AVANT-PROPOS.
Le peuple romain, depuis le
roi Romulus jusqu'à César Auguste, c'est-à-dire durant sept cents
ans, a exécuté tant de grandes choses dans la paix et dans la
guerre, que l'on ne peut comparer l'étendue de son empire avec la
durée de son existence, sans le croire plus ancien encore. Ses armes
victorieuses ont parcouru l'univers; et ses annales, dans l'histoire
d'un seul peuple, retracent celle du genre humain. A considérer ses
travaux, ses agitations, ses périls, il semble qu'il ait fallu en
même temps les efforts du courage et ceux de la fortune, pour élever
une telle puissance. Vaste ensemble, dont il importe sans doute de
connaître les détails ! mais, comme la complication d'un sujet nuit
à ses propres développements (01), et
que la diversité des objets émousse l'attention, j'imiterai l'art
des géographes : je renfermerai dans un cadre étroit le tableau de
Rome entière; et peut-être, en donnant à la fois le spectacle de
toute la grandeur romaine, ajouterai-je encore à l'admiration
qu'inspire le peuple roi.
Si l'on envisage le peuple romain comme un seul homme (02),
si l'on parcourt toutes les périodes de sa vie, on trouvera, dans
son existence, quatre gradations successives; ses commencements, son
adolescence, auxquels succède une image de la virilité et de la
vieillesse. Son premier âge se passe sous les rois, et comprend
environ deux cent cinquante ans, pendant lesquels il lutte autour de
son berceau contre les nations voisines; voilà son enfance. Son
second âge, depuis le consulat de Brutus et de Collatin, jusqu'à
celui d'Appius Claudius et de Quintus Fulvius, embrasse pareillement
deux cent cinquante années, qu'il emploie à soumettre l'Italie;
période agitée, période féconde en guerres et en héros : on peut
l'appeler son adolescence. Deux siècles s'écoulent jusqu'au temps de
César Auguste et de l'entière pacification du monde : c'est alors la
jeunesse de l'empire et sa robuste maturité. De César Auguste
jusqu'à nos jours, on compte environ deux cents ans; temps
d'affaissement et de décadence, sous la domination des indolents
Césars. Mais Trajan leur succède (03);
l'empire reprend sa vigueur, et, contre toute espérance, retrouve
une verte vieillesse, ou plutôt une jeunesse nouvelle.
ABRÉGÉ DE L'HISTOIRE
ROMAINE DE FLORUS
LIVRE I.
I. Le fondateur de Rome et de
l'empire fut Romulus. Il était fils du dieu Mars et de la vestale
Rhea Sylvia: elle en fit l'aveu pendant sa grossesse; et la Renommée
put bientôt le publier avec certitude, lorsque Romulus, par l'ordre
d'Amulius, fut jeté dans le fleuve avec Remus, son frère, et ne put
y trouver la mort. Le Tibre arrêta son cours; et une louve,
abandonnant ses petits, accourut aux cris des deux enfants, leur
présenta ses mamelles, et leur servit de mère. Un berger du roi les
trouva en cet état auprès d'un arbre, les emporta dans sa cabane et
les éleva. Albe était alors la capitale du Latium : lule l'avait
bâtie, dédaignant Lavinium, la ville de son père. Amulius succédait
à ces rois après quatorze générations. Il avait chassé du trône
Numitor, son frère, dont la fille était mère de Romulus.
Celui-ci, dès qu'il se sent animé des premiers feux de la jeunesse,
renverse du trône son oncle Amulius, et y replace son aïeul. L'amour
du fleuve et des montagnes où fut élevée son enfance lui inspire le
désir d'y bâtir une ville nouvelle. Mais Remus et lui sont jumeaux;
pour savoir auquel des deux appartiendra le droit de fonder et de
gouverner la ville, ils ont recours aux auspices. Remus se place sur
le mont Aventin, Romulus sur le mont Palatin. Remus, le premier,
aperçoit six vautours : son frère en voit ensuite, mais il en voit
douze. Vainqueur dans cette épreuve, Romulus élève sa ville, plein
de l'espoir qu'elle sera guerrière : ainsi le promettaient ces
oiseaux de proie et de carnage.
Pour la défense de la nouvelle ville, un retranchement semblait
suffire; Remus insulte à cette étroite barrière, la franchit par
dérision, et reçoit la mort, peut-être par l'ordre de son frère (04).
Du moins est-il la première victime immolée; et il consacre de son
sang les murailles de la ville naissante.
Du reste, c'était moins une ville, que l'image d'une ville : elle
manquait d'habitants. Dans le voisinage était un bois sacré ;
Romulus en fait un asile, et soudain accourent une multitude de
bergers latins et toscans, d'hommes même d'outre-mer, de Phrygiens
et d'Arcadiens, qui, sous Énée et sous Évandre, s'étaient répandus
en Italie. Rassemblant en un seul corps ces éléments divers, il en
fit le peuple romain (05).
Mais c'était un peuple d'hommes, et une génération en bornait la
durée. On demanda donc des femmes aux nations voisines : sur leur
refus, on employa la force. Les Romains feignent de célébrer des
jeux équestres : les femmes attirées à ce spectacle deviennent leur
proie. Ce fut une source de guerre. Les Véiens sont battus et mis en
fuite. La ville des Ceniniens est prise et ruinée : Romulus,
vainqueur de leur roi, rapporte à Jupiter Férétrien (06)
les premières dépouilles opimes.
Une jeune fille (07) livra les portes
aux Sabins, moins par trahison que par une vanité naturelle à son
âge (08): elle leur avait demandé ce
qu'ils portaient à leur bras gauche, sans désigner si c'étaient
leurs boucliers ou leurs bracelets. Les Sabins, pour dégager leur
foi, et en même temps pour punir sa perfidie, l'accablèrent sous
leurs boucliers. Cependant ils entrent dans les murs; un sanglant
combat s'engage sur la place publique : les Romains fuient
honteusement : mais, invoqué par Romulus, Jupiter les arrête; c'est
en mémoire de ce bienfait que l'on éleva un temple à Jupiter Stator.
Enfin, au milieu du carnage, les femmes enlevées se précipitent, les
cheveux épars, entre les combattants. On fait la paix avec Tatius :
l'alliance est solennellement jurée; et l'on vit bientôt, par un
retour surprenant, l'ennemi abandonner ses foyers, passer dans la
nouvelle ville, et apporter pour dot à ses gendres les richesses de
ses aïeux (09). La puissance de Rome
s'étant accrue en peu de temps, Romulus régla avec sagesse la
constitution de l'état: la jeunesse, divisée par tribus, était
toujours à cheval et sous les armes, pour repousser les attaques
soudaines : les vieillards formaient le conseil; ils durent le nom
de pères à leur autorité; à leur âge, celui de sénateurs (10).
Cet ordre établi, un jour que Romulus tenait une assemblée hors de
la ville, près du marais de Capréa, il disparut tout à coup. Selon
quelques-uns, il fut mis en pièces par le sénat, que révoltait
l'âpreté de son caractère; mais une tempête et une éclipse de
soleil, qui survinrent, donnèrent à cet évènement une apparence
d'apothéose. Cette idée s'accrédita bientôt après : Julius Proculus
rapporta que Romulus lui était apparu plus auguste qu'il n'avait
jamais été; il voulait désormais être honoré comme un dieu; il
s'appelait Quirinus dans le ciel (11) :
la volonté des dieux réservait aux Romains l'empire de l'univers.
II. A Romulus succéda Numa
Pompilius, qui vivait à Cures, ville des Sabins : les Romains
allèrent l'y chercher eux-mêmes, sur la réputation de son insigne
piété. Il leur enseigna les sacrifices, les cérémonies, et tout le
culte des dieux immortels; il établit les pontifes, les augures, les
saliens et les autres sacerdoces. Il divisa l'année en douze mois,
et les jours en fastes et néfastes (12).
C'est de lui que viennent les anciles et le palladium, gages
mystérieux de l'empire; et Janus au double visage, symbole de la
guerre et de la paix. Avant tout, il commit à des vierges sacrées le
feu de Vesta (13), image des astres du
ciel, flambeau tutélaire, toujours allumé pour le salut de l'état.
Afin de donner plus d'autorité à ces institutions, aux yeux d'un
peuple encore barbare, il en attribua l'idée aux inspirations de la
déesse Égérie (14). Enfin, il sut si
bien apprivoiser ces hommes farouches, qu'il gouverna par la
religion et par la justice un empire fondé par l'injustice et par la
violence.
III. Après Numa, régna Tullus
Hostilius; on lui déféra librement la couronne, pour honorer son
courage. Il créa la discipline militaire et l'art de la guerre.
Quand il crut la jeunesse romaine assez exercée aux combats, il osa
attaquer les Albains, peuple redoutable et qui avait longtemps tenu
le premier rang en Italie. Les forces étaient égales, et les deux
nations s'affaiblissaient par des combats multipliés. Enfin, pour
abréger la guerre, trois frères de part et d'autre, les Horaces et
les Curiaces, furent chargés de la destinée des deux empires: la
lutte, incertaine et glorieuse, fut surprenante encore par son issue
(15). D'un côté, les trois combattants
étaient blessés; de l'autre, deux avaient été tués. Horace, resté
seul, ajoute la ruse au courage : il feint de prendre la fuite, et,
divisant ses ennemis, qui le suivent, chacun selon ses forces, à des
distances inégales, il les immole l'un après l'autre. Ainsi la
victoire est due au bras d'un seul homme; rare et insigne honneur,
mais qu'il souilla bientôt d'un parricide. Il voit sa soeur pleurer
sur les dépouilles d'un Curiace : elle pleurait un amant, mais un
ennemi de Rome; Horace punit par le fer ces lâches regrets. Les lois
demandèrent le châtiment du coupable; mais la victoire effaça son
parricide, et son crime disparut dans l'éclat de sa gloire.
Cependant les Albains ne furent pas longtemps fidèles. Appelés comme
auxiliaires dans une guerre contre les Fidénates, ils attendirent
entre les deux armées que la fortune se déclarât. Mais à peine
avaient-ils commencé leur marche vers les Fidénates, que le roi, par
un adroit artifice, feint d'avoir ordonné lui-même ce mouvement,
ranime le courage des siens, les remplit d'espérance, et l'ennemi
d'effroi. Ainsi la trahison fut inutile. Les ennemis vaincus,
l'infracteur du traité, Metius Suffetius, fut attaché entre deux
chars et écartelé par des chevaux fougueux. Albe même ne fut point
épargnée; Albe, la mère, mais la rivale de Rome : Tullus la fit
raser, en transportant à Rome ses richesses et ses habitants ; de
sorte qu'il sembla moins détruire une cité d'où Rome tirait son
origine, que réunir les membres d'un même corps.
IV. Ensuite vint Ancus
Marcius, petit-fils de Numa, dont il eut le caractère. Il entoura la
ville de murailles, jeta un pont sur le Tibre, qui la traverse, et
fonda une colonie à Ostie, à l'embouchure même de ce fleuve. Sans
doute il présageait dès lors que ce lieu, entrepôt maritime de notre
ville, s'ouvrirait un jour aux richesses et au commerce de
l'univers.
V. Tarquin l'Ancien, qui lui
succéda, était né au delà des mers. Il osa néanmoins aspirer au
trône, et il y parvint par son adresse et par l'élégance de ses
moeurs. Originaire de Corinthe, il alliait l'esprit de la Grèce aux
habitudes morales de l'Italie (16). Il
augmenta, par le nombre des sénateurs (17),
la majesté du sénat, et ajouta aux tribus de nouvelles centuries,
malgré l'opposition du savant augure Attius Navius. Le roi, pour
l'éprouver, lui demanda si la chose à laquelle il pensait en ce
moment était possible. Navius consulte son art, et répond que la
chose est possible. «Eh bien, dit le roi, je voulais savoir si je
pourrais couper ce caillou avec un rasoir. - Vous le pouvez, lui
répondit l'augure;» et en effet il le coupa. Depuis ce temps,
l'augurat fut sacré chez les Romains (18).
