima, ita ut, jure Quiritium civibus concesso, inter colonias reputaretur; de qua ita Ulpianus testatur in Digestis, titulo de Censibus, loquens de Phoenice provincia: Est et Berythensis colonia, in eadem provincia, Augusti beneficiis gratiosa. Et ut divus Adrianus in quadam oratione ait: Augustiana colonia, quae jus Italicum habet. Nec solum jus Italicum, verum etiam et docendi jus, quod raris concessum fuit urbibus, ab eodem Augusto obtinuit potestatem, sicut in primo codicis, ea constitutione quae sic incipit: Cordi nobis est, in qua ita legitur: Et Berytensium doctorem Dorotheum. Dicta autem creditur prisca appellatione Gerse, quam Gerseus quintus filiorum Chanaan fundasse legitur.

Ad hanc perveniens, accito sibi domino Bertramo Tripolitano comite, urbem coepit studio vehementi arctare. Advenerant autem, ut eidem urbi ministrarent subsidium, ex Tyro et Sidone naves quaedam, viris fortibus et bellicosis refertae. Quod si liberum introitum et exitum habere potuissent, inutiliter operam consumerent, qui obsidioni ejus incubuerant. Sed adveniente classe, de quarum ope confisus rex, opus praesens assumpserat, timentes se mari committere, protinus intra portum se receperunt: ita ut civibus omnino per mare et introitus negaretur et exitus.

Erat autem eidem civitati pinea silva vicinior, quae multam et idoneam obsidentibus, ad componendum scalas et quaslibet machinas, abunde praestabat materiam. Ex hac igitur erigentes sibi turres ligneas, et machinas jaculatorias componentes, et quae adversus hujusmodi solent esse necessaria fabricantes argumenta, urbem continuis impugnant assultibus, ita ut nec horae spatio, interdiu vel de nocte, obsessis requiem indulgerent; alternatim enim et per vices mutuas, sibi succedentes adinvicem, labore intolerabili cives fatigabant. Cum autem per menses duos continuos incepto opere viriliter desudassent, arguentes moram adinvicem, quadam die dum solito vehementius urbem in pluribus locis, congressionibus molestarent, quidam de turribus ligneis, quae moenibus fuerant violenter applicatae, saltu super murum se intulerunt; quos alii tum eodem modo, tum per scalas ascendentes, secuti, in urbem descendentes, portam civitatis violenter aperuerunt. Ingressus igitur sine difficultate noster exercitus, civibus ad mare confugientibus, urbem occupavit universam, Qui autem in navibus erant, audientes quod rex cum suis urbem effregerat, prosilientes et ipsi de navibus portum occupant; et cives qui gratia salutis illuc confugerant, gladiis repellentes, in hostes redire compulerunt: sicque cives miseri, inter hostium cohortes geminas infeliciter angustiati, nunc his, nunc illis instantibus, gladiis in medio depereunt: quousque rex stragem immoderatam conspiciens, eis qui residui erant, misericordiam implorantibus, voce praeconia finem caedis indicit, et victis vitam indulgeri praecipit. Capta est autem praedicta civitas anno ab Incarnatione Domini 1112, mense Aprili, vicesima septima die mensis.
 

CHAPITRE XIII.

Cette même année le roi de Jérusalem, fidèle serviteur de Dieu et puissant vainqueur, occupé sans relâche du soin d'accroître le royaume que le Seigneur lui avait confié, voulut profiter de l'occasion favorable d'employer quelques galères qui passaient l'hiver dans le pays, et rassembla, au mois de février, toutes les forces qu'il lui fut possible de réunir dans les diverses parties de ses Etats, pour aller mettre le siège devant la ville de Béryte.

Béryte, port de mer, situé dans la province de Phénicie, entre Biblios et Sidon, est l'une des églises suffragantes de la métropole de Tyr. Cette ville fut jadis traitée avec beaucoup de bienveillance par les Romains qui accordèrent à ses habitants les droits de cité et l'admirent au rang de colonie. Ulpien en parle dans le Digeste, à l'occasion de la province de Phénicie : On trouve dans la même province la colonie de Béryte, qui fut comblée des bienfaits d'Auguste ; et le divin Adrien dit, dans un de ses discours, que Béryte était une colonie d'Auguste et jouissait du droit italique. En outre de ce droit Auguste accorda encore à la ville de Béryte l'autorisation d'avoir des écoles publiques, autorisation qui n'était concédée que très rarement. On en trouve l'indication dans le premier livre du Code, à la constitution qui commence par ces mots : Cordi nobis est, et où on lit cette phrase : et Dorothée, docteur des habitants de Béryte. On croit que cette ville fut anciennement appelée Gersé, et les anciennes histoires montrent qu'elle fut fondée par Gersée, cinquième fils de Chanaan.