Tarquin ne se distingua pas moins dans la guerre que dans la paix.
Il eut souvent les armes à la main, et subjugua les douze peuples de
l'Étrurie. C'est à eux (19) que nous
devons les faisceaux, les trabées, les chaises curules, les anneaux,
les phalères, les manteaux militaires, la robe prétexte, le char
doré des triomphateurs traîné par quatre chevaux, les robes peintes,
les tuniques ornées de palmes, enfin, tous les ornements et toute la
magnificence qui relèvent la dignité de l'empire.
VI. Servius Tullius saisit
ensuite les rênes de l'état, malgré l'obscurité de sa naissance : il
avait pour mère une esclave. Mais Tanaquil, épouse de Tarquin, avait
cultivé, par une noble éducation, l'heureux naturel de ce jeune
homme; et une flamme brillant autour de sa tête avait présagé son
illustration future. Dans les derniers moments de Tarquin (20),
la reine fit passer le souverain pouvoir aux mains de Servius, comme
à titre de dépôt; mais l'autorité qu'il avait acquise par la ruse,
il sut presque la légitimer par l'habileté de son gouvernement. Le
premier, il fit un dénombrement du peuple romain, qu'il rangea par
classes, et qu'il distribua en curies et en collèges (21).
Il établit un ordre parfait dans toutes les branches de
l'administration : les détails sur le patrimoine, le rang, l'âge, la
profession et l'état de chacun, étaient portés sur des registres
publics; et tout, dans cette grande cité, se trouvait réglé avec
autant d'exactitude, que dans la maison du moindre particulier (22).
VII. Le dernier des rois fut
Tarquin le Superbe, qui dut ce surnom à son orgueil. La couronne de
son aïeul était aux mains de Servius; il aima mieux la ravir que
l'attendre, et fit assassiner le roi. Le crime le plaça, le crime le
maintint sur le trône. Digne épouse d'un tel mari, empressée de le
saluer roi, Tullie, accourant dans un char, fit passer sur le corps
sanglant de son père ses chevaux épouvantés. Tarquin accabla le
sénat de ses barbaries, tous les citoyens de son orgueil, plus
insupportable que la cruauté même pour les âmes généreuses, jusqu'à
ce que, fatiguée de meurtres domestiques, sa rage se tourna contre
les ennemis du dehors. De puissantes villes du Latium, Antée,
Ocriculum, Gabie, Suessa Pometia tombèrent en son pouvoir. Dans sa
férocité sanguinaire, il n'épargna pas même les siens. Il fit battre
de verges un de ses fils, afin que, passant chez les ennemis comme
transfuge, il gagnât plus facilement leur confiance (23).
En effet, le jeune prince, introduit dans Gabie, comme son père
l'avait désiré, envoie prendre les ordres de Tarquin : celui-ci ne
répondit qu'en abattant avec une baguette les hautes tiges de pavots
qui se trouvaient près de lui, faisant entendre, dans sa cruauté
farouche, qu'il fallait mettre à mort les premiers de la ville.
Cependant, il bâtit un temple avec les dépouilles des villes prises.
Lorsqu'on l'inaugura, les autres divinités cédèrent leur place : la
Jeunesse et le dieu Terme seuls firent résistance. Ce refus
opiniâtre parut aux devins d'un heureux augure; il annonçait une
puissance inébranlable et éternelle. Mais ce qui parut plus étrange
encore, c'est qu'en creusant les fondements de l'édifice, on trouva
une tête d'homme. Ce prodige ne permit plus aucun doute : Rome
devait être le siège de l'empire du monde, et comme la tête de
l'univers.
Après avoir longtemps enduré l'orgueil despotique de Tarquin, les
Romains se révoltèrent contre l'incontinence de ses enfants : ils ne
purent supporter ce dernier outrage (24).
L'un des Tarquins ayant déshonoré Lucrèce, cette vertueuse et
illustre Romaine expia sa honte en se donnant la mort. Alors la
puissance fut ôtée aux rois.
VIII. Voilà le premier âge,
et comme l'enfance du peuple romain. Ce temps s'écoula sous sept
rois, dont le génie, par une sorte d'heureuse fatalité (25),
fut approprié aux besoins et aux intérêts de l'état. En effet, quel
esprit plus ardent que celui de Romulus? il fallait un tel homme
pour saisir la royauté. Quel prince plus religieux que Numa? les
circonstances demandaient un roi de ce caractère pour adoucir un
peuple farouche par la crainte de la divinité. Et Tullus, le
créateur de l'art militaire, combien n'était-il pas nécessaire à ces
âmes belliqueuses, pour discipliner leur courage? Ancus, né avec le
goût des constructions, donna à la ville une colonie pour son
agrandissement, un mur pour sa défense, un pont pour faciliter les
communications. Quant aux insignes et aux ornements introduits par le
premier Tarquin, combien n'ajoutèrent-ils point, par les dehors
seuls, à la dignité du peuple roi! Le dénombrement de Servius apprit
à la république à se connaître elle-même. Enfin, l'odieuse tyrannie
de Tarquin le Superbe fut de quelque utilité : que dis-je? soulevant
le peuple contre une domination injurieuse, et l'enflammant de
l'amour de la liberté, elle fut pour lui le plus grand des
bienfaits.
IX. Sous la conduite et par
le conseil de Brutus et de Collatin, que Lucrèce en mourant avait
chargés du soin de sa vengeance, le peuple romain, excité, comme par
une inspiration divine, à venger la liberté et la pudeur, déposa
aussitôt le roi, pilla ses biens (26),
consacra son domaine à Mars, protecteur de Rome, et transféra aux
vengeurs de sa liberté la suprême puissance dont il changea
toutefois le nom et les droits. En effet, de perpétuelle, elle
devint annuelle; unique auparavant, elle fut partagée; on voulait
prévenir la corruption attachée à l'unité ou à la durée du pouvoir;
le nom de rois fit place à celui de consuls, qui rappelait à ces
magistrats qu'ils ne devaient consulter que les intérêts de leurs
concitoyens. Tel fut l'excès de la joie qu'inspira la liberté
nouvelle, qu'à peine put-on croire au changement opéré dans l'état;
et qu'à cause de son nom seulement et de sa naissance royale, un des
consuls se vit enlever ses faisceaux et banni de la ville. Valérius
Poplicola, qui lui fut substitué, travailla avec le plus grand zèle
à augmenter la majesté d'un peuple libre. Il fit abaisser ses
faisceaux devant lui, dans les assemblées, et lui donna le droit
d'appel contre les consuls eux-mêmes. Enfin, de peur qu'on ne prit
ombrage de ce que sa maison, placée sur une éminence, offrait
l'apparence d'une citadelle, il la fit rebâtir dans la plaine. Quant
à Brutus (27), ce fut par le
sang de sa famille et par le parricide qu'il s'éleva au faite de la
faveur populaire. Ayant découvert que ses fils travaillaient à
rappeler les rois dans la ville, il les fit traîner sur la place
publique, battre de verges au milieu de l'assemblée du peuple, et
frapper de la hache. Il parut, aux yeux de tous, être ainsi devenu
le père de la patrie, et avoir, à la place de ses enfants, adopté le
peuple romain. Libre désormais, Rome prit les armes contre les
étrangers, d'abord pour sa liberté, bientôt après pour ses limites,
ensuite pour ses alliés, enfin pour la gloire et pour l'empire,
contre les continuelles attaques des nations voisines. Sans
territoire qu'ils pussent appeler le sol de la patrie, trouvant la
guerre au sortir de leurs murs, placés entre le Latium et l'Étrurie,
comme entre deux chemins qui les menaient au combat, par toutes
leurs portes ils allaient à l'ennemi. Mais toujours s'avançant de
proche en proche, on les vit, par des invasions graduelles, et par
un entraînement irrésistible, ranger enfin sous leurs lois toute
l'Italie.
X. Après l'expulsion des
rois, Rome prit d'abord les armes pour la liberté. Porsenna, roi des
Étrusques, ramenait les Tarquins; il était sous nos murs, à la tête
d'une puissante armée. Malgré le fer, malgré la faim, malgré la
prise du Janicule, d'où ce fier ennemi, maître des avenues de la
ville, semblait déjà nous accabler, Rome le soutint, le repoussa, et
enfin le frappa de tant d'étonnement, que ce roi victorieux demanda
le premier et conclut un traité d'amitié avec une nation à demi
vaincue. Alors parurent ces modèles, ces prodiges de la vertu
romaine, Horatius, Mucius et Clélie, dont les exploits, s'ils
n'étaient inscrits aux fastes de l'histoire, passeraient aujourd'hui
pour des fables. Horatius Cocles, seul contre une armée entière, et
ne pouvant seul la repousser, fait couper le pont où il combattait,
s'élance dans le Tibre, tout armé, et le passe à la nage. Mucius
Scévola pénètre dans le camp du roi pour l'immoler (28).
Mais il se trompe, et frappe un des courtisans. On l'arrête; il
plonge alors sa main dans un brasier ardent, et, redoublant par la
ruse la terreur qu'il inspire : « Tu vois, dit-il au roi, à quel
homme tu as échappé; eh bien ! nous sommes trois cents qui avons
fait le serment de te donner la mort; » et pendant cette scène,
étonnante fermeté ! Mucius était impassible, et c'était le roi qui
tremblait, comme si la flamme eût consumé sa main. Telle fut la
conduite des hommes; mais alors les deux sexes furent rivaux de
gloire, et les jeunes filles même eurent aussi leur héroïsme.
Clélie, une de celles qu'on avait données en otage, échappée à ses
gardes, traversa, à cheval, le fleuve de la patrie. Enfin, effrayé
de tant de prodiges de courage, Porsenna s'éloigna des Romains et
les laissa libres. Les Tarquins continuèrent la guerre jusqu'à la
mort d'Aruns, un des fils du roi. Brutus le tua de sa propre main;
et lui-même, percé du fer de son ennemi, il expira sur son corps,
comme s'il eût voulu poursuivre l'adultère jusqu'aux enfers.
XI. Les Latins défendaient
aussi la cause royale; armés contre les Romains par une haine
jalouse, ils auraient voulu que ce peuple, dominateur au dehors, fût
du moins esclave au dedans. Tout le Latium ose donc se lever, sous
la conduite de Mamilius, de Tusculum, comme pour venger le roi
Tarquin. Le combat se livra près du lac Régille. Pour décider la
victoire, qui restait incertaine, le dictateur Posthumius, usant
d'un moyen aussi heureux que nouveau, jette un étendard au milieu
des ennemis, et ordonne aux siens d'aller le reprendre à la course (29).
Cossus, maître de la cavalerie, par un autre expédient également
nouveau, fit ôter les freins des chevaux, pour les abandonner à
toute leur impétuosité. L'acharnement fut extrême. Si l'on en croit
la renommée, deux divinités, sur des coursiers blancs, assistèrent à
l'action : c'étaient Castor et Pollux; personne n'en douta. Le
général leur adressa ses voeux : pour prix de la victoire, il leur
promit, il leur éleva des temples, et paya cette noble solde à ses
divins compagnons d'armes.
Voilà pour la liberté : bientôt commencèrent, au sujet des
frontières et contre les mêmes Latins, de vives et perpétuelles
guerres. Qui le croirait? Algidum et Sora furent la terreur des
Romains; Satricum et Corniculum furent des provinces romaines : nous
triomphâmes, je rougis de le dire, de Vérule et de Bovile. Avant de
marcher contre Tibur, aujourd'hui faubourg de Rome, contre Préneste,
qui nous prête pendant l'été ses délicieux ombrages, on faisait des
voeux solennels au Capitole. Alors Fésule était pour les Romains ce
que fut depuis la ville de Carres; le bois d'Aricie était leur forêt
Hercynienne; Frégelle, leur Gessoriacum; et le Tibre, leur Euphrate.
Coriole même, honteux souvenir! Coriole vaincue tint un si beau
titre de gloire, que le conquérant de cette ville, C. Martius, comme
s'il eût soumis ou l'Afrique ou Numance, se décora du nom de
Coriolan (30). On voit encore les
dépouilles d'Antium, suspendues par Ménius à la tribune aux
harangues, après la prise de la flotte ennemie, si cependant l'on
reconnaît une flotte aux éperons de six navires. Mais c'était alors
une armée navale.
Entre tous les peuples latins, les Éques et les Volsques furent nos
ennemis les plus acharnés, nos ennemis de tous les jours, si l'on
peut ainsi parler. Personne ne contribua plus â les dompter que L.
Quintius, ce dictateur tiré de la charrue, ce libérateur du consul
Minucius, dont le camp assiégé et presque pris fut sauvé par son
généreux courage. C'était pendant la saison des semailles : le
licteur envoyé vers l'illustre patricien le trouva travaillant à la
terre, et courbé sur la charrue. C'est de là que, s'élançant aux
combats, Quintius sut y rappeler encore l'image de ses travaux
rustiques, en faisant passer sous le joug le troupeau des vaincus;
et l'expédition terminée, il revint cultiver son champ de ses mains
triomphales (31). Quelle rapide guerre,
grands dieux! en quinze jours commencée et finie! Ne semblait-il pas
que le dictateur fût impatient de retourner à ses travaux
abandonnés?
XII. Du côté de l'Étrnrie,
par leurs attaques continuelles et renouvelées tous les ans, les
Véiens suscitèrent contre eux une armée vraiment extraordinaire : la
guerre fut soutenue par les seuls Fabius. Le désastre de ces héros
égala leur audace. Trois cents guerriers, phalange patricienne,
périrent auprès du fleuve Crémère (32),
et l'on donna le nom de scélérate à la porte qui leur ouvrit le
chemin du combat. Cette défaite fut expiée par d'éclatantes
victoires; et nos généraux prirent successivement, et avec des
circonstances diverses, les plus fortes places de l'ennemi. La
soumission des Falisques fut volontaire. Fidène périt victime de
l'incendie qu'elle avait allumé. Véies fut prise d'assaut et
détruite dans ses fondements.
Les Falisques se rendirent par une juste admiration pour la
générosité de notre général, qui, chargeant de chaînes un maître
d'école infidèle, le renvoya avec les enfants que le traître avait
amenés au camp des Romains. Il savait, cet homme vénérable et
éclairé, que, sans la bonne foi, sans l'honneur, il n'est point de
véritable victoire. Les Fidénates, abandonnant leurs glaives
impuissants, crurent nous frapper d'épouvante en s'avançant armés de
torches enflammées, la tête hérissée de bandelettes de diverses
couleurs, qui s'agitaient en forme de serpents; mais cet appareil
funèbre fut le présage de leur destruction.
On peut juger de la puissance des Véiens par le siège qu'ils
soutinrent pendant dix ans. Ce fut la première fois qu'on passa
l'hiver sous des tentes; et, à l'occasion de ce service nouveau, la
solde militaire fut créée (33). Le
soldat s'engagea, par un serment volontaire, à ne point rentrer dans
ses foyers avant la conquête de Véies (34).
Les dépouilles du roi Tolumnius furent portées en triomphe à Jupiter
Férétrien. Enfin, sans assaut, sans escalade, par une mine et des
travaux souterrains, on se rendit maître de la ville. Le butin fut
si considérable, que l'on crut devoir en envoyer la dixième partie à
Apollon Pythien, et appeler au pillage tout le peuple romain. Telle
était alors la superbe Véies : qu'en reste-t-il aujourd'hui? quel
souvenir? quel débris? quel vestige? Il faut toute l'autorité de
l'histoire pour nous faire croire que Véies a existé.
XIII. Après tant de
victoires, soit jalousie des dieux, soit arrêt du destin, le cours
rapide des conquêtes de Rome fut interrompu quelque temps par une
incursion des Gaulois Senonais : il n'est pas aisé de dire si cette
époque fut plus funeste aux Romains par les revers dont elle fut
marquée, ou plus honorable à leur courage par les épreuves qu'il eut
à soutenir. Oui, cette calamité fut telle, que je la croirais
envoyée par les dieux, pour éprouver si la vertu romaine méritait
l'empire de l'univers.
Les Gaulois Senonais étaient un peuple naturellement farouche, et de
moeurs grossières : leur taille gigantesque, leurs armes énormes,
tout en eux contribuait à inspirer l'effroi; ils semblaient nés pour
la destruction du genre humain et la ruine des villes. Partis en
foule de l'extrémité de la terre, et des rivages de l'Océan, vaste
ceinture de l'univers, après avoir tout ravagé sur leur passage, ils
s'étaient établis entre les Alpes et le Pô; et, non contens de ces
limites, ils se débordaient sur l'Italie (35).
Ils assiègent Clusium. Le peuple romain intervient en faveur de ses
alliés : des ambassadeurs sont envoyés, selon l'usage; mais quelle
justice attendre des barbares (36)?
Cette démarche accroît leur insolence, et la guerre s'allume. De
Clusium, ils marchent contre Rome, jusqu'au fleuve Allia, où le
consul Fabius les arrête avec une armée. Il succombe : on citerait
difficilement une défaite plus horrible (37);
aussi cette journée fut-elle inscrite au rang des journées funestes
dans les fastes de la république. Notre armée est taillée en pièces;
déjà les vainqueurs approchent de nos murs. Point de garde pour les
défendre. C'est alors qu'éclata vraiment le courage romain. D'abord
les vieillards, autrefois honorés des charges les plus augustes, se
rassemblent dans le Forum, et ils se dévouent aux dieux Mânes,
tandis que le pontife prononce les solennelles imprécations :
aussitôt ils rentrent dans leurs demeures, et, revêtus de la trabée,
ils se placent sur leurs chaises curules, dans un majestueux
appareil : là, ils attendront l'ennemi; là, ils mourront dans toute
leur dignité (38). Les pontifes et les
flamines enlèvent tout ce que les temples renferment de plus révéré;
ils en cachent une partie dans des tonneaux qu'ils enfouissent sous
terre, et, chargeant le reste sur des chariots, ils le transportent
loin de la ville. Les vierges attachées an sacerdoce de Vesta
accompagnent, pieds nus, la fuite des objets sacrés. On dit
cependant que ce cortége fugitif fut recueilli par un plébéien,
Lucius Albinus, qui fit descendre de son chariot sa femme et ses
enfants , pour y placer les prêtresses; tant il est vrai que, même
dans les dernières extrémités, la religion publique l'emportait
alors sur les affections particulières. Quant à la jeunesse, qui, on
le sait, se composait à peine de mille hommes, elle se retrancha,
sous la conduite de Manlius, dans la citadelle du mont Capitolin; et
là, comme en présence de Jupiter, ils le conjurèrent "puisqu'ils
s'étaient réunis pour défendre son temple, d'accorder à leur valeur
l'appui de sa diviriité." Cependant les Gaulois arrivent; la ville
était ouverte; ils pénètrent en tremblant d'abord, de peur de
quelque embûche secrète; bientôt, ne voyant qu'une solitude, ils
s'élancent avec des cris aussi terribles que leur impétuosité, et se
répandent de tous côtés dans les maisons ouvertes. Assis sur leurs
chaises curules et revêtus de la prétexte, les vieillards leur
semblent des dieux et des génies, et ils se prosternent devant eux ;
bientôt, reconnaissant que ce sont des hommes, qui d'ailleurs ne
daignent pas leur répondre, ils les immolent avec cruauté, embrasent
les maisons; et, la flamme et le fer à la main, ils mettent la ville
au niveau du sol. Pendant six mois, qui le croirait? Les Barbares
restèrent comme suspendus autour d'un seul roc, faisant le jour, la
nuit même, de nombreuses tentatives pour l'emporter. Une nuit enfin
qu'ils y pénétraient, Manlius, éveillé par les cris d'une oie, les
rejeta du haut du rocher; et, afin de leur ôter tout espoir par une
apparente confiance, il lança, malgré l'extrême disette, des pains
par dessus les murs de la citadelle. Bien plus, au jour marqué pour
un sacrifice solennel, le pontife Fabius descend du Capitole,
traverse les gardes ennemies, célèbre sur le mont Quirinal la
cérémonie accoutumée, et, bravant de nouveau les traits de l'ennemi,
revient, sous l'égide des dieux, nous annoncer leur faveur. Enfin,
lassés de la longueur du siège, les barbares nous vendent leur
retraite au prix de mille livres d'or, et leur insolent orgueil
ajoutait encore à de faux poids, le poids d'une épée dans la
balance. Les superbes! ils s'écriaient : malheur aux vaincus!
Soudain Camille arrive, les surprend, les égorge, et des torrents de
sang gaulois effacent jusqu'aux dernières traces de l'incendie.
Grâces soient rendues aux dieux immortels, auteurs de nos désastres
! c'est dans ces flammes qu'ont disparu les cabanes de pasteurs, et
que s'est cachée la pauvreté de Romulus. Pour la ville éternelle, le
domicile prédestiné des hommes et des dieux, ces embrasements
furent-ils un feu dévorant, destructeur? non; ce fut un feu lustral,
qui la purifia.
Ainsi donc, conservée par Manlius, rétablie par Camille, elle se
releva plus terrible et plus menaçante pour ses voisins. Et d'abord,
c'est trop peu pour elle d'avoir chassé les Gaulois de ses murs :
ces barbares couvrent encore l'Italie des vastes débris de leur
naufrage : il faut les poursuivre, il faut exterminer jusqu'au
dernier des Senonais. Ils furent taillés en pièces au bord de
l'Anio, lorsque, vainqueur dans un combat singulier, Manlius, entre
autres dépouilles, ravit le collier d'or de son barbare ennemi : de
là, le surnom de Torquatus. Ils le furent encore aux champs Pontins,
lorsque, dans une lutte pareille, secouru par l'oiseau sacré qui
s'attacha au casque du Gaulois, Lucius Valerius rapporta les
trophées de sa victoire et le surnom de Corvinus. Enfin, quelques
années après, les derniers restes de ce peuple furent anéantis en
Étrurie, par Dolabella, près du lac Vadimon, afin qu'il n'existât
plus un seul Gaulois qui pût se glorifier d'avoir incendié Rome.
XIV. Des Gaulois on marche
aux latins, sous le consulat de Decius Mus et de Manlius Torquatus.
La jalousie du commandement avait rendu ces peuples de tout temps
ennemis de Rome; mais alors, insultant à notre infortune, ils
prétendaient partager avec nous le droit de cité, le gouvernement et
les magistratures; ils osaient plus que nous combattre. Ils cèdent à
nos efforts : faut-il s'en étonner, quand on voit l'un des consuls
livrer à la mort son fils, qui avait vaincu sans son ordre (39),
comme si la discipline était plus précieuse que la victoire; et
l'autre, comme par une inspiration divine, le front voilé, se
dévouer aux dieux Mânes à la tête de l'armée, s'élancer au milieu
des traits ennemis, à travers les rangs les plus serrés, et marquer
des traces de son sang un chemin nouveau à la victoire?
XV. Les Latins domptés, Rome
attaque les Sabins : oubliant les liens qui les avaient unis à nous
sous Titus Tatius, et entraînés par la contagion de l'exemple, ils
s'étaient joints aux Latins. Mais le consul Curius Dentatus porta le
fer et le feu dans toute la contrée qu'arrosent l'Anio, le Nar, et
les fontaines Vélines, jusqu'à la mer Adriatique. Cette victoire lui
soumit tant de peuples et de territoires, qu'il ne savait lui-même
s'il avait donné à la république un plus grand nombre de sujets, ou
de plus vastes domaines (40).
XVI. Touchés des prières des
Campaniens, et moins guidés par leur intérêt qu'animés du désir
honorable de défendre leurs alliés, les Romains envahissent ensuite
le pays des Samnites. Un traité les unissait à l'un et à l'autre
peuple. Mais l'alliance des Campaniens, plus sainte et plus
ancienne, avait été cimentée par la cession de toutes leurs
propriétés à la république; et, en ce sens, le peuple Romain fit la
guerre aux Samnites comme pour lui-même.