Le roi de Jérusalem y étant arrivé fit inviter le seigneur Bertrand, comte de Tripoli, à se joindre à son expédition et s'occupa avec ardeur de l'investissement de la place. Quelques navires, remplis de guerriers robustes et valeureux, étaient venus de Tyr et de Sidon pour porter secours à la ville, et il est certain que, s'ils avaient pu pénétrer dans le port et en sortir librement, tous les efforts des assiégeants eussent été en pure perte. Mais la flotte sur laquelle le roi avait compté pour le succès de son entreprise étant aussi arrivée, les navires ennemis n'osèrent plus se confier à la mer et se renfermèrent aussitôt dans l'intérieur du port, en sorte qu'il fut dès lors possible de fermer toutes les avenues de la ville aussi bien par mer que par terre.

Il y avait dans les environs une forêt de plus qui pouvait fournir en grande abondance aux assiégeants toutes sortes d'excellents matériaux propres à la construction des échelles et des diverses machines de guerre. Ils firent faire des tours en bois, des machines à lancer des traits et beaucoup d'autres instruments tels qu'on en a besoin pour de semblables opérations ; puis ils livrèrent à la ville des assauts continuels, de telle sorte que les habitants ne pouvaient jouir d'aucun moment de repos, ni de nuit, ni de jour ; les nôtres se partageaient le temps et se relevaient les uns les autres dans les travaux d'attaque, en sorte que les assiégés étaient écrasés de fatigues insupportables. Après avoir travaillé avec la même vigueur pendant deux mois de suite, les assiégeants, lassés de tant de retards, attaquèrent un jour avec une ardeur plus qu'ordinaire et livrèrent assaut sur plusieurs points en même temps : quelques-uns de ceux qui occupaient les tours de bois qu'on avait poussées et appliquées de vive force contre les murailles s'élancèrent sur les remparts, d'autres les suivirent aussitôt par le même chemin, où, en montant à l'aide de leurs échelles, ils pénétrèrent sans retard dans la ville et allèrent ouvrir la porte. Tandis que toute notre armée entrait sans aucun obstacle, les assiégés se retirèrent du côté de la mer, et la ville se trouva bientôt entièrement occupée. Ceux des nôtres qui étaient sur leurs vaisseaux, ayant appris que le roi de Jérusalem venait de se rendre maître de la place, descendirent à terre, prirent eux-mêmes possession du port, et, repoussant par le glaive les habitants qui venaient chercher un refuge auprès d'eux, ils les forcèrent à se replier vers leurs ennemis. Ainsi les malheureux Bérytiens, pressés entre deux troupes également hostiles, et repoussés alternativement par les uns et par les autres, succombaient sans se défendre. Le roi, voyant cet horrible carnage et accueillant les supplications de ceux qui vinrent implorer sa miséricorde, fit donner l'ordre par des hérauts d'armes de mettre un terme au massacre, et accorda la vie aux vaincus. La ville de Béryte fut prise l’an onze cent onze de l'incarnation du Seigneur et le vingt-sept du mois d'avril.[8]

CAPUT XIV.

Danorum et Noroegiorum classis descendit in Syriam; quorum ope rex Sidonem obsidet et capit; narraturque casus circa regem mirabilis.