La Campanie est la plus belle contrée de l'Italie, et même de
l'univers. Point de climat plus doux : il embellit l'année des
fleurs d'un double printemps; point de sol plus fertile : aussi
dit-on que Cérès et Bacchus y rivalisent de prodigalité : point de
mer plus hospitalière; là s'ouvrent tous ces ports fameux, et
Misène, et Caïète, et Baies aux sources toujours tièdes; là
s'étendent le Lucrin et l'Averne, bassins tranquilles, où la mer
semble venir se reposer. Là s'élèvent ces monts tapissés de
vignobles, le Gaurus, le Falerne, le Massique; et, le plus
majestueux de tous, le Vésuve, ce rival des volcans de l'Etna. Là
sont enfin tant de villes maritimes, Formies, Cumes, Puteoli,
Naples, Herculanum, Pompeii et Capoue, leur souveraine; Capoue,
jadis comptée au rang des trois premières cités de l'univers, avec
Rome et Carthage.
C'est pour cette ville et ces contrées que Rome attaqua les
Samnites. Peuple opulent, les Samnites prodiguent avec recherche
l'or et l'argent sur leurs armes, les couleurs sur leurs habits :
peuple perfide, ils combattent en dressant des pièges au milieu des
forêts et des montagnes. Dans leur haine furieuse, ils avaient juré,
par des lois inviolables, et sur le sang de victimes humaines, la
destruction de Rome (41). Dans leur
acharnement, ils rompirent six fois le traité; leur courage
s'irritait par les revers. Cependant il ne fallut que cinquante ans
aux Fabius, aux Papirius, et à leurs fils, pour les soumettre et les
dompter. Tout fut anéanti, jusqu'aux ruines même des villes; et,
cherchant aujourd'hui le Samnium dans le Samnium même, on se demande
si c'est là le pays qui a fourni la matière de vingt-quatre
triomphes.
Toutefois, sous le consulat de Veturius et de Posthumius, ils
imprimèrent au nom romain le trop fameux affront des fourches
Caudines. Surprise et enfermée dans une vallée profonde, notre armée
ne pouvait s'échapper. Le général ennemi, Pontius, étonné lui-même
d'une occasion si belle, consulta son père Herennius sur le parti
qu'il devait prendre : le sage vieillard répondit qu'il fallait les
renvoyer ou les massacrer tous. Pontius aima mieux les désarmer et
les faire passer sous le joug : ce n'était pas seulement renoncer à
les gagner par un bienfait; c'était les rendre ennemis plus
terribles, en les déshonorant. Bientôt les consuls, se livrant
d'eux-mêmes, par une magnanime résolution, effacent la honte du
traité : les soldats, avides de vengeance, se précipitent, l'épée
nue, Papirius à leur tête, et, pendant la marche même, dans leur
ardeur effrayante, préludent au combat par des frémissemeus de
fureur. Dans l'action, leurs yeux lançaient des flammes; l'ennemi
l'attesta lui-même : les vainqueurs ne mirent fin au carnage
qu'après avoir replacé le joug fatal sur le front des Samnites et de
leur général captif.
XVII. Jusque là, Rome n'avait
eu à combattre qu'un seul peuple à la fois. Bientôt ils se
réunissent contre elle, et seule elle fait face à tous ces ennemis.
Les douze nations étrusques, les Ombriens, le plus ancien peuple de
l'Italie et qui n'avait point encore pris part à la guerre, unis aux
débris des Samnites, formèrent tout à coup une ligue conjurée pour
l'extinction du nom romain. Cette ligue de tant de nations
puissantes répandait au loin la terreur. Les drapeaux de quatre
armées ennemies flottaient dans les champs étruriens. Entre eux et
nous s'étendait la forêt de Ciminie, jusqu'alors impénétrable, et
non moins effrayante que celle d'Hercynie ou de Calydon : le sénat
défend au consul d'oser s'engager dans ce lieu redouté.
Mais rien n'épouvante le général. Il envoie son frère en avant, pour
reconnaître les avenues de la forêt. Celui-ci, sous l'habit d'un
berger, observe tout pendant la nuit, et revient annoncer que le
passage n'offre aucun danger (42).
Ainsi Fabius Maximus sut trouver sans péril le dénouement d'une
guerre si périlleuse. Les ennemis étaient répandus en désordre dans
les campagnes : il les surprend, et, maître des hauteurs, il les
foudroie, comme un nouveau Jupiter (43)
: on eût dit, en effet, cette guerre où le père des dieux lançait,
du haut des cieux et du sein de la nue, ses traits enflammés sur les
enfants de la terre. Toutefois, cette victoire coûta un sang
précieux aux Romains. Décius, l'un des consuls, resserré par
l'ennemi dans une vallée, dévoua sa tête aux dieux Mânes; et ce
noble sacrifice, ce dévouement héréditaire dans sa famille, fut payé
par la victoire.
XVIII. Vient ensuite la
guerre de Tarente, qui en renferme plusieurs sous un seul nom. En
effet, la Campanie, l'Apulie, la Lucanie, Tarente, le foyer de la
guerre, et avec tant d'états, Pyrrhus, le plus illustre roi de la
Grèce, furent comme enveloppés dans une même ruine; époque fameuse,
où ces victoires multipliées consommaient à la fois la conquête de
l'Italie et présageaient nos triomphes d'outre-mer.
Tarente, ouvrage des Lacédémoniens, capitale autrefois de la
Calabre, de l'Apulie et de la Lucanie, est célèbre par sa vaste
enceinte, par ses murs, par son port, par son admirable situation à
l'entrée du golfe Adriatique : c'est de là qu'elle envoie ses
vaisseaux dans toutes les contrées, dans l'Istrie, l'Illyrie,
l'Épire, l'Achaïe, l'Afrique, la Sicile. Au dessus du port, en vue
de la mer, s'élève un théâtre immense, cause de tous les désastres
qui accablèrent cette ville malheureuse.
Les Tarentins y célébraient des jeux, lorsqu'ils aperçurent une
flotte romaine ramant vers le rivage. Persuadés que ce sont des
ennemis, ils s'élancent tumultueusement à leur rencontre, et leur
prodiguent l'insulte, en s'écriant : « Qui sont ces Romains ? d'où
viennent-ils? » Ce d'est pas tout : des ambassadeurs avaient été
envoyés aussitôt pour porter de justes plaintes : on insulte à leur
caractère sacré par le plus grossier des outrages. Cette violation
fut le signal de la guerre. L'appareil en était formidable : les
peuples s'étaient soulevés en foule pour la défense des Tarentins :
avec eux marchait Pyrrhus (44), plus
ardent que tous les autres , et brûlant de venger une ville à demi
grecque, une ville d'origine lacédémonienne. Soutenu de toutes les
forces de l'Épire, de la Thessalie et de la Macédoine, il
s'avançait, terrible et sur terre et sur mer, avec une masse
effrayante d'hommes , de chevaux, d'armes, d'éléphants, monstres
alors inconnus aux Romains, et qui ajoutaient encore à l'épouvante.
Le premier combat se livra près d'Héraclée, sur les bords du Liris,
fleuve de la Campanie (45), contre le
consul Levinus. Le choc fut terrible. Obsidius, commandant de la
cavalerie férentine, fondit sur le quartier du roi, le mit en
désordre, et Pyrrhus lui-même, jetant les ornements royaux, fut
forcé de s'enfuir du champ de bataille. C'en était fait, lorsque
s'avancèrent les éléphants, employés au menaçant appareil des
combats (46). Leur masse monstrueuse et
informe, leur odeur inconnue, leurs cris aigus, épouvantèrent nos
chevaux, qui, à la vue de cet ennemi nouveau, trop extraordinaire
pour ne pas paraître redoutable, entraînèrent, en prenant la fuite,
une vaste et sanglante déroute.
Les consuls Curius et Fabricius combattirent avec plus de succès
près d'Asculum, en Apulie. La frayeur qu'inspiraient les éléphants
s'était dissipée, et C. Minucidus, hastaire de la quatrième légion,
en coupant la trompe de l'un d'entre eux, avait montré qu'ils
pouvaient mourir. On les accabla de traits, on lança des torches
contre leurs tours, qui couvrirent des bataillons ennemis tout
entiers de leurs ruines enflammées. La nuit seule mit fin au
carnage. Pyrrhus se retira le dernier, blessé à l'épaule, et porté
par ses gardes sur son bouclier.
Le combat décisif fut livré par les mêmes généraux, dans les champs
Arusiens, en Lucanie. Le hasard fit ce qu'aurait fait, sans lui, la
valeur romaine, et décida la victoire. Les éléphants s'avancèrent de
nouveau sur le front de l'armée ennemie. Un d'eux, tout jeune
encore, atteint d'un trait qui lui perce la tête, se précipite, en
fuyant, à travers les lignes de Pyrrhus, et les renverse dans sa
course. A ses cris douloureux, sa mère le reconnaît, et s'élance
comme si elle voulait le venger : pour elle, tout devient ennemi, et
sa lourde masse porte le désordre dans les rangs qui l'entourent.
Ainsi, ces animaux, qui avaient enlevé la première victoire et
balancé la seconde, nous livrèrent la troisième sans résistance.
Ce n'est point seulement avec le fer sur les champs de bataille,
mais dans nos conseils, au sein de notre ville, que nous eûmes à
combattre Pyrrhus. Dès sa première victoire, ayant fait l'essai de
la valeur romaine, et désespérant d'en triompher par la force des
armes, ce prince habile eut recours à la ruse. Il fit brûler nos
morts, traita les prisonniers avec bonté, et les délivra sans
rançon. Il envoya ensuite une ambassade à Rome, et s'efforça, par
tous les moyens, d'obtenir notre alliance et notre amitié.
Mais dans la paix comme dans la guerre, au dedans comme au dehors ,
on vit éclater la vertu romaine, et nulle guerre, plus que celle de
Tarente, ne montra le courage du peuple, la sagesse du sénat, la
magnanimité de nos généraux. Quels hommes que ceux qui, dans la
première bataille, furent écrasés sous les pieds des éléphants! Tous
étaient blessés à la poitrine : quelques-uns étaient morts sur les
cadavres de leurs ennemis (47) : l'épée
était dans leurs mains, la menace sur leurs fronts, et, dans la mort
même, leur courroux vivait encore. Aussi, plein d'admiration à cette
vue, le roi s'écria : « Oh! que la conquête du monde serait facile à
Pyrrhus avec des soldats romains, ou aux Romains, avec un roi tel
que Pyrrhus! » Et quelle ardeur, dans ceux qui survécurent, pour
réparer nos désastres ! « Je le vois, disait Pyrrhus, je suis né
sous la constellation d'Hercule : Rome est pour moi l'hydre de
Lerne; ses têtes abattues renaissent de leur sang. » Et le sénat,
combien ne montra-t-il pas alors de grandeur (48)
? On peut en croire les députés renvoyés de home avec leurs présents
(49), après le discours d'Appius Cæcus
: Pyrrhus leur demandait ce qu'ils pensaient du séjour des ennemis ;
ils avouèrent que Rome leur avait paru un temple, et le sénat une
assemblée de rois. Enfin, quels généraux que ceux qui commandaient
nos armées! Voyez-les dans la guerre : Curius renvoie à Pyrrhus le
médecin de ce prince, qui voulait lui vendre la tête de son maître (50),
et Fabricius rejette les propositions du roi, qui lui offre une
partie de ses états. Voyez-les dans la paix : Curius préfère ses
vases d'argile à l'or des Samnites, et Fabricius, revêtu de
l'autorité de censeur, condamne pour luxe le consulaire Rufinus, qui
possédait en vaisselle d'argent la valeur de dix livres.
Est-il étonnant qu'avec ces moeurs et le courage de ses soldats (51),
le peuple romain ait été vainqueur, et que, dans les quatre années
de la seule guerre de Tarente, il ait assujetti la plus grande
partie de l'Italie, les peuples les plus belliqueux, les villes les
plus opulentes et les contrées les plus fertiles?
Quoi de plus incroyable que cette guerre, si l'on en compare le
début et l'issue? Vainqueur dans un premier combat, Pyrrhus dévaste
la Campanie, les bords du Liris et Frégelles; il fait trembler toute
l'Italie; des hauteurs de Préneste, à la distance de vingt milles,
il contemple Rome comme sa proie; la fumée de son camp, la poussière
de ses bataillons, remplit nos yeux épouvantés. Bientôt le même
Pyrrhus perd deux fois son camp, est blessé deux fois, repasse les
mers en fugitif, et regagne la Grèce, sa patrie. Rome est en paix;
et, riche des dépouilles de tant de nations, elle peut à peine
contenir le fruit de ses victoires.
Jamais elle n'avait admiré dans ses murs un triomphe plus magnifique
ni plus éclatant. Qu'avait-on vu jusqu'à ce jour? le bétail des
Volsques, les troupeaux des Sabins, les chariots des Gaulois, les
armes brisées des Samnites. Alors paraissaient enchaînés des
Thessaliens, des Molosses, des guerriers de la Macédoine, du
Brutium, de l'Apulie et de la Lucanie : la pourpre et l'or, des
tableaux, des statues, tout le faste de la voluptueuse Tarente,
ornaient la pompe triomphale (52). Mais
rien ne fut plus agréable au peuple romain que la vue de ces
éléphants chargés de leurs tours, de ces monstres si redoutés
naguère, et qui, attristés de leur captivité (53),
marchaient alors la tête baissée à la suite des coursiers
vainqueurs.
XIX. Bientôt toute l'Italie
fut paisible. Après Tarente, quel peuple téméraire eût osé
s'attaquer aux Romains? Mais ceux-ci poursuivirent les alliés de
leurs ennemis. Sempronius dompta les Picentins, et prit Asculum leur
capitale. Un tremblement de terre s'étant fait sentir pendant la
bataille, le général apaisa la déesse Tellus par la promesse d'un
temple.
XX. On réduisit ensuite les
Salentins; leur première ville, Brundisium, avec son vaste port, fut
la conquête d'Atilius. Dans cette guerre, la déesse des bergers,
Palès, demanda aussi un temple pour prix de la victoire.
XXI. Le dernier peuple de
l'Italie, qui se soumit à Rome, fut les Volsiniens, les plus riches
entre les Étrusques. Ils implorèrent notre secours pour réduire
leurs affranchis, qui, abusant contre leurs maîtres de la liberté
qu'ils avaient obtenue, s'étaient emparés du pouvoir, et dominaient
dans la république. Fabius Curgès châtia leur insolence.
XXII. C'est là le second âge
et comme l'adolescence du peuple romain. Il est dans sa force, dans
sa fleur; il bouillonne, il fermente. Il conserve encore quelque
chose de la rudesse pastorale de ses ancêtres; il respire une fierté
indomptée : tantôt les soldats de Posthumius, frustrés du butin
qu'il leur avait promis, se révoltent et lapident leur général ;
tantôt l'armée d'Appius Claudius refuse de vaincre quand la victoire
lui est offerte; ou bien, soulevé par Volero, le peuple déclare
qu'il ne prendra point les armes, et brise les faisceaux du consul.
Souvent les plus illustres patriciens expient dans l'exil leur
résistance aux volontés de la multitude : ainsi fut banni Coriolan (54),
qui demandait impérieusement la culture des terres, et qui, non
moins extrême que le peuple, eût vengé cruellement son injure, si
les larmes d'une mère n'eussent désarmé ce redoutable patricien,
prêt à planter ses étendards sur les murs de sa ville natale. Ainsi
fut banni le grand Camille, soupçonné de n'avoir point fait une
juste répartition du butin de Véies entre le peuple et l'armée. Mais
Camille, meilleur citoyen que Coriolan, du lieu de son exil veillait
sur la patrie : il entendit sa voix suppliante, et vint la délivrer
des Gaulois.
XXIII. Il s'éleva aussi entre
le peuple et le sénat des divisions également injustes et funestes :
ce fut alors qu'abandonnée d'une partie de ses enfants, Rome se vit
menacée d'être changée en solitude et ensevelie sous ses ruines. Les
créanciers tyrannisaient leurs débiteurs, les battaient de verges,
les traitaient en esclaves : ces rigueurs barbares firent éclater
les premiers troubles. Le peuple prit les armes et se retira sur le
mont Sacré. Ce ne fut qu'avec peine, et après avoir obtenu le
tribunat (55), qu'il se laissa ramener
par l'autorité de Menenius Agrippa. Nous avons encore l'antique
apologue qui, dans la bouche de cet homme éloquent et sage,
contribua puissamment à rétablir la concorde. « Un jour, dit-il, les
membres conspirèrent contre l'estomac, se plaignant que lui seul fût
oisif, tandis qu'ils avaient tous des fonctions à remplir. Mais,
devenus languissants et débiles après ce divorce funeste, ils se
hâtèrent de faire la paix, ayant senti qu'ils devaient, au travail
de l'estomac, le sang qui, formé du suc des aliments, se répandait
ensuite dans leurs veines. »
XXIV. La licence des
décemvirs enfanta dans le sein de Rome la seconde sédition. Le
peuple ayant choisi dix des principaux citoyens pour rédiger les
lois apportées de la Grèce, ils avaient renfermé dans les douze
Tables le corps entier de la jurisprudence romaines (56).
Leur tâche était remplie; mais, nouveaux Tarquins, ils s'attachent
au pouvoir avec fureur, et prétendent garder les faisceaux. Le plus
audacieux de tous, Appius, convoite insolemment une jeune Romaine
d'une naissance libre, et veut la déshonorer, oubliant et Lucrèce,
et les rois, et le code de lois qu'il a composé lui-même. Virginius
entend l'injuste arrêt qui condamne sa fille; il la voit traînée en
servitude : il n'hésite pas; au milieu du forum, il la tue de sa
.propre main, et, guidant ensuite ses compagnons d'armes sur le mont
Aventin, il assiège les décemvirs, et la tyrannie vient expirer dans
les prisons et dans les fers.
XXV. Ce fut l'ambition
des hautes alliances et la prétention de mêler leur sang à celui des
patriciens, qui poussa les plébéiens à la troisième sédition. Le
tribun Canuleius en alluma les feux sur le mont Janicule.
XXVI. La quatrième
sédition eut sa source dans la passion des honneurs, les plébéiens
voulant avoir part aux magistratures. Fabius Ambustus, père de deux
filles, avait marié l'une à Sulpicius, d'origine patricienne,
l'autre au plébéien Stolon. Celle-ci, entendant un jour (57)
dans la maison de sa soeur, le bruit des verges du licteur, inconnu
dans la sienne, en ressentit une frayeur dont elle fut raillée par
l'épouse de Sulpicius d'une manière assez piquante. Elle ne put
supporter l'affront ; aussi son mari , parvenu au tribunat,
arracha-t-il au sénat, malgré sa résistance, le partage des honneurs
et des magistratures. Au reste, jusque dans ces séditions, le peuple
roi est digne d'admiration. En effet, tantôt c'est pour la liberté,
tantôt pour la pudeur , ici pour la noblesse de la naissance, là
pour la majesté et l'éclat des honneurs, qu'il a combattu tour à
tour : mais, au milieu de toutes ces luttes, il ne fut de nul
intérêt gardien plus vigilant que de la liberté; et aucune largesse
offerte pour prix de cette liberté ne put le corrompre, bien que du
sein d'une multitude nombreuse et toujours croissante, il apparût de
temps à autre des citoyens dangereux. Spurius Cassius et Mélius,
soupçonnés d'aspirer à la royauté, l'un par la proposition de la loi
Agraire, l'autre par ses libéralités, furent punis par une mort
prompte. Ce fut son père même qui fit subir à Spurius son supplice;
Mélius fut tué au milieu du Forum par le maître de la cavalerie,
Servilius Ahala, d'après l'ordre du dictateur Quinctius. Quant à
Manlius, le sauveur du Capitole, qui, pour avoir libéré la plupart
des débiteurs, affectait une hauteur contraire à l'égalité, il fut
précipité de cette forteresse qu'il avait défendue. Tel fut le
peuple romain au dedans et au dehors, dans la paix et dans la
guerre, pendant la fougue de son adolescence , c'est-à-dire dans le
second âge de l'empire, intervalle durant lequel il soumit par ses
armes toute l'Italie, depuis les Alpes jusqu'au détroit.
NOTES DU PREMIER LIVRE.
(01) Vaste
ensemble, dont il importe sans doute de connaître, etc. Les
anciennes éditions portent, quum praecipue hoc quoque, sicut
cetera, operae pretium sit cognoscere. Les commentateurs ont
senti combien étaient vagues les expressions hoc quoque et
sicut cetera, et ils ont cherché à introduire des leçons d'un
sens moins douteux. Saumaise, d'après son ancien manuscrit (Nazarianus
liber), supprime sicut cetera, et, ne trouvant pas la
phrase plus claire, propose de lire, quare quum praecipue hoc
quoque operae pretium sit cognoscere, ce qui ne s'entend guère
mieux. Grevius, d'après le manuscrit de Ryckius, modifie la phrase
plus heureusement, en ajoutant sigillatim, mot important que
son texte lui fournit. Nous avons adopté sa leçon. - Un peu plus
haut, nous avons aussi substitué avec lui fata à facta
: c'est la leçon des anciens manuscrits. J. P.
Comme la complication d'un sujet, etc.
Le texte peut s'entendre au particulier ou au général. Nous avons
préféré ce dernier sens, qui renferme implicitement le premier.
(02) Si l'on
envisage, etc. Cette idée ingénieuse parait avoir été fournie
à Florus par Sénèque :
« Non inscite Seneca
romanae urbis tempora distribuit in aetates. Primam enim dixit
infantiam sub rege Romulo fuisse, a quo et genita et quasi educata
sit Roma : deinde pueritiam sub ceteris regibus, a quibus et aucta
sit, et disciplinis pluribus institutisque formata : at vero,
Tarquinio regnante, quum jam quasi adulta esse coepisset, servitium
non tulisse, et rejecto superbae dominationis jugo, maluisse legibus
obtemperare quam regibus; quumque esset adolescentia ejus fine
punici belli terminata, tum denique confirmatis viribus coepisse
juvenescere. Sublata enim Carthagine, quae tam diu aemula imperii
fuit, manus suas in totum orbem terra marique porrexit : donec
regibus cunctis et nationibus imperio subjugatis, quum jam bellorum
materia deficeret, viribus suis male uteretur, quibus se ipsa
confecit. Haec fuit prima ejus senectus, quum bellis lacerata
civilibus, atque intestino malo pressa, rursus ad regimen singularis
imperii recidit, quasi ad alteram infantiam revoluta. Amissa enim
libertate, quam Bruto duce et auctore defenderat, ita consenuit,
tanquam sustentare se ipsa non valeret, nisi adminiculo regentium
niteretur.
» (E libris Senecae
fragmenta.)
(03) Mais Trajan
leur succède, etc. Les opinions sont partagées sur la patrie
de Florus; les uns le croient Espagnol, les autres Gaulois; mais il
est certain qu'il vivait sous Trajan. On n'en peut donner de
meilleure preuve que cette dernière phrase de sa préface. Quant à
l'hommage qu'il rend ici à Trajan, il est amené si naturellement, et
il est si conforme à la vérité, qu'on ne peut le soupçonner
d'adulation. (Voyez, sur Trajan, le Panégyrique de PLINE LE
JEUNE, et MONTESQUIEU, Grandeur et Décadence des Romains,
chap. xv.)
(04) Peut-être
par l'ordre de son frère. D'autres historiens prétendent,
avec plus de vraisemblance, qu'il s'éleva une querelle entre les
deux frères, pour savoir à qui appartiendrait le droit de désigner
l'emplacement de la ville naissante, de lui donner son nom et des
lois. Les esprits s'aigrirent, on courut aux armes, et Remus tomba
mort dans la mêlée. (Voyez M.. POIRSON, Histoire romaine,
chapitre préliminaire.)