Eodem anno quidam populus de insulis occidentalibus egressus, maximeque de ea occidentis parte quae Noroegia dicitur, audientes quod a Christi fidelibus capta esset civitas sancta Hierosolyma, volentes illuc devotionis gratia properare, classem sibi paraverant opportunam. Quam ascendentes, aura flante secunda, mare Britannicum navigantes, dein Calpen et Athlanta, angustias hujus Mediterraneae influxionis ingressi, nostrum hoc mare pertranseuntes, apud Joppen applicuerunt. Erat autem praedictae classis primicerius, et praeceptor supremus, quidam juvenis, procerus corpore et forma decorus, Noroegiae regis frater. Qui postquam portum Joppensem attigerunt, propositum iter aggredientes, Hierosolymam, cujus gratia venerant, adierunt. Rex igitur cognito eorum adventu, illuc cum omni celeritate properat; et cum illo praedicto nobili viro, benigne et familiariter locutus, tentare coepit et diligenter inquirere, utrum navalis ille exercitus, moram vellet in regno facere et operas suas ad tempus Christo dedicare, ut una de infidelium urbibus per eorum studium, fideli populo posset accrescere. Qui communicato consilio ad invicem, responderunt quod ad id venerant et ea intentione ferebantur, ut Christi servitio se manciparent. Juxta quod propositum parati erant, ut quamcunque de urbibus maritimis rex cum suo exercitu, obsidere vellet, illuc itinere marino cum omni celeritate contendere, nihil praeter victum pro stipendiis exigentes. Rex igitur devotissime verbum amplectens, congregans regni robur universum, et militiam quantam potuit, Sidonem pervenit. Classis quoque nihilominus a portu Acconensi egressa, illuc directe properaverat, ita ut pene eodem momento uterque exercitus ante urbem conveniret.

Est autem Sidon civitas maritima inter Berythum et Tyrensem metropolim sita, provinciae Phoenicis portio non modica, commodissimum habens situm, cujus tam Veteris quam Novi textus Instrumenti frequentem habet memoriam. De ea quippe in secundo Regum libro, ita Salomon ad Hiram, Tyriorum regem: Praecipe igitur, ut praecidant mihi cedros de Libano et servi mei sint cum tuis; mercedem autem servorum tuorum dabo tibi quamcunque petieris. Scis enim quoniam non est in populo meo, qui novit ligna caedere sicut Sidonii (III Reg. V, 6) . In Evangelio quoque ejus facit Dominus mentionem, dicens: Amen dico vobis, si haec facta essent in Tyro et Sidone, et caetera (Matth. XI, 1) ; et alibi: Egressus Jesus, secessit in partes Tyri et Sidonis (Marc. VII, 24) . Hanc Sidon Chanaan fundasse legitur; unde et usque in praesentem diem nomen tenet auctoris. Est autem una de urbibus suffraganeis Tyrensis metropolis. Hanc igitur noster exercitus ex utraque parte obsidione vallans, civibus magnam intulere formidinem; videntesque quod viribus nequaquam possent resistere, et ab imminentibus se tueri periculis, dolis perficere quod virtute nequeunt, machinantur. Erat porro in domini regis comitatu, ejus familiaris et quasi cubicularius, quidam Balduinus, aliquando gentilis, quem dominus rex pietatis intuitu accedentem ad baptismatis lavacrum, de sacro fonte susceperat; et ei nomen imponens suum, in numero domesticorum receperat; hunc nobiles de civitate viri, quocunque modo se volentes expedire, clam per internuntios conveniunt, infinitam promittentes pecuniam, et in civitate possessiones amplissimas, si a tantis calamitatibus eos, regem interficiendo, absolvat.

Erat autem hic idem domino regi adeo familiaris et charus, ut etiam ad loca secretiora quibus naturae, se purgare volentis, satisfit necessitatibus, regem solus plerumque comitaretur. Verbum itaque oblatum ille gaudens suscepit, et eorum postulationes effectui mancipare promittens, totus in hoc erat, ut tempus ad complendum facinus exspectaret opportunum. Interea quidam fideles de civitate, ad quos verbi hujus pervenerat notitia, timentes, ne per domini regis incuriam verbum hoc tam detestabile posset effectum sortiri, litteras scribunt sine certi auctoris titulo, easque cum sagitta in exercitum nostrorum dirigunt, rei seriem ordine pandentes; quae casu ad dominum regem pervenientes, animum ejus, nec immerito, plurimum affecerunt. Qui convocans principes, et quid eum facere oporteret deliberatione habita, vocatus est ille; et crimen confessus, principibus in eum dictantibus sententiam, suspendio vitam finivit.

Videntes ergo cives commenta sua felices non habere successus, alia via coeperunt ingredi; et missa legatione petunt, ut nobilibus concedatur exitus; plebi vero, sicuti et prius, agriculturae operam dare liceat, bonis conditionibus. Quo concesso urbem resignant, cum uxoribus et liberis ad loca desiderata, sine contradictore tendentes. Quam protinus et sine dilatione, cuidam de magnatibus suis, Eustachio videlicet Grener, jure haereditario possidendam liberaliter concessit. Classis vero receptis a domino rege donariis, et accepta licentia, prosequente eos universorum benedictione, ad propria reversi sunt. Capta est autem praedicta civitas anno ab Incarnatione Domini 1111, mense Decembri, decima nona die mensis.
 