(On trouvera dans les notes de Gravius plusieurs exemples très
heureusement choisis pour expliquer le sens de increpare saltu,
qui n'a pas été saisi par Saumaise. - Au lieu de adhibuere
piacula, qui n'est pas intelligible, j'ai admis, dans une des
phrases précédentes, adhibere placuit deos, adopté par les
éditeurs modernes et autorisé par d'anciens textes.) J. P.
(05) Rassemblant
en un corps ces éléments divers. Un prince d'une naissance
incertaine, nourri par une femme prostituée, élevé par des bergers,
et depuis devenu chef de brigands, jeta les fondements de la
capitale du monde. Il la consacra au dieu Mars, dont il voulait
qu'on le crût sorti, et il admit pour habitants des gens de toutes
conditions, la plupart pâtres et bandits, mais tous d'une valeur
déterminée... Ce fut d'une retraite de voleurs que sortirent les
conquérants de l'univers. (VERTOT, Révolutions romaines.) On
peut dire que le caractère des Romains porta toujours l'empreinte de
leur origine :
« Conditores suos, ut
ipsi ferunt, lupae uberibus altos; sic omnem ilium populum luporum
animos, inexplebiles sanguinis atque imperii, divitiarumque avidos
ac jejunos habere.
» (JUSTIN, liv.
XXXVIII, Discours de Mithridate ).
(06) Jupiter
Férétrien. C'est-à-dire porte-dépouilles; du verbe ferre,
porter. Quelques étymologistes donnent une autre origine au mot
férétrien, et le font dériver du mot ferire, frapper. On
appelait dépouilles opimes, celles que le général romain enlevait au
roi ou général ennemi, après l'avoir tué de sa propre main.
(07) Une jeune
fille. Tarpeia, fille du gouverneur de la citadelle.
« Tarpeius romanae
arci praeerat : hujus filiam virginem auro corrumpit Tatius, ut
armatos in arcem accipiat... Accepti obrutam
armis necavere; seu ut vi capta potius arx videretur, seu prodendi
exempli causa, ne quid usquam fidum proditoribus esset.
» (TITE-LIVE, liv. I,
chap. xi.)
(08) Moins par
trahison, que par une vanité naturelle à son âge. Nous avons
paraphrasé le mot puella, ne pouvant faire entendre autrement
l'intention de l'auteur.
(09) Passer dans
la nouvelle ville, etc. Cette politique des Romains
d'incorporer à leur empire les peuples vaincus, et de faire des
citoyens de leurs ennemis, fut la principale source de leur
grandeur.
(10) La jeunesse,
divisée par tribus, était toujours à cheval, etc. Nous avons
conservé la leçon des anciennes éditions, qui est aussi celle de la
plupart des manuscrits. Saumaise, Freinshemius, Grevius, et, après
eux, les éditeur de Deux-Ponts ont lu in equis et in armis, ut ad
subita, etc. La phrase est incorrecte, dit Gravius, si on
n'ajoute ut devant ad subita belli excubaret.
Cependant, rien n'est plus fréquent, en latin, que ce genre
d'ellipse : Nunc reipublicae staturn imposuit, (nempe ut)
juventus, divisa per tribus, ad subita belli excubaret; (ut)
consilium reipublicæ penes senes esset, etc. L'erreur de
Graevius vient, je pense, de ce qu'il a cru que la relation était
établie entre excubaret et divisa, tandis qu'elle
l'est certainement entre excubaret et hunc statum imposuit
: il faut traduire comme s'il y avait ut, divisa per tribus,
excubaret, et non comme si Florus avait écrit, divisa per
tribus, ut excubaret : ce qui le prouve, c'est le tour pareil de
la phrase suivante, consilium penes senes esset, qui est
évidemment une autre dépendance et un développement nouveau de
hunc statum imposuit. J. P.
A leur âge, celui de sénateurs. C'est
en effet l'origine la plus probable du mot senatus. Cependant
quelques étymologistes le font venir du verbe sinere,
permettre.
(11) Il
s'appelait Quirinus dans le ciel. Nous avons suivi le
sentiment de Saumaise en ponctuant ainsi, Quirinum in caelo
vocari; placitum diis ita, gentium, etc. La plupart des autres
éditeurs ont coupé la phrase autrement : Quirinum in caelo vocari
placitum diis. Ita gentium, etc. J. P.
(12) Et les
autres sacerdoces, etc., etc. Que signifiait l'ancienne leçon
ceterosque per sacerdotia? Saumaise, d'après son manuscrit,
qui portait ceteraque per sacerdotia, a rétabli très
ingénieusement la véritable leçon de Florus, ceteraque P. R.
sacerdotia. Dans cette indication du manuscrit, ceteraque pr
sacerdotia, il n'est pas surprenant que les copistes aient vu
per sacerdotia. J. P.
Il divisa l'année en douze mois.
L'année de Numa était réglée sur le cours de la lune, mais avec les
intercallations nécessaires pour produire, au bout de vingt-quatre
ans, une précision rigoureuse. Avant lui, l'année n'était que de dix
mois :
Tempora digereret quum conditor urbis, in anno
Constituit menses quinque bis esse suo.
Scilicet arma magis quam sidera, Romule, noras.
.......................
Martis erat primus mensis, Venerisque sceundus, etc.
At Numa nec Janum, nec avitas preterit umbras.
Mensibus antiquis apposuitque duos.
(OVIDE Fastorum liber primus.)
Les deux mois ajoutés par Numa sont ceux de janvier et de février.
Les jours en fastes et néfastes, etc.
Relativement aux jours fastes et néfastes, aux anciles, au culte de
Janus, voyez les Fastes d'Ovide, livre premier.
(13) Il commit à
des vierges sacrées, etc.
« Numa introduisit à
Rome le culte de Vesta, déjà en usage chez les Albain. Il forma le
collège des Vestales, au nombre de quatre, et détermina plus
particulièrement leur ministère. Leur occupation principale
consistait à entretenir le feu sacré. On les appelait à six ans au
service de la déesse; elles en consacraient dix à s'instruire de
leurs fonctions, dix à les exercer, dix à former les vierges
destinées à les remplacer. Pendant cet espace de temps, on leur
faisait une loi de la chasteté. C'était un symbole de la pureté de
l'élément confié à leur garde. Rome regardait l'extinction du feu
sacré, ou la faiblesse de l'une de ces prêtresses, comme le présage
des plus affreux malheurs. Les Vestales coupables de la première
faute étaient frappées de verges; quant à celles qui se souillaient
de la seconde, elles descendaient vivantes dans une prison
souterraine, où la faim terminait leurs jours.
» (POIRSON,
Histoire romaine.) En dédommagement des devoirs rigoureux qui
leur étaient imposés, elles jouissaient de différents privilèges.
(14) Il en
attribua l'idée, etc. Voyez les artifices employés par Minos,
Lycurgue, Scipion, Sertorius, etc., pour acquérir plus d'influence
sur les Crétois, les Spartiates, les Romains, les Espagnols.
(15) La lutte,
incertaine et glorieuse, etc. Voyez la belle narration de
Tite-Live (livre 1, chap. xxv) imitée par Corneille, dans sa
tragédie des Horaces (acte iv, scène ii).
(16) Il alliait
l'esprit, etc. Malgré l'autorité de quelques-uns de nos
devanciers, nous avons pensé que le mot artibus n'emportait
ici aucune idée d'artifice ou de souplesse. Artes est une
expression vague, qui, le plus souvent, dans les auteurs latins,
s'interprète d'après ce qui précède ou ce qui suit. Elle ne peut
signifier ici que les habitudes, les moeurs de l'Italie.
(C'est seulement dans les temps modernes qu'on a pu attribuer aux
Italiens la souplesse et l'esprit d'intrigue. Il y avait moins de
souplesse que de roideur et d'âpreté chez les anciens Latins. Ce
sont les Grecs qui apportèrent à Rome le talent de l'intrigue et de
la flatterie. Voyez JUVENAL, Satire 3.) J. P.
(17) Il augmenta.
Il n'y eut d'abord que cent sénateurs sous Romulus. Ce nombre
s'augmenta de cent nouveaux membres choisis parmi les Sabins,
lorsque cette nation fut agrégée au peuple romain. Enfin, Tarquin
l'Ancien, par une nouvelle promotion, fit entrer dans le sénat cent
des premiers plébéiens. On les appela patres minorum gentium,
par opposition aux sénateurs qui possédaient déjà cette dignité, et
qui prirent le nom de pères des anciennes familles, sénateurs de
première origine, patres majorum gentium. Ainsi le nombre des
membres du premier corps de l'état fut porté de deux à trois cents,
et y resta fixé jusqu'au temps des guerres civiles. Tarquin augmenta
aussi l'ordre des chevaliers (celeres) dans la proportion de
trois cents à deux mille quatre cents, selon Denys d'Halicarnasse; à
dix-huit cents, selon Tite-Live.
(18) L'augurat
fut sacré. Depuis ce temps, dit Tite-Live, on eut tant de foi
aux augures, ce sacerdoce fut si révéré, qu'à Rome et à l'armée on
ne fit plus rien sans prendre les auspices, et que, s'ils n'étaient
favorables, les délibérations du peuple, la levée de troupes, les
affaires les plus importantes étaient suspendues :
« Auguriis certe
sacerdotioque augurum tantus honos accessit, ut nihil belli domique
postea, nisi auspicato, gereretur, a concilia populi, exercitus
vocati, summa rerum, ubi aves non admisissent, dirimerentur.
» (TITE-LIVE, liv. I,
ch. XXXVI). M. Poirson conjecture avec assez de vraisemblance que le
prodige était concerté d'avance entre l'augure et le roi. Le
monument érigé en l'honneur de Navius (Statua Atti... ad laevam
Curiae fuit; cotem quoque eodean loco sitam fuisse memorant, ut
esset ad posteros miraculi ejus monumentum) servit à entretenir les
générations suivantes dans la confiance aux auspices, qui devinrent
à leur tour, entre les mains des chefs de l'état, l'instrument de
l'obéissance du peuple.
(19) C'est à eux
que, etc. La trabée était réservée aux enfants des
patriciens; c'était une robe rayée de blanc, d'or et de pourpre. La
prétexte ne pouvait également être portée que par les fils
des patriciens; ils la prenaient à l'âge de douze ans, et la
portaient jusqu'à leur dix-septième année. Le paludamentum
était le manteau militaire des officiers.
(20) Dans les
derniers moments de Tarquin. C'est le sens de inter mortem,
et le seul qui puisse convenir à ce qui suit. J. P.
(21) Le premier,
il fit un dénombrement.
« Comme Henri VII, roi
d'Angleterre, augmenta le pouvoir des communes pour avilir les
grands, Servius Tullius, avant lui, avait étendu les privilèges du
peuple pour abaisser le sénat.
» (MONTESQUIEU,
Grandeur et décadence des Romains.) Il est bien étonnant qu'un
aussi grand génie que Montesquieu ait si peu compris les
institutions de Servius Tullius. Loin d'étendre les privilèges du
peuple, l'établissement des classes transporta tout le pouvoir à
l'aristocratie. Le témoignage de Tite-Live est formel à cet égard :
« Non enim (ut ab
Romulo traditum ceteri servaverant reges) viritim suffragium eadem
vi eodemque jure promiscue omnibus datum est; sed gradus facti, ut
neque exclusus quisquam suffragio videretur, et vis omnis penes
primores civitatis esset.
» (LIV. I, chap.
XLIII. )
(22) Tout se
trouvait réglé, etc. Au lieu de ac si maxime, etc.,
j'ai lu, avec plusieurs commentateurs, et d'après l'autorité de
l'ancien manuscrit (Nazar. Cod.), ac sic maxima. Avec
cette leçon, la phrase me semble plus naturelle et plus claire. J.
P.
(23) Il fit
battre de verges, etc. Ce fut par un dévouement semblable que
Zopire donna Babylone à Darius :
« Zopirus domi se
verberibus lacerari toto corpore jubet : nasum, aures et labia sibi
præcidi; atque ita regi inopinanti se offert. Attonitum, et
quaerentem Darium causas auctoremque tam foedae lacerationis,
tacitus,quo proposito fecerit, edocet; formatoque in futura
consilio, transfugae titulo Babyloniam proticiscitur. Ibi ostendit
populo laniatum corpus : queritur crudelitatem regis... Constituitur
ergo dux omnium suffragio... Ad postremum universum sibi creditum
exercitum Dario prodit.
» (JUSTIN, liv. I,
chap. X.)
(L'édition de Deux-Ponts porte, au commencement de la phrase
suivante, cui a Gabiis, ut voluerat, recepto. C'est une leçon
que je n'ai pu adopter, et que je crois très fausse. Graevius, je le
sais, l'a trouvée dans le manuscrit de Rickyus; mais il sentit
lui-même la nécessité de la changer en cui a Gabinis, etc.
J'ai conservé, avec la plupart des critiques, l'ancienne leçon,
cui Gabiis, etc.) J. P.
(24) Ils ne
purent supporter, etc. Sextus, en violant Lucrèce, fit une
chose qui a presque toujours fait chasser les tyrans d'une ville où
ils ont commandé; car le peuple, à qui une action pareille fait si
bien sentir la servitude, prend d'abord une résolution extrême.
« Un peuple peut aisément souffrir qu'on exige de lui de nouveaux
tributs; il ne sait pas s'il ne retirera point quelque utilité de
l'emploi qu'on fera de l'argent qu'on lui demande : mais quand on
lui fait un affront, il ne sent que son malheur, et il y ajoute
l'idée de tous les maux qui sont possibles. » (MONTESQUIEU,
Grandeur et décadence des Romains, chap. 1er.)
(25) Par une sorte d'heureuse fatalité.
« Une des causes de la prospérité de Rome, c'est que ses rois furent
tous de grands personnages. On ne trouve point ailleurs, dans les
histoires, une suite non interrompue de tels hommes d'état et de
tels capitaines.
» (MONTESQUIEU,
Grand. et déc. des Rom., chap 1er.)
Le même auteur dit, à l'occasion de l'expulsion des rois : « Il
devait arriver de deux choses l'une, ou que Rome changerait son
gouvernement, ou qu'elle resterait une petite et pauvre monarchie.
» M. Poirson, dans son
Histoire romaine, combat cette opinion par des arguments
assez plausibles. Il remarque que la soumission de l'Italie était
aussi avancée à l'expulsion des rois que cent trente-huit ans plus
tard, au commencement de la guerre du Samnium, et qu'en suivant
cette proportion de succès, les rois eussent dompté la péninsule
plus tôt que les consuls.
(26) Pille ses
biens. Le changement de gouvernement trouva d'abord peu de
partisans parmi le peuple. Les sénateurs, pour attacher la multitude
à la révolution, lui donnèrent à piller les bien du roi :
« Diripienda plebi
data sunt; ut, contacta regia praeda, spem in perpetuum cum his
(Tarquiniis) paris amitteret.
» (TITE-LIVE, liv. II,
chap. V.)
(27) Quant à
Brutus, etc. Cette barbarie a été palliée par Tite-Live, qui
nous trace ce portrait idéal de Brutus au moment du supplice de son
fils,
« Quum inter omne
tempus pater, vultusque et os ejus spectaculo esset, eminente animo
patrio inter publicae poenae ministerium,
» et qui rejette sur
la fortune ce parricide :
« Supplicium
conspectius eo, quod poenae capiendae ministerium patri de liberis
consulatus imposuit, et qui spectator erat amovendus, eum ipsum
fortuna supplicii exactorem dedit.
» ( liv. II, chap. V.)
Virgile insinue, dans son Énéide, que la postérité était loin
d'admirer l'action de Brutus, et que l'ambition a pu y entrer pour
quelque chose:
Utcunque ferent ea facta minores,
Vincet amor patriae, laudumque immensa cupido.
(Aeneid., lib. VI.)
(28) Mucius
Scévola, etc. Nous n'approuvons pas plus le fanatisme de
Mucius Scévola que celui de Brutus. Cependant les Romains,
considérant plutôt le courage de Scévola que la moralité de son
action, l'admiraient encore, même sous l'empire : selon Martial, la
tentative et la fermeté de ce Romain furent une gloire suprême pour
le temps de Brutus :
Temporibus Bruti gloria summa fuit.
(MARTIAL, liv. VIII, épig. 30.)
(29) Et ordonne
aux siens, etc. Ce fut par un moyen semblable que le prince
de Condé, alors duc d'Enghien, remporta la victoire de Fribourg (31
août 1644). « On dit que le duc d'Enghien jeta son bâton de
commandement dans les retranchements des ennemis, et marcha pour le
reprendre, l'épée à la main, à la tête du régiment de Conti.
» (VOLTAIRE, Siècle
de Louis XIV, chap. III.)
(30) Coriole
vaincue fut un si beau titre, etc. Vinet, d'après un de ses
manuscrits, avait substitué Coriolus victus à Coriolos
victos : l'abbé Paul a suivi cette mauvaise leçon, que
rejettent tous les critiques. Le nom de la ville est Corioli,
et nulle part on ne trouve ni Coriolum ni Coriolus.
D'ailleurs, pourquoi changer une leçon qui repose sur l'autorité de
tant de manuscrits, lorsqu'avec cette leçon la phrase est claire et
correcte? Rien de plus légitime que l'emploi de l'accusatif et de
l'infinitif, dans ces phrases exclamatives, où la rapidité du
discours fait supprimer quelque verbe dont cet accusatif et cet
infinitif sont la suite naturelle. J. P.
(31) Revint
cultiver son champ de ses mains triomphales. OVIDE, Fast.,
liv. I :
Frondibus ornabant, quae nunc Capitolia gemmis,
Pascebatque suas ipse senator oves.
Jura dabat populis posito modo consul aratro.
« Gaudente terra
vomere laureato et triumphali aratro.
» (PLINE L'ANCIEN.)
(32) Trois cents
guerriers, etc.
« Trecentos sex
perisse satis convenit; unum prope puberem aetate relictum, stirpem
genti Fabiae, dubiisque rebus populi romani sape domi bellique vel
maximum futurum auxilium.
» (TITE-LIVE, liv.
II, chap. L.)
Una dies Fabios ad bellum miserat omnes;
Ab bellum missos perdidit una dies.
Ut tamen Herculeae superessent semina gentis,
Credibile est ipsos consuluisse deos.
Nam puer impubes, et adhuc non utilis armis,
Unus de Fabia gente relictus erat.
(OVIDE, Fastes, liv. II.)
Malgré le témoignage de Tite-Live et d'Ovide, il n'est guère
croyable que dans la nombreuse famille des Fabius il ne se soit
trouvé qu'un seul enfant hors d'état de porter les armes. Nous
devons savoir gré à Florus de n'avoir point répété cette fable.
(33) A l'occasion
de ce service nouveau, etc. Dans les premiers temps, les
soldats ne recevaient point de solde; chacun servait à ses propres
dépents. La première paie reçue par les fantassins leur fut accordée
l'an de Rome 347 (TITE-LIVE, IV, 59), et trois ans après, durant le
siège de Véies, on la donna aussi à la cavalerie (TITE-LIVE, V, 7).
A cette époque, on donnait deux oboles ou trois as par jour à chaque
fantassin, le double au centurion, et le triple à un chevalier.
(ADAM, Antiq. rom.) J. P.
(34) A ne point
rentrer dans ses foyers, etc. J'ai suivi le texte approuvé
par Saumaise, et que Graevius semble aussi avoir adopté; car il ne
fait aucune observation sur cc passage. Cependant les éditeurs de
Deux-Ponts, et d'autres commentateurs, lisent nisi capta orbe non
remeare; l'édition de Londres (1715) porte nisi capta urbe
remearet : c'est la leçon du manuscrit de Saumaise. L'abbé
Brottier a bien senti que cette leçon ne pouvait s'expliquer, et il
l'a corrigée à la marge de l'édition de Londres; il remplace
remearet par non remeare. J. P.
(35) Partis en
foule, etc. Sous le règne de Tatquin l'Ancien, des Gaulois,
partis de la Celtique, traversèrent les Alpes, défirent les Toscans,
et s'emparèrent de la haute Italie, à partir de l'Apennin jusqu'à la
mer Adriatique. Ils se partagèrent leur conquête, et de leur nom
l'appelèrent pays des lnsubriens, des Cénomans, des Lingons, des
Boïens, des Senonais. Pendant deux siècles, ils demeurèrent dans
leurs limites, et respectèrent les possessions des Toscans en
Étrurie. Mais, en 391, les Senonais passèrent l'Apennin sous la
conduite de Brennus, et envahirent le territoire de Clusium. Les
trois fils de Fabius Ambustus, envoyés auprès des Gaulois, comme
ambassadeurs, eurent le tort d'oublier ce caractère, et de combattre
dans les rangs des Clusiniens. Cette violation du droit des gens
irrita les barbares, qui marchèrent aussitôt contre Rome, après
avoir envoyé demander vengeance au peuple de l'attentat commis par
les Fabius. Le peuple ne répondit à leurs plaintes qu'en élevant ces
mêmes Fabius au commandement des troupes destinées à arrêter les
Gaulois. C'était mériter la défaite d'Allia et les désastres qui
suivirent.
(36) Des
ambassadeurs, etc., etc. Les anciennes éditions, et la
plupart des manuscrits ont missis ex more legatis, qu'il
était inutile de changer; c'est Saumaise qui a proposé de lire
missi ex more legati. Dans plusieurs éditions on lit aussi
ferocius agunt, movent, et inde certamen. Mais movent,
inutile au sens de la phrase, est supprimé par Saumaise, d'après son
manuscrit; et Vinet ne trouve pas non plus ce mot dans les
manuscrits qu'il a consultés. J. P.
(37) On citerait
difficilement une défaite plus horrible. Dans tous les
manuscrits, il y a non temere foedior clades; mais, dès les
premières éditions, on substitua Cremeræ à temere.
Saumaise fit remarquer le premier que la défaite de Crémère, où
furent massacrés trois cents Romains, ne pouvait se comparer à celle
d'Allia, où périrent tant de milliers d'hommes. Freinshemius cherche
à justifier la leçon des éditions anciennes, en rappelant que les
trois cents Fabius étaient accompagnés de cinq mille clients, qui
périrent avec eux. Cependant il se décide pour la leçon que
présentent et que recommandent tous les manuscrits. Il restait à
expliquer non temere foedior clades; c'est ce que n'ont pas
même essayé les commentateurs, et cependant la phrase n'est pas sans
difficulté. Nous avons pensé que temere devait s'entendre
dans le sens de facile:
«on ne citerait pas
facilement une plus sanglante défaite.
» Les exemples
suivants autorisent à interpréter ainsi temere. PLAUT. ,
Bacch., act. I, scèn. I, v. 52 : Rapidus fluvius est hic; non
hac temere transiri potes. TERENCE, Phorm., act. IV,
scèn. 5, v. 2 : Hoc temere nunquam amittarn ego a me, quin, etc.
QINTIL., I, 3 : Illud ingeniorum velut praecox gens non temere
unquam pervenit ad frugem. TITE-LlVE, XXX, 30 : Non temere
incerta casuum reputat, quern fortuna nunquam decepit. Remarquez
surtout ce passage de Suétone (Vie de Tit., 8), qui a
beaucoup de rapport, pour l'expression, avec celui de Florus :
Quaedam sub eo tristia acciderunt, ut conflagratio Vesevi, incendium
Romae, item pestilentia, quanta non temere alias. J. P.
(38) Ils se placent sur leurs chaises curules,
etc. « Haud secus quam venerabundi (Galli), intuebantur in
aedium vestibulis sedentes viros, praeter ornatum habitumque humano
augustiorem, majestate etiam, quam vultus gravitasque oris prae se
ferebat , simillimos diis.