CHAPITRE XIV.

Cette même année des hommes sortis des îles occidentales, et principalement du pays de l'Occident qui est appelé Norvège, ayant appris que les fidèles Chrétiens s'étaient emparés de la sainte Cité de Jérusalem, résolurent d’y venir faire leurs dévotions, et firent en conséquence préparer une flotte. Ils s'embarquèrent, et, poussés par de bons vents, ils traversèrent la mer Britannique, passèrent au détroit de Calpé et d'Atlas, par lequel se forme notre mer Méditerranée ; et, après avoir suivi celle-ci dans toute sa longueur, ils vinrent aborder à Joppé. Le chef suprême de cette expédition était un grand et beau jeune homme, frère du roi de Norvège. Aussitôt qu'il eut débarqué à Joppé avec tous ceux qui le suivaient, ils poursuivirent tous leur route et se rendirent à Jérusalem, objet de leur entreprise et de leurs vœux. Le roi, dès qu'il fut instruit de l'arrivée du noble prince de Norvège, se rendit en toute hâte auprès de lui, l'accueillit avec beaucoup de bonté, s'entretint familièrement avec lui, et se mit aussitôt en mesure de reconnaître si ce prince était disposé à s'arrêter quelque temps dans le royaume avec son armée navale, et à consacrer au Christ le fruit de ses travaux, afin de parvenir avec son secours à étendre la domination du peuple fidèle, et à s'emparer de quelque autre ville. Les Norvégiens, ayant tenu conseil entre eux, répondirent qu'ils étaient venus avec l'intention expresse de s'employer utilement au service du Christ, et qu'en conséquence ils étaient tous disposés à se rendre sans le moindre délai par la route de mer vers celle des villes maritimes que le roi voudrait attaquer avec son armée, ne demandant pour toute solde que les vivres nécessaires à leur entretien. Le roi accepta ces propositions avec la plus grande ardeur, et rassemblant aussitôt toutes les forces de son royaume, et tous les chevaliers qu'il fut possible de réunir, il se mit en marche pour Sidon. Dans le même temps, la flotte sortit du port d'Accon, et se dirigea également vers Sidon, où les deux armées de terre et de mer arrivèrent presque simultanément.

Sidon, ville maritime située entre Béryte et Tyr, sa métropole, fait une partie considérable de la province de Phénicie, elle, est dans une position fort avantageuse : l'Ancien de même que le Nouveau Testament en ont fait mention très fréquemment. On lit dans le livre des Rois, que Salomon écrivit à Hiram : Donnez donc ordre à vos serviteurs qu'ils coupent pour moi des cèdres du Liban, et mes serviteurs seront avec vos serviteurs, et je donnerai à vos serviteurs telle récompense que vous me demanderez, car vous savez qu'il n'y a personne parmi mon peuple qui sache couper le bois comme les Sidoniens. On voit aussi dans l'Évangile de Matthieu que le Seigneur a fait mention de Sidon, en disant : Si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu'elles auraient fait pénitence ; et ailleurs, dans l'Evangile de Marc : Jésus partit ensuite de là, et s'en alla sur les confins de Tyr et de Sidon. On lit, dans les anciennes histoires que cette ville fut fondée par Chanaan, ce qui fait qu'elle a aussi porté et porte encore aujourd'hui quelquefois le nom de son fondateur. Son église est l'une des suffragantes de la métropole de Tyr. Les deux armées assiégeantes l'ayant investie de toutes parts, les habitants furent remplis de terreur, et voyant qu'il leur serait impossible de résister à de telles forces, et d'échapper aux périls qui les menaçaient, ils voulurent rechercher par la ruse un succès qu'ils ne pouvaient attendre de leur courage. Il y avait à la suite du roi de Jérusalem un certain Baudouin, son familier et presque son valet de chambre. Cet homme, autrefois païen, avait sollicité le sacrement du baptême, et le roi, dans son zèle pieux, l'avait présenté sur les fonts sacrés, il lui avait donné aussi son nom, et l'avait admis au nombre de ses domestiques. Les nobles de la ville voulant se délivrer à quelque prix : que ce fût, parvinrent à négocier secrètement avec cet homme, et lui promirent des sommes considérables en argent et d'immenses propriétés dans la ville, s'il voulait les sauver du danger qui les menaçait, en assassinant le roi. Ce Baudouin vivait dans une telle intimité avec le roi et lui était si cher qu'il lui arrivait souvent de l'accompagner absolument seul, jusque dans les lieux les plus cachés, où l'homme se retire pour satisfaire à ses besoins. Il reçut cependant avec joie les propositions qui lui furent faites, et promit aux assiégés d'accomplir leurs intentions. Dès ce moment, il ne fut plus occupé que d'attendre une occasion favorable à l'exécution de son crime.