» (TITE-LIVE, liv. V,
chap. XLI.)
Vidimus ornatos, aerata per atria, picta
veste, triomphales occubuisse sense.
(OVIDE, Fastes, liv. VI.)
Tel, dans les murs de Rome, abattus et bûlants,
Ces sénateurs courbés sous le fardeau des ans,
Attendaient fièrement, sur leur siège immobiles,
Les Gaulois et la mort avec des yeux tranquilles.
(VOLTAIRE, Henriade, chant quatrième.)
(39) Livrer à la
mort son fils, qui avait vaincu sans son ordre. Cette
barbarie, beaucoup moins excusable que celle de Brutus rendit
Manlius odieux aux Romains. Les ordres à la Manlius Manliana
imperia, passèrent en proverbe. Le meurtre du fils de Torquatus
n'est plus, aux yeux de Tite-Live, un beau supplice comme celui des
fils de Brutus, mais une action atroce : atrox imperium,
atrocitas poenae, etc. Valère-Maxime est plus Romain. Brutus et
Manlius excitent également son enthousiasme déclamateur. S'adressant
à Manlius et à Tubertus, qui tous deux immolèrent leurs fils à la
discipline militaire, il s'écrie :
« Ego vero haec tanto
animo vos, bellicarum rerum severissimi custodes, Postume Tuberte et
Manli Torquate, memoria ac relatione complector, qui animadverto
fore ut pondere laudis, quam meruistis, obrutus, magis
imbecillitatem ingenii mei detegam, quam vestram virtutem sicut par
est, repraesentem.
» (liv. II, titre 6.)
(40) Qu'il ne
savait lui-même, etc. C'est après la défaite des Samnites, et
non après celle des Sabins, que Curius Dentatus dit dans une
assemblée du peuple :
« Tantum agri cepi, ut
solitudo fuerit ni tantum hominum cepissem; tantum porro hominum
cepi ut fame perituri fuerint, ni tantum agri cepissem.
» A quelle espèce de
galimatias appartient cette fanfaronnade?
(41) Ils avaient
juré, par des lois inviolables, etc. Je trouve sacris
dans quelques textes : sacratis est la vraie leçon : sacratae
leges dit Festus, sunt quibus sanctum est, ut qui adversus
eas fecerit sacer alicui deo sit cum familia et pecunia. - Un
peu après, plusieurs éditions, et notamment celles de Gravius et de
Deux-Ponts portent ipsa Samnio. C'est la leçon de trois
manuscrits de Gruter subintelligitur regione, dit ce
commentateur. Malgré cette autorité et celle de Brottier, qui, dans
l'édition de Londres, a corrigé de sa main ipso en ipsa,
je persiste à croire que l'ancienne leçon ipso Samnio, est
plus naturelle. J. P.
(42) Que le
passage n'offre aucun danger. Parmi les manuscrits, les uns,
comme le manuscrit de Ryckius, portent speculatus omnia refert.
Tunc si Fabius; d'autres, comme celui de Saumaise, ont refert
tum iter; d'autres, enfin, présentent tutum iter ou
totum iter. J'ai suivi le sentiment de Graevius. J. P.
(43) Il les
foudroie, comme un nouveau Jupiter. Thomas a dit avec plus de
justesse, mais non pas sans emphase, en parlant du siège de
Rio-Janeiro, par Duguay-Trouin : « Chacune des montagnes (qui
défendent la ville) est couverte de batteries, dont l'artillerie
semble tonner du haut des cieux.
»
(44) Pyrrhus.
« La grandeur de
Pyrrhus ne consistait que dans ses qualités personnelles. Plutarque
nous dit qu'il fut obligé de faire la guerre de Macédoine, parce
qu'il ne pouvait entretenir huit mille hommes de pied et cinq cents
chevaux qu'il avait. Ce prince, maitre d'un petit état, dont on n'a
plus entendu parler après lui, était un aventurier qui faisait des
entreprises continuelles, parce qu'il ne pouvait subsister qu'en
entreprenant.
» (MONTESQUIEU,
Grandeur et décadence des Romains, chap. IV.)
On peut lire aussi dans l'Histoire romaine de M. Poirson, un
portrait de Pyrrhus très bien tracé (chap. VIII.)
(45) Prés
d'Héraclée, sur les bords du Liris, etc. Héraclée n'était
point située en Campanie, ni sur les bords du Liris; elle était en
Lucanie, entre le Siris et l'Aciris. Voyez Saumaise et Freinsbemius,
sur cette erreur de l'historien latin. J. P.
(46) Employés au
menaçant appareil des combats. Graevius ne trouve aucun sens
dans le passage latin, conversi in spectaculum belli:
« Ad quodnam bellum
spectandum convertebantur elephanti, dit-il, et quidnam ad victoriam
Romanis extorquendam conferebant elephanti bellum seu pugnam
intuentes? Nam hoc est converti in spectaculum alicujus rei, se
convertere ad aliquid spectandum. Nullus alias sensus ex his verbis
potest colligi.
» Nous croyons, au
contraire, qu'on peut donner un autre sens à conversi in
spectaculum belli, en employant spectaculum passivement,
et en interprétant elephanti qui spectarentur, au lieu de
elephanti qui spectarent, comme l'entend Graevius. Les éléphants
n'étaient pas destinés par la nature à l''appareil des combats, et
voilà que les hommes les font servir à cet usage, conversi
elephanti : quant à l'emploi de spectaculum dans le sens
passif, rien n'est plus usité; je n'en citerai que deux exemples.
COC., De natur. deor., II, 56 : Sunt enim ex terra homines
non ut incolae atque habitatores, sed quasi spectatores superarum
rerum atque caelestium, quarum spectaculum ad nullum aliud genus
animantium pertinet. TITE-LIVE, X, 40 : insequitur
acies ornata armataque, ut hostibus quoque magnificum spectaculum
esset. On voit que pour expliquer la phrase de Florus, il n'est
pas nécessaire de lire avec Graevius, converso in spectaculo
bello. Dans une traduction récente, ce passage est ainsi
interprété : C'en était fait de l'ennemi, si les éléphants,
placés en première ligne, ne furent accourus. Le latin ne
dit rien de cela; il est même difficile de concilier ce détail,
placés en première ligne, avec le reste de la phrase, qui
exprime clairement qu'on ne fit avancer les eléphants que lorsque
les premières lignes eurent été rompues. J. P.
(47) Quelques-uns étaient morts sur les
cadavres de leurs ennemis. Le traducteur dont nous venons de parler
entend la phrase latine d'une autre manière : Quelques-uns, dit-il,
semblent vivre encore pour l'ennemi. Nous croyons que c'est
une méprise. PLINE, XXIX, 1 : Stellio immortuus vino : et 6 :
Apes immortuae in melle. LUCAIN, III, 612 : Illa
tamen nisu, quo prenderat, haesit. Diriguitque tenens strictis
immortuus nervis, etc. J. P.
(48) Et le sénat,
combiem ne montra-t-il pas de grandeur? Le sénat, dans cette
circonstance mémorable, rendit le décret suivant :
« Pyrrhus n'obtiendra
la paix que quand il aura évacué l'Italie, eût-il battu mille
Laevinus.
» Il avait déjà
témoigné la même résolution de ne rien accorder à la force, dès le
temps du siège de Rome par Coriolan.
« Le décret qu'il
rendit alors, de ne rien accorder par force, passa pour une loi
fondamentale de la politique romaine, dont il n'y a pas un seul
exemple que les Romains se soient départis dans les temps de la
république. Parmi eux, dans les états les plus tristes, jamais les
faibles conseils n'ont été seulement écoutés. Ils étaient toujours
plus traitables victorieux que vainruts.
» (BOSSUET,
Histoire universelle.)
« Ils augmentaient,
dit Montesquieu, leurs prétentions à mesure de leurs défaites; par
là, ils consternaient les vainqueurs, et s'imposaient à eux-mêmes
une plus grande nécessité de vaincre.
(49) Les députés
renvoyés de Rome avec leurs présents. C'était alors le beau
temps de la république romaine.
« Huic continentiae
Romanorum simile exemplum iisdem ferme temporibus fuit. Nam missi a
senatu in Ægyptum legati, quum ingentia sibi a Ptolemao rege missa
munera sprevissent, interjectis diebus, ad coenam invitatis aureæ
coronæ missæ sunt, quas illi honoris causa receptas postera die
statuis regis imposuerunt.
» (JUSTIN, liv. XVIII,
ch. 11.)
(50) Curius
renvoie à Pyrrhus, etc. Cicéron attribue ce trait à
Fabricius, en mettant la proposition d'empoisonnement sur le compte
d'un transfuge, sans le désigner comme médecin de Pyrrhus.
« Quum de imperio
certamen esset cum rege generoso ac potente, perfuga ab eo venit ad
castra Fabricii, eique est pollicitus, si praemium sibi
proposuisset, se, ut clam venisset, sic clam in castra Pyrrhi
rediturum, et eum veneno necaturum. Hunc Fabricius reducendum
curavit ad Pyrrhum; idque factum ejus a senatu laudatum est.
» (De officiis,
lib. III, cap. XXIII.)
(51) Et le
courage de ses soldats. J'ai lu avec Grævius his moribus,
hac virtute militum, au lieu de his moribus, virtute,
militia. Ce changement est conforme à la leçon des manuscrits
les plus anciens. Cependant Freinshemius regarde virtute militum
comme une glose, et une explication de his moribus. J. P.
(52) Ornaient la
pompe triomphale. Les anciennes éditions, et la plupart des
manuscrits, portent pompas, et non pompam. J. P.
(53) Attristés de
leur captivité. RACINE, Phèdre :
Ces superbes coursiers...
L'oeil morne maintenant, et la tête baissée,
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
(54) Ainsi fut
banni Coriolan. On peut consulter à ce sujet TITE-LIVE, liv.
Il, chap. 35, et PLUTARQUE, Vie de Coriolan.
(55) Et après
avoir obtenu le tribunat. Choisis exclusivement dans l'ordre
plébéien et par les plébéiens, les tribuns exerçaient leurs
fonctions pendant un an : leur personne était sacrée; quiconque
portait la main sur eux était dévoué à l'exécration et à la mort :
par ce seul mot veto, vetamus, ils arrâtaient l'exécution de tous
les décrets du sénat qui leur paraissaient contaires à l'intérêt du
peuple ; ils ne pouvaient s'éloigner de la ville pendant un jour
entier; la porte de leur maison devait être ouverte à toute heure
aux citoyens. leyr autorité ne s'étendait que dans les murs de
Rome, et à un mille au delà. Dans l'origine, ils n'entraient
aub sénat que lorsque les consuls les y appelaient. ils ne
restèrent pas longtemps dans cet état d'infériorité, et firent
bientôt trembler et le sénat et les consuls.
«Par une maladie éternelle des hommes, dit
Montesquieu, les plébéiens qui avaient obtenu des tribuns pour se
défendre, s'en servaient pour attaquer; ils enlevèrent peu à peu
toutes les prérogatives des patriciens; cela produisit des
contestations continuelles.
» (Grand.
et décad. des Rom. chap. VIII.).
(56)
Le corps entier de la jurisprudence romaine.
Le texte joint à la traduction de l'abbé Paul porte iuris
scientia : tous les autres ont justitia, qui peut très
bien s'entendre de l'ensemble du corps des lois.. J. P.
(57) Celle-ci, en
entendant un jour, etc. Plusieurs éditions ont ici haec
quodam tempore, quod, etc.; c'est une leçon introduite par
Saumaise. Mais comment expliquer ensuite itaque nactus, etc.
? Nic. Heinsius et Graevius ont compris cette difficulté, et ont lu
itaque nactus tribunatum maritus. Camers, d'après un
ancien manuscrit, présente ainsi la phrase : .... Stoloni, qui
quodam tempore quod eius uxor lictoriae, etc. ; le reste devient
correct et s'explique aisément. j'ai suivi la leçon des
éditeurs des Deux-Ponts, qui ne diffère pas essentiellement de celle
de Camers. J. P.
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