Cependant quelques fidèles qui habitaient dans la ville, ayant eu connaissance de cette réponse, et craignant que l'imprudence du roi ne l'exposât à tomber bientôt dans ce détestable piège, écrivirent une lettre anonyme, qui fut attachée au bout d'une flèche, et lancée ainsi au milieu de notre armée. La lettre contenait le détail exact de tout le complot. Le hasard la fit parvenir entre les mains du roi, qui fut douloureusement affecté, et non sans de justes motifs, en apprenant une telle trahison. Il convoqua aussitôt les chefs de l'armée, et mit en délibération ce qu'il y avait à faire en de telles circonstances. Le coupable fut appelé ; il confessa son crime, et condamné par les princes à être pendu, il subit son supplice.

Après ce mauvais succès d'une première tentative, les assiégés cherchèrent d'autres moyens de se tirer d'affaire : ils adressèrent au roi une députation, par laquelle ils firent demander pour les nobles la faculté de sortir de la ville, et pour le peuple l'autorisation d'y demeurer comme par le passé, sous de bonnes conditions, et de continuer à se livrer aux travaux de l'agriculture. Ces propositions ayant été agréées, ils rendirent la ville, et ceux qui voulurent sortir partirent avec leurs femmes et leurs enfants, et s'acheminèrent sans obstacle vers les lieux où ils avaient désiré se retirer. Le roi ne mit aucun délai à concéder la ville de Sidon à l’un de ses seigneurs, Eustache Grenier, et la lui donna généreusement pour être possédée à titre héréditaire. Les gens de la flotte reçurent du roi des présents, prirent congé de lui, et retournèrent dans leur patrie, comblés des bénédictions de tous les Chrétiens. La ville de Sidon fut occupée l'an de grâce onze cent onze,[9] et le dix-neuf de décembre.

CAPUT XV.

Moritur Gibelinus Hierosolymorum patriarcha; succedit ei vir impius et nequam Arnulfus.

Per idem tempus, mortuus est dominus Gibelinus, bonae memoriae, Hierosolymorum patriarcha, cui substitutus est invita, ut credimus, divinitate Arnulfus, de quo saepissimam in superioribus mentionem habuimus, Hierosolymitanus archidiaconus, qui vulgo cognominatus est Malacorona. Sed propter peccata populi patitur Deus regnare hypocritam (Job XXXIV, 30) . Hic, sicuti et prius, seipsum continuans, multa pessima gessit opera. Nam inter caetera neptem suam, apud dominum Eustachium Grener, unum de majoribus regni principibus, nobilium duarum urbium dominum, Sidonis videlicet et Caesareae, nuptui collocavit, cum ea conferens ecclesiastici patrimonii optimas portiones, Jericho videlicet, cum omnibus pertinentiis suis, cujus hodie redditus annualis quinque millium dicitur esse aureorum. Fuit autem et in suo pontificatu conversationis immundae, ita ut ejus vulgo pateret ignominia. Cui rei colorem quaerens, ordinem quem primi principes studiose et cum multa deliberatione in Ecclesia Hierosolymitana instituerant, regulares canonicos introducendo commutavit. Regem etiam ad hoc impulit, ut vivente adhuc uxore sua aliam duceret, sicut in sequentibus dicetur.
 

CHAPITRE XV.

[1111.] Le seigneur Gibelin, patriarche de Jérusalem, de précieuse mémoire, mourut vers la même époque. Il fut remplacé par un choix qui ne pouvait être approuvé du Seigneur, du moins à ce crue nous pensons, par Arnoul, dont j'ai eu souvent occasion de parler, archidiacre de Jérusalem, et que l’on appelait vulgairement mauvaise couronne. Mais Dieu permet que l’hypocrite règne, en punition des péchés du peuple. Arnoul, continuant à se conduire comme il avait fait jusqu'alors, se livra à beaucoup de mauvaises œuvres. Entre autres actions de ce genre, il donna sa nièce en mariage au seigneur Eustache Grenier, l'un des plus grands princes du royaume, et seigneur des deux nobles villes de Sidon et de Césarée, et lui concéda les meilleures portions du patrimoine de l'Église, savoir, Jéricho et toutes ses dépendances, dont le revenu annuel est, dit-on, aujourd'hui de cinq mille pièces d'or. Il mena d'ailleurs une vie fort irrégulière durant tout le cours de son pontificat, et se couvrit d'ignominie. Afin de cacher ses désordres, il changea entièrement les arrangements que les premiers princes avaient, faits avec beaucoup de soin, et à la suite de longues délibérations, dans l'église de Jérusalem, en instituant les chanoines réguliers. Ce fut aussi sur son instigation que le roi épousa une autre femme du vivant de celle qu'il avait, ainsi qu'on le verra dans la suite de ce récit.

CAPUT XVI.

Ab Oriente Turcorum ingens manus, et innumerabiles copiae finibus se infundunt Antiochenis; sed Tancredus una cum Tripolitano comite Bertramo, resistit viriliter.

Nec mora interposita diuturniore, post Sidonem captam, collecta est in Perside equitum manus infinita; qui ut proprias experirentur vires, ut super eo aliquando possent gloriari, in regiones nostras ascenderunt. A primo enim Latinorum introitu, usque ad annum regni eorum quasi quadragesimum, non defuit nostris pestis illa, saevior hydra, recens et damno capitum facta locupletior. Annis quippe pene singulis de illo sinu Persico tanta erumpebat illius populi detestabilis multitudo, ut pene universam terrae superficiem sua numerositate operirent. Sed miserante nostros labores divina clementia, suscitavit Persarum insolentiae et regno nimis de se praesumenti aemulum imperium gentis Hiberorum: quo per gratiam Dei incrementum suscipiente, et vires acquirente, per successus continuos contrita est Persarum superbia; et qui prius praedicto populo suspecti erant et formidabiles, facti sunt, versa vice, eis et viribus et armorum experientia longe inferiores; quique regnis exteris; etiam remotioribus consueverant inferre sollicitudinem, nunc sibi sufficere reputant, si intra fines suos tranquillitatem reperiunt vel ad tempus. Est autem Hiberia regio in plaga septentrionali constituta, quae alio nomine dicitur Avesguia, Persis contermina, homines habens corpore proceros, robustos viribus, multa strenuitate commendabiles. Hi frequentibus bellis et congressionibus assiduis Persarum adeo copias attriverunt, ut jam se nec pares reputent, et pro suo statu solliciti aliorum provincias vexare destiterint.

Praedicta ergo multitudo, a finibus illis egressa, Mesopotamiam transcurrens, transmisso Euphrate fluvio magno, regionem circa fluvium pro arbitrio tractantes, optimum regionis praesidium Turbessel obsident; cumque per mensem continuum ibidem operam consumpsissent, videntes quod non proficerent, ad partes Halapienses se contulerunt, de sua multitudine confisi, machinantes ut dominum Tancredum incaute et cum impetu provocarent ad praelium. Dominus autem Taucredus, sicut vir prudens erat et in agendis circumspectus, dominum regem litteris evocat et nuntiis, ut mature subsidium conferat. Qui sine mora convocata ingenti militia, assumpto sibi Bertramo comite Tripolitano, cum suis iterum copiis ad partes illas se contulit. Qui cum pervenissent ad oppidum Rugiam, ibi dominum Tancredum cum suis expeditionibus invenerunt: unde in hostes progressi, ante urbem Caesaream, quae vulgo appellatur Caesarea, ubi hostes castrametati fuerant, ordinatis agminibus pervenerunt. Ubi cum se mutuo uterque conspexisset exercitus, Turcis declinantibus praelium, a regione discesserunt, nostris, ab invicem sumpta licentia, ad propria reversis.

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CHAPITRE XVI.

Immédiatement après la prise de Sidon, de nombreux essaims de cavalerie ennemie furent levés en Perse, et vinrent dans les pays occupés par les Chrétiens faire l'épreuve de leurs forces, et chercher des occasions de triomphe. Dès les premiers moments de l'arrivée des Latins, et jusqu'à la quarantième année environ de leur établissement, ils ne cessèrent d'être tourmentés de cette peste, qui semblait se multiplier comme l'hydre, et se fortifier à mesure que ses têtes étaient abattues. Presque toutes les années le golfe Persique vomissait sur eux des bataillons innombrables de ce détestable peuple, tels qu'ils eussent presque suffi à couvrir la surface de la terre. Dieu cependant, dans sa clémence miséricordieuse en faveur des siens, suscita de puissants rivaux aux Perses trop enorgueillis des forces de leur empire, en soulevant contre eux la nation des Ibères. Celle-ci, par la grâce du Seigneur, acquit chaque jour de nouvelles forces, et parvint par des soins soutenus à abattre l'orgueil des Perses. D'abord ces derniers avaient été formidables aux Ibères ; mais ils leur devinrent à leur tour très inférieurs en force et en habileté dans la guerre. Après avoir pendant longtemps porté la terreur de leurs armes dans les royaumes étrangers, même les plus éloignés, ils en sont, venus enfin à s'estimer heureux de pouvoir vivre tranquilles, ou obtenir quelque trêve dans les limites de leur empire. Le pays des Ibères, autrement nommé Avesguia, est situé au nord de la Perse, dont il est limitrophe ; il est habité par des hommes de haute taille, et remarquables par la force du corps et par une extrême bravoure. Leurs irruptions fréquentes sur le territoire des Perses, et les succès qu'ils obtinrent habituellement dans ces guerres détruisirent les troupes de ce dernier empire ; et les Perses forcés de reconnaître leur infériorité, et de prendre soin de leurs propres États, ont cessé de tourmenter les provinces du dehors.

Cependant les troupes de cavalerie dont j'ai parlé tout à l'heure sortirent de leur pays, traversèrent la Mésopotamie, passèrent le grand fleuve de l'Euphrate, dévastèrent à leur tour tout le pays situé en deçà de ce fleuve, et vinrent mettre le siège devant Turbessel, la plus forte place de toute cette contrée. Ils y demeurèrent un mois entier, poursuivant leur attaque sans relâche ; mais enfin voyant qu'ils ne pouvaient réussir, ils se dirigèrent vers Alep, se confiant en leur multitude, et voulant tenter d'attaquer le seigneur Tancrède à l'improviste, et de l'engager malgré lui dans une bataille. Mais Tancrède, toujours plein de sagesse et de prudence, écrivit et envoya des exprès au roi de Jérusalem pour l'inviter à venir en toute hâte à son secours. Le roi convoqua aussitôt beaucoup de chevaliers, prit avec lui le seigneur Bertrand, comte de Tripoli, et les troupes dont il pouvait disposer, et se mit en marche sans retard. Arrivé auprès du bourg de Rugia,[10] il y trouva Tancrède avec son armée. Ils se réunirent tous ensemble, et se rendirent en bon ordre de bataille à Césarée, où les ennemis avaient établi leur camp. Lorsque les deux armées se trouvèrent en présence, et après qu'elles se furent bien reconnues mutuellement, les Turcs refusèrent le combat et abandonnèrent le pays. Les Chrétiens, de leur côté, prirent congé les tins des autres, et s'en retournèrent chacun chez soi.

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[1] Azot ou Asdod, jadis l'une des principales villes du pays des Philistins, située au bord de la mer, et réduite aujourd'hui à un misérable bourg qui porte le nom d'Esdud. Il paraît qu'il y avait dans l'intérieur des terres, à peu de distance d'Asdod, une autre ville de même nom, mais moins considérable.

[2] En 1107.

[3] Au mois de septembre 1108.

[4] Il mourut à Canosa, vers la fin de février 1111, selon L’Art de vérifier les Dates, tandis que Guillaume de Tyr le fait mourir en 1109.

[5] Il y a ici une erreur ; Philippe Ier mourut le 29 juillet 1108.

[6] Ezéchiel, chap. 27, v. 9.

[7] Rois, liv. 3, ch. 5, v. 18.

[8] Le 17 mai 1109, selon L’Art de vérifier les Dates.

[9] L'an 1110, selon L’Art de vérifier les Dates.

[10] Aujourd'hui Ruiah.